Chapitre : 9
Meredith déverrouilla la porte d’entrée et s’effaça pour laisser passer Holly.
— Va vite te mettre au lit. Ton papa sera là d’ici à quelques minutes.
— Je devrais peut-être monter du lait aux chatons.
— Je m’en occupe.
Tout en se dirigeant vers la cuisine, Meredith repensa à la soirée et se félicita d’y avoir participé. Tout le monde s’était montré charmant avec elle. Nancy lui avait proposé de l’emmener faire des courses à Manchester, puis Clarice Barlow lui avait présenté plusieurs de ses amies. Meredith s’était sentie acceptée, comme si elle avait toujours fait partie de la petite communauté de Harmony Hollow.
Elle s’apprêtait à ouvrir la porte du réfrigérateur quand elle vit clignoter le voyant du répondeur. Elle pressa sur le bouton et la voix de Becca s’éleva :
— Meredith ? Cooper ? Luke et moi aimerions vous inviter à la maison samedi prochain. Nous avons toute la place nécessaire pour vous coucher, et Holly adorera ma nouvelle jument. Réfléchissez-y et rappelez-nous.
Meredith mourait d’envie de revoir Luke, Becca et leur fils, Todd. Il y avait si longtemps ! Mais comment être certaine qu’aucun d’eux n’évoquerait son milieu social devant Cooper ? Si jamais il découvrait la vérité, il se croirait trahi et il ne lui laisserait aucune chance de se justifier.
Elle hésitait à rappeler Becca quand la porte d’entrée claqua. Cooper s’avança dans le hall, un énorme paquet dans les mains.
— Holly est dans sa chambre ? demanda-t il.
Comme Meredith acquiesçait, il s’avança vers l’escalier.
— Poussin, tu peux descendre ? Ta maman t’a envoyé un cadeau.
Holly dégringola les marches tandis que Cooper transportait le colis dans le salon. Il découpa l’adhésif fermant le carton, mais laissa Holly soulever elle-même les rabats.
— Papa, regarde ! C’est une selle !
— Je vois.
Il serra les lèvres, comme pour s’interdire tout commentaire, et la dégagea de l’emballage. C’était une pure merveille. Le décor réalisé à la main, d’une rare beauté, et la qualité exceptionnelle du cuir, en faisaient une véritable œuvre d’art.
— Comme elle est belle ! Je peux appeler maman pour la remercier ?
Holly caressait amoureusement sa selle, un sourire radieux aux lèvres.
— Sers-toi du téléphone de ma chambre, ce sera plus pratique.
Cooper attendit que sa fille ait disparu à l’étage, puis plongea son regard dans celui de Meredith.
— Et voilà tout ce que Tina a trouvé pour apaiser sa conscience : un objet bien trop luxueux pour une gamine et qui ne sera plus à sa taille dans moins d’un an.
— Holly a l’air ravie, en tout cas.
— Pour le moment, oui. Mais l’argent de Tina ne remplacera jamais ce que Holly n’a pas eu par sa faute : une maman pour la câliner, la coiffer, la border dans son lit…
Il passa la main dans ses cheveux.
— Je me sens tellement maladroit, parfois. Meredith posa impulsivement la main sur son bras.
— Vous êtes parfait avec Holly.
Les traits tendus de Cooper s’adoucirent.
— Vous aussi. Elle est beaucoup plus épanouie depuis votre arrivée.
Meredith crut qu’il allait l’embrasser et attendit, le cœur battant. Mais il se *******a de lui prendre la main.
— Vous vous entendez bien, Daniel et vous, apparemment.
— Je l’apprécie beaucoup.
Il fronça les sourcils.
— Vraiment ?
— Cooper, que voulez-vous savoir exactement ? demanda-t elle d’une voix douce.
Il lâcha sa main d’un air embarrassé.
— Rien.
— Je suis convaincue du contraire. A mon avis, vous voudriez savoir si je suis attirée par Daniel.
Un nerf tressauta à la base de sa mâchoire.
— Vous l’êtes ?
— Daniel est un très bel homme, mais…
— Mais ?
Cooper la dévisagea avec intensité.
— Vous seul avez le pouvoir de faire battre mon cœur plus vite, admit-elle, consciente de prendre un risque énorme.
— Et Daniel… non ?
— Daniel non.
Cooper la prit dans ses bras et inclina lentement son visage vers le sien. Quand ses lèvres se posèrent sur les siennes, le rythme cardiaque de Meredith s’affola, son souffle se suspendit, ses jambes s’affaiblirent, et elle comprit qu’elle était tombée amoureuse de lui.
Tout en répondant avec fièvre à son baiser, elle résolut de demander à Luke et Becca de garder le secret sur sa situation financière, jusqu’à ce que Cooper admette enfin qu’il ressentait pour elle autre chose que du désir.
Cooper répondit favorablement à l’invitation de Luke et de Becca, et le samedi suivant, ils partirent tous les trois pour le Connecticut.
Meredith ne cessa d’inventer des jeux pour distraire Holly pendant le trajet, mais en réalité c’était surtout elle qui avait besoin d’une diversion. Luke et Becca avaient accepté de garder le silence à son sujet, mais à contrecœur. La colère de Cooper en découvrant la selle envoyée par Tina n’avait fait que la conforter dans sa décision de lui cacher sa condition sociale. Elle n’osait même pas imaginer sa réaction s’il apprenait qu’elle n’avait pas besoin de travailler pour vivre !
Lorsque Cooper s’engagea sur la petite route bordée de peupliers qui conduisait à la propriété de Luke et Becca, la nervosité de Meredith s’accrut. Pourvu que tout se passe bien ! Elle aurait peut-être dû inventer un prétexte pour ne pas venir. Si par malheur l’un d’eux se coupait…
« Calme-toi. Tu ne restes qu’une nuit », essaya-t elle de se rassurer.
La voiture franchit un portail puis remonta une allée serpentant au milieu d’une vaste pelouse vallonnée, plantée de buissons fleuris. Le cadre délicieux rappela à Meredith pourquoi elle aimait tant venir ici, en dehors du plaisir qu’elle avait de retrouver Luke, Becca et leur petit Todd.
Cooper se gara devant l’annexe qui servait de garage. Presque instantanément, Todd jaillit de la maison. Il avait douze ans maintenant, et il semblait avoir beaucoup grandi depuis la dernière visite de Meredith. Luke et Becca le suivaient d’un pas plus mesuré. Meredith sortit de la voiture et les serra tous les trois dans ses bras, bientôt rejointe par Cooper. Ils savouraient le plaisir de leurs retrouvailles, quand Todd s’approcha de Holly.
— Tu m’accompagnes à l’écurie ?
La petite fille leva vers son père un regard suppliant.
— Je peux, papa ?
Luke perçut l’hésitation de Cooper et lui tapota l’épaule.
— Ne t’inquiète pas, Todd sait que Holly est encore convalescente. Ils se *******eront de donner des carottes aux chevaux.
Cooper consulta Becca du regard. Elle acquiesça d’un petit signe du menton.
— D’accord, poussin. Va voir les chevaux pendant que nous sortons les bagages.
— Nous passons à table dans une demi-heure, précisa Becca.
Todd leva la main pour indiquer qu’il avait compris, puis s’éloigna avec Holly.
— Je vous montre vos chambres, déclara Becca comme Cooper sortait les valises du coffre.
— Je prends celle de Meredith, intervint Luke.
Il attendit que Cooper et Becca aient disparu à l’intérieur de la maison, puis se tourna vers Meredith.
— Tu te rends compte du risque que tu prends ?
Il n’eut pas besoin de préciser sa pensée.
— Pas plus que toi, à une certaine époque.
— Justement, c’est bien ce qui m’inquiète, grommela-t il.
Luke s’était présenté à Becca sous une fausse identité. Bien qu’à la tête d’une grosse entreprise de construction, il avait pris l’habitude de venir superviser lui-même les travaux une fois par an. Becca venait d’acheter un petit restaurant en Pennsylvanie lorsqu’elle l’avait rencontré sur un chantier voisin. Leur coup de foudre avait été réciproque et immédiat mais, au lieu de lui avouer la vérité, Luke s’était fait passer pendant des semaines pour un simple ouvrier… jusqu’à ce qu’elle découvre le pot aux roses.
— Tu te rappelles combien Becca m’en a voulu de lui avoir menti ? J’ai failli la perdre, précisa Luke en lui lançant un regard appuyé.
— Ma situation est différente. Tu avais une entreprise à gérer, et tu savais que, tôt ou tard, tu devrais reprendre ton ancienne vie. Pas moi. Rien ne me relie à mon passé. Je suis libre de consacrer le reste de mon existence au bonheur de Cooper et de Holly.
— En ce cas pourquoi refuses-tu d’en parler à Cooper ?
— Il ne supporte pas le style de vie de Tina. S’il apprend que j’ai vécu au milieu des voitures de luxe et des vêtements de haute couture, il s’imaginera que je suis comme elle, et il me rejettera. Je veux conquérir son amour et le convaincre de me garder près de lui, à Harmony Hollow.
Cette dernière semaine avait été merveilleuse. Elle avait vraiment eu l’impression d’avoir trouvé une famille. Cooper ne l’avait pas embrassée depuis la soirée spaghettis, mais il ne l’avait pas non plus tenue à distance, et semblait de plus en plus la considérer comme un élément essentiel de sa vie.
— Tu l’aimes ? demanda Luke d’une voix douce.
— Tu dois te dire que c’est arrivé très vite, mais…
— Pas quand je pense à ma rencontre avec Becca. Meredith leva vers lui un regard suppliant.
— Tu me promets de garder le silence ?
Il souleva sa valise.
— Je serai muet comme une tombe. Mais n’attends pas trop pour avouer la vérité à Cooper. Sinon, cette histoire finira par t’exploser à la figure.
Elle lui sourit avec gratitude.
— Promis. J’ai simplement besoin d’un peu de temps. Et Cooper aussi.
Luke lui entoura les épaules de son bras et la guida vers l’entrée.
— Becca et moi veillerons à vous ménager des tête-à-tête.
Tout en le suivant, Meredith songea que Becca avait vraiment épousé un homme remarquable.
Après le déjeuner, Becca conseilla à Cooper et à Meredith d’aller se promener à cheval, pendant que Luke et elle joueraient au croquet avec Holly et Todd.
Cooper vit la déception se peindre sur le visage de sa fille.
— Quand nous rentrerons, je t’emmènerai faire un tour. D’accord ?
Holly lui sourit.
— D’accord !
— Pas d’objection ? demanda Cooper en se tournant vers Meredith.
La jeune femme repoussa sa chaise en souriant.
— Aucune. Je vais enfiler mes bottes.
Quelques instants plus tard, ils s’éloignaient au petit trot. Pendant leurs promenades avec Holly, Cooper avait eu l’occasion de constater que Meredith était une cavalière accomplie mais, tout en la regardant galoper à travers champs, il ne put s’empêcher de se demander où elle avait acquis cette aisance. Cette pensée se dispersa dans la brise de juillet tandis qu’ils chevauchaient côte à côte, ivres de liberté et du plaisir d’être ensemble. C’était une étrange sensation pour lui de savourer de nouveau la compagnie d’une femme.
Ils ralentirent progressivement l’allure et reprirent le chemin des écuries. Cooper sauta à terre pour ouvrir la barrière de l’enclos, et attendit que Meredith entre à son tour dans le paddock. Il saisit les rênes pour lui permettre de descendre, et retint son souffle tandis qu’elle se laissait glisser lentement contre lui. Ses cheveux emmêlés par la course balayaient ses joues et ses yeux verts étincelaient de joie. Ils l’attiraient comme un aimant. Il inclina la tête pour répondre à leur appel silencieux et posa doucement ses lèvres sur les siennes. Quand elle glissa les bras dans son dos, il prit son visage entre ses mains et écrasa sa bouche sous la sienne, avec une passion décuplée par l’attente.
Jamais une femme ne l’avait bouleversé à ce point. Pour la première fois de sa vie, il avait l’impression de ne plus être seul, d’avoir trouvé une compagne, une amie, une confidente. Elle comblait un vide que même son mariage avec Tina n’avait pas réussi à faire disparaître. Il se sentait…
— Papa, je suis prête ! Todd a dit que je pouvais…
La voix de Holly se cassa net à la vue du couple enlacé. Cooper tourna la tête et lâcha précipitamment Meredith. Les yeux bruns de sa fille étaient écarquillés, sa bouche ouverte de stupeur.
— Holly…
— Avant, c’était maman que tu embrassais comme ça !
Cooper songea en lui-même qu’il n’avait jamais embrassé Tina comme ça, mais au même instant Holly partit en courant dans l’écurie et il s’élança derrière elle.
Meredith le retint par le bras.
— Qu’allez-vous lui dire ?
— Je n’en ai pas la moindre idée.
Lorsqu’il rejoignit sa fille, elle caressait le nez de la jument de Becca, le visage crispé. Il posa la main sur son épaule.
— Holly…
Elle continua à caresser l’animal sans tourner les yeux vers lui.
— Est-ce que tu embrasses encore maman ? demanda-t elle d’une voix hésitante.
— Non. Pas depuis notre divorce.
— Pourquoi tu as embrassé Meredith ?
Cooper chercha une explication plausible pour une petite fille de huit ans.
— Parce qu’elle est une amie.
Holly pivota vers lui.
— Mme Macavee aussi est une amie, mais tu ne l’embrasses pas comme ça !
Il oubliait parfois combien sa fille était éveillée.
— Meredith est une amie spéciale, voilà.
— Comme maman, quand vous vous êtes mariés ? Cooper s’éclaircit la gorge.
— En quelque sorte, oui.
— Maman et toi, vous n’allez plus jamais revivre ensemble, déclara-t elle lentement, comme si elle commençait seulement à le comprendre.
— Non, chérie. Plus jamais.
Il entendit un bruit de pas derrière lui et tourna la tête. Meredith s’avançait vers eux, le visage soucieux.
— Holly, tout va bien ?
La fillette hocha pensivement la tête, comme si elle tentait d’analyser la scène à laquelle elle avait assisté. Meredith s’agenouilla près d’elle.
— Cela te fait de la peine de voir ton papa m’embrasser ?
Cooper frémit intérieurement de l’entendre aborder le problème d’une façon aussi directe, mais ne l’en admira que davantage. Il aurait dû avoir le courage de lui poser cette question.
Holly hésita.
— Je… je ne sais pas trop. Papa m’a expliqué que vous étiez des amis. Des amis spéciaux. Pas comme Mme Macavee et lui.
Meredith leva brièvement les yeux vers Cooper, puis les ramena sur la petite fille.
— Je suis avant tout ton amie à toi, Holly. Tu me crois, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Tu veux bien que ton papa et moi soyons des amis spéciaux ?
Le regard de la fillette se tourna vers son père, puis revint se poser sur Meredith.
— Je suppose que vous avez le droit d’embrasser papa, puisqu’il n’embrasse plus maman.
Cooper vit les joues de Meredith s’empourprer. Afin d’abréger leur embarras, il demanda :
— Tu es toujours d’accord pour monter à cheval ? Holly hocha la tête.
— Todd me prête sa selle.
— Je vais voir si Becca a besoin d’aide pour le dîner, déclara Meredith. Bonne promenade.
Holly lui adressa un sourire timide.
— Merci.
Après le départ de Meredith, Cooper prit sa fille par la main et l’emmena dans la sellerie. Il était déterminé à lui prouver qu’il tenait à elle plus que tout au monde, et que sa relation avec Meredith n’y changerait rien.
Des lueurs rouges, blanches et bleues illuminèrent le ciel. Assise dans le grenier à foin entre Cooper et Holly, Meredith contemplait le feu d’artifice, mais son esprit était ailleurs. Elle n’avait pas eu un seul moment d’intimité avec Cooper depuis que Holly les avait surpris dans les bras l’un de l’autre. En voyant la petite fille s’enfuir, Meredith avait tout d’abord eu peur qu’elle ne tolère pas la présence d’une autre femme dans la vie de son père. Mais leur conversation et son attitude pendant le reste de la journée avaient apaisé ses craintes. Apparemment, elle ne la considérait pas comme une ennemie. Restait sa stupeur face à l’explication fournie par Cooper. Plus elle y repensait, et plus Meredith se demandait si elle ne s’était pas fait des illusions en voyant en lui autre chose qu’un ami. Peut-être s’était-elle trompée depuis le premier jour.
Peut-être Cooper était-il capable d’éprouver du désir sans ressentir d’émotion, finalement.
Une gerbe d’étoiles blanches inonda le ciel avant de retomber en corolle. Holly tira Meredith par le bras.
— Vous viendrez vous coucher quand je monterai ?
Becca les avait installées dans la même chambre, mais Holly avait un peu peur de passer la nuit dans un lieu inconnu.
Meredith lui sourit avec tendresse.
— D’accord. J’essaierai de remplacer Muffin et Daisy.
Holly avait choisi elle-même le nom de ses chatons. Devant son insistance, ils avaient dû téléphoner à Alma pour s’assurer qu’elle n’avait pas oublié de leur donner à manger.
Une pluie de fusées multicolores composa un bouquet étincelant. Meredith sentait le regard de Cooper peser sur elle, mais elle continua à contempler le ciel comme si de rien n’était.
Lorsque l’obscurité retomba dans un ultime crépitement, Luke alluma sa lampe de poche et descendit l’échelle le premier afin d’aider Becca, puis Todd et Holly. Meredith et Cooper passèrent en dernier.
— Meredith, attendez, murmura-t il comme le petit groupe s’éloignait en direction de la maison.
Elle leva vers lui un regard impénétrable.
— Vous avez été bien silencieuse, ce soir.
— Je réfléchissais.
— A Holly ?
— Et à nous.
Il se tut quelques secondes, puis avoua :
— D’accord, je m’y suis plutôt mal pris, mais comment expliquer à une enfant ce que je ne m’explique pas moi-même ?
Il l’attira à lui d’un mouvement très doux.
— Je sais bien que nous sommes plus que des amis. Mais je ne suis pas encore capable de mettre un nom sur ce qui me lie à vous.
Cooper semblait enfin prêt à explorer ses sentiments, au lieu de les nier. Tout espoir n’était peut-être pas perdu.
Il lui souleva le menton.
— Holly m’a autorisé à vous embrasser. Puisque nous sommes seuls, nous devrions peut-être en profiter.
— Je n’y vois aucune objection, murmura-t elle en souriant.
Quand il inclina son visage vers le sien pour l’embrasser, un feu d’artifice explosa dans son cœur.
Cooper rangea en souriant les valises dans le coffre de la voiture. Il ne s’était pas senti aussi heureux et détendu depuis une éternité. Leur bref séjour chez Luke et Becca leur avait été bénéfique, à Holly comme à lui. Hier soir, dans la grange, il avait embrassé Meredith jusqu’à ce que son corps tout entier s’embrase de désir et que sa raison explose comme un feu de Bengale.
Quand elle avait mis un terme à leur étreinte, il s’était plié à sa volonté. La frustration le rongeait, mais l’espoir de voir son attente toucher bientôt à sa fin lui avait donné la force de passer un bras autour de sa taille et de la raccompagner jusqu’à la maison. Quand ils seraient chez eux, à Harmony Hollow, peut-être…
Il sourit.
Après avoir avalé un copieux petit déjeuner, Holly était allée dire au revoir aux chevaux. Maintenant, elle disputait une dernière partie de croquet avec Todd.
Becca et Meredith bavardaient dans la cuisine. Cooper s’apprêtait à les rejoindre quand une question de Becca lui fit dresser l’oreille.
— Tu as prévu quelque chose de spécial, jeudi, pour ton anniversaire ?
— Non. En fait, j’ai rendez-vous avec une cliente de Cooper, en fin d’après-midi. Elle veut changer complètement le décor de sa salle à manger.
— Dis donc, tu as l’air d’aimer ça.
— Mais oui. C’est très amusant. J’ai un autre rendez-vous vendredi.
— Et en plus, tu es payée, souligna Becca d’une voix amusée.
— Je sais. J’ai un peu honte d’accepter cet argent, mais si je refusais cela paraîtrait bizarre. Le salaire que je reçois chaque semaine pour m’occuper de Holly me suffit amplement.
Pourquoi Meredith avait-elle honte de recevoir cet argent ? se demanda Cooper. Parce qu’elle avait l’impression de ne pas le mériter ? En ce cas, elle ne se rendait pas compte de son talent. Non seulement elle était d’excellent conseil, mais elle savait s’y prendre avec les clients.
Afin de ne pas se montrer indiscret, Cooper avança en faisant résonner lourdement ses pas. Meredith rougit en le voyant entrer dans la cuisine.
— Prête ? demanda-t il en souriant.
Elle descendit du tabouret et glissa sans hésiter sa main dans la sienne.
— Pour vous, toujours.
Ils n’étaient plus qu’à une dizaine de kilomètres de Harmony Hollow quand Meredith se retourna pour réveiller Holly, qui s’était endormie peu après leur départ.
— Chérie, nous sommes presque arrivés, murmura-t elle d’une voix douce.
La fillette ouvrit les yeux et esquissa un sourire assoupi.
— Le séjour vous a plu ? demanda Cooper en lançant un bref regard à Meredith.
— C’était merveilleux.
Elle avait été prise de court quand Cooper était entré dans la cuisine alors qu’elle discutait avec Becca. Apparemment, il n’avait pas entendu leur conversation, mais Luke avait raison : la situation était explosive. Il était grand temps de lui avouer la vérité.
Cooper s’engagea dans le chemin conduisant à la maison et, pour la première fois depuis des années, Meredith eut l’impression de rentrer chez elle. La notion de foyer avait disparu de sa vie le jour où sa mère était morte. Le remariage de son père n’y avait rien changé : sa belle-mère était trop occupée à tenir son rang social pour se soucier de créer une atmosphère chaleureuse autour d’elle. La maison où elle avait vécu avec Brian était surtout une vitrine destinée à impressionner leurs relations. Quant à son petit studio meublé, il était élégant et confortable, certes, mais…
Un vrai foyer ne pouvait exister sans amour et sans tendresse.
Comme Cooper remontait l’allée désormais familière, Holly se redressa sur son siège.
— Regardez ! Il y a une voiture garée devant la maison.
Il y avait effectivement une luxueuse décapotable bleu métallisé le long du perron. Cooper fronça les sourcils.
— Qui cela peut-il être ? Je n’attends aucune visite.
Il se rangea à côté du véhicule. Il était vide, mais la porte d’entrée de la maison était ouverte.
— En dehors d’Alma, une seule personne possède la clé, articula-t il d’une voix tendue.
— Maman ? C’est maman ? demanda joyeusement Holly.
— On va le savoir tout de suite. Il ôta sa ceinture de sécurité d’un geste brusque et descendit.
Ils entendirent la musique avant même d’atteindre la maison. Meredith reconnut l’air : il s’agissait d’une comédie musicale en vogue à Broadway.
Cooper franchit le seuil le premier, suivi de près par Holly. Meredith eut à peine le temps de réaliser que la musique s’échappait d’un lecteur de CD portable posé sur la table basse du salon, qu’Holly s’était déjà précipitée dans les bras de la jeune femme assise devant la cheminée.
— Maman !
Meredith avait vu une photo de Tina dans la chambre de Holly. C’était une jolie brune aux cheveux courts, coiffés à la dernière mode. Son maquillage discret lui conférait un chic typiquement new-yorkais.
Quand Cooper éteignit le lecteur de CD, Tina embrassa tendrement sa fille puis se leva. Elle semblait autant sur la défensive que son ex-mari.
— Je suis arrivée hier soir, dans la nuit. Je voulais faire une surprise à Holly. Jamais je n’aurais imaginé que vous seriez absents.
— La surprise est réussie, commenta Cooper entre ses dents.
Il désigna du menton les sacs entassés sur le canapé.
— Qu’est-ce que c’est ?
— J’ai apporté quelques bricoles à Holly. Ainsi que le lecteur de CD. Il est temps qu’elle se familiarise avec les spectacles à la mode.
Cooper examina les pochettes éparpillées sur la table, puis les reposa.
— Elle n’a que huit ans.
— Il n’est jamais trop tôt pour s’accoutumer à la bonne musique. Demande à son professeur.
Tina se tourna vers Meredith avec un sourire hésitant.
— J’étais impatiente de vous rencontrer.
Meredith eut conscience de l’embarras de Cooper tandis qu’elles échangeaient une poignée de main.
— Holly me parle très souvent de vous, déclara-t elle avec sincérité.
— Tu as l’intention de t’installer ici, je suppose ? demanda Cooper d’un ton neutre.
— Si tu n’y vois pas d’inconvénient, oui. Je ne reste que trois jours. On m’attend jeudi à Los Angeles.
Holly se précipita vers son père.
— Tu veux bien qu’elle habite avec nous, hein, papa ?
Il y eut un silence gênant, et Meredith se sentit obligée de désamorcer une situation embarrassante pour tout le monde.
— Je peux très bien m’installer dans un motel jusqu’à ce que…
— C’est hors de question ! trancha Cooper d’une voix sèche. Je dormirai sur le canapé. Tina, tu n’auras qu’à prendre ma chambre. Pas d’objection ?
La jeune femme haussa les épaules.
— Aucune. Tout ce que je veux, c’est passer le plus de temps possible avec ma fille.
Cooper enfonça les mains dans les poches de son jean.
— Parfait. Tant que tu ne prends pas l’initiative de l’emmener en voiture.
Une expression douloureuse passa sur les traits de Tina. Mais elle se ressaisit aussitôt.
— Tu nous serviras de chauffeur si nous voulons aller nous promener. Holly, tu montes avec moi dans ta chambre ? Je suis sûre que tu as hâte d’essayer les vêtements que je t’ai achetés.
— Génial !
Holly prit les chatons dans ses bras et gravit l’escalier, tandis que Tina rassemblait tant bien que mal tous les sacs.
Cooper la regarda s’éloigner, puis se tourna vers Meredith sans chercher à masquer son exaspération.
— Formidable, une réunion de famille. Exactement ce dont je rêvais.
Il passa la main dans ses cheveux.
— Je sors les valises du coffre, et je file au magasin. A ce soir.
— Je suis censée préparer le dîner ? demanda poliment Meredith avant qu’il ait fait deux pas.
Il rougit légèrement.
— Je suis navré de tout ceci. Ecoutez, si vous préférez vous installer dans un motel, je…
— Souhaitez-vous que je reste ?
Il esquissa une grimace, comme si cette discussion lui déplaisait tout autant que la présence de son ex-femme sous son toit.
— Je suis probablement égoïste, mais… oui. Je ne supporte pas l’idée de voir Tina se pavaner ici et jouer les maîtresses de maison comme si elle était encore chez elle. La situation a changé. Je veux que Holly le comprenne.
— Et quel est mon rôle exact dans cette histoire ? Le visage de Cooper se ferma.
— Vous êtes le professeur de Holly et vous êtes ma… ma gouvernante. Votre place est ici, au moins autant que Tina.
Il pivota sur ses talons et sortit.
Sa gouvernante ?
Meredith se mordit la lèvre et se dirigea vers la cuisine afin d’inspecter le contenu du congélateur.
A supposer que Cooper ait deux sous de jugeote, il poserait les valises dans l’entrée et s’éclipserait aussitôt. Parce que, s’il avait le malheur de se montrer, elle ne pourrait probablement pas résister à l’envie de l’assommer avec un plat surgelé.
La maison craqua dans l’obscurité. Cooper creusa son oreiller d’un coup de poing et s’allongea de nouveau, les yeux grands ouverts. Le clair de lune illuminait le plafond. Une brise légère entrait par la fenêtre et caressait le pied du canapé.
Avant l’arrivée de Meredith, il n’avait jamais de problèmes d’insomnie.
Avec un grognement de frustration, il s’assit, alluma la lampe posée sur une table basse et dirigea son regard vers la pendule posée sur la cheminée. 3 heures du matin. Il contempla l’escalier.
Son ex-femme, sa fille et sa…
Il jura tout bas. Sa gouvernante. A la seconde où ce mot s’était échappé de ses lèvres, il avait su qu’il venait de commettre une erreur majeure. Meredith s’était montrée glaciale avec lui toute la soirée. Holly, en revanche, était folle de joie d’avoir sa mère auprès d’elle. Quant à Tina, elle semblait déterminée à gagner l’amitié de Meredith.
La situation n’avait jamais été plus embrouillée. Il était furieux contre Tina, il était furieux contre lui, et Meredith lui faisait la tête.
Cooper se tourna sur le côté, les sourcils froncés, et se remémora son doux profil pendant le feu d’artifice, le goût de ses lèvres quand ils s’étaient embrassés dans la grange… Elle l’enchantait, le torturait, le hantait.
Sa gouvernante.
Non, décidément, sa situation actuelle n’avait rien d’enviable. Il avait intérêt à remettre de l’ordre dans sa vie, et vite, sinon c’était lui qui serait obligé de s’installer dans un motel !