Avec elle, oui... même sur scène... chaque geste, chaque rire, chaque mot... pour lui... uniquement pour lui... et c’est pour le conquérir, lui, que celle qui l’habite lutte, c’est à lui que cette autre murmure ses espérances, et lui qu’elle crie aimer... Et ainsi jusqu’à la fin, jusqu’au tonnerre d’applaudissements qui monte vers elle, qui la soulève, qui la transporte... et elle se tient debout, comme hébétée, devant une salle qu’elle avait oubliée... et puis, un premier rappel, et un autre encore, auxquels elle obéit... Elle a tant donné ! Et de tous ceux qui lui font face, qui lui sourient, elle en reçoit bien davantage... tellement ! Et la surprise de ne ressentir aucune fatigue... sinon une sorte d’ivresse... et d’avoir fini, et d’en sortir intacte, neuve pour le lendemain avec autant à offrir encore
Le rideau, enfin immobile, elle court, traverse les zones d’ombre, vers la foule qui s’ouvre devant elle... vers Xavier, qu’elle voit, qu’elle appelle... vers Xavier qui se hâte vers elle, laissant derrière lui Sylvie et Victor riant, tous deux, de leur impatience
Pour eux, les rires et pour Fran, les larmes... des larmes de joie. Tout un bonheur qui émane d’elle... d’être allée au bout, d’y être parvenue. Et c’est pleurant toujours, de plus en plus fort, qu’elle s’écroule contre cet homme au visage soudain tendu, dont le regard se voile d’inquiétude, et qui la retient, la soulève, qui l’emporte, loin de tous
Combien de temps avant de retrouver le calme, d’apaiser une fièvre qui la fait trembler encore. Elle écoute le silence... et elle les entend, dans la pièce voisine... et elle sourit... Ils chuchotent, sans doute pour ne pas la déranger, pour ne pas perturber un moment de réel repos... le premier qui lui est accordé après des semaines d’un travail épuisant
C’est corps douloureux qu’elle se redresse, qu’elle se lève... qu’elle les rejoint
Xavier, au bruit de la porte est déjà près d’elle
Tu aurais dû m’appeler
J’ai craqué, Xavier... J’ai dû me couvrir de ridicule
Au contraire, tu les as tous envoûté
Je me sens comme vidée... épuisée
Tu as trop donné, ce soir, chérie... bien trop
Et je voudrais en offrir davantage... à tous... à toi
A moi ? Alors, pour moi, apprends à te préserver, toi... Mais ta partie est déjà gagnée, et demain, tu verras, ce sera bien plus facile
Je l’espère... Et vous deux
Victor rit, bouscule gentiment Sylvie
Regarde-la, elle en pleure encore, et nous avons eu droit à tout l’éventail de ses émotions. C’est ta meilleurs spectatrice
Une inconditionnelle ! Et après ? Et toi, tu as beau jeu de te moquer de moi... Si tu l’avais vu, Fran, pas moyen de le distraire de la scène
Je te crois... J’ai faim ! J’ai à nouveau faim
Cela fait des jours qu’elle se *******e de picorer, l’estomac noué de trac, incapable d’assimiler la moindre nourriture consistante
Ça tombe bien, Sylvie et moi, nous avons préparé un petit souper de fête que tu as tout intérêt à ne pas bouder... et
Un regard vers Xavier, pour capter son attention, et l’informer d’une attitude qui le préoccupe
et là, ce n’est plus l’ami qui te parle, mais le médecin... c’est clair
Bien... docteur
Une situation dont Xavier est pleinement conscient et qui l’inquiète... Pour l’instant, elle souffre de trop de fatigue accumulée après un excès de tension émotionnelle, et elle va s’en remettre... très vite... Mais ensuite
Elle ne sait pas... elle ne va pas avoir seulement cela à affronter... Elle ne sait rien du monde dans lequel elle va graviter dorénavant, un monde qui a peu de pitié, un monde hérissé de rivalités et de jalousies, où se battre pour un rôle, pour exister dans la mémoire des uns, retenir l’attention des autres, ne se fait pas toujours avec élégance et finesse, ni proprement parfois. Et elle n’a pas appris comment y résister... elle n’est pas armée, pas endurcie... pas encore... Et le sera-t-elle un jour
Elle n’est que rêves, qu’illusions... trop candide, trop idéaliste
Comment faire pour la protéger ? Et elle va devoir lutter seule, l’aide qu’il pourrait lui apporter ne saurait que l’affaiblir. Ses forces, elle devra les trouver en elle, et lui, il devra se *******er de la conseiller et la soutenir, de lui montrer la voie. Et elle va partir, elle va le quitter. Longtemps. Ici, mais ensuite d’autres villes, d’autres lieux, Paris, également. Elle n’y a pas pensé encore, toute à cette première fois, elle n’a pas vu plus loin
Mais elle lui reviendra.... ils ont toute la vie... toute leur vie
Il se force à sourire, pour ne pas gâter sa joie et ne pas ternir la fête, et le repas terminé, il veille, avec Victor à ce qu’elle aille reprendre des forces
Dors, il faut que tu dormes, Vic et moi, nous allons raccompagner Sylvie
Tu ne reviens pas
A ton réveil, je serai là... tu dois surtout te reposer, nous aurons le temps, demain, de parler de tout ça.... Maintenant, dors, Chérie, c’est le plus important
Déjà assoupie, avant même que la porte ne soit entièrement refermée
Ils ramènent Sylvie à son studio tout proche, restent près d’elle, un instant, puis se retrouvent seuls, au pied de l’immeuble, comme au terme d’une course épuisante
Je vais partir, Xavier
Quand ? Pourquoi ? A cause de nous
Non, c’était prévu depuis longtemps
Il n’a fait qu’en retarder l’échéance. Son ordre de départ est arrivé au courrier du matin. Dans cinq jours il partira avec un groupe de bénévoles, dans le cadre d’une mission humanitaire. Trois mois, peut-être plus, il verra sur place. Pas vraiment décidé à ouvrir un cabinet, il a pensé se rendre utile ailleurs. Francie ignore tout. Demain il sera bien temps de l’en informer
Vous allez lui manquer... nous manquer
Nous nous écrirons, tous les quatre. Et puis, je la laisse en de bonnes mains, et vous savez bien que, sans cela, je ne partirais pas
En fait, chacun va partir de son côté. Francie est sur une route qui doit l’emmener dans d’autres lieux, auprès d’autres êtres à séduire. Xavier ne pourra pas la suivre partout, il ne le faut pas d’ailleurs. Mais, au moindre appel, au premier signe de sa part, il est prêt à la rejoindre
Sylvie est prévenue
Oui, je n’ai pu l’éviter, nous étions ensemble à la réception du télégramme. Mais, pour une fois, elle a su tenir sa langue. C’est une chic fille
Plus que ça... pensez à elle, Vic... elle vous aime
Sylvie ! M’aimer ! Vous avez réussi à me mettre de bonne humeur
Lui veulent-ils tous tant de misère ? Que le ciel le préserve de son bout de chou, un adorable papillon qui va de cœur en cœur sans se poser jamais
C’est sérieux, ne soyez pas dur avec elle, ne l’oubliez pas dans vos lettres. Elle ne se pose pas, c’est vrai, parce que un seul saurait la retenir et celui-là ne la voit pas... Vous allez laisser un grand vide dans sa vie et nous n’arriverons pas à le remplir, France et moi
Vous vous trompez sur ce qui nous unit, j’aime ma puce comme une sœur, et elle me le rend bien, c’est tout... et nous nous connaissons depuis si longtemps
Depuis le coeur de l'enfance ! Bien avant que Fran n’apparaisse dans leur vie. Elle leur est arrivée un jour, brisée par le décès de ses parents. Ceux de Sylvie ont obtenu d’en avoir la garde, et lui, comme toujours, il se trouvait là quand ils l’ont ramenée avec eux
Et elle les a ensorcelés
Elle s’est battue, toujours, jusqu'à obtenir son indépendance... et elle les a entraînés après elle, sans le savoir
Lui, des études de médecine, ici ou ailleurs, aucune importance
Mais Sylvie
Sylvie, elle, a tout abandonné, ses parents, sa maison, sa sécurité. Elle a trouvé un emploi à la faculté et depuis, elle est là, fidèle à chacun, se partageant entre eux et les soulageant de bien des corvées. Un être exceptionnel, qui ne mérite pas un semblant d’amour, ni un mirage... qui a droit au meilleur
Elle connaît mes sentiments pour Francie, et elle m’a toujours soutenu
Nous veillerons sur elle de notre mieux, mais, pour tous, ne restez pas absent trop longtemps
Merci Xavier. Et vous, ne roulez pas trop vite en voiture, Francie en a une peur bleue. Elle ne conduit pas d’ailleurs. Elle n’arrive pas à se guérir de cette hantise depuis l’accident qui lui a enlevé ses parents, et un oncle... perdu de la même façon
Je suis au courant, et, si elle le pouvait, elle jetterait les clés de contact. Venez, il est temps pour nous aussi de prendre un peu de repos
Cinq jours ! A peine le temps de réaliser ce qui leur arrive... Les derniers préparatifs les ont suffisamment occupés pour escamoter leur peine. Encore quelques recommandations et les voilà tous, à agiter les bras
A se regarder s’éloigner
Et pour ceux qui restent, chacun sait ce qu’il porte en lui
Xavier, la perte d’une présence sûre auprès de Francie, et aussi un ami sincère
Pour elle, une partie de sa vie qui s’en va, la quitte
Mais pour Sylvie... Pas de mots pour décrire le vide, le froid qui s’installent en elle. C’était inévitable. Elle le savait
Et dans quelques jours, encore une séparation... une autre déchirure... Francie va prendre son envol, poursuivre ailleurs le succès
Elle va rester seule, avec ses souvenirs pour seuls compagnons. Et avec Xavier, ils seront deux à parler des absents
Seule ? Non pas elle ! Elle va bien trouver un moyen ! Elle en a toujours trouvé
Un moyen ? Oui... elle sait ce qu’elle va faire
Il y en a un des deux qui a vraiment besoin d’elle, et ne se doute pas de ce qu’elle lui réserve
Et maintenant à Victor de se tenir sur ses gardes ! Après tout, sans bataille, il ne peut y avoir de victoire, et à assumer une défaite, autant que ce soit sans regrets inutiles
- Francie, dès que possible, je pars le rejoindre
- Toi ? Mais, comment
- Je ne sais pas encore, mais ne t’inquiète pas, je trouverai
- Toute seule ? Tu ne sais pas ce que tu dis... et il ne l’acceptera jamais
- Qui te dit que je vais lui en demander la permission ! Après tout, le monde est ouvert à tous, et je suis libre d’aller où bon me semble
- L’endroit est dangereux... il y a tant de dureté, de misère. Tu n’es pas prête pour cela
- Je n’en sais rien et toi non plus, d’ailleurs, nul ne sait de quoi il est capable avant de se frotter à des situations difficiles
- Xavier, dis quelque chose, aide-moi à la raisonner ! Elle en est capable, tu sais
- Je le crois aisément, je la connais bien maintenant, et je suis d’accord avec toi, il n’est pas question de la laisser foncer ainsi, tête baissée, droit dans l’inconnu, mais
- Tu vois, Sylvie ! Il
- Attends… parce que… je la comprends également... parce que j’en ferais autant pour te retrouver, toi... alors, si elle tient vraiment à partir, je pourrais, peut-être, l’y aider
- Xavier, non
- Oui, chérie, et nous devons la laisser faire. Je connais quelqu’un qui peut lui permettre d’aller où son cœur l’appelle en toute sécurité, dans un environnement plus calme... à l’arrière-garde en quelque sorte
- Ce serait merveilleux ! Tu n’écoutes pas cet esprit alarmiste et tu m’expliques tout
- Ils sont fous ! Complètement fous ! Et moi, dans tout ça
- Tu peux m’aider à faire mes valises, j’en emporte toujours trop et tu sais si bien définir l’essentiel. Ne sois pas triste, moi je suis heureuse. Si tu savais ! Et la tête qu’il va faire en me voyant ! J’en ris rien qu’à l’imaginer
- Ne compte pas trop là-dessus, il va être furieux contre toi, et encore plus après nous qui t’aurons laissé faire. Nous n’en sommes pas sortis ! Il est capable de te ramener... même de force
- Ne pas y compter ? Attends, je saurai bien en faire mon affaire, et puis, je verrai sur place ! Xavier, tu veux bien m’en dire plus ? Tu sais, sous mes allures d’écervelée, je suis très bonne en organisation, en gestion des stocks, et plein, plein d’autres choses. D’ailleurs, tout ce qui se rapporte à la documentation et à la paperasserie n’a aucun secret pour moi. Tu crois vraiment que je peux être utile
- Doucement, nous avons le temps. Dès notre retour je contacte mon ami Patrick. Il s’efforce de recruter des bénévoles, il doit partir dans quelques semaines, au même endroit que Victor. J’ai la bizarre impression qu’il va avoir subitement besoin d’une secrétaire. Et c’est si difficile à trouver par les temps qui courent ! Il va s’épuiser à sa recherche, si on le laisse faire, qu’en penses-tu
Pauvre garçon ! Une pitié. J’en suis émue au point de ne pouvoir me retenir de lui proposer mes services. Xavier
Oui
Je crois que je t’adore. Alors ? Ce numéro de téléphone, dis vite, c’est quoi
Hé, je suis là ! A vous écouter, tout devient possible. J’en ai presque envie de partir moi-même.
Chérie, tu vas le faire aussi. Laisse-la se battre pour lui
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