áãÔÇßá ÇáÊÓÌíá æÏÎæá ÇáãäÊÏì íÑÌì ãÑÇÓáÊäÇ Úáì ÇáÇíãíá liilasvb3@gmail.com






ÇáÚæÏÉ   ãäÊÏíÇÊ áíáÇÓ > ÇáÞÕÕ æÇáÑæÇíÇÊ > ÑæÇíÇÊ ãäæÚÉ > ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÇÌäÈíÉ > ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÇáÊÓÌíá

ÈÍË ÈÔÈßÉ áíáÇÓ ÇáËÞÇÝíÉ

ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ Romantic Novels Fourm¡ ÑæÇíÇÊ ÑæãÇäÓíÉ ÇÌäÈíÉ


Sentiments Interdits .... ( prochainement

Sentiments Interdits de Audra ADAMS Pour Johanna, le domaine de Park House est le lieu des secrets inavouables et des souvenirs brûlants. Jadis, elle y a connu sa

ÅÖÇÝÉ ÑÏ
äÓÎ ÇáÑÇÈØ
äÓÎ ááãäÊÏíÇÊ
 
LinkBack ÃÏæÇÊ ÇáãæÖæÚ ÇäæÇÚ ÚÑÖ ÇáãæÖæÚ
ÞÏíã 06-10-08, 10:35 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 1
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:
ÚÖæ ÑÇÞí


ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Feb 2008
ÇáÚÖæíÉ: 62940
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 1,517
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 247

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏItaly
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ÇáãäÊÏì : ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
New Suae Sentiments Interdits .... ( prochainement

 

Sentiments Interdits

de Audra ADAMS

Pour Johanna, le domaine de Park House est le lieu des secrets inavouables et des souvenirs brûlants. Jadis, elle y a connu sa première nuit d’amour avec Michael Ross, l’actuel héritier, avant d’épouser par dépit le frère de celui-ci, Jeff, dont elle est aujourd’hui veuve. C’est pourtant à Park House que Johanna revient, parce que sa situation financière l’y contraint, et parce que Michael lui offre une opportunité qu’elle ne peut refuser : devenir l’intendante de l’immense maison dans laquelle il vit seul et dont il ne peut s’occuper. Mais elle sait dès son arrivée que rien ne sera facile : ni la cohabitation avec Michael et le désir qui rôde, ni le secret qu’elle doit garder sur les circonstances exactes de la mort de Jeff…

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ**   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ

ÞÏíã 09-10-08, 03:09 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 2
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:
ÚÖæ ÑÇÞí


ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Feb 2008
ÇáÚÖæíÉ: 62940
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 1,517
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 247

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏItaly
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ßÇÊÈ ÇáãæÖæÚ : **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÇáãäÊÏì : ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÇÝÊÑÇÖí

 

— Vous êtes arrivée, madame.
Johanna Ross regarda avec incrédulité l’immense maison à façade de temple grec. Le chauffeur se trompait certaine-ment. Elle vérifia l’adresse sur le papier qu’elle tenait à la main, et regarda la plaque de cuivre qui brillait sur l’un des piliers de la majestueuse demeure de style colonial.
C’était bien le même nom : « Park House ».
Le chauffeur avait quitté son volant pour sortir du coffre le sac de marin de la jeune femme. En le lui tendant, il eut un geste du menton vers la maison, la dernière d’une des avenues les plus résidentielles de Trenton, dans le New Jersey.
— Quelle magnifique demeure ! remarqua-t‑il.
— Je n’arrive pas à y croire, murmura Johanna en cher-chant dans une poche de son jean le montant de la course.
Elle rougit en voyant le chauffeur compter les billets et les pièces.
— Je suis désolée, dit‑elle, le pourboire n’est pas très important, mais je n’ai pas assez d’argent pour me montrer plus généreuse.
L’homme eut un geste négligent des épaules et, désignant de nouveau la maison devant laquelle il avait arrêté son taxi, il remarqua :
— Peut-être que pour vous, m’dam’, la chance est en train de tourner ?
— Peut-être, admit‑elle.
Elle passa la courroie du sac sur une de ses épaules et, après un signe d’adieu au conducteur, elle monta les marches conduisant au large portique.
Avant de s’y engouffrer, elle leva la tête et regarda le ciel sans nuages. C’était une magnifique journée de fin d’été.
Et pour elle, un nouveau départ dans la vie.
Elle se demanda, et ce n’était pas la première fois, ce que Jeff aurait pensé de sa décision. Sans doute l’aurait‑il ap-prouvée. Jeff savait que son frère n’avait jamais connu de soucis financiers. En secret, il le jalousait et le détestait mais, en public, il vantait la réussite de son aîné.
Fille unique, Johanna n’avait jamais compris la rivalité entre les deux frères. Une sorte de relation amour-haine unis-sait Jeff et Michael Ross. Elle les connaissait depuis le jour où ses propres parents, mutés en Pennsylvanie, s’étaient installés dans une maison voisine du manoir des Ross. A l’époque, elle n’était encore qu’une enfant de dix ans mais, tout de suite, des liens d’amitié s’étaient créés entre les deux familles, au point qu’il leur arrivait de fêter ensemble les anniversaires et même les fêtes de Noël.
Michael était alors un étudiant doué, sérieux et travail-leur. Jeff, un garçon bohème, ironique et drôle. Quand ils se chamaillaient, Johanna les écoutait d’une oreille distraite, sans jamais prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre.
Et finalement, elle avait épousé Jeff. Le couple s’était aussitôt envolé vers la côte californienne.
Huit années de vie cahotique…
La famille s’était dispersée. Une fois ses diplômes en poche, Michael avait repris à Trenton le cabinet d’import-export de son père. Johanna se souvenait qu’un hiver, Jeff et elle étaient revenus passer les fêtes de Noël en Pennsylvanie, dans le manoir de ses beaux-parents, Arlène et Steve Ross. Cette année-là avait été pénible pour la jeune femme. Quelques mois plus tôt, elle avait perdu son père, puis sa mère. Et le fait de voir la maison de son enfance à présent habitée par des étrangers l’avait profondément affectée.
Michael les avait rejoints, seul, pour quelques heures. Pendant tout le temps de sa visite, l’estomac noué, Johanna avait mesuré la différence entre les deux frères. Impeccable dans son costume de ville, Michael était l’antithèse de son frère. Jeff ne se plaisait qu’en blouson de cuir sur un jean effrangé et une chemise ouverte au col. Ils avaient toujours été ainsi, se différenciant l’un de l’autre dans une sorte de défi permanent…
Elle pénétra sous le large portique, mais comme elle ne se sentait pas complètement prête à affronter Michael, elle posa son sac de marin sur le sol et fouilla dans les poches de son jean à la recherche de cigarettes. Il ne lui en restait qu’une. C’était juste ce qu’il lui fallait pour se détendre. A la diffé-rence de Jeff, Michael ne fumait pas, et elle était sûre qu’il désapprouverait une aussi mauvaise habitude.
Elle haussa les épaules en se disant que sa réprimande ne serait qu’un détail à côté des calamités qui s’étaient abattues sur elle comme un déluge.
Elle alluma sa cigarette, en inhala une longue bouffée tout en éteignant l’allumette d’un souple mouvement du poignet.
Elle allait jeter celle-ci sur le sol, mais arrêta son geste à temps. Elle ne pouvait tout de même pas salir le magnifique dallage en marbre blanc du portique ! Sans hésiter, elle four-ra l’allumette éteinte dans une de ses poches.
Fumer l’avait toujours détendue. Or, en ce moment, elle avait l’impression que chaque bouffée mettait encore un peu plus ses nerfs à vif. De sa vie, elle ne s’était jamais sentie aussi fébrile.
C’était absurde, bien sûr. Elle connaissait Michael depuis toujours et, depuis toujours, elle avait été une de ses fer-ventes admiratrices. Elle avait même, jadis, été amoureuse de lui comme on peut l’être à dix-sept ans. Et il y avait eu cette nuit d’été si brûlante…
Mais tout cela appartenait au passé. Alors pourquoi, après tant d’années, le souvenir de cette folle nuit amenait‑il encore sur ses lèvres une crispation de chagrin, tandis qu’une rougeur enfiévrait son front ? Ses émois d’adolescente, elle les avait perdus au cours de son mariage avec Jeff. Et pendant tout ce temps, bien que Michael et elle fussent toujours restés sur la réserve, ils avaient entretenu, à distance, d’amicales relations téléphoniques0
Michael était son beau-frère, mais aujourd’hui il était dif-ficile de penser à lui en ces termes.
Il avait probablement conservé cet air altier, vaguement arrogant, qu’elle lui avait toujours connu. Mais elle lui était reconnaissante de son offre. S’il ne lui avait pas adressé un message lui proposant de devenir l’intendante de Park House, Dieu seul sait ce qu’elle serait devenue !
Elle tira une dernière bouffée de sa cigarette et chercha un endroit pour se débarrasser de son mégot. L’écraser sur les dalles était impensable. Elle préféra aller le jeter sous un banc de pierre à l’extrémité de la galerie. Ensuite, elle revint devant la porte d’entrée. Elle appuya sur la sonnette, écouta le carillon résonner à l’intérieur. Personne ne répondant, elle pressa le bouton encore et encore.
De toute évidence, il n’y avait personne dans Park House.
Elle essaya de se rappeler les termes exacts du message et conclut qu’elle s’y était rigoureusement conformée. Elle regarda la montre à son poignet. 6 heures. Elle était dans les temps, ce qui était tout de même une performance, après avoir traversé les Etats-Unis en avion, d’ouest en est.
Elle sonna encore une fois sans plus de succès. Michael n’était pas chez lui.
Agacée, elle donna un coup de pied dans la porte. L’envie la tenaillait de s’en aller. Mais sans argent, où irait‑elle ? Tout ce qu’elle possédait se trouvait dans son sac de marin : des vêtements, quelques livres, ses affaires de toilette et des cassettes enregistrées. Maigre capital ! Elle n’avait pas la plus petite idée de ce qu’elle pourrait faire, mais ne s’en alarmait pas pour autant. Elle se sortirait de cette situation comme elle s’était toujours sortie des épreuves que le ciel lui avait envoyées.
De toutes les épreuves ?
L’image du drame qu’elle avait vécu traversa son esprit et elle frémit, tandis que les remords revenaient en foule.
Si seulement la pluie n’avait pas inondé la route, cette nuit-là !
Si seulement elle ne s’était pas violemment disputée avec Jeff !
Si seulement elle avait caché les clés de la voiture !
Si seulement…
Tout le passé surgissait avec des images si terrifiantes qu’elle se sentit brusquement en sueur. Elle revoyait les voitures de police, l’ambulance, l’épave sur la dépanneuse… Elle pensait au secret qu’elle avait dû dissimuler à la fa-mille…
« Assez ! » se morigéna-t‑elle en silence. Il lui fallait ou-blier le passé, ne plus jamais évoquer ce drame, aller de l’avant avec courage et entamer une nouvelle vie dans le New Jersey…
Après un dernier coup d’œil à sa montre, Johanna ras-sembla ce qui lui restait d’énergie et fit appel à son bon sens. Si Michael, toujours si scrupuleux, lui avait donné rendez-vous aujourd’hui en fin d’après-midi, c’était donc qu’il l’attendait.
A tout hasard, elle tourna le bouton de la porte et, ô mi-racle, celle-ci s’ouvrit !
— Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ! s’exclama-t‑elle à voix haute en soulevant son sac.
Elle le posa sur le dallage à l’intérieur de la maison et re-ferma le battant derrière elle.
Le hall en rotonde était vaste, frais, surmonté d’un dôme digne d’une cathédrale. Quelques lucarnes, haut perchées et munies de vitraux, l’éclairaient en colorant de lueurs vives les rayons de soleil qui les traversaient.
C’était magnifique et presque envoûtant.
Johanna sourit. Son premier sourire depuis bien long-temps.
Elle regarda autour d’elle. La maison de Michael était en-core plus luxueuse que les descriptions que lui en avait faites sa belle-mère, lorsque les deux femmes s’étaient télé-phoné. Arlène Ross lui avait affirmé que la maison de son fils aîné était la plus belle de Trenton, mais comme Arlène exagérait toujours, Johanna ne l’avait qu’à moitié crue.
A droite, une double baie vitrée menait à la salle à manger aux murs ornés de belles boiseries en chêne. A gauche, une double porte semblable donnait accès à une enfilade de salons au sol recouvert d’une épaisse moquette couleur champagne. De nombreuses fenêtres encadraient les arbres d’un parc touffu. Des lustres en cristal pendaient des pla-fonds moulurés. Un des salons, le plus vaste, s’ornait d’une immense cheminée, dont le marbre rouge, veiné de gris, luisait sous le soleil.
« Superbe ! » murmura Johanna.
En même temps, la surprise la clouait sur place. Toutes ces pièces étaient vides, sans un meuble, sans un tableau.
Songeuse, Johanna en chercha la raison. Elle se souvenait que Jeff, toujours railleur, se gaussait souvent de la bou-geotte de ses parents.
— Depuis qu’ils sont à la retraite, disait‑il, ils deviennent à moitié nomades. Dès qu’un appart’ se libère dans les envi-rons chic de Whitney, ils s’y installent avant même d’y avoir fait venir leur mobilier…
Michael habitait ici depuis deux ans. Avait‑il hérité, en l’aggravant, de la manie de ses parents ?
Laissant son sac dans le hall, Johanna partit à la recherche de la cuisine. Elle la trouva à l’arrière de la maison. C’était une vaste pièce carrelée, éclairée par deux fenêtres, et qui se prolongeait sur le parc par une immense terrasse.
Au moins la cuisine était‑elle superbement équipée. Une longue table de ferme en occupait le centre. Des appareils ménagers, ultramodernes, voisinaient avec un énorme billot de boucher, sur lequel un mouton entier aurait pu être dé-coupé. Un râtelier d’écurie ornait l’un des murs. Sur un autre était accrochée une batterie de casseroles en cuivre qui brillaient comme des petits soleils et qui, apparemment, n’avaient encore jamais servi
La cuisine communiquait avec une grande pièce qui avait dû tenir lieu d’office au temps où la maison nécessitait un nombreux personnel mais qui, à présent, avait été transfor-mée en débarras. Il y avait là, devant une jolie cheminée en pierre, une foule d’objets hétéroclites : de vieux postes de radio et de télévision, des coussins multicolores, des meubles de jardin, des caisses de livres et même un divan défraîchi.
Perplexe, Johanna revint dans le hall. Comment Michael pouvait‑il vivre ici ? Certes, la maison était superbe, mais ce n’était qu’un écrin vide.
Venant des lucarnes, la lumière colorée éclairait un ma-jestueux escalier à double révolution. Elle en gravit lente-ment les marches jusqu’au premier étage. Le palier, semi-circulaire, formait comme un balcon au-dessus du hall. Il donnait accès à plusieurs portes, toutes fermées.
Johanna en ouvrit une au hasard et jeta un bref coup d’œil à l’intérieur. Moquettée de bleu roi, mais sans le moindre meuble, la pièce était probablement destinée à devenir une chambre.
La jeune femme alla jusqu’à la seconde porte et l’ouvrit sans l’ombre d’une hésitation.
Cette fois, la pièce était meublée. Un large lit à colonnes trônait au centre. Il y avait aussi une table, deux bergères et une grande armoire de style oriental, en cèdre sculpté. Des vêtements masculins étaient jetés en vrac sur le lit. Une porte entrebâillée laissait apercevoir les placards ouverts d’une petite pièce servant de dressing.
Johanna était sur le point de sortir pour continuer son ex-ploration, lorsqu’elle perçut l’écho d’un bruit venant du fond de la chambre, pourtant déserte. En examinant les murs, elle découvrit une porte qui se confondait avec les lambris de la cloison.
Elle alla l’entrouvrir avec précaution. La porte communi-quait avec une salle de bains.
Une serviette nouée autour des reins, un homme achevait de se raser devant le lavabo. Une petite partie de son visage disparaissait sous un reste de mousse. Ses cheveux, noirs et épais, brillaient, encore humides de la douche.
Sans écarter davantage le battant, Johanna l’observa un moment avec l’impression d’agir en voyeur. Elle était cer-taine que, de l’endroit où il se trouvait, il ne pouvait aperce-voir la porte de la chambre, même par le truchement du miroir.
La jeune femme n’en finissait pas de s’étonner. Etait-ce bien Michael qu’elle avait devant les yeux ? Depuis quand était‑il devenu ce superbe athlète aux muscles longs, aux épaules larges, à la peau bronzée ? Elle gardait le souvenir d’un homme toujours soigné, certes, mais plutôt maigre et peu sportif. Sentant sa gorge devenir sèche, elle déglutit avec peine.
Michael se déplaça légèrement et son regard fixa un autre miroir qui, lui, reflétait la porte.
Aussitôt, il se figea, puis, se retournant lentement, il re-garda l’intruse avec une stupeur telle qu’il en resta muet un moment.
Johanna ouvrit alors la porte en grand.
— Hello, Michael !
— Mais qui diable êtes-vous ?
Il dardait sur elle ses yeux d’un bleu dur et, soudain, une étincelle les anima.
— Johanna ?
Elle savait qu’elle avait pris un peu de poids depuis la dernière fois qu’ils s’étaient rencontrés, mais avait‑elle vieilli au point de ne plus être reconnaissable ?
Brusquement mal à l’aise, elle sentit une rougeur traîtresse lui échauffer le visage. Désemparée, elle balbutia :
— J’ai… j’ai sonné plu… plusieurs fois.
— Seigneur ! s’exclama-t‑il. Mais tu es si… si différente !
— Tu as changé, toi aussi.
Il passa une main sur son torse, se souvint qu’il était à moitié nu et grimaça, tandis que, les paupières mi-closes, il la détaillait à distance comme on examine un tableau.
Leurs yeux se rencontrèrent. Johanna retrouva dans le re-gard d’un bleu de glacier l’arrogance d’autrefois. Aussitôt, elle recouvra son assurance et s’aperçut qu’il lui posait une question pour la seconde fois.
— Comment vas-tu ?
— Très bien, répondit‑elle.
Il lui décocha un petit sourire vaguement condescendant et expliqua :
— Je viens juste de rentrer. Tu as de la chance de me trouver, car je ne t’attendais que la semaine prochaine.
— Ton message me demandait de venir ce dimanche-ci.
— Non, l’autre.
— Tu te trompes…
— Alors, n’en parlons plus, trancha-t‑il en prenant une serviette pour essuyer le reste de mousse sur son visage.
— Tu peux prétendre ce que tu veux, riposta Johanna, je me souviens du télégramme à la virgule près. Tu l’as expédié jeudi dernier par la Western Union, et il disait : « A dimanche prochain 18 heures. »
— Alors, c’est la compagnie qui a commis l’erreur.
— Mon arrivée te poserait‑elle un problème ? s’inquiéta-t‑elle.
— Non, naturellement, non…
Il passa devant elle pour revenir dans sa chambre. Au mi-lieu de la pièce, il se retourna et ajouta d’un ton léger :
— Nous nous débrouillerons.
— Pardon ?
— Oublie ça. Pourquoi ne vas-tu pas m’attendre au rez-de-chaussée ?
Tout en parlant, il était entré dans la penderie, dont il avait repoussé la porte. Une minute plus tard, il en ressortait en pantalon de ville, une main tenant une chemise encore pliée et l’autre, la serviette qui avait masqué en partie sa nudité.
— Tu n’as pas entendu ?
— Mais… Michael…
— J’ai besoin d’être seul pour m’habiller, Johanna. Peux-tu comprendre cela ? demanda-t‑il d’un ton bref.
Elle ouvrit la bouche et la referma sans avoir protesté. La patience n’étant pas une de ses vertus, elle retrouvait avec irritation le garçon qui, d’un mot ou même d’un simple regard, possédait un singulier talent pour remettre les gens à leur place.
Non, décidément, Michael n’avait pas changé. Il était toujours aussi autoritaire… et toujours aussi beau, avec sa haute taille, ses traits aristocratiques, ses yeux bleus et sa chevelure noire, soyeuse, d’une coupe impeccable. Mais il entendait être obéi selon les règles qu’il avait tracées. Il s’était toujours montré brillant, et son esprit semblait avoir une longueur d’avance sur celui du commun des mortels. Dès qu’un problème était exposé, il en trouvait la solution avant tout le monde.
Il bouchonna la serviette et, d’un geste précis, l’envoya au milieu de la salle de bains.
— Eh bien, Johanna, ne reste pas là, figée comme une statue.
Elle lui tourna le dos et se dirigea vers le palier.
— D’accord, je t’attends en bas, dit‑elle.
En souvenir du passé, pour la taquiner, il émit un petit gloussement de satisfaction, juste assez haut pour qu’elle l’entendît.
Mais elle quitta la pièce sans se retourner et claqua le bat-tant derrière elle.
Michael s’assit sur le bord du lit et respira à fond, en es-pérant que son pouls retrouverait rapidement un rythme normal. Certes, l’arrivée prématurée de Johanna l’avait surpris, mais son émotion dépassait de loin ce à quoi il s’était attendu. La jeune femme qu’il avait découverte quelques instants plus tôt dans l’encadrement de la porte n’était plus celle dont il se souvenait.
Pendant des années, alors qu’il habitait encore chez ses parents, elle avait été sa voisine la plus proche. Il l’avait vue grandir, devenir une douce jeune fille, jolie et fière. Il y avait en elle un mélange de volonté et de vulnérabilité. Cette image-là s’était gravée dans son esprit… jusqu’à la nuit de la surboum…
— Oh, là, mon garçon, du calme ! murmura-t‑il. C’est une vieille histoire qui remonte à l’époque des dinosaures. Chasse-la de ta mémoire et reprends pied dans la réalité !
Mais la réalité n’était pas plus gaie.
Il acheva de s’habiller en se traitant d’idiot. Pourquoi, sur le moment, n’avait‑il pas reconnu Johanna ?
Elle avait changé, certes, mais ses cheveux étaient tou-jours blonds et lisses, ses yeux noisette toujours aussi im-menses et allongés vers les tempes. Si elle avait pris un peu de poids, ce n’était pas à son désavantage, car elle avait toujours été d’une minceur de mannequin. Le fin visage en forme de cœur avait perdu ses creux, et n’en était que plus attrayant.
Au fond, elle était exactement telle qu’il l’avait imaginée, jadis, lorsqu’elle aurait vingt-six ans.
Etait‑il prêt, aujourd’hui, à oublier sa vieille amitié pour elle, et à la traiter comme une employée ?
Il se souvenait de leur dernier Noël passé ensemble, chez ses parents. Jeff et Johanna étaient restés des années sans revenir en Pennsylvanie. Bien que tous les membres de la famille eussent toujours gardé entre eux des contacts télé-phoniques, la vie les avait séparés les uns des autres. Mi-chael se doutait des raisons qu’avait Jeff de vouloir conser-ver une distance entre eux. Celles-ci dataient du temps loin-tain où les deux frères n’étaient encore que des enfants. Michael travaillait bien en classe et réussissait tout ce qu’il entreprenait, tandis que Jeff ne faisait rien et échouait la-mentablement à ses examens, ce qui l’aigrissait considéra-blement. Il en voulait à la terre entière, et plus particulière-ment à son aîné.
Mais Jeff – du moins Michael l’espérait‑il – n’avait ja-mais rien deviné des sentiments de son frère pour leur jeune voisine.
Depuis toujours, Arlène et Steve Ross essayaient de don-ner, autour d’eux, l’image d’une famille unie. Or, le plus souvent, entre les quatre murs de leur demeure, retentissait l’écho de règlements de comptes. Chaque discussion entre les deux frères tournait à l’orage. Leur dernier Noël, quatre ans plus tôt, avait été particulièrement pénible. Aussi Mi-chael s’était‑il juré de ne plus jamais participer à une réu-nion de famille. Il était bien décidé à prétexter des rendez-vous urgents ou des voyages d’affaires, tout, plutôt que de se retrouver en présence de Jeff.
Et maintenant, Jeff n’était plus de ce monde…
La pensée de l’accident continuait de le hanter comme s’il y avait assisté ou, pire, comme s’il avait eu les moyens de prévoir un tel drame et de l’empêcher.
C’était ridicule, bien sûr. Il habitait à plus de quatre mille kilomètres, et son style de vie était totalement différent de celui de Jeff. Mais les sentiments de culpabilité, telle une mauvaise herbe qui pousse dans l’esprit, n’obéissent à aucun raisonnement. Michael les combattait depuis le jour où il avait laissé Jeff épouser Johanna. Un regret, doublé d’un pressentiment flou et persistant, l’avait tourmenté à tel point qu’il était sûr qu’un jour ou l’autre un drame se produirait.
Le drame avait eu lieu, et il s’en sentait presque respon-sable.
Certes, personne n’a le don d’arrêter le destin. Mais au moins pouvait‑il, maintenant, aider la jeune femme. Il le ferait pour Johanna, bien sûr, mais aussi pour Jeff et pour lui-même, afin de soulager sa conscience.
Un peu plus tard, il retrouva Johanna dans la cuisine. Elle grignotait de petits cubes de fromage destinés à l’apéritif.
— Excuse-moi, mais je meurs de faim, dit‑elle.
— Sers-toi, je t’en prie… Mais comme je ne t’attendais que la semaine prochaine, tu ne vas trouver que bien peu de provisions ici.
— J’ai déjà découvert qu’effectivement, chez toi, il n’y avait que peu de choses, répliqua-t‑elle en désignant d’un geste large l’ensemble du rez-de-chaussée
Michael ouvrit le réfrigérateur et en sortit une bouteille de soda.
— En veux-tu ?
Elle acquiesça. Il prit deux verres dans un meuble et les posa sur la table en ajoutant :
— J’espère que, dès demain, tu pourras te charger du ra-vitaillement.
— Naturellement. Cela fait partie du travail d’intendance. Pourquoi n’as-tu pas meublé le rez-de-chaussée ?
— Pas eu le temps, répondit‑il brièvement.
— Tu pouvais faire appel à un décorateur.
— J’ai essayé, mais dans cette ville les décorateurs sont surchargés de commandes et aucun d’eux n’a encore pu venir.
Elle prit le verre plein qu’il lui offrait, observa son visage et remarqua le pli entre les sourcils.
— J’ai l’impression que tu ne me dis pas la vérité. Que t’est‑il arrivé, Michael ?
Comme il ne répondait pas, elle insista :
— Allez, raconte-moi tout !
Il avala une gorgée de soda, posa son verre sur la table et avoua :
— Je peux seulement préciser qu’ elle s’est montrée plus apte à me dépouiller qu’à apporter ses propres meubles.
— Qui ? Une fille que tu fréquentais ?
— Oui.
— Qui était-ce ?
— Cela n’a plus aucune importance.
— Tu es resté longtemps avec elle ?
Johanna s’étonnait de sa curiosité, mais c’était plus fort qu’elle. Michael en train de se laisser dépouiller, le fait lui paraissait incroyable.
— Longtemps, non…, répondit‑il après un silence.
— Si je comprends bien, cette liaison t’a tout de même posé un sacré problème.
— Tu peux le dire ! Mais c’est le passé, n’en parlons plus…
Il prit de nouveau son verre qu’il serra nerveusement dans sa paume.
« Après tout, sa vie privée ne me regarde pas », se disait Johanna en l’observant.
Mais alors qu’en temps ordinaire elle était parfaitement maîtresse d’elle-même, elle s’étonnait de s’être montrée aussi indiscrète.
— Désolée, murmura-t‑elle.
— Ton étonnement est normal.
— J’ai l’impression d’avoir outrepassé les limites de mes nouvelles fonctions.
— Mais non ! répliqua-t‑il. Je suis d’ailleurs prêt à ré-pondre à d’autres questions.
Leurs yeux se rencontrèrent. Ils échangèrent un sourire, puis restèrent un moment silencieux, avant que Michael ne reprenne d’une voix sourde :
— Je devine que tu as dû passer des heures difficiles, après l’accident. Es-tu complètement remise ?
— Oui. J’ai enfin retrouvé mon équilibre.
— La police a-t‑elle réussi à mettre la main sur l’autre type ?
— Quel type ?
— Le chauffard qui a causé l’accident avec son camion.
Johanna dut faire un violent effort pour que son trouble ne transparût sur ses traits. Afin de préserver la mémoire de Jeff, elle avait donné à la famille une version totalement transformée du drame. Elle devait s’y tenir.
— Non, dit‑elle en baissant la tête sur son verre. Le chauffard n’a jamais été retrouvé.
— Tu m’en vois navré, dit Michael. Je ne suis jamais re-tourné en Californie. Je sais que j’aurais dû, mais…
— Ne t’excuse pas. Tu es un homme d’affaires très occu-pé, et je me doute que tu ne disposes d’aucun loisir.
— Exact. Les affaires, toujours les affaires… Elles dévo-rent ma vie et je serai soulagé si tu te sens assez forte pour m’aider à entretenir cette maison.
Elle posa une main amicale sur son bras.
— Merci, Michael, merci pour tout.
— Mais non, ne me remercie pas. Ce que je fais est tout naturel.
En quelques mots, tout était dit. A la brièveté du ton, Jo-hanna comprit que, même si elle se sentait son obligée, elle ne devait pas manifester trop de reconnaissance.
Ella alla jeter la bouteille vide dans une petite poubelle, tandis que Michael inventoriait le contenu de l’armoire aux provisions.
— Inutile d’aller au restaurant. Le dimanche soir, à moins d’avoir retenu une table, tous les établissements sont pleins. Nous mangerons des pâtes. Tu aimes ça ? demanda-t‑il.
— Oui, beaucoup.
Il sortit d’un placard une banale casserole en émail ainsi que tous les ingrédients nécessaires à la confection de spag-hettis à l’italienne.
— Laisse-moi faire, dit Johanna en essayant de l’écarter du plan de travail.
— Non, ce soir, tu es mon invitée. Demain seulement, tu prendras ton service.
Elle s’assit en s’efforçant de se détendre.
Tout en s’affairant devant la cuisinière électrique, Mi-chael parlait de ses parents qui s’apprêtaient à partir en croi-sière dans les Caraïbes. Des paroles banales qui le proté-geaient de questions gênantes.
Quand le plat fut prêt et le couvert dressé sur la grande table de chêne, Michael vint s’asseoir en face de Johanna et ils commencèrent à manger en silence. Entre deux bouchées, ils s’observaient mutuellement. Johanna sentait entre eux une certaine contrainte, comme si ni lui ni elle n’osait abor-der les sujets dérangeants.
Michael avait prévu cette gêne. Il n’avait pas vu la jeune femme depuis si longtemps qu’elle était presque devenue une étrangère ; et il sentait que, de son côté, elle restait sur la défensive. Les questions concernant le passé avaient tou-jours été soigneusement éludées. Michael n’avait jamais rien su de la vie de couple de son frère et de sa belle-sœur.
— Au fond, nous ignorons tout l’un de l’autre, dit‑il soudain.
Johanna le regarda et abaissa aussitôt les yeux sur le con-tenu de son assiette.
— C’est vrai, admit‑elle. Du reste, je ne me rappelle pas que nous ayons jamais eu une vraie conversation.
Il approuva d’un signe de tête. A ce moment, les images d’une lointaine nuit d’été traversèrent son esprit. Il les chassa et dit d’un ton un peu solennel :
— Nous allons conclure un pacte. Aucun sujet ne doit être tabou entre nous ; ainsi, nous nous sentirons plus à l’aise.
— Mais je suis à l’aise avec toi, Michael.
Et son regard disait clairement :
« Ne me pose aucune question. Ainsi, je ne serai pas obligée de te mentir. »
Certains secrets ne devant jamais être divulgués, il était impossible qu’elle lui ouvrît complètement son cœur.
Toutefois, comme Michael ne semblait pas réceptif à ce genre d’avertissement, Johanna, pour se montrer conciliante, lui sourit et approuva sa proposition.
Après un dessert de fruits, ils débarrassèrent la table en-semble. Dès qu’assiettes et couverts furent rangés dans le lave-vaisselle, Michael descendit à la cave et en revint avec une bouteille de pinot qu’ils allèrent déguster sur la terrasse.
Le jour déclinait. Entre les branches feuillues des arbres, le ciel prenait des tons orangés. Michael avait sorti les meubles de jardin et servi le pinot blanc dans des verres en cristal gravé.
L’œil rêveur, Johanna concentrait son attention sur une trouée dans le parc. Celle-ci laissait apercevoir l’horizon au-delà de la Delaware River.
— J’avais oublié à quel point les montagnes sont belles, par ici, murmura-t‑elle.
Michael la regarda avec autant de surprise que d’inquiétude.
— Quelles montagnes ? Les crêtes les plus proches sont à plus de cinq cents kilomètres à l’ouest.
— J’en devine les silhouettes. Ce sont celles de mon en-fance… De notre jeunesse, précisa-t‑elle.
— Tu en avais de semblables en Californie.
— Oh, non… Là-bas, elles sont arides et leurs sommets sont chauves. Je me souviens que, de notre maison sur les pentes des Appalaches, je ne voyais que des prés et des forêts.
Après un silence, Michael remarqua :
— Je me suis toujours demandé pourquoi, à la mort de tes parents, tu n’étais pas revenue habiter leur maison avec Jeff.
— Il refusait de quitter la Californie.
Michael ne l’interrogea pas plus avant. En ce moment, ce genre de question, tout comme l’image de son frère, ravivait encore de trop douloureux souvenirs.
Johanna continuait de regarder au loin. Son verre à la main, Michael se pencha vers elle par-dessus la table de jardin. Il était soudain si près qu’elle sentait son haleine lui caresser le front. Pendant un moment, elle pensa qu’il allait l’embrasser. Mais il semblait hésiter sur l’attitude à adopter.
Et soudain, gentiment, de sa main libre, il lui repoussa derrière l’oreille une longue mèche de cheveux blonds qui cachait une partie de son visage. Puis il leva son verre et, avec une chaleur inhabituelle dans la voix, il déclara :
— Buvons à ta santé, chère Johanna, et sois la bienvenue à Park House !

2

Michael hésita avant de frapper à la porte de sa propre chambre, puis il se décida et s’excusa de son intrusion.
Johanna était debout, en train de fouiller dans son sac de marin posé sur le lit. Pieds nus, elle n’était vêtue que d’une nuisette, une sorte de long T-shirt en coton blanc qui lui arrivait aux genoux.
Il ne put empêcher son regard de s’attarder un moment sur les longues jambes nues. Elle se retourna vers lui.
— Tu as un problème ? s’inquiéta-t‑elle.
— Non. J’ai seulement besoin de prendre quelques vête-ments dans la penderie. Demain matin, je serai sûrement réveillé avant toi, et je ne voudrais pas te déranger.
— Oh, Michael, je suis confuse que tu te sois cru obligé de me laisser ta chambre ! C’était à moi de dormir sur un lit de camp, ou dans un sac de couchage.
— Ne sois pas ridicule, dit‑il tout en pénétrant dans le dressing.
— Je parle sérieusement, protesta-t‑elle. Le groupe de Jeff jouait parfois jusqu’aux premières heures du matin et, comme je l’accompagnais, je dormais n’importe où en l’attendant.
Michael sortait de la penderie. D’une main, il serrait contre lui des sous-vêtements, une chemise blanche et une cravate bordeaux. Sur son autre bras, il avait jeté un costume de ville encore accroché à un cintre.
L’évocation de la vie errante de son frère renforçait sa décision de laisser, ce soir, sa chambre à la jeune femme. Il la vit réprimer un bâillement.
— Cette journée de voyage t’a épuisée, remarqua-t‑il. Pour les chambres, nous aviserons demain. Cette nuit, tu as besoin de te reposer dans un lit confortable.
— J’avoue que je suis morte de fatigue, approuva-t‑elle en s’étirant.
La nuisette suivit le mouvement de ses bras. Le souple coton dessina ses hanches, tandis que l’ourlet remontait jusqu’au-dessus de ses genoux.
Michael détourna vivement les yeux de la trop séduisante silhouette.
— Mets-toi vite au lit ! conseilla-t‑il.
— C’est ce que je vais faire, et je sens que ce sera divin…
Elle souleva son sac de marin et le posa sur le sol avant de se glisser sous la couette.
Michael la regarda. De nouveau, l’image de l’enfant qu’elle avait été traversa son esprit. Il la revoyait à dix ans, toute menue dans le grand lit de ses parents.
Ils se sourirent, et leurs yeux se cherchèrent. Brusquement, Michael avait envie de s’approcher d’elle et de lui donner, sur les joues, un tendre baiser comme autrefois.
Il s’interrogea alors. Que voulait‑il ? Simplement qu’elle passe une nuit confortable ? Non. En ce moment, tout son corps la désirait, et il savait que le plus petit geste amical risquait de se transformer en quelque chose de brûlant, que ni l’un ni l’autre ne serait en mesure d’arrêter.
Il traversa la pièce en direction de la porte que les lambris dissimulaient. La salle de bains communiquait avec une autre chambre, celle qu’il avait décidé d’occuper cette nuit. Au passage, il éteignit la lampe.
— Bonsoir, Michael ! dit‑elle d’une petite voix aussi douce que le miel.
— Bonne nuit, Johanna ! Dors bien !
Il repoussa la porte derrière lui et s’empressa d’aller se réfugier dans la pièce, où il avait déplié un lit de camp.
Là, il se sentit en sûreté.
Le dos contre le battant, les bras encore encombrés par ses vêtements, il poussa un long soupir. Il n’avait pas prévu que le passé renaîtrait avec autant de force et de douleur. Il devait se dire que Johanna et Jeff avaient été mariés pendant huit ans, et qu’il avait facilement survécu à cette séparation. Le travail, ses succès en affaires, tout cela lui avait été salu-taire pour oublier le stupide mariage de son frère.
Après l’accident, en questionnant Johanna par téléphone, il avait découvert que non seulement Jeff avait dilapidé la fortune de sa femme, mais qu’en outre, avec sa proverbiale insouciance, il avait négligé de souscrire la moindre assu-rance vie.
Michael aurait pu facilement verser une rente à sa belle-sœur. Mais il connaissait la fierté de Johanna et savait qu’elle refuserait tout secours de ce genre. Aussi avait‑il trouvé une autre façon de l’aider.
Sans hésiter, elle avait accepté de devenir l’intendante de Park House.
Michael avait toujours blâmé le caractère bohème et ir-responsable de Jeff. C’était là un des nombreux sujets de leurs discordes. Jeff s’était toujours cru un musicien de génie, et il avait entraîné Johanna dans ses rêves de gloire. Il avait espéré faire fortune en Californie. Or, il n’avait réussi qu’à devenir la star d’un minable groupe de rock, qui courait le cachet de ville en ville, d’une boîte de nuit à une salle des fêtes.
Et, pour suivre son époux, Johanna avait interrompu ses études.
Si encore cet abandon avait eu un noble but, comme tenir un foyer ou élever des enfants, Michael l’aurait compris, mais Johanna s’était *******ée de courir, comme Jeff, après un rêve impossible.
Et maintenant, elle avait tout perdu : son mari et ses illu-sions. Le petit capital légué par ses parents avait fondu comme neige au soleil, et elle s’était retrouvée sans res-sources et seule au monde. Sa famille se réduisait à ses beaux-parents et à son beau-frère. Au téléphone, elle lui avait dit qu’elle souhaitait oublier le passé. Il avait compris qu’il s’agissait de tout le passé, et plus particulièrement cette lointaine nuit d’été où ils étaient tombés dans les bras l’un de l’autre. Michael était certain que Jeff n’en avait jamais rien su. Et il avait l’impression qu’à présent Johanna voulait se persuader que cette nuit-là n’avait existé que dans leur imagination
Or, pour Michael, ce n’était pas seulement un vague sou-venir. Il en conservait chaque détail dans son esprit.
A l’époque, Johanna avait alors à peine dix-sept ans, lui vingt-deux, et ils avaient été invités à une surprise-partie chez des voisins. Au cours de la soirée, Michael et Johanna avaient beaucoup dansé ensemble. Après avoir bu de nom-breuses coupes de champagne, insensiblement, la jeune fille l’avait entraîné loin de la foule. Toujours enlacés, ils étaient sortis dans le jardin contigu à celui du manoir des Ross et s’étaient retrouvés dans un petit pavillon désert séparant les deux propriétés. Les vapeurs de l’alcool aidant, leurs gestes étaient devenus de moins en moins innocents et, un baiser en appelant un autre, ce qui devait arriver était arrivé.
A vingt-deux ans, Michael avait déjà eu de nombreuses aventures, mais aucune ne l’avait bouleversé comme celle-ci. A présent encore, il conservait le souvenir d’un moment magique, d’une entente aussi parfaite qu’une initiation de ce genre pouvait l’être.
Rentré chez lui, il avait passé le reste de la nuit à s’interroger. Etait-ce cela, l’amour ? Leur embrasement n’avait‑il été qu’une fièvre passagère des sens, ou éprou-vait‑il pour sa jeune voisine un sentiment profond ?
Le lendemain, Jeff, qui, retenu au lit par une angine, n’avait pu participer à la fête, s’était confié à son aîné pour la première fois. Il avait avoué à Michael qu’il adorait Johanna, mais qu’il n’avait jamais osé lui déclarer sa flamme.
Michael en était resté muet de stupeur et de remords. Il n’avait plus à se demander s’il aimait ou non Johanna. Son sens de l’honneur, tout comme l’affection qu’il vouait à son frère, lui commandait de s’effacer afin de laisser à Jeff une chance de réussite. Ce dernier avait toujours souffert d’un pénible sentiment d’infériorité, et c’était ce qui le rendait agressif vis-à-vis de son aîné.
Le même jour, sans l’ombre d’une hésitation, Michael avait fait comprendre à Johanna que le tendre épisode de la nuit n’avait été qu’une folie passagère qui ne devait plus se renouveler.
L’avait‑il blessée ? Il ne l’avait jamais su : après l’avoir approuvé, elle lui avait tourné le dos.
Une semaine plus tard, le jour de ses dix-sept ans, elle s’enfuyait avec Jeff. Sur le mot laissé à ses parents, elle expliquait que, majeure depuis la veille, elle avait décidé d’accompagner un musicien de talent sur les chemins de la gloire.
Michael s’était consolé en essayant de se persuader que, après avoir écrasé son frère de sa supériorité pendant des années, il s’était sacrifié pour lui donner enfin la chance d’être heureux.
Au cours des neuf années qui avaient suivi, il avait eu de multiples aventures, mais aucune femme ne l’avait emmené vers le nirvana qu’il avait connu une certaine nuit de juin avec Johanna.
Et maintenant, celle-ci était devenue la veuve de son frère, donc une personne intouchable. Il la savait brisée, détruite par une union qu’il avait devinée malheureuse, mais tout ce qu’il pouvait faire était de l’aider et de la protéger.
Allongé sur son lit de camp sans confort, il soupira, ferma les yeux et attendit le sommeil. Demain, lundi, la journée s’annonçait particulièrement chargée. D’importants rendez-vous l’attendaient, et il devrait se lever de bonne heure.
Ce jour-là, au milieu de l’après-midi, le camion d’un grand magasin livra à Park House le mobilier d’une chambre.
Persuadé que Johanna ne venait qu’une semaine plus tard, Michael avait pris ses dispositions pour que la jeune femme trouve à son arrivée une pièce confortable où s’installer.
Le matin, à son réveil, Johanna avait découvert deux en-veloppes à son nom sur la table de la cuisine. L’une conte-nait les instructions de Michael concernant la livraison du mobilier. L’autre, trois mois d’émoluments d’avance et, en plus, suffisamment d’argent pour qu’elle emplît le congéla-teur d’aliments surgelés. Une jeep se trouvait dans le garage, à sa disposition, pour aller en ville.
Mais la livraison ayant eu lieu plus tard que Michael ne l’avait prévu, elle n’avait pu sortir pour faire des courses.
Elle avait aidé le camionneur à disposer les meubles à leur place. Michael avait choisi pour elle la pièce la plus éloignée de sa propre chambre. Sur le moment, Johanna en avait conclu qu’il tenait à mettre une certaine distance entre eux, craignant peut-être qu’elle ne se jette à sa tête comme elle l’avait fait neuf ans plus tôt, au cours de l’inoubliable nuit d’été.
En réalité, elle découvrait à présent que sa chambre était une des plus agréables de l’étage. Vaste, pourvue de pla-cards-penderies et d’une confortable salle de bains privée, la pièce s’ouvrait sur un balcon d’où la vue s’étendait à l’ouest, au-delà de la Delaware River, sur un paysage de prairies et de forêts.
Le lit, la table, la coiffeuse, la commode et les deux fau-teuils de style moderne qui venaient d’être livrés n’étaient pas exactement du goût de Johanna, car sa préférence allait aux meubles anciens. Mais elle reconnaissait que le choix de Michael avait été fonctionnel. Le mobilier en teck s’harmonisait parfaitement avec la toile de jute sur les murs et la moquette bleu roi du sol.
Elle avait découvert au fond d’un couloir une lingerie somptueusement équipée, probablement par sa belle-mère. Du reste, les meubles de la chambre de Michael provenaient du manoir familial. Johanna les avait déjà admirés au temps où ses parents étaient amis avec les Ross.
Johanna choisit une paire de draps en fin coton rose pâle, une couverture neuve, ainsi qu’un couvre-lit en piqué blanc. Ensuite, elle retourna dans la chambre de Michael pour y récupérer ses affaires.
Elle regarda le grand lit à colonnes où elle avait dormi d’une traite pendant dix heures. La veille au soir, quand elle s’y était allongée, elle avait cru deviner une expression de désir sur les traits de Michael, et tout son corps avait vibré d’espoir.
Mais il ne s’était même pas approché d’elle et, au fond, c’était mieux ainsi.
Elle était venue à Park House pour y exercer les fonctions de gouvernante et non pas pour en séduire le propriétaire. Le souvenir de leur folle nuit l’emplissait toujours de honte. Mon Dieu, comment avait‑elle pu se comporter avec autant d’audace ! Son impudence l’étonnait encore maintenant. Elle avait presque obligé Michael à faire l’amour. L’instant où elle l’avait senti, nu, contre elle, avait comblé ses rêves d’adolescente. A cette époque, elle était tellement amou-reuse de Michael que, dans sa naïveté, elle avait cru qu’en s’offrant à lui elle se l’attacherait pour toujours.
Aussi, quelle n’avait pas été sa déception le lendemain, quand il était venu lui dire à quel point il regrettait ce qui s’était passé entre eux ! Le champagne leur avait sûrement tourné la tête… Elle était trop jeune et ne devait plus penser qu’à ses études… comme il le faisait lui-même en faculté pour décrocher ses diplômes.
Ecarlate de honte, elle avait approuvé chacune de ses pa-roles. Mais pendant qu’elle hochait la tête, elle sentait son cœur se briser en mille morceaux.
Dans un ultime sursaut d’honneur, Michael avait tout de même ajouté que, naturellement, si un enfant naissait de leur moment de folie, il assumerait pleinement ses responsabili-tés.
Elle n’avait pas eu d’enfant. Jeff avait ramassé les mor-ceaux de son cœur et les avait recollés comme il avait pu. Elle s’était retrouvée mariée à un homme qu’elle n’aimait pas, mais qui avait besoin d’elle. Aussi s’était‑elle toujours efforcée de l’aider et de le protéger, estimant que, par une fidélité sans faille à la parole donnée, elle se rachèterait à ses propres yeux.
Etait-ce un état d’esprit similaire qui avait guidé son beau-frère lorsque, apprenant son dénuement, il lui avait proposé de venir diriger Park House ?
Johanna préférait ne pas trop se pencher sur cette ques-tion.
Une fois la chambre rangée et son lit prêt pour la nuit, elle décida de descendre se préparer une tasse de thé.
Elle alla la déguster sur la terrasse en se demandant ce qu’elle pourrait cuisiner pour le dîner. Michael ne rentrait jamais déjeuner. Or, elle avait passé la journée à attendre les meubles et, de ce fait, n’avait pu se rendre en ville pour acheter le ravitaillement prévu. Tant pis ! Ce soir, Michael devrait se *******er d’un plat de riz et de la dernière boîte de sardines…
— Hello, Johanna !
Elle sursauta et se tourna vers l’arrivant.
— Je ne t’ai pas entendu entrer.
— Tu étais perdue dans tes pensées.
Elle regarda la montre à son poignet et s’étonna :
— 5 heures ! Est-ce ton habitude, de revenir si tôt du bu-reau ?
— Non, mais ce soir, j’avais hâte de savoir si les meubles de ta chambre étaient arrivés, et s’ils étaient à ton goût.
— Ils ont été livrés seulement en milieu d’après-midi. Je m’y suis habituée, mais puisque tu veux connaître mes goûts, je dois avouer que je préfère le mobilier de ta chambre et, en particulier, le grand lit à colonnes.
L’image de Johanna dans son lit propulsa immédiatement Michael au bord du vertige. Son corps frémit, mais ses traits restèrent de marbre. Etait‑elle consciente de ce qu’elle sug-gérait ? Sûrement pas, car elle avait parlé en toute innocence, et c’était lui, avec sa libido démesurée, qui interprétait de travers ce qu’il avait entendu.
— Mon lit était autrefois chez mes parents, dans une de leurs chambres d’amis, précisa-t‑il, gêné.
— Je l’avais reconnu et…
Elle s’interrompit, embarrassée elle aussi. Quel besoin avait‑elle eu d’évoquer le lit de Michael ? N’allait‑il pas voir dans ses paroles une invitation déguisée ?
Elle s’arracha au regard bleu qui l’observait avec acuité. Pour créer une diversion, elle sortit d’une des poches de son jean les clés de la jeep et les posa sur la table.
— Je ne les ai pas utilisées, car j’ai dû rester toute la journée ici, à attendre le camion de livraison. C’est dom-mage, car je n’ai pu m’occuper du ravitaillement et je n’ai pas pu sortir pour mon compte personnel.
— Ce qui veut dire ?
— Je voulais acheter un jean de rechange et des T-shirts.
— Allons faire ces achats immédiatement. Et pense à ajouter à ta liste une robe habillée pour recevoir.
— Pardon ?
— Jusqu’à présent, j’invitais mes clients au restaurant, mais je les sais plus sensibles à une réception chez moi. Dès que j’en aurai le temps, nous nous préoccuperons ensemble de meubler de nouveau le rez-de-chaussée de Park House. En réalité, depuis que j’ai acheté cette maison, je ne me suis guère soucié de l’aménager, laissant à ma mère le soin d’y apporter divans, fauteuils et tables, prélevés sur l’abondant mobilier du manoir familial. Lorsqu’ils m’ont été volés, ma mère voulait que je porte plainte. C’étaient, paraît‑il, des pièces de valeur. J’ai refusé, préférant, comme toi, tirer un trait définitif sur le passé. Je me suis promis de n’acheter que des meubles fonctionnels, de qualité, certes, mais sans grande valeur marchande. Ainsi, je ne craindrai plus les voleurs, tout en pouvant recevoir clients et amis chez moi. Sais-tu cuisiner, Johanna ?
— Oui.
— Et accueillir des hôtes ?
— J’ai été à bonne école, souviens-toi. Mes parents rece-vaient beaucoup.
— C’est vrai. S’il le faut, au besoin, j’engagerai quelqu’un pour t’aider.
— Ce ne sera pas nécessaire… sauf, bien sûr, si tu as l’intention de convier une vingtaine de personnes à ta table.
Il hocha négativement la tête et précisa :
— Je pense surtout à un puissant personnage, un Texan que j’aimerais compter au nombre de mes clients. Mais nous en reparlerons plus tard. Partons, maintenant, si tu veux bien.
Il la laissa conduire la vieille jeep qu’il avait laissée à sa disposition pour qu’elle pût se rendre en ville. Michael la guidait car, en neuf ans, le paysage s’était modifié et Johan-na ne reconnaissait plus les environs de Trenton, une ville qu’elle avait pourtant souvent arpentée. Jadis, ses parents y venaient faire leurs courses avec elle. Pour s’y rendre, il suffit aux habitants de Pennsylvanie de traverser la Delaware River. Mais la cité s’était agrandie vers le sud, et Johanna se sentait maintenant une étrangère dans les rues nouvelles.
— Hé ! s’exclama soudain Michael en couvrant d’une paume apaisante une des mains de la conductrice. Tu te cramponnes au volant comme si tu n’étais pas rassurée. Qu’est-ce qui ne va pas, Johanna ?
— Tout va bien, c’est seulement que je ne retrouve plus mes anciens repères.
— Rien d’étonnant ! Il y a presque dix ans que tu as quitté la région… Prends la première avenue à droite. Tu y trou-veras l’entrée d’un parking souterrain.
Le parking donnait accès à une immense galerie commer-ciale. Michael décida de commencer par l’achat des vête-ments, et il entraîna la jeune femme au premier étage d’une des nombreuses boutiques de la galerie.
Elle se sentait désorientée. Au cours de sa longue errance avec Jeff, ne disposant que de faibles moyens, elle ne se souvenait pas d’avoir jamais pénétré dans un magasin aussi vaste et aussi luxueux. Du reste, ayant adopté le style de son époux, elle se *******ait de jeans et de débardeurs.
Apparemment, ce genre de vêtements n’était pas du goût de Michael, car elle ne voyait autour d’elle que des en-sembles élégants.
Il avisa une robe en coton imprimé de fleurs rouges, la décrocha du cintre et la lui tendit.
— Essaie-la. Je pense qu’elle est à ta taille.
Elle sentit un vent de fronde se lever en elle. Jamais per-sonne ne lui avait donné d’ordre de ce genre. Jeff se moquait bien de ce qu’elle portait ! Du reste, dans le ménage, c’était elle qui prenait les décisions.
Elle resta un moment silencieuse, cherchant une parade. Michael se rendait‑il compte du prix de cette robe ? Un mois entier de son salaire d’intendante ne suffirait même pas à la payer !
— Elle ne te plaît pas ? demanda-t‑il, étonné.
— Non. En outre, c’est une robe d’été, et je préfère quelque chose de plus chaud et de moins voyant.
— Tu n’as que l’embarras du choix, dit‑il en remettant la robe sur le cintre. Et ce tailleur-là te convient‑il ?
Il lui désignait un deux-pièces en fin lainage bleu, orné d’un petit col en velours.
— Pas mal ! commenta-t‑elle du bout des lèvres.
— Mais tu n’en veux pas ?
— Non.
Découvrant dans un rayon voisin des soldes de fin de sai-son, elle s’y rendit d’un pas décidé et choisit une robe en maille de soie noire, sans manches, mais avec un élégant drapé à l’encolure. Après un bref regard sur l’étiquette, elle la brandit sous le nez de Michael.
— Voilà exactement ce qu’il me faut.
Michael grimaça.
— Je croyais que tu désirais une robe d’hiver.
— Celle-ci fera l’affaire pour tes réceptions. Au besoin, je pourrai la transformer en robe chasuble et porter dessous un pull en fin lainage à col roulé et à manches longues.
Et, sans plus se soucier de lui, elle se dirigea vers une ca-bine d’essayage.
Elle en ressortit quelques minutes plus tard et regarda Michael.
Le souple jersey épousait sa poitrine ronde, ses hanches, et s’arrêtait sous le genou.
— Comment me trouves-tu ? demanda-t‑elle.
Il déglutit péniblement. C’était tout à fait le genre de robe, à la fois élégante et sexy, qui mettait en valeur le corps des femmes. Une robe qui lui donnerait l’envie de déshabil-ler sa gouvernante…
— Elle est trop courte, objecta-t‑il.
— Ce n’est pas mon avis. Je ne cherche pas une robe du soir, mais quelque chose de pratique. J’ai l’impression que ce fourreau a été fait pour moi.
— Dis plutôt qu’on l’a peint sur toi. Il te moule d’une manière éhontée.
Elle le toisa avec une indulgence un peu moqueuse.
— Oh, Michael, ne sois donc pas aussi puritain ! Puisque tu veux me confier également un rôle d’hôtesse, je devrai plaire à tes invités. Je suis sûre que ton Texan appréciera ma tenue.
— J’en suis certain, mais là n’est pas la question.
— Et où est‑elle, cette question ?
Il haussa les épaules avec agacement.
— Après tout, agis comme bon te semble. Ce sera toujours mieux que tes oripeaux, grommela-t‑il.
Elle retourna dans la cabine et en ressortit en jean, la robe sur le bras. Une vendeuse passait, Johanna lui tendit son acquisition.
— Je la prends, dit‑elle.
Elle calcula mentalement ce qui lui resterait sur son pé-cule après avoir réglé la robe. Elle pouvait encore se per-mettre un pull d’hiver, ainsi qu’une salopette en jean pour les travaux ménagers.
— As-tu d’autres achats à faire ? demanda Michael.
— Oui, mais ne te crois pas obligé de m’accompagner. Tout à l’heure, tu m’as dit que tu avais besoin de chemises. Nous pourrions nous retrouver quelque part dans la galerie marchande. Ensuite, nous irions ensemble acheter des provi-sions dans un magasin d’alimentation.0
— Tu as raison.
Il lui donna rendez-vous une demi-heure plus tard, au pied de l’escalator de ce même magasin.
En le regardant s’éloigner, Johanna pensa qu’elle l’avait choqué. Pourtant, la robe n’était ni excentrique ni provo-cante. C’était exactement le genre de vêtement, à la fois élégant et indémodable, dont elle avait toujours rêvé. Et si Michael n’aimait pas cette robe, c’était probablement parce qu’il ne l’avait pas choisie lui-même.
« Toujours son côté macho !» se dit‑elle.
Elle arriva la première au rendez-vous. L’escalator dé-bouchait au rez-de-chaussée, au milieu des rayons de linge-rie.
Pendant qu’elle attendait Michael, Johanna examina avec une curiosité amusée ce qui l’entourait. Elle ne se voyait pas en string, ou exhibant un de ces porte-jarretelles outrageu-sement provocants.
Mais soudain son regard s’arrêta sur une vaporeuse che-mise de nuit en mousseline bleu pâle, que présentait un mannequin en cire. Elle s’en approcha et ne put résister au plaisir de caresser le soyeux tissu. Elle s’imagina virevoltant comme une ballerine, seulement vêtue de cette somptueuse tenue. Ce serait sublime. Mais après un regard sur le prix, elle n’eut aucun mal à renoncer à son rêve…
— C’est joli, n’est-ce pas ?
Michael était derrière elle. Johanna pivota et se retrouva presque contre lui. Elle s’écarta légèrement et sourit en désignant le vêtement.
— Magnifique ! approuva-t‑elle. C’est le genre de che-mise de nuit que portent les stars sur les écrans de cinéma ou de télévision.
Une vendeuse s’approchait.
— Désirez-vous que je l’ôte du mannequin, madame ? Ainsi, je vérifierai qu’elle est bien de votre taille.
— Non, non, dit vivement Johanna. Je l’admirais, c’est tout.
— Otez-la ! ordonna Michael.
Tandis que l’employée s’exécutait, Johanna protesta à voix basse :
— Tu as perdu la raison, Michael. Je devrais travailler au moins pendant trois mois chez toi avant de pouvoir m’offrir ce genre de folie, dont je n’ai vraiment pas besoin.
Il répliqua sur le même ton :
— Et si ça me faisait plaisir, à moi, de te l’offrir, cette fo-lie, la refuserais-tu ?
Elle écarquilla les yeux.
— Oui… Non… Mais tu n’as pas à me faire de cadeau, Michael.
La vendeuse revenait vers eux, le mousseux vêtement sur le bras.
— C’est notre plus belle pièce, dit‑elle. Votre mari est très généreux, madame.
Johanna ouvrit la bouche pour détromper la jeune femme. Mais à cet instant, elle croisa le regard bleu de Michael et éprouva une sorte de choc. Elle ne bougea plus et referma la bouche, hypnotisée par la force virile qui émanait des pru-nelles d’acier.
Michael la prit alors par le bras et fit signe à l’employée de les suivre. A la caisse, il tendit sa carte de crédit, pendant que la vendeuse enveloppait avec soin le précieux vêtement dans un papier de soie. Avant de l’enfermer dans un carton au logo du magasin, celle-ci remarqua d’un ton faussement négligent :
— Cette chemise de nuit fait partie d’une parure. Désirez-vous que je vous montre l’adorable robe de chambre qui l’accompagne ?
— Non, je…
— Oui.
La vendeuse sourit à Michael.
— Je reviens, dit‑elle.
Johanna recouvra alors sa voix et son assurance.
— Tu es complètement fou ! Que ferais-je d’un peignoir aussi élégant ? Michael, je t’en prie…
Elle s’interrompit, car l’employée revenait. Sous les yeux éblouis de Johanna, celle-ci étala sur le comptoir un somp-tueux déshabillé en satin de la même couleur céleste que la chemise de nuit.
— Emballez l’ensemble, déclara Michael.
Quelques minutes plus tard, il récupérait sa carte de crédit, tandis que Johanna, confuse, muette, mais avec une lueur d’émerveillement dans les yeux, prenait machinalement le grand carton que lui tendait la vendeuse

3

Ce soir-là, ils dînèrent au restaurant et rentrèrent tard à Park House. Pendant que Johanna montait déposer ses propres paquets dans sa chambre, Michael transportait, de la jeep à la cuisine, les provisions achetées dans un supermar-ché.
La table débordait maintenant de denrées : volailles et viandes diverses surgelées, fromages, légumes et fruits frais. Sachant que Michael devait se lever tôt le lendemain, Jo-hanna lui conseilla d’aller se coucher. Elle se débrouillerait seule pour ranger les provisions à leurs places respectives.
Il protesta pour la forme, puis se résigna à la laisser après lui avoir souhaité une bonne nuit.
Johanna s’acquitta de ses tâches ménagères, puis monta à son tour au premier étage.
Après avoir suspendu la robe noire dans la penderie, elle ouvrit le carton de lingerie et étala la parure sur le lit. Jamais encore elle n’avait porté de chemise de nuit aussi somp-tueuse, et elle ne se voyait pas s’endormant, vêtue de cette arachnéenne mousseline de soie, pas plus qu’elle ne s’imaginait en train de se promener à travers la maison dans ce long déshabillé de satin bleu clair, digne d’une star hol-lywoodienne.
Quelques instants plus tôt, lorsque Michael avait hésité à monter se coucher, elle avait cru lire dans les yeux bleus une muette supplication. Voulait‑il la contempler dans son en-semble de luxe, paradant comme un mannequin sur un po-dium ? Comment aurait‑il réagi ? Comme un beau-frère, ou comme un homme taraudé par un vague désir ?
Elle avait préféré ne pas tenter l’expérience.
Elle continuait de penser que, dans un élan de générosité, il lui avait offert là un cadeau de bienvenue, coûteux et inu-tile. Toutefois, le geste l’avait touchée et, bien qu’elle s’en défendît, elle éprouvait au fond d’elle-même un secret plaisir à la pensée de posséder une parure aussi ravissante.
Elle la rangea soigneusement et regarda la robe noire, suspendue dans l’attente d’une réception encore improbable.
Michael était un brillant homme d’affaires. Son entreprise d’import-export prospérait. Johanna continuait d’admirer l’acuité de son esprit, mais, comme tous les hommes happés par leurs projets, il se montrait déconnecté des banales réali-tés de l’existence et manquait de sens pratique. Avant d’envisager des réceptions chez lui, il devrait penser à meu-bler et à décorer sa superbe demeure. Or, ce soir, dans la galerie marchande, chaque fois qu’elle avait suggéré d’entrer dans un magasin de mobilier, il avait répondu d’un ton distrait :
— On verra ça plus tard. Chaque chose en son temps.
La semaine s’écoula sans que Johanna eût un instant le temps de s’ennuyer. La maison était à présent briquée du haut en bas. Les vitres étincelaient, et aucune tache, pas le moindre grain de poussière ne maculait dallages et mo-quettes.
A plusieurs reprises, elle s’était rendue en ville et avait rapporté de nombreux catalogues et des revues de décora-tion, qu’elle étudiait pendant ses moments de repos.
Michael ne rentrait pas déjeuner et revenait tard le soir. Toutefois, à la demande de Johanna, il prenait soin de l’avertir par téléphone, en fin d’après-midi, de l’heure ap-proximative de son retour. Ainsi, quand il arrivait, le couvert était dressé et le dîner prêt à être servi.
Leurs relations étaient courtoises, voire amicales, mais sans plus. A table, Michael parlait des problèmes de son entreprise et discutait volontiers avec Johanna de la conjoncture économique, mais il paraissait indifférent à la manière dont elle était habillée.
N’était-ce pas ce qu’elle avait souhaité ?
Or, au fil des jours, elle découvrait que le fait d’être la gouvernante de l’homme qu’elle avait passionnément aimé dans son adolescence, de laver son linge et préparer ses repas, que toutes ces tâches, qui sont celles de la maîtresse de maison, réveillaient en elle une passion assoupie.
Seule toute la journée, Johanna ne pouvait s’empêcher de fantasmer sur Michael comme au temps de ses quinze ans.
Un matin, après avoir effectué son travail habituel, elle s’était douchée, avait revêtu ensuite sa parure de star et s’était pavanée d’un miroir à l’autre en se demandant une nouvelle fois quelle serait la réaction de Michael s’il la voyait dans une tenue aussi délicieusement féminine.
Mais aussitôt, elle se souvint que, jadis, elle l’avait pro-voqué et s’était jetée à sa tête, ce qui lui avait valu, le len-demain, le plus cuisant camouflet de sa vie. Elle avait payé très cher un moment d’intense bonheur. Le douloureux af-front infligé par Michael lui avait appris qu’on peut exciter les sens d’un homme sans pour autant émouvoir son cœur.
Brisée, elle s’était alors mariée sans amour.
A présent, Michael était son beau-frère et, comme il était devenu son employeur, elle ne devait en outre lui vouer que des sentiments d’amitié, et cesser de voir en lui l’homme de ses rêves. Pour cela, il lui fallait trouver un moyen d’occuper son esprit autant que ses mains.
Ce matin, elle avait résolu le problème.
Alors qu’elle préparait la table du dîner, elle se demandait si Michael approuverait son initiative. En tout cas, elle était satisfaite de sa décision et, dans son euphorie, elle avait cuisiné un repas particulièrement soigné.
Michael l’avait prévenue que, ce vendredi soir, il ne ren-trerait pas avant 20 heures. Elle regarda la pendule murale et décida d’enfourner l’épaule d’agneau, qu’elle avait roulée et farcie avec un mélanche de hachis de porc et d’aromates. Ce plat avait été une des spécialités de sa mère. En le préparant, elle avait revu les images du passé : ses bonheurs d’enfant, les tablées joyeuses avec les Ross et d’autres amis, son ad-miration pour Michael et ses fous rires aux plaisanteries de Jeff
Jeff l’avait toujours aimée, elle n’en avait jamais douté, et si son mariage avec lui avait été une union sans joie, elle n’avait jamais failli à ses devoirs. Pourtant, leur couple s’était désuni bien avant l’accident.
Pendant les deux dernières années, ils avaient vécu une relation de frère et sœur – ce que, bien sûr, la famille avait ignoré. Fidèle à sa parole, Johanna avait continué de veiller sur Jeff, organisant même ses tournées en lui servant de manager, au point de discuter elle-même de ses contrats.
Mais lorsqu’elle avait appris la liaison de son époux avec une des filles du groupe, elle avait vu là un moyen de recou-vrer sa liberté. Pour la première fois, elle avait envisagé de divorcer.
Elle en avait parlé avec Jeff au cours de cette nuit hor-rible. Il avait alors violemment protesté. Il avait besoin d’elle, et voulait garder à la fois épouse et maîtresse. Ce soir-là, il avait beaucoup bu. Le ton entre eux s’était vite échauffé. Au paroxysme de la fureur, Jeff était parti en cla-quant la porte de leur caravane. Malgré la pluie et le vent qui soufflait en tempête, elle avait entendu démarrer leur vieille Chrysler. Sachant que Jeff n’était pas en état de conduire, elle s’était précipitée à l’extérieur. Il était déjà loin et, quelques minutes plus tard, dérapant dans un virage, il s’écrasait contre un mur.
Cet affreux accident avait mis fin à huit années de vie ca-hotique.
Mais Johanna n’était pas au bout de ses épreuves. Pendant presque une année, seule pour affronter l’administration et les créanciers, elle s’était sentie perdue et responsable de la mort de Jeff.
Les mensonges inventés à l’intention de sa belle-famille pour donner de Jeff l’image que les Ross en attendaient et, plus tard, sa version erronée des véritables causes de l’accident, tous ces manquements à la franchise continuaient de peser sur sa conscience. Elle se demandait ce que dirait Michael s’il apprenait la vérité. Bien que les deux frères eussent passé une partie de leur adolescence à se heurter, ils avaient été liés par une profonde affection.
Michael la regarderait‑il toujours comme une amie s’il savait qu’elle avait voulu divorcer et que cette décision avait envoyé Jeff à la mort ?
— Mmm ! Qu’est-ce qui sent si bon ?
Johanna sursauta. Michael se tenait sur le seuil de la cui-sine, son porte-documents d’une main, l’autre s’appuyant au chambranle, le veston jeté sur l’épaule, mais la cravate soi-gneusement nouée.
— J’ai farci une épaule d’agneau, répondit Johanna.
Repoussant l’envie de l’embrasser, de défaire sa cravate et d’ouvrir son col de chemise, elle se demandait si elle allait lui annoncer à l’instant la décision prise le matin. Elle préféra remettre l’aveu à plus tard et ajouta :
— Comme le temps s’est refroidi, j’ai pensé que nous avions besoin d’un repas plus consistant que les autres soirs.
Habituée au climat californien, elle avait oublié que l’automne dans le New Jersey était souvent humide et frais. Ce soir, elle avait revêtu sur son jean un pull en laine blanche à col roulé.
Michael posa porte-documents et veston sur une chaise et demanda, moqueur :
— Alors quand l’hiver sera là, à quoi devrai-je m’attendre ? Emmitouflée dans une doudoune, est-ce que tu me serviras du pot-au-feu ou de la choucroute ?
— Pourquoi pas ? rétorqua-t‑elle en riant. Mais en atten-dant, comme il ne fait pas encore froid au point d’allumer la chaudière, nous pourrions faire du feu dans la grande che-minée du salon, après le dîner, et aller déguster notre café, assis sur des coussins en regardant les flammes.
— Excellente idée ! approuva-t‑il.
Ses yeux bleus restaient lointains. A quoi pensait‑il ?
« A renouveler sa provision de bois », se dit Johanna, pratique.
— Je ne t’attendais pas si tôt, avoua-t‑elle. Le dîner ne sera pas prêt avant une bonne demi-heure.
Michael se frottait la nuque.
— Je sens tous mes muscles tétanisés. Ai-je le temps d’aller les dérouiller ?
— Oui. Je t’appellerai lorsque le rôti sera cuit.
Michael reprit porte-documents et veston, et monta vive-ment dans sa chambre. Là, il ôta ses vêtements de ville et enfila un simple short. Chaussé d’espadrilles, il descendit jusqu’au sous-sol, où il avait équipé une salle de sports.
Pour se mettre en train, il commença par quelques mou-vements de culture physique. Puis il s’allongea sur le sol et souleva des haltères : deux disques en fonte reliés par une barre de fer. C’était son exercice le plus difficile.
Il s’y entraînait chaque soir, depuis l’arrivée de Johanna, cinq jours plus tôt. Faire travailler ses muscles était le meil-leur moyen de dominer ses pulsions sexuelles. D’autre part, cela suscitait une telle fatigue que le sommeil le terrassait avant que son imagination ne se mît à fantasmer sur la femme qui reposait dans une chambre de l’autre côté du palier.
A présent, son visage et son torse luisaient de transpira-tion, et le lever de poids devenait de plus en plus pénible, mais il sentait son esprit s’apaiser. Tout à l’heure, comme les autres jours, il avait éprouvé un vif plaisir en voyant Johanna s’activer dans la cuisine. Pourtant, le vieux loup solitaire qu’il était devenu après sa dernière mésaventure sentimentale n’appréciait pas précisément les joies domes-tiques… D’où lui venait donc cette vague d’intense satisfac-tion qui le submergeait maintenant à chacun de ses retours à la maison ?
Il n’avait pas prévu que l’arrivée de Johanna le transfor-merait à ce point. Célibataire dans l’âme, persuadé qu’il n’était pas du genre à fonder une famille, il s’était construit une vie conforme à ses ambitions. L’achat de Park House avait été pour lui une sorte de placement, en même temps que la beauté de la demeure flattait sa vanité. Peu à peu, il avait pris goût à la solitude
Lundi soir, lorsque Johanna avait décidé que, dorénavant, elle se lèverait tôt pour partager son petit déjeuner, il avait protesté. Les petits déjeuners, il avait l’habitude de les avaler en vitesse dans une cafétéria proche de son bureau.
Johanna avait néanmoins tenu bon et, le lendemain matin, lorsqu’il était descendu, prêt à partir pour la ville, elle l’attendait dans la cuisine devant une table garnie d’un co-pieux breakfast.
Il avait cédé, mais de mauvaise grâce. Depuis, il trouvait fort agréable ce moment de détente. S’asseoir au petit matin devant une Johanna souriante lui donnait du tonus pour toute la journée…
— Veux-tu goûter, et me dire si c’est assez cuit ?
Il laissa retomber les haltères, se redressa sur un coude et regarda Johanna.
Elle se tenait debout à quelques pas de lui. Avec une fourchette, elle piquait dans une soucoupe un petit morceau de viande enrobée de farce. Elle se rapprocha et le lui tendit.
— Délicieux ! commenta-t‑il en le savourant.
— Alors, il est temps que je sorte le rôti du four.
Sa voix s’était brusquement enrouée comme sous le coup d’une émotion, et elle sentait son cœur battre un peu trop vite. Dieu, que Michael était beau, dans sa demi-nudité ruisselante ! Il débordait de virilité, et même l’odeur de sa sueur paraissait à Johanna plus agréable à respirer que le plus subtil des parfums de luxe. La chaleur du grand corps irradiait, et elle aurait aimé étreindre Michael et se blottir contre lui.
A défaut de pouvoir réaliser son rêve, elle posa la sou-coupe vide sur le sol, prit une serviette sur la pile préparée sur un escabeau et, tandis qu’il se relevait, elle lui essuya doucement le visage et le torse.
— Je vais aller me doucher, déclara-t‑il en lui ôtant la serviette des mains.
— Tu as raison.
Mais elle ne s’écartait pas. Ils étaient si proches qu’ils respiraient mutuellement leur haleine. Elle croisa les yeux bleus et eut l’impression qu’ils prenaient possession d’elle dans une étreinte passionnée.
Ce vertige ne dura qu’un instant. Michael détourna la tête, brisant net la magie, et Johanna recouvra aussitôt le contrôle d’elle-même. Elle reprit soucoupe et fourchette, tandis que Michael se dirigeait vers la porte.
— Je te promets de me dépêcher, dit‑il.
Sa voix était parfaitement calme. Incapable de parler, Jo-hanna approuva d’un hochement de tête. Elle écouta le bruit des pas décroître dans l’escalier, puis resta immobile jus-qu’au moment où elle entendit l’eau de la salle de bains couler dans les canalisations.
Alors, elle remonta lentement jusqu’à la cuisine, afin d’achever les préparatifs du dîner.
Tandis que le jet fouettait ses épaules douloureuses, Mi-chael posa les paumes à plat sur le mur carrelé de la cabine de douche. Il était surpris par une érection de la pire espèce, sans nul espoir de soulagement. Aussi avait‑il ouvert seu-lement le robinet d’eau froide, dans l’espoir de calmer l’ardeur aussi insolite qu’imprévue de ses sens.
En même temps, il s’efforçait de chasser de son esprit l’image de Johanna. Tout à l’heure, quand elle lui avait tendu la bouchée de viande, il avait maîtrisé à grand-peine l’envie de l’embrasser et, quand elle lui avait essuyé le dos, il avait senti une fièvre ardente enflammer son sang.
Cette fois, la séance de sport n’avait pas eu l’effet es-compté.
La fraîcheur du jet le faisait grelotter. Se sentant plus calme, il augmenta la température de l’eau. Sa douche ter-minée, il s’habilla rapidement du pantalon de flanelle et du polo qu’il mettait pour jouer au golf. Chaussé de mules en cuir, il reprit le chemin de la cuisine.
Lorsqu’il entra, le rôti était découpé dans un plat. L’arôme pimenté de la farce embaumait l’air. L’eau lui en vint à la bouche, pas seulement à cause de la vue et du parfum de la nourriture, mais parce que Johanna s’asseyait à table en lui souriant. De nouveau, il éprouvait l’envie de l’étreindre et d’embrasser ses lèvres charnues et tentantes.
Il s’assit en fermant un instant les yeux, mais l’image du ravissant sourire restait imprimé sous ses paupières.
— Tu arrives juste à temps, dit‑elle alors qu’il dépliait sa serviette.
Il essaya de lui sourire à son tour, mais ses lèvres crispées n’esquissèrent qu’une vague grimace.
Johanna nota silencieusement sa gêne. Il affichait ce genre de contrariété ennuyée chaque fois qu’elle devenait trop amicale. Elle croyait alors lire dans ses yeux un muet avertissement :
« Attention, Johanna ! Souviens-toi que ce qui nous est arrivé il y a neuf ans ne doit plus jamais se reproduire. »
Ce soir, elle n’avait aucun doute sur la cause de la froi-deur de Michael. Elle n’aurait pas dû commettre l’imprudence de descendre dans la salle de musculation et de le surprendre en plein effort.
Toujours courtois, il n’accepta de se servir qu’après elle. Le rôti d’agneau était délicieux, et Michael apprécia la jar-dinière de légumes qui l’accompagnait.
Comme elle savait que son travail était pour lui un souci permanent, elle le questionna sur sa journée de bureau.
— De nouveaux clients ?
— Non. Les habitués suffisent à faire tourner l’entreprise.
— As-tu enfin signé le contrat avec le Texan ?
— Pas encore. Jack Larsen est un homme fort occupé. En ce moment, il est au Japon. Je le revois dans quinze jours. Si je réussis à l’avoir pour client, ce sera une chance incroyable, mais qui m’obligera à engager du personnel supplémentaire.0
— Tu as toujours l’intention de le recevoir ici ?
— Oui, bien sûr. Je l’inviterai avec sa femme.
— Alors, tu ne crois pas qu’il serait temps de songer à meubler le rez-de-chaussée de la maison ?
— Tu as raison, mais jusqu’à présent je n’ai guère eu le loisir de m’en occuper.
— J’ai rapporté de Trenton plusieurs revues de décora-tion, ainsi que quelques catalogues de magasins d’ameublement. Si tu veux, nous pourrions les consulter ensemble. Tu ferais ainsi ton choix avant d’en passer la commande par téléphone.
— Pourquoi par téléphone ? Demain, samedi, rien ne nous empêche d’aller acheter de quoi meubler la salle à manger, le fumoir et un salon. Plus vite la corvée sera terminée, mieux ce sera.
— Pour moi, ce ne sera pas une corvée, Michael. J’ai tou-jours rêvé de décorer un appartement ou une maison. Mal-heureusement, la vie nomade que je menais en Californie avec Jeff ne m’a jamais permis de réaliser mon rêve.
Il eut un bref froncement de sourcils, mais s’abstint de tout commentaire.
Dès qu’ils eurent terminé leur repas, Michael aida Johan-na à débarrasser la table et à ranger plats, couverts et assiettes dans le lave-vaisselle qu’il mit en route. Comme il avait déclaré préférer un chocolat chaud à un café, pendant que Johanna délayait le cacao dans du lait, il alla allumer le feu dans la grande cheminée du salon.
Elle avait trouvé dans le débarras des coussins fanés ainsi qu’une petite table à café, un peu branlante, mais assez so-lide pour supporter des tasses et une chocolatière. Elle ap-porta le tout dans le salon.
Ils s’assirent en tailleur et, tout en dégustant leur boisson brûlante, ils regardèrent un moment en silence les flammes qui dansaient joyeusement dans l’âtre.
Michael feuilleta quelques catalogues, puis il demanda à Johanna si, aujourd’hui, elle avait fait du lèche-vitrine à Trenton.
Elle hocha négativement la tête.
— Musarder devant des boutiques n’a jamais été au nombre de mes divertissements, dit‑elle. C’est peut-être parce que je n’avais pas assez d’argent. Les cachets de Jeff servaient tout juste à régler les dépenses courantes.
Michael fronça de nouveau les sourcils.
— J’ai toujours combattu les chimères de Jeff, dit‑il. Mon frère croyait avoir du génie, alors que son talent de chanteur guitariste ne dépassait pas celui d’un bon amateur. J’avais beau lui répéter qu’il existait à travers le monde des milliers d’artistes meilleurs que lui, il refusait de m’écouter. Je l’aimais beaucoup, mais nous étions en désaccord sur une foule de sujets. Je regrette de n’avoir pas songé plus tôt à vous aider, tous les deux.
— Je t’en prie, ne te reproche rien. Du reste, Jeff n’aurait pas accepté le moindre dollar de sa famille. Il menait la vie de bohème qu’il avait toujours voulue… Et au fond, ajouta-t‑elle après un bref silence, cette existence errante m’a permis de visiter en long et en large l’ouest du pays.
Elle but le reste de son breuvage et posa sa tasse vide sur la petite table, près de la chocolatière encore à demi pleine. Puis, changeant de sujet, elle annonça :
— Ce matin, j’ai pris une décision qui risque de te dé-plaire, Michael. Je me suis inscrite dans une faculté… Oh, rassure-toi, ce n’est pas Princeton et je n’aurai pas dix kilo-mètres à parcourir pour m’y rendre ! Il s’agit d’un établis-sement, dans la banlieue de Trenton, qui prépare aux mêmes diplômes que l’université, mais en dispensant des cours en fin de journée pour les étudiants travaillant à l’extérieur.
A son tour, Michael posa sa tasse sur la table.
— Mais c’est magnifique, Johanna ! s’exclama-t‑il. Pourquoi voudrais-tu que ça me déplaise ? Je ne peux que t’approuver ! Quelles matières as-tu choisies ?
— Littérature anglaise et histoire de l’art…
Heureuse de la réaction de Michael, elle s’agenouilla, s’assit sur ses talons et ajouta, tout excitée :
— La rentrée a lieu la semaine prochaine. Je l’attends avec impatience.
Il la prit par les épaules et l’obligea à se rapprocher de lui.
— Je suis fier de toi, et persuadé que Jeff l’aurait été au-tant que moi.
Elle se dégagea alors doucement, et il s’étonna de sa réaction.
— Ai-je dit quelque chose qui t’a déplu ?
— Non, bien sûr que non.
— Alors pourquoi ce recul ? Tu parais contrariée. Est-ce parce que je viens d’évoquer la mémoire de Jeff ? Te manque-t‑il toujours à ce point ?
— Non… du moins pas de la manière à laquelle tu penses, dit‑elle en lui offrant un petit sourire triste.
— Alors de quelle manière ?
Elle soupira et baissa les yeux.
— C’est difficile à dire. J’avais l’habitude de discuter de tout avec lui.
— Mais je suis là, Johanna.
— Pour remplacer Jeff ? demanda-t‑elle étourdiment.
Il se raidit et ses yeux devinrent aussi froids que des gla-ciers.
— Ne te méprends pas. Jamais je n’ai eu l’intention de prendre la place de mon frère.
— Je ne le désire pas non plus.
D’une pression sur sa joue, il l’obligea à tourner la tête vers lui, puis il étudia son visage. Une rougeur le colorait, et une lueur dans les yeux noisette lui envoya des ondes brû-lantes dans le sang.
— Que veux-tu exactement, Johanna ?
— Rien d’autre que ce que tu m’offres : un toit, un emploi et ta présence. Je t’en suis infiniment reconnaissante.
— Je refuse ta gratitude.
— Je le sais, mais tu l’as quand même, murmura-t‑elle.
La douceur de sa voix émut Michael, qui se sentit soudain étrangement oppressé. Il accentua la pression de sa main sur la joue enfiévrée et rapprocha leurs deux visages.0
Johanna leva alors le sien dans une invitation aussi ar-dente que silencieuse. Michael n’eut qu’à se pencher légè-rement pour l’embrasser au coin des lèvres. En même temps, il essayait de minimiser l’importance de son geste.
« Ce n’est qu’un baiser fraternel », se dit‑il.
Mais Johanna l’enlaçait et se pressait maintenant contre lui. Leurs bouches se joignirent. Elles avaient le goût du chocolat. Johanna se revoyait neuf ans plus tôt et retrouvait, intacte, sa passion d’adolescente. Des vagues voluptueuses l’envahirent et lui brûlèrent les reins. Les pulsions qu’elle avait retenues depuis son arrivée chez Michael s’épanouirent soudain dans un tourbillon qui lui ôta toute pensée raison-nable.
Au lieu de s’écarter, elle avait mis les deux bras autour du cou de Michael, qui l’embrassait maintenant avec fougue. Tandis qu’il buvait son souffle et mordillait ses lèvres, il caressait les courbes du corps blotti contre le sien. Glissant la langue dans la bouche entrouverte, il explora son palais en gémissant de bonheur.
Mais Johanna voulait davantage encore.
Dans le mouvement qu’elle fit pour déplier ses jambes et obliger Michael à s’allonger près d’elle, elle heurta un des pieds de la table. Celle-ci bascula, projetant les tasses vides sur Michael et le contenu de la chocolatière sur la moquette et sur les épaules de la jeune femme.
Le choc les dégrisa tous les deux. D’un seul élan, ils se relevèrent, puis examinèrent le gâchis, avant de se regarder, hébétés.
Michael secoua la tête comme pour remettre ses idées en place.
— Excuse-moi, dit‑il.
Et il fila vers la cuisine, d’où il revint quelques secondes plus tard avec un rouleau de torchons en papier.
Debout, figée de stupeur, Johanna avait l’impression d’émerger d’un rêve. Comment tout cela avait‑il débuté ? En ce moment, la chair encore palpitante, elle se souvenait seulement qu’elle avait parlé de l’université, de Jeff, et qu’elle avait remercié Michael pour son aide.
Elle se baissa et l’aida à éponger le chocolat sur la mo-quette, mais, comme une trace subsistait, elle alla chercher un linge mouillé et frotta la tache jusqu’à ce qu’elle eût complètement disparu.
L’activité était un excellent remède pour apaiser la fièvre qui l’avait soudain embrasée.
L’incident réparé, elle se releva et regarda Michael. Il pa-raissait secoué, lui aussi, mais ses yeux clairs avaient perdu l’éclat passionné qu’elle avait cru y découvrir quelques minutes plus tôt. Regrettait‑il d’avoir cédé à cette brusque flambée de désir ?
En réalité, il était stupéfait. Il avait seulement voulu la ré-conforter par un geste fraternel, et ses sens l’avaient trahi. A présent, il serait difficile de convaincre Johanna de la pureté de ses intentions. En lui offrant de venir tenir sa maison, il n’avait jamais eu, en arrière-pensée, l’idée d’en faire sa maîtresse.
— J’ai trahi ta confiance, murmura-t‑il. Je suis désolé.
— Ne t’excuse pas. C’est moi la fautive, et je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris. Un besoin d’affection, peut-être…
Il désigna les taches brunes qui maculaient le pull en lai-nage blanc.
— La chocolatière ne t’a pas épargnée, remarqua-t‑il. Pourras-tu faire disparaître ces traces aussi facilement que sur la moquette ?
— Oui. Je laverai mon lainage demain. Ce soir, je suis rompue de fatigue et je vais me coucher. Bonsoir, Michael…
Sur le seuil du salon, elle se retourna vers lui en se forçant à rire.
— Comique, non, tout ce chambardement pour un petit baiser ? Ciel, j’ai été mariée pendant huit ans ! Toi et moi, nous nous connaissons depuis toujours et, jamais je ne me suis comportée aussi maladroitement… Dis-moi que ce n’était qu’un petit baiser sans importance.
— C’est ce que tu veux entendre ?
— Oui. Avoue également que j’ai été idiote.
— Alors, tu es une idiote, Johanna, et ce n’était rien de plus qu’un amical petit baiser. Satisfaite ?
Elle approuva d’un signe de tête et lui adressa un vrai, un chaleureux sourire.
Il combattit l’envie de franchir l’espace qui les séparait et de la prendre dans ses bras. Raide, le menton levé, le regard volontairement vide, il annonça d’un ton solennel :
— Nous allons devoir apprendre à vivre ensemble comme nous le désirons. Avec de la patience, nous y arriverons.
— Ni l’un ni l’autre nous n’avons jamais été patients, remarqua-t‑elle d’un ton ambigu.
— Rassure-toi ! Comme nous sommes doués, nous ap-prendrons vite.
En quelques mots, il venait de définir les limites à ne pas dépasser.
C’était le langage de la raison, et Johanna ne pouvait que l’approuver.
Pourtant, jusqu’à ce que le sommeil l’engloutisse, elle ne put se débarrasser d’une indéfinissable nostalgie.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ**   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 09-10-08, 03:11 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 3
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:
ÚÖæ ÑÇÞí


ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Feb 2008
ÇáÚÖæíÉ: 62940
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 1,517
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 247

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏItaly
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ßÇÊÈ ÇáãæÖæÚ : **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÇáãäÊÏì : ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÇÝÊÑÇÖí

 

4

Michael ne voulait pas se montrer tyrannique mais, après l’incident de la veille, il éprouvait l’impérieux besoin d’édifier de solides barrières entre Johanna et lui.
Elle semblait avoir oublié ce qui s’était passé entre eux et, ce matin, tandis qu’ils parcouraient les rayons d’un magasin d’ameublement, il arrivait à Johanna de saisir amicalement le bras de Michael pour lui communiquer son enthousiasme devant une bergère ou le chatoiement d’une tenture. Il se libérait très vite en objectant que, décidément, ils n’avaient pas les mêmes goûts. Nullement vexée, elle riait et poursuivait ses recherches.
Elle s’arrêta pour feuilleter un album d’échantillons de tissus pour doubles rideaux. La foule habituelle du samedi les entourait, et Michael avait tout le loisir d’étudier le fin visage si près de lui.
Comment pouvait‑elle se montrer aussi insouciante, alors qu’il ne pensait qu’aux baisers échangés la veille ? Il se moquait bien de la manière dont sa maison serait décorée ! Et c’était surtout par esprit de contradiction, pour prendre ses distances avec la jeune femme, qu’il refusait la plupart de ses suggestions.
Michael avait une préférence pour le verre, l’acier, le plastique et le teck des meubles modernes. Elle avait tout de même réussi à le convaincre que pour les sièges, le beau cuir ou le velours étaient des matières plus confortables que le plastique ou l’acier.
Dans un premier magasin, il avait donc commandé deux divans et cinq fauteuils, de style classique, recouverts de velours frappé d’un lumineux jaune d’or. Elle y avait ajouté des petites tables gigognes en acajou, ainsi que des éléments modulables de bibliothèque, où elle rangerait tous les livres abandonnés dans la resserre. Il avait froncé les sourcils, mais s’était résigné.
Toutefois, il avait tenu bon pour la salle à manger. La table se composerait d’un lourd plateau de marbre sur piè-tement d’acier, et les douze chaises seraient du plus pur design, comme le meuble bas qui servirait de vaisselier. En outre, comme il ne voyait pas l’utilité de posséder un fumoir, il transformerait le second salon en bureau. Celui-ci, naturellement, ne renfermerait que des meubles fonctionnels.
Et à présent, en dépit de l’expression de réprobation qu’il affichait, Johanna insistait pour qu’il commande des doubles rideaux en chintz fleuri qui, disait‑elle, rompraient la mono-tonie du design, qu’elle tenait pour un style banal, triste et snob.
Il se *******ait de répondre :
— Oui, oui, tu as peut-être raison…
Mais il n’écoutait que la musique de sa voix.
Elle avait relevé ses cheveux blonds en un chignon qui dégageait sa nuque. La grâce de son cou, lorsqu’elle se pen-chait sur un album d’échantillons, sa façon de caresser le tissu du bout du doigt, devenaient autant de signaux qui obnubilaient la raison de Michael et attisaient l’envie qu’il avait d’elle. Habiter à Park House avec l’objet de son désir, un objet auquel il refusait de toucher, risquait de devenir un défi de tous les instants.
Dès que les commandes furent passées, il décida d’emmener la jeune femme déjeuner dans un restaurant de Pleasant, agréable station balnéaire située à une centaine de kilomètres de Trenton. Après le repas, il lui proposerait une longue promenade sur la plage. Pour juguler l’ardeur de ses sens devenus trop prompts à s’émouvoir, il ne connaissait rien de tel qu’une bonne marche contre le vent.
La journée se déroula comme Michael l’avait prévu. Le soir, ils rentrèrent si fatigués qu’ils se *******èrent, pour le dîner, d’une pizza achetée sur le chemin du retour.
Johanna avait senti les réticences de Michael. Aussi s’appliquait‑elle à ne rien faire qu’il pût interpréter comme une provocation. Elle évitait même son regard et choisissait des sujets de conversation qui ne prêtaient à aucune équi-voque.
Alors qu’ils terminaient leur repas en dégustant une sa-lade de fruits, elle parla des commandes du matin et s’étonna de la longueur des délais de livraison.
Michael haussa négligemment les épaules.
— Après avoir attendu plusieurs mois avant de me décider à meubler de nouveau le rez-de-chaussée, je ne suis plus à quelques semaines près. Mais tu me parais bien lasse…
— « Epuisée » serait un terme plus juste. J’ai hâte de me mettre au lit. Auparavant, je prendrai avec plaisir un bain chaud pour me détendre.
— As-tu remarqué qu’ici toutes les baignoires sont équi-pées d’un Jacuzzi ?
— Oui, mais je t’avoue n’avoir encore jamais utilisé ce genre de raffinement.
— Alors, c’est le moment d’essayer. Tu verras, c’est très délassant.
Un peu plus tard, ils se séparèrent sur le palier de l’étage, après s’être souhaité mutuellement bonne nuit.
Johanna traversa sa chambre et, tout en ôtant les épingles qui retenaient son chignon, elle alla étudier le petit tableau de commande au-dessus de la baignoire.
— Trop compliqué pour moi, murmura-t‑elle.
Elle n’avait jamais pris de bain bouillonnant. Avant qu’ils n’achètent leur caravane, Jeff et elle descendaient dans des hôtels trop modestes pour offrir ce luxe à leurs clients.
Elle natta ses épais cheveux, releva et attacha la natte sur le dessus de sa tête, et s’apprêtait à ouvrir les robinets de la baignoire lorsqu’elle entendit frapper à la porte de sa chambre.
— Entre ! cria-t‑elle.
Michael la rejoignit.
— Tu sais mettre le Jacuzzi en route ?
— Non, cela me paraît compliqué.
Il se glissa entre elle et la baignoire
— Je vais te montrer, dit‑il. Combien de temps désires-tu rester dans l’eau ?
— Je ne sais pas… Un bon quart d’heure.
Il se pencha, régla la minuterie, ouvrit les robinets et les laissa couler quelques instants avant d’appuyer sur une touche. Immédiatement, la surface de l’eau se mit à frémir.
— Voilà, ce n’est pas plus difficile que ça.
En se retournant, il faillit la heurter. Ils restèrent face à face, dans un silence que troublait un bruit de cascade. Mi-chael vit briller une lueur dans les yeux noisette et, aussitôt, le désir revint fouetter ses sens avec une violence qui le surprit. A cet instant, il eût arraché avec plaisir les vêtements de la jeune femme pour la contempler dans sa somptueuse nudité. Il voulait la toucher, la caresser…
Il serra les dents pour maîtriser une pulsion qui boulever-sait la ligne de conduite qu’il s’était imposée. Johanna, elle, ne pouvait détacher son regard du visage de Michael. Si les traits restaient impassibles, les yeux bleus étaient éloquents. Elle voyait y miroiter une lueur semblable à celle qu’elle y avait surprise, la veille, dans le salon.
Allait‑il l’embrasser de nouveau ? Elle en frémit d’espoir, et la faim qu’elle avait réussi à ignorer au cours des dernières vingt-quatre heures revint la tarauder. Elle aspirait à sentir les lèvres de Michael sur les siennes. L’idée de lui offrir de partager son bain l’effleura, tandis que l’image d’une nudité virile l’enflammait, lui envoyant, jusqu’au creux du ventre, une douloureuse flèche de désir.
Peu habile à dissimuler ce qu’elle éprouvait, elle ne pou-vait empêcher ses yeux de pétiller et ses joues de rougir.
Michael regardait le fin visage se transformer, tandis que lui-même avait de plus en plus de mal à se dominer. A cet instant, il se souvint de la jeune fille sans complexe, au tempérament ardent, qui, neuf ans plus tôt, l’avait entraîné dans l’ancien pavillon de gardiens de ses parents. Il se de-manda quel genre de vie sexuelle elle avait eue avec Jeff.
Aussitôt, cette pensée le dégrisa. Johanna était sa belle-sœur et, une fois pour toutes, il s’était interdit ce genre de question.
Leur brûlant échange de regards n’avait duré que quelques secondes. Michael se reprit le premier. Il passa près de Johanna sans la frôler, et dit d’un ton qu’il voulait léger :
— Dépêche-toi de profiter de ton bain. Un quart d’heure, tu verras, c’est très court.
Elle esquissa vers lui un geste de la main, comme pour le retenir. Il affecta de ne rien voir et se dirigea d’un pas ferme vers le palier.
Johanna ferma les robinets de la baignoire, aux deux tiers pleine. De grosses bulles crevaient maintenant la surface de l’eau. Une vapeur dense emplissait la pièce, rendant opaques les vitres et les miroirs.
Elle effaça la buée sur la glace au-dessus du lavabo et se regarda sans se reconnaître. Etait-ce bien elle, cette femme aux yeux élargis et brillants, aux joues écarlates ? Elle suait le désir par tous les pores de sa peau.
Vexée d’avoir ainsi dévoilé ses plus secrets démons, elle se déshabilla à la hâte, puis s’allongea dans l’eau bouillon-nante.
Bientôt, ses muscles raidis de fatigue se détendirent. Les petits jets envoyaient sur sa peau des ondes revigorantes. Elle roula sur le côté, puis se mit sur le ventre, afin que tout son corps pût bénéficier des doux et reposants massages. Les bulles dansaient joyeusement autour d’elle. Michael avait raison : c’était extrêmement agréable !
Elle s’abandonna un long moment à ce nouveau plaisir, puis elle s’assit, les genoux repliés contre sa poitrine, et pensa de nouveau à Michael.
La situation entre eux risquait de devenir difficile. En ac-ceptant le poste de gouvernante, elle s’était crue guérie de-puis longtemps de son amour pour l’aîné des Ross. En outre, au cours de ses huit années de vie conjugale, vu qu’elle n’avait jamais retrouvé avec Jeff le bonheur ressenti avec Michael, elle en avait déduit qu’elle était frigide. Et pendant ces dernières années, le célibat, que la dégradation de son couple puis la mort de Jeff lui avaient imposé, avait renforcé sa conviction : le sexe et ses jouissances, dont parlent les livres et que montrent les écrans de télévision, ne l’intéressaient pas.
Elle s’était trompée. Son amour pour Michael était intact. Entre eux surgissait de nouveau l’ancienne attirance de leur jeunesse. Michael y résistait, c’était évident, et cela pour une raison qu’elle devinait sans peine.
Il conservait sans doute, dans les replis de son âme, une rancune à l’égard de l’adolescente qui, après s’être offerte à lui sans aucune pudeur, s’était enfuie quelques jours plus tard avec son frère. Une légèreté que sa morale rigide ne pardonnerait jamais. Ennemi des compromis, Michael la considérait maintenant comme une parente intouchable, qu’il se devait de protéger. Et même si la femme qu’elle était devenue réveillait en lui l’ancien désir, il s’interdisait de céder à ses pulsions.
Perdue dans ses pensées et ses regrets, Johanna ne s’était pas aperçue que les jets s’étaient arrêtés. Ce fut la fraîcheur de l’eau qui la ramena au présent.
Elle sortit de la baignoire et en ôta la bonde avant de s’envelopper dans un des moelleux peignoirs en éponge qu’elle avait découverts dans la lingerie. Elle ramena sa natte de cheveux dans son dos et, ivre de fatigue, elle n’eut que le courage d’aller se jeter sur son lit, avec l’intention de s’y reposer quelques instants avant de s’habiller pour la nuit
Lorsqu’elle s’éveilla, les lampes étaient toujours allumées et sa montre marquait minuit.
Hébétée, elle se frotta les paupières et lutta contre l’envie de se glisser entre les draps et de s’abandonner de nouveau à un sommeil réparateur. Mais elle était assez raisonnable pour ne pas garder sur elle un peignoir humide. C’était un frisson de froid qui l’avait réveillée.
Luttant contre sa fatigue, elle se leva et ouvrit la penderie. Comme chaque fois qu’elle cherchait un vêtement, elle ne put s’empêcher de caresser la soie du déshabillé bleu pâle et de s’imaginer, paradant ainsi vêtue devant Michael. Elle chassa ce fantasme et, comme le froid la faisait grelotter, elle choisit un confortable pyjama en coton molletonné.
Une fois habillée, elle eut envie de boire quelque chose de chaud. Elle enfila ses mules et quitta sa chambre avec l’intention d’aller se faire tiédir un bol de lait dans la cui-sine.
Sur le palier obscur, elle regarda en direction de la chambre de Michael. Aucune lueur ne filtrant sous la porte, elle en conclut qu’il dormait. Elle alluma les appliques de l’escalier et descendit sur la pointe des pieds avant de courir jusque dans la cuisine.
Alors qu’elle versait le lait tiédi dans une tasse, elle crut percevoir un léger bruit, une sorte de petit clac. Elle regarda vers l’extérieur et sonda le parc que la lune éclairait. Rien ne paraissant anormal, elle en conclut qu’elle s’était trompée, ou qu’il s’agissait d’un de ces craquements mystérieux qu’on entend parfois dans les maisons anciennes.
Rassurée, elle commença de boire son lait.
Clac !… Clac !
Elle faillit s’étrangler. Aucun doute, elle ne rêvait pas. Le bruit provenait de l’intérieur de la maison.
Elle posa son bol sur la table, sortit de la cuisine et alluma toutes les lampes du couloir, puis du hall.
De nouveau, elle perçut le bruit, et cette fois si distincti-vement qu’elle l’identifia aussitôt.
Au sous-sol, à côté de la salle de musculation, Michael avait aménagé une salle de jeux comportant, entre autres, une table de ping-pong et deux magnifiques billards.
C’était le choc des boules d’ivoire que Johanna entendait. Michael n’était pas dans sa chambre comme elle l’avait cru ; il était en train de chercher à se détendre. A la vigueur avec laquelle les boules s’entrechoquaient, Johanna en déduisit que le joueur se montrait particulièrement nerveux.
Elle descendit, mais resta un moment sur le seuil de la pièce pour l’observer. Il avait choisi le billard américain, avec les quinze boules qu’il devait envoyer dans les trous percés aux quatre coins de la table.
En robe de chambre bordeaux sur un pyjama de même couleur, Michael circulait d’un côté à l’autre de la table, s’acharnant rageusement après les boules retardataires. D’une poussée particulièrement réussie, il en envoya une série dans deux trous opposés.
— Joli coup ! lança Johanna.
Michael redressa le buste et tourna la tête vers la porte. Il la regarda avec une lueur de réprobation dans les yeux.
— Que fais-tu ici ?
— Je peux te retourner la question, riposta-t‑elle. L’un comme l’autre, nous devrions être en train de dormir dans nos lits respectifs. Je suppose que, ne trouvant pas le som-meil, tu as eu envie de te détendre. Moi, j’étais venue boire un lait chaud dans la cuisine quand j’ai entendu le bruit du billard. La curiosité m’a conduite jusqu’au sous-sol. Je te dérange ?
« Diable, oui ! » pensa-t‑il. Il venait juste de l’effacer de son esprit et de parvenir enfin à se concentrer sur son jeu. Mais, courtoisement, il répondit par la négative et ajouta qu’il était souvent sujet à des insomnies après une longue marche le long de l’océan.
Elle hochait la tête, compréhensive.
— Puis-je disputer une partie avec toi ? demanda-t‑elle.
Michael haussa des sourcils incrédules.
— Tu sais jouer au billard ?
— Oui, mais avec une préférence pour le billard français. Pendant les longues nuits où j’attendais que Jeff termine son spectacle, j’aimais aller regarder les joueurs dans les clubs, ou dans les arrière-salles de brasseries. Souvent, même, je disputais une partie avec les habitués.
— Et pourquoi préfères-tu le jeu français ?
— Parce que, avec trois boules et pas de trous, il exige plus de réflexion et de calculs que le nôtre. Pour obtenir un point et l’autorisation de continuer, il faut réussir avec une seule boule à caramboler les deux autres. L’exercice exige une sacrée concentration d’esprit. Tu n’es pas de mon avis ?
— Si, et j’aimerais que tu me montres ce que tu sais faire.
Il alluma la lampe au-dessus de l’autre table. Johanna alla choisir une queue dans le râtelier fixé le long du mur. Elle en prit une de moyenne longueur, la soupesa, puis en enduisit l’extrémité avec de la craie.
Michael la regardait avec une certaine condescendance. A ses yeux, le billard n’était pas un jeu pour les femmes, et il s’attendait presque à ce que Johanna déchirât, d’un geste maladroit, le précieux tapis vert qui recouvrait la table.
— A toi l’honneur, dit‑il en lui désignant les trois boules.
Johanna se pencha, visa la rouge, après avoir pris soin de soutenir et de guider la queue de sa main gauche posée en chevalet sur le tapis.
Michael apprécia cette précaution, à laquelle une débu-tante n’aurait pas songé.
Elle gagna le premier point et se mit en position pour continuer la série. Cette fois, elle calcula le meilleur angle pour que la boule rouge choque les deux blanches, mais seulement après avoir ricoché sur la bande de caoutchouc qui bordait les quatre côtés intérieurs de la table.0
Ce deuxième point éblouit Michael.
Johanna eut le triomphe modeste et se *******a d’un vague petit sourire de satisfaction. Elle ne pouvait pas avouer à Michael qu’elle avait disputé des championnats, uniquement pour de l’argent. Il en aurait été scandalisé. En outre, elle répugnait à parler de Jeff et devinait que, de son côté, Michael n’y tenait pas non plus. L’évocation de son frère lui était manifement pénible.
Quelques instants plus tôt, lorsqu’elle racontait qu’elle avait appris à jouer dans des clubs, elle travestissait légère-ment la vérité. C’était Jeff qui, dans des arrière-salles de saloons, lui avait enseigné les règles du billard français et, quand il avait découvert son adresse, il avait suggéré qu’elle devrait s’entraîner pour devenir joueuse professionnelle. Elle avait refusé, se *******ant de disputer quelques cham-pionnats au hasard des fêtes de village…
Toute fière de ses deux premiers points, elle se pencha de nouveau sur la table, mais cette fois, perturbée par le souve-nir de Jeff, elle rata son coup.
Derrière elle, Michael émit un petit gloussement.
— A mon avis, dit‑il, les deux premiers points étaient dus à la chance. Accepterais-tu que je te donne quelques conseils ?
Il était si proche qu’elle sentait son souffle lui effleurer la nuque. Aussitôt, elle eut envie de se pencher en arrière et de se blottir contre lui. Elle se retint et, pour mieux maîtriser ses pulsions, elle choisit de le défier.
— Je n’ai que faire de tes conseils. En m’appliquant da-vantage, je te battrais aisément.
— Ça m’étonnerait. Veux-tu parier ?
— Parier quoi ? De l’argent ?
— Non. J’estime que, lorsqu’on joue entre amis, ce genre d’enjeu n’est pas convenable.
Johanna sentit son visage s’enflammer. S’il savait com-bien d’enjeux de ce genre elle avait acceptés et encaissés !
— Alors qu’est-ce qu’on parie ? demanda-t‑elle.
Elle espérait qu’il répondrait : « un baiser », mais si l’idée le traversa, il ne s’y arrêta pas.
— Celui qui perdra offrira un dîner à l’autre.
— Les dîners, je les prépare à la maison avec tes finances. Alors, ça ne colle pas. Trouve autre chose.
— Choisissons un lunch, proposa-t‑il. Si je gagne, au lieu de me *******er, comme d’habitude, d’un sandwich dans mon bureau, je serai ton invité dans un bon restaurant.
— D’accord ! approuva-t‑elle en riant.
Il prit sa place et commença par marquer six points d’affilée. Johanna se dit que la compétition serait serrée. Le grand corps de Michael se déplaçait d’un côté de la table à l’autre avec une vivacité et une souplesse de félin. Elle le caressait d’un regard admiratif. Jamais il ne lui avait paru aussi viril, aussi musclé, aussi adroit. Peut-être devait‑il cette forme éblouissante à la gymnastique intensive à la-quelle il s’astreignait chaque soir ? En tout cas, ses gestes étaient précis et efficaces. Il visait juste et marqua même plusieurs points en faisant ricocher sa boule sur deux bandes avant qu’elle ne carambolât les deux autres. Un véritable exploit.
A ce moment, il commit l’imprudence de jeter un bref coup d’œil vers Johanna.
Immobile, admirative, la bouche entrouverte, la jeune femme léchait machinalement sa lèvre supérieure ; ce petit bout de langue, humide et rose, le fascina et l’enfiévra au point que, dès qu’il baissa les yeux sur la table, troublé, il commit la faute impardonnable de propulser sa boule avant que les deux autres ne fussent complètement arrêtées. Il s’en aperçut trop tard et lança un bref juron.
Johanna exulta.
— Trois points pour moi ! s’exclama-t‑elle.
Elle se pencha à son tour sur le tapis vert et réussit une série de quatre coups. Très fière, elle releva la tête. Leurs yeux se croisèrent. Une lueur dans le regard bleu la fit fondre de bonheur. A cet instant, elle eut la certitude que l’admiration de Michael se doublait d’un irrépressible désir. Elle en avait déjà eu l’intuition quelques heures plus tôt, alors qu’il venait de lui préparer son bain bouillonnant. Certes, il savait parfaitement contrôler ses paroles et ses gestes, mais il ne pouvait empêcher ses sentiments de se refléter dans l’azur de ses yeux. Elle savait quand il était mé*******, car ses prunelles prenaient alors des tons d’acier. Or, en ce moment, alors qu’elles auraient dû afficher le désappointement de la défaite, elles brillaient comme un ciel d’été.
Elle sentit son cœur cogner contre ses côtes. Michael était‑il affamé de tendresse comme elle l’était elle-même ? La pensée qu’ils pourraient terminer la nuit dans les bras l’un de l’autre alluma en elle une flamme dévorante. Il avait été autrefois l’enivrante aventure de sa vie. Après cette mé-morable nuit d’été, rien pour elle n’avait plus jamais été pareil. Un tel bonheur pouvait‑il se reproduire ?
Mais aussitôt, elle se souvint de l’humiliation qu’il lui avait infligée le lendemain. Ses minutes de nirvana, elle les avait payées trop cher. A présent, elle savait que, chez un homme, le désir ne s’accompagne pas obligatoirement d’un sentiment profond. Ce n’était qu’une pulsion physique, et si elle y cédait de nouveau, elle le regretterait le reste de sa vie…
— Alors Johanna, tu rêves ? Le score n’est pas encore at-teint, et c’est toujours à toi de jouer.
Elle se mordit la lèvre.
— Tu as raison, je rêvais.
Elle reporta son attention sur le jeu, mais sa main n’était plus aussi sûre. La queue partit trop vite et trop fort, en-voyant la boule sauter par-dessus la table.
— Egalité ! lança Michael. Ton étourderie va t’être fatale.
Il joua et remporta facilement la partie, ce qui renforça Johanna dans l’idée qu’une fois de plus elle avait pris ses désirs pour des réalités. Un homme amoureux n’aurait pas réussi à refouler sa passion aussi vite et à canaliser toute sa puissance de concentration sur trois boules de billard.
— Veux-tu ta revanche ? proposa-t‑il.
— Non. J’accepte ma défaite et je te dois un déjeuner…
Puis, se souvenant des formalités qui suivaient habituel-lement les championnats qu’elle avait disputés en compa-gnie de Jeff, elle demanda, tout en allant raccrocher la queue au râtelier :
— Dois-je te signer une promesse écrite ?
Il s’esclaffa.
— Quelle drôle d’idée ! Ta parole me suffit.
Elle se retourna. Il se tenait derrière elle, et si près qu’elle aurait pu compter ses longs cils noirs. Une chaleur traîtresse l’envahit de nouveau. Michael vit son trouble et se méprit.
— Aurais-je tort de te faire confiance ?
Elle lui offrit un petit sourire désabusé.
— Non, bien sûr que non. Je n’ai jamais manqué à ma pa-role… Encore que, parfois, je me demande si je peux, moi, me faire confiance.
— C’est-à-dire ?
Il avait posé les deux mains sur ses épaules et la regardait avec attention. Elle n’avait pas prévu ce geste et, à son con-tact, un besoin incoercible de tendresse l’étreignit. Envahie par un flot de douceur, elle glissait vers l’abandon. En même temps, la honte d’être aussi faible l’étouffait.
— Rien… Je… je… Il n’y a rien, balbutia-t‑elle. Je pen-sais seulement à ce qui nous est arrivé l’autre soir.
— Oui, et alors ? Nous en avons déjà discuté, dit‑il d’une voix neutre. Pour moi, l’incident est clos.
— J’en étais responsable, Michael.
— Pas plus que moi. Nous étions allés un peu trop loin, c’est tout. Ne te culpabilise pas inutilement.
— Pourtant, je le devrais. J’ai un aveu à te faire, Mi-chael… Je n’arrive pas à regretter ce qui s’est passé.
Elle perçut le frémissement des mains sur ses épaules. Presque aussitôt, il la lâcha. Mais Johanna avait surpris une flamme dans les yeux bleus. Aussi éprouva-t‑elle l’envie de le tenter, de l’obliger à briser la carapace de convenances sous laquelle il s’abritait. De toute évidence, ils étaient atti-rés l’un par l’autre. Pour elle, ce n’était pas seulement un élan des sens. Elle avait aimé Michael et cru cet amour éteint à jamais. Or, voilà que son cœur vibrait de nouveau, et avec la même ardeur qu’autrefois.
Mais elle ignorait tout des sentiments de Michael. Il s’était reculé d’un pas. Elle franchit cette courte distance et leva vers lui un visage noyé de trouble.
— Avoue que tu as apprécié cet instant pendant lequel nous avons enfreint les règles que, tacitement, nous nous imposons… Embrasse-moi, Michael !
Il lui décocha un regard brûlant mais indéchiffrable. Désir ou haine ?
La seconde suivante, il l’étreignait et sa bouche fondait sur la sienne. Il lui écrasait les lèvres et, tandis que le goût de cet ardent baiser se répandait comme une traînée de feu dans ses veines, Johanna tentait en vain de rassembler ses idées. Son corps vibrait dans une plénitude de sensations qui obnubilaient jusqu’à la dernière parcelle de raison.
De son côté, Michael luttait désespérément pour com-battre le tumulte de ses sens, afin de conserver la maîtrise de la situation.
Il s’abandonna pendant quelques instants à la frénésie de son désir et dévora la bouche si tentante, mais il réussit enfin à s’écarter de cette femme qui le rendait fou. Il respira à fond avant d’annoncer d’une voix rauque :
— Comme tu le constates, je ne suis pas de pierre, Jo-hanna. Ce qui est arrivé l’autre soir peut se reproduire à tout moment… avec, cette fois, des conséquences que je refuse, parce qu’elles nous embarrasseraient tous les deux. Peux-tu comprendre cela ?
La tête baissée pour éviter son regard, elle comprenait surtout qu’elle venait de se rendre ridicule en provoquant un homme qui la désirait sans l’aimer. Seigneur, qu’allait‑il penser d’elle ! Avec son humour décapant, teinté de mépris, ne serait‑il pas enclin, dorénavant, à ne plus voir en elle qu’une veuve au tempérament ardent, frustrée de plaisirs sexuels ?
« Je ne suis pas de pierre », lui avait‑il lancé. Et effecti-vement, avant de l’étreindre avec fougue, il l’avait dévisagée avec des yeux brûlant de désir. Mais jamais elle n’aurait dû abandonner sa dignité en lui demandant de l’embrasser. Son impudence lui valait maintenant une cuisante humiliation.
Elle tressaillit lorsque, d’un doigt, il lui releva le menton.
— Johanna ?
— Oui.
— Tu es fâchée ?
— Mais non… Pourquoi cette question ?
— Je voulais m’assurer que nous étions toujours amis.
— Rassure-toi, nous le sommes…
Elle réussit à lui sourire gentiment avant d’ajouter :
— … A présent, si tu permets, je monte me coucher.
Elle se hâta de quitter la salle de billard.
Il écouta décroître le bruit de ses pas. Lorque le silence fut revenu, il exhala un long soupir. Son corps, raidi de désir, se détendait lentement en lui laissant une pénible impression de défaite.
Lorsque, par téléphone, il avait offert son aide à sa belle-sœur, il n’avait pas imaginé que, en ravivant l’ancienne blessure, la cohabitation serait si difficile.
Il allait devoir se montrer de plus en plus distant, et cette attitude lui pèserait beaucoup : en dehors du fait que la jeune femme excitait ses pulsions sexuelles, il éprouvait un vif plaisir à la retrouver le soir et à bavarder avec elle. Intelli-gente, l’esprit vif, elle était également une interlocutrice de bon conseil. Même s’il ne se rendait pas toujours à ses rai-sons, le seul fait de discuter avec elle et, au besoin, de la contredire apportait du piment dans sa vie
Jeff avait‑il apprécié à leur juste valeur les qualités de son épouse ? Johanna avait‑elle été heureuse avec lui ?
C’étaient des questions qu’il n’aimait pas se poser, et en-core moins poser à la jeune femme. Elles appartenaient au passé, un passé douloureux, plein de regrets et de larmes.
Et en ce moment, les complications qu’il prévoyait lui faisaient assez mal augurer de l’avenir

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ**   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 09-10-08, 03:15 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 4
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:
ÚÖæ ÑÇÞí


ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Feb 2008
ÇáÚÖæíÉ: 62940
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 1,517
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 247

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏItaly
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ßÇÊÈ ÇáãæÖæÚ : **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÇáãäÊÏì : ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÇÝÊÑÇÖí

 

5

En dépit du pessimisme de Michael, les deux semaines qui suivirent s’écoulèrent dans une parfaite harmonie. Une raison majeure à cette agréable cohabitation : les deux occu-pants de Park House n’eurent que peu d’occasions de se rencontrer.
Certes, chaque matin, ils s’asseyaient l’un en face de l’autre à la table du petit déjeuner, toujours préparé par Johanna avec le même souci de perfection. Mais le dialogue se réduisait à sa plus simple expression.
C’était une semaine difficile pour Michael, qui se débat-tait, dans son entreprise, avec des problèmes de douanes et de transports. Pour les résoudre, il devait souvent se rendre dans les Etats voisins et y passer la journée. Ses horaires étaient minutés, tous ses déjeuners planifiés avec des clients, si bien que Johanna n’eut pas le loisir de s’acquitter de sa dette de jeu. Michael lui avait promis que, si aucun incident ne venait contrarier ses projets, il se libérerait pour déjeuner avec elle le jeudi suivant.
Johanna s’accommodait fort bien des apparitions réduites de Michael. Après avoir cru ne jamais se relever de l’humiliation qu’il lui avait infligée dans la salle de billard, elle avait longuement réfléchi et pris une résolution.
Trop fière pour frapper de nouveau à une porte qui s’était refermée brutalement devant elle, elle s’était juré de ne plus jamais provoquer son beau-frère, ni même de lui manifester la moindre marque d’affection. Dorénavant, elle ne verrait en lui que ce qu’il était : un homme aux principes rigides, qui avait besoin d’une gouvernante pour tenir sa maison.
Le temps lui paraissait même s’écouler trop vite. Chaque jour, une partie du mobilier, qu’ils avaient choisi ensemble, arrivait selon les stocks disponibles en usine. La grande table de salle à manger fut livrée la première. Michael ayant décidé qu’un cabinet de travail lui serait plus utile qu’un fumoir, il avait commandé de son côté des meubles de bu-reau. Ceux-ci étaient arrivés trois jours plus tard. En re-vanche, tous les sièges, fauteuils, divans et chaises, n’étaient pas encore disponibles.
Aménager les pièces au fil des livraisons, habiller les fe-nêtres, autant d’occupations qui emplissaient les journées de Johanna. En outre, comme les facultés avaient ouvert leurs portes, elle se rendait à ses cours les mardi, jeudi et vendredi, de 18 à 22 heures. Ces soirs-là, Michael dînait seul. Avant de partir, Johanna dressait le couvert après avoir cuisiné des plats qu’il n’avait plus qu’à réchauffer au micro-ondes.
Lorsqu’elle revenait, il travaillait dans son nouveau bu-reau aux dossiers qu’il rapportait de l’entreprise. Et elle n’échangeait avec lui qu’un rapide bonsoir.
Ce dimanche-là, après avoir déjeuné rapidement à la mai-son d’une délicieuse côte de bœuf rôtie, Michael proposa à la jeune femme une brève escapade dans la Pennsylvanie voisine. Ses parents prolongeaient leur croisière. Aussi Ar-lène et Steve Ross avaient‑ils téléphoné à leur fils pour lui demander d’aller jeter un coup d’œil sur le manoir familial. Il s’assurerait que le personnel était bien à son poste et que rien de fâcheux n’était survenu pendant l’absence des pro-priétaires.
Johanna eut du mal à reconnaître les lieux de son enfance. Un étage rehaussait maintenant l’ancienne maison de ses parents, et plusieurs villas modernes avaient été construites aux environs.
Certes, montagnes et forêts étaient toujours aussi belles. Le manoir des Ross dressait toujours sa façade géorgienne au milieu d’un parc touffu, mais le pavillon de gardiens avait disparu, remplacé par des boxes de garage. Le personnel, un couple dont l’homme exerçait le métier de jardinier et la femme celui d’intendante, logeait maintenant à l’intérieur du manoir. Il avait accompli correctement ses tâches.
De retour à Park House, Michael put téléphoner à ses pa-rents pour les rassurer.
Pendant cette promenade, il s’était intéressé aux cours que suivait Johanna. De son côté, celle-ci l’avait questionné sur les problèmes qu’il rencontrait avec les douanes et le syndicat des routiers. Des conversations banales, anodines, qui n’avaient aucun effet dévastateur sur leurs relations.
Ils pouvaient maintenant se regarder sans passion… du moins avaient‑ils réussi à tenir la bride à leurs pulsions et à enfouir au plus profond d’eux-mêmes les sentiments – amour ou rancœur – qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre.
Johanna avait obtenu la confirmation qu’elle pourrait s’acquitter de sa dette le jeudi suivant. Ce jour-là, Michael serait son invité au restaurant.
Au cours des trois jours qui suivirent, Johanna ne pensa plus qu’à ce prochain tête-à-tête. Elle le voulait décontracté et souhaitait que Michael cessât, au moins le temps d’un déjeuner, de se montrer excessivement poli envers elle. Si jamais il continuait de multiplier les « s’il te plaît… », « je t’en prie… », « comme tu voudras, Johanna… », elle serait capable de l’étrangler ou de lui lancer son assiette à la fi-gure !
Comme il lui avait laissé le choix de l’établissement, elle envisagea d’abord de l’emmener au bord de la Delaware River, dans une guinguette réputée pour abriter des couples d’amoureux dans ses loggias de verdure.
Mais elle préféra y renoncer. L’invitation risquait d’être considérée comme une provocation par le trop vertueux Michael.
Elle pensa alors à un quatre étoiles des environs de Tren-ton.
« Trop onéreux », se dit‑elle presque aussitôt. En outre, Michael affichait des goûts simples et n’avait que trop sou-vent l’occasion de fréquenter ce genre d’établissement en compagnie de ses clients.0
Le mercredi, elle sut ce qu’elle allait faire, et l’idée lui en parut si plaisante qu’elle se surprit à chantonner toute la journée.
A midi, la société Ross d’import-export se vidait de tous ses employés. Ils se retrouvaient alors dans un restaurant d’entreprise du centre-ville et disposaient de deux heures de liberté.
Deux heures de tranquillité pour Johanna et son invité !
Comment n’y avait‑elle pas pensé plus tôt ! Elle cuisine-rait un pique-nique particulièrement raffiné et ils le savoure-raient tous les deux dans le bureau directorial de Michael.
Elle connaissait les lieux. Un jour, au cours de la semaine qui avait suivi son arrivée à Trenton, elle était allée rendre visite à Michael, au quinzième étage de la tour qui abritait sa société. Il lui avait expliqué la signification des graphiques sur les murs. Du bureau, elle avait admiré la vue sur la ville et sur les collines de Pennsylvanie, au-delà de la Delaware River. L’entreprise était superbement installée, avec de vastes bureaux, une salle de conférences, des plantes vertes dans le hall et dans les salons d’attente. Johanna avait fait la connaissance de la secrétaire de Michael : une femme d’une cinquantaine d’années, bon chic bon genre, le chignon tiré en arrière et les yeux vifs derrière des lunettes cerclées d’acier.
Toute la matinée du jeudi, Johanna mitonna et assaisonna les mets préférés de Michael : un poulet frit, une salade verte agrémentée d’olives, de tomates, de crevettes et de grains de maïs. Pour le dessert : un cake au chocolat. Scrupuleuse, elle avait acheté tous les ingrédients du repas avec ses propres fonds, prélevés sur l’avance de salaire que lui avait consentie son employeur le lendemain de son arrivée.
Elle emballa soigneusement la nourriture dans un grand panier d’osier, y ajouta assiettes en carton, couverts, gobelets en plastique. Elle couvrit le tout d’un torchon, se réservant de s’arrêter en ville pour acheter une bouteille de champagne.
En jean et pull blanc, elle quitta Park House assez tôt pour arriver à l’heure au rendez-vous que lui avait fixé Michael. Croyant aller au restaurant, il l’attendrait à midi dans le grand hall d’entrée de la tour.
Malheureusement, des travaux de voirie la retardèrent, puis elle perdit encore un temps précieux à chercher une place pour la jeep avant d’aller acheter le champagne, si bien que, lorsqu’elle se gara sur le parking privé de l’entreprise, midi était passé depuis dix bonnes minutes.
L’entrevue s’annonçait mal, car elle savait Michael très pointilleux sur l’exactitude. Elle risquait de découvrir un homme exaspéré, irascible… si toutefois elle le trouvait, car il n’était pas dans le hall. Connaissant son impatience, elle le soupçonna d’être allé déjeuner seul en ville.
Et s’il était remonté dans son bureau, se passant de repas comme cela lui arrivait souvent ?
Souhaitant que cette hypothèse fût la bonne, Johanna prit l’ascenseur qui desservait directement le quinzième étage.
Il n’y avait personne à la réception, l’employée ayant quitté son poste pour aller déjeuner. La secrétaire de Michael était partie, elle aussi, mais à la grande surprise de Johanna, elle avait laissé son bureau ouvert.
La jeune femme le traversa et alla frapper à la porte di-rectoriale, qu’elle poussa sans attendre d’en avoir reçu l’autorisation.
Elle s’immobilisa sur le seuil. Michael n’était pas seul et, à l’expression du regard qu’il lui lança, elle comprit qu’il n’était pas précisément heureux d’être dérangé.
Assis devant lui se trouvait un homme de haute taille, en saharienne, les épaules larges et les cheveux roux. Johanna ne le voyait que de dos.
Elle s’empourpra et mit vivement la main sur sa bouche.
— Oh, j’ignorais que tu étais occupé ! Excuse-moi d’avoir interrompu votre conversation, Michael…
Le visiteur s’était levé. Il se retourna, s’avança vers elle en lui souriant et protesta :
— Je vous en prie, madame, entrez. Je m’appelle Jack Larsen, précisa-t‑il. A qui ai-je l’honneur ?
— Johanna Ross, répondit‑elle en serrant machinalement la main tendue.
Jack Larsen ? Le nom lui était familier. Ainsi, elle avait devant elle le Texan dont Michael lui avait si souvent parlé, un magnat du textile qu’il espérait compter un jour au nombre de ses clients.
Mon Dieu, aurait‑elle interrompu une discussion au sujet du contrat ? Si jamais son intrusion compromettait un projet que Michael caressait depuis plusieurs mois, il ne lui par-donnerait jamais son initiative ! Mais pourquoi ne lui avait‑il pas téléphoné pour remettre leur déjeuner à un autre jour ?
Comme s’il lisait dans ses pensées, il annonça d’un ton bref :
— Je t’ai appelée, mais n’ai reçu aucune réponse.
Le menton levé, les traits réprobateurs et l’œil sévère, il lui ordonnait silencieusement de repartir sur-le-champ. Elle comprit l’injonction et, confuse, s’excusa de nouveau.
— Pardonnez-moi, monsieur Larsen. C’est un malentendu. J’ignorais votre présence ici. Je vous laisse avec Michael.
Mais alors qu’elle s’apprêtait à pivoter, le Texan la retint par l’épaule.
— Vous ne nous dérangez pas, rassurez-vous…
Et, toujours rieur, il désigna le panier qu’elle portait au bras.
— Que transportez-vous donc là-dedans avec autant de précaution ? Une bombe ?
Il souleva un coin du torchon, découvrit le goulot de la bouteille de champagne et s’exclama en regardant Michael.
— Dieu me damne, Ross ! Serait-ce pour célébrer quelque anniversaire que votre charmante épouse est venue vous surprendre ? Une double protestation lui répondit.
— Johanna n’est pas ma femme.
— Je ne suis pas l’épouse de Michael…
— Ah, bon ! dit le Texan sans s’arrêter à ces précisions. Mais le contenu de ce panier me paraît rudement alléchant.
Toujours gênée de sentir les yeux de Michael fixés sur elle avec une acuité de laser, Johanna expliqua :
— Ce n’est qu’un pique-nique. Je croyais Michael libre et j’avais l’intention…
— Un pique-nique, coupa Larsen, amusé. Croyez-vous qu’il serait suffisant pour trois ?
— Oh, oui ! Les plats sont copieux, répondit Johanna, que la bonne humeur de l’étranger rassérénait.
— Eh bien, partageons-les ensemble ! décréta Larsen d’un ton jovial…
Et se tournant vers Michael, interdit :
— … Un pique-nique dans un bureau, voilà qui nous changera des repas compassés des grands restaurants ! Qu’en dites-vous, Ross ?
— Rien, répondit Michael, pincé. Vous me prenez au dé-pourvu et je crains que cette improvisation ne manque un peu de confort.
Le Texan eut un geste insouciant.
— Oubliez le confort. Dans mon pays, on dit que c’est le ton qui fait la chanson, et qu’un bon casse-croûte avalé sur le pouce vaut mieux qu’une louche de caviar servie sur un plat d’argent par un valet en livrée. A voir le genre de boisson que Mme Ross transporte, je présume que le reste du panier est digne de *******er les plus fins gourmets.
Sa gaieté était communicative. Johanna sentit s’envoler ses derniers scrupules et, soudain joyeuse, elle annonça :
— J’ai à vous offrir du poulet frit, de la salade avec des crevettes et, pour dessert, un cake au chocolat.
— Tout ce que j’aime ! s’exclama le Texan.
Johanna quêta du regard l’approbation de Michael. Ce dernier lui adressa un sourire un peu contraint puis, guidé par le souci de ne pas déplaire à un éventuel client, il débar-rassa une partie de sa longue table de travail des dossiers qui l’encombraient. Johanna y étala une nappe à carreaux rouges et blancs. Michael alla ensuite dans le bureau de sa secrétaire et en rapporta trois chaises destinées aux visiteurs. Il les disposa à l’extrémité de la table.
Jack Larsen interpella Johanna qui dressait le couvert.
— Vous portez le même nom que Ross. Alors, si vous n’êtes pas son épouse, vous êtes sa sœur ?
— Sa belle-sœur, rectifia la jeune femme. J’avais épousé le frère de Michael. A présent, je suis veuve.
— Oh, désolé ! dit le Texan.
Il les regarda longuement tous les deux, puis répéta :
— Je suis vraiment navré, Johanna. Vous permettez que je vous appelle par votre prénom ?
— Oui, mais à condition que je vous appelle Jack, d’accord ?
Il acquiesça d’un signe de tête avant de s’emparer de la bouteille qu’il commença de déboucher.
Johanna le trouvait sympathique et même chaleureux. Toutefois, elle n’ignorait pas que ce bon vivant était aussi un homme d’affaires dur et astucieux. Aussi se deman-dait‑elle si son arrivée en pleine discussion n’avait pas été, au fond, une chance pour Michael.
Au cours de ses errances avec Jeff, elle avait au moins appris une chose : la diplomatie. A l’aise à peu près partout, elle savait d’instinct quel ton employer avec les gens qu’elle rencontrait. Elle était capable de soutenir une conversation avec un intellectuel, comme de bavarder amicalement avec un garçon de café ou de tenir tête au plus roué des imprésa-rios.
En ce moment, comme elle se sentait en phase avec le Texan, elle songea qu’avec un peu d’adresse elle réussirait peut-être à débloquer une situation qu’elle avait sentie ten-due dès son arrivée. Au moment où elle les avait surpris, les deux hommes se regardaient en adversaires plutôt qu’en amis.
Michael était un surdoué en droit international et il avait le sens des affaires, mais son maudit orgueil le rendait parfois un peu cassant.
A présent, il était assis en face d’elle. Installé entre eux, au bout de la table, le Texan versait le champagne dans les gobelets apportés par Johanna. Il riait en déclarant que ce serait la première fois de sa vie qu’il ne dégusterait pas ce vin béni des dieux autrement que dans une coupe ou une flûte de cristal. Quelques instants plus tôt, il avait empêché Michael de sortir d’un petit bar privé les verres dans lesquels le directeur de la firme offrait whisky ou gin à ses clients. Pour Michael, un gobelet était juste assez bon pour un mauvais café. Apparemment moins raffiné, Jack Larsen, lui, trouvait du piment à ce genre d’expérience.
— Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! lança-t‑il joyeusement en toquant son gobelet contre celui de ses hôtes.
Michael commençait seulement à se dire que l’arrivée in-tempestive de Johanna n’avait pas été aussi catastrophique qu’il le redoutait. Lorsque la jeune femme était entrée, la discussion avec le Texan s’éternisait, et Michael finissait par douter d’avoir jamais pour client ce riche industriel, un peu m’as-tu-vu, qu’il savait très courtisé par les autres exporta-teurs de la région.
A présent, il découvrait que l’homme, avec qui il n’avait jamais parlé que chiffres et profits, pouvait abandonner son ton autoritaire et afficher un visage aimable, voire réjoui.
Et cette transformation, Michael la devait à sa ravissante belle-sœur.
D’abord mé*******, presque choqué de l’entendre ré-pondre avec autant de désinvolture à l’industriel, il ressen-tait maintenant un grand bonheur à la contempler. Depuis des jours, il souffrait de son indifférence. Il avait voulu prendre ses distances avec elle, mais elle l’avait devancé et c’était elle qui s’était éloignée de lui. Il aurait dû être satis-fait, puisqu’il s’était interdit de la toucher. Eh bien, non ! L’attitude de Johanna le mortifiait. Mais tout en refoulant son désir, il avait joué le jeu. Son esprit rationnel lui disait qu’il se guérirait de Johanna, comme il s’était guéri des autres femmes qui, un moment, avaient partagé sa vie Pourtant, la brève aventure qu’il avait eue avec elle, une certaine nuit d’été, lui revenait constamment à la mémoire. Il avait vécu pendant neuf ans avec ce souvenir sans en être torturé, mais depuis l’arrivée de la jeune femme à Park House, c’était comme un rappel constant de tout ce qu’il avait perdu en s’effaçant devant son frère.
Toutefois, s’il définissait sans peine la nature de son atti-rance charnelle pour Johanna, en revanche, il analysait mal ses sentiments. C’était comme si une force secrète le tarau-dait, une force semblable à la présence latente du printemps, alors que l’hiver n’est pas complètement terminé.
Etait-ce cela, l’amour ?
Quelques instants plus tôt, quand il l’avait vue apparaître sur le seuil de son bureau, il avait éprouvé à la fois l’envie de l’étrangler et celle de dévorer sa bouche pulpeuse et ten-tante. En même temps, il avait été jaloux de Larsen. Oui, stupidement jaloux parce que ce dernier s’intéressait soudain à ce qu’il chérissait le plus au monde et qu’il aurait voulu garder pour lui seul, à l’abri des regards masculins.
Et apparemment, le Texan continuait d’être sous le charme. Il bavardait avec Johanna comme s’il la connaissait depuis toujours. Elle répondait habilement à ses questions, et le sourire qu’elle lui dédiait égratignait le cœur de Mi-chael.
Quel toupet elle avait eu de transformer l’austère bureau en salle de pique-nique ! Et par quelle magie avait‑elle réussi à dérider un businessman que Michael avait toujours connu abrupt et rébarbatif ?
Soudain, Jack Larsen le désigna à la jeune femme,tout en pointant dans sa direction le pilon de poulet frit qu’il était en train de dévorer.
— Votre beau-frère manquerait‑il d’humour ? Je ne fais jamais confiance à un homme qui ne sait pas s’amuser. Jo-hanna, ne pouvez-vous essayer de le décoincer ?
— C’est facile, répondit‑elle en riant.
Elle se leva, contourna la table et s’arrêta derrière Mi-chael. Accomplissant le geste qui la démangeait depuis un moment, elle lui desserra sa cravate, puis glissa une main le long de sa joue pour lui déboutonner le col de sa chemise.
Elle sentit Michael frémir et en éprouva une secrète satis-faction.
— Et voilà ! Il est maintenant tout à fait décontracté, dit‑elle, toujours rieuse. Croyez-moi, non seulement mon beau-frère a beaucoup d’humour, mais il sait aussi s’amuser quand les circonstances s’y prêtent. Vous pouvez lui accor-der toute votre confiance.
Avant qu’elle ne s’éloigne, Michael attrapa une de ses mains, qu’il embrassa rapidement.
Elle frémit à son tour, tandis que son cœur faisait un bond dans sa poitrine, mais elle continuait de sourire au Texan. Tout en reprenant sa place, elle précisa :
— Moi, je lui ai toujours fait confiance. C’est l’homme le plus actif, le plus honnête et le plus intelligent de sa profes-sion.
— Oh, là, là ! s’exclama Jack en décochant une cordiale bourrade à son voisin. Mais vous devriez employer votre belle-sœur comme chargée de communication, mon cher !
— Je reconnais qu’elle est merveilleuse, acquiesça Mi-chael.
Ils continuèrent leur repas dans la bonne humeur. Johanna grignotait, Michael choisissait avec soin ses morceaux, et Jack engloutissait tout ce qui restait dans les plats.
— Est-ce vous, Johanna, qui avez cuisiné toutes ces bonnes choses ?
— Oui.
— Eh bien, bravo ! s’exclama Jack, admiratif. Je croyais que seule Donna Sue, ma femme, était capable de servir un poulet frit de cette qualité. Tout ce que vous avez préparé était savoureux. Et ce gâteau au chocolat, un vrai délice ! En le dégustant, j’avais l’impression que c’était le bon Dieu en culotte de velours qui descendait dans ma gorge ! Il faudra que vous en donniez la recette à Donna Sue.
— Elle ne vous a pas accompagné ? demanda Michael.
— Si, mais elle est restée à New York, où elle fait du shopping dans la Ve Avenue, avec une amie. Je la rejoindrai ce soir au Plaza, où nous avons une suite retenue à l’année.
— Ma belle-sœur et moi aimerions vous recevoir à dîner, chez moi, à Park House, proposa aimablement Michael. Croyez-vous cela possible, monsieur Larsen ?
— Plus de monsieur, je vous en prie ! Johanna m’appelle Jack, alors imitez-la. Dès maintenant, laissons tomber les conventions habituelles. Ce sera plus simple et cela facilitera nos relations puisque, dès la signature du contrat, nous allons être amenés à nous rencontrer souvent.
— Alors, réfléchissez à ma proposition, Jack, insista Mi-chael. Johanna et moi serons heureux de connaître votre épouse et de vous recevoir tous les deux. Lunch ou dîner, à votre choix. Je précise que ma belle-sœur réussit aussi bien l’agneau farci que le poulet frit.
Le Texan regarda ses hôtes avec une sympathie manifeste.
— Je ne me sens pas capable de refuser une offre aussi agréable. Quel serait le meilleur moment pour vous deux ?
Johanna craignit que, dans son euphorie, Michael n’oubliât que Park House n’était encore qu’à moitié remeu-blé. Quand il rentrait, le soir, il se *******ait d’aller de la cuisine à son cabinet de travail, dans ces deux pièces tou-jours impeccablement tenues, sans même se rendre compte de la somme de labeur qu’exigeait, pour Johanna, cette pé-riode d’emménagement. Comme elle voulait recevoir le couple texan avec les honneurs qui lui étaient dus, elle prit vivement la parole :
— En ce moment, nous sommes en travaux, mais je pense que tout sera terminé dans une quinzaine de jours. Vous laisserez votre épouse choisir la date qui lui conviendra le mieux
— D’accord, je lui en parlerai dès ce soir. De toute ma-nière, nous partons pour l’Europe demain et ne reviendrons qu’en fin de mois. Dès notre retour, nous vous téléphone-rons.
Johanna capta le regard de Michael. L’admiration qu’elle y lut lui réchauffa l’âme et la conforta dans l’idée qu’elle avait accompli un exploit bien plus important que la réussite d’un repas.
Après avoir servi le café, elle consulta discrètement sa montre. Le temps avait passé trop vite et, dans une dizaine de minutes, le personnel de l’entreprise réintégrerait les bureaux. Comme elle ne tenait pas à être vue par les em-ployés avec un panier au bras, elle se leva.
— Messieurs, j’ai passé un excellent moment avec vous, mais tout plaisir a une fin, hélas ! Pour vous comme pour moi, il est temps de revenir aux choses sérieuses. Vous avez votre travail, j’ai le mien, et je dois vous quitter.
Elle enveloppa les déchets dans un sac en papier qu’elle rangea dans le panier avec la bouteille vide et les boîtes hermétiques qui avaient contenu le repas. Jack l’aida à dis-simuler le tout avec le torchon. Michael alla remettre à leur place les trois chaises empruntées au bureau de sa secrétaire, puis il redonna à sa table de travail son aspect habituel.
En s’inclinant devant Johanna alors qu’elle s’apprêtait à partir, Jack déclara d’un ton courtois :
— Ravie de vous avoir rencontrée, chère Johanna. Ce sera avec un très grand plaisir que Donna Sue et moi nous rendrons à votre invitation.
— Et moi, je serai heureuse de connaître votre épouse.
— Oh, je suis sûr que, toutes les deux, vous vous enten-drez très bien !
Ils se serrèrent la main comme des amis de longue date, puis Michael désigna à l’industriel le fauteuil des visiteurs. Il le pria de s’y asseoir et s’excusa de devoir le laisser seul un court moment. Il voulait accompagner Johanna jusqu’à l’ascenseur.
En attendant l’arrivée de la cabine, elle posa le panier à terre et, se tournant vers Michael, elle lui boutonna le col de sa chemise et resserra son nœud de cravate.
— Alors, tu m’en veux toujours ? demanda-t‑elle, mutine.
— Comment pourrais-je t’en vouloir ? Tu as été parfaite !
Il leva une main et lui caressa la joue. D’un geste enfantin, elle s’appuya tendrement sur sa paume.
Un instant de pur bonheur…
Lorsque la cabine s’ouvrit, Johanna reprit son panier. Mi-chael la retint et, rapidement, l’embrassa au coin des lèvres, comme si c’était entre eux une habitude sans importance.
Elle le remercia d’un doux sourire et s’engouffra dans la cabine. Avant que la porte ne se referme, elle croisa deux doigts en direction du bureau et murmura :
— Bonne chance !
— Je crois que c’est dans la poche. Encore merci, Johan-na !
Le panneau coulissa, emprisonnant Johanna. Elle appuya sur le bouton du rez-de-chaussée, puis toucha la commissure de ses lèvres, à l’endroit précis où Michael l’avait embrassée.
Elle se sentait un peu ivre. Le champagne ? Elle en avait peu bu. Alors, d’où lui venait sa griserie ? Du baiser de Michael, ou de la fierté d’avoir contribué à la conclusion d’une affaire plutôt mal engagée ?
Elle sortit du building, et s’installa au volant de la jeep sans avoir trouvé de réponse à sa question.
Tout le long du trajet de retour, son esprit bouillonnait. Après cet heureux intermède, ses relations avec Michael seraient‑elles modifiées ? Elle n’osait l’espérer. Il lui parle-rait peut-être plus souvent de ses soucis professionnels, mais en se tenant toujours sur ses gardes, comme s’il redoutait qu’un échange de tendresses ne les conduisît à une intimité qu’il refusait.
Johanna ne se faisait aucune illusion. Entre eux se dresse-rait toujours le fantôme de Jeff.
Elle se demanda de nouveau ce que Michael penserait d’elle s’il connaissait la vérité : elle avait épousé Jeff par dépit, et se sentait responsable de sa mort.
Oh, certes, bien qu’il n’eût été qu’une imposture, leur mariage avait tout de même tenu, cahin-caha, pendant huit ans. Elle n’avait jamais trompé son époux et s’était efforcée d’être pour lui l’amie sur laquelle il pouvait toujours s’appuyer. Mais le souvenir du terrible accident et de la dispute qui l’avait précédé continuait de miner Johanna. Pendant une année, elle avait réussi à le refouler, mais il était là, tapi dans un coin de son esprit, comme un volcan en sommeil et toujours menaçant.
Devait‑elle enfin se délivrer de ce secret auprès de Mi-chael ?
Elle y pensait encore en arrivant à Park House. En atten-dant l’heure de son départ pour la faculté, comme cet après-midi d’automne était chaud et ensoleillé, elle décida de s’allonger sur la terrasse en révisant le sujet du cours qu’elle allait suivre ce soir-là.
Elle s’aperçut très vite qu’elle ne pouvait fixer son atten-tion sur un texte écrit. En ce moment, l’histoire de la Re-naissance italienne l’intéressait moins que l’analyse de la vague d’émotions qui continuait de la submerger.
Un simple petit baiser de Michael avait suffi à rallumer en elle le feu sous la cendre. C’était dangereux, et elle devait se reprendre, empêcher son imagination de divaguer. Le fait d’avoir aidé Michael à remporter un marché difficile ne lui donnait aucun droit et n’effaçait pas le passé.
Avouer à Michael la vérité sur sa vie conjugale et sur la mort de Jeff ne servirait qu’à ternir sa propre image aux yeux de l’homme qu’elle aimait. Le bon sens lui commandait de taire les secrets inavouables, comme de ne jamais s’écarter des limites que Michael lui avait fixées, deux semaines plus tôt, dans la salle de billard
Ce n’était pas parce qu’il venait de lui accorder un petit baiser fraternel au coin des lèvres qu’il ne maîtrisait plus ses pulsions. Elle le connaissait. Une fois pour toutes, il avait décidé que la veuve de son frère était intouchable et, même si le désir le taraudait et s’il la sentait prête à y répondre, il se dominerait et, au besoin, se détournerait d’elle.
Elle exhala un long soupir de regrets, ouvrit de nouveau son livre et s’efforça de s’intéresser à l’histoire des Médicis

6

Ce soir-là, lorsqu’elle revint de la faculté, Michael avait quitté Park House, mais il avait laissé un mot sur la table de la cuisine.
« Le contrat avec Larsen est signé. J’avais prévu de fêter cette victoire avec toi demain au restaurant, mais j’avais oublié que je devais me rendre à Boston. Je prends l’avion de 20 heures et ne rentrerai que la semaine prochaine. Je te téléphonerai. Cordialement. »
Elle n’était qu’à moitié surprise. Michael lui avait parlé de conférences de droit international qu’il donnait chaque année à Cambridge, au moment de la rentrée universitaire. Il s’y préparait du reste depuis quelque temps. Elle était seu-lement déçue qu’il eût été obligé de partir le jour précis où leurs liens d’amitié s’étaient resserrés.
Sans lui, la grande maison allait paraître tellement vide !
Plus que jamais, Johanna se félicitait de sa décision d’avoir repris ses études. Elle avait trouvé là un nouveau centre d’intérêt.
Jusqu’à seize ans, elle avait été une excellente élève, mais dès son entrée dans l’enseignement supérieur, elle avait décroché et ne suivait les cours que parce que ses parents l’y obligeaient. Perturbée par sa folle passion pour son voisin Michael, elle s’intéressait davantage à ses problèmes senti-mentaux qu’aux théories que lui exposaient ses maîtres.
Tout était bien différent à présent. Dans l’établissement privé où elle s’était inscrite et qui était, en fait, une annexe de Princeton, elle avait trouvé un sympathique auditoire qui, comme elle, avait dépassé l’âge habituel des études et y reprenait goût après l’entrée dans la vie professionnelle. En outre, elle appréciait les professeurs et, en particulier, celui de littérature anglaise, un barbu à la crinière blanche qui, de sa belle voix de baryton, commençait toujours son cours par la citation d’une tirade de Macbeth ou d’Othello.
Elle s’entendait particulièrement bien avec deux étu-diantes, Lucy et Janet qui, comme elle, avaient abandonné autrefois leurs études pour se marier.
Les trois amies se promettaient de s’inviter, un jour, chez elles. En attendant, elles avaient échangé leurs numéros de téléphone et s’arrangeaient pour se retrouver, avant ou après les cours, à la cafétéria du campus, devant une tasse de thé ou un verre de limonade.
Dès le début, nullement désireuse de parler de son passé à ses nouvelles amies, Johanna s’était *******ée de leur dire qu’elle était veuve depuis un an et vivait chez son beau-frère, dans une grande maison dont elle était devenue l’intendante. Elle se promettait de les inviter un jour pro-chain à Park House. Mais pendant l’absence du maître des lieux, elle s’interdisait naturellement de recevoir des hôtes.
Sa semaine de solitude ne fut pas aussi monotone qu’elle l’avait redouté : en plus de son travail d’étudiante, elle con-tinuait d’aménager le rez-de-chaussée de Park House au fil des livraisons.
La salle à manger était maintenant à peu près meublée. Il n’y manquait plus que le vaisselier. En revanche, aucun des sièges du salon n’était encore arrivé. C’était pourtant la pièce que Johanna préférait pour son exposition au sud. Une seule de ses portes-fenêtres donnait au nord et, de ce fait, s’ouvrait sur la terrasse qui prolongeait la cuisine.
Le jour de son arrivée, au cours de ses premières investi-gations, Johanna avait repéré, dans l’ancienne office servant maintenant de débarras, un vieux canapé en cuir marron, certes défraîchi, mais large et confortable. Pendant l’absence de Michael, elle eut l’idée de l’installer dans le salon. En attendant que cette pièce fût équipée de fauteuils et de di-vans dignes de ses magnifiques boiseries, le vieux canapé lui permettrait au moins de s’asseoir en regardant les flammes danser dans la cheminée.
Au prix de nombreuses difficultés, elle avait réussi à le sortir de la resserre, et à le tirer jusqu’au salon en passant par la terrasse.
Mais c’était la période de l’été indien. Et pendant que les arbres s’habillaient d’or et de pourpre, la température dans la journée atteignait celle d’un mois de juin. Depuis le départ de Michael pour Boston, pas une fois Johanna n’eut envie d’allumer du feu. Le soir, allongée sur le vieux divan, une minichaîne hi-fi sur le sol, elle se *******ait d’écouter la radio en rêvassant.
Michael lui téléphonait tous les matins. Ils échangeaient quelques phrases, brèves mais chaleureuses, qui les rassu-raient mutuellement. En principe, Michael devait revenir le vendredi suivant, dans la nuit.
Ce soir-là, exceptionnellement, le professeur de littérature anglaise termina son cours plus tôt que d’habitude. Johanna se laissa alors entraîner par Lucy et Janet dans un drugstore proche de la faculté, où elles continuèrent à discuter théâtre et poésie en grignotant des chips devant un verre de brandy.
Lorsque Johanna reprit le volant de la jeep, comme elle n’avait pas l’habitude de boire de l’alcool et peut-être aussi à la pensée de revoir bientôt Michael, elle avait l’impression de voguer sur un petit nuage.
Il était près de 22 heures lorsqu’elle regagna Park House, persuadée que Michael l’y avait précédée.
Or, la maison était déserte. Dans le bureau, le voyant rouge du répondeur était allumé. Elle appuya sur la touche et entendit la voix aimée.
« Désolé, mais je crains de ne pouvoir rentrer ce soir. Il est 21 heures. Je suis dans un taxi sur la route de l’aéroport de Boston, immobilisé par un embouteillage monstrueux qui va me faire rater mon vol et m’obliger à attendre celui de demain matin. J’espère que ton cours de littérature anglaise a été intéressant. Alors, à demain, Johanna, et bonne nuit ! »
— Bonne nuit, Michael ! dit‑elle machinalement en ou-bliant qu’elle parlait à un répondeur.
Déçue mais la tête toujours dans les nuages, elle décida que les chips du drugstore lui serviraient de dîner. Mais elle avait soif. Aussi, avant de monter se doucher, fit‑elle un détour par la cuisine, ouvrit le réfrigérateur et, l’esprit vide, en fixa le contenu des yeux, à la recherche d’une boîte de Coca. Son regard tomba sur une bouteille couchée sur l’étagère la plus basse. Elle la sortit, en regarda l’étiquette : du chardonnay.
Elle la sortit, la déboucha, s’en versa un grand verre et, les yeux clos, dégusta à petites gorgées le vin préféré de Michael.
Elle ne se sentait pas du tout fatiguée. A présent, elle éprouvait même une grisante envie de faire la fête.
Elle se dirigea vers l’escalier en chantonnant. Elle pensait à sa discussion avec ses amies sur le théâtre de Shakespeare. Comme c’était curieux ! Alors qu’à seize ans Shakespeare l’ennuyait, à présent, elle le trouvait absolument passion-nant.
Sur le palier, elle jeta un coup d’œil dans la chambre de Michael. La pièce était soigneusement rangée et le grand lit à colonnes n’attendait plus que son occupant. Elle s’en ap-procha et, tout en préparant la couverture, éprouva un brusque accès de solitude. Soudain, Michael lui manquait, mais les vapeurs du brandy et du chardonnay l’empêchaient de s’arrêter à cette pensée. Des idées surgissaient, fugaces, puis s’effaçaient aussitôt.
Dans sa chambre, elle se déshabilla et, au lieu de plier soigneusement ses vêtements comme elle en avait l’habitude, elle les lança à travers la pièce. Ensuite, elle chercha dans sa penderie ce qu’elle mettrait après sa douche.
Elle n’avait jamais porté l’élégant déshabillé bleu pâle que Michael lui avait offert. Elle se *******ait de l’admirer chaque fois qu’elle prenait un vêtement. Ce soir-là, pour la première fois, elle eut envie de s’en vêtir.
Elle le décrocha, en caressa la soie avec sa joue, puis le posa avec précaution sur son lit avant d’aller se doucher.
Elle revint dans sa chambre en achevant de se sécher les cheveux, qu’elle laissa ensuite tomber librement sur ses épaules. Puis elle enfila la vaporeuse chemise de nuit et le luxueux peignoir en satin, tout en s’admirant dans la psyché. Les jambes un peu flageolantes, elle se fit une révérence et se sourit par le truchement du miroir. Jamais elle ne s’était sentie aussi bien dans sa peau. Elle avait envie de rire, de chanter et de danser.
Aussitôt, il lui vint une idée.
Elle attrapa son sac de marin, relégué sur la planche la plus haute de la penderie, et en sortit un lot de cassettes. Depuis son arrivée à Park House, c’était la première fois qu’elle éprouvait le besoin de les écouter de nouveau. Elles avaient été enregistrées par le groupe de Jeff, au temps de sa période jazz-rock et reggae, la meilleure, de l’avis de Johan-na. Par la suite, Jeff s’était lancé dans le hard rock, qu’elle n’avait jamais beaucoup apprécié.
Les cassettes à la main, elle regagna rapidement le rez-de-chaussée. A la seule lueur du hall, elle mit en marche la chaîne stéréo, posée par terre dans le salon. Elle y glissa une cassette et monta le volume au maximum, afin que la mu-sique se répercutât sur les murs vides et emplît toute la mai-son.
Après la mort de Jeff, un an plus tôt, écouter ce genre de musique avait été pour elle une sorte de thérapie. Pleurant et fumant cigarette sur cigarette, elle s’enivrait alors de reggae, afin de revivre la période la moins malheureuse de son union avec Jeff.
Ce soir, elle n’avait pas du tout envie de pleurer. Le brandy et le chardonnay l’avaient libérée de ses plus cruels souvenirs et, la tête vide, elle vibrait au son des cordes et des cuivres.
Se sentant la gorge sèche, elle retourna dans la cuisine, se versa une seconde rasade de vin, en but quelques gorgées et emporta le verre aux trois quarts plein dans le salon. Elle le posa sur le dessus de la cheminée. Ensuite, elle tourbillonna dans la grande pièce à demi obscure au rythme d’airs ja-maïcains.
En même temps, sans qu’elle s’y arrêtât, des images tra-versaient la brume de son esprit. L’une d’elles la fit rire aux éclats. Elle revoyait Michael, quelques jours plus tôt, dégus-tant son aile de poulet frit. Le raffinement de ses gestes contrastait avec la rusticité de ceux du Texan. Dans les mêmes circonstances, Jeff, parfaitement à l’aise, se serait carrément assis par terre et, comme Jack, il aurait mangé avec ses doigts.
Une idée en chassant une autre, Johanna se souvint alors de la dernière communication téléphonique qu’elle avait eue avec sa belle-mère. En Californie, alors qu’elle hésitait à accepter la généreuse proposition de son beau-frère, Johanna avait reçu un appel d’Arlène Ross qui la suppliait de se rendre le plus rapidement possible à Park House. Michael avait besoin d’elle, de son solide bon sens, de ses qualités de ménagère, non seulement pour tenir une maison qui partait à vau-l’eau, mais surtout pour trouver une présence amicale en rentrant chez lui.
— Il a besoin de vous, Johanna, avait insisté Arlène. De-puis quelque temps, il se replie sur lui-même comme un escargot dans sa coquille. Certes, il n’a jamais été très gai, mais sa morosité a empiré depuis la mort de son frère. Vous seule pouvez l’arracher à sa solitude…
En somme, malgré tout son argent, ses voitures et sa belle maison, Michael souffrait de mélancolie sans même en être conscient
Un éclair de raison traversa le cerveau embrumé de Jo-hanna. Pourquoi ce garçon si séduisant, qui pouvait avoir toutes les femmes qu’il voulait, se serait‑il replié sur lui-même ? De quel mal secret souffrait‑il ?
Les questions s’effacèrent avant que Johanna n’en cher-chât la réponse. Ivre de vin et de musique, elle regrettait seulement, et pour la première fois depuis son arrivée à Park House, de n’avoir même pas une cigarette à fumer lorsque la cassette s’arrêterait.
Tous les décollages de l’aéroport de Boston ayant été re-tardés pour d’obscures raisons de sécurité, Michael put prendre place à bord de l’appareil où il avait sa réservation.
Depuis le matin, une curieuse sensation d’inquiétude le taraudait. C’était comme si un sixième sens l’avertissait qu’une catastrophe se produirait s’il ne revenait pas d’urgence chez lui.
Alors que son esprit cartésien lui commandait de s’en te-nir à la réalité et de ne pas se laisser démoraliser par des chimères, il avait annulé sa dernière conférence à Cambridge sous un fallacieux prétexte de santé.
Il était pourtant en pleine forme, mais ne pouvait lutter contre une appréhension qui lui cisaillait l’âme en lui don-nant des sueurs d’angoisse.
Il ne se sentit rassuré que lorsque le taxi atteignit son avenue et qu’il aperçut la silhouette de sa maison. Au moins, se dit‑il, aucune bombe, aucun incendie ne l’avait détruite.
Mais, alors que la voiture s’arrêtait, l’écho d’une musique tonitruante parvint à Michael. Le chauffeur désigna en riant la noble façade que la lune éclairait d’une lueur blême.
— Hé ben, on ne s’ennuie pas, là-dedans ! remarqua-t‑il. Heureusement que vous n’avez pas de voisins, sinon, bon-jour les décibels !
Michael régla la course en s’abstenant de commentaire. Il escalada ensuite deux par deux les marches qui menaient au portique, assourdi par le bruit, persuadé qu’il allait trouver sa chère maison envahie par une bande de fêtards. A plusieurs reprises, Johanna lui avait parlé d’amis que, trois fois par semaine, elle retrouvait à la faculté. Avait‑elle profité de son absence pour les recevoir ?
Il entra alors chez lui.
Seul le hall était éclairé, mais les doubles portes du salon étaient ouvertes et, s’il ne distinguait pas la pièce entière, plongée dans la pénombre, la scène hallucinante qu’il dé-couvrait le cloua sur place.
Pieds nus et toute de bleu vêtue, une sylphide tourbillon-nait au son d’un morceau de jazz-rock. Lorsqu’elle traversait le faisceau de lumière venant du hall, le satin de sa longue robe chatoyait et sa chevelure blonde luisait comme une coulée d’or. Les yeux clos, possédée par la musique, elle n’avait manifestement pas entendu le bruit de la porte, pas plus que celui des pas de l’arrivant.
Michael posa sa valise au pied de l’escalier, puis revint jusqu’au seuil du salon, où il se figea.
Des vagues de soie bleue déferlèrent une fois encore de-vant lui, s’évanouirent, puis réapparurent et s’arrêtèrent devant la cheminée. Un bras se leva, une main prit un verre… La sirène but une gorgée du liquide qu’il contenait, puis le remit à la même place, avant de reprendre son tour-noiement fou à travers la pièce.
L’apparition éblouissante était un plaisir pour les yeux. Un léger parfum de fleurs s’en dégageait et, en le respirant, Michael se sentait définitivement délivré de ses appréhen-sions. Johanna était là, seule, sans une bande d’amis. Il re-connaissait la parure qu’il lui avait offerte le lendemain de son arrivée. Non seulement la jeune femme l’avait enfin revêtue, mais en voyant son corps onduler sous la soie du tissu, il découvrait qu’elle dansait avec une grâce divine.
Michael sentit son cœur battre plus vite, et le désir com-mença à durcir son bas-ventre. Il fit un pas en avant. Au même moment, le groupe changea de rythme et entama un slow.
Johanna releva les paupières, aperçut Michael et s’arrêta net. Ses joues s’empourprèrent comme celles d’une enfant surprise en train de plonger les doigts dans un pot de confi-ture.
Sa confusion dura peu. Michael était revenu ! Comme sa légère ivresse la portait à un optimisme délirant, une joie vive éclata aussitôt en elle.
Un long moment, ils restèrent immobiles, se contemplant l’un l’autre. Puis Johanna pivota, courut baisser le volume du son, revint se poster devant Michael et rit sans savoir pourquoi, peut-être parce que la vision de Michael en cos-tume trois-pièces, chemise blanche et cravate bordeaux lui paraissait décalée, alors qu’elle-même était en vêtement de nuit. En pensée, elle le déshabilla, s’imagina en train de caresser sa virile nudité. Elle avança les mains pour concré-tiser son rêve. Une lueur de bon sens lui rappela les limites à ne pas dépasser.
Alors, elle ramena les paumes vers elle et d’un geste lent, incroyablement sensuel, elle écarta les pans du déshabillé en satin.
— Que fais-tu, Johanna ? demanda Michael d’une voix rauque.
— Rien. Je veux seulement que tu voies combien ton ca-deau est seyant.
Il voyait surtout que, sous le peignoir, la mousseline transparente de la chemise de nuit ne laissait rien ignorer d’un corps aux courbes parfaites.
Il sentit alors une flamme ardente courir dans son sang.
— Je suis si *******e que tu sois revenu ! ajouta Johanna d’un ton caressant.
— Tu me manquais, répondit‑il presque malgré lui.
— Vraiment ?
— Oui.
Elle ne s’était pas attendue à cet aveu. Tout excitée, elle courut chercher le verre encore à demi plein et le lui offrit.0
— C’est du chardonnay, Michael. Il est délicieux. Parta-geons-le, je l’ai dégusté en pensant à toi.
Malgré la faible clarté, il pouvait distinguer l’éclat anor-malement brillant des yeux noisette.
— Combien de verres as-tu déjà bus ? demanda-t‑il, lé-gèrement inquiet.
Il s’était voulu sévère, mais le ton n’y était pas. Johanna fouettait son désir et l’envie le brûlait de prendre la jeune femme dans ses bras et de goûter le vin sur les lèvres hu-mides, légèrement entrouvertes.
Il ne se maîtrisa qu’au prix d’un violent effort, et pensa à la pomme qu’Eve avait passée sous le nez d’Adam. Il com-prenait pourquoi le premier homme sur la terre avait été incapable de résister à la tentation.
Il prit le verre qu’elle lui tendait et en avala d’un trait le contenu.
Elle éclata d’un rire cristallin avant de s’exclamer :
— Tu as bu dans mon verre. Sais-tu ce que cela signifie ?
— Non.
— A présent, tu connais toutes mes pensées.
Elle le contemplait, éperdue d’admiration, un sourire un peu béat sur les lèvres.
Michael ne voyait que l’adorable sylphide et la trouvait de plus en plus désirable. Elle était proche, si proche qu’il n’avait qu’à baisser un peu la tête pour embrasser et dévorer la bouche offerte. Ignorant le signal d’avertissement dans son cerveau, il imita Adam et oublia toutes ses résolutions.
Posant rapidement le verre vide sur le sol derrière lui, il étreignit Johanna. Sa joue un peu râpeuse sur la joue brû-lante de la jeune femme, il continuait pourtant de lutter contre l’urgence de son désir. Il devait seulement la serrer dans ses bras, lui prouver par son affection qu’il tenait à elle et qu’il avait dit la vérité en affirmant qu’il était heureux de la retrouver.
Elle avait glissé une main sur la nuque de Michael, l’autre autour de sa taille et elle s’efforçait de l’entraîner à l’intérieur du salon.
— Dansons ensemble, Michael !
C’était inattendu et, en tout autre temps, il aurait repoussé sa suggestion. Mais, comme envoûté par les accents sensuels du saxophone, il accorda ses pas à ceux de Johanna. Il avait toujours été un remarquable danseur et, tout aussitôt, il dirigea sa cavalière. Tous deux évoluaient avec une entente si parfaite qu’ils avaient l’impression de nouer un dialogue avec leurs corps.
Lorsque la musique s’arrêta, Johanna leva la tête et Mi-chael l’embrassa comme si c’était la chose la plus naturelle à faire.
D’abord, ses lèvres ne se fixèrent nulle part, butinant d’un coin à l’autre la bouche frémissante, la mordillant, la dégustant. Il sentit que Johanna lui desserrait sa cravate, déboutonnait sa chemise et glissait une main sur son torse. La douceur de cette caresse exacerba son désir de possession. Son baiser se fit plus exigeant. Elle y répondit avec une fièvre qui ôta à Michael ses dernières parcelles de raison.
En même temps qu’il dévorait la bouche consentante, ses mains ne restaient pas inactives. Elles relevaient la vapo-reuse mousseline et découvraient, caressaient, pétrissaient les courbes à la fois fermes et moelleuses du corps délicieux.
Johanna se pressait contre lui. Elle avait réussi à défaire la boucle de sa ceinture et, après une rapide et adroite inves-tigation, elle avait compris qu’il n’avait nul besoin d’encouragements pour aller jusqu’au bout de son désir. Cette fois, il ne s’arrêterait pas au milieu du chemin.
Lorsque, d’un doigt impatient, il effleura la petite vallée humide de sa féminité, elle se cabra dans un frisson de plai-sir.
— Johanna, je te désire.
— Moi aussi… Maintenant… Tout de suite…, haleta-t‑elle en l’embrassant follement sur le visage.
— Allons dans ma chambre, décida Michael.
Il voulut la soulever dans ses bras. Elle résista.
— Pourquoi monter au premier étage ? Restons ici… sur le canapé.
— Quel canapé ? Les meubles du salon seraient‑ils arri-vés pendant mon absence ?
Elle l’entraîna vers la partie la plus obscure de l’immense pièce. Au passage, elle appuya sur un interrupteur.
Le lustre central s’alluma, éclairant le vieux divan.
Comme frappé par la foudre, Michael s’immobilisa.
Tout d’abord, ne comprenant pas son changement d’attitude, elle se blottit comme une chatte brûlante contre lui. Toujours délirant de bonheur, elle était avide de ré-pondre immédiatement à son désir.
Il l’écarta doucement mais fermement.
— Qui a apporté ce divan ici ?
— Moi, et j’avoue que ça n’a pas été facile.
Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui. A côté de la chaîne stéréo posée sur le sol traînaient plusieurs boîtes de cassettes avec, sur le couvercle, la photo de Jeff et de son groupe. L’image s’imprima dans l’esprit de Michael, mais il ne s’y attarda pas. En ce moment, seul le divan captait son attention.
— Et naturellement, tu ne te souviens de rien, remarqua-t‑il d’un ton amer.
L’âpreté du ton dégrisa Johanna. Accablée et peinée par une froideur qu’elle ne s’expliquait pas, elle riposta :
— Je devrais me souvenir de quoi ?
Il exhala un long soupir avant d’expliquer :
— Ce divan appartenait à mes parents.
Toujours perplexe, elle le regarda, les sourcils hauts, lut-tant pour retrouver sa lucidité habituelle. Enfin, elle crut deviner la vérité.
— Si j’ai bien compris, les meubles que ton ancienne amie t’a dérobés avaient été, eux aussi, offerts par tes parents. Ce canapé-là, trop usé, n’a pas dû intéresser la voleuse. Alors, c’est par sentimentalité que tu l’as conservé ?
Son esprit n’était pas redevenu très clair, et elle continuait à ne pas voir le rapport entre ce vieux meuble et la soudaine défiance de Michael à son égard.
Il ricana presque méchamment.
— La sentimentalité, c’est vraiment quelque chose qui t’échappe, Johanna. Ce divan-là se trouvait, jadis, dans le pavillon des gardiens. Un pavillon qui était inoccupé lorsque j’avais vingt-deux ans et toi dix-sept. Avant qu’il ne soit démoli et ses meubles vendus, j’ai tenu à récupérer ce vieux souvenir.
Lentement, l’image du passé se précisa dans le cerveau encore embrumé de Johanna. Le chagrin et les regrets arri-vèrent en foule et l’anéantirent.
Ainsi, Michael n’avait rien oublié de leur nuit brûlante et, à présent, il s’imaginait sans doute qu’elle avait monté un scénario diabolique pour l’amener à revivre ce qu’ils avaient vécu autrefois.
Les yeux baissés, elle s’approcha du vieux divan. Le tou-chant avec précaution, elle murmura d’une voix sourde :
— Ce soir-là, la nuit était sombre, et j’étais bien trop émue pour remarquer quoi que ce soit dans le pavillon. Je savais seulement que c’était le seul endroit où personne ne pourrait venir nous surprendre.
Elle tremblait, et la fraîcheur de l’air n’y était pour rien. Complètement dégrisée, elle sentait le dépit, la colère et le désespoir lui serrer la poitrine. Elle comprenait que Michael ne la croyait pas, et qu’à présent il la tenait pour une intri-gante, doublée d’une créature folle de son corps.
D’un geste large, il désigna les cassettes à terre et son vi-sage devint de marbre, tandis que ses yeux d’acier fou-droyaient la jeune femme.
— Le passé ne se répète pas, Johanna, même avec quelques variantes. Cette fois, tu as voulu inverser les faits. D’abord t’évader avec Jeff en te plongeant à corps perdu dans sa musique, puis amener son frère à coucher avec toi.
C’était dit si crûment et avec une telle intention de bles-ser, qu’elle eut l’impression de recevoir un coup mortel. Blême, elle fit demi-tour et s’enfuit vers le hall. Elle n’avait plus qu’une hâte : monter s’enfermer dans sa chambre.
Alors qu’elle en repoussait la porte, elle entendit Michael escalader précipitamment les marches et lui crier du palier :
— Lorsque ta colère et la mienne seront un peu calmées, nous discuterons de tout cela. Il serait temps que tu me parles enfin à cœur ouvert.
Elle ferma le verrou puis, ivre de chagrin, alla s’effondrer sur son lit en pleurant.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ**   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 09-10-08, 03:21 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 5
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:
ÚÖæ ÑÇÞí


ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Feb 2008
ÇáÚÖæíÉ: 62940
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 1,517
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÚÖæ Úáì ØÑíÞ ÇáÇÈÏÇÚ
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 247

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏItaly
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ßÇÊÈ ÇáãæÖæÚ : **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** ÇáãäÊÏì : ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÇÝÊÑÇÖí

 

7

Le matin suivant, le soleil brillait haut dans le ciel lorsque Johanna s’éveilla. Elle avait la migraine et la bouche sèche. Sa tête était si douloureuse qu’elle mit un moment avant de pouvoir rassembler ses souvenirs.
Sa conscience revenue, elle se sentit plus mortifiée qu’elle ne l’avait jamais été. L’humiliation que Michael lui avait infligée, jadis, en la priant d’oublier à jamais leur folle nuit d’amour, lui semblait dérisoire à côté de ce qu’elle éprouvait en ce moment.
Elle se demandait pourquoi Michael avait conservé ce maudit canapé. Il avait parlé de sentimentalité. Elle ne put retenir un petit sourire amer en se disant qu’il considérait plutôt ce siège comme un trophée. C’était probablement la première fois que ce garçon de vingt-deux ans, à la morale rigide, avait eu l’audace de déflorer une jeune oie blanche en admiration devant lui…
Avec d’infinies précautions, pour éviter d’amplifier son mal de tête, elle se releva sur un coude et regarda sa montre. 10 heures ! Dieu merci, Michael était parti depuis longtemps… Elle se rappelait qu’il avait un rendez-vous important, ce qui était exceptionnel car, en général, les bureaux de l’entreprise étaient fermés le samedi.
Rejeter drap et couverture pour se lever obligea Johanna à un effort considérable. Elle se traîna jusqu’à la salle de bains et avala deux cachets d’aspirine.
Ce qu’elle découvrit en se regardant dans le miroir ne la réconforta pas. Ses paupières étaient gonflées. Jusqu’à 3 heures du matin, elle n’avait cessé de pleurer. A plusieurs reprises, Michael était venu frapper à sa porte. A ces mo-ments-là, elle enfouissait son visage dans l’oreiller pour étouffer ses sanglots.
Elle se doucha rapidement. Enveloppée d’un peignoir de bain, elle revint dans sa chambre et découvrit jean, pull et sous-vêtements éparpillés aux quatre coins de la pièce. Or, elle avait beau réfléchir, elle ne se souvenait pas à quel moment elle les avait ôtés. Ce devait être l’effet du brandy ! Le petit verre d’alcool avait été la cause de son euphorie. Ce qui avait suivi n’était plus dans son esprit qu’un mélange d’images floues. Une seule se détachait du lot : le visage méprisant de Michael lorsque ce dernier lui avait jeté à la tête ses quatre vérités… ou du moins les vérités qu’il s’était imaginées.
Sa migraine commençait à s’apaiser. Elle ramassa et mit de côté ses vêtements de la veille. Curieusement, elle avait pris soin d’étaler sur un fauteuil la parure bleu pâle. Elle la prit et en caressa le tissu soyeux, avant de la plier soigneu-sement dans un des tiroirs de la commode. Malgré son ressentiment envers Michael, elle n’était pas assez sotte pour passer sa colère sur ce magnifique vêtement. Elle continuerait de l’admirer, même si elle se promettait de ne plus jamais s’en parer.
Elle choisit dans ses vieilles hardes un jean et un T-shirt qui avaient appartenu à Jeff. Aujourd’hui, elle éprouvait le besoin de rendre ainsi un hommage à celui en qui elle avait cru pendant si longtemps. Elle ne gardait pas que de mauvais souvenirs de son union avec lui. Au début, ils avaient continué d’être les meilleurs amis du monde, et elle n’était pas loin de le trouver génial. Certes, elle avait vite déchanté, mais à présent elle souhaitait ne se rappeler que les bons moments de leur vie commune.
L’aspirine était efficace. Sa migraine ayant à peu près disparu, elle se promit de ne plus se laisser dominer par ses émotions et, encore moins, par son désir pour un homme qui la méprisait. En même temps, elle se jura de ne plus jamais avaler une seule goutte d’alcool ou de vin entre les repas.
Elle descendit au rez-de-chaussée. Dans la cuisine, elle se fit du café, le but et grignota quelques biscottes tout en regrettant de nouveau de n’avoir pas une cigarette à fumer pour se détendre. Sachant que Michael détestait l’odeur du tabac, elle n’avait plus acheté un seul paquet depuis son départ de la Californie.
Le soleil entrait à flots dans la cuisine. La journée pro-mettait d’être radieuse. Johanna éprouva l’envie d’aller se dégourdir les jambes dans le parc, mais auparavant elle devait protéger ses yeux. Où avait‑elle donc posé ses lu-nettes noires ? Elles n’étaient ni dans son sac, ni sur une des étagères de la cuisine. Peut-être les avait‑elle laissées, la veille, sur le bureau de Michael, lorsqu’elle avait pris con-naissance du message sur le répondeur ?
Comme une des portes-fenêtres du salon donnait sur la terrasse, elle choisit de traverser cette pièce pour atteindre le bureau. Ce serait plus rapide que d’aller faire un long détour par les couloirs et le hall d’entrée.
Elle poussa le vantail vitré et s’arrêta, interdite, sur le seuil du salon.
La chaîne stéréo était toujours sur le sol, ainsi que les cassettes enregistrées par Jeff et son groupe. Mais le vieux divan avait disparu.
Où diable était‑il ?
Elle le chercha en vain dans toutes les pièces du rez-de-chaussée. Il n’était pas non plus dans la resserre. C’était impensable qu’il se fût volatilisé… Impensable également que Michael l’eût relégué au sous-sol. Elle se souvenait de son poids et des difficultés qu’elle avait éprouvées en le traînant de l’ancienne office jusqu’au salon. Certes, Michael était un sportif, mais le plus costaud des athlètes ne pouvait descendre un escalier avec un meuble aussi volumineux sur le dos !
Johanna, qui détestait les énigmes, n’avait de cesse d’en trouver la solution. Aussi décida-t‑elle d’aller questionner Michael. Comme il ne lui avait laissé aucune consigne écrite avant son départ, elle en profiterait pour lui demander s’il comptait dîner ce soir à la maison.0
Elle retrouva ses lunettes de soleil dans le vide-poche de la jeep. Grâce à leur protection, elle put cacher le vilain gonflement de ses paupières.
L’air étant tout de même un peu frais, elle avait enfilé un pull de laine sur son T-shirt et emporté un blouson chaud, qu’elle posa sur la banquette arrière de la voiture.
Avant d’affronter Michael, il lui fallait absolument calmer ses nerfs. Au lieu de suivre la route habituelle, elle fit un long détour à travers la campagne et s’arrêta sur un chemin désert, au milieu d’un petit bois. Elle baissa les vitres pour respirer de grandes bouffées d’air pur et admirer les splendeurs que la nature lui offrait. Les feuilles com-mençaient à tomber ; elles tourbillonnaient au gré du vent et couvraient le sous-bois d’un tapis doré. Le pépiement des oiseaux rendait plus intense le sentiment de paix qui se dégageait de ce lieu enchanté.
Tous les sens de Johanna s’aiguisaient, le sixième éga-lement, qui l’avertissait qu’une nouvelle phase allait sans doute commencer dans sa cohabitation avec Michael.
Elle soupira et relança le moteur.
Lorsqu’elle se gara au pied de la tour qui abritait la so-ciété Ross, la pendule du tableau de bord marquait 12 h 5. Les quelques bureaux du building, ouverts le samedi, se vidaient de leurs employés. Johanna hésita.
Devait‑elle attendre Michael dans la voiture ? Si elle montait jusqu’au quinzième étage, elle risquait de troubler son rendez-vous, comme elle avait déjà perturbé celui qu’il avait eu avec Jack Larsen. Et cette fois, ce ne serait pas avec le même bonheur…
Elle décida d’attendre.
A 12 h 10, elle le vit franchir la porte vitrée de la tour. Il était accompagné de deux hommes en pardessus beige. Tous trois tenaient un porte-documents.
Elle ouvrit sa portière, descendit de voiture et s’appuya, bien en vue, contre la carrosserie.
Michael l’aperçut. Le temps de s’excuser auprès de ses interlocuteurs et il avançait à grands pas vers elle. Sous les sourcils froncés, les yeux bleus, durcis, signifiaient nette-ment à Johanna qu’il n’était pas précisément heureux de la voir.
— Que viens-tu faire ici ?
— Je voulais te parler.
— C’est réciproque, mais nous parlerons plus tard. En ce moment, je ne peux abandonner mes clients.
— Très bien. Alors, j’attendrai ton retour, ce soir, à la maison.
— Non, pas à la maison…
Il réfléchit pendant quelques secondes et ajouta :
— … J’ai à travailler assez tard, ici. Rejoins-moi à 19 heures au restaurant italien à la sortie nord de la ville. Tu le trouveras facilement. Il est situé juste avant le pont sur la Delaware River.
Elle acquiesça d’un hochement de tête.
Au moment où il pivotait pour retourner vers les deux hommes qui l’attendaient, elle le rappela.
— Michael !
— Oui ?
— Qu’est devenu le vieux canapé ?
— Il fait sûrement le bonheur d’une famille d’immigrés. A 9 heures, ce matin, j’ai téléphoné aux services de la Croix-Rouge. Vingt minutes plus tard, deux employés venaient le prendre.
— Je n’ai rien entendu.
— Tu devais dormir profondément.
— Pourquoi t’en es-tu débarrassé ?
Leurs regards s’affrontèrent un moment, puis Michael répondit d’une voix dédaigneuse :
— Il ne servait plus à rien. N’es-tu pas de mon avis ?
Et sans attendre la réponse, il tourna les talons.
Bouche bée, Johanna le regarda s’éloigner, puis bavarder ensuite gaiement avec les deux hommes d’affaires.
Le cœur serré, elle reprit le volant en se demandant comment Michael pouvait afficher un tel enjouement, alors qu’il venait de lui répondre avec la pire sécheresse.
Elle pressentait que leur dîner ne serait pas de tout repos. Mais pourquoi donc désirait‑il s’expliquer avec elle dans un restaurant, avec des inconnus autour d’eux ? Ils auraient été tellement plus tranquilles en réglant leurs comptes, le lendemain, dans le calme de Park House.
Le restaurant était encore à peu près vide lorsque Johanna y pénétra un peu avant l’heure fixée par Michael. Dehors, il faisait encore jour, mais à l’intérieur toutes les lampes étaient déjà allumées.
Une hôtesse d’accueil la conduisit à une table située au milieu de la salle. Après un bref moment d’hésitation, Jo-hanna refusa de s’y asseoir. Elle ne se voyait pas disant son fait à Michael, alors qu’à sa droite, à sa gauche et derrière elle, des oreilles curieuses se tendraient pour écouter ses propos.
Apercevant une sorte d’alcôve qu’abritait une rangée de plantes vertes, elle la désigna à l’hôtesse.
— Je préférerais un endroit plus calme. La table, là-bas, est‑elle libre ?
— Oui. Exceptionnellement, ce soir, personne ne l’a en-core retenue. Vous pouvez vous y installer.
Johanna remercia l’hôtesse et se rendit avec empressement dans la petite loge. Les trois murs s’y ornaient de fresques représentant le Grand Canal de Venise, le Colisée de Rome et le Ponte Vecchio de Florence. Un garçon posa sur la table une carafe d’eau et un petit compotier de glaçons.
— Désirez-vous un apéritif ? demanda-t‑il.
— Non, merci. J’attends quelqu’un.
Elle s’était assise en tournant le dos au mur du fond, afin de guetter l’entrée de Michael. Elle se sentait fébrile. Pour se rafraîchir, elle entoura de ses paumes brûlantes le bol de glaçons.
Elle avait passé l’après-midi à méditer. Allongée sur son lit, des compresses d’eau froide sur les yeux, à certains moments elle envisageait de repartir sur-le-champ pour la Californie. Finalement, la raison l’avait emporté : elle con-tinuerait la cohabitation avec son beau-frère. Mais ce soir, elle redoutait de discuter avec un Michael hostile et agressif.
Lorsqu’elle le vit franchir la porte à tambour du restau-rant, elle sentit ses craintes se confirmer. Il s’était arrêté au milieu de la salle et regardait autour de lui d’un air mécon-tent.
L’hôtesse alla vivement à sa rencontre et désigna la loge derrière les palmiers en pots. Michael la remercia. Johanna, qui l’observait attentivement, s’étonna du rapide change-ment de son expression, et elle s’interrogea.
Aurait‑il pour elle ce regard brusquement amical qu’il venait de réserver à l’hôtesse ? Elle savait que d’une seconde à l’autre, selon ses sautes d’humeur, le bleu intense de ses yeux pouvait passer de la couleur des mers du Sud à celle d’un ciel d’orage.
Elle fut agréablement surprise lorsque Michael la rejoi-gnit. S’il apportait avec lui une bouffée de l’air froid du dehors, en revanche, il souriait, et le « bonsoir » qu’il lui adressa était amical.
Un serveur l’avait suivi et dressait deux grands menus sur la table. Michael lui confia son pardessus et, sans même avoir consulté Johanna, refusa l’apéritif proposé.
Elle sentit se réveiller son esprit de rébellion.
— Pour moi, ce sera un apéritif sans alcool. Un San Pel-legrino avec une rondelle de citron, commanda-t‑elle.
— Alors, deux San Pellegrino, rectifia Michael.
Dès que le garçon eut disparu, il la toisa avec un petit sourire amusé.
— Bravo pour ta sobriété ! Elle compense tes excès d’hier soir, non ?
— Des excès des deux côtés, Michael.
Il s’était assis en face d’elle. Les bougies allumées sur la table éclairaient les visages de lueurs dansantes. Tout de suite, Johanna attaqua :
— Qu’avais-tu à me dire qui ne pouvait attendre demain ?
Il aiguisa son regard.
— A midi, j’ai eu l’impression que c’était toi qui voulais me parler. Moi, j’ai essayé cette nuit à plusieurs reprises, mais en vain. Je tenais à m’excuser. Or, tu as refusé de m’ouvrir ta porte.
Elle saisit un des menus, le déplia et abrita son visage derrière la grande carte.
— Préparons d’abord la commande de nos repas, dit‑elle. Ici, le personnel semble très empressé, et le maître d’hôtel ne va pas tarder à venir. Je choisis les raviolis aux fruits de mer.
Il s’empara du second menu et fit semblant de le consul-ter. En réalité, il cherchait comment désamorcer la rancune qu’il sentait toujours aussi vive chez Johanna. Depuis la veille, il savait qu’il devrait s’expliquer sur un point qui n’avait jamais été abordé depuis neuf ans. Tacitement, les rares fois où ils s’étaient revus, l’un et l’autre avaient évité d’évoquer leur folle nuit et la rupture qui avait suivi le lendemain. Entre eux, le sujet était aussi tabou que les rai-sons du mariage de Johanna avec Jeff. Et il le serait resté si, la veille, Johanna n’avait eu la malencontreuse idée de transporter le vieux divan de la resserre dans le salon. Le meuble ne lui avait rien rappelé, ce qui prouvait qu’une fois pour toutes elle avait tiré un trait définitif sur le passé.
Mais alors pourquoi avait‑elle soudain blêmi, lorsqu’il avait mis les points sur les « i » et parlé de l’ancien pavillon de gardiens de ses parents ? Il avait lu le désespoir dans les yeux noisette et savait que, ensuite, elle avait pleuré pendant une partie de la nuit. Lorsqu’il frappait à la porte de sa chambre, les sanglots s’arrêtaient pour reprendre après avec autant d’intensité. Ce soir, malgré son maquillage, elle conservait les traces de ce chagrin sur ses traits encore tirés.
C’était probablement stupide de sa part, mais après neuf années de silence, il désirait justifier l’attitude qu’il avait eue le lendemain de cette lointaine nuit d’été. Il s’imaginait, en souhaitant ne pas se tromper, qu’après avoir éclairé les zones sombres du passé, tout deviendrait plus simple entre eux, et qu’ils pourraient prendre ensemble un nouveau départ et nouer d’authentiques relations d’amitié.
Un *******ieux resterait tout de même entre eux. Qu’est-ce qui avait poussé Johanna à se marier aussi vite avec Jeff ?
S’il lui posait maintenant la question, dirait‑elle la véri-té ?
Il préféra remettre ce sujet à plus tard. En ce moment, ce qu’il voulait, c’était libérer son esprit des débris du passé et expliquer à Johanna la nature des relations qu’il avait entre-tenues, enfant et adolescent, avec son frère.
— As-tu choisi ? demanda-t‑elle d’un ton légèrement impatient.
Il tressaillit, revint au présent et commanda le même menu qu’elle au maître d’hôtel qui attendait.
— Avec une demi-fiasque de chianti, ajouta-t‑il.
On leur apporta d’abord un plateau d’antipasti, servis dans de nombreuses coupelles : olives vertes et noires, gambas décortiquées, fines rondelles de saucisson et petits légumes confits dans du vinaigre parfumé aux herbes.
Tout en les dégustant, Johanna remarqua, en évitant le regard de Michael :
— Admettons que nous nous soyons excusés mutuelle-ment pour notre emportement d’hier soir. Tu avais autre chose à me dire ?
— Oui. C’est au sujet de Jeff.
Elle se raidit et eut un bref froncement de sourcils.
— Laissons Jeff de côté. Parlons plutôt de toi et de moi.
— Ce n’est pas si simple, Johanna. Jeff, toi et moi, nous sommes liés, et j’estime que le temps est enfin venu d’éclaircir un point resté trop longtemps obscur… Sans quoi le fantôme de mon frère se dressera toujours entre nous deux.
Johanna piqua avec sa fourchette une petite carotte con-fite et la croqua avant de demander d’un ton neutre
— Que veux-tu savoir au sujet de Jeff ?
— Pourquoi l’as-tu épousé ?
Les yeux noisette devinrent rêveurs.
— A ton avis, pourquoi deux personnes se marient‑elles ?
— S’il te plaît, ne me réponds pas par une question. Etais-tu donc tellement amoureuse de mon frère ?
Elle le fusilla d’un regard de reproche.
— Jeff est mort. Tu ne comprends donc pas que, pour moi, c’est très dur de parler de lui… et spécialement avec toi ?
— Pourquoi spécialement avec moi ?
Une serveuse arrivait avec le plat de raviolis, qu’elle posa au milieu de la table en souhaitant un excellent appétit aux deux dîneurs.
Johanna attendit qu’elle eût disparu pour répondre d’un ton réprobateur :
— Tu as été le détonateur qui a précipité les événements, Michael. Dois-je te rappeler les faits ? A l’époque, j’étais une jeune fille naïve qui se croyait follement amoureuse de son voisin, un beau brun aux yeux bleus du nom de Michael. J’étais tellement éprise que, dans ma petite tête, j’avais déjà construit un avenir paradisiaque avec le chevalier de mon cœur. Croyant me l’attacher à jamais, un soir, je lui ai sacrifié ma virginité. Aussi, quelles n’ont pas été ma stupeur et ma désillusion quand, le lendemain, il m’a signifié froidement que nous devions oublier notre nuit d’amour…
Elle se servit une assiettée de raviolis avant de conclure en évitant le regard bleu :
— Ce jour-là, j’ai compris la véritable signification du mot « mufle » !
Michael s’abstint de commentaire, mais un tic fit tres-sauter sa joue gauche. Il se servit à son tour, et tous deux commencèrent à manger avec une insouciance apparente. Mais alors que son assiette était encore aux trois quarts pleine, Michael releva brusquement la tête et obligea Jo-hanna à le regarder.
— Tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi tu as épousé mon frère. Etait-ce pour te venger de moi ?
— Me venger ? Oh, non ! Jeff avait toujours été très gen-til, moins réservé que toi, amical et drôle. J’appréciais son esprit rebelle et, à l’époque, je le trouvais vraiment doué comme musicien. Quand il m’a offert de l’accompagner en Californie, où il espérait faire une carrière éblouissante, j’ai accepté de le suivre et nous nous sommes mariés. Point final. Ce que je ne m’explique pas, c’est que tu aies fait une fixation sur le canapé de nos anciens ébats. Tu avais un problème avec ce meuble ? Moi, pas. La preuve : je ne l’avais même pas reconnu !
Ce dernier trait le laissa sans voix, tandis qu’une expres-sion de tristesse ternissait son regard bleu.
Johanna comprit qu’elle avait touché une corde sensible, mais elle attribua son amertume au fait qu’elle avait dû égratigner sa vanité de mâle. La riposte de Michael la con-forta dans ce soupçon.
— Je n’ai jamais eu conscience de m’être montré mufle, Johanna.
Elle le dévisagea d’un air railleur.
— Ah bon ?
— Et il est grand temps que tu connaisses la vérité.
— Quelle vérité ?
Il emplit leurs deux verres de chianti avant de déclarer d’un ton réticent :
— J’ai peur que tu n’apprécies pas du tout de l’entendre.
— Tu m’as demandé d’être franche. Je l’ai été, alors agis de même avec moi.
— Même si je dois te blesser ?
— Ce ne serait pas la première fois.
Il enveloppa vivement d’une de ses paumes la main de la jeune femme, comme pour implorer son pardon et, pendant un instant, ils se défièrent en silence. Johanna lui trouvait un pouvoir incroyable. D’où lui venait ce don de provoquer en elle autant de colère que de désir ? En ce moment, malgré son ressentiment, elle éprouvait un plaisir trouble au contact de sa main chaude et caressante.
Quand il la lâcha, elle eut un pénible sentiment d’abandon.
Michael soupira, puis il se décida à avouer ce qu’il avait tenu secret pendant plus de neuf longues années.
— La nuit où, tous les deux, nous avions vibré à l’unisson, je suis rentré chez moi après t’avoir quittée. Si tu te souviens, au manoir, je partageais une chambre avec Jeff. Mon frère y était confiné depuis une semaine. Cloué au lit par une angine et une forte fièvre, il n’avait pu se rendre à la boum de nos amis. A mon retour, tout de suite il m’a demandé de la lui décrire, puis il a insisté pour savoir si tu avais dansé avec beaucoup de cavaliers. Comme je m’étonnais de son subit intérêt pour toi, il m’a avoué qu’il t’adorait depuis qu’il te connaissait. Oui, il était éperdument amoureux de toi, mais, timide, il n’avait jamais osé te déclarer sa flamme. Du reste, a-t‑il ajouté avec tristesse, il n’avait jamais su s’y prendre avec les filles. C’était la pre-mière fois qu’il me parlait avec cette franchise, et j’étais vraiment ému par sa confiance…
Un serveur entra pour leur proposer la carte des desserts. Michael choisit une glace. Johanna, une tranche d’ananas, en se demandant si elle réussirait à en avaler une seule bouchée. La révélation de Michael lui bloquait l’estomac et, brusquement, elle avait le pressentiment de ce qui avait pu se passer ensuite entre les deux frères, et qu’elle n’avait jamais deviné.
Dès qu’ils furent de nouveau seuls, Michael reprit son récit, mais d’un ton moins réticent, comme s’il éprouvait un véritable soulagement à se délivrer d’un secret qui lui avait empoisonné l’âme pendant trop longtemps.
— J’aimais profondément mon frère, Johanna. Les appa-rences pouvaient faire croire le contraire, car nous nous disputions fréquemment, mais en réalité nous étions très proches l’un de l’autre. De deux ans mon cadet, Jeff me considérait un peu comme son mentor et, même s’il écoutait rarement mes conseils et me jalousait souvent, dans le fond de son cœur, il m’admirait. Ce soir-là, il venait d’être très malade ; le médecin avait même pensé un moment à la diphtérie. Même s’il allait mieux, il restait encore très faible et c’était probablement cette faiblesse qui le poussait à se confier. Je l’ai écouté avec patience en essayant de me mettre à sa place, mais j’avais un peu honte de ma lâcheté. En somme, je venais de lui voler la fille qu’il aimait. Pour me racheter à mes propres yeux, je lui ai donné quelques conseils sur la manière de séduire l’élue de son cœur. Il m’a objecté que tu avais pour moi les yeux de Chimène et que, pour lui, c’était fichu d’avance. Alors, je lui ai lancé : « Es-saie toujours, tu verras bien ! » Et secrètement, j’ai pris une décision. Pour lui laisser sa chance, je t’écarterais de mon chemin…0
— Et le lendemain, tu es venu m’annoncer que nous ne devions plus nous voir.
— Oui, mais en souhaitant du fond du cœur que ma ruse échoue. Je comptais sur ta fidélité pour repousser Jeff, mais tu ne m’as même pas laissé le temps de m’exprimer. Dès les premiers mots, tu as tourné les talons et tu t’es enfuie.
Johanna sentit monter ses larmes. Pour les arrêter, elle ferma les yeux et serra les dents. Quand elle eut recouvré son calme, elle releva les paupières et dit d’une voix enrouée par l’émotion :
— Encore une question, Michael… Réponds-y avec sin-cérité. A ce moment-là, est-ce que tu m’aimais vraiment ?
— Tu le sais bien.
— Non, je ne le sais pas. Je me souviens seulement du mépris dans tes yeux lorsque tu m’as parlé.
— Je jouais une comédie en pensant à Jeff.
— Comment aurais-je pu le deviner ?
— Et moi, comment aurais-je pu prévoir que quelques jours plus tard, victime de mon propre piège, j’apprendrais que tu t’étais envolée avec Jeff à peine rétabli, pour aller l’épouser à Las Vegas ? Il m’a fallu des années pour réaliser ce qui m’était arrivé. Je suis désolé…
— Un peu tard, non ?
— Essaie de comprendre. Vous étiez tous les deux des adolescents tout juste majeurs, et Jeff n’avait pas plus de cervelle qu’un étourneau. Sur le moment, j’ai cru à un défi, à une passade. Toi, Johanna, tu allais sûrement comprendre ton erreur et me revenir… Mais je m’étais lourdement trompé. Jeff et toi formiez un vrai couple, un couple de bohèmes, heureux de vivre, et c’était moi l’artisan de ce bonheur. Moi qui, pour l’amour de mon frère, avais détruit ma vie. Combien de fois n’ai-je pas regretté de ne pouvoir reculer les aiguilles du temps, afin de me redonner une seconde chance ! Cela ne t’est jamais arrivé d’accomplir quelque chose que tu as amèrement regretté par la suite ?
Elle s’adossa à sa chaise en fermant de nouveau les yeux. L’image de la nuit de l’accident revenait la hanter. Elle se souvenait des reproches, des accusations que, dans sa colère, elle avait lancés à Jeff imbibé d’alcool.
— Bien sûr que si, dit‑elle en rouvrant les yeux. Je sup-pose que la plupart des gens ont quelque part dans leur mémoire le souvenir d’une action peu reluisante, qu’ils regrettent amèrement.
Elle se sentait responsable de la mort de Jeff. Après un tel drame, elle ne se reconnaissait pas le droit de juger Michael pour la petite comédie qu’il lui avait jouée neuf ans plus tôt. Elle se demanda ce qu’il penserait d’elle s’il apprenait la vérité. Aux yeux de Michael, comme à ceux de ses beaux-parents, Jeff n’avait certes pas réussi professionnellement, mais il restait, disait Arlène Ross en soupirant, « le bon petit qui, par chance, avait été heureux en ménage ». Aucun des Ross n’avait deviné que les deux dernières années avaient été un enfer pour Johanna. Elle savait que, s’ils apprenaient les causes véritables de l’accident de Jeff, ils lui en attribueraient l’entière responsabililité, sans aucune circonstance atténuante, et la rejetteraient immédiatement de leur clan.
Elle but son verre de chianti, essuya ses lèvres avec sa serviette et se leva en passant la courroie de son sac sur son épaule.
— Tu n’as pas touché à ton dessert, remarqua Michael.
— Je n’ai plus faim. Il est temps que je rentre à Park House.
— Et moi que je retourne au bureau. Mais avant que nous ne nous séparions, dis-moi que tu as compris pour quelles raisons j’avais conservé le vieux canapé.
Elle le regarda avec indulgence.
— C’est tellement loin, tout ça ! Mieux vaut ne plus en parler.
Revenue à Park House, elle monta chez elle, se prépara pour la nuit puis, enveloppée d’une chaude robe de chambre, elle s’allongea sur son lit avec un livre.
Elle ne voulait plus penser à Michael. Elle ne doutait plus que, neuf ans plus tôt, il l’eût réellement aimée. A présent, il la désirait, mais sans avoir évacué de son esprit le souvenir de son frère chéri. La cohabitation à trois allait devenir impossible car, un jour ou l’autre, Johanna le pressentait, elle succomberait à sa passion et se retrouverait dans les bras de Michael.
Or, elle ne voulait pas seulement satisfaire son corps. Elle voulait surtout se sentir aimée et retrouver l’amour que Michael lui avait voué autrefois.
Un rêve impossible…
Elle devait prendre une décision sans tarder. Une décision douloureuse, mais nécessaire.
Suzy, une de ses amies de faculté, travaillait dans une crèche d’usine. L’entreprise recherchait des aides ménagères et offrait l’avantage de loger son personnel. Johanna avait noté le renseignement dans un coin de son esprit, voyant là un moyen de se libérer au cas où la cohabitation avec Michael deviendrait insupportable pour l’un comme pour l’autre.
Elle commençait à penser sérieusement à cet emploi, lorsqu’elle entendit des pas dans l’escalier. Sa montre mar-quait un peu plus de minuit. Michael était revenu.
Les pas se rapprochèrent. Elle comprit que Michael se dirigeait vers sa chambre. Elle se retint de respirer, essayant de calmer les battements soudain désordonnés de son cœur, mé*******e de constater que sa chair n’obéissait pas à sa raison et recommençait à s’enfiévrer.
Des coups légers furent frappés à sa porte.
— Entre ! dit‑elle en resserrant vivement les pans de son peignoir.
Michael apparut. Avant même qu’il n’ouvre la bouche, Johanna le prévint.
— Je refuse de parler de Jeff et de notre ancienne aven-ture.
— Très bien.
En souriant, il fit un pas à l’intérieur, puis s’arrêta
— J’ai pris une décision…, commença-t‑elle.
Il l’interrompit.
— Nous en reparlerons demain. Il est tard et je suis seu-lement venu te prévenir qu’après le dîner, en revenant au bureau, j’ai trouvé un message sur le répondeur. Le magasin où nous avons commandé les meubles du salon me prévenait que les sièges, les petites tables et les éléments de bibliothèque seraient livrés après-demain lundi, entre 9 et 15 heures… Pourras-tu rester à la maison pour les attendre ?
— Sans problème.
— Merci, Johanna, et bonne nuit !
Il allait franchir le seuil lorsqu’il se retourna :
— A propos, quel genre de décision as-tu prise ?
Elle le regarda. La chambre n’était éclairée que par une lampe de chevet. Etait-ce la pénombre qui accusait si for-tement les creux du beau visage et les deux rides de chaque côté de la bouche ? Il paraissait encore plus fatigué que d’habitude.
Une vague de tendresse submergea Johanna, tandis qu’elle se souvenait d’une conversation qu’elle avait eue avec sa belle-mère, alors qu’elle hésitait à quitter la Cali-fornie.
— … Acceptez l’offre de mon fils, Johanna chérie. Mi-chael a tellement besoin de vous !
Avait‑elle le droit de rompre leur contrat, de renvoyer Michael à sa solitude, simplement parce qu’elle avait peur de céder à un attrait charnel et d’en souffrir ?
« Non, se dit‑elle. Mais à l’avenir, je devrai faire preuve d’un peu plus de volonté et de maîtrise. »
Elle répondit en pesant ses mots :
— Il s’agit d’une décision qui nous concerne tous les deux. Du reste, tu l’as probablement déjà prise avant moi. En offrant ta vieille relique à la Croix-Rouge, tu as tiré un trait définitif sur le passé, et c’est très bien ainsi. S’il te plaît, Michael, à partir de maintenant, traite-moi comme une gouvernante, une salariée avec laquelle tu n’aurais aucune attache familiale.
Il hocha lentement la tête tout en vrillant sur elle un re-gard perçant.
— Tu te rends compte de ce que tu exiges ? riposta-t‑il. En théorie, c’est sûrement de la sagesse, mais en pratique, ce sera plus difficile que tu ne l’imagines.
— Peut-être, mais c’est à cette seule condition que je resterai ici.
— Bon, d’accord, si c’est vraiment ce que tu souhaites.
— Non seulement je le souhaite, mais je l’exige, monsieur Ross.
Il haussa les épaules en levant les yeux au plafond, puis il sortit en refermant doucement la porte de la chambre derrière lui.

8

Trois semaines plus tard, Michael se demandait s’il n’allait pas devenir fou.
Johanna respectait à la lettre la résolution qu’elle avait prise. Michael la soupçonnait d’y être grandement aidée par l’intérêt qu’elle accordait désormais à ses études. Elle s’était créé à l’extérieur un monde à elle, d’où il était exclu. A plusieurs reprises, elle avait même passé la soirée au concert ou au théâtre avec ses amies de faculté.
Qu’aurait‑il pu objecter ? Rien, évidemment. Elle rem-plissait parfaitement son contrat et assurait quarante heures hebdomadaires de travail en tenant la maison à la perfection.
Mais plus il la sentait s’éloigner de lui, plus il la désirait. Il éprouvait maintenant une frustration si douloureuse que, par moments, il sentait sa raison chanceler.
Même quand elle n’était pas présente, tout dans la maison lui rappelait Johanna. C’étaient le petit bouquet dans un vase sur sa table de travail, le parfum fleuri d’une eau de toilette qui flottait dans l’air, son plat préféré prêt à être réchauffé, l’attendant, le soir, dans la cuisine.
Lorsque son esprit cessait d’être préoccupé par les soucis de son entreprise, il pensait à Johanna. Tendu, prêt à explo-ser, il rêvait d’elle toutes les nuits. La flamme qui, neuf ans plus tôt, avait jailli entre eux, ne s’était pas éteinte ; elle s’était mise en veilleuse et rallumée à l’arrivée de la jeune femme, pour devenir maintenant un brasier qui le consumait.
Trois semaines plus tôt, lorsqu’elle lui avait signifié qu’elle entendait n’être rien de plus qu’une employée, il avait d’abord eu envie de se moquer d’elle. Mais il avait vu dans les yeux noisette une lueur qui l’avait intrigué, puis effrayé. Dans un éclair, il avait compris qu’elle était prête à rassembler ses affaires et à s’en aller. Où ? Il l’ignorait, mais la détermination du fin visage avait été implacable.
Et pourtant, bien qu’au fil des jours l’envie qu’il avait d’elle se fût exaspérée, il se refusait toujours à analyser la nature des sentiments qu’il éprouvait. Il est facile de croire à une simple attirance sexuelle, mais beaucoup plus compli-qué de découvrir ce qui se cache dans les replis de l’âme.
Pour bien souligner sa résolution de garder ses distances, Johanna avait cessé de prendre ses petits déjeuners avec lui, dès le lendemain de sa décision. A présent, quand il descen-dait le matin, tout était préparé sur la table de la cuisine, et il n’avait plus qu’à brancher la cafetière électrique et faire griller ses toasts. Elle attendait son départ pour descendre à son tour au rez-de-chaussée.
Ce jeudi-là, il se félicitait silencieusement de sa ruse. La veille, à la place des éternels toasts du breakfast, il lui avait exprimé son désir de savourer des crêpes. Celles-ci devant être confectionnées à mesure de leur dégustation, Johanna avait bien été obligée de se trouver en même temps que lui dans la cuisine.
Elle était là, en pyjama sous une robe de chambre en co-ton matelassé, pieds nus dans des mules, ses cheveux blonds noués en queue-de-cheval. Elle maniait la poêle en spécia-liste, retournant chaque crêpe d’un mouvement adroit du poignet, pour la lui servir ensuite toute chaude, sur une as-siette.
— Johanna !
— Oui ?
Elle daigna s’arrêter pour le dévisager en haussant des sourcils interrogateurs.
— Ne pouvons-nous au moins être aimables l’un envers l’autre ? demanda-t‑il.
— Mais nous le sommes.
— Non. S’il te plaît, assieds-toi en face de moi et, pour une fois, prenons ensemble notre petit déjeuner.
Elle jeta un coup d’œil à la pendule murale.
— Tu vas arriver en retard au bureau.
— Ce matin, j’ai tout mon temps. Mon premier rendez-vous n’est qu’à 11 heures.
— Si cela peut te faire plaisir, dit‑elle, vaguement dédai-gneuse.
Elle dressa rapidement son propre couvert, fit sauter trois crêpes, qu’elle empila sur une assiette, avant de s’asseoir, le buste raide. Les traits figés, elle se beurra une biscotte et emplit sa tasse de café.
— Pourquoi ne cesses-tu pas de me fixer ? demanda-t‑elle d’un ton neutre.
— Je ne te fixe pas, je te regarde. J’en ai encore le droit, non ?
Elle haussa les épaules et croqua dans sa biscotte, tandis que Michael poursuivait :
— Je voulais te remercier d’avoir renoncé, ce soir, à ton cours en fac pour recevoir avec moi les Larsen.
— C’est mon travail.
— Oui, certes, mais…
Elle l’interrompit.
— Hier soir, bien en vue sur ta table de travail, j’ai placé plusieurs types de menus. Seules les entrées changent, car j’ai déjà acheté le filet de bœuf. As-tu choisi ?
— Je les ai parcourus. Mais qu’est-ce que le « huachi-nango » ?
— Un plat mexicain très prisé des Texans. Il s’agit de fi-lets de poissons, grillés et relevés avec des piments verts, des tomates et des olives. Ils sont vendus en surgelés, prêts à être réchauffés. A tout hasard, j’en ai pris une boîte. J’attends ta décision pour les sortir du congélateur.
— A mon avis, nos invités préféreront commencer par un assortiment de charcuteries. En outre, cela simplifiera le service.
— Très bien.
— Très bien, monsieur Ross, rectifia-t‑il.
Elle le regarda, ahurie. Il continua du même ton fausse-ment sévère :
— N’est-ce pas conforme à ta ligne de conduite ? En gé-néral, une employée de maison n’appelle pas le patron par son prénom…. Qu’as-tu, Johanna ? Ma réflexion t’aurait‑elle déplu ? Tu trouves peut-être qu’entre nous le « monsieur » fait un peu trop cérémonieux ?
Elle s’était levée et se dirigeait vers le couloir.
— Où vas-tu ?
— Dans ton bureau. Je vais reprendre les propositions de menus que j’avais rédigées hier soir. Puisque tu as fait ton choix, je servirai du jambon fumé et du saucisson en hors-d’œuvre… Ainsi que vous en avez décidé, monsieur Ross.
La déférence appuyée du ton agaça Michael. N’avait‑elle pas compris que, tout à l’heure, il plaisantait ? Il avait seu-lement voulu lui démontrer le ridicule de son attitude. Le fossé qu’elle creusait chaque jour davantage lui devenait insupportable. Ce soir, devant Donna Sue et Jack Larsen, elle n’allait tout de même pas jouer les gouvernantes ! Ce serait grotesque…
Il but le reste de son café et, bien décidé à rétablir entre eux des relations normales, il se leva pour aller la rejoindre. Au besoin, il la secouerait pour la ramener à plus de bon sens.
Il traversa le salon, atteignit son bureau, mais resta sur le seuil, observant Johanna qui, apparemment, ne l’avait pas entendu. Elle lui tournait le dos. Le front appuyé contre une vitre, elle contemplait le parc qu’éclairait la lueur rose du petit matin.
S’il avait pu deviner ses pensées, il aurait été pleinement rassuré. Johanna n’avait pas l’intention de tenir, au cours de la soirée, le rôle d’une simple employée. Son bon sens lui commandait de redevenir la belle-sœur du maître de maison.
L’attitude distante qu’elle s’imposait depuis trois se-maines lui pesait, et elle ne s’y conformait que par fierté. En ce moment, elle cherchait comment en changer sans qu’il vît une nouvelle provocation dans son comportement. Il lui serait difficile de dissimuler ses sentiments, car elle se sentait de plus en plus amoureuse de Michael.
Les fonctions qu’elle avait accepté de remplir à Park House créaient nécessairement des liens d’intimité avec lui. Faire le lit d’un homme tous les matins, changer ses draps, plier ses sous-vêtements après les avoir lavés, repasser ses chemises, autant de contacts indirects qui alimentaient en elle un désir de plus en plus ardent.
Elle n’était pas aussi forte qu’elle l’avait cru, et elle do-minait difficilement son attirance pour son beau-frère. La nuit, des rêves érotiques troublaient son sommeil. Même lorsqu’elle faisait des courses en ville, Michael était sans cesse présent dans son esprit. Elle choisissait les aliments qu’il préférait, cherchait ce qui pourrait embellir sa maison. C’est ainsi qu’elle avait découvert de délicates aquarelles et des reproductions de peintres modernes chez un brocanteur. Les premières ornaient le salon, les secondes la salle à man-ger et le bureau.
Elle avait espéré que Michael s’extasierait. Mais, l’esprit ailleurs, il s’était *******é de déclarer qu’elle avait bon goût, ce dont il n’avait jamais douté.
C’était spontanément, avant même qu’il n’en fît la de-mande, qu’elle avait renoncé à son cours du jeudi soir pour recevoir avec lui le couple Larsen. Elle se souvenait de la bonhomie de Jack et se demandait si l’épouse, Donna Sue, serait aussi simple et affable que le mari.
Cette question la ramena au présent. La journée allait être chargée et, au lieu de rêvasser en regardant le parc, elle serait plus avisée de s’acquitter rapidement des tâches quo-tidiennes, puis de se consacrer ensuite à la préparation de la soirée. La réception devait être à la hauteur de l’importance des invités.
Elle se retourna et sursauta en laissant échapper un petit cri. Michael se tenait derrière elle, si proche qu’elle avait failli le heurter. Perdue dans ses pensées, elle ne l’avait pas entendu entrer dans la pièce.
Elle n’eut pas le temps de se composer un visage. Il l’avait saisie par les épaules, et le miracle du contact de ses mains la faisait fondre de bonheur.
— Regarde-moi ! ordonna-t‑il en la fixant intensément de ses yeux clairs.
Dans un réflexe de défense, elle eut un léger mouvement de recul, mais bien trop léger pour s’écarter de lui et rompre le charme. Elle se sentait de nouveau prise au piège de la force émanant de cet homme, qu’elle ne cessait d’admirer et de désirer.
— S’il te plaît…, gémit‑elle.
— S’il te plaît quoi ?
— Ne jouons pas avec le feu, Michael. Nous avons tenu bon pendant trois semaines, alors ne commettons aucune imprudence. Rassure-toi : ce soir, je me coulerai aisément dans le rôle d’hôtesse et, devant tes invités, je t’appellerai par ton prénom.
— En ce moment, je ne pense pas à mes invités, Johanna. Je suis venu te dire que nous ne pouvons plus nous compor-ter comme des étrangers l’un envers l’autre. Je te désire et tu le sais… Alors pourquoi affectes-tu de m’ignorer ?
Eperdue, le cœur battant la chamade, Johanna luttait contre un vertige qu’elle ne connaissait que trop bien.
— Nous ne devons pas…, commença-t‑elle.
Sa voix s’éteignit dans sa gorge. Michael l’avait empri-sonnée dans une étreinte passionnée et il l’embrassait par-tout sur le visage. Aussi légère qu’une aile de papillon, sa bouche frôlait les lèvres frémissantes, se glissaient dans son cou et butinaient le lobe d’une oreille.
Johanna n’était plus en mesure de résister à une aussi tendre attaque. Son sang s’échauffait, sa volonté se dissol-vait dans le feu de la passion. Dès que les baisers de Michael se firent plus exigeants, elle y répondit avec fougue. Trop longtemps brimé, son désir explosait sans aucune retenue. Elle buvait le souffle aimé et défaillait sous des baisers de plus en plus ardents.
Lorsqu’il glissa une main sous sa veste de pyjama et lui caressa la pointe d’un sein, elle se cambra contre lui, le corps parcouru de frissons.
— Ah, Johanna !… Johanna ! haletait‑il.
Il écarta les pans de la robe de chambre et, comme elle ne protestait pas, en un tournemain, il la dépouilla de ses vête-ments de nuit et la contempla, nue, l’enveloppant d’un re-gard possessif.
— Tu es belle… belle comme l’aurore, murmura-t‑il, ébloui.
Elle voulut le déshabiller à son tour. Il l’en empêcha d’un baiser profond, voluptueux, et la serra de nouveau contre lui.
La pensée paralysée, incapable de raisonner, Johanna dé-faillait dans ses bras. Elle ne maîtrisait plus la flamme qui l’envahissait et qui la portait aux pires folies. Elle voulait Michael, tout de suite. Elle voulait le sentir au plus profond d’elle-même.
Avec des gestes malhabiles, elle défit sa ceinture, libérant son désir d’homme. Quelques secondes plus tard, jambes et bras mêlés, ils s’effondraient ensemble sur la moquette. Johanna l’embrassait éperdument, le caressait et aurait voulu se fondre tout entière dans sa chaleur.
La bouche de Michael courait d’un sein à l’autre et Jo-hanna gémissait de plaisir, la pensée hantée de fièvre, prête à se donner dans l’élan le plus animal qui fût.
— Viens, Michael… Oh, viens !
Il savourait cet instant en s’émerveillant de la sentir si prête à répondre à son ardeur.
Alors qu’il basculait sur elle, la sonnerie du téléphone leur vrilla les oreilles.
— Ne réponds pas ! supplia Johanna.
Et pour l’attirer en elle et le retenir, elle noua les jambes autour de ses hanches.
Mais, surpris, il s’était immobilisé. La sueur perlait sur son front.
La sonnerie retentit une seconde fois, puis une troisième.
Johanna s’arquait contre lui, impatiente de le sentir entrer en elle. Submergée par la vague brûlante du désir, sourde et aveugle au monde extérieur, elle ne perçut pas le déclic du répondeur. Bien que, sur le moment, elle ne l’identifiât pas, la voix qui résonna alors dans la pièce la ramena brutalement sur terre. Michael s’écarta vivement.
« Coucou, les enfants ! Où en êtes-vous de votre installa-tion ? Papa et moi, nous prolongeons nos vacances par un séjour chez des amis en Floride. Ne vous inquiétez pas pour nous. Tout va bien. Baisers à vous deux ! »
— Mon Dieu ! soupira Johanna.
Elle ferma les yeux et se sentit mourir de frustration. Tout son corps lui faisait mal. La voix joyeuse d’Arlène Ross avait refroidi l’ardeur de Michael avec encore plus d’efficacité qu’une douche glacée.
Elle se releva d’un bond. Michael s’était déjà mis debout et se rajustait.
Gênée, elle attrapa son peignoir et s’en couvrit, puis ils se dévisagèrent longuement. Michael haletait comme s’il avait couru le marathon de New York. Le visage de Johanna était cramoisi et ses yeux brûlaient encore de fièvre.
L’un comme l’autre, ils se sentaient aussi fautifs que deux enfants qu’un adulte aurait pincés en train de voler des gâteaux dans un magasin.
Johanna tremblait intérieurement, avec l’impression que sa belle-mère les avait surpris en train de faire l’amour. Elle se demandait ce que Michael pensait maintenant de leur coup de folie. D’y avoir mis fin aussi brutalement, se sen-tait‑il vexé dans sa fierté de mâle ? Un reste de passion brillait encore dans les yeux bleus, mais Johanna refusait de s’y attarder. Le charme était rompu.
— Parle-moi… Dis quelque chose ! supplia Michael.
L’intrusion de sa mère dans leur intimité ne l’étonnait qu’à moitié. Cela lui rappelait le temps de son enfance. Elle surgissait toujours au moment où il s’apprêtait à commettre une sottise. « Les mères sont comme les anges gardiens, se disait‑il. Elles possèdent un don de prémonition. »
Incapable de proférer le moindre son, Johanna secoua né-gativement la tête.
Il avança d’un pas, et elle recula d’autant.
Il marmonna alors un juron, enfila son veston, qu’il avait posé sur le dossier d’une chaise, et quitta la pièce.
Quelques minutes plus tard, elle entendait se refermer la porte d’entrée.
Elle s’effondra sur le sol en pleurant.
La voix de sa belle-mère résonnait encore dans sa tête :
« … Tout va bien », avait dit Arlène.
Non, tout allait mal, au contraire. Johanna s’était crue à la porte du paradis, mais ce n’était qu’un rêve brutalement fracassé. Jamais elle ne s’était sentie aussi malheureuse.
Ce soir-là, Michael revint tôt du bureau, afin de pouvoir aider Johanna aux préparatifs du dîner. Il avait mûrement réfléchi à ce qu’il lui dirait.
Mais lorsqu’il entra dans la cuisine et qu’il la vit s’activer devant les plaques électriques, sa tête se vida d’un seul coup, et il se perdit dans la contemplation d’une créature qu’il reconnaissait à peine.
Chaussée d’élégants escarpins, elle portait pour la pre-mière fois la robe noire qu’elle avait choisie le lendemain de son arrivée. Le jersey de soie moulait le corps splendide comme une seconde peau et laissait voir les longues jambes fuselées, gainées de bas noirs d’une finesse arachnéenne. Ses cheveux étaient artistement relevés en un chignon com-pliqué, d’où s’échappaient quelques tourbillons de mèches dorées. Malgré le tablier blanc de soubrette qu’elle avait revêtu pour protéger sa robe, il la trouva sublime.
Il avait préparé quelques phrases d’excuses. Après l’incident désastreux du matin, il s’était attendu à trouver une Johanna désemparée ou, pire, en train de bouder dans sa chambre. Or, elle paraissait parfaitement calme et détendue, comme si rien ne s’était passé entre eux
En arrivant, il avait jeté un coup d’œil dans la salle à manger et constaté que le couvert était mis, et la table joli-ment décorée de petits bouquets d’impatiens multicolores du plus bel effet. Deux chandeliers à sept branches — mais où donc les avait‑elle trouvés ? — offraient leurs quatorze bougies prêtes à être allumées.
Elle avait rempli sa tâche à la perfection. Et lui, pendant ce temps, dans son bureau directorial, avait eu le plus grand mal à se concentrer sur son travail. Il ne cessait de ruminer son échec, s’en voulant de s’être montré aussi imprudent. Si la voix maternelle ne l’avait pas arrêté à temps, il aurait fait l’amour en urgence, comme un irresponsable, sans même avoir songé à une protection…
Quelle image sordide il avait dû laisser dans l’esprit de Johanna ! Jamais plus elle ne le regarderait avec cette étin-celle d’admiration qui le flattait tellement !
Mais voilà qu’elle s’était retournée et lui souriait genti-ment.
— Ah, tu es là, Michael ! Le dîner est presque prêt. Où prendrons-nous l’apéritif ? Dans le salon ou dans ton bu-reau ? Si tu préfères le salon, il serait peut-être bon d’allumer une flambée dans la cheminée.
Sa voix était presque enjouée, avec ce qu’il fallait de fa-miliarité pour le mettre à l’aise.
Il déglutit et réussit à dire d’un ton hésitant :
— Pour ce matin, Johanna, je suis désolé… J’avais perdu tout contrôle de moi.
Elle protesta, bienveillante :
— Ne t’excuse pas. J’ai ma part de responsabilité. Je re-grette seulement que tout se soit arrêté aussi vite.
— Rassure-toi, cela ne se reproduira plus.
Elle ne put s’empêcher de tiquer. Ainsi, toute l’intimité qu’elle avait partagée avec lui et qui continuait de résonner dans son cœur comme un carillon de fête ne trouvait aucun écho chez Michael ! Il niait le bonheur éprouvé, et le re-poussait comme s’il en avait honte.
— Qu’est-ce que cela veut dire, Michael ?
— Je n’avais pas le droit de te serrer contre moi. A ce moment-là, j’ai enfreint les règles que je m’étais imposées. J’ai beaucoup réfléchi et conclu que le désir étant une force de la nature, ce matin, ni toi ni moi n’avons été en mesure d’y résister. A l’avenir, je te le jure, je résisterai… sauf, bien sûr, si tu étais trop malheureuse. Alors, sois assurée que je serai toujours là… Enfin, je veux dire que si tu as besoin de moi…
La surprise et l’indignation suffoquaient Johanna. Elle le-va vers lui un visage pâli et l’interrompit.
— En somme, si je comprends bien, tu as pitié de la pauvre petite veuve, affamée d’amour, et tu serais prêt à la consoler ?
— Ne dénature pas mes paroles.
— Elles ne sont que trop explicites. Dans ta grande géné-rosité, tu m’offres le gîte, le travail, le couvert et le sexe… rien que le sexe…
— Mon Dieu, Johanna, si c’est ce que tu penses, tu…
Elle le coupa sèchement.
— Ça suffit, Michael ! Tu ferais mieux de monter prendre une douche et de t’habiller pour recevoir tes invités. Ils seront là dans une demi-heure, et tu n’as plus une seconde à perdre.
Mortifié autant que furieux, il pivota et quitta la cuisine. Dans sa chambre, il vit qu’elle avait préparé son smoking et une chemise blanche sur le lit. Vexé que leur dialogue ne se fût pas déroulé comme il l’avait espéré, il exhala son trop-plein de colère.
— Un smoking, quelle stupidité ! bougonna-t‑il. J’ai tou-jours vu Jack en bottes et saharienne !
Et pourtant, une fois de plus, il dut constater que c’était Johanna qui avait raison. Trois quarts d’heure plus tard, il se félicitait de s’être tout de même plié à ses directives.
En ouvrant la porte à ses hôtes, il vit que Mme Larsen portait une cape de velours sur une robe longue. Quant à son mari, il arborait un smoking de la meilleure coupe.
Les présentations se firent dans la bonne humeur. Michael respira mieux. Johanna semblait avoir oublié leur dernière altercation. Toute souriante, elle avait ôté son tablier et accueillait Donna Sue et Jack avec son aisance habituelle.
Et pourtant, en remettant à plus tard ce qu’elle avait à dire à Michael, ce n’était pas sans difficulté qu’elle avait ravalé ses larmes d’humiliation et de rancune. Heureusement qu’elle ne s’était jamais fait beaucoup d’illusions sur les sentiments qu’il pouvait éprouver pour elle !
Avant l’arrivée des Larsen, une crainte l’avait tourmentée. Elle connaissait et avait apprécié la bonhomie de Jack Larsen, mais elle redoutait que l’épouse d’un si puissant industriel ne la toisât avec un peu de condescendance.
Elle fut rapidement rassurée. Malgré sa robe de grand couturier, Mme Larsen était une femme simple qui, sponta-nément, inspirait la sympathie. La soixantaine, elle avait une silhouette un peu empâtée, et un visage rayonnant de bonté qu’encadraient des cheveux poivre et sel, coupés assez court. Johanna lui trouva une ressemblance avec sa mère.
Sans dissimuler leur intérêt réciproque, les deux femmes se serrèrent la main, puis les yeux gris de Donna Sue se tournèrent vers Jack.
— Tu avais raison. Elle est délicieuse.
— J’ai toujours raison ! lança Jack en baisant respectueu-sement le bout des doigts de Johanna.
Le ton était donné. Et, bien que Johanna évitât le plus possible le regard de Michael, la réception se déroula dans la plus parfaite harmonie.
L’apéritif fut servi dans le salon. Michael avait allumé du feu dans la grande cheminée. Avec le whisky, le gin et le porto, Johanna offrit des petits fours salés, croustillants et servis chauds, qui furent très appréciés du couple Larsen.
Au bout d’une demi-heure de bavardages, Johanna de-manda à Donna Sue et à son mari comment ils aimaient le filet de bœuf : bien cuit, à point ou saignant ? Il était temps, maintenant, de passer à table.
Tous quatre se rendirent dans la salle à manger, qu’éclairaient les quatorze bougies des chandeliers. Les exclamations d’admiration fusèrent.
Les hors-d’œuvre, puis le rôti accompagné d’une jardi-nière de petits légumes frais, furent servis avec un grand vin rouge de Californie. Pendant tout le repas, les Larsen ne cessèrent de couvrir d’éloges la maîtresse de maison.
Après le dessert, le fameux cake au chocolat, dont la re-cette fut fournie aimablement par Johanna, Michael proposa d’aller prendre le café dans son bureau.
Alors que Johanna emplissait les tasses, Donna Sue l’interpella :
— Jack m’a dit que vous étiez veuve.
— Oui. Il y a un an, mon mari s’est tué dans un accident de voiture.
— C’est terrible…, murmura Mme Larsen.
— Terrible, en effet, approuva Michael. La voiture de mon frère a été percutée par un camion, dont le conducteur a pris la fuite et n’a jamais été retrouvé.
— Quel drame ! s’exclama Donna Sue. Ma pauvre petite, comme cela a dû être dur pour vous !
— Oui, dit Johanna, j’ai vécu des moments bien pé-nibles…
Elle coula un regard vers Michael et ajouta :
— Grâce à mon beau-frère, depuis septembre dernier, j’ai enfin recouvré un peu de sérénité.
— Ross est un chic type, déclara Jack en envoyant une amicale bourrade dans le dos de Michael. En outre, il est le plus avisé des exportateurs. Grâce à lui, je ne te l’ai pas encore dit, ma chère Donna, mais nous allons peut-être dé-crocher le marché avec les Japonais.
— Les transactions sont en bonne voie, dit Michael avec fierté.
— Et voilà, ça recommence ! s’exclama joyeusement Donna Sue. Je m’étonnais que mon Jack ait pu rester toute la soirée sans parler affaires. S’il repart pour le Japon, nous ne sommes pas sortis de l’auberge… Oh, excusez-moi, dit‑elle en touchant d’une paume amicale la main de Johanna. L’expression est stupide ! Ou alors, acceptez-la comme un hommage à une auberge qui mériterait au moins cinq étoiles dans un guide gastronomique. Ici, tout est parfait : les hôtes, la table, le cadre. Est-ce un décorateur qui a eu l’idée de doubles rideaux en chintz fleuri dans une salle à manger ultramoderne ? Le contraste surprend, mais l’ensemble est ravissant.
— Michael n’a fait appel à aucun décorateur. Il m’a laissé carte blanche… au moins pour les fenêtres et le salon, car nos goûts diffèrent. Les siens sont d’avant-garde, et les miens un peu passéistes. Je raffole des meubles anciens, mais Michael, dont l’enfance et l’adolescence ont eu pour cadre une maison meublée comme un musée, a probablement eu une indigestion des styles de la vieille Europe.
— Jack m’a dit que le grand-père de Michael était un an-cien armateur. Vos parents appartenaient-ils, eux aussi, à ce milieu ?
— Non. Tous deux étaient professeurs à Princeton. Nous habitions un cottage proche du manoir des Ross, et c’est dès ma prime enfance que j’ai connu les deux frères…
Désireuse de changer de conversation – car tout ce qui évoquait le passé lui était pénible –, Johanna demanda à Donna Sue s’il lui serait agréable de visiter le reste de Park House, pendant que les deux hommes continueraient de discuter affaires.
Donna Sue se leva, enchantée.
— J’en serais ravie, car c’est exactement le genre d’endroit que j’aimerais habiter si je vivais en ville. Mais j’ai hérité du ranch de mes parents et, lorsque nous ne sommes pas en voyage, c’est là que Jack et moi vivons, au milieu des champs de coton, entre Dallas et Austin.
Johanna précéda son invitée qui, une fois de plus, s’extasia devant le hall en rotonde et le majestueux escalier à double révolution. Donna Sue trouva original le palier en forme de balcon et admira le travail en fer forgé de la rampe.
Guidée par Johanna, elle jeta un coup d’œil dans les deux chambres, aima le lit à colonnes de Michael ainsi que l’armoire asiatique en cèdre sculpté. Ensuite, elle demanda la permission de s’attarder, seule, dans la salle de bains de Johanna.
Quand elle en ressortit, elle prit amicalement le bras de la jeune femme.
— C’est la maison la plus jolie que j’aie jamais visitée.
— Il y a encore beaucoup de travail, dit Johanna. Trois chambres restent à meubler.
Donna Sue lui décocha un petit sourire malicieux.
— Vous en transformerez une en nursery et emplirez les deux autres avec des bébés.
Johanna haussa légèrement les épaules.
— Ce n’est pas mon problème. Il s’agit de la maison de mon beau-frère, et je n’en suis que la gouvernante.
Donna Sue agita l’index dans sa direction.
— J’ai observé Michael pendant toute la soirée. Il n’a cessé de vous regarder. A mon avis, il ne vous considère pas comme une simple intendante. Il y a de la tendresse et de la souffrance dans ses yeux clairs.
Alors que toutes deux s’apprêtaient à rejoindre le rez-de-chaussée, Johanna, interdite, s’arrêta sur la première marche de l’escalier.
— Vous vous trompez…
— Oh, que non ! J’ai beau être une fille de la campagne et une grand-mère par-dessus le marché, j’ai encore de bons yeux et je sais lire dans ceux des autres. Non seulement Ross est amoureux, mais il souffre.
Elle attrapa la rampe et commença de descendre. Johanna la suivait, incrédule.
— Michael souffre ? Cela m’étonnerait !
Donna Sue se retourna et la regarda en souriant.
— C’est visible, et vous devriez mettre fin à son calvaire.
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Elles continuèrent leur descente. Dans le hall, Mme Larsen tapota la joue de sa cadette.
— Je n’ai pas besoin de vous expliquer. Accordez-lui ce qu’il espère, et je suis sûre que vous serez aussi heureux l’un que l’autre.
Dans le bureau, les deux hommes se levèrent à l’entrée des deux femmes. Le visage de Johanna était cramoisi. Celui de Donna Sue pétillait de malice. Le regard de Jack s’attarda sur Johanna.
— J’espère que ma femme ne vous a pas trop embêtée, dit‑il.
Et, se tournant vers Michael :
— Mon épouse est incorrigible ! C’est une donneuse de conseils qui a la manie de se mêler de ce qui ne la regarde pas. Impossible de la changer, c’est dans sa nature.
Johanna sourit à Jack.
— Votre épouse et moi nous sommes entendues comme deux amies, rassurez-vous.
Sourd aux remarques de Donna Sue qui estimait que le temps était venu pour eux de prendre congé, Jack continuait de bavarder avec Michael.
Johanna, elle, réfléchissait aux paroles de Mme Larsen.
« … Accordez-lui ce qu’il espère… »
Elle coula un regard vers Michael et, en dépit de son res-sentiment, elle ne put s’empêcher de l’admirer. Dans sa tenue de soirée, il était racé comme un pur-sang, tellement plus séduisant que leur invité, pourtant élégant, lui aussi, dans son smoking bien coupé. Ayant fréquenté assidûment les ciné-clubs, elle les compara mentalement à deux anciens acteurs.
« Gregory Peck à côté de John Wayne », se dit‑elle, amusée.
Elle désirait Michael et savait son désir partagé. Quelques instants plus tôt, il lui avait avoué son attirance pour elle – maladroitement, certes, mais il n’avait fait que confirmer ce qu’elle savait déjà. Alors pourquoi refuserait‑elle de s’abandonner à ses propres pulsions… en lui accordant ce qu’il espérait ?
Aussitôt, par fierté, elle en repoussa l’idée. Aller se réfu-gier dans les bras de Michael, comme le lui avait suggéré Donna Sue, était une idée qui la révoltait. Elle détourna de lui son regard et le reporta sur leurs invités, prêts à partir et dont les adieux s’éternisaient.
— Le week-end prochain vous conviendrait‑il ? deman-dait Jack à Michael.
Donna Sue précisa, à l’intention de Johanna qui n’avait pas suivi leur conversation :
— Mon mari et moi, nous aimerions vous recevoir tous les deux à New York avant notre retour pour le Texas.
Surprise, Johanna répondit :
— C’est à Michael d’en décider.
Michael s’arracha à la contemplation de la jeune femme. Depuis qu’elle était revenue dans le bureau avec Mme Larsen, il n’écoutait plus Jack que d’une oreille dis-traite. Johanna semblait bien s’entendre avec Donna Sue. Il s’en félicitait, mais se demandait ce qu’elles avaient pu se dire. Johanna avait paru confuse, et la confusion la rendait encore plus désirable. Et quel talent pour mettre leurs invités à l’aise ! Elle avait été absolument parfaite.
— Le week-end prochain ? dit‑il en répondant à Jack. Mais oui, pourquoi pas ?
— Nous serons ravis de vous recevoir au Plaza, dit Donna Sue. Je précise que vous serez nos invités. Nous retiendrons également les places pour un concert, une revue ou une pièce de théâtre, à votre choix. Jack adore flâner le soir dans Broadway. Nous vous téléphonerons demain pour mettre tout cela au point.
Dans le hall, Michael présenta courtoisement sa cape à Donna Sue. Puis, les adieux terminés, tandis que Johanna restait sous le portique, il accompagna ses hôtes jusqu’à leur voiture de location.
— Votre belle-sœur est vraiment adorable, dit Jack en s’installant au volant. A votre place, Ross, je ne la laisserais jamais repartir.
— C’est bien mon intention, dit Michael.
Il avait souri en prononçant ces mots, mais en même tempsil eut la vision de ce que serait Park House sans Jo-hanna. Aussitôt, un grand froid lui glaça l’âme.
Quelques secondes plus tard, il retrouva la jeune femme dans la salle à manger, en train d’empiler les assiettes sales sur une table roulante. Il l’aida ensuite à emplir le lave-vaisselle. Elle affectait de ne pas le regarder et restait silen-cieuse, ne répondant que par monosyllabes à ses questions.
Désirant renouer le dialogue, Michael déclara presque ti-midement :
— La soirée a été parfaite. Merci pour tout, Johanna.
— Je n’ai fait que mon travail.
Elle n’ajouta rien et s’activa dans la cuisine sans plus s’occuper de lui.
Indécis, il préféra ne pas insister et s’en alla dans son bu-reau pour ranger les dossiers qu’il avait sortis d’un classeur à l’intention de Jack. Mais en même temps, il surveillait de loin le hall.
Quand il vit Johanna le traverser en direction de l’escalier, il quitta vivement son bureau et lui barra le chemin.
— Johanna, à propos de notre petite altercation avant l’arrivée des Larsen, je voulais te dire que je me suis mal exprimé…
— N’en parlons plus.
Bien qu’il s’abstînt de la toucher, ses yeux bleus la rete-naient captive, et elle ne cherchait pas à l’écarter.
Il reprit d’un ton suppliant :
— Après-demain, tu m’accompagneras à New York, n’est-ce pas ? L’invitation te concerne aussi, Johanna. Or, tout à l’heure, tu n’as rien répondu à Mme Larsen, lorsqu’elle a insisté pour te recevoir avec moi.
— J’étais un peu surprise. C’est toi que Jack avait invité. Toutefois, l’insistance de Donna Sue m’a touchée. Mais après ce qui s’est passé entre nous, je ne me vois pas des-cendre avec toi dans un hôtel. En tout cas, j’ai encore besoin de réfléchir.
Il s’écarta pour la laisser passer.
— La nuit porte conseil, Johanna. Tu prendras ta décision demain, mais lorqu’il m’appellera au bureau, je souhaite pouvoir dire à Larsen que tu es d’accord et qu’il peut retenir deux chambres au Plaza.
Une demi-heure plus tard, alors qu’elle avait la tête sur l’oreiller, Johanna entendit Michael monter l’escalier. Son cœur dérapa au moment où les pas marquèrent une pause sur le palier. Lorsqu’elle comprit qu’ils se dirigeaient vers sa chambre, elle sentit son sang s’échauffer. Si Michael entrait chez elle en ce moment, elle serait capable de lui ouvrir les bras, d’oublier ses propos insultants et de poursuivre ce qu’ils avaient si follement commencé le matin.
Mais après un moment d’hésitation, Michael dut renoncer à frapper à sa porte, car elle entendit décroître le bruit des pas.
Déçue, elle ferma les yeux et essaya de se raisonner, afin d’éteindre la flamme qui, de nouveau, la dévorait.
« … Accordez-lui ce qu’il désire », avait conseillé Donna Sue.
Mais que voulait exactement Michael ? Du sexe, rien que du sexe. Elle lui en avait donné neuf ans plus tôt et, ensuite, il l’avait laissée épouser Jeff.
Si elle cédait de nouveau, non seulement à ses propres pulsions mais à tout l’amour qui la consumait, quel avenir se préparerait‑elle ?
Peut-être le prochain week-end apporterait‑il une réponse à sa question.00

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ **ÃãíÑÉ ÇáÍÈ**   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÅÖÇÝÉ ÑÏ

ãæÇÞÚ ÇáäÔÑ (ÇáãÝÖáÉ)

ÇáßáãÇÊ ÇáÏáÇáíÉ (Tags)
audra adams, ÑæÇíÉ ÝÑäÓíÉ
facebook




ÌÏíÏ ãæÇÖíÚ ÞÓã ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÃÏæÇÊ ÇáãæÖæÚ
ãÔÇåÏÉ ÕÝÍÉ ØÈÇÚÉ ÇáãæÖæÚ ãÔÇåÏÉ ÕÝÍÉ ØÈÇÚÉ ÇáãæÖæÚ
ÊÚáíãÇÊ ÇáãÔÇÑßÉ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÅÖÇÝÉ ãæÇÖíÚ ÌÏíÏÉ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÇáÑÏ Úáì ÇáãæÇÖíÚ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÅÑÝÇÞ ãáÝÇÊ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÊÚÏíá ãÔÇÑßÇÊß

BB code is ãÊÇÍÉ
ßæÏ [IMG] ãÊÇÍÉ
ßæÏ HTML ãÚØáÉ
Trackbacks are ãÊÇÍÉ
Pingbacks are ãÊÇÍÉ
Refbacks are ãÊÇÍÉ



ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 03:05 AM.


 



Powered by vBulletin® Version 3.8.11
Copyright ©2000 - 2024, Jelsoft Enterprises Ltd.
SEO by vBSEO 3.3.0 ©2009, Crawlability, Inc.
ÔÈßÉ áíáÇÓ ÇáËÞÇÝíÉ