chapitre 5
— Voici votre café, mademoiselle Jones !
Capri s’étira, bâilla et rabattit le drap sur son visage.
— Merci, Mary-Lou, murmura-t-elle. Je mettrai mon ensemble bleu clair, aujourd’hui... Il n’est pas au pressing, au moins ?
— Je n’en sais rien. En tout cas, je suis allée chercher votre robe de chambre, uniquement par respect de la décence.
Eberluée, Capri rejeta d’un seul coup draps et couvertures. Qui pouvait bien lui parler ainsi ? Et où était-elle ? Les yeux encore ensommeillés, elle regarda avec stupeur la gardienne de Blueberry Island.
Pourquoi avait-elle cru, un instant, qu’elle était à Houston ? Le contraste était saisissant entre la silhouette fluette de la gouvernante de son père, Mary-Lou, et les formes généreuses de Zoé.
La jeune femme tenait à la main une tasse de café fumant, et elle la posa sur la table de nuit d’un air maussade. Manifestement, elle n’agissait pas par pure bonté d’âme ! Où était Tiggart ? Et pourquoi ne lui avait-il pas apporté ce café lui-même ?
— Merci, balbutia Capri.
Zoé ne bougeait pas, les bras croisés sur la poitrine. Qu’attendait-elle ? Et comment une femme pouvait-elle être aussi séduisante dans une salopette en jean ? Avec un mouvement de jalousie, Capri détourna son regard.
— Et merci pour mon peignoir, ajouta-t-elle.
— Je l’ai fait parce que Tiggart me l’a demandé.
— Tiggart ? Où est-il ?
Que s’était-il passé, hier soir ? Capri se souvenait de la sensation brûlante de l’alcool dans ses veines, et du plaisir qu’elle avait eu à sentir les bras de Tiggart se refermer sur elle. Ne l’avait-il pas embrassée, juste avant qu’elle dorme ?
Bouleversée, elle tenta de calmer les battements de son cœur. S’il faisait preuve de tendresse envers elle, parviendrait-elle à garder ses distances ? Au fond d’elle-même, elle en doutait. D’ailleurs, le voulait-elle vraiment ?
— Il est parti pêcher avec Sam, jusqu’à ce soir.
Au sourire triomphant de Zoé, Capri n’eut pas de mal à comprendre que la gardienne trouvait cet éloignement fort à propos ! Cachant mal sa déception, la jeune femme se pencha pour boire une gorgée de café.
— Je croyais... Je ne l’ai pas entendu partir, ce matin, balbutia-t-elle.
— Naturellement ! Il n’a pas dormi ici, répliqua Zoé avec un sourire qui s’agrandissait.
Capri reposa sa tasse, les doigts tremblants. Ainsi, Tiggart n’avait pas dormi à côté, dans le lit de camp du living ? Et Zoé cherchait-elle à lui faire comprendre... qu’ils avaient passé la nuit ensemble ?
Dévorée de jalousie, elle imagina la jolie blonde dans les bras de Tiggart. Pourquoi en ressentait-elle une telle douleur ? Après tout, Tiggart n’était rien pour elle. Incapable de réagir, Capri suivit les mouvements de Zoé, qui, les bras chargés de linge fraîchement repassé, ouvrait les tiroirs de la commode.
Lentement, la jeune femme repliait les chemises et les sous-vêtements de Tiggart, et les plaçait dans les tiroirs. Que cherchait-elle à lui prouver ? Que ses relations avec son employeur étaient des plus intimes ?
— Vous savez, mademoiselle Jones, vous feriez mieux de garder vos distances avec Tiggart. Je dis ça dans votre intérêt... Il n’aime que les aventures, brèves de préférence.
Capri soutint le regard éloquent de Zoé. Décidément, elle ne prenait même plus la peine de masquer son hostilité !
— Cela ne vous regarde pas, protesta Capri. Au cas où vous l’auriez oublié, je suis en vacances, ici, et j’agis comme bon me semble. J’ai payé pour cela.
— Oui ! Elles disent toutes ça ! Tous les étés, je vois débarquer des femmes comme vous, hautaines et frustrées. Tiggart est bien trop poli pour les envoyer promener, alors c’est moi qui m’en charge.
Le sang de Capri ne fit qu’un tour. Repoussant violemment sa tasse de café, elle s’assit dans le lit.
— Sortez ! ordonna-t-elle.
Zoé se *******a de hausser les épaules d’un air méprisant. Refermant le dernier tiroir, elle se tourna vers Capri.
— A votre guise, lança-t-elle. Seulement, à force de jouer avec le feu, on se brûle ! Je vous ai vus sur la jetée, hier soir. Si vous croyez que Tiggart peut s’attacher à une femme, surtout une femme comme vous, vous vous faites des illusions.
— C’est peut-être vous qui en avez, des illusions !
— Pas en face de celle qui doit lui rappeler son ex-femme... Susan était plus sensationnelle : on aurait dit le sosie d’Elizabeth Taylor avec ses yeux violets et ses longs cheveux noirs.
— Son ex-femme ? répéta Capri, stupéfaite. Je... J’ignorais qu’il avait été marié.
— Rassurez-vous, il ne l’est pas resté longtemps. Je n’avais que quinze ans, à l’époque, mais j’avais assez de jugeote pour me rendre compte de ce qui se passait. La famille de Tiggart et la mienne sont très liées, et j’ai vu Susan changer du jour au lendemain après son mariage. Une fois la bague au doigt, elle a décidé de faire de Tiggart un autre homme...
Zoé éclata de rire, rejetant sa somptueuse chevelure en arrière.
— Autant vouloir décrocher la lune ! s’exclama-t-elle. Tiggart ne changera jamais, il est bien trop indépendant. Susan peut en témoigner, ils ont divorcé au bout de deux ans.
Sur ce coup de théâtre, Zoé tourna les talons, et claqua la porte derrière elle. Capri demeura assise sur le lit, pétrifiée. Pourquoi Zoé lui avait-elle révélé tout cela ?
Inutile de chercher bien loin... Elle avait utilisé l’arme de la vérité, sûre de son effet sur Capri. En effet, un divorce laissait toujours des traces. Si Tiggart avait été blessé une fois, il devait être difficile de trouver le chemin de son cœur !
Etait-ce pour cela qu’il l’avait questionnée, durant le barbecue ? Il n’était guère prêt à faire des sacrifices, se rappela-t-elle. Et il avait une piètre opinion des femmes...
Mais qui au juste était Tiggart Smith ? Capri ignorait tout de lui. Tant qu’elle l’avait cru gardien de l’île, elle s’était souvent demandé pourquoi il manquait à ce point d’ambition. Cependant, à présent qu’elle le savait propriétaire, sa présence ici prenait une autre signification.
D’où tenait-il sa fortune ? Et pourquoi sa femme avait-elle voulu le faire changer ? Avait-il une façon de vivre particulière ? Mille questions lui venaient à l’esprit... L’une d’entre elles, et non des moindres, la hantait. Qui était Zoé pour lui ? Et quel rôle jouait-elle dans sa vie ?
A 15 heures, Capri éteignit son ordinateur. Il était temps d’aller prendre un bain de soleil ! Puisque Tiggart pêchait au large, la voie était libre.
La jeune femme étala sa serviette de bain sur la plage déserte, et s’enduisit soigneusement le corps de crème solaire. Quel plaisir de s’offrir ainsi aux rayons du soleil ! De l’océan, venait une brise rafraîchissante, et le bruit régulier des vagues la berçait comme par magie.
Pourvu qu’elle ne s’endorme pas ! Il fallait absolument qu’elle guette la vedette de Tiggart. Lentement, pourtant, Capri céda à une bienfaisante torpeur.
Quelque chose lui chatouillait le dos... Serait-ce un papillon, un insecte ? Clignant des paupières, la jeune femme se redressa brusquement, pour se retrouver face à face avec Tiggart Smith.
Ainsi, elle s’était endormie malgré ses résolutions ? Le cœur battant la chamade, Capri contempla le corps hâlé de Tiggart, vêtu seulement d’un short kaki. Sans mot dire, il s’agenouilla près d’elle, et s’empara du tube de crème solaire.
— Vous ne prenez pas de risque, à ce que je vois ! s’exclama-t-il.
Troublée, Capri se recoucha, et enfouit le visage dans ses bras.
— Tout le monde sait que les rayons du soleil sont dangereux, dit-elle.
— Et personne n’est sûr que cette crème vous protège à cent pour cent, murmura-t-il en suivant du doigt la courbe de ses épaules.
Capri tenta en vain d’ignorer ce contact bien plus dangereux que tous les soleils de la galaxie ! Mais elle avait beau s’aplatir dans le sable et se raidir, la main de Tiggart errait toujours sur son dos.
— Je... J’aime assez le soleil pour prendre ce risque, balbutia-t-elle.
— Ah ! L’amour, l’amour, ironisa-t-il. Que ne risquerait-on pas au nom de l’amour !
— Vous n’y croyez pas, vous ?
Avant de répondre, Tiggart ôta le bouchon du tube de crème et mit du gel dans sa paume.
— Mais si, j’y crois, Jones !
— Vraiment ?
— Cela vous étonne ?
Ce qui l’étonna, ce fut sa propre absence de réaction lorsque Tiggart commença à lui masser le dos. Pourquoi ne se révoltait-elle pas ? Fermant les yeux, Capri essaya d’utiliser ce qui lui restait de raison.
— Oui, dit-elle. Zoé m’a dit que...
Elle s’interrompit, parcourue de délicieux frissons de volupté. Quelle merveilleuse torture ! Incapable du moindre mouvement, Capri le laissa défaire l’agrafe de son Bikini.
— Oui ?
— ... que vous aviez été marié, reprit-elle dans un souffle. Je pensais...
Les mains expertes de Tiggart remontèrent le long de son dos, et refermèrent l’agrafe. Combien de temps parviendrait-elle à retenir le gémissement de plaisir qui lui montait aux lèvres ?
— Que j’avais renoncé à l’amour ? Non, Jones. Je suis devenu très prudent, c’est vrai. Cependant, cela m’attire toujours, comme une flamme à laquelle on peut se brûler, mais aussi se réchauffer.
A présent, il s’attardait sur sa taille, ses hanches, en des mouvements si lancinants qu’elle crut s’évanouir.
— Vous comparez l’amour à... un feu ? demanda-t-elle.
— Oui, c’est ainsi. A mon tour de poser des questions, Jones ! Pourquoi refusez-vous le mariage ? Avez-vous divorcé, vous aussi ?
Capri secoua la tête en signe de dénégation. Ce n’était guère le moment de lui expliquer ses raisons. Elles lui paraissaient soudain si dérisoires. Dérisoires ? Dans un éclair de lucidité, Capri sortit de sa torpeur. Tiggart avait-il le pouvoir de lui ôter la mémoire ?
— Non ? remarqua-t-il. En tout cas, quelqu’un vous a blessée dans le passé, et vous en gardez les séquelles, malheureusement.
— Non, c’était la vie qui l’avait blessée, et une fois avait suffi ! Capri, d’un souple mouvement de reins, roula sur le côté, et s’assit au bout de la serviette, ramenant ses jambes contre sa poitrine.
— Ça ira comme ça, merci, balbutia-t-elle.
— Je n’ai pas fait l’autre côté !
— Non ! C’est inutile.
Capri laissa son regard errer sur l’océan. Comment Tiggart pouvait-il l’amener à oublier les principes mêmes de sa vie ? Il lui fallait absolument remettre de l’ordre dans ses pensées...
— Comment s’appelle l’homme qui vous a blessée, Jones ? Qui vous a détournée de la flamme de l’amour ?
Une mouette au loin poussa un cri perçant, et Capri suivit son envol vers les nuages.
— Je n’ai pas envie d’en parler, murmura-t-elle.
— Vous avez dû l’aimer beaucoup.
Pourquoi lui parlait-il avec tant de douceur ? Il y avait une invite dans sa voix, une tendresse qui lui donnait envie de briser le silence de son cœur. Pourtant, jamais elle n’avait parlé de Jamie depuis sa mort, pas même avec son père. Et aujourd’hui, un parfait inconnu lui demandait de lui confier son secret ?
— Il était la moitié de moi-même...
Avait-elle vraiment prononcé ces mots ? Capri n’en revenait pas. Comment Tiggart était-il parvenu à rompre sa réserve ? A présent, elle mourait d’envie de tout lui dire, de lui expliquer qui était Jamie.
Et si Tiggart pensait qu’il s’agissait de son amant ?
Comme elle aurait aimé lui faire part de l’amour qu’elle avait toujours porté à son frère, fauché en pleine jeunesse par une mort absurde !
Capri avait voulu mourir aussi, à l’époque. Seule la pensée d’abandonner son père à un chagrin atroce l’en avait empêchée.
— Pardon, murmura Tiggart. Je ne voulais pas vous faire pleurer.
La jeune femme essuya ses paupières d’un revers de la main. Elle pleurait ? Elle ne s’en était pas aperçue...
— Vous et moi, nous remplissons toutes les conditions pour rentrer au Club des cœurs brisés, reprit-il d’un ton qui se voulait léger.
— Un club ?
— Oui. Créé spécialement pour les personnes ayant reçu une blessure mortelle en amour...
— Cela fait-il de nous des membres à perpétuité ?
Malgré la volonté de Tiggart d’alléger son chagrin, Capri ne parvenait pas à plaisanter. Comment s’arracher à la douleur que provoquait en elle l’évocation de la mort de Jamie ?
— Quelle idée morbide ! s’exclama Tiggart. Vous souhaitez vivre dans le passé toute votre vie ?
Comment savoir ce qu’elle souhaitait ? Capri ne pensait jamais à l’avenir. Aujourd’hui seulement, elle eut l’intuition de ce qu’elle serait dans une trentaine d’années : seule, solitaire, sans amour...
— On dirait une condamnation à mort, remarqua-t-elle.
— Exactement !
— Depuis combien de temps êtes-vous divorcé, Tiggart ?
— Six ans.
— Zoé dit que votre femme était très belle.
Il prit une poignée de sable et la fit glisser entre ses doigts, comme si par ce geste il évoquait le temps écoulé.
Pourquoi lui avait-elle posé cette question ? Après tout, peu lui importait de se comparer à l’ex-Mme Tiggart Smith.
— Oui, Susan était très belle, en effet.
Comment pouvait-elle être jalouse d’une femme qu’elle ne connaissait pas ? Tentant de calmer les battements de son cœur, Capri revint à un sujet plus immédiat.
— Merci de m’avoir fait porter mon peignoir et du café, ce matin, murmura-t-elle.
— Il n’y a pas de quoi. Je suis allé à votre bungalow, hier soir, après vous avoir mise au lit.
— L’ours y était-il encore ?
— Non. Il a dû avoir plus peur que vous !
— Seigneur ! Plus jamais je ne ferai cuire du bacon en pleine nuit !
Tiggart éclata de rire, et la contempla entre ses paupières mi-closes. Sous se regard ardent, Capri rougit et se pencha pour arranger la serviette autour d’elle.
— Avez-vous bien dormi ? demanda-t-il.
— Oui, merci... Je... Enfin, j’aimerais savoir... Pourquoi n’êtes-vous pas resté chez vous, cette nuit ?
— Parce que vous étiez dans mon lit.
— Mais...
— Vous auriez voulu que je vous y rejoigne ?
— Bien sûr que non ! Cependant, il y a un lit de camp dans votre living.
— Ce n’était pas sans risque.
Pourquoi ce ton laconique ? Et que voulait-il dire par là ? Que la présence de Capri le compromettait ? Vexée, elle détourna les yeux. Comme s’il avait deviné ses pensées, Tiggart éclata de rire.
— Pas pour moi, petite sotte ! Pour vous ! Votre chemise de nuit ne vous couvrait guère, hier soir, et si j’étais resté trop près de vous, je n’aurais juré de rien. C’est pour cela que j’ai envoyé Zoé vous porter votre peignoir. Et que je suis parti à la pêche... J’avais trop envie de revenir.
Revenir dans les bras de Zoé ? La gardienne avait-elle passé la nuit avec lui ? La question lui brûlait les lèvres, cependant Capri n’eut pas le loisir de la poser. Tiggart l’avait attirée contre lui, et sa bouche effleurait son visage de baisers qui l’embrasèrent tout entière.
— J’espérais vous oublier en mer, murmura-t-il à son oreille.
— Y êtes-vous parvenu ?
— Non, petite sorcière...
Délicieuse, merveilleuse sensation... Capri se sentit chavirer lorsque les lèvres de Tiggart s’emparèrent des siennes, sensuelles, possessives. Etait-ce le soleil de cette splendide journée d’été qui lui ôtait ainsi toute résistance ?
Pourquoi Tiggart avait-il habilement esquivé sa question tout à l’heure ? D’après Zoé, pourtant, il n’y avait aucun doute. Si seulement la gardienne lui avait menti !
Capri s’accrochait désespérement à cette idée. Les lèvres de Tiggart avaient une chaleur si passionnée ! Un frisson violent la parcourut et, dans un geste dont elle n’eut pas conscience, elle commença à caresser la nuque de Tiggart, puis glissa le long de ses épaules et de son dos musclé.
Soudain, un petit avion de tourisme traversa l’espace au-dessus de la plage. Capri n’en eut cure, enveloppée dans un cercle magique. Mais Tiggart recula.
— Vous savez, Jones, ce n’est pas l’endroit idéal, ni le bon moment, pour... la perfection qui nous attend.
— Hmmm...
Impossible de prononcer un mot, tant son regard continuait d’être attiré comme par un aimant vers la peau brune de son torse. Comment briser ce sortilège ?
— Que faites-vous ce soir, Jones ?
— Je dois travailler. J’ai un rapport à terminer.
— Remettez ça à une autre fois. Sam a pêché un énorme bar, ce matin, et Ellen nous invite à le déguster ensemble. J’ai été chargé de vous transmettre l’invitation.
— Non, remerciez-les pour moi. Je ne peux vraiment pas.
— Vous vous arrêtez bien pour dîner, non ?
— Oui, mais...
— Alors vous n’aurez rien à cuisiner ! Si vous voulez, vous retournerez auprès de votre cher ordinateur après le repas. D’accord ? Oh, à propos, j’aimerais que vous portiez le chemisier que vous aviez hier soir.
— Mon chemisier mauve ? Pourquoi ?
Trop tard ! En répondant ainsi, elle acceptait indirectement l’invitation de Tiggart. Où avait-elle la tête ? Elle n’était pas venue à Blueberry Island pour baguenauder tous les soirs avec Tiggart Smith !
— Vous le saurez plus tard, Jones ! Je passe vous prendre à 6 heures. Ça va ?
— Très bien.
Chavirée, Capri regarda Tiggart s’éloigner d’une foulée élastique. Pourquoi cédait-elle toujours ? Plus le temps passait, et plus elle s’attachait à lui, oubliant ses résolutions, son travail, sa vie à Houston. N’était-il pas tendre, et fort, et attentionné, et...
Capri se mit debout, en proie à un trouble puissant. Les événements prenaient un tour vraiment inattendu. Ce soir, plus que jamais, elle devait être sur ses gardes. Sinon, dans quel abîme tomberait-elle ?
*
* *
— C’est le meilleur poisson que j’aie jamais mangé ! Seule dans la cuisine avec Ellen, Capri essuya l’assiette que la jeune femme lui tendait.
— Merci, Capri, répondit Ellen. Tiggart aussi est bon cuisinier, non ? Les steaks qu’il nous a préparés hier soir étaient délicieux... Oh ! Pardon ! J’oubliais !
Confuse, Ellen retira les mains de l’évier et les essuya rapidement sur son tablier.
— Vous avez dû vous demander pourquoi j’étais partie si brusquement, hier soir, répliqua Capri. En fait, j’étais furieuse de découvrir la supercherie de Tiggart. Il m’avait toujours laissé croire qu’il était le gardien. Plus tard, à tête reposée, j’ai regretté d’avoir eu une telle réaction. Après tout, il a voulu me jouer un petit tour, c’est tout. J’avais été assez odieuse et hautaine, le jour de mon arrivée.
— Capri, il vous a suivie, hier soir...
Les yeux brillants de curiosité, Ellen rangea les assiettes dans le placard, et se tourna vers son amie.
— Et ensuite, Zoé l’a suivi, continua-t-elle. Sous le pré****e qu’elle ne trouvait pas la deuxième caisse de bières, mais moi, je savais bien qu’elle était près du réfrigérateur. Quand Zoé est revenue, elle semblait en rage.
— Evidemment... Elle nous a vus sur la jetée. Tiggart me... enfin, il...
— Il vous embrassait ? lança Ellen, l’air joyeux.
— Oui, avoua-t-elle.
— Oh ! C’est merveilleux, Capri !
— Qu’y a-t-il de si merveilleux ? demanda Tiggart, depuis l’embrasure de la porte.
Les deux jeunes femmes se retournèrent, surprises. Capri frémit, comme si elle le voyait pour la première fois. Pourquoi Tiggart avait-il l’air de plus en plus séduisant ? Dans la lumière dorée de la cuisine, le contraste entre ses cheveux blonds et sa peau hâlée le rendait plus attirant que jamais.
— Le poisson, répondit Capri. Je venais de complimenter Ellen sur sa façon de le préparer, et elle... elle prétend que... Bref, c’est merveilleux.
Au sourire sardonique de Tiggart, elle comprit qu’il ne croyait pas une seconde à son petit mensonge.
— En effet, il était très bon, répliqua-t-il.
Pourquoi regardait-il sa montre ? Voulait-il partir ? Déjà ? Le cœur serré, Capri consulta la sienne. Il n’était que 9 heures... Durant tout le dîner, elle n’avait pu s’empêcher de penser aux paroles de Tiggart, sur la plage. L’endroit idéal, le bon moment... étaient-ce simplement des mots ? Ou bien voulait-il lui faire des avances en la raccompagnant à son bungalow ?
— Ellen, Sam m’a dit que vous étiez fatiguée aujourd’hui, lança-t-il. Vous devriez aller vous coucher.
Comment n’avait-elle pas remarqué plus tôt les cernes de fatigue qui ombraient les paupières de son amie ? Capri maudit son inattention. Quelle égoïste elle faisait ! Toute à ses pensées, elle ignorait les autres...
— Vous auriez dû me le dire, Ellen ! s’écria Capri.
— Mais non, je vais bien ! Le bébé est un peu gros, c’est tout...
— Taratata ! Ne vous en faites pas pour vos invités, nous allions partir, de toute façon. Capri et moi désirons nous promener sur la plage, lança Tiggart.
Avant que Capri puisse protester, Ellen lui jeta un regard complice.
— Quelle bonne idée ! lança-t-elle. Dans ce cas, je ne vous retiens pas... Sammy ! Nos invités s’en vont !
Comme son mari arrivait dans la cuisine, Ellen sortit une bouteille de vin blanc du réfrigérateur. Elle était à demi pleine, car aucun des convives n’avait bu plus d’un verre au dîner.
— Tenez, Tiggart, vous finirez cette bouteille sur la plage. Moi je ne bois pas, et Sam préfère la bière. Je vais même vous fournir les gobelets en plastique...
Du vin, la présence enivrante de Tiggart sur la plage au clair de lune... Parviendrait-elle à conserver son sang-froid ? Tremblante, Capri drapa sa veste sur ses épaules, et s’efforça de rester calme. Tant pis si elle disait des banalités !
— Il fait encore chaud, murmura-t-elle.
— Oui... La nuit est parfaite.
Comment pouvait-il rester aussi détendu ? C’était un de ses traits de caractère les plus marqués... et peut-être le plus agréable. Pourquoi y était-elle si sensible ? A cause de l’attirance des contraires ?
En tout cas, elle y était trop sensible. Mieux valait mettre fin à cette escapade nocturne, avant que son instinct la trahisse de nouveau. Si elle ne pouvait pas résister à ses baisers en plein jour, qu’en serait-il au clair de lune ?
Parvenus à hauteur de son bungalow, Capri s’arrêta et feignit de bâiller.
— Les Walter sont vraiment très gentils, et j’ai passé une excellente soirée. Finalement, je vais me coucher au lieu de travailler...
— Eh ! Pas si vite ! Oubliez-vous le vin que nous a offert Ellen ?
Son regard lourd de sous-entendus l’enveloppa, et Capri se figea, hypnotisée. Elle n’avait qu’un mot à dire, et Tiggart la laisserait partir. Pourtant, ce mot, elle n’arrivait pas à le prononcer...
Comme s’il devinait son incertitude, Tiggart posa les lèvres sur sa chevelure soyeuse. Capri frémit, conquise, et ses doutes s’envolèrent comme par magie. Sans un mot, Tiggart lui prit la main, et la guida le long du sentier plein d’ombres
Jamais elle ne s’était sentie aussi en sécurité avec un homme. Et pourtant, qui au monde était plus dangereux pour elle que Tiggart Smith
?