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9

Michael découvrait qu’avec Jack Larsen rien n’était ja-mais simple. Aussi les événements ne se déroulèrent‑ils pas exactement comme prévu.
Le Texan adorait improviser. Le lendemain, quand il ap-pela son nouvel ami au bureau pour lui confirmer que le week-end à New York tenait toujours, Jack ajouta qu’il serait heureux si Michael acceptait de l’accompagner, le lendemain, dans le Rhode Island, où se déroulait la dernière journée d’un important salon nautique.
La veille, après le dîner à Park House, le Texan lui avait confié que, depuis toujours, il caressait un certain espoir. Propriétaire, entre autres, d’immenses champs de coton et d’usine de textile, il n’avait jamais réussi à décrocher la clientèle des constructeurs de bateaux de plaisance. Equiper catamarans et monocoques de voiles sortant de ses usines était son rêve. Or, Michael avait commis l’imprudence de lui dire que, en tant que petit-fils et neveu d’armateurs, il con-naissait bien ce milieu. Sur le moment, l’information n’avait pas paru intéresser Jack. Mais il avait dû y réfléchir ensuite, et voir là un moyen de s’introduire dans un monde qui lui était étranger.
Naturellement, Michael ne pouvait refuser. Rendez-vous avait donc été pris pour le lendemain samedi, à 9 heures, dans le salon nautique.
La ville de Providence, où se tenait le salon, étant à trois cents kilomètres au nord de New York, et Trenton à cent kilomètres au sud, Michael avait donc décidé de partir le vendredi soir et de coucher dans les environs de Providence, chez un de ses oncles.
Sur sa tendre insistance, Johanna avait accepté l’invitation des Larsen. Aussi Michael et elle étaient‑ils convenus de se retrouver à New York, le samedi, dans le courant de l’après-midi.
Johanna se sentait complètement épuisée en atteignant le cœur de Manhattan. Elle avait mis un temps fou à arriver jusqu’au Plaza Square. Depuis la sortie du Lincoln Tunnel, qui relie le New Jersey à New York en passant sous l’Hudson River, le trafic était un cauchemar et, au volant de la jeep, elle n’avait plus avancé qu’au ralenti.
L’itinéraire ne lui avait pourtant pas posé de problème. Au temps de son adolescence, elle était venue très souvent avec ses parents faire des courses à Manhattan et, en neuf ans, si la circulation était devenue démente, la ville, elle, n’avait guère changé. Certes, une épouvantable catastrophe avait rasé les tours jumelles qui avaient fait la fierté de New York, mais, à l’angle de la Ve Avenue et de la 59e Rue, le luxueux palace du Plaza dominait toujours Central Park.
Il était près de 16 heures lorsque Johanna confia les clés de la jeep au voiturier qui devait conduire celle-ci dans le garage privé du palace. Un employé galonné se saisit des bagages de la jeune femme et la précéda à la réception.
Johanna connaissait l’hôtel pour être souvent passée de-vant ses façades. Autrefois, elle s’était même promenée, avec sa mère, dans le dédale des halls et des salons décorés de fleurs et de plantes exotiques, regardant d’un œil admiratif les vitrines où les plus grands noms de la couture et de la joaillerie exposaient leurs modèles. Mais jamais elle n’aurait imaginé qu’un jour elle pénétrerait dans ce palace en cliente.
La veille, Donna Sue avait multiplié les coups de télé-phone à l’intention de la jeune femme, insistant d’abord pour qu’elle accompagnât Michael, ensuite pour lui propo-ser plusieurs programmes de sorties après dîner, plus allé-chants les uns que les autres.
Johanna trouvait cette soudaine amitié flatteuse, mais un peu envahissante. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir émue. Depuis la mort de ses parents, personne ne s’était jamais soucié d’elle et de ses goûts avec autant de gentillesse. Certes, elle soupçonnait Donna Sue de vouloir jouer les marieuses, et son hypothèse se confirma lorsqu’elle découvrit que la femme de Jack leur avait retenu une suite. Seul un salon privé séparait les deux chambres, dotées cha-cune d’une salle de bains individuelle.
Un peu surprise par la somptuosité du cadre, Johanna donna un généreux pourboire au valet qui posait son bagage sur le porte-valises de l’entrée.
Dès qu’il eut refermé derrière lui la porte du couloir, elle retira vivement ses chaussures et son manteau, et entreprit une visite approfondie des lieux.
Dans le salon, meublé de confortables sièges en cuir blanc, un petit mot de bienvenue était posé bien en vue, sur une table, près d’une corbeille de fruits confits. Donna Sue s’excusait de n’être pas là pour accueillir son invitée. Ce matin, au dernier moment, Jack lui avait demandé de l’accompagner au salon nautique. Tous quatre se retrouve-raient ce soir, entre 18 et 19 heures, au bar de l’hôtel.
Ses orteils enfoncés dans l’épaisse moquette, Johanna flâna d’une pièce à l’autre. Vastes et luxueuses, les chambres, qu’égayaient des bouquets de fleurs fraîches, étaient tapissées de soie sauvage. Toutes deux offraient de larges lits, des commodes et des fauteuils anciens. L’une était de style Directoire, l’autre d’époque Louis XV. Michael les trouverait sûrement un peu désuètes. Johanna, elle, était ravie. Elle choisit la première et y apporta sa valise, une valise en peau de porc qu’elle avait découverte dans la resserre de Park House et qui, nettoyée, était tout de même plus présentable que son vieux sac de marin.
Les deux salles d’eau, avec leur baignoire, leurs vasques de marbre et leurs nombreux accessoires raffinés lui apparu-rent comme le sommet du luxe.
Elle revint dans le salon et écarta le rideau masquant les baies. La suite donnait sur Central Park. Du douzième étage de l’hôtel, la vue s’étendait sur toute la longueur du parc. L’automne avait dépouillé les arbres d’une partie de leurs feuilles et Johanna apercevait nettement les allées, les col-lines et les pièces d’eau de l’immense rectangle de verdure.
Les doubles vitres ne laissaient filtrer aucun bruit. Pour-tant, au bas du palace, la circulation était toujours aussi dense. Le regard de Johanna s’attarda sur les calèches qui, devant les grilles du parc, attendaient les touristes. Enfant, elle avait toujours rêvé d’y monter.
Elle s’imagina parcourant les allées du grand jardin, au pas des chevaux, dans une de ces antiques voitures, blottie contre Michael. Une vraie promenade d’amoureux ! Mais l’amour serait‑il au rendez-vous ? Quels étaient les senti-ments de Michael ? Il la désirait, c’était indiscutable… En se souvenant du conseil de Donna Sue, elle ferma les yeux et s’interrogea.
Etait‑elle prête à accorder à Michael ce qu’il voulait, quitte à souffrir ensuite mille morts en découvrant qu’elle n’avait été pour lui qu’une conquête parmi d’autres ?
Elle soupira et, indécise, releva les paupières. Pou-vait‑elle se donner, assouvir les besoins de son corps en étouffant l’amour qui embrasait son cœur ? Elle savait que, de toute manière, le fantôme de Jeff les séparerait. En outre, aussi longtemps qu’elle ne se délivrerait pas du secret qui concernait la mort de Jeff et empoisonnait sa conscience, elle aurait l’impression d’être déloyale envers Michael…
Le bruit de la porte d’entrée l’arracha à sa méditation. Elle perçut l’écho de la voix de Michael et d’une brève con-versation avec l’employé de l’hôtel, puis Michael entra seul dans le salon. Il paraissait quelque peu fatigué.
Elle s’avança vers lui en souriant.
— La journée a été dure ? demanda-t‑elle.
— Harassante, répondit‑il en se laissant tomber au creux d’un divan tout en desserrant sa cravate. Jack paraît incre-vable ! J’ai dû le présenter à tous les constructeurs que je connaissais. Ensuite, nous avons déjeuné au club nautique, où il s’est fait de nouveaux amis qui deviendront peut-être ses clients. Dès que j’en ai eu la possibilité, je les ai tous abandonnés. Nous nous retrouverons avec les Larsen en fin d’après-midi au bar de l’hôtel… Es-tu arrivée sans encombre jusqu’ici ?
— Arrivée, oui, comme tu le constates. Sans encombre, c’est autre chose. La circulation en ville est démente… Comment trouves-tu notre appartement d’un soir ?
— Joli, répondit‑il simplement.
Il ne regardait rien de ce qui l’entourait, mais contemplait avidement Johanna. Toute la journée, il avait pensé à elle et n’avait eu qu’une hâte : quitter le couple encombrant et la rejoindre à l’hôtel, afin de passer quelques heures en tête à tête avec elle avant d’être de nouveau accaparé par les Texans.
Elle semblait avoir oublié les cruelles paroles qu’il lui avait lancées trois jours plus tôt, mais elle restait encore sur la défensive. Or, jamais il n’avait désiré une femme comme il la désirait.
— Joli ? C’est tout ce que tu trouves à dire ? s’exclama-t‑elle. Attends d’avoir vu les chambres…
Elle s’interrompit, comprenant soudain, à la lueur qui brillait dans les yeux bleus, que la visite du reste de la suite risquait de réveiller un incendie qu’elle ne serait peut-être pas en mesure d’éteindre autrement qu’en donnant libre cours à ses pulsions. Or, elle ne se sentait pas encore prête à effacer ce qui lui restait de fierté, voire de ressentiment. Et bien que le désir lui rongeât le sang, elle préférait prolonger l’attente, se donner encore un peu de temps pour réfléchir. En ce moment, elle ne voulait que savourer un instant de pure amitié.
— Michael, si j’osais, je te demanderais une grande fa-veur…
— Ose, Johanna, je t’en prie.
— Je voudrais réaliser avec toi un rêve d’enfant. Tu as vu les calèches, en bas de l’hôtel ? Eh bien, j’aimerais en louer une et faire un tour dans le parc. Déjà toute petite, je sup-pliais ma mère de m’offrir ce luxe. Mais elle m’objectait que ce genre de voiture était réservé aux touristes, et que nous n’en étions pas. Il reste encore une grande heure de jour… Accepteras-tu de m’emmener faire un tour dans le parc ?
Il aurait préféré la prendre dans ses bras, l’allonger, nue, sur un des lits, et faire avec elle le tour de tous ces plaisirs dont ils n’avaient encore goûté que les prémices. Mais la proposition de Johanna prouvait qu’elle avait oublié ses griefs contre lui. C’était peut-être le début d’une réconcilia-tion. Il ne pouvait que s’en féliciter et accepter l’offre, mal-gré sa lassitude physique.
Il se leva alors et resserra le nœud de sa cravate.
— Allons jouer les touristes, dit‑il en s’efforçant à la bonne humeur.
Elle courut dans sa chambre remettre collants et chaus-sures et enfiler un vêtement de laine.
Quelques minutes plus tard, ils quittaient le palace et se dirigeaient vers la station, où piaffaient les chevaux.
Michael aida Johanna à monter dans la calèche, puis il s’assit à côté d’elle. Le cocher étendit une couverture sur leurs genoux pour les protéger du vent froid. Ensuite, il s’installa sur son siège et guida son cheval vers l’entrée du parc.
A Johanna qui s’étonnait de ne pas entendre le bruit des sabots, Michael expliqua que la municipalité obligeait les cochers à faire gainer de caoutchouc les fers de leurs che-vaux.
Elle s’adossa aux confortables coussins de cuir et deman-da à Michael si, pour lui aussi, c’était la première fois qu’il se promenait dans Central Park à bord d’une calèche.
— Non.
— Tu y étais venu avec… avec une amie ?
— En famille, rectifia-t‑il. Jeff et moi, nous n’étions en-core que des enfants et nous avions accompagné notre mère à je ne sais plus quelle cérémonie. Je revois encore la scène qui a suivi. A la fin de notre balade dans le parc, ma mère était épuisée de s’être bagarrée avec Jeff pendant toute la durée de la course. A l’époque, nous avions choisi une grande berline fermée, tirée par deux chevaux. Jeff voulait absolument grimper sur le toit. J’avais dû aider ma mère à le retenir, et nous avons failli basculer tous les trois par la portière qui s’était brusquement ouverte.
— Jeff n’a jamais grandi, murmura Johanna. S’il était avec nous maintenant, il se serait assis à côté du cocher et insisterait pour lui prendre les rênes.
Michael hocha pensivement la tête.
— Oui, mon frère était tout à fait capable de commettre ce genre de sottise.
Pendant un moment, ils restèrent silencieux, enveloppés par le grondement lointain de la ville. La calèche longeait le Mail, une avenue rectiligne, bordée d’ormes magnifiques et de statues d’écrivains célèbres.
Johanna aperçut deux écureuils qui se poursuivaient, mais au moment où elle allait les désigner à Michael, ce dernier remarqua, le regard lointain :
— Cela a dû être très dur pour toi…
— Quoi donc ?
— Le fait d’être la seule adulte de votre couple.
Elle eut un léger haussement d’épaules.
— J’avais à la fois un mari et un enfant. Jeff était pour moi un perpétuel défi.
— Mes parents disaient de lui la même chose. Pourtant, nous l’aimions tous beaucoup…
Il étreignit affectueusement la jeune femme et ajouta d’un ton persuasif :
— Toi et moi, nous devrions parler de Jeff plus souvent.
— Tu crois ? Je pensais qu’en parler te gênait, dit‑elle en se raidissant contre l’émotion que la soudaine étreinte de Michael faisait surgir en elle.
Il l’embrassa sur la tempe et précisa :
— Ce qui me gêne, c’est que je n’arrive pas à imaginer ce qu’il penserait de cet élan physique qui nous pousse l’un vers l’autre. Il m’a toujours jalousé. Peut-être que, de là-haut, il me jalouse encore.
Elle leva vers Michael un regard vibrant d’amour.
— Dès que je suis dans tes bras, tout me paraît simple et je ne pense plus à rien. J’ai tort de laisser s’enflammer mes sens, je le sais. Tu me l’as du reste reproché en m’accusant de provocation. Alors, il m’arrive de réfléchir, de revoir le passé.
— Le passé avec Jeff ?
— Oui.
— A quoi penses-tu ? A l’accident ?
— Oh, non…, répondit‑elle un peu trop vite. Je préfère me souvenir des bons moments.
— Lesquels ?
— Même lorsque j’étais une toute petite fille, Jeff était mon meilleur ami, et…
La voix du cocher l’interrompit. A deux reprises déjà, grâce à un micro, relayé par un haut-parleur dissimulé dans l’habitacle, le cocher leur avait donné quelques indications, comme il le faisait chaque fois qu’il conduisait des touristes. Grâce à ce système, il pouvait parler sans se retourner.
— A droite, vous avez l’entrée du zoo… Nous passons devant le jardin réservé aux enfants…
Cette fois, il les prévenait qu’ils approchaient du lac.
— A l’horizon, au faîte d’une colline, vous remarquerez une sorte de castel médiéval. C’est maintenant une station météorologique…
Avant de reprendre le sujet qui lui tenait à cœur, Michael attendit que l’homme eût terminé son petit discours. Dès que le silence revint, il remarqua :
— Jeff n’était plus seulement ton ami, Johanna… Il était devenu ton époux.
— Oui, bien sûr, mais…
— Mais quoi ?
— En réalité, quand il est mort, nous n’étions plus mari et femme depuis plus de deux ans.
Michael en resta muet, envahi soudain par une sorte de grande vague purificatrice qui lui ôtait ses derniers scru-pules. Ainsi, bien avant la mort de Jeff, le couple était déjà séparé. Le fantôme de son frère se réduisait à un pâle souve-nir, qui ne pouvait plus surgir entre Johanna et lui et briser net ses élans en lui laissant d’insupportables remords. Ce n’était plus la veuve de Jeff qu’il désirait, mais une femme libérée depuis longtemps de toute attache conjugale.
— Au fond, je m’en doutais…, murmura-t‑il comme pour lui-même.
Elle tressaillit et le dévisagea en plissant les paupières.
— Jeff t’avait fait des confidences ?
— Non. Depuis la dernière fois que nous avions passé les fêtes de Noël tous ensemble au manoir, il y a plusieurs an-nées, après la mort de tes parents, Jeff et moi avions prati-quement cessé de nous voir et même de nous téléphoner. Je réprouvais sa façon de vivre, et n’avais plus de nouvelles de vous deux que par ma mère.
— Alors, d’où te venait ce doute sur notre couple ?
— Disons que c’était une intuition, et je suis heureux de ne pas m’être trompé.
— Heureux ? Tu n’exagères pas un peu ? riposta-t‑elle d’un ton de reproche.
Elle faillit lui parler des causes de l’accident qui avait coûté la vie à Jeff, mais se retint à temps. Le moment était mal choisi. La révélation de son désaccord avec Jeff avait créé une atmosphère nouvelle entre eux. En ce moment, ils étaient très près l’un de l’autre et, comme toujours au contact de Michael, Johanna éprouvait un mélange de rancune et de désir. Cette fois, le désir était plus fort que le ressentiment, et les battements de son cœur s’accéléraient. L’envie la tenaillait de se blottir contre son compagnon, de le toucher, de le caresser, d’autant qu’elle le devinait comme soulagé d’un scrupule. La règle de conduite qu’il s’était imposée et à laquelle il avait failli à plusieurs reprises en accusant Johanna de provocation, cette règle-là n’existait plus, elle en avait la conviction
Il lui en apporta la preuve en chuchotant à son oreille d’une voix rauque :
— Ce soir, Johanna, rien ne nous empêchera plus…
Il s’interrompit. Elle s’était brusquement raidie, pressen-tant la suite et, par fierté, refusant toute promesse qui aurait eu l’air d’une soumission.
— Quoi, ce soir ? demanda-t‑elle. Que cherches-tu à in-sinuer ?
— Je n’insinue rien. Je te désire et tu le sais, Johanna. Ce soir, ce sera à toi de décider si tu acceptes d’oublier ou non tout ce que j’ai pu te dire d’humiliant dans des moments de colère. Je t’attendrai dans ma chambre. Que décides-tu ?
Elle ne répondit rien. Elle savait que cette nuit, s’il la prenait dans ses bras, elle fondrait de bonheur. Mais il n’avait pas parlé d’amour. De longues heures les séparaient encore du moment où ils se retrouveraient de nouveau seuls avec leurs pulsions exacerbées. Elle avait tout le temps de réfléchir et de prendre sa décision…
La voix du cocher les arracha à leurs pensées.
— Désirez-vous faire le tour du lac ?
Michael regarda la montre à son poignet. Ils avaient juste le temps de revenir à l’hôtel et de se préparer pour le dîner avec les Larsen. Il se pencha en avant vers le cocher.
— Non. La nuit tombe. Retournez à la station, s’il vous plaît.
Il s’adossa de nouveau aux moelleux coussins et grom-mela :
— Au diable les Larsen ! Mais ils nous ont invités et nous ne pouvons les faire attendre… Tu n’as pas répondu à ma question.
— J’y répondrai plus tard, Michael. En attendant, profi-tons de cette promenade. C’est très gentil à toi de me l’avoir offerte.
Et, pour le remercier, elle l’embrassa gentiment au coin des lèvres.
Situé à la pointe sud de Manhattan, le restaurant offrait une vue splendide sur le port et la statue de la Liberté.
Une table pour quatre avait été retenue près d’une baie vi-trée, et Johanna tournait souvent la tête vers l’extérieur, autant pour échapper au regard insistant de Michael que pour admirer le panorama grandiose, que des projecteurs arrachaient à la nuit.
Préparé par un chef français, le repas avait été copieux et raffiné. Le café servi, le sommelier proposa un choix de cognac et de liqueurs. Johanna lui fit un signe discret de refus et couvrit son verre de sa paume. Elle ne répéterait pas l’erreur qu’elle avait commise en acceptant de boire un brandy avec ses camarades de faculté. Ce soir, elle devait absolument garder la tête sur les épaules.
Elle adressa un grand sourire à Jack en même temps qu’elle s’excusait. L’alcool, expliquait‑elle, la rendait ma-lade.
Il n’insista pas. Après le départ du sommelier, il leva son verre de cognac pour trinquer avec Michael.
— A notre collaboration ! dit‑il joyeusement.
— Et à sa réussite ! renchérit Michael.
Alors que les deux hommes recommençaient à parler af-faires, Donna Sue acheva de siroter sa chartreuse, puis elle se pencha vers Johanna.
— Ils sont incorrigibles, murmura-t‑elle. Même au cours d’un repas agréable comme celui-ci, ils trouvent le moyen de discuter de chiffres et de marchés. Au lieu de les écouter, allons donc nous repoudrer le bout du nez dans le petit salon réservé aux dames. Vous verrez, c’est un vrai bijou.
Johanna se leva et suivit son hôtesse.
Donna Sue avait raison. Le luxe du restaurant n’était pas seulement dans la salle et dans les assiettes, il s’affichait également dans les recoins les plus discrets. Là, les vasques des lavabos étaient en marbre d’Italie, les robinets dorés, les miroirs immenses et des flacons d’eau de toilette étaient mis à la disposition des clientes.
— Vous n’avez pas encore suivi mon conseil, remarqua Donna Sue en regardant Johanna par le truchement du mi-roir.
— A quel sujet ?
— Vous le savez bien. Ross a toujours l’air aussi malheu-reux.
— Malheureux, Michael ? Il ne m’en donne pas l’impression.
— A moi, si. Quand il ne se croit pas observé, ses yeux prennent une expression de chien battu, comme s’il caressait un rêve irréalisable… Oui, je le sais, je me mêle de ce qui ne me regarde pas, et vous êtes en droit de m’accuser d’ingérence dans votre vie privée. Mais voyez-vous, c’est plus fort que moi. Je cherche toujours à faire le bonheur des couples qui me sont sympathiques. Dès que je vous ai con-nus, tous les deux, j’ai compris que vous étiez destinés l’un à l’autre, mais que quelque chose vous empêchait d’être heureux. Ce ne serait pourtant pas la première fois qu’un homme épouserait la veuve de son frère. Alors, qu’est-ce qui vous retient ?
Johanna fronça légèrement les sourcils. Elle n’allait tout de même pas parler de Jeff dans des toilettes pour dames !
Son silence ne découragea nullement Donna Sue, qui re-prit :
— Il est vrai que, de nos jours, le mariage n’est plus l’institution vénérable qu’il était autrefois. Mais rien ne vous empêche, tous les deux, de prendre du bon temps. Souvenez-vous de mon conseil !
— Je m’en souviens, mais je ne me sens pas encore com-plètement prête. C’est peut-être un excès d’arrogance, mais je refuse de me donner à un homme qui ne m’aime pas avec son cœur.
Donna Sue lui tapota affectueusement l’épaule.
— Si au fond de vous-même vous avez reconnu Michael comme étant votre compagnon prédestiné, ne vous posez pas trop de questions. Suivez l’élan de votre corps. Dieu fera le reste !
Johanna ne put s’empêcher de sourire. L’optimisme de cette femme d’expérience lui paraissait naïf mais revigorant.
Lorsqu’elles revinrent à leur table, les deux hommes se levèrent. La note avait été réglée, et tout le monde était prêt à partir. D’un commun accord, ils avaient renoncé à pour-suivre la soirée dans Broadway. Les Larsen étaient fatigués d’avoir piétiné une grande partie de la journée dans les tra-vées et au milieu des stands du salon nautique. Johanna et Michael avaient hâte de rejoindre leur suite.
Les deux couples regagnèrent le Plaza en taxi et se dirent bonsoir au milieu du grand hall d’accueil, avant de se sépa-rer pour aller retrouver leurs appartements respectifs. Ces derniers, situés dans des ailes opposées, étaient desservis par des batteries différentes d’ascenseurs.
— Au cas où nous ne vous reverrions pas demain matin, nous vous souhaitons à tous deux un excellent retour au Texas, dit Michael en serrant la main de Jack.
— A cette heure-ci, demain, nous serons en famille, pré-cisa Donna Sue. Nos deux filles et leurs enfants nous ont promis leur visite. J’espère que nous aurons la vôtre un jour prochain.
— Ce sera avec un grand plaisir, dit aimablement Johan-na. En attendant, nous nous téléphonerons. Encore merci pour tout !
Alors qu’ils attendaient leur ascenseur, Johanna dit à Mi-chael :
— Les Larsen sont vraiment charmants.
— Charmants, mais un peu trop bavards, rectifia Michael. J’ai cru que ce dîner ne se terminerait jamais.
Il la dévorait du regard, et l’insistance de ses yeux bleus troublait Johanna, lui échauffant le sang au point qu’elle sentait ses oreilles devenir brûlantes. Chaque arrêt de la cabine retardait le moment où elle devrait prendre la déci-sion qui, peut-être, scellerait son destin.
Elle en venait à souhaiter que, dans un irrésistible élan de passion, Michael la saisît dans ses bras et la prît en conqué-rant impatient de se satisfaire.
Lorsqu’elle pénétra dans la suite, il verrouilla derrière elle la porte du couloir. Hésitante, tremblant d’excitation, Johanna restait au milieu du salon, toujours indécise sur la conduite à adopter. Elle souhaitait vraiment du fond du cœur que Michael assumât toutes les initiatives.
Ce qu’il ne fit pas.
Il ôta sa veste de smoking, la posa sur un fauteuil et, tout en retirant son nœud papillon, il passa devant elle sans la toucher ni la regarder. Devant la porte de sa propre chambre, il se retourna vers elle.
— Johanna…
Elle sentit son cœur manquer un battement et leva vers lui un visage tendu, presque torturé.
— Oui ?
Il la regarda, et les yeux bleus prirent possession d’elle en une lente et poignante étreinte. Puis il cassa net la magie du moment en lui lançant d’un ton ferme :
— C’est à toi et à toi seule de décider.
Il entra ensuite dans sa chambre et en repoussa la porte.
Il était tard. Dans le ciel nocturne, la lune était haute et le halo des lumières de la ville éteignait les étoiles.
Douchée et vêtue d’une nuisette sous un des moelleux peignoirs de bain, ornés du monogramme du palace et mis à la disposition des clients, Johanna regardait à travers les doubles vitres de sa chambre. Sur la place et dans la Ve Avenue, le trafic était maintenant réduit. En face, Central Park creusait une large vallée d’ombre entre les buildings scintillants qui le bordaient.
« … C’est à toi de décider… » « Accordez-lui ce qu’il désire… »
Les paroles de Michael et celles de Donna Sue se bouscu-laient dans sa tête. Pouvait‑elle se donner à un homme qui la désirait sans lui avoir jamais avoué qu’il l’aimait ? Il est vrai que Michael était d’un naturel réservé, voire froid. A l’exception des moments où la colère l’enflammait, il con-trôlait toujours ses paroles, ne faisait jamais de promesses qu’il savait ne pas pouvoir tenir. Johanna se souvenait que Jeff avait été l’antithèse de son frère. Jeff jurait à sa femme qu’il l’adorait, mais il adorait tout le monde et n’importe quoi : les chanteurs, le rock, les copains, la bière… Elle avait cru en lui, et s’était retrouvée en enfer.
Pour se réconforter, elle se disait que, les rares fois où il avait entrouvert son armure, Michael n’aurait pu l’embrasser avec autant de passion s’il n’avait pas été amoureux d’elle.
Et ce fut en se cramponnant à cet espoir qu’elle décida de mettre sa fierté de côté et de faire le premier pas.
En traversant le salon obscur, elle vit qu’un rai de lumière soulignait la porte de l’autre chambre.
Michael l’attendait.
Elle redressa les épaules, avança, tourna lentement la poignée et ouvrit le battant.
Seules les deux appliques en bronze au-dessus du lit éclairaient la pièce. Michael était couché, le buste légère-ment relevé, la nuque appuyée contre le dosseret capitonné. Elle perçut un éclat plus vif dans les yeux clairs, le prit pour une lueur de triomphe et s’arrêta, prête à faire demi-tour.
Alors il lui tendit les bras en souriant. Son sourire fut si tendre, si envoûtant, que Johanna abandonna toute velléité de fuite. L’émotion noya son âme, tandis qu’une flamme montait à ses pommettes. Elle ôta son peignoir, le jeta sur un fauteuil et s’approcha du lit. Une bretelle glissa de son épaule, dévoilant un sein. Elle la remonta vivement et se couvrit la poitrine de ses paumes dans un geste inconscient de pudeur.
Michael apprécia sa retenue et sentit une grande tendresse le submerger.
Ainsi, elle avait choisi de venir ! Près d’une heure s’était écoulée depuis qu’il l’avait laissée libre de sa décision. Les minutes lui avaient paru d’une longueur interminable, et il était prêt à renoncer à tout espoir lorsqu’il avait enfin vu bouger la poignée de la porte.
Il rabattit le drap, dans une invitation silencieuse à le re-joindre.
Elle vit alors qu’il était nu et hésita quelques secondes avant de se glisser dans le lit à côté de lui.
Tout d’abord, ils ne se touchèrent pas. Appuyé sur un coude, Michael la regardait avec une telle intensité qu’elle ne bougeait plus, hypnotisée. Quand il parla, elle n’en crut pas ses oreilles :0
— Jamais, je te le jure, je n’ai pu oublier notre nuit dans le pavillon de gardiens. Tu avais fait de moi un autre homme. Après toi, toutes les femmes m’ont paru ternes, sans grâce, souvent même haïssables…
Johanna se sentait étrangement oppressée. Etait-ce une déclaration d’amour ? Elle leva une main et lui caressa ten-drement la joue, puis, du bout de l’index, elle effleura ses lèvres.
— Embrasse-moi, supplia-t‑elle.
Il ne se le fit pas dire deux fois, et ne se *******a pas d’un baiser de papillon. Il l’embrassa comme un amant qui n’en peut plus d’attendre. Il prit ses lèvres et plongea la langue dans sa bouche.
Aussitôt elle retrouva la plénitude de sensations qu’il avait su faire vibrer en elle chaque fois qu’il la touchait. C’était à la fois terrible et merveilleux.
Puis il quitta les lèvres frémissantes et l’embrassa un peu partout sur le visage, dans le cou, sur l’épaule, avant de relever la tête et de faire glisser, l’une après l’autre, les bre-telles de la nuisette. Il posa une paume arrondie sur un sein, qu’il caressa ensuite avec une sorte de respect. Puis il en lécha la pointe qui durcit aussitôt sous sa langue.
Il lui retira la nuisette en faisant glisser le tissu lentement le long des hanches et des jambes. En même temps, penché sur elle, il embrassait chaque petite parcelle de peau ainsi dénudée, heureux de la sentir frémir sous ses baisers.
A son tour, elle le caressa. Ses doigts suivirent la flèche de toison au milieu du torse viril. S’enhardissant, elle mordilla l’un des boutons bruns de sa poitrine. En même temps, vidée de toute pensée mais brûlant de désir, elle s’appuyait contre lui afin de le sentir partout, le long de son ventre et de ses cuisses. Elle le voulait en elle, sans plus tarder…
Mais Michael étirait chaque caresse, chaque impatience, chaque frisson. Sa bouche effleura le ventre plat, descendit jusqu’aux boucles du triangle doré qui protégeait une fémi-nité qu’il rêvait de posséder. Il y posa ses lèvres, puis sa langue s’égara vers la vallée humide et brûlante, en un baiser si intime que Johanna frémit puis râla de plaisir.
L’attente n’était plus possible. Elle s’ouvrit et saisit la tête de Michael.
— Viens… Oh, viens !
Il redressa le buste, bascula sur elle et marqua un léger ar-rêt. Pendant une fraction de seconde, elle crut mourir d’angoisse. Mais il avait allongé le bras vers la table de chevet et saisi une petite boîte. Elle comprit et la lui ôta des mains.
— Laisse-moi faire, murmura-t‑elle.
Michael ferma les yeux alors qu’elle le protégeait avec une minutie voulue, calculée, érotique, qui exacerbait son désir.
N’y tenant plus, il la pénétra.
Il remua d’abord lentement, savourant à chaque poussée les soupirs qu’il provoquait. Mais la fièvre qui l’embrasait était trop violente pour qu’il réussît à la maîtriser plus long-temps. Son rythme s’accéléra, et ses appels devinrent de plus en plus puissants. Neuf ans plus tôt, ce qu’il avait cru être du plaisir n’était rien à côté de la grande vague qui montait, s’amplifiait, dépassait tout ce qu’il avait ressenti jusqu’alors.
Le ventre percé de flammes, Johanna mourait, gémissait, devenait une onde de joie pure, dont les remous qui se suc-cédaient et s’amplifiaient lui arrachaient des soupirs et des cris. Dans un ultime spasme, elle eut l’impression d’exploser jusqu’aux étoiles. En écho à sa joie, elle entendit Michael répéter plusieurs fois son nom.
Puis, la paix revenue dans leurs corps, Michael resta en elle encore un moment, savourant un bonheur qu’il savait partagé. Il ne se souvenait pas d’avoir jamais connu une expérience aussi tumultueuse.
Johanna l’embrassa et il se retira d’elle, la soulageant de son poids.
Elle le regarda alors en souriant. Il était toujours aussi beau, même avec les traits tirés de fatigue. Mais elle le vit froncer les sourcils et elle s’alarma. N’avait‑il pas atteint, comme elle, le sommet de l’extase ?
— Quelque chose ne va pas ?
— Si, si, tout va très bien… Heureuse ?
— Oui.
Mais elle le sentait troublé, comme soucieux, et une brusque déception lui serra la poitrine. Apparemment, il n’avait pas ressenti le même embrasement qu’elle… à moins que, une fois ses sens satisfaits, il ne voulût rester seul.
Il la retint par l’épaule alors qu’elle lançait les jambes hors du lit.
— Où vas-tu ?
— Dans ma chambre.
— Non.
Et il l’étreignit, l’obligeant à s’allonger de nouveau près de lui.
— Reste avec moi… toute la nuit, murmura-t‑il en l’embrassant tendrement sur les lèvres.

10

Un jour lumineux filtrait à travers la mousseline des ri-deaux lorsque Johanna releva les paupières. Elle regarda Michael qui dormait près d’elle, les yeux soulignés de bistre, les traits creusés. Sans doute avait‑elle le même visage fatigué à lui offrir. Ils n’avaient fait que somnoler entre deux étreintes aussi passionnées qu’érotiques.
Un petit sourire étira ses lèvres. Elle se revoyait criant de plaisir, après avoir été surprise mais nullement choquée par ce que Michael lui demandait.
Elle l’embrassa légèrement au coin des lèvres. Il ouvrit les yeux et la contempla.
— Pourquoi souris-tu ?
— Je me demandais si les autres couples se livrent toutes les nuits aux mêmes ébats que les nôtres.
— Sûrement pas. Ils en mourraient.
Il écarta les mèches blondes du visage penché sur le sien et les rabattit doucement derrière les oreilles de Johanna. Puis il se redressa sur un coude, regarda le radio-réveil sur la table de chevet et déclara que, en ce qui le concernait, il mourait de faim.
— Comme moi, dit‑elle. Oh, qu’as-tu sur l’épaule gauche ?
— La marque de tes dents, petite tigresse.
Johanna s’empourpra.
— Je suis navrée…
Il lui planta un baiser sur le bout du nez.
— Ne le sois pas. C’est ma faute. Je te provoquais et, chaque fois, ta réponse m’enivrait comme un vin capiteux.
Ils s’embrassèrent d’un doux et long baiser plein de pro-messes. Johanna y mit fin la première en se souvenant du désir exprimé par Michael.
— Je vais commander le petit déjeuner. J’ai envie d’omelette.
— Pfff ! Pas très romanesque !
— Tout dépend de la manière dont elle est préparée et servie. Je suis sûre qu’ici les omelettes sont sublimes.
— Sublimes ou pas, ce ne sont toujours que des œufs bat-tus. Je vais prendre une douche.
Il sauta du lit et disparut dans la salle de bains attenant à la chambre.
Johanna s’étira, se sentant endolorie à des endroits qu’elle n’aurait jamais soupçonné être aussi sensibles. Puis, d’un geste paresseux, elle allongea un bras, saisit le combiné téléphonique et appela le service de chambre, à qui elle commanda un copieux breakfast.
Elle ne se souvenait pas d’avoir jamais été aussi heureuse. Même si ce bonheur ne devait durer que le temps d’un caprice de l’homme qu’elle aimait, le souvenir des moments d’extase qu’elle avait vécus au cours de la nuit embellirait le reste de sa vie.
— Johanna !
— Oui ?
— Viens vite !
Elle se leva et se précipita comme une flèche dans la pièce contiguë. Michael entrait dans la cabine de douche.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? s’inquiéta-t‑elle en tenant écartée la porte de verre.
Elle se sentit soulevée par deux bras puissants et plaquée contre la céramique du mur, sous le jet tiède qui les arrosait tous les deux.
— Je commençais à m’ennuyer de toi ! lui cria Michael dans l’oreille.
Et il lui donna un baiser profond, exigeant, tandis que ses mains caressaient fiévreusement le corps mouillé de la jeune femme.
Elle rit, saisit un petit flacon de gel moussant dans une logette de la paroi et le renversa sur les épaules de Michael. Ensuite, elle lui savonna le torse et le ventre. Sa main s’égarant plus bas, elle comprit les raisons d’une impatience qui l’avait étonnée.
Elle y répondit aussitôt. Etreignant le cou de Michael, elle fit onduler lentement son corps contre celui de son amant.
Michael l’écarta doucement pour embrasser un des deux seins ruisselants. Il en mordilla la pointe et se réjouit de sentir la jeune femme si prête à répondre à son désir. Tout en le caressant et en l’embrassant, elle s’ouvrait à lui.
De ses bras, il lui entoura la taille, puis il prit son élan et la pénétra.
Ils remuèrent ensemble dans une danse venue du fond des âges. Johanna savourait les sensations qui submergeaient son corps. Une première vague lui arracha un gémissement. Elle ferma les yeux, attendant l’ultime explosion.
Elle ne fut pas déçue. Les spasmes arrivèrent en rafales, les envoyant tous deux dans un océan de lumière et de feu.
Revenue sur terre, Johanna enfouit son visage dans le cou de Michael. Il la retint contre lui un long moment. Les mots étaient inutiles. Du reste, le bruit de l’eau les aurait couverts.
Ils quittèrent la cabine ensemble et chacun s’enveloppa dans un des moelleux peignoirs en éponge, mis à leur dispo-sition sur une étagère. Johanna essuya ses cheveux trempés avec une serviette, puis elle en prit une autre, avec laquelle, adroitement, elle se confectionna un turban.
Michael la regardait en admirant la grâce de ses gestes. Il éprouvait un immense bien-être, conscient que son euphorie n’avait pas seulement pour cause l’apaisement de ses sens. Ce qu’il avait redouté ne s’était pas produit. Aucun fantôme n’était venu s’interposer entre Johanna et lui, ni cette nuit, ni ce matin. C’était comme s’il entamait avec elle quelque chose de nouveau et d’exaltant.
Etait-ce cela, l’amour ?
Il allait en discuter avec Johanna, lorsqu’ils entendirent frapper à la porte du petit hall séparant le salon du couloir.
— Le breakfast, annonça Johanna.
Elle resserra la ceinture de son peignoir et, suivie de Mi-chael, elle traversa la chambre et le salon avant d’ouvrir la porte.
— Bonjour, madame. Bonjour, monsieur. Je vous souhaite une excellente journée.
L’employé de l’hôtel entra, poussant devant lui une des-serte roulante, dont les deux plateaux étaient garnis de vais-selle et de tout ce que des gourmets rêvent de déguster à leur petit déjeuner, avec en plus un mystérieux grand plat, recou-vert d’une cloche en argent, et un vase en cristal contenant une superbe rose rouge
Rapidement, le garçon étala une nappe sur la table du sa-lon. Il dressa les couverts et disposa à côté une multitude de petits pots : confitures, miel, beurre, yaourts. Il y ajouta une grande cafetière ainsi qu’une corbeille de viennoiseries et de croissants. Ensuite, d’un geste ample et solennel, il souleva le dôme d’argent recouvrant le plat.
Une omelette apparut, dégageant un appétissant fumet de truffes. Une guirlande de petites tomates cerises la décorait.
— Superbe ! s’exclama Michael.
Il signa la facture et remercia le garçon en lui glissant discrètement un généreux pourboire.
Après son départ, Michael et Johanna s’assirent à table. Michael tendit à Johanna un verre de jus d’orange. Il prit le sien et le leva en souriant.
— A notre bonheur ! dit‑il.
— A nous ! répondit Johanna en sentant son cœur faire un bond de joie dans sa poitrine.
Le jus de fruits était délicieux, tout comme l’omelette qu’ils dégustèrent en riant. Dès que Johanna trouvait un morceau de truffe, elle le piquait au bout de sa fourchette et le portait à la bouche de Michael. Il y répondait en l’obligeant alors à croquer une des petites tomates, qu’il saisissait entre deux doigts.
Ils terminaient leur seconde tasse de café lorsque, de nouveau, des coups retentirent à la porte du couloir.
Ils se regardèrent, intrigués.
— Le serveur ne viendrait tout de même pas déjà débar-rasser la table, dit Johanna.
— A moins qu’il ne nous apporte une bouteille de cham-pagne, suggéra Michael.
— Tu l’avais commandée ?
— Non, mais c’est peut-être un cadeau de la direction.
— Ne bouge pas, je vais voir, dit Johanna en posant la main sur l’épaule de Michael pour l’obliger à rester assis.
Elle l’embrassa sur le dessus de la tête et resserra autour d’elle les pans de son peignoir de bain. Pieds nus, la serviette toujours nouée en turban sur ses cheveux, elle se dirigea vers le petit hall privé, suivie de Michael qui, naturellement, n’avait tenu aucun compte de sa recommandation.
Elle ouvrit la porte.
— Bonjour ! dirent d’une seule voix Jack et Donna Sue.
Le couple de Texans se tenait sur le seuil. Jack était en parka d’hiver. Sa femme, en manteau de fourrure. Tous deux souriaient d’une oreille à l’autre.
Le premier, Michael revint de son étonnement.
— Quelle bonne surprise ! s’exclama-t‑il. Je vous en prie, entrez !
Cramoisie, Johanna était consciente que la légèreté de leur tenue et la fatigue de leur visage dénonçaient une nou-velle intimité. A son grand soulagement, le couple refusa l’invitation de Michael.
— Ils sont charmants ! s’exclama Donna Sue en se tour-nant vers son mari. Mais je t’avais conseillé de leur télépho-ner avant de passer leur dire au revoir. Tu vois bien que nous les dérangeons.
Alors que Johanna aurait voulu que le sol s’entrouvrît pour l’engloutir, elle se força à sourire et répondit avec courtoisie :
— Vous ne nous dérangez pas. C’est très gentil à vous d’être venus nous voir. Nous étions… nous finissions notre breakfast.
— En amoureux, nota Donna Sue avec un clin d’œil complice à la jeune femme. Rassurez-vous, nous ne vous importunerons pas plus longtemps. Notre avion pour Austin décolle dans deux heures, et un taxi nous attend devant l’hôtel.
— Nous voulions seulement nous assurer que vous aviez été satisfaits du service de l’établissement, ajouta Jack.
— Il est parfait et nous l’avons apprécié, affirma Michael. Encore merci à vous deux.
Les deux couples se serrèrent la main une dernière fois. Avant de reprendre le chemin de l’ascenseur, Donna Sue tapota la joue de Johanna avec une affection toute mater-nelle.
— C’est bien, c’est très bien, lui murmura-t‑elle. Je repars enfin rassurée.
Dès qu’ils furent seuls de nouveau, Michael et Johanna se regardèrent. Encore tendus par cette visite impromptue, ils prirent ensemble le parti d’en rire.
— C’est curieux, dit Michael, je me demande ce qui pou-vait bien inquiéter Donna Sue. Pourquoi t’a-t‑elle affirmé qu’elle était rassurée ?
— Tu n’as pas remarqué ses yeux lorsque j’ai ouvert la porte et qu’elle t’a découvert derrière moi ?
— Non. J’étais bien trop occupé à observer Jack. Il t’examinait d’un air effaré, de tes pieds nus à ta tête couverte de la serviette en turban, comme si tu étais une créature venue de l’au-delà… Qu’avaient‑ils donc de si particuliers, les yeux de son épouse ?
— Ils exprimaient la plus intense satisfaction. En nous voyant tous les deux en peignoir de bain, elle a compris que j’avais suivi ses conseils.
— Quels conseils ?
— Me libérer de toutes les contraintes que je m’imposais, et vivre enfin avec toi la vie de couple à laquelle tu aspirais.
— Je ne connais Mme Larsen que depuis jeudi soir, et il ne lui aurait fallu que trois jours pour connaître mes aspira-tions ? Elle est drôlement futée, la femme du cow-boy !
Ils rirent de nouveau. Michael baissa la tête et embrassa Johanna. Puis, d’un commun accord, ils décidèrent d’emballer leurs affaires et de quitter le palace et ses fastes pour retourner à Trenton.
— … Dans notre maison, précisa Michael.
Son regard brillait, et il souriait comme s’il était sur le point d’ajouter quelque chose. Mais il ne dit rien de plus et se *******a d’embrasser Johanna sur le bout du nez.
*
* *
Une semaine plus tard, à 9 heures du matin, Johanna entra sur la pointe des pieds dans la chambre de Michael. Elle venait prendre les sous-vêtements et la chemise qu’il avait portés la veille, afin d’aller les mettre dans la machine à laver.
Elle s’était réveillée bien avant lui et l’avait laissé dormir. Depuis huit jours, elle n’avait plus besoin de frapper pour entrer dans sa chambre. Ils dormaient ensemble dans le grand lit à colonnes et, le matin, Johanna s’éveillait dans les bras aimés. Elle ne pouvait se souvenir d’une période de sa vie pendant laquelle elle avait été aussi heureuse.
Un seul nuage assombrissait par moments son bonheur.
Elle n’avait pas encore révélé à Michael les circonstances de l’accident qui avait coûté la vie à Jeff. Un nombre incal-culable de fois, pour faire taire ses scrupules, elle s’était dit qu’après tout cela n’avait plus aucune importance. Michael n’apprendrait jamais la vérité, et puisqu’il s’abstenait à présent d’évoquer le souvenir de son frère, pourquoi réveiller un chagrin et risquer en même temps de briser leur mer-veilleuse entente ? Une entente encore fragile, qui ne se maintenait que par leur accord parfait dans des plaisirs pu-rement charnels. Pas une fois, Michael ne lui avait dit qu’il l’aimait.
Et si, par son aveu, elle détruisait cette belle harmonie ? Après avoir entendu la vérité, quel regard porterait‑il sur la responsable de la mort de Jeff ? Lui demanderait‑il de quit-ter Park House sur-le-champ ?
A cette pensée, Johanna sentait son cœur se tordre de douleur.
Pourtant, son sens inné de l’honnêteté lui disait que, tôt ou tard, elle devrait raconter à Michael ce qui s’était réelle-ment passé la nuit du drame.
« Oh, mon Dieu, suppliait‑elle, faites qu’il ne me jette pas l’anathème et qu’il comprenne que je n’ai menti que pour le protéger, lui et sa famille ! Je ne voulais pas ternir l’image qu’ils avaient gardée de Jeff. »
Mais en même temps, elle savait que ce n’était pas tout à fait exact. Certes, elle n’avait pas voulu aggraver la douleur des Ross, mais elle avait voulu aussi se protéger de toute critique à son égard.
Chaque nuit, dans la grande paix qui les enveloppait, après qu’ils se fussent donnés l’un à l’autre, elle était tentée de tout avouer à Michael. Mais le courage lui manquait, et elle s’endormait après avoir remis à plus tard ce moment de vérité qui sonnerait peut-être le glas de leur entente…
Avant de sortir de la chambre, elle se pencha au-dessus de Michael. Il était couché sur le côté. Une mèche de ses cheveux bruns lui retombait sur le front. Elle avançait la main pour lui relever cette mèche, lorsqu’il ouvrit les pau-pières, allongea vivement un bras et fit basculer Johanna sur le lit.
Ce matin-là, elle avait revêtu la parure bleue qu’elle s’était pourtant juré de ne plus jamais remettre. Huit jours plus tôt, elle avait continué d’y attacher une sorte de supers-tition et, considérant que l’ensemble lui avait porté malheur une fois, elle ne l’avait pas emporté au Plaza. Depuis, ce genre de crainte l’avait heureusement désertée.
Michael en caressa le satin du bout du doigt, puis regarda Johanna avec, dans les yeux, une tendresse et une admiration qui ressemblaient fort à une expression d’amour. Elle vit bouger ses lèvres et crut y lire ce qu’elle avait toujours espéré entendre :
« Je t’aime, ma chérie. »
Rêvait‑elle ? Son imagination l’avait‑elle abusée ?
Elle s’écarta de lui et le regarda intensément. Il se conten-ta de lui sourire.
Elle voulut se relever, mais il la retint.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Johanna ?
— Tout va bien… Pourquoi cette question ?
Il haussa les sourcils.
— Ne me dis pas que tout va bien. Je t’avoue que je t’aime, et aussitôt tu t’écartes de moi.
Toute tremblante d’émotion, elle baissa la tête.
— Je… J’avais cru m’être trompée… je…
Il s’assit et l’obligea à le regarder.
— Mon aveu n’a tout de même pas dû te surprendre. Ne ressens-tu pas la même chose pour moi ?
— La question est inutile… Je t’ai toujours aimé, Mi-chael, et si j’ai pu mettre cet amour en veilleuse pendant neuf ans, il s’est ravivé dès que je suis venue habiter chez toi. Je t’aime plus que ma vie, et tu le sais.
— Alors pourquoi cette tristesse au fond de tes yeux ?
— Je ne suis pas triste.
— Tu n’es pas comme d’habitude. Que s’est‑il passé ?
Elle prit une grande inspiration, rassembla tout son cou-rage mais, ne pouvant se décider à libérer sa conscience, elle biaisa et, affectant l’insouciance, elle bondit hors du lit et annonça d’un ton faussement joyeux :
— Il s’est passé… que si nous ne descendons pas tout de suite prendre notre breakfast, le café sera froid.
— Pas d’échappatoire, ma chérie ! Je te connais trop. Je t’avoue que je t’aime et tu ne me sautes pas tout de suite au cou en m’affirmant que tu m’adores ? Alors, de nouveau je te le demande : qu’est-ce qui te tracasse ?
— Je ne peux pas te le dire.
— Pourquoi ? Est-ce si grave ?
— Oui. C’est au sujet de Jeff.
Cette fois, il fronça les sourcils.
— Je croyais que nous avions déjà parlé de Jeff et que, tacitement, nous avions clos toute discussion à son sujet.
Elle soupira de nouveau et comprit que, cette fois, elle ne pourrait plus reculer.
— Je pense à l’accident.
— Et alors ?
— Il est arrivé par ma faute.
— Ne sois pas ridicule. Tu n’étais pas dans la voiture, et Jeff a été heurté par un conducteur probablement ivre.
— Non.
— Comment cela, non ?
— Jeff a percuté violemment un mur, et c’est lui qui avait trop bu.
— Je ne comprends pas, dit Michael. Certes, je n’ai pas lu le rapport de police, mais tu as toujours dit…
— Ce que j’ai dit à toi et à tes parents n’était pas la vérité. Mais si j’ai un peu maquillé celle-ci, c’était uniquement pour ne pas ternir l’image que vous aviez de Jeff et de notre couple
Michael repoussa le drap, se leva et, sans regarder Johan-na, il disparut dans la salle de bains. Il en ressortit presque aussitôt en serrant autour de lui la ceinture de sa robe de chambre enfilée à la hâte.
Debout près de la porte, Johanna tremblait. Il la prit par la main et la força à revenir s’asseoir sur le bord du lit près de lui.
— Je veux tout savoir. Que s’est‑il passé exactement ?
— Depuis des années, Jeff et moi n’étions plus que des associés. Il avait des maîtresses… Je fermais les yeux. Mais ce soir-là, excédée, je lui ai annoncé mon intention de divor-cer. Brusquement, j’en ai eu assez de cette médiocrité, de tous les mensonges et les petites trahisons qu’il accumulait. Ce n’était pas notre première discussion, mais d’habitude, devant sa mine contrite, j’abandonnais et me rendais à ses raisons. Il avait besoin de moi, besoin de mon aide. Or, ce soir-là…
Elle leva vers Michael des yeux humides de larmes avant de poursuivre :
— … Ce soir-là, il ne m’a pas suppliée. Peut-être parce qu’il était imbibé de bière et ne savait plus ce qu’il disait, il a piqué une colère noire, m’insultant, me menaçant de me traîner en justice si je divorçais. Puis il a attrapé les clés de la voiture et continué un moment à me lancer les pires in-vectives, avant de quitter la caravane comme un fou. Je n’ai pas eu le réflexe de l’arrêter, alors que je savais qu’il n’était pas en état de conduire. Il était ivre et la pluie inondait les routes… Une demi-heure plus tard, la police me téléphonait. C’était l’horreur.
Un sanglot l’étrangla. Sans regarder Michael, frappant nerveusement ses genoux de ses poings, elle reprit :
— … J’aurais pu l’empêcher de partir, cacher les clés avant qu’il ne s’en empare, ou les lui reprendre quand il en était encore temps. J’aurais pu essayer de calmer sa fureur en lui disant que je renonçais à divorcer. Il est sorti par ma faute, parce que j’étais à bout et ne me contrôlais plus. De-puis un an, je ressasse indéfiniment le drame en pensant à tout ce que j’aurais dû faire pour l’éviter. Je savais que la mort de Jeff bouleverserait toute sa famille, et c’est pour cela que je n’ai pas voulu ajouter à votre peine l’image dé-gradante de l’épave qu’il était devenu. Maintenant, je me demande si je n’ai pas surtout cherché à me protéger de votre blâme. Vous avouer que j’étais responsable de la mort de Jeff, c’était me condamner à votre mépris… Oh, je vois que déjà tu me détestes…
Elle se releva d’un bond et fila comme un trait hors de la chambre.
Etrangement, Michael ne se sentait qu’à moitié surpris par la révélation de Johanna. Il avait toujours trouvé un peu curieuse sa conduite après la mort de Jeff. Son frère avait été enterré dans la plus stricte intimité. Ni lui ni ses parents n’étaient présents, et tous trois n’avaient pu venir se recueil-lir que plus tard sur la tombe. Certes, au moment de l’accident, puis de l’enterrement, ils étaient injoignables. Arlène et Steve parcouraient l’Afrique du Sud. Lui-même était en voyage d’affaires quelque part en Thaïlande, mais il avait des oncles et des tantes que Johanna aurait pu prévenir.
Par la suite, devant la jeune femme bouleversée, personne n’avait osé lui demander plus de précisions sur l’accident.
Michael la retrouva, effondrée sur son lit dans sa chambre. Elle pleurait, le corps agité de tremblements.
Lorsqu’il voulut la prendre dans ses bras, elle se raidit.
— Laisse-moi ! Je sais que, maintenant, tu ne peux que me haïr.
— Petite sotte, est-ce que j’ai l’air de te détester ? Tu t’es culpabilisée à tort en t’imaginant responsable de la mort de ton mari. Jeff était un faible et, ivre, il était capable du pire. Un jour, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent, j’avais dû le désarmer, car il voulait me tuer avec son couteau. Mes parents s’étaient résignés à lui faire subir une cure de désin-toxication. Comme moi, ils le croyaient définitivement guéri depuis longtemps, et tu as eu raison de leur cacher les raisons exactes de son accident…
Il prit le visage inondé de larmes en coupe dans ses deux mains.
— Johanna, je t’en prie, oublie tout cela. Je t’aime, ma chérie.
— Même après ce que je viens de t’avouer ?
— Je ne t’en admirerais que davantage si c’était possible. Tu avais pris Jeff en charge et il abusait de ta générosité. Je t’ai dit que, souvent, j’aurais aimé avoir la possibilité de remonter le temps, de revenir à mes vingt-deux ans et de diriger ma vie autrement que je ne l’ai fait. Heureusement, le sort qui décide de tout m’a empêché d’avouer à mon frère que je t’aimais. Dans sa grande sagesse, le destin a accordé ainsi à Jeff huit années de bonheur, car il a été heureux avec toi. Tu n’es pour rien dans sa mort, Johanna. Ce n’est pas toi qui lui as donné les clés de la voiture. Ce n’est pas toi non plus qui l’avais fait boire. C’est un accident, rien de plus, et tu n’en es aucunement responsable.
— Je voudrais en être aussi persuadée que toi.
— Que dois-je faire pour te ramener à un peu plus de rai-son ?
— M’aimer, murmura-t‑elle en se blottissant contre lui.
Comme une bourrasque d’été, imprévisible et violente, le désir les enflamma subitement. Ce fut immédiat et irrépres-sible. Ensemble, ils s’effondrèrent sur le lit et se déshabillè-rent mutuellement en haletant d’impatience.
Sans préliminaires, comme s’ils voulaient seulement exorciser tout ce passé qui les avait torturés, ils se prirent.
A chaque poussée de son corps, Michael répétait :
— Je t’aime… Je te veux… Pour toujours… pour toute la vie…
Les yeux clos, elle se laissait aimer, passive mais frémis-sant de bonheur. Elle n’était plus qu’une onde de joie qui roulait sur elle-même en vagues de plus en plus hautes, de plus en plus puissantes, si hautes et si puissantes que ce n’était plus possible. Elle devait crier son plaisir.
Et elle cria le nom de Michael.
Apaisée, Johanna n’eut que la force de murmurer :
— Je t’aime tant, moi aussi…
Ils s’embrassèrent longuement, mettant dans leur baiser toute la tendresse qu’ils se vouaient l’un à l’autre.
Johanna se sentait délivrée de ses remords. Michael, lui, avait l’impression qu’une vie nouvelle commençait, en compagnie de cette femme qu’il aimait et qu’il ne voulait plus considérer seulement comme sa belle-sœur.
— Marions-nous, Johanna.
— Oui.
— Et nous aurons des enfants, beaucoup d’enfants. Au moins trois.
— Quatre, rectifia-t‑elle, c’est mon vœu le plus cher, mon amour.
Dans le tendre paradis des bras aimés, elle était sûre que, désormais, les ombres mauvaises du passé s’étaient effacées à jamais




fin

 
 

 

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ÇáÊÓÌíá: Jan 2011
ÇáÚÖæíÉ: 210304
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 3
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ÇÝÊÑÇÖí

 

waw merci beaucoup[CODE][/CODE]

 
 

 

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