Chapitre : 3
Lorsque Cooper eut fini de s’occuper des chevaux, le lendemain matin, le sort de Meredith Preston était scellé.
Puisqu’elle semblait prendre à cœur les intérêts de Holly, il la garderait à l’essai pendant une semaine, le temps de voir si elle s’entendait bien avec l’enfant, et si elle venait à bout de ces maudites tâches ménagères qui lui faisaient perdre un temps fou.
Pour le reste…
Il lui suffirait de penser à son mariage avec Tina et à leur divorce pour retomber sur terre. Il avait passé l’âge des toquades, décida-t il en décrochant le téléphone de sa chambre pour informer sa voisine, Mme Macavee, que Holly avait une gouvernante. Du moins pour le moment.
L’odeur du café fraîchement moulu l’accueillit sur le palier. Il descendit l’escalier, un sourire satisfait aux lèvres. Pour une fois, il n’aurait pas à se soucier de ce qu’il y aurait dans leurs assiettes.
Meredith était assise derrière la table, le visage incliné sur un livre. Elle leva les yeux en le voyant entrer et sourit.
Ce sourire faillit balayer ses bonnes résolutions. Au lieu de s’astreindre à garder ses distances, il n’eut plus qu’une envie : faire plus ample connaissance. Tout en se répétant qu’il avait besoin d’une gouvernante et de rien d’autre, Cooper la salua d’un petit signe du menton et se dirigea vers la cafetière.
— Vous ne voulez pas manger quelque chose ? Je peux vous préparer des toasts, des œufs brouillés, ou…
— Non, merci.
Il se servit rapidement une tasse de café, puis lui montra une feuille de papier fixée sur la porte du réfrigérateur.
— J’y ai inscrit tous les numéros importants, à commencer par celui du magasin et du pédiatre de Holly.
Meredith se leva, prit la liste et l’examina.
— C’est un sept ou un quatre ? demanda-t elle en s’approchant de Cooper.
L’odeur de son shampooing effleura ses narines. Sa gorge se contracta.
— Un quatre.
Il se força à avaler une gorgée de café, et reposa la tasse sur le comptoir.
— Je suis en retard.
Il pivota sur ses talons avant qu’elle ait l’occasion de lui sourire de nouveau, et marcha vers la porte.
— Monsieur Murphy ?
Il se retourna avec un soupir.
— Cooper.
— A quelle heure souhaitez-vous dîner ?
— Sauf imprévu, je serai à la maison vers 18 heures. Veillez à ce que Holly se repose cet après-midi. A ce soir.
Il eut vaguement l’impression qu’elle lui souhaitait une bonne journée, mais ne s’attarda pas pour s’en assurer.
Meredith consacra la matinée à consulter les cahiers de Holly, afin de déterminer ses points faibles et les matières dans lesquelles la petite avait pris du retard. Elle avait l’intention de rencontrer son institutrice, mais souhaitait d’abord en discuter avec Cooper. A supposer qu’il soit capable de rester dans la même pièce qu’elle plus de trente secondes. Il régnait entre eux une tension aussi troublante qu’exaspérante. Elle était venue ici parce que le poste répondait à son attente, pas pour autre chose. Mais quand Cooper la regardait…
Depuis son divorce, elle avait oublié le plaisir d’être désirée. Le mariage lui était apparu comme une aventure merveilleuse. Elle avait adoré vivre en couple, jusqu’à ce que Brian décide de la remplacer par une partenaire plus conforme à ses souhaits. L’infidélité de son mari, ajoutée à son angoisse de ne jamais pouvoir donner naissance à un enfant, avaient créé en elle un sentiment d’insécurité dont elle ne parvenait pas à se relever.
La peur de souffrir de nouveau l’avait dissuadée de nouer une relation avec un homme, même si l’union de Becca et de Luke lui avait prouvé que tous les mariages n’étaient pas forcément voués à l’échec. Mais la trahison de Brian était encore cuisante dans son esprit, et elle n’était pas certaine d’avoir un jour le courage de refaire confiance à un homme.
Holly lui montra le premier chapitre de son livre de sciences naturelles.
— J’en étais là quand je suis partie à New York voir maman. On mange bientôt ? Je meurs de faim !
Il y avait du jambon et du fromage au réfrigérateur. Meredith pouvait aisément préparer des sandwichs et râper des carottes. Le dîner serait une autre affaire. Elle avait choisi, pour ses débuts, une recette des plus simples, mais encore fallait-il se procurer les ingrédients.
— Nous pouvons déjeuner maintenant, si tu veux. Mais ensuite, il faudra que j’aille faire quelques courses.
— Chouette ! Je vous montrerai… Holly s’interrompit brusquement et secoua la tête.
— Oh, c’est impossible.
— Pourquoi, chérie ?
— Papa ne veut pas que je monte dans une autre voiture que la sienne. S’il l’apprend, il sera très en colère.
— En ce cas, nous allons l’appeler et lui demander la permission.
Meredith saisit la feuille épinglée sur la porte du réfrigérateur, et composa le numéro du magasin. Une femme la mit en attente quelques instants, puis Cooper fut en ligne.
— Il y a un problème ?
— Non, non, tout va bien. Simplement, j’aimerais me rendre en ville cet après-midi pour effectuer quelques achats, et Holly a l’air de penser que vous ne serez pas d’accord pour qu’elle m’accompagne. Si vous ne me faites pas confiance, autant que je rentre chez moi.
Ses paroles se heurtèrent à un long silence, au point que Meredith se demanda si elle n’avait pas abordé le problème trop brutalement. Mais Cooper semblait homme à aimer la franchise.
— Passez-moi Holly.
Meredith tendit le combiné à la petite fille.
— Ton papa veut te parler.
Manifestement, Cooper lui demanda si elle avait envie de l’accompagner.
— Oh oui. Comme ça je pourrai lui montrer mes plats préférés, et les tiens aussi. J’attacherai ma ceinture de sécurité, oui. Promis.
Holly leva les yeux vers Meredith et sourit.
— D’accord. Et je me reposerai en rentrant.
Elle rendit le combiné à Meredith.
— Elle a effectivement très envie d’y aller, murmura Cooper. Ce n’est qu’à quelques kilomètres, mais…
— Je serai prudente, Cooper. Vous avez ma parole. Il y eut un nouveau silence, puis il conclut :
— Achetez tout ce dont vous avez besoin. Vous trouverez une enveloppe contenant de l’argent dans ma chambre, sur la table. A ce soir.
Meredith raccrocha, croisa le regard malicieux de Holly et sourit. Cooper Murphy avait remis la vie de sa fille entre ses mains. Sans enthousiasme, mais il l’avait fait. Elle en était flattée, et un peu effrayée. Peut-être était-ce ce que l’on ressentait quand on était parent.
L’après-midi passa aussi rapidement que la matinée. En rentrant des courses, Holly monta se reposer dans sa chambre, et Meredith en profita pour sortir tous les ingrédients dont elle aurait besoin pour préparer son bœuf Stroganov.
Un peu plus tard, alors que Meredith se débattait avec les casseroles et les saladiers, la fillette redescendit et prit une carotte pour son cheval. Par la fenêtre, la jeune femme la vit se diriger vers le paddock, où elle resta un long moment, le bras passé autour de l’encolure de l’animal, la joue appuyée contre sa tête.
Meredith avait suivi à la lettre toutes les étapes de la recette, et pourtant le dîner n’était toujours pas prêt quand Cooper rentra du travail. La farine dans laquelle elle avait roulé ses morceaux de viande s’était répandue sur le comptoir. Le riz avait bouilli et rebouilli, mais il n’était toujours pas cuit et, malgré une surveillance constante, la viande était dure comme du bois. Meredith ajouta néanmoins la crème aigre, et sentit au même instant une odeur suspecte. Les petits pois étaient calcinés ! Elle avait ouvert le brûleur en grand, et oublié de les retourner.
Cooper pénétra au milieu de ce chaos, s’immobilisa et plissa le nez.
Meredith se força à sourire et s’affaira comme si tout était normal.
— C’est presque prêt, annonça-t elle d’un ton enjoué. Vous avez le temps de monter vous rafraîchir, je me charge d’appeler Holly.
Le regard de Cooper balaya la cuisine dévastée, s’arrêta brièvement sur la table dressée pour trois qu’égayait un bouquet de fleurs, avant de venir se poser sur Meredith. Ses joues étaient cramoisies, et son jean maculé de taches.
— Où est ma fille ? demanda-t il enfin.
Il la dévisageait avec une telle intensité qu’elle finit par se demander si elle n’avait pas de la farine sur le nez.
— Avec Gypsy. Elle m’a promis de ne pas entrer dans le paddock, s’empressa-t elle de préciser en le voyant froncer les sourcils.
— J’ai failli vous appeler cet après-midi pour m’assurer que tout allait bien.
— Mais vous ne l’avez pas fait.
— Comme vous l’avez souligné, je dois apprendre à vous faire confiance. Mais autant vous prévenir, ce n’est pas gagné d’avance.
— Je comprends.
Cooper s’approcha.
— Vraiment ?
Meredith hocha la tête.
— Je suis divorcée, moi aussi, vous savez. Cela m’a obligée à remettre pas mal de choses en question.
— Vos relations avec les hommes, entre autres ? demanda-t il à voix basse.
— En effet, admit-elle en plongeant son regard au fond du sien.
— Vous vouliez ce divorce ?
— Etant donné les circonstances… oui.
Elle n’avait pas l’intention d’entrer dans les détails. Pas devant un étranger.
— Eh bien, moi j’étais contre, riposta-t il. Du moins, à l’époque. Maintenant, je me rends compte que nous n’aurions jamais dû nous marier, Tina et moi. Malheureusement, c’est Holly qui paye nos erreurs aujourd’hui.
— Mais vous n’auriez pas eu Holly si vous ne vous étiez pas mariés.
Le pli amer de sa bouche s’adoucit et une lueur amusée pétilla au fond de ses yeux.
— Votre sagesse vous honore.
Le couvercle du fait-tout clapotait. Meredith le souleva et réalisa avec consternation que la viande était collée au fond du récipient.
La voix grave de Cooper retentit derrière elle.
— Je monte me changer. J’en ai pour cinq minutes.
Meredith se mordit la lèvre. Encore cinq minutes, et elle servirait le premier repas qu’elle ait jamais cuisiné de toute sa vie !
Le dîner fut immangeable mais, pour une raison mystérieuse, ni Cooper ni Holly ne lui en firent la remarque. La viande était dure, le riz trop cuit, et les petits pois avaient un horrible goût de brûlé. Quant au soufflé au citron qui devait clore le festin, il n’avait jamais monté. Elle avait bien envisagé de fouetter une mousse au chocolat, mais…
Cooper contempla la bouillie informe qui tapissait son assiette à dessert, et reposa sa petite cuillère.
— Tu viens t’occuper des chevaux avec moi, Holly ? La petite fille secoua la tête.
— Je préfère aider Meredith à ranger un peu. Je te rejoindrai dès que j’aurai fini, ajouta-t elle, comme son père la dévisageait avec stupéfaction.
Meredith vit Cooper poser un regard dubitatif sur la cuisinière et le plan de travail, mais il s’abstint de tout commentaire, ébouriffa affectueusement les cheveux de sa fille et quitta la pièce.
Meredith empila les assiettes et les déposa dans l’évier.
— Vous ne savez pas faire la cuisine, n’est-ce pas ? demanda Holly.
Meredith envisagea un instant de mentir, mais à quoi bon ?
— Je ne dirai rien à papa si vous le persuadez de me laisser monter Gypsy.
Ce petit ange aux grands yeux bruns savait comment retourner une situation à son avantage.
— Pas de chantage avec moi, Holly. Si tu veux révéler à ton papa que je ne sais pas cuisiner, libre à toi. De toute façon, si je n’ai pas trouvé une solution avant demain soir, je passerai moi-même aux aveux.
— Vous êtes sérieuse ?
Meredith hocha la tête.
— Et s’il se met en colère ?
— Je ferai front.
— Maman n’aime pas le mettre en colère.
Autrement dit, son ex-femme évitait soigneusement les confrontations, traduisit Meredith.
— La seule façon de régler un problème, c’est souvent de l’aborder franchement, quitte à en supporter les conséquences.
Holly réfléchit quelques instants.
— Alors vous ne demanderez pas à papa de me laisser monter Gypsy.
Meredith ouvrit le robinet d’eau chaude, et se tourna vers la petite fille.
— Ta santé passe d’abord. Je parlerai à ton papa le moment venu, mais pas avant. D’accord ?
— Bientôt ? demanda Holly d’une voix pleine d’espoir.
Meredith lui sourit.
— Bientôt.
— Vous allez vraiment apprendre à cuisiner d’ici à demain soir ?
— On verra bien.
Meredith lui décocha un clin d’œil et lava les assiettes.
Cooper souleva Holly dans ses bras pour lui permettre d’atteindre la crinière de Gypsy avec la brosse. Elle avait fait irruption dans l’écurie, déclarant que Meredith avait finalement décliné son aide.
Le dîner avait été… intéressant. De toute évidence, Meredith n’avait pas l’habitude d’utiliser une cuisinière en fonte. Mais les repas s’amélioreraient certainement au fil des jours. En tout cas, il fallait l’espérer.
Il reposa sa fille sur le sol, tourna la tête en entendant un pas et vit Meredith s’avancer vers eux. Il flottait autour d’elle une sorte d’aura lumineuse… L’odeur de paille, de terre mouillée et d’écurie se dissipa à son approche, remplacée par une sensation grisante, impossible à définir, mais pleine de promesses.
— Il est presque 20 h 30. Voulez-vous que j’emmène Holly se coucher ?
Ils n’avaient pas encore défini en quoi consisteraient ses fonctions. Engager une gouvernante était une chose ; vivre cette situation au quotidien en était une autre… La vision de Meredith, assise dans le noir au chevet de sa fille, ne l’avait pas quitté de la journée. Et il n’avait pas oublié non plus ses allégations au sujet de la petite. Il devait tirer cette affaire au clair.
Cooper s’accroupit devant la fillette et posa la main sur son épaule.
— D’après Meredith, tu attends mon retour pour t’endormir. Est-ce exact ?
Holly remua la paille du bout du pied, les yeux baissés.
— Ben… ça m’arrive, murmura-t elle.
— Souvent ?
Elle hocha la tête.
Cooper prit son menton dans sa main, et attendit qu’elle croise son regard.
— Tu peux m’expliquer pourquoi ?
— Parce que… j’ai peur de faire un vilain rêve quand tu n’es pas là.
Il la serra très fort dans ses bras, pour tenter de la convaincre qu’il serait toujours là. Meredith s’approcha.
— Et si je restais avec toi jusqu’à ce que ton père rentre, tu dormirais ?
Cooper fronça les sourcils.
— Il est hors de question que…
— Vous m’avez engagée pour m’occuper de Holly. Et j’adore lire. Pourquoi ne pas essayer ?
— Qu’en penses-tu, poussin ?
Holly acquiesça, les yeux brillants.
— Oh oui, alors !
— Retourne à la maison. Je monte te border dans quelques minutes.
La fillette caressa Gypsy une dernière fois, puis quitta l’écurie.
— Elle vous a adoptée, constata Cooper, un peu étonné par la rapidité avec laquelle sa fille s’était attachée à une inconnue.
— C’est réciproque. J’ai vu sur le calendrier qu’elle avait rendez-vous demain chez sa kinésithérapeute. Voulez-vous que je l’emmène ?
Cooper hésita.
— Je ne sais pas pourquoi il m’est si difficile de vous laisser faire le travail pour lequel je vous ai engagée, grommela-t il enfin.
— Peut-être n’êtes-vous pas prêt psychologiquement à partager Holly avec quelqu’un d’autre, même quelques heures par jour.
— Vous me trouvez trop possessif ? J’ai toutes les raisons de l’être, croyez-moi. J’ai fait confiance une fois à sa mère, et c’était une erreur. Je ne suis pas près de recommencer.
— Vous avez la garde conjointe ?
Même le souvenir de sa séparation avec Tina ne réussit pas à détourner son attention des lèvres de Meredith.
— Tina a un droit de visite permanent. Mais si elle veut voir sa fille, elle devra venir ici.
Gypsy frotta son nez contre l’épaule de Meredith, qui la caressa pensivement.
— Holly parle-t elle parfois de l’accident ?
— Seulement quand elle fait un cauchemar.
— Voyez-vous un inconvénient à ce que j’évoque le sujet avec elle ?
— Pas si ça doit l’aider à mieux dormir la nuit.
— J’aimerais également m’entretenir avec son institutrice.
De toute évidence, Meredith prenait son rôle très au sérieux.
— Aucune objection. Mais ne tardez pas trop : elle part en vacances la semaine prochaine. Chaque été, elle rend visite à sa sœur, au Canada.
— Pourquoi Holly n’a-t elle pas essayé de rattraper son retard scolaire ?
Cooper s’empara de la brosse que la fillette avait posée sur le rebord du box avant de répondre :
— Elle a été grièvement blessée dans l’accident, Meredith. Elle est restée un mois à l’hôpital avant de pouvoir revenir ici. A son retour, sa convalescence était ma seule priorité. Ses études me paraissaient très secondaires.
— Vous avez traversé l’un comme l’autre une période très difficile. La voix de Meredith était douce et compréhensive, comme si elle devinait qu’il avait failli perdre sa fille. Cooper éprouva tout à coup le besoin de la convaincre, tout comme il avait besoin de…
Ses cheveux blonds avaient des reflets nacrés dans la semi-pénombre, et ses prunelles vertes la teinte d’un sous-bois au cœur de l’été. Il lui aurait suffi de tendre le bras pour la toucher. Il eut envie de connaître le goût de sa bouche et ne put s’empêcher de se demander comment elle réagirait s’il l’embrassait.
Il inclina lentement son visage vers le sien. Au même instant, Gypsy hennit doucement. Cooper se ressaisit aussitôt et recula d’un pas. Sa vie était suffisamment compliquée comme ça. Inutile d’en rajouter en embrassant le professeur de sa fille.
Les joues de Meredith s’étaient empourprées.
— Je… je ferais mieux d’aller rejoindre Holly.
Elle pivota sur ses talons et s’éloigna.
— Meredith ?
Elle lui lança un regard par-dessus son épaule.
— Oui ?
— Vous me rendriez service en conduisant Holly à sa séance de rééducation, demain.
— Très bien. Cooper la suivit des yeux, conscient d’avoir été à deux doigts de commettre une monumentale erreur.
Car il n’aurait jamais pu se *******er d’un seul baiser avec Meredith Preston.
Meredith entendit Cooper gravir l’escalier et retint son souffle. Tout à l’heure, dans l’écurie, elle n’avait pas rêvé : il avait bel et bien failli l’embrasser. Loin de l’effrayer, cette certitude avait suscité en elle un tel trouble qu’elle n’avait pas réfléchi une seule seconde aux conséquences. Lui, si, apparemment.
Que lui arrivait-il ? Pas une seule fois depuis son divorce, elle n’avait posé les yeux sur un homme. La trahison de Brian lui avait laissé des cicatrices trop profondes pour qu’elle songe à renouer une relation amoureuse avec qui que ce soit. Alors comment avait-elle pu envisager de tomber dans les bras de son employeur ?
Le pas de Cooper s’arrêta devant la chambre de Holly, puis repartit en sens inverse. Meredith suivit sa progression, le cœur battant. Quand il frappa à sa porte, elle se leva du rocking-chair et traversa la pièce pour lui ouvrir.
La lumière tamisée du couloir accentuait la rudesse de ses traits virils. Sa chemise bleu pâle faisait ressortir son teint hâlé et ses cheveux bruns. Sa silhouette vigoureuse et altière l’attirait tout autant que la droiture de son caractère.
— Holly s’est-elle relevée après mon départ ? demanda-t il.
— Non. Je suis allée la voir deux fois. Elle dormait profondément.
Le regard sombre de Cooper effleura le visage de Meredith avant de s’arrêter sur ses lèvres.
— J’ai… préparé son sac pour sa séance de rééducation. Elle a besoin d’un maillot de bain pour la piscine.
— Tout se passera bien, Cooper. Voulez-vous que je vous appelle quand nous serons rentrées ?
— Non. Comme vous me l’avez fait remarquer, je dois apprendre à vous faire confiance… tout au moins en ce qui concerne Holly.
L’atmosphère entre eux se chargea d’électricité. Une lueur de désir s’alluma dans les yeux de Cooper tandis qu’il murmurait :
— J’ai eu envie de vous embrasser dans l’écurie.
— Je sais, souffla Meredith.
— J’espérais que ça me passerait.
— Et ce n’est pas le cas ?
Il secoua la tête.
— Malheureusement non.
Lentement, comme s’il lui laissait une chance de le repousser, Cooper inclina son visage vers le sien. Puis, comme elle n’esquissait pas le moindre mouvement de recul, ses lèvres effleurèrent doucement celles de la jeune femme.
— Bonne nuit, Meredith. A demain.
Elle s’appuya au chambranle, les jambes flageolantes, tandis qu’il regagnait sa chambre. Cela n’avait aucun sens. Elle ne le connaissait que depuis deux jours, et pourtant elle mourait d’envie de se blottir dans ses bras.
Pour tenter de se ressaisir, elle se remémora l’infidélité de Brian, sa lâcheté quand elle avait perdu ses bébés, le naufrage de leur mariage… Mais le visage de Cooper resta gravé dans son esprit.
Le lendemain matin, pendant que Holly allait dire bonjour à Gypsy, Meredith composa le numéro de téléphone de Becca.
Leurs rapports n’avaient pas toujours été chaleureux. Persuadée que la mère de Becca avait épousé son père uniquement pour son argent, Meredith leur avait battu froid pendant longtemps, jusqu’à ce que sa demi-sœur épouse Luke Hobbart. Meredith avait alors appris à la connaître vraiment, et une sincère affection les unissait désormais l’une à l’autre.
— Bonjour, Meredith, lança Becca d’une voix chaleureuse. Que deviens-tu ?
— Je suis dans le New Hampshire, chez Cooper Murphy. Il m’a engagée !
— C’est formidable. Tu es *******e ?
— Très. A un petit détail près : j’ai voulu tester mes talents de cuisinière hier soir… Un vrai désastre. Elle lui raconta ses exploits.
— Et tu voudrais que je te donne un cours accéléré par téléphone ? demanda Becca d’un ton rieur.
— Tu n’as pas quelques trucs faciles et sans risque ? Becca réfléchit.
— Si je comprends bien, il y a urgence. Dans ce cas, trouve un boucher aimable et compréhensif. Il y en a forcément un à Harmony Hollow. Il se fera un plaisir de t’indiquer la meilleure façon d’accommoder la viande. Et choisis des menus simples. La plupart des hommes sont comblés par un steak et des pommes de terre sautées.
Puis elle lui suggéra quelques idées d’entrées et de desserts.
— Tu me sauves la vie.
— Comment cela se passe-t il avec Cooper et Holly ?
— La petite est adorable. J’ai hâte de commencer mes cours. Quant à lui…
Quelque chose dans sa voix dut alerter Becca car elle murmura :
— Chérie, sois très prudente avec Cooper. Tina lui a fait beaucoup de mal, et depuis son divorce, il ne laisse aucune femme l’approcher.
Il l’avait pourtant fait, hier soir, songea Meredith. Elle sentait encore la caresse de ses lèvres sur les siennes, son souffle sur son visage…
— Aucun homme non plus ne m’a approchée depuis Brian, répondit-elle lentement. Mais Cooper est… différent.
— Aïe. Mon avertissement viendrait-il trop tard ?
— Pas du tout. C’est juste que… Aucune importance. Je suis ici pour m’occuper de Holly, et j’ai l’intention de m’y consacrer corps et âme, même si papa me prend pour une folle. Il ne comprend toujours pas pourquoi je ne me *******e pas d’organiser des rencontres de bridge !
— Tu ne le changeras pas.
Meredith secoua la tête.
— Je sais. Embrasse Todd et Luke pour moi. Et si je ne m’en sors pas, je n’hésiterai pas à t’appeler à l’aide.
— Pour la cuisine ?
— Evidemment, quelle question !
Becca éclata de rire.
— Bonne chance. N’hésite pas à me téléphoner.
Meredith raccrocha, puis jeta un coup d’œil à sa montre. Il était temps d’emmener Holly à sa séance de rééducation.
Tout en se dirigeant vers l’écurie, elle respira l’air tiède et parfumé, et sut qu’elle avait eu raison de venir ici. Elle était prête à commencer une nouvelle vie.
En rentrant chez lui, ce soir-là, Cooper fut accueilli par une délicieuse odeur de viande grillée. Meredith disposait d’épaisses tranches de rosbif dans un plat. Avant qu’il ait eu le temps d’ouvrir la bouche, Holly se jeta dans ses bras.
Il la serra contre lui en souriant.
— Bonsoir. Alors, cette séance de rééducation ?
— J’ai vraiment travaillé très dur. Nancy m’a félicitée. Même que Meredith lui a demandé si je pouvais monter Gypsy et qu’elle a dit oui !
Cooper la reposa sur le sol, les sourcils froncés.
— Une minute. Ce n’est pas à Nancy de prendre ce genre de décision, mais à moi.
Son regard se fixa sur Meredith.
— Et vous, vous n’aviez pas à vous en mêler !
— Je n’y suis pour rien. Holly a évoqué le sujet à plusieurs reprises et…
— Il est hors de question qu’elle monte Gypsy, vous m’entendez ? Il est beaucoup trop tôt.
— Papa…, supplia Holly.
— Non. Ta jambe n’est pas assez solide.
— Je vous avais bien dit qu’il se mettrait en colère, chuchota la petite fille à l’adresse de Meredith.
— Je ne suis pas en colère, Holly. Du moins pas contre toi. Meredith aurait dû m’en parler avant de te donner de faux espoirs. Maintenant, passons à table. Le dîner va être froid.
— J’ai pas faim, répondit Holly d’une toute petite voix. Je préfère monter dans ma chambre.
Cooper tira une chaise.
— Assieds-toi, Holly. Et cesse de bouder.
La fillette hésita puis finit par obéir.
Le dîner fut excellent, mais silencieux. Cooper sentit plusieurs fois le regard de Meredith se poser sur lui. Elle n’avait pas l’air contrit le moins du monde. La dernière bouchée avalée, Holly reposa ses couverts.
— Je peux monter, maintenant ?
Cooper serra les lèvres.
— Je te rejoins dans un instant.
La petite fille quitta la table, et le bruit de son pas claudicant résonna bientôt dans l’escalier.
Meredith attendit quelques instants, puis foudroya Cooper des yeux.
— Je comprends à présent pourquoi cette pauvre enfant a peur de vous parler ! Vous passez votre temps à donner des ordres ou à vous mettre en colère. Combien de temps encore avez-vous l’intention de vous comporter comme un despote ?
Ses joues empourprées et la réprobation qu’il lisait dans ses prunelles vertes donnèrent à la réponse de Cooper le tranchant de l’acier.
— Et vous, combien de temps encore croyez-vous pouvoir rester sous mon toit, si vous vous obstinez à monter ma fille contre moi ?