S’il te plaît, Vic. Reprends ta place. Dans une heure, je serai libre
Tu es complètement folle. Ma puce, là dessous. Tu ne perds rien pour attendre. Tu vas recevoir la première fessée de ta vie. Et vous tous, dépêchez-vous. Si dans une heure elle n’a pas fini, vous vous débrouillerez sans elle
Victor est hors de lui. Que vient-elle faire dans ces contrées où ne règnent que la maladie, la faim, la misère. Sylvie dans cette canicule. Elle va dépérir, s’épuiser à la tâche. Et les deux autres, Fran et Xavier. Ils ont perdu la tête de la laisser se perdre si loin. Trop pris par eux-mêmes, sans doute. Des égoïstes inconscients. Ils vont l’entendre. Mais en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle peut compter sur lui pour cela, il va embarquer cette tête de linotte dans le premier avion en partance pour la France
Hé, Victor, je suis là. Alors, un retour en arrière ? C’est elle
Pardon Stéf. Je t’avais oublié. Qui ? Non, cette petite chose, minuscule, adorable, c’est Sylvie. Je n’en reviens pas encore, mais c’est bien elle. Ici. Tu te rends compte
Oh. Oui. Je vois. Alors ce n’est pas d’elle dont tu veux rester éloigné
Non, elle c’est spécial. C’est absurde, elle n’est pas de taille pour subir ce climat, ni résister à de telles conditions
A la voir faire, je crois que tu la connais mal. Allez, souris un peu. C’est bientôt à nous
Je t’attends dehors, elle aussi. Il faut que je me calme
Et l’autre qui riait. Ah. Il avait bien de quoi rire. Il l’entend encore. « Restez calme. » Rien que ça. Il sort, il a besoin de se retrouver seul. Il doit apaiser cette colère en lui. Car en colère, il l’est. D’inquiétude, pour les longues heures de mauvais trajet. Il n’aime pas la retrouver si pâle, et tout ce travail qui va l’épuiser. Si fragile. Sa puce. Il est si heureux. Sans le savoir, elle lui manquait et de la retrouver là, à l’improviste... Elle est incroyable. Tout quitter. Sur un coup de tête. Qu’avait-elle besoin de partir ainsi ? Ils se sont bien occupés d’elle. Vraiment. Ils peuvent en être fiers. Elle devait s’ennuyer à mourir sans lui, sans eux.
Stéphane le rejoint, tout sourires
Mon vieux, cette fille-là est géniale. Dans une heure nous devons aller à la tente numéro deux, contrôler notre liste et simplement signer. Je t’offre un café.
Non merci Stéf. Je préfère l’attendre ici
Elle en a encore pour un petit moment et c’est elle qui m’a demandé de t’emmener faire un tour.
Elle
Elle m’a prié d’endormir l’ours qui grogne en toi. Dis donc, elle me plaît bien, tu sais. Il n’y a rien entre vous
Pas touche Stéphane. C’est ma petite sœur, mon amie, elle est sacrée. Si quelqu’un s’avise de lui faire du mal, il aura affaire à moi
Nous voilà bien, pour une fois que mon cœur s’emballe. En tout bien, tout honneur. Promis, juré
Stéf. Tu oublies qu’elle existe
Ça va. Si tu restes toute ta vie près d’elle, c’est un trésor de perdu pour les autres. Jamais vu un sourire aussi frais. Et ce teint de rose. Elle
Tu te tais. De rose. Tu trouves ? Elle m’a semblé si pâle
La surprise, sans doute. Et si je te permets de nous accompagner à chaque fois, en guise de chaperon
Tu as besoin de courir vite, mon vieux, parce que je sens que je ne vais pas me retenir longtemps
Heureusement que tu n’es pas amoureux d’elle. Rien de moins qu’une cotte de maille pour me protéger. Allez, viens, elle ne va pas tarder
Ils sont installés depuis un quart d’heure quand Sylvie arrive près d’eux.
Bonjour vous deux. Et toi, Victor, maintenant tu peux m’embrasser et me souhaiter la bienvenue
La bienvenue. Oh. Sylvie, mon bout de chou
Nous allons mettre les choses au point. Plus de bout de chou, de puce, de moineau, plus rien de petit, de minuscule. J’en ai assez. Je suis Sylvie, c’est tout
Mais... Que t’arrive-t-il ? Je suis heureux de te retrouver. Pas besoin de te mettre dans cet état
C’est toi qui m’a agressée devant tout le monde
Que croit-il ? Elle n’a pas à quémander une autorisation, la sienne en particulier, pour agir selon son idée. Une fessée. Et puis quoi encore ? Ah, oui. « Sa puce ». Merci pour le cadeau. Il aurait dû les entendre. Elle n’en a pas fini. Comment être prise au sérieux maintenant ? Même au bout du monde elle aura toujours cette estampille collée au front. Il doit accepter le fait qu’elle est assez « grande » pour décider de ce qu’elle veut faire. Et indépendante depuis assez de temps pour savoir où elle veut aller
Bon les enfants, je vous laisse. Je vois que vous avez plein, tout plein de choses à vous dire
Vous pouvez rester. Moi j’ai fini
D’accord ma pu... Pardon. Sylvie. On recommence depuis le début. Je suis aux anges. Ça te va
Non. Pas tout à fait, Vic
Moi, je suis Stéphane. Si j’attends que Victor revienne sur terre je serai trop vieux pour vous.
Stéf, silence. Sylvie, - tu vois, j’ai compris la leçon - je suis sincèrement désolé. C’est mieux
A peine
Vous avez raison, il peut faire mieux
Stéphane, continue comme ça et tu rentres à pieds. Quant à toi, si tu nous expliquais ta présence ici
Je l’ai fait mais tu n’as rien écouté. Xavier a eu une entrevue avec Patrick, le responsable de la mission, je l’ai accompagné. Tout cela m’a emballée et je suis partie avec eux
Comme ça
Pas si simplement mais presque. Je crois qu’ils sont *******s de moi. Cela t’étonne
Pas vraiment, enfin, oui. Plutôt
Vous voyez, Stéphane, et il dit me connaître depuis toujours
On ne sait plus à qui se fier. Pour ma part, je promets de m’attendre à tout de votre part
Attention, vieux. Tu ne sais pas où tu mets les pieds
Mes pieds peuvent aller où je mettrais mon cœur. Bon, je vous laisse vraiment maintenant. Je suis chez Patrick. Ne te dérange pas, Victor, je ramasse tout le courrier. A vous, Sylvie, merci pour tout. Je penserai à vous. Et vous n’aurez pas sur place plus dévoué que moi
Je vous crois et je m’en souviendrai. A bientôt
Ils sont seuls. Se taisent. Ne rien attendre. Xavier avait raison. Prendre simplement ce qui s’offre. Elle est soulagée de le retrouver si décontracté. Il n’a pas l’air abattu du moment de son départ. Et même un sourire au fond des yeux. Mais elle ne sait plus que dire. A peur de ramener la conversation sur des points douloureux. Elle préfère attendre
Encore une conquête. Rien d’étonnant, Sylvie, tu es resplendissante
Merci Monsieur. L’Afrique vous va bien aussi
Le voyage ? Pas trop pénible
Non, tous sont très gentils. Très sympathiques. Je n’ai pas vu le temps passer
Nous sommes là depuis deux jours alors nous avons un peu récupéré
Puis-je savoir pourquoi tu t’es embarquée là-dedans ? C’est très dur, trop dur pour toi
Pas plus que cela, tu t’inquiètes vraiment pour rien. Pourquoi ? Eh bien, j’ai trouvé que ce qu’ils allaient réaliser valait la peine de m’y impliquer. Nous avons beaucoup discuté avec Patrick et il a été d’accord pour m’emmener
Francie et Xavier ? Pas d’opposition
De Francie, oui mais Xavier m’a aidée de son mieux
Je n’en doute pas. Et ils t’ont laissée partir
Personne n’a le droit de m’empêcher d’aller où bon me semble. Xavier m’a facilité les choses. Il a tout fait pour que je parte dans les meilleures conditions. Je l’aime, tu sais, beaucoup. Tu ne dois pas le rendre responsable de ma décision. Quand il a compris que rien ne me ferait changer d’avis, il s’est dévoué, m’a tenu compagnie dans toutes mes démarches. Il ne m’a jamais laissée seule
Tu as raison. C’est un ami. Il a agit comme il le devait. Comment vont-ils
Très bien je crois
Elle est sur des charbons ardents. Guette le moindre tressaillement de la voix. La plus petite fêlure
C’est bien, j’en suis *******. Et maintenant, si tu me racontais ton travail
Mon travail ? oh. oui. Je vais tout te dire. Tu vas voir, tu vas être fier de moi
Je l’ai toujours été, mon cœur. Et ça, je peux
Tant que tu voudras, Vic. Ton cœur, lui, il est immense
Heureuse, combien elle l’est. A avoir du mal à se retenir de danser, de chanter. Pas de tristesse en lui. Ils sont restés longtemps à se raconter. Lui, il a plein d’images, pas toujours belles, mais surtout ce pays. cette vie de chaque jour. Avec ces gens, ces êtres plus réels, plus vrais dans leur façon de vivre
Nous n’avons rien à leur envier, sais-tu ? Ils vivent autrement mais notre manière à nous de concevoir l’existence n’est pas pour autant meilleure
Il lui montre les plaies ouvertes, les blessures. La maladie ils peuvent la soigner, la guérir souvent. Mais le reste
On leur a tout pris. On leur a refusé le droit de vivre comme bon leur semble. Des animaux en cage dans un zoo. Voilà ce qu’ils seraient chez nous. Ici, ils sont l’esprit même de la liberté
Il lui raconte ses tournées dans la brousse, d’un village à un autre. Les couleurs des crépuscules et celles des aubes naissantes. Les bruits de la nuit, les premiers chants d’oiseaux au réveil. Il lui offre la terre, les nuits au ciel si pur
Même la nuit est lumière, Sylvie. Entre la terre et le ciel, rien pour arrêter le regard. Ces ciels, chaque jour différents, aucun matin ne ressemble au précédent
Il parle, parle. Parfois le nom de Francie, celui de Xavier. Mais, elle le sent, sans souffrance. Ils font partie d’un monde dont il s’est arraché. Il est tout neuf. Devant elle, il est un autre Victor. Il rit, plus souvent, plus spontanément.
Et tu ne me dis rien toi
Je t’écoute. Parle, parle encore. Raconte-moi ce que tu aimes
Je vais te lasser. Nous aurons d’autres jours. Tu restes
Ça je le sais
Je veux dire que j’étais décidé à te renvoyer chez nous. Non, ne te fâche pas. Pour finalement me rendre compte que je suis heureux que tu sois là. Tu as changé
Moi ? Non. C’est toi. Tu ne me voyais plus. Nous étions tout le temps ensemble, à trop se connaître, on ne voit plus l’autre
Tu as raison. Stéphane me fait signe. Reste-là, il vaut mieux que tu te tiennes à l’écart de ce célibataire trop empressé. Prends bien soin de toi. Ne t’aventure pas trop loin non plus. Fais très attention aux insectes. Certains sont dangereux. J’aimerais t’emmener à Damot. Pour
Veiller sur moi
Oui, je serai plus tranquille. Je crois qu’il est l’heure de nous séparer. A dans quelques jours
Quand tu veux. Tu sais où me trouver. Ah. tu as dû oublier. Je dois faire dodo à quelle heure
Comment ? Oh. Ça va, pardon. Mille fois. Tu as raison, fais ce que tu veux. C’est si bon de te retrouver. Merci d’être venue, Sylvie. Tu ne peux pas savoir à quel point j’en suis heureux
Sylvie frissonne. Si près et encore trop loin d’elle. Elle voudrait passer les bras autour de sa taille, se laisser aller et s’appuyer contre lui. Non, ne pas le bousculer. Et son cœur s’emballe alors qu’il se penche vers elle, effleure sa joue d’un baiser, la garde un instant ainsi, pour un murmure à l’oreille, qui l’affole, la laisse vibrante d’une joie nouvelle
Tu sais... tu seras toujours ma puce, mon bout de chou à moi
Elle le laisse s’éloigner. Rit à le regarder retenir par le bras un Stéphane faisant mine de résister, de se laisser tomber à genoux, bras tendus, mains jointes dans sa direction à elle. Va, espiègle et provocante, jusqu’à leur envoyer un baiser du bout des doigts. Rit de plus belle, devant l’air exaspéré de Vic tirant par la chemise, sous le regard railleur de tous ceux qui les entourent, ce même Stéphane, abandonné, mains appuyées contre le cœur, jambes traînantes