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ÇáÊÓÌíá

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C’est le cœur lourd que Francie les regarde partir. Encore quelques jours, avant de quitter la région. Se perdre complètement, sans laisser de trace. Encore quelques jours à savourer l’affection de ses parents adoptifs. Elle ne demande rien de plus. Elle ne veut pas être une gêne à leur bonheur. Pas de tristesse à cause d’elle. Elle a perdu l’essentiel, et maintenant, il lui semble les perdre, eux. En souffrir davantage ? Peut-on ressentir plus de douleur que celle qu’elle endure

Dans le paquet, soigneusement caché dans la chambre qu’elle partageait avec Sylvie, son cadeau. La petite danseuse, celle qui faisait tant rêver Victor, celle qui ressemble tant à leur bout de chou. Une boîte à musique, une porcelaine ancienne, l’objet le plus précieux dont elle a hérité de ses parents. Une pièce unique. De l’écrin qu’elle dissimule, elle a retiré deux alliances, celles de ses parents. Les a remplacées par la montre gousset de son père et le tour de cou en perles d’or de sa mère. Avec cela elle leur dit tout son amour pour eux

Sur la route de Mont-de-Marsan, Sylvie et Victor ne sont pas plus heureux que leur amie, trop inquiets de la laisser aussi abattue

Tu n’avais pas à lui parler si durement, Victor. Tu ne sais pas comment elle va réagir

Fuir, partir encore

Et ne pas être là pour nous

Je le crois, ma puce. Elle ne sait plus où elle en est

Tu sais... Je vais dire une bêtise

Toi ? Jamais, mon cœur

Si tu m’arrêtes à la première cabine téléphonique

Qu’as-tu encore imaginé

Une bêtise, je te dis. Mais si tu m’écoutes, je saurai bien te récompenser

Tu tentes le Diable. J’ai peur de deviner, Sylvie, tu vas... Tu ne vas pas faire ça
- Je suis désolée, mais oui, je vais

La seule solution, à son avis, avant que Francie ne disparaisse ailleurs, elle est prête à prendre le large. Reste à définir combien de temps ils ont devant eux pour agir. Elle va leur glisser entre les doigts et Sylvie n’est pas certaine que Xavier mérite d’être traité de la sorte

Il risque de ne rien gagner à la rencontrer

Oui, cela se peut, mais il pourra au moins se défendre de ce dont elle l’accuse. Notre Francie. Je n’y comprends rien. Elle est sourde à tout raisonnement

Tu es bien décidée

Oui, pourquoi

Tu as un téléphone à dix pas. Je ferme les yeux, je ne suis au courant de rien. Sylvie, je suis innocent comme l’enfant qui vient de naître

Tu verras, je suis certaine de ne pas me tromper

Une bonne demi-heure plus tard, Sylvie retrouve Victor, avec le sentiment de quelqu’un qui a accompli un devoir sacré

Maintenant, en route, et advienne que pourra

Comment est-il

Qui ? Xavier ? Il n’est que dix heures du matin, à ton avis, il arrivera plus vite en voiture ou en train

Sylvie, tu lui as tout dit

Je l’ai averti, il n’arrive pas en terrain conquis

La croit-il si sotte. Elle n’a rien caché, Xavier sait qu’ils n’ont abouti à rien de concret. Ce qui doit advenir entre Francie et lui ? Tout reste à faire, à reconstruire. Du moins, si lui, le désire toujours. Demain est entre ses mains. Elle n’a fait que l’informer de ce dont il est accusé, pour qu’il puisse s’en défendre

Et tu peux me croire, si au début il m’a paru inquiet, je crois que maintenant il est surtout furieux

Après Francie. Tu es folle

Pas après moi. Je ne suis responsable de rien. Si tu as envie de voir ce qu’un homme en colère va faire, fais demi-tour. Sinon, la route de Mont-de-Marsan, c’est droit devant. Dans un sens ou dans l’autre décide-toi vite, parce que vu le ciel, il va y avoir un sacré orage

Nous sommes plus près de Léon que

Alors qu’attends-tu

Et si nous faisions erreur

Rien ne peut être pire que la situation actuelle

Prie pour avoir bien agi. Nous sommes fous de nous mêler de tout cela. Il vaut mieux que nous soyons avec eux

Pas du tout. Ils vont se débrouiller seuls. Je connais bien Xavier. Tu sais, avant d’arriver, cette colère, cette rage qu’il porte en lui, cette frustration, il va tout maîtriser. Je ne sais pas si c’est mieux, mais, il ira jusqu’au bout. Si Francie ne cède pas... Victor... Tu crois que j’ai bien fait

C’est bien le moment de te poser la question. On rentre

 
 

 

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27







Xavier roule, au plus vite. Il n’a pas eu la patience d’attendre un train quelconque. Conduire, un moyen comme un autre de libérer toute la violence qu’il porte en lui. L’autoroute, jusqu’à Agen, ensuite direction Mont-de-Marsan. D’abord Léon, Sylvie lui a donné l’adresse de ses parents, leur numéro de téléphone. Après, il verra. Où qu’elle soit, il veut Francie, là, face à lui. A mettre un terme à leur histoire, le faire tout à fait

Il n’a pas mérité tant de douleur. Toute cette angoisse, pour rien. Le ciel est à l’image de son humeur. Les nuages sont bas, tout noirceur. Peu de voitures devant lui, pour ralentir son allure

Si loin. Elle aurait mieux fait de le traverser, ce foutu océan. Une marionnette. Pour elle, entre ses doigts, rien de plus qu’un pantin de bois, à attendre, à l’aimer, à vouloir le meilleur. Elle n’a rien compris

Il va la retrouver. Oui. Et après ?... Il ne sait plus. Trop de peur derrière lui. Trop de doutes. Une enfant gâtée, elle n’est que cela. Un instant, la tentation de faire demi-tour. De la laisser se perdre loin de lui. Et oublier

Leur relation ? Un semblant de vérité. Trois mois. Même pas. Rien de solide. Une illusion. Bien moins qu’une illusion. Au bout du compte, il n’a aimé qu’un mirage. Et elle, à se cacher ainsi, à se dérober devant la moindre blessure, elle ne grandira jamais. Avoir vécu tout ce temps, près de lui, et le connaître si mal. Et lui, aveugle. Tout à son adoration, il n’a rien deviné

Narbonne, direction Toulouse. Pour aller plus loin encore. Tout son travail arrêté, des heures de perdues. Pour un caprice. Avec lui, pour elle, le théâtre, terminé. Il ne perdra plus une minute de son temps

Un éclair lacère l’horizon, ouvre une brèche dans les nuées obscures, et des gouttes d’eau se font étoiles sur le pare brise. Il jure, maudit les éléments, appuie encore sur l’accélérateur et mêle sa colère à celle qui se déchaîne autour de lui et qui gronde

Qui gronde si fort qu’il ne voit rien devant lui. Qui gronde au point de l’obliger à cesser cette course démente. De le contraindre à s’arrêter à la première aire de repos qu’il rencontre

Le crépitement de la pluie sur la tôle, les cascades le long des vitres, il étouffe. Il sort du véhicule, tend, de toutes ses forces son visage vers les cieux déchaînés. Chemise plaquée au torse, poings serrés, yeux fermés, à laisser l’eau du ciel emporter sa rage, le laver de sa folie. Combien de temps ? Silhouette étrange, toute droite au milieu du bitume

Chez Sylvie, ils sont quatre, à patienter que les heures passent, leur apportent celui qu’ils attendent. Sylvie raconte l’histoire de Francie et Xavier, ce qu’elle en connaît, Victor complète, donne des précisions. La lampe à pétrole, au centre de la table leur offre des zones sombres où chacun recule, se perd dans ses pensées

Pas si loin, très près des vagues furieuses qui fouillent, frappent, harcèlent le rivage, Francie, ombre chinoise sur l’horizon aux mille zébrures d’argent, face au monstre mugissant à ses pieds. Fragile, trempée, toute vénération pour le maître de ces forces indomptables. Hors du temps

Xavier a repris la route, sous une pluie plus sereine. Toujours autant de colère au fond de lui, mais toute envie de violence éteinte. Toulouse, avalée sans même s’en apercevoir, et déjà oubliée. Il évite les portes d’Agen, et se retrouve, de justesse, dans la bonne direction. Celle qui le guide vers Francie. Devant lui, les phares trouent la nuit, font danser des myriades de gouttelettes luisantes. Derrière lui, les pneus projettent des gerbes d’eau boueuses. Il est près de minuit. Si tard déjà

Il est fatigué, las de cette course contre le temps. Sans savoir ce qui l’attend ni oser chercher en lui ce qu’il souhaite voir émerger de cette rencontre

Il arrive à Roquefort. Un bref arrêt, le temps de vérifier sur la carte. Tout de suite après, Mont-de-Marsan, et ensuite... Francie. Au bout d’une ligne presque invisible sur le papier. Il s’offre quelques minutes encore, regard perdu devant lui. Encore une cigarette, juste une, avant la dernière étape

 
 

 

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Une heure du matin, une seule fenêtre éclairée dans la façade de cette maison blottie contre les arbres, la première à l’entrée du village de Léon, avec un atelier de poteries au rez-de-chaussée. Au bruit du moteur, la porte qui s’ouvre, Victor qui s’y profile. Et maintenant ?

Ils sont deux à venir vers lui

Vic, où est-elle

Chez elle, pas très loin. Entre Xavier. Tu es trempé

Bonsoir Sylvie. Désolé. Je suis vidé

Ce n’est rien, viens. Papa et maman sont là, et du café, tout frais. Pas trop mauvaise route

Je ne sais plus. Pas plus que le reste. Francie ne vit pas avec tes parents

Plus depuis quelque temps. Elle s’est installée chez elle. Ne t’inquiète pas, elle s’y trouve en ce moment, et pour quelques jours encore, j’en suis certaine. Demain

Non Sylvie, ce soir. Tout sera réglé ce soir. Puis je reprends la route. Allons saluer ta famille. Ils n’auraient pas dû veiller si tard. Je m’en veux pour cela

Nous sommes tous avec toi. Xavier, ne sois pas trop dur avec Fran. Je... C’est moi qui t’ai prévenu

Tu te sens coupable, bout de chou ? Non, toi, tu n’y es pour rien. Alors Victor, vous deux, le grand jour, c’est pour quand ?

Un mois, tu sais que je compte sur toi

Rien au monde ne m’empêchera d’être avec vous. Et ce café ? Tu l’as fait comment Sylvie, bien fort

Noir comme la nuit. Il t’attend

Merci, petit moineau. Victor, après

Dès que tu le décideras, je t’accompagne

Ils sont restés autour de cette table, un café, un autre. Xavier, un simple regard vers Victor qui se lève, inquiet devant cette froideur qu’il devine dans cet homme. Pour en arriver là, combien de souffrance

Pas un mot jusqu’à la barrière à la peinture écaillée qui entoure le jardin abandonné. Xavier arrête sa voiture plus loin, hésite, reste un instant à fixer la façade blanche, où aucune lampe ne brille derrière les volets disjoints

C’est donc là qu’elle a grandi, là, qu’elle se cache aujourd’hui. Une belle demeure, Victor

Oui, typique de la région. Elle aurait bien besoin d’un coup de peinture, de quelques clous

Seulement cela ? Ce semblant de rue bordée de magasins visiblement non exploités, un désert presque hostile. Habiter là, seule

Ces autres maisons, ces lieux... Qui peut vivre ici ? Et elle ? Qu’y fait-elle ? Elle est si loin de vous, de... tout

Il n’y a personne l’hiver, l’endroit ne s’anime qu’aux premiers bains, avec les touristes. C’était la résidence d’été des parents de Francie. Elle s’y est cloîtrée. Depuis des jours. N’oublie pas, Xavier, elle est... depuis toujours, depuis l’enfance, bien plus que fragile, elle s’est perdue dans un monde de rêves, parfois, il me semble qu’elle évolue dans un autre univers. Il faut lui accorder le temps d’en revenir

Je sais Vic, je sais ce qu’elle est, ce qu’elle porte en elle. C’est stupide, mais... je l’aime malgré cela, et surtout pour cela

N’exige rien au-dessus de ses forces, Xavier

Exiger ? Je ne sais plus, Victor. En fait, je n’attends rien. Simplement, qu’elle me dise adieu. Je veux l’entendre de sa bouche. La regarder pendant qu’elle le fera. Je crois qu’il n’y a qu’ainsi que je pourrai l’admettr.

Sylvie, elle t’a raconté

Tout. Non, n’ajoute plus rien. Je ne veux rien écouter d’autre que ce que France doit me dire. Après, je partirai. Je suis désolé, Victor. Je n’arrive pas à accepter sa fuite

Je vous voudrais heureux. Va, il vaut mieux qu’elle ne me voit pas

 
 

 

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Xavier avance vers la façade indifférente. Il respire l’odeur du large, du sable détrempé. Nuit magique, luisante. Il doit forcer sur le portail, qui grince, résiste, cède avec un craquement. Le chemin est une éternité devant lui. Il sent toute sa colère se reconstituer. Il y est. Il tape à cette porte, dernier obstacle. Frappe encore

La maison est vide, désertée. Toute cette route, personne au bout

Il se tourne vers Victor, écarte les bras montrant ainsi tout son désarroi

Et plus loin, sur la crête des dunes, un halo de lumière danse, se rapproche. C’est elle. Dehors, si tard

Xavier s’assoit sur les marches, la regarde passer près de son véhicule, sans même le remarquer, tête baissée. L’allure est lente, la silhouette penchée. Il ne retrouve plus de légèreté, ni aucune vivacité dans les gestes

Il l’observe marquer un temps d’arrêt devant le portail ouvert, relever la tête, faire glisser autour d’elle un regard indifférent, éteint à toute émotion

Il l’attend. Compte les pas qui la lui amènent, la guident au bas du perron où elle lève le bras, pose la main sur la rampe vermoulue. Le voit enfin

Tu es là

Oui, France

Ils t’ont dit

Victor est là-bas. Tu n’es pas seule

Cela n’a pas d’importance. Tu... En toi, rien ne peut me blesser, n’est ce pas Xavier

Non, Fran, c’est vrai. Maintenant. Tout est passé, toute cette rage. Je n’ai plus de colère

Je sais. Je suis désolée, Xavier

Désolée ? Oui. Tu peux. Pourquoi, Fran ? Si peu de confiance en moi ? Tous nos jours, nos nuits... Tu les as si vite oubliés

Pars, s’il te plaît, aide-moi, efface tout cela. Je m’en veux, pour tout ce mal, tout ce que je t’ai enlevé. Tu es libre Xavier

Et toi ? C’est aussi simple pour toi

Simple. En moi, tout est mort

- Où étais-tu ? Tu es trempée. Sous la pluie

Où ? Là-bas, pas très loin. Ça va aller. La pluie ? Ce n’est que de l’eau. J’aime tellement la pluie, Xavier

Un pas en arrière, un autre, elle se détourne de lui. Elle tremble, claque des dents. Serre autour d’elle un long châle aux franges dégoulinantes

Entre, sèche-toi. Tu ne résisteras pas à ce froid

Froid ? Non, tu peux partir. Ne t’inquiète pas. Ah Oui. L’océan. J’avais oublié l’océan. J’avais oublié les bois. Un jour, toi aussi, tu m’oublieras

Ce débit incontrôlé, cette voix hésitante, tout en elle semble s’effriter, elle tremble devant Xavier qui s’affole de la retrouver ainsi

- Francie. Tu es malade. L’océan. Folle, là-bas et sous cet orage. Ne reste pas là. Je vais te préparer quelque chose de chaud. Donne tes clés

Les clés ? La porte est ouverte. Pas de clé ici, aucun besoin. Tu as raison, j’ai un peu froid. Je crois que j’ai froid

En effet, une simple poussée suffit à leur ouvrir l’accès. Il doit presque la porter et il a peur

Le salon, tout près. Un parfum de cire flotte dans l’air. Toujours pas d’électricité. A cause de la tempête. Ici aussi, comme chez Sylvie, des lampes à pétrole. Reliques des temps anciens. Qu’il a du mal à allumer

Xavier peste contre l’humidité, contre la température glaciale des lieux

A la lueur de la première lampe la pièce s’offre à lui. Sur la tapisserie fanée d’un bergère, des poupées de porcelaine l’observent, sages et silencieuses, devant une table basse à la délicate marqueterie où lys, œillets et roses s’entrelacent

En face de lui, une cheminée, haute et large, s’étire, lui présente d’autres lampes, qu’il allume aussi

Francie, toujours claquant des dents, crispée, sans volonté, qu’il force à se défaire de son châle, à s’allonger sur le canapé, devant l’âtre. Vide. Dans un panier, tout près, il trouve de grosses bûches, des brindilles, des journaux. Se hâte d’allumer le feu. Deux couvertures, légères, moelleuses, soigneusement pliées, rangées dans une énorme corbeille d’osier. Qu’il déplie sur elle

Il sort, quelques minutes. Il court vers Victor. Il est médecin. Il saura bien, lui, ce qu’il faut faire

Victor, elle n’est pas bien. Il faut que tu la vois

Francie ? Que s’est il passé entre vous

Rien, rien de ce que tu imagines. Pas de colère. Elle a pris froid, elle me fait peur. La voir dans cet état, c’est au-dessus de mes forces. Elle souffre

Froid ? Elle était si bien ce matin. Je vais voir. Bon sang. je n’ai rien ici pour parer aux premiers soins. Ma trousse est restée chez Sylvie

Je vais la chercher, Sylvie sait où la trouver

Oui, mais le chemin, tu y arriveras

Pour France, à pied, s’il le fallait. Va vite auprès d’elle. Il ne faut pas la laisser seule. Je reviens dès que possible

Nouvelle course dans la nuit. Il freine à peine dans les virages. Retrouve sans mal la maison sous les pins, repart aussitôt, toujours aussi vite. Seul

Pour les rejoindre devant un feu aux flammes hautes et chaudes maintenant

Physiquement, ce n’est rien, Xavier. Elle a pris froid. Mais, ce qui me donne du souci, c’est son abattement. Elle ne réagit à rien. J’ai ce qu’il faut pour son rhume mais demain, il faudra voir comment traiter le reste

Je reste près d’elle. Dis-moi ce que je dois faire

Pour un refroidissement, ce n’est pas compliqué. La coucher dans son lit, au chaud. Veiller à ce qu’elle y reste, surveiller sa température et lui donner ces médicaments. Je note tout sur cette feuille. Tiens. J’ai allumé la cheminée dans sa chambre. Il ne faut pas que le feu s’éteigne. Nous l’y installerons dès que les bouillottes auront chauffé le lit

Je m’en charge, Victor

Elle doit vivre comme ça depuis pas mal de temps. C’est de l’inconscience. Elle n’a pas fait livrer de combustible pour la chaudière. Elle comptait vraiment partir, tu sais. Bientôt. Je ferai le nécessaire dès demain. La chaleur sera meilleure

Tu peux y aller. Sylvie est inquiète pour elle et j’ai refusé de l’emmener. Prends les clefs de la voiture, tu peux compter sur moi. Je m’occupe d’elle. Je t’attends demain

Sa chambre, la première porte à droite, dans ce couloir. Je serai là, très tôt. Ce ne sera rien, Xavier

Je l’espère, Vic. Je l’espère de toute mon âme

 
 

 

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Dehors, le bruit du moteur, qui s’éloigne. De plus loin, menaçants, de nouveaux roulements, le ciel va encore se déchaîner

Dans la chambre, le lit. Ce lit. Large, immense, à peine chaud. Trop loin de la cheminée. Il se souvient, de ses séjours en Ardèche au cœur de ces hivers si froids, des gestes de sa grand mère. Sur les marches, il en a vu quelques-uns. De très gros galets, plus gros que des briques, ronds, blancs. Il les ramène, les pose tout près des flammes

Il veille à ce que Francie ne se découvre pas

Elle ne dort pas, regard absent, comme tourné vers une image qu’elle seule voit

Chérie, regarde-moi. Tu vois, je suis là, tout près

Xavier, tu n’es pas parti. Il est tard, tu sais. Tellement tard

Non, pas si tard que ça. Il est très tôt. C’est presque le matin

Il pleut encore

Toujours

L’océan, il dansait sous la pluie, et toute cette musique, pour moi. Quand j’étais petite, il y a longtemps, j’entraînais Sylvie les nuits de tempête. Et Victor. Tu viendras, toi aussi

Quand tu voudras. Mais pas ce soir, ce soir, nous restons là, tous les deux, que nous deux

Les pierres sont brûlantes, il les enveloppe dans des morceaux d’étoffe, les glisse entre les draps. Il s’oblige à attendre, assez de temps, pour que la chaleur des roches les pénètre

Il s’accroche aux montants du lit, tire de toutes ses forces, le rapproche au plus près de la cheminée, dans laquelle il ajoute deux grosses bûches. Il va chercher Francie, la soulève, l’emporte, pour la glisser dans ce nid qu’il espère le plus douillet possible

Il achève de la déshabiller, lui ôte tout ce qu’elle peut avoir d’humide, de froid sur elle. Il fouille les armoires, vide les tiroirs. Trouve enfin de quoi la couvrir. Il sourit, malgré lui, devant une chemise de nuit, au tissu épais, pire que ce qu’il a vu sur le dos de son aïeule. D’où sort-elle cela

Tout ce froid dans cette maison vide, depuis quand ? Une main sur le front moite, plus aussi chaud. Les médicaments doivent déjà agir, au moins sur la température. Assez pour le rassurer

Il va chercher une des couvertures restées sur le canapé du salon, revient s’installer près d’elle, dans une... oui, c’est une marquise. Tous ces sièges, une autre époque. Le petit bureau, devant la fenêtre, un de ces meubles à secrets. Tous ces tiroirs. Elle a donc grandi dans ce décor. Non, chez Sylvie, ici, il se souvient, Madame Damien a dit qu’elle avait peur d’y revenir. Qu’elle n’y trouvait que tristesse. Y redevenait fragile, vulnérable

Xavier

Oui, Chérie, je suis là

Tu ne pars pas, pas encore

Non, Chérie, je reste ici. Tu es bien

Oui. Merci d’être là

Et à toi d’exister

Hier affleure en lui, aux mêmes mots. Lui rend leur première nuit. Lui restitue l’espoir

Oui

C’est fini, j’ai oublié. Je t’aime, Fran

Je sais, c’est moi. Tout le mal vient de moi. Toujours. Pas des autres. Je n’ai rien compris, douté de toi, je n’ai pas cru en nous. Pas assez fort

Tais-toi, rien qu’un mauvais rêve, une ombre. Demain, à la lumière, ils vont se dissiper. Tout va renaître. Plus fort, plus beau. Et puis, rappelle toi, je te l’ai dit, souvent, à chaque fois, il n’y a que nous d’important. Nous sommes seuls sur terre

Ce n’est pas vrai, Xavier

Pour moi, oui, Chérie. Toi et moi. Il y a nous, et j’oublie les autres

Il se lève, va la rejoindre, s’allonge près d’elle. Et il frémit devant ses yeux, toujours aussi indifférents

Je peux rester là

Autant que tu voudras

Y rester jusqu’à la fin des temps ? Tu as froid

Non, je suis bien. J’ai sommeil. Je voudrais dormir longtemps. Une vie

Et me laisser seul. Maintenant ? Alors qu’elle nous promet le meilleur. C’est ce que je veux pour toi, Francie, seulement cela

Et moi, je ne t’ai apporté que souffrance, déception

Je suis coupable aussi

Il doit accepter la vérité et endosser sa part de responsabilités. Il devait lui parler, lui expliquer.Surtout lui raconter ce qu’ils sont pour lui. Lui montrer également combien elle lui est importante, unique, la place que Francie occupe dans sa vie. En fait, elle la prend toute

Pour lui, elle remplit l’espace avec ses rires, meuble l’horizon avec ses gestes, elle habille l’univers de sa douceur, elle l’illumine par ses yeux. Pas seulement son talent, pas pour ce don qu’elle porte en elle

Je n’ai rien compris, Xavier, j’ai fui, comme autrefois. A chaque fois

C’est fini. Tu n’auras plus à le faire

Ils auraient dû se parler, de tout, ne rien se cacher, avant, bien avant, que lui ne décide de réaliser un rêve

Le tien, Francie, seulement le tien. Tu aurais tout accepté, comme un cadeau

Tu le veux toujours

Seulement si tu le souhaites aussi. Uniquement pour te voir heureuse, être complice de ton bonheur

Nous le ferons ensemble. Pour nous. Xavier, Aix, tu dois

Repose toi, chérie. Il faut dormir. Nous avons le temps, tout notre temps

Mais ils t’attendent là-bas, ton travail

Rien qui ne puisse se rattraper. Nous, nous pouvions nous perdre

Alors c’est vrai, tu ne me quittes pas

Oui, je serai encore là, à ton réveil. Dors

S’il te plaît, aime-moi, reprends-moi, encore une fois, après, si tu veux, tu pourras partir. Les retrouver

T’aimer et partir ? Non France, t’aimer, maintenant, toujours. Rentrer ? Bien sûr, demain, bientôt, oui. Mais à la maison, chez nous, nous y retournerons ensemble

L’aube ne l’a pas réveillée, ni les premiers rayons de soleil

Bien moins Sylvie et Victor qui ont refermé doucement la porte de la chambre derrière eux

Pas même les voix des hommes, dehors, venus remplir les cuves du chauffage central

Le poids de sa tête dans le creux d’une épaule, et Xavier est prêt

Elle n’est plus aussi pâle

Il guette, comme à chaque fois, à chaque matin, le premier frémissement des paupières

Comme à chaque matin, il le provoque d’un souffle

Et son cœur éclate à recevoir dans le sien, avec toute sa lumière, ce regard à l’étrange couleur, ni bleue, ni vert
J’ai eu si peur, Fran, de ne plus voir ces yeux-là

Pardon, Xavier, pour tout

Chut. Aime-moi. Apprends à m’aimer comme je t’aime. Surtout, ne pars plus, Fran. Plus jamais

On reste là

On reste là. Encore cinq minutes, jusqu'à demain, une éternité. Viens, ma Douce

 
 

 

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