Dehors, le bruit du moteur, qui s’éloigne. De plus loin, menaçants, de nouveaux roulements, le ciel va encore se déchaîner
Dans la chambre, le lit. Ce lit. Large, immense, à peine chaud. Trop loin de la cheminée. Il se souvient, de ses séjours en Ardèche au cœur de ces hivers si froids, des gestes de sa grand mère. Sur les marches, il en a vu quelques-uns. De très gros galets, plus gros que des briques, ronds, blancs. Il les ramène, les pose tout près des flammes
Il veille à ce que Francie ne se découvre pas
Elle ne dort pas, regard absent, comme tourné vers une image qu’elle seule voit
Chérie, regarde-moi. Tu vois, je suis là, tout près
Xavier, tu n’es pas parti. Il est tard, tu sais. Tellement tard
Non, pas si tard que ça. Il est très tôt. C’est presque le matin
Il pleut encore
Toujours
L’océan, il dansait sous la pluie, et toute cette musique, pour moi. Quand j’étais petite, il y a longtemps, j’entraînais Sylvie les nuits de tempête. Et Victor. Tu viendras, toi aussi
Quand tu voudras. Mais pas ce soir, ce soir, nous restons là, tous les deux, que nous deux
Les pierres sont brûlantes, il les enveloppe dans des morceaux d’étoffe, les glisse entre les draps. Il s’oblige à attendre, assez de temps, pour que la chaleur des roches les pénètre
Il s’accroche aux montants du lit, tire de toutes ses forces, le rapproche au plus près de la cheminée, dans laquelle il ajoute deux grosses bûches. Il va chercher Francie, la soulève, l’emporte, pour la glisser dans ce nid qu’il espère le plus douillet possible
Il achève de la déshabiller, lui ôte tout ce qu’elle peut avoir d’humide, de froid sur elle. Il fouille les armoires, vide les tiroirs. Trouve enfin de quoi la couvrir. Il sourit, malgré lui, devant une chemise de nuit, au tissu épais, pire que ce qu’il a vu sur le dos de son aïeule. D’où sort-elle cela
Tout ce froid dans cette maison vide, depuis quand ? Une main sur le front moite, plus aussi chaud. Les médicaments doivent déjà agir, au moins sur la température. Assez pour le rassurer
Il va chercher une des couvertures restées sur le canapé du salon, revient s’installer près d’elle, dans une... oui, c’est une marquise. Tous ces sièges, une autre époque. Le petit bureau, devant la fenêtre, un de ces meubles à secrets. Tous ces tiroirs. Elle a donc grandi dans ce décor. Non, chez Sylvie, ici, il se souvient, Madame Damien a dit qu’elle avait peur d’y revenir. Qu’elle n’y trouvait que tristesse. Y redevenait fragile, vulnérable
Xavier
Oui, Chérie, je suis là
Tu ne pars pas, pas encore
Non, Chérie, je reste ici. Tu es bien
Oui. Merci d’être là
Et à toi d’exister
Hier affleure en lui, aux mêmes mots. Lui rend leur première nuit. Lui restitue l’espoir
Oui
C’est fini, j’ai oublié. Je t’aime, Fran
Je sais, c’est moi. Tout le mal vient de moi. Toujours. Pas des autres. Je n’ai rien compris, douté de toi, je n’ai pas cru en nous. Pas assez fort
Tais-toi, rien qu’un mauvais rêve, une ombre. Demain, à la lumière, ils vont se dissiper. Tout va renaître. Plus fort, plus beau. Et puis, rappelle toi, je te l’ai dit, souvent, à chaque fois, il n’y a que nous d’important. Nous sommes seuls sur terre
Ce n’est pas vrai, Xavier
Pour moi, oui, Chérie. Toi et moi. Il y a nous, et j’oublie les autres
Il se lève, va la rejoindre, s’allonge près d’elle. Et il frémit devant ses yeux, toujours aussi indifférents
Je peux rester là
Autant que tu voudras
Y rester jusqu’à la fin des temps ? Tu as froid
Non, je suis bien. J’ai sommeil. Je voudrais dormir longtemps. Une vie
Et me laisser seul. Maintenant ? Alors qu’elle nous promet le meilleur. C’est ce que je veux pour toi, Francie, seulement cela
Et moi, je ne t’ai apporté que souffrance, déception
Je suis coupable aussi
Il doit accepter la vérité et endosser sa part de responsabilités. Il devait lui parler, lui expliquer.Surtout lui raconter ce qu’ils sont pour lui. Lui montrer également combien elle lui est importante, unique, la place que Francie occupe dans sa vie. En fait, elle la prend toute
Pour lui, elle remplit l’espace avec ses rires, meuble l’horizon avec ses gestes, elle habille l’univers de sa douceur, elle l’illumine par ses yeux. Pas seulement son talent, pas pour ce don qu’elle porte en elle
Je n’ai rien compris, Xavier, j’ai fui, comme autrefois. A chaque fois
C’est fini. Tu n’auras plus à le faire
Ils auraient dû se parler, de tout, ne rien se cacher, avant, bien avant, que lui ne décide de réaliser un rêve
Le tien, Francie, seulement le tien. Tu aurais tout accepté, comme un cadeau
Tu le veux toujours
Seulement si tu le souhaites aussi. Uniquement pour te voir heureuse, être complice de ton bonheur
Nous le ferons ensemble. Pour nous. Xavier, Aix, tu dois
Repose toi, chérie. Il faut dormir. Nous avons le temps, tout notre temps
Mais ils t’attendent là-bas, ton travail
Rien qui ne puisse se rattraper. Nous, nous pouvions nous perdre
Alors c’est vrai, tu ne me quittes pas
Oui, je serai encore là, à ton réveil. Dors
S’il te plaît, aime-moi, reprends-moi, encore une fois, après, si tu veux, tu pourras partir. Les retrouver
T’aimer et partir ? Non France, t’aimer, maintenant, toujours. Rentrer ? Bien sûr, demain, bientôt, oui. Mais à la maison, chez nous, nous y retournerons ensemble
L’aube ne l’a pas réveillée, ni les premiers rayons de soleil
Bien moins Sylvie et Victor qui ont refermé doucement la porte de la chambre derrière eux
Pas même les voix des hommes, dehors, venus remplir les cuves du chauffage central
Le poids de sa tête dans le creux d’une épaule, et Xavier est prêt
Elle n’est plus aussi pâle
Il guette, comme à chaque fois, à chaque matin, le premier frémissement des paupières
Comme à chaque matin, il le provoque d’un souffle
Et son cœur éclate à recevoir dans le sien, avec toute sa lumière, ce regard à l’étrange couleur, ni bleue, ni vert
J’ai eu si peur, Fran, de ne plus voir ces yeux-là
Pardon, Xavier, pour tout
Chut. Aime-moi. Apprends à m’aimer comme je t’aime. Surtout, ne pars plus, Fran. Plus jamais
On reste là
On reste là. Encore cinq minutes, jusqu'à demain, une éternité. Viens, ma Douce