chapitre 10
Le bruit du tonnerre la réveilla en sursaut et elle bondit près de Sam. Elle s’assit, comprenant que tandis qu’ils s’étaient endormis dans le pré ensoleillé, après leur pique-nique, une tempête s’était levée.
Une journée était passée depuis que Rose du Texas avait donné naissance à ses deux veaux, et Sam avait travaillé diligemment avec Tooter afin de gagner du temps pour lui faire découvrir tout le domaine.
Il s’assit à côté d’elle, regardant le ciel.
— J’ai écouté la météo ce matin, et il était censé faire beau toute la journée, mais parfois, les tempêtes surgissent d’un seul coup et vous surprennent. Rassemblons les affaires, je vais chercher les chevaux.
Il s’éloigna tandis qu’elle ramassait les assiettes, les couverts, et rangeait le tout dans ses sacoches. Contre le vent, elle essaya de plier la couverture qui claqua entre ses mains : elle l’enroula autour d’elle. Un éclair de lumière surgit dans le ciel et elle entendit le hennissement apeuré d’un cheval.
Elle parvenait enfin à plier la couverture quand elle vit Silver Shadow se cabrer. Avec horreur, elle se rendit compte que Sam se trouvait bien trop près du cheval.
Pourtant, il ne sembla pas hésiter une seconde et ne s’enfuit pas loin de l’animal. Au contraire, il essaya de le calmer. Jenna sentit une boule d’angoisse se former dans sa gorge. Un autre éclair de tonnerre craqua juste à côté de l’arbre auquel les chevaux étaient attachés. C’en était trop pour Silver Shadow, déjà effrayé. Il rua de nouveau, tirant sur ses rênes, qui se détachèrent. Ses sabots des pattes avant, dangereusement proches de la tête de Sam, frappèrent l’air avant de lui heurter la tempe. Il porta la main à sa tête et chancela en arrière, tandis que l’étalon s’enfuyait au grand galop.
Jenna laissa tomber la couverture et courut vers Sam, oscillant contre le vent. Elle l’entendit jurer en arrivant près de lui.
— Ce cheval n’a jamais apprécié les tempêtes.
— Sam, ta tête ! Est-ce que ça va ?
Elle posa ses doigts sur sa tempe, à l’endroit où le sabot avait frappé. Heureusement, il ne semblait pas l’avoir heurté trop fort.
— Ça va, il m’a juste un peu entaillé. Prends les sacoches, cria-t‑il, essayant de couvrir le bruit du vent.
Elle lui obéit et revint près de lui. L’autre cheval commençait, lui aussi, à tirer sur ses rênes, et à hennir de peur.
D’un geste sec, Sam le libéra et grimpa sur son dos. Puis il prit les sacoches et les posa devant lui.
Ensuite, il se baissa vers elle et lui tendit la main. Elle levait les yeux vers lui : un mince filet de sang coulait de sa tempe sur sa joue et ses yeux bleus semblaient étinceler dans la tempête. Elle sentit son cœur battre à tout rompre, et attrapa sa main.
— Pousse sur tes jambes, et grimpe, lui cria-t‑il, le vent tournoyant toujours autour d’eux.
Elle s’exécuta et un peu rudement, Sam réussit à l’installer devant lui.
Protégée par les bras de Sam, elle s’agrippa à la selle. Des gouttes de pluie lui tombèrent sur le visage, et elle sentit le vent froid dans son dos. Mais la chaleur de Sam tout contre elle la réconforta… et à sa grande surprise, l’excita.
— Nous aurions dû prendre la camionnette, grogna Sam.
— Où aurait été le plaisir, alors ? Faire le tour de ton ranch, confortablement installée sur la banquette ? Quel ennui !
Il se mit à rire.
— Bon sang, Jenna, tu me surprendras toujours. Il faut que nous trouvions un abri. Le ranch est beaucoup trop loin.
— Où allons-nous ?
— Il y a une cabane, pas très loin d’ici. Nous y serons en sécurité.
Il eut à peine le temps de terminer sa phrase, que le ciel devint encore plus sombre et qu’un déluge s’abattit sur eux. En un instant, Jenna fut trempée jusqu’aux os. La pluie était si violente, qu’elle pouvait à peine respirer !
Pendant une minute, elle eut presque peur et eut envie de se cramponner à lui. Mais c’était inutile. Sam tenait son bras autour de sa taille avec assurance, sans trop la serrer. Elle se sentait en sécurité. Le monde autour d’eux semblait se déchaîner mais Sam la protégeait, et elle n’avait rien à craindre.
Elle releva légèrement la tête, essayant de voir à travers la pluie battante. Tout ce qu’elle pouvait observer était une immense étendue brumeuse, qui semblait se poursuivre jusqu’à l’horizon, sans aucun refuge visible, du moins à ses yeux. Non, pour elle il n’y avait rien d’autre que cette pluie froide qui s’abattait sur eux et le vent tournoyant sans fin.
Black Spot avançait au pas, ses sabots s’enfonçant dans l’herbe boueuse.
Sam la serra un peu plus contre lui, inquiet à l’idée de ce qui se passerait s’il la lâchait et qu’elle tombait. Il s’en voulait de sa légèreté, d’avoir laissé la tempête les surprendre.
Il avait lâché les rênes sur l’encolure de Black Spot, sachant que son cheval trouverait d’instinct le refuge.
Soudain, Black Spot s’arrêta et frissonna. Sam plissa les yeux et regarda tout autour d’eux.
— Alors mon vieux, que se passe-t‑il ? demanda-t‑il en caressant l’encolure de l’animal.
Spot avait‑il senti un danger quelconque ?
Le cheval se mit à trembler, tête dressée, oreilles rabattues. Soudain, il poussa un long hennissement et partit au trot. Si Sam ne l’avait pas tenue fermement, Jenna serait tombée à terre.
Soudain, Sam comprit qu’il n’y avait aucun danger. Au travers des trombes d’eau tombant du ciel, Black Spot avait humé l’odeur du foin et de l’avoine.
— Brave garçon, dit Sam en se penchant pour caresser la crinière du cheval.0
Se sentant encouragé, Spot partit au galop.
— Nous sommes arrivés ? demanda Jenna.
— Presque ! cria Sam.
Puis il se concentra sur leur chemin, tandis que la cabane se profilait au loin.
Lorsqu’ils atteignirent la grange, la grêle commençait à tomber et Sam mit rapidement pied à terre. Il ouvrit les portes en grand, attrapa les rênes et tira Black Spot à l’intérieur. Jenna se baissa en passant sous le porche. Sam s’approcha d’elle et la prit par la taille pour l’aider à descendre. Puis il lui tendit un trousseau de clés.
— Ouvre la porte et file à la salle de bains, il y a des vêtements secs dans le placard. Change-toi. Pendant ce temps, je m’occupe de Spot et je vais mettre le chauffage en marche.
Jenna saisit les clés et les mit dans sa poche. Elle prit les sacoches sur le dos de Black Spot, les posa sur son épaule, puis caressa l’animal derrière les oreilles, comme Sam le lui avait appris.
— Merci de nous avoir amenés ici, mon vieux.
Elle revint ensuite vers Sam et s’arrêta devant lui.
— Merci à toi aussi, dit‑elle en essayant vainement de sourire.
— Viens un peu ici.
Il écarta les bras et après avoir posé les sacoches à terre, elle s’y réfugia, enfouissant son visage dans son cou. En soupirant, elle passa ses bras autour de sa taille. Il se baissa vers elle, l’embrassa doucement sur la tempe, puis caressa ses cheveux. Fermant les yeux, il la serra très fort contre lui, une vague d’émotions bloquant sa poitrine. Des émotions qu’il n’avait pas éprouvées depuis bien longtemps, et qui semblaient combler un vide infini en lui.
Il déposa un autre baiser sur sa tête, puis lui sourit.
— Je t’en prie. Tout le plaisir était pour moi.
Elle se sentit frissonner et passa ses bras autour de son cou. Alors, il se pencha et l’embrassa avec passion, essayant de la réconforter, de la rassurer.
Si seulement il pouvait la garder pour toujours avec lui, et prendre soin d’elle.
Au bout de quelques instants, il la relâcha.
— Maintenant, vas-y et change-toi, ma belle.
Elle lui sourit, s’écarta légèrement de lui et lui caressa le visage, puis sortit.
Pendant quelques instants, il fut incapable de bouger. La caresse qu’elle venait de lui prodiguer sur la joue n’avait absolument rien de sexuel, pourtant elle l’avait troublé au plus profond de son être, bien plus que n’importe quelle nuit passée à faire l’amour n’aurait pu le faire.
Curieusement, il avait l’étrange impression de voir enfin une petite lumière au fond d’un tunnel.
Il venait de recevoir quelque chose de la part de Jenna, à laquelle il ne s’attendait pas.
Un cadeau extraordinaire, qui le troublait plus que tout.
Il lui fallut vingt bonnes minutes pour s’occuper de Black Spot : lui retirer sa selle et sa bride, lui apporter de l’eau, à manger et du foin. Puis il sortit de la grange et se dirigea vers le petit local où se trouvaient les compteurs, et mit le chauffage en marche. Entre-temps, d’énormes grêlons s’étaient mis à tomber et rebondissaient sur le toit avec fracas.
La cabane avait été aménagée avec suffisamment de confort, et il fut accueilli par un beau feu de cheminée. Un plat chauffait déjà dans la cuisine, et Jenna était en train d’essorer ses cheveux dans l’évier à côté. Il resta un instant planté devant la porte, à la regarder. Un autre de ses a priori à son encontre venait de s’évanouir. Visiblement, elle n’avait eu aucun mal à allumer le feu et à comprendre ce qui lui ferait plaisir. Il vit qu’elle frissonnait encore et se rendit compte qu’elle avait fait passer son propre confort après le sien, s’occupant tout d’abord de leur préparer quelque chose à manger. Tiffany, elle, se serait déjà changée, aurait enfilé des vêtements secs, tout en se plaignant du froid. Ensuite, elle aurait attendu qu’il s’occupe du feu et fasse la cuisine.
Songer à elle l’attrista.
— Je t’avais dit de changer de vêtements.
Son ton la fit sursauter.
— J’ai pensé qu’il était plus important d’allumer d’abord le feu et de préparer à manger.
Voilà, elle tenait enfin l’occasion de se disputer avec lui et de le défier.
Leur enlacement, leur baiser, la tendresse échangée dans la grange, l’avaient effrayée et tout ce qu’elle souhaitait à présent, était prendre des distances avec lui.
Bon sang, elle était ici pour récupérer ce sacré journal intime, qui était à présent comme un boulet accroché à son pied. Il lui était de plus en plus difficile de se rappeler les véritables raisons qui l’avaient amenée au Texas. Chaque fois que Sam se rapprochait davantage d’elle, elle avait l’impression de perdre complètement les pédales.
Car Sam était un homme aux facettes multiples. Il était superbe, mais aussi intéressant, et elle avait envie, non, elle mourait d’envie de le connaître encore mieux. Elle avait honte d’elle : elle avait promis à sa grand-mère de récupérer son journal. Au lieu de cela, elle avait couché avec Sam et profité de sa compagnie des jours durant. Néanmoins, sa culpabilité était entamée par ses deux tentatives pour récupérer le carnet, et par le fait que Sam, bien malgré lui, l’en avait empêchée.
Elle se tourna vers l’évier et tendit la main vers le robinet, mais Sam retint son mouvement.
— Ne touche pas à ça, et reste loin de tous les points d’eau. Les tuyaux peuvent conduire l’électricité, et à cause de l’orage, l’air en est chargé.
— J’ai besoin d’eau pour faire du café.
— Non, ce dont tu as besoin, c’est de changer de vê-tements.
Elle posa les poings sur ses hanches.
— Très bien, je vais le faire. Mais ensuite, j’aurai besoin d’une bonne tasse de café bien chaud.
Il soupira et elle dut se retenir de ne pas le toucher. S’approchant d’un placard, il l’ouvrit. A l’intérieur se trouvaient des quantités de bouteilles d’eau.
— Eh bien ! Tu es vraiment organisé, remarqua-t‑elle. Il y a de quoi tenir un siège, ici. J’ai déjà trouvé des piles, une radio, des bougies, une lampe torche, des boîtes de conserve, du bois pour le chauffage…
— Oui, et tu as même réussi à allumer le feu.
— Ce n’était pas difficile. J’ai une cheminée dans mon appartement à New York.
Elle prit l’une des bouteilles et commença à préparer le café.
— J’ai également trouvé une trousse de premier secours. Nous devrions nous occuper de ta blessure.
Elle ouvrit un tiroir et en sortit la trousse, qu’elle posa sur la table. Sam s’approcha d’elle.
— D’abord, va te changer. Ensuite, nous jouerons au docteur.
Avant qu’elle n’ait pu protester, il la saisit par le bras et l’entraîna dans la salle de bains. Là, il la lâcha et se mit à fouiller dans le placard.
— Enlève tes vêtements, Jenna.
Elle essaya de lui obéir mais ses doigts étaient comme engourdis, douloureux, et elle ne réussissait même pas à déboutonner sa chemise. Sam se retourna vers elle, les bras chargés de vêtements.
— Voilà, dit‑il, retirant déjà sa veste et son jean, aussi trempés que les siens.
Qui sait pourquoi, lui ne tremblait pas. Retirant son T‑shirt, il tendit les mains vers sa chemise.
— Laisse, je vais le faire.
— Non, protesta-t‑elle. Non, ça va aller.
Mais ses doigts glissèrent sur les boutons. Sam écarta ses mains et lui jeta un regard légèrement moqueur.
— Chérie, tu es têtue. Laisse-moi t’aider. Après tout, c’est moi qui nous ai mis dans cette situation.
Incapable de regarder Sam dans les yeux, alors qu’il était si proche d’elle, elle baissa les paupières. Il lui retira sa chemise et défit son jean. Elle sentit le frôlement de ses doigts sur ses seins. Si seulement il la touchait de façon plus érotique. En fait, elle n’appréciait pas qu’il se soucie autant d’elle, qu’il s’occupe aussi gentiment d’elle. D’autant plus que le jeu était truqué, puisqu’il ignorait toujours la véritable raison de sa présence chez lui.
Non, elle ne voulait pas de sa gentillesse, encore moins de sa tendresse. Ce qu’elle voulait, c’était qu’il se comporte comme ses autres amants, et qu’il limite leur relation au sexe.
Il lui tendit quelques vêtements qu’elle enfila, pendant qu’il se changeait également.
Lorsqu’ils furent bien au sec, ils retournèrent dans la cuisine où ils savourèrent une bonne tasse de café chaud.
Puis elle s’installa sur le canapé du salon, devant le feu, avec la trousse de premier secours.
Avant qu’il ne pût protester, elle prit son menton dans ses mains et l’obligea à tourner la tête afin d’examiner sa blessure qui n’était guère profonde. Mais c’était tout de même une belle entaille qui avait saigné et Jenna la nettoya doucement. Soudain elle s’aperçut que Sam la regardait avec intensité. Elle aurait pu se noyer dans ses yeux, tant il la fascinait. Aussitôt elle sut que, dès qu’elle aurait mis la main sur le journal de sa grand-mère, elle partirait.
Prenant de la gaze et du sparadrap dans la trousse, elle banda la blessure.
— Est-ce que tu vas me donner un bisou pour que je guérisse plus vite ? la taquina-t‑il.
Elle s’approcha un peu plus près de lui et déposa un léger baiser sur sa tempe.
— Voilà, ça va mieux ?
Sam caressa son bras du bout des doigts, et de nouveau elle eut cette curieuse sensation de n’avoir jamais connu aucun autre homme. Il était le seul. Le seul qui la mettait dans un tel état d’excitation physique, mais qui la troublait aussi émotionnellement.
La pluie continuait de tomber sur le toit en un bruit rassurant, comme les battements de son cœur, qui cognait si fort dans sa poitrine. Elle était certaine que Sam l’entendait.
Les bûches crépitèrent dans la cheminée. Le vent s’accrut et souffla contre les murs de leur abri, et elle entendit le goutte à goutte de l’évier. Autour d’eux, l’air semblait presque vivant.
Doucement, Sam commença à embrasser son visage et effleura sa lèvre inférieure de son pouce. Il était si près qu’elle pouvait observer la longueur de ses cils, tandis qu’il se tenait les yeux fermés devant elle.
Elle leva la main vers lui, caressa ses cheveux et l’entendit soupirer. Au plus profond d’elle, elle sentit fondre quelque chose, enfoui depuis si longtemps qu’elle n’avait même plus conscience de son existence. Sam ouvrit les yeux et elle se perdit dans la profondeur de son regard.
Il l’enveloppa de ses bras musclés et elle huma son parfum qui pénétra jusqu’au fond de son cœur. Sa bouche s’élargit en un sourire charmeur. Il embrassa le lobe de son oreille et murmura son nom.
Son désir brillait intensément dans ses yeux et elle savait qu’il était le reflet de celui qui brillait au fond de son âme à elle. Cependant, elle y lisait aussi de la méfiance, un instinct de protection et une certaine distance, mais elle savait que dans un instant, tout cela s’effacerait.
— Jenna…
Sa voix était rauque. Elle trembla lorsqu’il l’embrassa, ressentant ses aspirations secrètes. La solitude qui se lisait dans ses yeux semblait s’éloigner, comme une ombre du passé. Elle écouta le rythme irrégulier de sa respiration, sentit sa vulnérabilité et comprit qu’il gardait de plus en plus difficilement le contrôle de ses émotions.
Leurs deux cœurs s’étaient trouvés et il était inévitable qu’un tel moment arrive. Elle avait fait tomber ses défenses et avait regardé jusqu’au plus profond de lui. Et tous deux s’étaient rencontrés en un accord intime et vibrant, jouant les accords de la passion.
Sans prononcer un mot, elle avait demandé et il avait offert, et intuitivement, elle l’avait conduit à ce qui pouvait bien causer leur perte.
Pourtant, même si ce n’était guère prudent de sa part, c’était certainement ce qu’elle recherchait depuis toujours !
Il la caressa. Ses mains étaient avides, comme son corps, et elle sentit la même passion la gagner.
— Devant le feu, Sam.
Il se retourna pour regarder l’âtre et lorsqu’il posa de nouveau son regard sur elle, elle y vit briller une lueur de défi.
Il prit quelques coussins sur le canapé et les disposa à terre. Puis il fit de même avec la couverture qui était posée sur le dossier du canapé.
Ensuite, il la souleva dans ses bras, et la posa délica-tement sur leur couche devant le feu.
Tout au fond de son cœur, durant ses pires journées de solitude, elle avait eu faim de chaleur et de lumière. Cependant, jamais elle n’aurait imaginé pouvoir être comblée ainsi, grâce à Sam. Jusqu’à leur rencontre, rien n’avait eu un tel goût de bonheur.
Cette nuit-là, elle découvrit ce qu’il lui en coûtait de donner ce qu’elle n’avait encore jamais offert à personne. Leurs deux corps emmêlés devant le feu, elle s’émerveilla de la complicité de leurs cœurs.
Impatient, Sam se déshabilla rapidement, puis lui retira ses vêtements.
Il prit l’un après l’autre ses tétons dans sa bouche et les lécha, les caressa et les suça jusqu’à ce qu’elle griffe son dos, tant elle était excitée.
Sa bouche brûlante sur sa peau semblait courir partout. Sur ses seins, sur son ventre…
Il ne lui laissait aucun répit. Aucun homme ne l’avait jamais amenée à un tel état d’excitation, et jamais elle ne s’était sentie aussi vivante.
Jamais aucun homme n’avait chuchoté son nom, comme si sa vie en dépendait.
Elle sentit son membre dur et gonflé entre ses cuisses et elle s’ouvrit pour lui, écartant ses cuisses brûlantes afin de lui offrir son sexe, moite de désir. Elle l’entendit gémir lorsque l’extrémité de son sexe effleura son intimité.
Avant de la pénétrer, il reprit ses baisers et l’embrassa sur tout le corps. Elle se cambrait contre lui, folle de plaisir. Des vagues de désir montaient en elle, la submergeaient. Soudain, elle se sentit au bord de l’orgasme et se laissa entraîner. Un véritable ouragan se déchaîna en elle, et tout son corps se contracta, tandis qu’un océan de plaisir déferlait en elle, vague après vague, la laissant haletante.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle lut de la fierté dans son regard. Sam semblait avoir atteint les limites de son contrôle.
Elle tendit le bras, et prit son sexe dans sa main, puis le guida en elle.
L’agrippant par les cheveux, elle le serra tout contre elle et tendit sa bouche, affamée.
Ils s’embrassèrent passionnément.
Sam la prit par les hanches et accentua son rythme, plongeant en elle de plus belle, allant et venant dans son sexe si chaud et mouillé de plaisir.
Il semblait atteindre en elle des profondeurs insondables, que le seul désir n’aurait jamais pu atteindre. Tout ce qu’elle était capable de faire, était de l’entraîner encore plus loin avec elle.
Elle sentait son sexe grandir encore à l’intérieur d’elle-même. Soudain, comme une tempête brûlante, un feu intense déversa ses flammes. Plus rien n’existait. Elle cria son plaisir et Sam la suivit dans cet ouragan qui les conduisit bien plus loin qu’ils n’auraient jamais osé l’imaginer.
Haletants, ils restèrent un moment enlacés. Leurs deux fronts se touchèrent et ils se sourirent l’un à l’autre. Jenna ne voulait plus le lâcher. Elle le tenait serré, appréciant de sentir tout le poids de son corps contre elle.
Après un moment, Sam roula sur le côté, et écarta le bras pour qu’elle vienne se nicher contre son épaule.
— Je crois que nous devrions aller au lit, à moins que tu ne veuilles dormir ici.
— Oui, c’est ce que je veux.
— Dans ce cas, je vais aller chercher d’autres couvertures.
Après une telle étreinte, Jenna songea que, de sa vie, elle n’aurait plus jamais froid.
Néanmoins, la nuit serait fraîche, même en dormant devant le feu. Elle souhaita qu’une couverture magique puisse les protéger du monde, de l’aube qui allait bientôt naître, et de la réalité qu’il leur faudrait bien affronter.
— Bonne idée, murmura-t‑elle en voyant Sam revenir avec des oreillers, d’autres couvertures et même un édredon.
Ils installèrent le tout, puis se blottirent dans les bras l’un de l’autre, bien au chaud.
Plus rien n’existait que leur complicité.
Peu importaient le vent et la pluie dehors.
Peu importait le lendemain.
Seul comptait ce pur moment de félicité partagée.
Seuls comptaient leurs deux cœurs, qui battaient à l’unisson.
Le reste n’avait plus d’importance, et il serait bien temps de s’en occuper plus tard, songea Jenna en fermant les yeux, lovée contre la poitrine de Sam, ses doigts entremêlés aux siens.
Dans l’immédiat, elle ne souhaitait rien d’autre que de savourer ce rare moment d’intense passion.0
chapitre 11
Du fond de la salle de classe, Sam regarda Jenna diriger son cours. Les étudiants lui posaient de nombreuses questions et elle répondait à chacun avec patience et assurance. Parfois, elle utilisait une terminologie technique, qu’il ne comprenait pas.
Ils avaient passé la nuit dans leur refuge et avaient regagné le ranch dès les premières lueurs de l’aube. La façon dont elle avait accueilli la tempête et leur installation de fortune l’avait surpris. Elle avait également appris très vite à monter, comme si elle était née sur le dos d’un cheval, insistant même pour s’occuper seule des soins de Black Spot. Il sourit intérieurement. Force était de constater qu’elle avait fait un sacré bon boulot !
Elle avait fait de même, en s’introduisant dans son cœur. Il ne pouvait pas le nier. Elle était ancrée en lui, et il lui faudrait du temps pour l’oublier. Oui, elle avait brisé toutes ses défenses et avait gagné son cœur.
A présent, il ne pouvait plus imaginer dormir une seule nuit sans elle, ne plus la voir passer la porte d’entrée, ou ne plus voir son doux sourire en face de lui, lorsqu’ils prenaient leurs repas.
Pourtant, elle lui avait bien fait comprendre qu’elle ne voulait rien d’autre qu’une liaison temporaire.
C’était ce qu’il avait souhaité, lui aussi, au début, mais à présent, il voulait davantage. Il faudrait pourtant bien qu’il accepte le fait qu’il en allait différemment pour elle. On était mercredi, et samedi elle serait partie. Elle avait déjà donné deux concerts, et jouerait une dernière fois vendredi soir.
Il se leva, quitta la pièce, partit faire quelques courses et revint la chercher.
C’était mieux ainsi, songea-t‑il. Peut-être qu’elle était différente de Tiffany, mais elle n’était pas d’ici, et son style de vie ne correspondait pas au sien.
Il aurait été complètement stupide de croire le contraire.
Jenna dit au revoir au dernier de ses étudiants et quitta la salle de classe. Apparemment, Sam n’était pas là. Elle se dirigea vers la sortie et regarda dehors, mais elle ne voyait son 4x4 garé nulle part. Il avait dû être retenu. Elle retourna à l’intérieur et s’assit sur un banc dans l’entrée. Ouvrant sa sacoche, elle remarqua la couverture rouge du journal de sa grand-mère.
Elle l’ouvrit et se remit à lire.
Le 30 janvier 1958
Oahu est une île magnifique et je suis *******e de pouvoir m’y reposer après mes concerts à Hawaii. C’est le maire d’Oahu qui m’a invitée ici. Sa fille, Kalei, est charmante avec moi, et m’a demandé si j’aimerais apprendre le hula. Je lui ai dit que cette danse me semblait très érotique et que, oui, cela me ferait plaisir d’en apprendre les pas.
Elle m’a alors offert un paréo de couleurs vives, une jupe en raphia confectionnée par ses soins, et un collier porte-bonheur.
Une nuit, alors que je m’entraînais au hula depuis une semaine, le maire donna une soirée.
De nombreux marins étaient présents et Kalei me demanda si je souhaitais danser. Je proposai de chanter également, et appris rapidement un air hawaïen, dont les paroles évoquaient un amour interdit.
Ma tenue était très légère, un simple paréo aux couleurs chatoyantes, et la jupe en raphia.
Lorsque les tambours commencèrent à jouer, j’eus l’impression que leur son résonnait au plus profond de moi, jusque dans mon sexe. Je m’avançai sur scène et me mis à danser. Un officier était assis au premier rang et ne me quittait pas des yeux.
Je me lançai dans une danse folklorique, nommée Kahiko, enracinée dans la tradition, qui évoque la survie, les lois des dieux et le « kapus », mot qui signifie tabou. Dès que je commençai à danser, je sentis une énergie incroyable parcourir mon corps. Mes mouvements semblaient chargés d’une force sensuelle, quasi sexuelle, et étaient un hommage aux forces de la nature, aux dieux, qui protègent et sauvent les êtres, selon leur bon vouloir.
Je dansai pour cet officier et chantai pour lui. Il semblait très excité.
Plus tard, après le spectacle, j’allai me promener sur la plage et l’homme me suivit. Il me dit qu’il s’appelait Daniel. Il était très beau. Je ne peux pas dire pourquoi, mais j’avais l’impression que je ne pourrais pas le séduire ailleurs qu’ici, sur cette plage, même si je l’avais voulu.
Il était très doux, très gentil, et m’apprit qu’il était en congé pour un mois. Il me parla de sa solitude et de sa passion pour la mer. Je passai toute la nuit à l’écouter parler et me raconter sa vie. J’étais submergée par l’émotion. Il était si inhabituel qu’un homme ne cherche qu’à discuter avec une femme, sans essayer d’obtenir autre chose d’elle.
Je l’ai embrassé tendrement sur les lèvres, ne cherchant nullement à l’exciter, mais à lui montrer que j’étais en harmonie avec lui. Sa bouche était douce, et je ne me lassais pas de l’embrasser.
C’est la nuit la plus mémorable que j’ai jamais vécue.
Le 28 février 1958
Cela fait quelque temps déjà que j’ai négligé d’écrire mon journal, mais je viens de passer quatre semaines formidables avec Daniel.
La première fois où nous avons fait l’amour a été magique. C’était sur une plage déserte, sans rien d’autre qu’une couverture sous nos deux corps enfiévrés. Sentir ses lèvres chaudes sur mes seins me procurait un sentiment délicieux.
Mes mains caressaient ses muscles puissants. Lorsque je sentis son érection entre mes cuisses, je gémis sous sa bouche.
Je le sentis trembler, et il m’implora.
« S’il te plaît », dit‑il d’une voix rauque.
La passion contenue dans son baiser sembla alors vibrer dans chaque cellule de son corps et y résonner.
Je pressai mes seins contre son torse nu. Ses lèvres descendirent dans mon cou et je sentis l’humidité de sa langue qui glissait sur ma peau. Ses mains caressaient mon ventre, et je cessai de respirer lorsqu’elles remontèrent sur mes seins et que, de ses pouces, il caressa mes tétons durcis. Sa bouche se posa sur eux et je criai de plaisir.
Lorsqu’il me pénétra, j’eus un orgasme puissant. Il allait et venait en moi avec une passion non contenue.
Jamais, auparavant, je n’avais ressenti un tel abandon pour un homme.
Jamais, je n’avais eu autant envie d’arrêter la course du temps, et de fixer ce moment pour l’éternité.
Après notre étreinte, je me reposai entre ses bras, comblée, et bien déterminée à …
— J’espère que tu ne m’as pas attendu trop longtemps.
La voix de Sam la surprit. Elle sursauta et referma aussitôt le carnet.
— Je me suis laissé entraîner dans une discussion sur l’alimentation du bétail, et j’ai perdu pas mal de temps.
Les mains tremblantes, elle rangea le carnet dans sa sacoche et se leva. Attrapant Sam par le cou, elle posa un baiser sur ses lèvres. Dieu qu’elle aimait l’embrasser, sentir la douceur de sa bouche sur la sienne, humer son parfum, sentir son corps tout contre elle.
Mais tout cela était impossible. Elle ne pouvait pas rester ici, c’était inenvisageable. Ce n’était pas son univers, et elle ne pouvait renoncer à la musique.
Oui, c’était impossible.
Pas plus qu’elle ne pouvait supposer de le voir suivre le même chemin que son père, qui était toujours resté dans l’ombre de sa mère. Elle ne détruirait pas Sam, ne profiterait pas de lui. Simplement, elle ne pouvait pas lui donner ce qu’il désirait, ni un foyer, ni son cœur, et encore moins un enfant.
Lorsqu’elle mit fin à son baiser, il la regarda longuement, semblant essayer de déchiffrer un message. Elle voulut éviter son regard et détourna les yeux. Comme elle se sentait coupable ! Ce n’était pas pour cela qu’elle était ici, pas pour partager quoi que ce fût avec lui. Non, elle était venue au Texas pour retrouver ce fichu carnet et n’avait déjà que trop tardé à le récupérer.
Au diable la recherche de la passion parfaite de sa grand-mère. Le dernier passage qu’elle avait lu était cependant très différent. On y sentait poindre des émotions. Cette rencontre avec le jeune officier l’avait touchée plus qu’elle ne voulait l’admettre, parce qu’il lui semblait soudain que sa quête dépassait largement la seule passion.
Contrairement aux rencontres de sa grand-mère, la relation de Jenna avec Sam n’avait rien de désinvolte. C’était ce qu’elle s’était efforcée de croire, mais c’était faux.
Peu importait ce qu’elle avait cru. Au bout du compte, elle savait pertinemment qu’entre eux deux, il ne s’agissait pas simplement de passer du bon temps et de se donner du plaisir.
C’était bien plus que cela.
Il la prit par le bras et la força à le regarder.
— Bon sang, Jenna, je devrais être en retard plus souvent.
Elle se sentit rougir.
Si seulement elle pouvait se *******er d’une simple amitié pimentée de sexe. Mais elle voulait plus.
Tellement plus !
Inspirant profondément, elle lui passa les bras autour de la taille.
— Ne sois pas si présomptueux, Winchester.
Ils quittèrent l’académie et sortirent dans le soleil. Sam lui tint la porte ouverte et elle grimpa dans le 4x4.
— Hm, bien mieux qu’à ton arrivée, fit‑il remarquer, malicieux.
Il se dirigea vers le centre et, pour la première fois, Jenna regarda vraiment la ville. Elle fit un signe de la main à Lurlene, lorsqu’ils passèrent devant sa boutique. Savannah était riche de son histoire et il y régnait une bonne entente entre les habitants. Alors qu’ils arrivaient à un coin de rue, un bâtiment, signalé par une énorme pancarte et un néon, attira son attention.
— Sam, qu’est-ce que c’est ? Un bar ?
— Oui, si on veut. En fait, c’est à la fois un bar et un night-club. On y joue de la musique country.
— Est-ce que l’on peut y danser ?
— Bien sûr, m’dame. Toutes les meilleures danses du Texas.
— Tu m’y emmèneras ?
— Ce n’est pas vraiment le genre d’endroit que tu es habituée à fréquenter.
Etait-ce une critique qu’elle percevait dans sa voix ? De la déception ? Elle aurait peut-être dû en rester là, mais elle se sentait blessée.
— Eh bien, j’aimerais y aller ce soir, à moins que tu ne sois trop occupé.
— Non, mais si tu peux attendre jusqu’à samedi, ce serait bien mieux. C’est le meilleur jour pour y aller se distraire.
Il détourna un instant son regard de la route et le planta dans le sien.
— Samedi soir, je serai partie.
— C’est vrai. Tu ne seras plus là. J’avais oublié.
— Tu es en colère contre moi ?
Elle vit diverses émotions affleurer sur son visage.
— Pourquoi le serais-je ?
— Je t’ai dit depuis le début que je ne resterais que deux semaines. J’ai une tournée à honorer. Dès lundi, je dois être à Rome. D’ailleurs, j’ai déjà bien assez abusé de ton temps.
Il serra les dents et se concentra sur la route.
— Au moins, Tooter sera *******.
— J’en suis sûre.
— Il faut que je m’arrête faire une course, j’ai besoin de suppléments nutritionnels pour les animaux. Ça ne te dérange pas ?
— Non, je t’en prie.
Le parking où il se dirigea était bondé de camions. Certains hommes chargeaient leur cargaison. D’autres, debout à côté de leurs engins, discutaient entre eux. Il se gara, elle ouvrit sa portière puis sauta à terre, sur le gravier. Visiblement, tout le monde connaissait Sam, ici, et chacun le salua. Il répondit à tous, souriant, serrant des mains, échangeant quelques propos sur le bétail de l’un et les préoccupations de l’autre. Durant tout ce temps, il la tenait à côté de lui, si bien qu’elle se retrouva, elle aussi, entourée par ce petit groupe d’hommes et de femmes qui semblaient tant apprécier Sam.0
Chacun avait véritablement l’air heureux de le voir. Les hommes lui témoignaient du respect, et les femmes semblaient fières de lui, d’une fierté quasi-maternelle pour l’homme que l’on connaît depuis son enfance, et qui a bien grandi.
A les regarder tous ainsi, elle sut que Sam appartenait à cette ville. Il faisait partie du paysage, était enraciné dans cette communauté, pour laquelle il déployait tant d’efforts.
Contrairement à lui, elle n’était que de passage. A présent que sa grand-mère était décédée, elle n’avait plus aucune attache à New York — seulement son agent, qui était aussi, heureusement, une amie. Néanmoins, jamais elle n’avait eu le temps de développer une réelle amitié avec quiconque, comme celle qui régnait entre tous ces gens.
Lorsqu’elle rentrerait chez elle, elle ne trouverait pas un voisinage aussi amical. D’ailleurs, elle se demanda qui remarquerait qu’elle avait regagné son appartement.
Soudain, elle sentit son cœur se serrer et eut envie de se sentir aussi intégrée que Sam l’était. Elle en mourait d’envie. Il avait passé son bras autour de ses épaules et elle remarquait bien les regards curieux et les coups d’œil interrogateurs.
Néanmoins, même si elle l’enviait, ce genre de relation, si forte, l’effrayait aussi.
La musique avait toujours été son refuge, et jamais elle ne pourrait s’impliquer autant dans quoi que ce soit d’autre. La musique était toute sa vie, et elle refusait de s’engager dans un autre lien aussi fort.
Peu importait avec quoi.
Ou avec qui.
Les liens représentaient un véritable danger, qui la forceraient à exposer son cœur, et qui l’obligeraient à protéger celui de Sam.
Non, elle ne voulait pas de tout ça. Elle ne voulait pas qu’il l’aime.
Tout était finalement une question de choix. Sa grand-mère avait choisi l’amour, et sa mère, la musique, négligeant même sa propre fille pour s’adonner à sa passion. Et cela l’avait blessée, elle, bien plus qu’elle n’avait jamais laissé sa mère le voir. Plus personne ne la blesserait. Elle serait forte, intouchable, et certainement pas responsable du bonheur d’autrui.
Elle se dégagea du bras de Sam et sourit.
— Je déteste jouer les enquiquineuses, mais crois-tu que tu en as encore pour longtemps ? Il faut que je m’exerce.
Sam hocha la tête.
— Tu as raison. Moi aussi, j’ai du travail.
Il toucha le bord de son chapeau pour saluer la petite assemblée et pénétra dans le magasin. Pendant ce temps, elle retourna au 4x4, troublée par les sentiments qu’elle éprouvait pour lui.
A l’instant où elle ouvrit la portière, Sam sortait de la boutique, un sac à la main. Il lui sourit. Alors qu’il la rejoignait, un homme l’interpella et il se retourna pour lui parler.
— Salut Sam, justement je voulais t’appeler, dit l’homme en lui serrant la main. Je voulais venir voir tes chevaux. Millie a besoin d’une bonne monture.
— Je l’ai vue, l’autre jour, gagner le championnat junior. Félicitations, Mike.
— Merci, Sam.
Les deux hommes discutèrent de chevaux, de bétail, de tournois et de rodéo.
— Tes chevaux sont vraiment les meilleurs, Sam. Ton père serait fier de toi.
A ces paroles, Jenna vit passer dans le regard de Sam, quelque chose qu’elle n’y avait encore jamais remarqué. Il y avait de la satisfaction, certes, mais aussi une ombre de tristesse, qu’il dissimula en baissant les yeux.
— Des circuits ? demanda-t‑elle en s’approchant. Des rodéos ?
— Des compétitions, jeune dame. Dis-moi Sam, la jeune demoiselle est‑elle complètement ignorante de notre art ?
— Non, elle s’y connaît plutôt bien pour une débutante. Au fait, désolé pour les présentations, voici Jenna Sinclair.
— Ah ! La violoniste. J’ai entendu dire que vous sé-journiez chez Sam.
— Oui. J’ignore tout du marché du bétail et des rodéos, j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur.
— Pensez-vous ! répondit‑il en lui serrant la main. A chacun son boulot, comme je dis toujours. Et d’ailleurs, j’ai entendu dire que vous jouez divinement bien.
— Dans ce cas, peut-être viendrez-vous assister à mon concert, demain soir ? La recette des billets sera offerte au comité de charité.
— C’est pour une bonne cause. Nous serons tous là.
Mike et Sam discutèrent encore quelques instants et fixèrent un rendez-vous pour qu’il vienne choisir un nouveau cheval pour sa fille. Puis il partit.
Sam et elle grimpèrent dans le 4x4 et prirent la route pour retourner au ranch.
— Sam…
Les épaules crispées, il se tourna vers elle, et elle vit que la tristesse avait de nouveau envahi ses yeux.
— Hmm ?
— Ton père ne tenait pas vraiment à ce que tu élèves des chevaux, n’est-ce pas ?
— Pas vraiment.
— Mais encore ?
— Mon père n’était pas capable de m’aider, en matière de chevaux. Il disait qu’il n’avait pas le temps, et que l’élevage de bétail suffisait.
— C’est pour cela que tu es parti, lorsque tu as eu dix-huit ans ?
— Oui. J’étais en colère et je me sentais frustré. Le prix du bétail n’était plus aussi haut qu’à une époque. Je lui ai dit que nous devions nous diversifier, mais il n’en a pas tenu compte. C’était un vrai fermier, et seuls ses vaches et ses taureaux l’intéressaient.
— Tu m’as dit aussi que tu étais revenu à cause de sa santé. Mais il y avait autre chose que son cœur, n’est-ce pas ?
— Oui, il y avait autre chose.
Il poussa un profond soupir, puis se décida.
— Mon père avait un problème avec la boisson, comme on dit. Il avait connu plusieurs coups durs, dans sa vie. Mon frère aîné est mort-né et ma mère est décédée peu de temps après ma naissance. Jamais, il ne s’est remis de ces deux drames.0
— Et toi, il t’a perdu quelque part en chemin ?
— On peut dire ça. Tooter a réparé les dégâts que mon père causait.
— C’est lui qui t’a appris tout ce que tu sais.
— Il a été comme un père pour moi.
— Il a sauvé le ranch ?
— Il a sauvé mon héritage et la fierté de mon père. Il a tout assumé à sa place, l’a aidé à redevenir sobre ; il s’assurait qu’il mangeait correctement chaque jour, au lieu de boire. Tooter a travaillé dur. Il croyait en moi, en mes idées pour développer un élevage et m’a aidé à chaque étape.
— Tout comme ma grand-mère l’a fait pour moi.
Elle se glissa vers lui et posa sa main sur sa nuque pour combler son irrépressible besoin de le toucher.
Lorsqu’ils arrivèrent au ranch, Tooter se tenait devant le porche. A peine Sam eut‑il garé son 4x4, que son contremaître était déjà à la portière. Sam l’ouvrit et descendit aussitôt. Jenna fit le tour du 4x4 et entendit les dernières paroles de Tooter.
— … s’est comportée bizarrement toute la journée. J’ai essayé de te joindre sur ton portable, mais tu ne répondais pas.
— J’étais au magasin.
Sam se dirigeait déjà vers l’écurie d’un bon pas, Tooter derrière lui. Apparemment, il se faisait beaucoup de souci pour sa jument.
— J’espère qu’elle va bien ! cria Jenna.
Sam s’arrêta et se retourna.
— Merci, dit‑il.
Jenna se dirigea vers la maison, et resta un moment dans le hall. Son estomac criait famine, mais elle décida de l’ignorer, et regarda en direction du couloir qui menait au bureau de Sam.
Autant dire les choses clairement : elle avait purement et simplement négligé sa mission. Elle s’était laissé prendre au piège des beaux yeux bleus de Sam, et à ses mains si vigoureuses qui la fascinaient. Ses pensées prenaient un tour qui ne lui plaisait guère ; elle avait soudain des envies de stabilité, de foyer où il faisait bon se retrouver… à deux.
Mais non, ce n’était pas sa vie. Sa vie à elle consistait à ne se soucier que d’elle-même, et à conserver son indépendance ; à ne jamais laisser quiconque devenir trop proche, afin qu’elle n’ait jamais à faire de choix.
Elle se hâta jusqu’au bureau de Sam. Il fallait qu’elle trouve le journal. Il le fallait absolument. Mais lorsqu’elle entra, elle déchanta rapidement : Caleb se trouvait déjà là, en train de ranger des papiers pour Sam.
Il se retourna pour la regarder, alors qu’elle se tenait toujours sur le seuil, le souffle coupé.
— Vous avez besoin de quelque chose, m’dame ?
— Non, désolée de vous avoir dérangé.
Elle se retira et se dirigea vers la salle à manger. Puis rapidement, elle passa devant le salon et monta à l’étage. Maria sortait de la chambre de Sam, une corbeille à linge entre les bras.
— Ah, vous êtes rentrés tous les deux ! Puis-je vous préparer quelque chose à manger ?
— Volontiers, mais je ne sais pas à quelle heure Sam pourra venir me rejoindre. Il est aux écuries. Je crois qu’il s’agit de Jigsaw’s Pride.
— Est-ce qu’il y a un problème ?
Maria avait l’air soucieuse.
— Je ne sais pas exactement, mais Sam était inquiet. Il a l’air de tenir à cette jument.
Maria hocha la tête tout en descendant l’escalier, et Jenna la suivit.
— Tous ses animaux sont importants pour lui, mais celle-ci est particulière à ses yeux. Il l’a acquise auprès d’un homme qui la maltraitait et, depuis, a pris soin d’elle chaque jour.
— Sam m’a dit qu’il avait quitté le ranch, à une époque, parce que son père n’était pas intéressé par l’élevage de chevaux.
— Ce n’est un secret pour personne. Chacun ici les a entendus se disputer à ce sujet.
— Vous le connaissiez déjà, à l’époque, Maria ?
Maria sourit.
— J’ai travaillé, lavé et cuisiné dans ce ranch depuis que j’ai l’âge de dix-huit ans. C’est même ici que j’ai rencontré Red, mon mari. Les Winchester ont toujours été bons pour nous.
— Vous avez dû connaître le père de Sam, alors.
— Oui, il n’a pas toujours été à la hauteur avec son fils, mais heureusement, Tooter était là. Sam a été un petit garçon adorable, un adolescent solide et responsable, puis il est devenu l’homme charmant que vous connaissez aujourd’hui. Vous n’en trouverez pas de meilleur. Il s’est senti frustré, à cause de son père. Voilà le problème. Peut-être avait‑il besoin de se prouver quelque chose à lui-même. Tout ce que je sais, c’est que, lorsque son père est tombé malade, il est revenu ici chaque week-end, quand il n’était pas de permanence au poste de police.
— Il a de la chance de vous avoir, Tooter et vous.
— C’est nous qui avons eu de la chance de travailler pour une famille aussi agréable.
Jenna sentit une boule se nouer dans sa gorge. Il était douloureux de constater à quel point leurs enfances avaient été différentes. La sienne avait été embellie par la musique et par ses liens affectifs si forts avec ses grands-parents mais réglée également par la stricte discipline de son entraînement musical. On lui avait enseigné tout ce qu’elle pouvait souhaiter. La seule chose à faire était de se fixer un but et de l’atteindre. Même pour la célébrité.
Sam, quant à lui, avait dû chercher son équilibre tout seul, mais cette lutte avait forgé son caractère.
Maria termina de préparer leur déjeuner et servit les assiettes.
— Je vais aller prévenir Sam que tout est prêt, dit‑elle.
— Non, je vous en prie, Maria, laissez-moi le faire.
Jenna sortit par la porte arrière et se dirigea vers les écuries. Lorsqu’elle y parvint, elle vit Tooter et Red qui se tenaient près d’un box. Elle s’approcha et aperçut Sam à l’intérieur. Il caressait une superbe jument noire, dont les flancs étaient gonflés du poulain à naître.0
— Comment va-t‑elle ? demanda-t‑elle.
Les trois hommes la regardèrent. Red sourit et lui fit de la place à côté d’eux, devant la porte du box. Tooter garda son habituelle mine renfrognée, mais s’écarta également afin de lui laisser une meilleure vue sur la jument.
Sam s’approcha et lui sourit.
— On dirait que ça va aller. Je crois qu’elle va mettre bas dans la soirée.
Quelques instants, plus tard, Jenna se retirait, laissant les hommes entre eux.
Elle rentra à la maison, s’arrêtant d’abord dans la cuisine pour prendre son repas, puis se dirigea vers sa chambre, où elle enfila délibérément des vêtements sophistiqués. Elle savait à quel monde elle appartenait, et ce n’était pas à celui de Sam. Bien sûr, elle avait le pouvoir de mettre Sam à ses pieds, et cette idée la faisait presque frémir. Si elle utilisait ce pouvoir pour lier Sam à elle, où est-ce que cela les mènerait ? Bien sûr, au bout d’un certain temps, elle réussirait certainement à le convaincre de vendre son ranch et à quitter Savannah. Elle était absolument certaine de pouvoir arriver à ses fins, si elle le souhaitait.
C’était quelque chose que sa mère n’aurait pas hésité à faire. Mais pour elle, cela aurait représenté la trahison ultime, et elle se promit de n’en jamais rien faire.
Elle n’était absolument pas comme sa mère.
Jamais elle ne détruirait Sam.
Jamais.
Il était bien mieux sans elle, et sans l’influence qu’elle pouvait avoir sur lui.
Elle prit son violon, et commença à jouer. Mais son esprit était ailleurs.
Jamais elle ne se serait attendue à apprécier le mode de vie qu’elle avait ici.
Jamais elle ne se serait attendue à se plaire dans une ville comme Savannah. Il existait ici une proximité entre les êtres qui la touchait, procurant un doux sentiment qu’elle avait envie de faire sien et de garder au fond de son cœur.
C’était comme lorsqu’elle prenait le thé avec sa grand-mère, ou se promenait au clair de lune avec son grand-père, tandis qu’il lui apprenait le nom des étoiles, une à une. C’était comme être enfin arrivée… chez soi. Plus elle passait de temps au Wildcatter, moins elle avait envie de partir.
Pourtant, elle devait s’en aller.0
chapitre 12
Des heures plus tard, un coup frappé à sa porte la fit sursauter, au point qu’elle en lâcha son archer.
— Entrez.
Sam passa sa tête par l’entrebâillement de la porte. Il était crasseux et avait l’air épuisé.
— Désolé de te déranger, mais tu voulais aller dans ce bar, ce soir. Toujours partante ?
Elle faillit lui dire qu’elle avait besoin de continuer à s’exercer, mais ne put s’y résoudre. Il lui restait si peu de temps à passer avec lui. Et ce temps semblait s’écouler de plus en plus vite.
— Volontiers, mais es-tu certain de pouvoir quitter Jigsaw’s Pride ? Tu disais qu’elle allait mettre bas ce soir.
— Ce sera bien plus tard, dans la nuit, crois-moi, mais si cela peut te rassurer, j’ai dit à Tooter qu’il m’appelle sur mon portable, en cas de besoin.
— Tu as l’air fatigué.
— Une bonne douche, une soirée avec toi, et toute fatigue disparaîtra. J’aimerais t’enseigner deux ou trois pas de danse bien de chez nous. Accorde-m’en plusieurs, ce soir. Je serai bientôt prêt.
— Je t’attends.
Elle se doucha, elle aussi, et enfila un jean qu’elle avait acheté dans la boutique de Lurlene. D’humeur malicieuse, tout à coup, elle décida d’ouvrir sa valise. A l’intérieur se trouvait un petit bustier noir à bretelles qui moulait parfaitement ses formes et rendrait certainement Sam fou de désir.
En souriant, elle l’enfila, puis se coiffa et descendit au rez-de-chaussée.
Elle se rendit dans le salon, et s’arrêta net. Sam se trouvait déjà dans le hall. La lumière du lustre brillait dans ses cheveux sombres. Il portait un T‑shirt moulant qui mettait ses épaules en valeur ainsi qu’un pantalon de cuir noir. Elle suivit la ligne de ses jambes, jusqu’à ses pieds.
Il portait des bottes rouges.
Il était en train de serrer la main de Jake Stanton et lui tendait un chèque. Inconscient de l’attention dont il était l’objet, il ouvrit la porte, et l’entrepreneur partit. Appa-remment, les travaux dans le bureau de Sam étaient ter-minés.
Lorsqu’il se retourna et qu’il posa les yeux sur elle, il laissa échapper un sifflement admiratif.
— Superbe. Je crois qu’il va falloir que je te tienne en laisse, ce soir, sinon un cow-boy mal intentionné risque de te kidnapper.
Elle marcha jusqu’à lui et passa ses bras autour de son cou, pressant son corps contre le sien, l’émotion voilant sa voix.
— Il faudrait qu’il soit vraiment doué pour m’éloigner de toi… Et qu’en est‑il des cow-girls, qui vont s’évanouir rien qu’en te regardant ?
Il lui sourit.
— Je me *******erai de leur marcher dessus en t’accompagnant sur la piste de danse.
Ils rirent et elle lui passa la main dans les cheveux.
— Vilain garçon.
Ses yeux bleus se rivèrent aux siens et, durant un instant, l’appétit qu’il éprouvait pour cette femme lui coupa quasiment le souffle. Quel bonheur de savoir qu’elle avait autant envie de lui, que lui d’elle !
Pourtant, il avait tout à fait conscience du temps qui filait et du fait qu’elle serait bientôt partie.
Repoussant cette pensée, il lui prit le menton, leva son visage vers lui, et posa sa bouche sur la sienne, d’abord doucement, puis avec de plus en plus de ferveur.
Jenna répondit à son baiser en écartant les lèvres. Leurs langues s’emmêlèrent et leur étreinte s’intensifia. Il sentit la courbe gracile de ses hanches pressée contre la raideur qui gagnait son bas-ventre.
Avant qu’ils n’atteignent le point de non-retour, il rompit leur baiser.
— Nous ferions mieux d’y aller, avant que je ne t’entraîne là-haut, dans mon lit. La nuit dernière me semble déjà si loin…
Elle le regarda et lui sourit.
— A moi aussi.
Lorsqu’ils furent dans le 4x4, roulant dans l’obscurité, elle se tourna vers lui.
— Est-ce que Jake a terminé ton bureau ?
— Oui, il a fait du bon travail.
— Alors, tu vas enfin pouvoir utiliser ce superbe bureau que tu as acheté à New York.
— Oui, ce meuble rendrait presque la paperasserie agréable.
Bientôt, ils arrivèrent au bar. On entendait la musique résonner depuis l’intérieur. Ils entrèrent et Sam demanda une table. En s’y dirigeant, il remarqua de nombreux couples sur la piste de danse.
Il salua quantité de gens et fut agréablement surpris de voir que certains saluaient également Jenna, l’appelant par son prénom.
Enfin, ils s’installèrent à leur table et la serveuse, Ann Louise, s’enquit de leur commande.
— Alors, Sam, comment va mon oncle Red ? Cela fait une bonne semaine que je ne l’ai pas vu.
— Tu le connais. Toujours aussi bougon.
— Bien, dis-lui bonjour de ma part, veux-tu ? J’irai le voir la semaine prochaine.
— D’accord.
Ann Louise posa ensuite un regard chargé de curiosité sur Jenna.
— Vous êtes cette fameuse musicienne dont tout le monde parle, ici ? J’ai entendu dire que vous séjourniez chez Sam.
— C’est bien moi, répondit Jenna.
— Ravie de vous rencontrer. J’espère que vous appréciez votre séjour. C’est vraiment admirable, ce que vous faites, de jouer ainsi, bénévolement, afin d’aider à récolter des fonds pour l’hôpital. C’est une cause qui tient vraiment à cœur à Sam. Bon, qu’est-ce que je vous sers ?
— Une bière, pour moi. Jenna ?
— La même chose.
Ann Louise sourit, puis se dirigea vers une autre table.
— Alors, tu veux prendre ta première leçon ? proposa Sam.
Elle regarda la piste de danse d’un air inquiet.
— Ce n’est pas très difficile, tu sais. Viens, fais-moi confiance.
Elle se leva et mit sa main dans la sienne. Il la conduisit sur la piste.
— Suis-moi.
Il la tint contre lui, dans la position classique d’une valse.
— Lorsque je m’avance, tu recules. C’est une danse à deux temps, très simple.
Il lui fit une démonstration, puis ils s’élancèrent.
— En douceur… voilà … tu y es !
Ils dansèrent sur ce morceau, puis sur le suivant. Sam aimait la tenir ainsi entre ses bras. Il s’imaginait déjà danser avec elle ainsi, chaque samedi soir.
— Sam, pourrait-on essayer cet autre pas que tout le monde a l’air de connaître par cœur ?
— Hm, mademoiselle se lance !
— Oui, je prends le taureau par les cornes.
Il lui enseigna les rudiments de cet autre pas et de nouveau elle se sentit rapidement à l’aise.
Visiblement, elle passait un bon moment. Ses yeux brillaient de joie.
Soudain, il sentit son estomac se contracter. Depuis des années, Maria lui disait qu’il avait besoin de se trouver une nouvelle femme. Il ne pouvait pas dire le contraire. Mais bon sang, ce n’était certainement pas celle avec qui il dansait ce soir, dont il avait besoin.
Il sentait encore la douceur de ses cheveux entre ses doigts, voyait encore la lueur de désir dans ses yeux. Il se souvenait du rythme de sa respiration, lorsqu’il la tenait entre ses bras, de son rire… et de tant d’autres choses.
Mais certains principes se rappelaient à sa mémoire. La plus belle paire de fesses moulées dans un jean, ne devait pas faire perdre la tête à un homme, ni le détourner de ses priorités. Or, il connaissait bien les siennes : dès l’instant où il avait appris que son père était malade, il avait su quelle direction sa vie prendrait. Il avait quitté l’équipe des Rangers sans hésitation, et était rentré chez lui.
L’élevage : voilà ce qui comptait pour lui. C’était sa vie.
Jamais il ne pourrait y renoncer.
Pourtant, en dansant avec Jenna, il était tenté de lui dire qu’elle semblait dans son élément ici. C’était surprenant de voir avec quelle facilité elle s’était glissée dans son monde, avec quelle simplicité elle avait su se mêler aux habitants de la petite ville, n’hésitant pas à aller dîner avec lui au restaurant local, ou à acheter des vêtements dans une petite boutique qui ne ressemblait guère à Bloomingdale’s ou à Neiman Marcus.
De même, elle l’avait aidé lorsque Rose du Texas avait donné naissance à ses deux veaux, elle avait galopé avec lui sous la pluie et passé la nuit dans un lit de fortune, sans rechigner. Elle l’avait culbuté dans le foin, sans jouer les délicates. Bon sang, il l’adorait. Et même plus encore ! Oui, Jenna Sinclair, avec ses yeux séducteurs, sa bouche gourmande et son enthousiasme, pouvait bien briser son cœur, s’il la laissait faire.
La musique s’arrêta. Jenna était essoufflée par la danse et leurs éclats de rire.
— Je meurs de soif.
Ils regagnèrent leur table, s’assirent, et elle avala quelques grandes goulées de bière. Sam la regardait en souriant.
— Pas très féminin, n’est-ce pas ? dit‑elle en léchant la mousse au-dessus de sa lèvre.
Sam sentit son entrejambe se raidir et s’exhorta au calme.
Quelqu’un interpella Jenna.
— Hé ! la violoniste ! Pourquoi tu ne nous jouerais pas un air ?
Sam la regarda, et elle regarda l’orchestre. Un des musiciens tendait son violon vers elle. Elle sourit à Sam d’un air malicieux, se leva et se dirigea sur scène. Pour la première fois depuis son ouverture, le bar était entièrement silencieux. Jenna regarda la foule, se pencha et dit quelque chose aux membres du groupe. De grands sourires illuminèrent leurs visages. Jenna posa son archer sur le violon et commença à jouer la version modernisée d’une chanson de country très populaire. La plupart des couples se précipitèrent sur la piste de danse.
Sam ne pouvait détacher ses yeux d’elle tandis qu’elle jouait et appréciait visiblement de se trouver au milieu de l’orchestre. Dès la fin du morceau, chacun applaudit.
Elle le rejoignit en souriant.
— Où as-tu appris ce morceau ?
— J’avais un professeur qui estimait que nous devions apprendre toutes sortes de musiques. J’adorais cette chanson et je l’ai joué des dizaines et des dizaines de fois, jusqu’à ce que je la maîtrise parfaitement. Cela m’a vraiment aidée à m’améliorer pour le classique.
Elle s’assit et soudain le téléphone portable de Sam sonna.
— Winchester.
C’était la première fois dans sa vie qu’il entendait Tooter paniquer. Son sang ne fit qu’un tour.
— Sam, je ne sais pas ce qui se passe, mais Jigsaw’s Pride va vraiment mal. J’ai déjà appelé le vétérinaire, dit Tooter.
— Nous arrivons tout de suite.
Jenna se tenait à la fenêtre de sa chambre, qui donnait sur les écuries, et attendait des nouvelles de la jument et du poulain. Elle était anxieuse : l’inquiétude de Sam était véritable.
En discutant avec lui dans le 4x4, elle avait réalisé avec surprise à quel point il tenait à sa jument. C’était la première fois que Jigsaw’s Pride allait mettre bas et ce poulain était pour Sam l’objet de grands espoirs — la succession d’une jument en laquelle il croyait. Il lui avait dit son émotion à la naissance du premier poulain de son élevage.
Tout ceci ne lui était guère familier, mais elle comprenait Sam. Et elle avait beau se dire qu’elle devait aller se coucher parce que le lendemain soir, elle avait un nouveau concert à donner, elle savait qu’elle ne pourrait pas dormir. Car, comparée à l’angoisse de Sam, sa musique ne lui semblait plus aussi importante. Ce soir, c’était pour lui qu’elle s’inquiétait. Jamais il ne supporterait de perdre sa jument !0
Bon sang, elle était venue ici pour récupérer le journal intime de sa grand-mère, et rien d’autre. C’était pourtant un plan d’une extrême simplicité. Néanmoins, même en cet instant, où elle aurait facilement pu se rendre dans le bureau de Sam et fouiller le meuble, elle était incapable de s’y résoudre. La culpabilité serait trop lourde à porter. Comment pourrait‑elle trahir si odieusement cet homme, qui était aussi merveilleux avec elle ?
Tout aurait dû être si facile.
A présent, tout s’était compliqué.
Il demeurait pourtant deux priorités : retrouver le journal et partir d’ici.
La nuit passa, et lorsque les premières lueurs de l’aube balayèrent le ranch, Jenna quitta la fenêtre, ouvrit sa porte et descendit l’escalier.
Alors qu’elle se dirigeait vers le bureau de Sam, la porte d’entrée s’ouvrit.
Sam se tenait sur le seuil, l’air complètement groggy. Il la regardait fixement, comme si son cœur venait d’être brisé. Elle comprit immédiatement et s’approcha de lui.
— Nous les avons perdus, tous les deux. Le poulain était mort-né et…
Les mots s’étranglèrent dans sa gorge. Il ferma les yeux et resta immobile, puis prit sa main. Elle sentit sa paume glacée dans la sienne, et ressentit une profonde tristesse.
— Viens avec moi, Sam.
Il la laissa le guider dans l’escalier et jusqu’à sa salle de bains. Il tremblait et elle le fit asseoir, observant la fatigue sur son visage et le désespoir dans ses yeux. Emue, elle tourna les robinets de la douche et ajusta la température de l’eau, jusqu’à ce qu’elle soit parfaite.
— Viens, dit‑elle. Glisse-toi sous la douche. Ensuite, tu iras te coucher.
Elle l’aida à se déshabiller, le poussa sous la douche puis retira à son tour ses vêtements. Une fois sous l’eau avec lui, elle le savonna énergiquement de haut en bas et l’aida à se rincer.
Elle le sécha et le conduisit au lit, où il s’allongea, les bras repliés sur les yeux, la mâchoire crispée.
Il n’avait pas bougé lorsqu’elle revint de nouveau de la salle de bains, et il resta dans la même position lorsqu’elle se mit au lit avec lui.
Elle se glissa contre lui et doucement, prit son avant-bras pour l’écarter de ses yeux.
— Laisse-moi te serrer contre moi, Sam.
Il poussa un profond soupir, puis obtempéra.
Elle le serra dans ses bras, son corps lourd contre le sien, et espéra qu’il s’endormirait rapidement. Mais il ouvrit soudain les yeux et la regarda avec intensité.
— Merci d’être là, dit‑il d’une voix rauque.
— Je t’en prie.
Après toutes les nuits où elle avait partagé son lit, après tous ces longs moments passés à faire l’amour, cette nuit-là revêtait une importance particulière, parce qu’elle avait la sensation d’être entièrement à son écoute. Elle remarquait tout : la façon dont il respirait et dont sa poitrine se soulevait, la douceur de ses cheveux sur l’oreiller, le parfum de sa peau, la chaleur qui émanait de lui. Durant des heures, bien après qu’il se fut endormi, elle resta ainsi à le contempler, mémorisant une foule de détails qui seraient autant de souvenirs. Elle se sentait si coupable envers lui, qu’elle avait presque du mal à respirer. Il dormait d’un sommeil si profond, si confiant, qu’elle ressentait le besoin de le protéger.
Jusqu’à présent, jamais elle ne s’était préoccupée du bien-être de qui que ce fut. Son confort à elle, c’était sa grand-mère qui le lui avait offert. A présent, elle ressentait le besoin d’un lien plus fort, plus intime avec Sam.
A cette idée, la panique la gagna. Qu’il était tentant de s’abandonner aux émotions qu’il déclenchait en elle. Et soudain, elle redouta la solitude qui serait la sienne à son retour à New York.
Sam se réveilla dans l’après-midi. La pluie tambourinait sur le toit, leur rappelant qu’il existait un monde en dehors de leur chambre.
Un monde qu’il leur faudrait tôt ou tard affronter.
Il roula dans le lit jusqu’à elle, sa barbe naissante éraflant légèrement sa peau lorsqu’il tourna la tête. Jenna sentit son souffle chaud dans son cou, lorsqu’il chuchota son nom. Elle lui caressa les cheveux, et une vague de tendresse dont elle s’effraya la submergea.
Doucement, il caressa sa poitrine, puis, avec ses genoux, écarta ses cuisses et s’installa entre ses jambes, son sexe déjà durci par le désir.
Il l’embrassa dans le cou.
— J’ai besoin de toi, Jenna, dit‑il d’une voix chargée d’émotion.
De toutes les choses qu’il aurait pu lui dire, c’était celle qu’elle avait le plus envie d’entendre… et qu’elle redoutait également plus que tout.
Il enfouit son visage dans son cou et soudain, le désir les submergea tous les deux.
— J’ai envie de toi, j’ai envie de venir tout au fond de toi.
— Oui, répondit‑elle d’une voix gutturale.
Cette fois, il ne fut plus question de tendresse ou de maîtrise de soi. La faim qu’ils avaient l’un de l’autre les consumait, les emmenait au bord d’abysses inexplorés, d’où ils n’étaient pas certains de revenir.
Puis soudain, l’univers tout entier sembla exploser autour d’eux.
Après l’extase, Sam la tint serrée entre ses bras. Leurs corps tremblaient toujours et Jenna se lova contre lui, si troublée émotionnellement, qu’elle se sentait incapable de bouger.
Tandis que les vagues de plaisir refluaient, elle prit conscience qu’elle était sur le point de fondre en larmes. Pourtant, elle se sentait en sécurité dans les bras de Sam, à un point qu’elle n’avait jamais connu.
Il soupira profondément et se tourna vers elle.0
— Ça va ?
Elle hocha la tête et enfouit son visage dans son cou.
— Et toi ?
Il lui sourit, une lueur amusée au fond des yeux.
— Pas mal.
Elle savait qu’il essayait de détendre l’atmosphère et lui en fut reconnaissante ; elle l’embrassa, puis le regarda droit dans les yeux.
— Je suis heureuse d’être venue ici, Sam, dit‑elle en essayant de maîtriser le tremblement de sa voix.
— Moi aussi, ma belle. Moi aussi.
Elle s’allongea à côté de lui, la tête sur son épaule. Pendant un instant, ils restèrent ainsi en silence.
— A quoi penses-tu ? demanda-t‑elle.
Il soupira.
— Je me demandais si j’aurais pu faire quelque chose pour sauver Jigsaw’s Pride, ou bien si je suis juste en train de me torturer pour rien.
Il soupira de nouveau.
— Je suis certainement en train de me torturer pour rien.
— Qu’a dit le vétérinaire ?
— Que je n’aurais rien pu faire d’autre. C’est la nature. Le poulain était trop gros, il l’a déchirée à l’intérieur et nous n’avons pas pu stopper l’hémorragie.
— Je suis vraiment désolée, Sam.
— Je sais, et je t’en remercie. Néanmoins, il se fait tard et nous ne devons pas oublier que tu as un concert ce soir. Je suis certain que tu as envie de t’exercer un peu, dit‑il, semblant retrouver un ton plus léger.
— Tout ce que je voudrais, c’est rester allongée ici, avec toi.
— Moi aussi, j’aimerais bien.
Elle le regarda et sourit.
— Tu sais, je connais déjà très bien tous les morceaux que je vais jouer ce soir.
Il rit, et l’attrapant par la taille, la fit asseoir à cali-fourchon sur lui.
— Vraiment, petite coquine ? Alors, dis-moi un peu, que pourrions-nous faire pour tuer le temps d’ici à ce soir ?
— Hm, je crois qu’en y réfléchissant bien, nous trou-verons quelque chose.
Bien plus tard, lorsqu’elle quitta la chambre de Sam, elle s’aperçut qu’elle avait encore largement le temps de s’exercer au violon, ce qu’elle fit, jusqu’à ce qu’ils partent pour le Tannenbaum Theater.
Le concert se déroula à la perfection et elle fut agréa-blement surprise de la présence de nombreux habitants de Savannah dans le public.
Son auditoire l’applaudit longuement, et elle donna deux rappels.
Lorsqu’elle retourna dans sa loge, celle-ci regorgeait de bouquets de fleurs de ses admirateurs locaux.
Elle fut encore chaleureusement félicitée durant le cocktail qui suivit le concert.
Lorsqu’ils pénétrèrent dans la salle où se poursuivait la soirée, chacun s’immobilisa et soudain, les applaudissements éclatèrent de toutes parts.
Jamais elle ne s’était sentie aussi heureuse.
Pourtant, le même soir, à peine rentrée, elle se sentit gagnée par la panique.
Par la panique et la culpabilité.
Comment leur histoire, à Sam et à elle, pourrait‑elle fonctionner ?
Comment venir à bout de tous ses doutes ?
Comment survivrait‑elle à leur séparation, lorsqu’elle serait de retour chez elle ?
Elle décida de fouiller le bureau, même si l’idée l’en tourmentait.
Elle partait le lendemain et c’était le moment où jamais de mettre la main sur ces carnets. Elle était venue pour ça, et pour rien d’autre.
Pressée d’en finir, elle se dirigea jusqu’au bureau de Sam qui était parti garer le 4x4 et s’assurer que tout était en ordre. Une fois sur place, elle commença à fouiller le meuble de son aïeule, mais son journal intime était introuvable. De même que les bijoux.
Sa gorge se serra. Il devait les avoir trouvés.
Elle avait été complètement stupide.
— Que diable fais-tu ici ?
Elle sursauta et se retourna en entendant la voix de Sam.
— Je cherche le journal intime de ma grand-mère.