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ÇáÊÓÌíá: Jun 2006
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Chapitre 7



Sur la plage déserte, la douce chaleur du soleil envahissait le corps alangui de Kelly. Depuis la terrasse, Brant était en train de la contempler et elle avait l’impression de sentir la caresse de son regard.
Son mari vint la rejoindre et s’assit près d’elle.
— Kelly, je voudrais savoir... cette nuit, je t’ai fait mal ?
Sa question ne reçut aucune réponse. Kelly faisait semblant de dormir. Devant son silence, Brant se mit à jouer avec quelques boucles blondes qui s’étaient échappées de son chignon serré.
— Chérie, ne reste pas en plein soleil.
Prenant le tube de crème solaire qui traînait sur la serviette, Brant commença à en étaler généreusement sur le dos de la jeune femme. Quelles sensations agréables ! Kelly laissait échapper des soupirs de plaisir. Enfin elle ouvrit les yeux. Brant était tout près. Au sortir de la douche, enveloppé d’un peignoir clair, il fleurait bon l’eau de toilette. Ses cheveux, encore mouillés, prenaient des reflets bleutés. Kelly était fascinée par sa beauté.
— Comment te sens-tu, chérie ? demanda-t-il en l’embrassant.
— Merveilleusement bien !
Dans un éclat de rire, Kelly se redressa et entoura Brant de ses bras. Leurs lèvres se joignirent en un long baiser. Enfin, redressant la tête, Brant la fixa quelques instants et renouvela sa question.
— Kelly, tu ne m’as pas répondu.
— De quoi parles-tu ?
— Je veux savoir si, cette nuit, je n’ai pas été trop brutal avec toi.
Elle sourit. A quoi bon éluder cette question ? Brant avait dû se rendre compte que sa femme manquait d’expérience. Mais peut-être ne s’était-il pas aperçu que c’était pour Kelly la première nuit d’amour ? En tout cas, elle avait fait tout son possible pour le lui dissimuler. Par pudeur, par timidité, elle n’osait le lui avouer. Kelly était persuadée qu’une telle confidence la ridiculiserait aux yeux de Brant.
— Non, Brant, tout s’est très bien passé.
Pour cacher son embarras, elle se mit à enduire ses jambes de crème. Du reste, elle ne mentait pas en disant que tout s’était bien passé. Dans l’ivresse de leurs ébats, à peine avait-elle ressenti une petite douleur, bien vite évanouie. Puis, entre les bras de Brant, elle avait découvert le plaisir.
— Tu avais déjà connu un homme ?
— Brant ! Ma vie avant notre mariage ne regarde que moi et tu ne dois pas poser de telles...
Le sourire de Brant l’arrêta net. Sa voix avait pris un ton si puritain qu’elle aussi se mit à rire.
— Pardonne-moi mon indiscrétion, chérie. Je sais que toi et Daniel étiez amants, mais cette nuit j’aurais juré que... Oui, excuse-moi.
Une grimace de Kelly le fit taire, il abandonna le sujet.
— As-tu faim, Kelly ?
— Une faim de loup !
— Alors va enfiler une robe et je t’emmène dans un petit restaurant du village voisin, où nous goûterons de succulents poissons...
Une fois sur la terrasse, Kelly se retourna vers son mari.
— Brant, j’ai dit tout à l’heure que chacun de nous devait garder son passé pour lui, mais je voudrais quand même te poser une question...
— Oui ?
— As-tu déjà amené des femmes ici ?
— Non, je suis toujours venu ici seul.
En parlant, il s’était approché d’elle. Avec douceur, il lui souleva le menton.
— Pourquoi me poses-tu cette question ?
— Par curiosité.
Et aussitôt, échappant à son emprise, Kelly disparut dans la chambre. Dans la garde-robe, quelques tenues s’offraient à son choix. Kelly en prit une au hasard. A vrai dire, son esprit était ailleurs. Le cœur gonflé de joie, Kelly chantonnait en pensant à la réponse de Brant. Personne n’était venu ici avant elle ! Aucun souvenir de femme aimée ne hanterait ces lieux. Seuls, Brant et elle y connaîtraient un bonheur sans nuages.
Pendant une semaine, Kelly et Brant passèrent des moments inoubliables. Bains de soleil sur la plage privée, déjeuners exquis dans les restaurants avoisinants, visites des sites les plus merveilleux de la région... Un jour, Brant l’emmena au Parc des Everglades, dans les marécages, royaume des oiseaux exotiques et des alligators. Kelly en revint fascinée par la beauté de ce lieu à la fois dangereux et paisible.
A leur retour, Brant alla dans son bureau, pendant que Kelly préparait des cocktails qu’elle servit dans le salon. Installée confortablement dans le sofa, ses longues jambes bronzées appuyées sur l’accoudoir, Kelly se laissait aller au bien-être en sirotant un jus de fruits. Sans bruit, Brant entra dans la pièce. Son regard s’arrêta longuement sur Kelly. Sa peau hâlée, ses cheveux blonds éclaircis par le soleil lui donnaient une mine superbe. Elle était ravissante dans sa robe jaune et rayonnait de joie de vivre. Inconsciente d’être examinée, Kelly leva soudain les yeux vers son mari.
— Brant, tu étais là... Veux-tu boire quelque chose ? Merci pour cette journée. C’était vraiment merveilleux. Si nous allions jusqu’à Disney World demain ?
— Hélas, ce n’est pas possible, ma chérie. J’ai reçu une télécopie, tout à l’heure. Nous devons rentrer dès demain. La date du procès Sharman a été avancée. Susanna devait s’occuper de la préparation du dossier. Elle l’a fait, mais ne se sent pas capable de plaider à ma place. Ce cas est trop complexe pour une débutante. Nous prendrons le premier avion pour Toronto dès demain.
— Oui, je vois..., répondit Kelly d’une voix contrariée. Je suppose qu’il n’y a aucune autre solution.
Sa déception était vive. Brant vint s’asseoir à côté d’elle. D’une caresse sur sa chevelure blonde, il essaya de chasser son expression de tristesse.
— Nous reviendrons ici très bientôt, et je t’emmènerai où tu voudras. Je te le promets, Kelly.
Pourquoi fallait-il que leur lune de miel prenne fin ? Les yeux fermés, Kelly pensait à leur retour au Canada. De nouveau, elle n’occuperait qu’une place insignifiante dans la vie de Brant. Bien après ses affaires, et puis, bien sûr après... Susanna Winters. Le nom de cette femme avait fait frémir Kelly. Susanna avait donc gagné, elle avait réussi à gâcher ces moments de bonheur parfait qui retenaient Brant loin d’elle. Par dépit, Kelly feignit l’indifférence.
— Aucune importance, Brant. En réalité, je suis *******e de rentrer. Le bureau commençait à me manquer.
— Quel zèle !
Le ton amer de cette remarque échappa à Kelly. Brant se dirigeait vers son bureau.
— Je dois passer un coup de téléphone.
— A qui ? demanda Kelly avec inquiétude.
— A Susanna Winters. Il faut que je la prévienne de notre retour.
— Je suis sûre que cela va beaucoup la soulager. Ton absence a dû la rendre malade.
Kelly n’avait pu éviter le sarcasme. Brant avait-il compris que Kelly était folle de jalousie dès qu’elle entendait parler de Susanna ?
— Il n’y aura personne au bureau, fit-elle remarquer en regardant sa montre.
— Oui, je l’appelle chez elle.
Sans aucune hésitation, Brant composa le numéro de téléphone personnel de Susanna. Il devait l’appeler souvent pour le connaître si bien.
— Allô, Susanna. Brant à l’appareil, dit-il d’une voix enjouée. Non, vous avez bien fait de m’envoyer un message... Ici ? Tout va bien. Kelly et moi visitons la Floride.
Décidément, on aurait dit de vieux amis ! En tout cas, cette conversation faisait visiblement plaisir à Brant, qui souriait à chaque phrase de son interlocutrice.
— Je n’ai pas encore eu le temps d’étudier les ********s. Apparemment vous avez fait du très bon travail. Nous verrons cela demain ensemble...
Excédée, Kelly quitta la pièce. Les portes vitrées coulissèrent sans bruit et elle sortit sur la terrasse. L’air de la nuit était chaud. Ce qu’elle venait d’entendre lui donnait le vertige. Retirant ses chaussures d’un coup de pied, elle décida de descendre jusqu’à la plage obscure.
Par intermittence, la lune émergeait des nuages, éclairant d’une lueur irréelle l’immense étendue de sable. Kelly longeait le rivage et se laissait bercer par le bruit de vagues. Elle s’arrêta et fixa l’horizon. Sa haine pour Susanna venait d’être ravivée par cette conversation téléphonique. Sa jalousie, Kelly ne parvenait pas à la vaincre ni à se raisonner. Car après tout, ce que Brant avait dit était parfaitement vrai : si le procès Sharman était avancé, leur séjour devait être écourté ; de plus, que Susanna et Brant travaillent ensemble sur ce procès était absolument normal ; et puis, il n’y avait rien de surprenant à ce que Brant connaisse son numéro par cœur puisqu’ils s’étaient fréquentés quelque temps. Et pourtant, Kelly ne se dominait plus. De quoi parlaient-ils en ce moment ? Le souvenir de la conversation surprise à l’hôtel revint à son esprit. A coup sûr, ce message sur la télécopie n’était qu’un pré****e. Tout simplement Brant voulait retrouver son ancienne maîtresse. La lumière de la lune se mit à vaciller dans ses yeux embués de larmes.
— Kelly ?
La voix grave de Brant venait de rompre le silence. Elle se retourna. Il se tenait à deux pas derrière elle. L’obscurité le faisait paraître plus grand, sa silhouette athlétique le rendait impressionnant.
— Je suis désolé que nos vacances soient interrompues...
— Ce n’est grave. Finalement ça tombe bien. Je commençais à m’ennuyer un peu.
— Je ne m’étais pas rendu compte que je t’ennuyais, reprit Brant, blessé.
— Ce n’est pas toi, mais tu sais, à force de rester tous les deux, on se lasse. C’est inévitable. Alors, retourner à Toronto, retrouver nos amis...
Kelly ne pensait pas un mot de ce qu’elle disait. Consciente qu’elle allait tout gâcher, elle ne pouvait s’empêcher de prononcer ces paroles amères.
— Tu penses à quelqu’un en particulier parmi tes amis ? demanda-t-il froidement.
— Non... Si tu permets, Brant, je vais aller me coucher.
Déjà elle allait partir quand Brant la retint par le bras.
— Non, je ne permets pas ! Moi, je regrette que nous devions partir. J’aurais aimé prolonger notre séjour pour essayer de te guérir de ta lassitude. De quoi as-tu besoin ? D’une existence plus palpitante, de sensations fortes ?
De sa main libre, il avait commencé à défaire les boutons de sa robe.
— Brant, que fais-tu ? s’écria-t-elle en se débattant.
— Tu ne le devines pas ?
— Pas ici ! Tu ne peux pas !
— Et pourquoi pas ? C’est une plage privée. J’ai le droit de faire ce que je veux.
— Non, je t’interdis...
En vain le repoussait-elle. Brant était le plus fort. La robe de Kelly était à demi déboutonnée. De toutes ses forces, elle fit une dernière tentative pour se libérer. A sa grande surprise, Brant la lâcha. Dans son élan, Kelly perdit l’équilibre et tomba sur le sable. Aussitôt Brant se mit à genoux et l’empêcha de se lever.
— Tu me fais mal !
— Excuse-moi.
— Tu es complètement fou, Brant.
Soudain Kelly n’avait plus aucune envie de se débattre. Entre ses mains, elle n’était qu’un jouet qu’il savait manipuler à sa guise. Comment avait-il réussi à faire d’elle une poupée docile ? Les lèvres de Brant vinrent se poser sur les siennes et elle cessa tout à fait de se questionner. Les derniers boutons de sa robe avaient cédé. Les mains de Brant se promenèrent sur son ventre, sur sa poitrine nue. Le désir la livrait tremblante de bonheur à ses moindres caprices.
— Alors, Kelly ? murmura-t-il. Te sens-tu toujours aussi fatiguée de moi ?
Incapable de répondre, Kelly se laissait enivrer par l’ardeur de ses baisers. Bientôt, on n’entendit plus que le murmure des vagues sur le rivage auquel se mêlait le soupir des amants enlacés.

Un mois s’était écoulé depuis leur retour de Floride. A l’autre bout de la table du petit déjeuner, Kelly jetait un coup d’œil anxieux vers Brant. Occupé à ouvrir son courrier, il l’ignorait totalement. Le jour, il incarnait parfaitement l’avocat rigoureux et célèbre dont parlaient les journaux. Il n’avait plus rien du mari tendre qui tenait sa femme dans ses bras pendant leurs nuits d’amour. D’ailleurs, ces derniers temps, l’amour semblait avoir déserté leur couple.
Depuis un mois, Brant avait été très soucieux. Le procès Sharman se révélait une affaire difficile et réclamait toute son attention. Brant avait réussi à retarder le procès car il avait découvert un nouvel élément déterminant. Tous les soirs, il veillait tard pour revoir les dossiers. Son humeur se ressentait de ce surcroît de travail.
— Brant ? Pourquoi ne prendrais-tu pas quelques jours de repos ? suggéra-t-elle soudain. Et si nous partions, ce week-end ?
— Impossible, répliqua-t-il sans même lever les yeux.
— Tu ne peux pas continuer à ce rythme, Brant. Si je pouvais t’aider...
— Je dispose de toute l’aide nécessaire. Merci quand même !
— Ce n’est rien, murmura Kelly tristement. Au cas où...
Brant ne l’écoutait plus. La lecture de sa lettre absorbait toute son attention. Bien sûr qu’il n’avait pas besoin de Kelly puisque Susanna Winters l’assistait en permanence. C’était probablement cette idée qui mettait son moral au plus bas. Depuis quelques jours, Kelly ressentait un indéfinissable malaise, à la fois physique et affectif. Sans doute ses angoisses provenaient-elles de cette situation intenable.
Toutefois, Kelly avait besoin de l’avis de son médecin.
Comment s’absenter du bureau sans que Brant le sache ?
Voilà la question qu’elle se posait. A cet instant, Helen Harcourt fit son apparition.
— Bonjour ! lança-t-elle.
Comme toujours, elle avait le sourire aux lèvres. La bonne humeur perpétuelle d’Helen Harcourt faisait chaud au cœur de Kelly.
— Bonjour, Helen, répondit Kelly en se levant pour servir sa belle-mère.
— Restez où vous êtes, Kelly. Je vais me servir moi-même. Ne vous dérangez pas pour moi.
— Ça ne me dérange pas du tout...
— Je sais bien, mais vous me donnez de mauvaises habitudes et si vous me gâtez trop, je n’aurai jamais le courage de regagner l’Angleterre. Vous risqueriez de ne jamais vous débarrasser de votre belle-mère.
Les deux femmes se sourirent amicalement. En fait, la présence d’Helen était un véritable bienfait pour Kelly. Tous les soirs où Brant restait cloîtré dans son bureau, Helen lui tenait compagnie et l’empêchait de souffrir de la solitude. De plus, par sa gentillesse, elle apaisait les tensions qui régnaient dans le jeune couple.
— Je n’ai absolument pas envie de me débarrasser de ma belle-mère ! Au contraire, j’aimerais que vous restiez encore un peu...
— Oui, maman. Pourquoi pas ? renchérit Brant.
— Ecoute, Brant, depuis la mort de ton père, j’ai pris l’habitude de vivre seule. C’est en Angleterre que se trouvent mes sœurs et mes amis. Le jour où j’aurai des petits-enfants, Kelly, vous pouvez être sûre que je reviendrai...
— Dans ce cas, il te faudra attendre longtemps.
Les paroles cruelles de Brant touchèrent Kelly en plein cœur. Brant était devenu très dur avec elle, sans qu’elle comprenne pourquoi.
— Ne dis pas de bêtises, Brant, répliqua Helen. Kelly, vous ne mangez rien. Vous savez, le petit déjeuner doit être copieux.
— Je n’ai pas très faim, Helen. D’ailleurs, je ne peux pas avaler grand-chose le matin.
Avant qu’elle ait pu l’en empêcher, Helen lui versait une tasse de café frais. L’odeur lui souleva le cœur. Ces derniers temps, la nausée ne la quittait pas.
— Vous allez bien, Kelly ? demanda Helen, effrayée par sa pâleur.
— Oui, oui. C’est juste que le café m’écœure en ce moment, je ne sais pas pourquoi.
— Voulez-vous un jus de fruits ?
— Volontiers. Merci, Helen.
A bout de forces, Kelly se laissa servir.
— Kelly, tu devrais prendre une journée de repos, suggéra Brant brusquement. Tu n’as pas l’air en forme.
— Excellente idée, s’exclama Helen. Ça vous fera du bien de rester à la maison.
— Parfait ! Je vois que tout est réglé. Je vous laisse, annonça Brant en se levant.
— Non, rien n’est réglé. J’ai bien trop de travail pour pouvoir m’offrir une journée de congé ! riposta Kelly en se rebellant.
Brant lui jeta un regard froid. Il semblait sur le point de protester mais se *******a de répondre :
— Comme tu voudras.

Plus tard, assise devant son bureau, Kelly se mordait les doigts d’avoir été si stupide. Brant lui avait fourni une occasion de consulter son médecin en toute tranquillité et elle l’avait refusée ! Plus la matinée avançait, plus elle se sentait mal. En appuyant sur son Interphone, Kelly appela sa secrétaire.
— Maggie, j’ai combien de rendez-vous prévus pour cet après-midi ?
— Cinq. M. Woods, M. Kemp...
— Très bien, Maggie. Pourriez-vous me passer une ligne extérieure ?
Sur son carnet, Kelly chercha le numéro de son médecin. Peut-être pourrait-il la prendre à l’heure du déjeuner ? Heureusement, l’emploi du temps du médecin n’était pas complet. Il pouvait le recevoir à 1 h 30.
— Kelly ? Est-ce que je te dérange ?
C’était Daniel qui venait d’entrer.
— Non, Daniel, bien sûr que non. Assieds-toi, je t’en prie.
Daniel avait l’air en pleine forme. Elégant, comme à son habitude, il portait un costume gris à rayures dessiné par un couturier à la mode. Il s’assit nonchalamment dans un fauteuil de cuir.
— Alors, Kelly, tu vas bien ? Je viens te voir pour te demander si tu as réfléchi à mon offre pour la maison de ton grand-père ?
— Excuse-moi, ça m’est complètement sorti de l’esprit !
— Je ne suis pas pressé. Mais est-ce que je pourrais emprunter tes clés et jeter un coup d’œil sur la maison ?
— Bonne idée !
Dans son sac, Kelly prit le trousseau qui contenait les clés de son ancien appartement et celles de la vieille demeure. Elle le tendit à Daniel.
— Elle t’intéresse toujours autant ?
— Oui. J’en ai assez de ma garçonnière.
— Cela signifie que tu te lasses de ta vie de célibataire ?
— Quelle question !
Le téléphone se mit à sonner. Kelly le décrocha et se présenta d’une voix enjouée..
— Tu as l’air de bonne humeur, Kelly, remarqua Brant. Je t’appelais pour t’inviter à déjeuner.
Surprise, elle resta un instant sans voix. Depuis leur mariage, les invitations de Brant s’étaient faites rares. Pourquoi fallait-il que cela tombe aujourd’hui ? Il était impossible pour elle d’annuler son rendez-vous. Prise de court, elle inventa une excuse.
— Je suis désolée, Brant. Daniel vient de m’inviter. Nous devons discuter de différentes choses...
— Très bien. Ce sera pour une autre fois, interrompit-il sèchement. A ce soir.
Et il raccrocha. Soucieuse, Kelly reposa le combiné.
— Alors, Kelly ? Où allons-nous déjeuner ?
— Navrée d’avoir inventé cette histoire idiote ! J’ai un rendez-vous en début d’après-midi et je ne voulais pas en parler à Brant.
— Oh, oh ! De quoi s’agit-il ?
Kelly hésita. Ce qu’elle ne voulait pas dévoiler à son mari, elle ne voulait pas non plus que Daniel le sache. Mais si elle ne lui expliquait pas ce mystère, il imaginerait n’importe quoi.
— Eh bien, voilà : je dois faire un cadeau à Brant et je comptais l’acheter cet après-midi.
— Ne t’inquiète pas, je garderai le secret.
— Merci, Daniel, tu es gentil.
— Je vais profiter de l’heure du repas pour aller voir la maison de Jœ. Et rassure-toi, je serai discret.
Après sa visite chez le médecin, Kelly ne retourna pas au bureau. Elle appela Maggie pour l’avertir qu’elle rentrait chez elle.
Heureusement, à la maison, Helen était absente. Kelly ne voulait parler à personne. Elle monta directement dans sa chambre et se glissa entre les draps. Alors elle s’abandonna au chagrin qu’elle avait réussi à contenir jusque-là. Sanglotante, tremblante d’angoisse, Kelly resta prostrée dans sa chambre obscure pendant de longues heures.

 
 

 

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Chapitre8


Kelly se réveilla en sursaut. Dans la chambre, le jour avait baissé. C’était la fin de l’après-midi. En se redressant, Kelly alluma sa lampe de chevet et se prit la tête entre les mains. Elle se rappelait la visite chez le Dr Michaels.
Que faire ? D’abord se calmer et ensuite réfléchir à la situation. Le médecin n’était sûr de rien. Il avait besoin, pour se prononcer, des résultats des tests de grossesse. Alors, inutile de s’affoler !
Kelly se leva et enfila un kimono de soie blanche. Devant sa coiffeuse, elle s’examina avec attention. Ces quelques heures de sommeil lui avaient fait beaucoup de bien. Ses traits étaient reposés. Elle avait l’air en pleine forme. Alors, au diable les hypothèses du Dr Michaels ! Pour émettre son diagnostic, il ne s’était fondé que sur l’état de fatigue de la jeune femme. Oui, il s’était probablement trompé. Pourtant Kelly n’était pas complètement rassurée. Lundi seulement elle saurait la vérité. Dans un soupir d’anxiété, Kelly quitta sa chambre.
Ravissante dans une robe de cachemire bleu, Kelly descendit dans le salon. Un coup d’œil dans la glace du couloir lui renvoya le reflet d’une jolie jeune femme à la taille fine. Soudain, les paroles du médecin lui revinrent à la mémoire. Et s’il avait raison ? Sa silhouette trahirait bientôt son secret et Kelly ne pourrait plus rien cacher à Brant. Sans aucun doute, sa réaction serait violente. Ne lui avait-il pas fait comprendre qu’il ne souhaitait pas d’enfants ? Alors, qu’allait-il se passer ?
Silencieuse et obscure, la maison était déserte. Helen n’était toujours pas rentrée. Kelly attendait son retour avec impatience. Elle avait besoin de sa sollicitude et de sa gentillesse. Bien sûr, il ne s’agissait pas de lui confier ses problèmes, mais de trouver réconfort et affection auprès de la vieille dame.
Depuis le salon, Kelly regardait dans le parc. En plein cœur de l’hiver, les arbres s’étaient dépouillés de leurs feuilles. Ces formes décharnées, lugubres sous le ciel plombé, inspiraient plutôt la mélancolie. D’un coup sec, Kelly tira les rideaux. Après avoir allumé le lampadaire, elle s’agenouilla devant le foyer. Une étincelle mit le feu aux fagots qui commencèrent à brûler sous les bûches. Puis, installée dans le sofa, Kelly resta les yeux fixés sur les flammes orangées et bleues qui dansaient dans la cheminée.
En ces moments de désarroi, un être lui manquait plus particulièrement : sa mère. Elle aurait su rassurer Kelly, la consoler aussi. Car Kelly n’avait personne à qui se confier et il était dur de garder pour soi toutes ses peines. Dans un éclair, elle se rappela la soirée délicieuse passée en compagnie de Brant dans ce même salon, à la lueur d’un feu de cheminée. Ce soir-là, Brant lui avait fait entrevoir un aspect de sa personnalité qui l’avait séduite. Ce soir-là, Kelly était tombée éperdument amoureuse de lui. Comme ce temps lui paraissait loin ! Depuis, sa vie avait été bouleversée. Elle avait changé de nom, de maison, et même de travail, puisqu’elle était considérée désormais comme une associée et non plus comme une débutante. Une seule chose n’avait pas changé : son amour désespéré pour Brant.
Lui, de son côté, s’était éloigné d’elle. Après la fin de leur lune de miel, Brant avait adopté une attitude distante, polie mais sans tendresse, ils se comportaient comme deux étrangers. Oui, leur couple était un échec...
Soudain, le bruit d’un moteur parvint à son oreille. Kelly regarda l’horloge : 5 heures. Ce ne pouvait être qu’Helen. Jamais Brant ne rentrait si tôt. La porte de l’entrée s’ouvrit et se referma hâtivement.
— Je suis dans le salon, Helen, s’écria Kelly.
Mais ce fut Brant qui apparut sur le seuil, l’air furieux.
— Brant ! Quelle surprise !
— Où étais-tu cet après-midi ? demanda-t-il, l’air furibond.
Que répondre ? Son entrevue avec le Dr Michaels devait rester secrète. Quant à son arrangement avec Daniel, il n’expliquait pas son absence de plusieurs heures.
— Pardonne-moi mon absence. J’ai annulé tous mes rendez-vous parce que je ne me sentais pas bien et j’ai préféré rentrer à la maison.
— Tu mens très mal, Kelly !
Un bref instant, elle se demanda s’il avait appris qu’elle s’était rendue chez son médecin. Maggie aurait pu le lui dire... Non, c’était impossible.
— Je ne mens pas, Brant.
— Alors peux-tu m’expliquer ce qui se passe ?
Brant semblait sur le point de se mettre réellement en colère. Jamais Kelly ne l’avait vu perdre son sang-froid. Elle frémissait à l’idée qu’il puisse s’emporter contre elle.
— De quoi parles-tu ? J’ai juste attrapé la grippe ou un mauvais rhume.
— Cela ne t’a pas empêchée de déjeuner avec Marsden.
Brant la prenait à son propre piège.
— Eh bien, en fait, j’ai annulé le déjeuner et je suis rentrée directement ici...
— C’est étrange. Quand Daniel est revenu au bureau, à 4 heures, il m’a dit qu’il avait fait un très bon déjeuner en ta compagnie.
Cette fois, elle était perdue. Jamais elle n’aurait dû lui cacher la vérité.
— Très bien, j’avoue, dit-elle se se levant. J’ai pris mon après-midi. Enfin, ce n’est pas un crime ! De toute façon, je t’assure que cela ne se reproduira pas.
Dans les yeux noirs de Brant, Kelly lut comme une expression de mépris et de suspicion. Pendant une minute, il l’observa en silence.
— Cela dure depuis combien de temps ?
— Quoi donc ? demanda-t-elle, perplexe.
— Kelly, cesse de jouer l’innocente ! Je suis au courant de ta liaison avec Daniel Marsden.




— Ma liaison avec... Mais qui t’a mis cette idée absurde dans la tête ? Il n’y a rien entre...
— Inutile de le nier, Kelly. Le problème n’est pas là et, de toute façon, je m’en moque. Par contre, j’aimerais que tu sois plus discrète. Je ne tiens pas à entendre des rumeurs désagréables au bureau.
— Je vois...
Une fois de plus, les paroles de Brant ruinaient toutes ses espérances et la livraient au désespoir.
— Excuse-moi si je te laisse, Kelly. Je vais à un dîner d’affaires, ce soir, et je dois aller me préparer.
Sans se retourner, Brant quitta la pièce, en laissant Kelly accablée. Retenant ses larmes, elle s’affaissa dans le canapé. L’indifférence de Brant la mettait au supplice. Pourquoi l’avait-il épousée s’il la méprisait à ce point ? Les actions McConell valaient-elles ce sacrifice ?
— Ah ! vous voilà, Kelly !
En entendant la voix d’Helen, Kelly se retourna et esquissa un sourire.
— Bonsoir, Helen !
— Vous êtes rentrée plus tôt que d’habitude ?
— Oui, en fait j’ai passé tout l’après-midi ici. Je n’étais pas très bien.
Helen vint s’asseoir auprès de sa belle-fille, l’air soucieux.
— C’est vrai que vous êtes pâle, Kelly. Vous devriez vous ménager un peu plus.
Gênée et émue par autant de gentillesse, Kelly détourna la conversation.
— Vous êtes allée en ville faire quelques courses ? questionna-t-elle.
— Oui, je me suis acheté une jolie veste. Et quand j’ai aperçu cette charmante robe de soie, j’ai pensé à vous, Kelly.
En parlant, elle avait sorti d’un paquet une élégante robe rouge et noire. Ravie, Kelly se leva et vint embrasser sa belle-mère.
— Helen, vous n’auriez pas dû ! Elle est magnifique !
Devant une psyché qui ornait le salon, Kelly tenait la robe à sa hauteur pour voir l’effet qu’elle produisait sur elle. A ce moment, Brant entra dire bonsoir à sa mère. La nouvelle robe attira son regard, mais il ne fit aucun commentaire.
— Bonsoir, maman, as-tu passé une bonne journée ?
— Oui, très bonne. Dis-moi, que penses-tu de la robe de Kelly ? Elle sera ravissante dans cette tenue, non ?
Le regard attentif de Brant se posa sur Kelly. Rien ne lui échappa : la pâleur inhabituelle, les yeux rougis... Une furtive lueur d’inquiétude traversa son regard.
— Quelle que soit la robe, Kelly est toujours ravissante, finit-il par dire.
Bizarrement, ce compliment ne fit aucun plaisir à Kelly. Sans oser le lui demander, elle brûlait de savoir où Brant se rendait... et avec qui.
— Penses-tu rentrer tard ? demanda Kelly.
— Probablement. Ne m’attendez pas. Bonne soirée.
Et il partit. Quand la porte se referma derrière lui, Kelly eut besoin de tout son courage pour dissimuler sa souffrance à sa belle-mère.
Grâce à Helen, à ses anecdotes, à sa gaieté, la soirée fut agréable. Cependant, Kelly ne pouvait s’empêcher de consulter sans cesse sa montre. Que faisait Brant en ce moment ?
A 10 heures, Kelly alla se coucher. Allongée sur son lit, elle ne trouvait pas le sommeil. Des images, des scènes torturaient son esprit : Brant était dans les bras de Susanna, il l’embrassait ; tous deux riaient aux éclats et se moquaient d’elle. Evidemment, l’idée que Kelly puisse avoir une liaison avec Daniel arrangeait Brant : cela lui permettait de voir Susanna sans mauvaise conscience.
A 11 h 30, Kelly entendit Helen monter dans sa chambre. La maison devint silencieuse. Kelly attendait toujours. Enfin, à minuit, la voiture de Brant entra dans le parc. Mais il ne vint pas rejoindre sa femme. Jusqu’au petit matin, Kelly resta éveillée dans l’espoir qu’il vienne la retrouver. En vain. Epuisée, elle finit par sombrer dans un sommeil agité.
Le bruit de la porte la réveilla, Kelly se redressa sur son lit.
— Brant ?
— Non, Kelly, c’est Helen. Excusez-moi de vous avoir éveillée. Je voulais voir si vous alliez bien.
— Oui, oui. Tout va bien.
Elle mentait. Une migraine épouvantable la faisait souffrir.
— Quelle heure est-il ?
— Près de 11 heures, répondit Helen en déposant un verre de jus d’orange à côté d’elle.
— C’est vrai ? Mais je ne me lève jamais si tard !
— Nous sommes samedi alors vous avez bien le droit de faire la grasse matinée ! Vous en aviez besoin. D’ailleurs, vous semblez en meilleure forme qu’hier.
D’un coup d’œil, Helen vit que Brant n’avait pas dormi ici, car, de son côté du lit, les draps n’étaient pas froissés. Par discrétion, elle ne fit aucune remarque.
— Kelly, je crois que vous et Brant travaillez trop. Quand je me suis levée, à 8 heures, il était déjà dans son bureau.
— Il y a passé la nuit, Helen. Le procès Sharman a lieu la semaine prochaine. Brant revoit tous ses dossiers pour être fin prêt.
Ce n’était pas tout à fait la vérité. Kelly avait la certitude que Brant n’était pas venu se coucher parce qu’il ne souhaitait pas dormir auprès d’elle.
— Lorsque ce procès sera terminé, je vous suggère de prendre tous les deux quelques jours de repos. Vous savez, continua Helen en lui prenant la main, contrairement à ce qu’on imagine souvent, les premières années du mariage ne sont pas les plus faciles. Il y a une période d’adaptation que l’on vit plus ou moins bien. Chacun doit s’habituer à l’autre et ce n’est pas toujours facile.
— Oui, Brant et moi avons quelques difficultés...
— C’est normal, Kelly, ne vous inquiétez pas pour cela. Vous vous aimez, et c’est cela le plus important. Ces problèmes seront passagers.
— Vous croyez ? demanda Kelly, sceptique.
— J’en suis certaine. Mais pour cela, il faut que vous vous retrouviez seuls, en tête à tête. C’est pour cette raison que je prends l’avion demain. — Oh ! non, Helen. Restez encore un peu.
— Pas question, Kelly. Et en plus, l’hiver s’installe. D’ici peu, la région sera couverte de neige. Je préfère retrouver le climat plus doux de ma chère Angleterre.
Le sourire aux lèvres, Helen se leva et laissa Kelly se reposer.

Le lendemain, Brant et Kelly accompagnèrent Helen jusqu’à l’aéroport. Restés seuls, ils se dirigèrent vers le parking.
— Je déteste les adieux, avoua Kelly.
Brant gardait le silence. Le départ de sa mère devait le peiner, lui aussi, certainement encore plus qu’elle-même. Dans un élan de tendresse, la jeune femme le prit par le bras.
— Et si nous allions déjeuner ensemble quelque part ?
— Je dois me rendre au bureau, désolé...
Kelly quitta son bras. La froideur de Brant la blessait. A l’exception de sa mère, il semblait n’aimer personne, surtout pas elle.
— Brant, même le premier ministre prend le temps de déjeuner et de dormir !
— Tu ne m’as pas compris, Kelly. Je ne souhaite pas déjeuner avec toi.
L’émotion lui noua la gorge et elle ne prononça pas un mot jusqu’à la voiture. Elle attendit qu’il ait démarré.
— Très bien, Brant. Peux-tu me dire quels sont tes projets ?
— Je vais te déposer à la maison et...
— Je ne parle pas de ça, Brant.
La coupe était pleine. Furieuse, Kelly avait décidé d’affronter enfin son mari.
— Tu refuses de me consacrer un peu de ton temps. Depuis plusieurs nuits, tu ne dors plus avec moi. Je suppose que tu as choisi de faire chambre à part ? Cela a-t-il un rapport avec ma prétendue liaison avec Daniel Marsden ou bien en as-tu simplement assez de moi ?
Le visage de Brant restait de marbre.
— Tu m’avais dit toi-même que tu t’ennuyais en ma compagnie, tu t’en souviens ? C’était pendant notre lune de miel.
Kelly se détourna. Elle n’avait rien à ajouter. Jusqu’à la maison, ils n’échangèrent plus une parole. Kelly avait réussi à retenir ses larmes. Avant de sortir de la voiture, elle trouva la force de préciser :
— Brant, il n’y a rien entre Daniel et moi.
Brant se *******a de répondre par un regard empli de défi.
— Tu t’es empressé de croire à cette histoire simplement parce que cela te permettait de reprendre ta liberté, de faire ce que tu veux avec qui tu veux !
— Tu te trompes, Kelly... Enfin, excuse-moi ; je dois partir, j’ai un rendez-vous.
Brant tendit le bras et ouvrit la portière à la jeune femme. Sur le seuil de sa maison, le cœur brisé, Kelly regarda la Rolls s’éloigner à vive allure.

Le lundi matin, dès son arrivée au bureau, Kelly se précipita sur le téléphone pour appeler le Dr Michaels.
— Ah ! Kelly, j’ai une bonne nouvelle pour vous. Les résultats des tests sont arrivés aujourd’hui. Je suis heureux de vous annoncer que vous êtes enceinte.
— Je suis...
— Oui, félicitations ! Je vais vous passer ma secrétaire et vous pourrez prendre un autre rendez-vous. A très bientôt.
— Oui, bien sûr. Merci, docteur.
Quand elle reposa le téléphone, Kelly resta un instant le regard perdu dans le vide, au bord du vertige. Le médecin était formel, elle était enceinte. Kelly avait l’impression que le monde allait s’écrouler autour d’elle.
La nuit précédente, une insomnie l’avait tenue éveillée. Elle avait réfléchi à ce qui se passerait si elle attendait un enfant. Il était clair que Brant la rejetterait plus durement encore. Doucement Kelly plaça les mains sur son ventre. Elle désirait cet enfant, quoi qu’il puisse advenir. S’il le fallait, elle braverait son mari. Tout cet amour qu’il dédaignait, elle le reporterait sur leur enfant. Mieux valait attendre encore quelque temps. Une ou deux semaines de sursis lui semblaient nécessaires.
— Kelly, c’est l’heure de votre premier rendez-vous. Mme Woods est là. Puis-je la faire entrer ? annonça Maggie dans l’Interphone.
— Oui, merci.
Recouvrant sa sérénité, Kelly sortit le dossier Woods et accueillit sa cliente avec le sourire.

 
 

 

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Chapitre 9


par l’Interphone. Il est 6 h 30.
— Oui, bien sûr, Maggie ! Excusez-moi de vous avoir retenue si tard. Je ne m’étais pas rendu compte que l’heure avait tourné.
— Ce n’est rien, mais il faut que je rentre. Je dois me préparer pour la réception de ce soir. A ce soir !
— Oui, à ce soir.
Se replongeant dans son travail, la jeune femme essaya de retrouver un peu de concentration. On était déjà en décembre. Noël approchait et l’humeur générale était à la fête. Brant avait choisi ce soir-là pour organiser le réveillon de la société, car un prochain voyage à Vancouver l’empêchait d’être présent à la fin du mois. Et cette date n’arrangeait pas exactement Kelly. Le rythme affolant du travail, la tension professionnelle et l’animosité de Brant l’avaient épuisée physiquement et moralement.
Aïe ! Kelly venait de faire une erreur dans la lettre qu’elle rédigeait. Il fallait la recommencer. Décidément, aujourd’hui, tout allait de travers ! Dès ce matin, la journée avait débuté par un réveil difficile, avec vertiges et nausée. Depuis trois semaines qu’elle était enceinte, sa forme physique n’était pas des plus brillantes. C’était normal, avait dit le médecin. Heureusement, la perspective d’avoir un enfant lui apportait une certaine sérénité et la force dont elle avait besoin pour endurer ces difficultés.
Dans le couloir, deux employées se disaient bonsoir et se donnaient rendez-vous pour la soirée. Bientôt l’immeuble serait vide. Elle se remit à écrire. Plus tôt elle aurait fini, plus tôt elle pourrait rentrer chez elle. « Chez elle »... Ces mots ne lui paraissaient plus si étranges. Car, maintenant, Kelly se sentait parfaitement chez elle dans la grande maison de Brant. Oui, même si lui-même semblait éviter sa présence et se comportait toujours avec distance et froideur. Ces derniers jours, elle l’avait à peine aperçu. Le procès Sharman poursuivait son cœurs. Brant était accablé de travail. Tous les matins, il partait avant qu’elle se lève et le soir, il restait enfermé dans son bureau. A quelques occasions, il était venu dormir avec elle, mais sans lui parler ni la toucher. Ces nuits-là étaient pour Kelly un véritable supplice. Elle mourait d’envie de se blottir dans les bras de son mari, tout en sachant que la moindre tentative d’approche serait repoussée.
D’une certaine façon, la situation avait un bon côté : si Brant avait été plus présent et plus attentif, il aurait remarqué combien Kelly était malade à chaque réveil. Nausées, étourdissements étaient son lot quotidien. Dans ces conditions, il aurait été impossible de lui cacher son état.
D’un coup d’œil, Kelly parcourut ce qu’elle venait d’écrire.
— Oh ! Zut !
— Tu as des problèmes ?
Brant venait d’entrer dans son bureau. Son irruption la fit sursauter.
— Brant ! Je pensais que tu étais déjà rentré.
— J’allais te dire la même chose. Que penserais-tu d’une hôtesse qui serait en retard à une soirée qu’elle a elle-même organisée ?
La montre de Kelly indiquait 7 heures. Brant avait raison. Les invités allaient arriver vers 8 heures. Il était temps de quitter les bureaux.
— Je ne serai pas en retard, Brant. Et puis, comme tu me l’as fait remarquer la semaine dernière, mon rôle se résume à jouer à la maîtresse de maison, à enfiler une jolie robe et à accueillir les invités avec le sourire.
L’amertume dictait ses paroles. Lorsqu’il lui avait fait cette remarque, Brant l’avait blessée. Il ne s’agissait pas pour Kelly de jouer un rôle, de jouer à être sa femme. Elle était sa femme et ne tenait pas faire de leur couple une vaine mascarade.
— Kelly, si j’ai dit cela, c’était pour que tu comprennes que cette réception ne représenterait pas un surcroît de travail pour toi. Je ne voulais pas t’humilier. Allez, viens, je t’emmène. Tu as trop travaillé ces temps-ci, et tu as l’air fatiguée.
La douceur inattendue de sa voix la bouleversa. Pourquoi une telle sollicitude ? Brant l’aida à mettre son manteau, lui donna son sac et ses gants. Kelly se laissa faire quand il la prit par les épaules et l’entraîna jusqu’au parking. Il était rare que Brant la raccompagne en voiture. D’habitude, ils rentraient séparément, Kelly dans son coupé, Brant avec sa Rolls. Ce soir, la fatigue de Kelly était telle qu’elle n’aurait pas eu la force de conduire. Surtout qu’il avait neigé et que la route était dangereuse. Dans le siège de cuir, Kelly s’installa confortablement.
— Comment vont les affaires de notre société immobilière ? demanda-t-elle.
— Elles vont plutôt bien.
— Et le directeur que tu as engagé, fait-il du bon travail ?
— Oui.
Pour une fois, Brant ne souhaitait pas parler travail. Tous deux restèrent silencieux. Mais ce n’était plus le silence pénible et lourd de malentendus qui avait pesé sur eux ces dernières semaines. Non, ce soir, c’était différent. Fermant les yeux, Kelly s’abandonna à un bien-être qu’elle n’avait pas goûté depuis longtemps.
— Kelly ?
Elle ouvrit les yeux, sans bien savoir où elle se trouvait. Sa tête s’appuyait sur l’épaule de Brant.
— Kelly, réveille-toi, nous sommes arrivés.
Encore endormie, Kelly passa lentement la main dans ses cheveux.
— Tu vas bien, Kelly ?
Un éclair d’inquiétude traversa le regard de Brant.
— Oh ! Oui, c’est juste un peu de fatigue.
Les yeux de Brant ne la quittaient. L’impression de fragilité, de vulnérabilité qui se dégageait de la jeune femme le troublait.
— Si tu veux qu’on annule la soirée..., proposa-t-il.
— Non, Brant. Après une bonne douche, je serai en pleine forme.
— D’accord. Espérons que nos invités ne s’attarderont pas trop longtemps.
Quand ils arrivèrent, la maison bourdonnait d’activité. Dans la salle à manger, un somptueux buffet avait été dressé. Le meilleur traiteur de toute la ville s’en était chargé. Les mets, disposés avec art, semblaient succulents. D’immenses corbeilles de fruits exotiques égayaient les tables blanches. Rien n’avait été laissé au hasard. La décoration, guirlandes, sapins, bougies, donnait à la maison un joyeux air de fête qui émerveilla les deux arrivants.
— Ils ont réalisé un travail fabuleux ! s’exclama Kelly. Je reconnais à peine la maison que j’ai quittée ce matin. Il faut que j’aille féliciter Mme Wright.
— Plus tard. Va te préparer sinon tu ne seras jamais prête pour accueillir nos invités. Ne t’inquiète pas, je parlerai à Mme Wright pour toi.
Sous la douche, Kelly reprenait quelques forces. Dans son esprit, les événements de la journée défilèrent. En ce moment, elle s’occupait du cas de deux parents en instance de divorce qui cherchaient à obtenir la garde de leur fille de cinq ans. Le procès devait avoir lieu le lendemain matin. Dans le passé, Kelly avait toujours réussi à garder une certaine distance vis-à-vis des drames que vivaient ses clients. La pression aurait été impossible à supporter sans cela. Mais cette fois-ci, l’affaire la touchait plus particulièrement. Malgré ses efforts, Kelly avait été incapable de garder suffisamment de recul. Elle se sentait personnellement engagée dans cette affaire.
Prenant une serviette, Kelly commença à se sécher vigoureusement. La réception de ce soir lui pesait. Une bonne nuit de sommeil avant le procès aurait été bien utile. Enfin, au moins, cette soirée aurait le mérite de lui permettre de voir ses amis et de se détendre en leur compagnie...
Enveloppée dans un peignoir de velours, Kelly s’assit à sa coiffeuse. Une fois son bandeau ôté, ses cheveux se déployèrent sur ses épaules en vagues souples. Ils étaient superbes. Mais sur son visage, on lisait aisément les marques de fatigue laissées par toutes ces semaines de travail. Le Dr Michaels avait raison : il était temps pour Kelly de ralentir un peu son rythme et de s’occuper d’elle. Après l’affaire Wood, elle suivrait ces bonnes résolutions, mais après seulement. Pour l’instant, Kelly devait retrouver une bonne mine. Un léger fond de teint, un voile de blush. Voilà, le tour était joué !
Après avoir enfilé une combinaison de soie, elle ouvrit sa garde-robe. Sans hésiter, Kelly choisit la robe que lui avait offerte Helen avant son départ. Le rouge et le noir lui donneraient confiance en elle.
A peine avait-elle boutonné sa robe que Brant entra dans la chambre. Cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas retrouvés seuls, en tête à tête, dans leur chambre à coucher.
Le regard insistant de Brant se posa sur la jeune femme, sur son visage d’abord, puis sur les courbes douces de sa silhouette. Sous l’intensité de ces yeux, Kelly se sentait nue.
— Cette robe te va à ravir, Kelly.
Dans un sourire, un de ceux qui bouleversaient Kelly, Brant continua à la contempler.
— Je suis heureuse qu’elle te plaise.
Sa voix trahissait son émotion. Les mains tremblantes, elle ajustait les derniers boutons. Brant remarqua sa maladresse.
— Laisse-moi faire, jeta-t-il.
Sans difficulté, Brant boutonna sa robe. Puis, posant les mains sur les épaules de sa femme, Brant la garda près de lui. Dans le miroir, on apercevait l’image du couple idéal : une jolie jeune femme élégante et un bel homme à l’allure athlétique. On aurait pu croire qu’ils étaient heureux, pensa Kelly.
— Kelly, murmura Brant dans un souffle.
Ses lèvres vinrent déposer un baiser sur la nuque de Kelly. Ce baiser, attendu depuis des jours, déclencha en elle un torrent d’émotions. Elle se retourna. Un second baiser effleura le cou, l’oreille, puis enfin la bouche. Un frisson délicieux s’empara d’elle. Alanguie contre sa poitrine, Kelly se laissait enivrer par le plaisir de ces retrouvailles.
Les mains de Brant se promenaient le long de son corps. Ses caresses se faisaient plus pressantes. Brusquement, la main de Brant s’arrêta sur le ventre de la jeune femme. Une sensation violente, comme une joie trop forte, traversa Kelly. Dans un geste irraisonné, elle repoussa son mari de toutes ses forces.
— Kelly ! s’écria-t-il en la secouant par les épaules. Que se passe-t-il ?
— Rien, Brant. Excuse-moi, je...
— Ne t’excuse pas, reprit-il d’un air sombre. C’est ma faute. Plus j’y pense, plus je me rends compte que j’ai commis une grossière erreur en acceptant les termes du testament de Jœ.
Ces mots lui firent mal. Kelly leva des yeux tristes vers Brant. Ebranlé par cette scène, il passa une main nerveuse dans ses cheveux et se dirigea vers la salle de bains où il devait aller se préparer.
— Il faut que tu descendes maintenant. Nos invités sont sur le point d’arriver. Je viendrai te rejoindre dès que je serai prêt. Quant à... nous discuterons de tout cela plus tard.
La porte se ferma derrière lui.
Kelly était anéantie. Qu’il regrette leur mariage ne la surprenait pas, mais qu’il le lui avoue après l’avoir tendrement tenue dans ses bras, voilà ce qui la bouleversait.
En fermant les yeux, elle se rappela l’impression de bonheur intense qu’elle avait ressentie quand Brant avait posé les mains sur son ventre. Sans qu’il le sache, il avait posé les mains sur leur futur enfant. Mais, l’aveu de cette grossesse étant impossible, la joie de Kelly s’était vite changée en un désespoir insupportable. De son côté, Brant avait dû se méprendre sur sa réaction et l’expliquer par son prétendu amour pour Daniel.
Des voitures commençaient à entrer dans la parc. Il fallait descendre et réserver un bon accueil aux convives. Kelly dut faire appel à tout son courage pour trouver la force d’ouvrir la porte et de sortir affronter les premiers arrivants.
Kelly dut accueillir seule le premier couple d’amis, puis Brant la rejoignit dans le grand hall. Dans son smoking noir, il était d’un charme à couper le souffle. Il se plaça à son côté et la prit par la taille. Kelly, simulant la gaieté, observait combien les femmes semblaient admiratives en le voyant. Certaines lui lançaient des œillades séductrices, d’autres regardaient Kelly jalousement. Toutes ignoraient que ce couple en apparence si parfait se déchirait depuis leur mariage.
Le moment le plus pénible fut l’arrivée de la pulpeuse Susanna Winters. Cette fois elle portait une robe de crêpe ivoire qui découvrait une de ses épaules et retombait en drapé. Un chignon haut révélait une nuque délicate. Sur son décolleté resplendissait une magnifique rivière de diamants, offerte probablement par un de ses admirateurs.
— Bonsoir, Kelly, lança-t-elle avec une amabilité qui sonnait faux.
Elle tourna des yeux ardents vers Brant et lui adressa un sourire ravageur.
— Bonsoir, Brant.
Ignorant sa rivale, Kelly sourit à l’homme qui l’accompagnait, un homme blond aux yeux pénétrants.
— Ah ! oui, Kelly, je vous présente Michael Isaacs, le rédacteur en chef du magazine Modern Woman.
Comment ? Cet homme osait se présenter chez elle ! Modem Woman était le magazine qui avait publié cet article déplaisant sur leur mariage. Tout devenait clair désormais : la traîtresse était bel et bien Susanna. Etait-ce pure malveillance de sa part ou bien avait-elle divulgué une confidence de Brant ? Avec une incroyable assurance, Susanna lui souriait d’un air triomphant, comme si elle avait vu le doute planer dans l’esprit de Kelly. Puis, prenant son cavalier par le bras, elle l’entraîna vers le salon.
— Kelly ? Kelly, veux-tu une coupe de champagne ?
Rappelée à la réalité par Brant, elle aperçut un serveur en uniforme qui tenait un plateau empli de verres de cristal.
— Oui, merci.
En fait, depuis qu’elle avait appris qu’elle était enceinte, Kelly ne buvait plus une goutte d’alcool. Mais ce soir, pour ne pas provoquer de questions indiscrètes, elle décida de garder un verre à la main.
— Tout va bien ? demanda Brant.
Surprise par sa question, Kelly le regarda avec étonnement.
— Tu as eu l’air un peu contrariée par la présence de Michael Isaacs.
— Ah ! C’était si évident ?
— Tu sais bien que rien ne m’échappe, Kelly. Tu le connais ?
— Non, mais son magazine a publié un article sur nous, une semaine avant notre mariage.
— Et il était bon ?
— Ça dépend de ce que tu appelles bon.
A cet instant, des invités arrivèrent et les obligèrent à changer de sujet. Par la suite, comme Brant et elle faisaient le tour de tous leurs amis, Kelly n’y accorda plus une pensée.
La soirée commençait à être plus animée, l’ambiance se réchauffait. Sur le rythme endiablé d’une musique à la mode, les danseurs se déhanchaient sur la piste. Un couple se distinguait des autres : Susanna et Michael, dont les corps enlacés dansaient langoureusement, comme s’ils étaient seuls au monde, sans se préoccuper du rythme..
En revenant à la conversation qui se tenait à côté d’elle, Kelly vit que Brant regardait fixement le couple isolé. Etait-il jaloux de Michael Isaacs ? Impossible à savoir...
Bientôt la musique changea. Une série de slows remplaça le rock’n roll. Du coin de l’œil, Kelly vit Brant descendre sur la piste et inviter une des secrétaires de son bureau. A plusieurs reprises, il choisit d’autres cavalières, mais jamais il ne vint inviter sa femme. Exaspérée, Kelly tourna le dos à la piste de danse. C’est alors qu’elle aperçut Daniel qui venait d’arriver. Le sourire aux lèvres, elle alla à sa rencontre.
— Bonsoir, Daniel ! s’exclama-t-elle gaiement. Tu arrives bien tard.
— Oui, pardonne-moi mon retard. Si tu savais ! Ma soirée a mal commencé.
— Allez, viens, raconte-moi tout. Que dirais-tu d’un bon whisky ?
— Bonne idée !
Malheureusement, le whisky préféré de Daniel était épuisé dans le bar du salon. Les deux amis durent se rendre dans la cuisine. Assis sur un tabouret, Daniel savourait son scotch favori.
— Ah ! Enfin un peu de calme. Ça te dérange si nous restons là à discuter ? demanda Daniel.
— Non, pas du tout.
Après s’être servi un verre d’eau pétillante, Kelly prit place juste en face de son ami.
— Où est ta cavalière de ce soir, Daniel ? Je suis étonnée de te voir seul.
— Nous nous sommes disputés.
— Oh ! Je vois.
Daniel, ce séducteur invétéré, avait donc des déboires amoureux. Kelly ne pouvait s’empêcher de le regarder d’un air amusé.
— Alors, tu as enfin été touché par les flèches de Cupidon ?
— Qu’est-ce qui te fait croire cela ?
— Parce que tu n’as pas cherché une remplaçante pour ce soir, tout simplement !
— C’est vrai, mais tu étais la seule qui aurait pu remplacer Lois, et toi, malheureusement, j’ai dû te rayer de mon carnet d’adresses.
— Tu m’as l’air sérieusement épris, dis-moi ! A vrai dire, le jour où tu as acheté la maison de Jœ, j’ai su qu’il y avait anguille sous roche.
— Je préfère considérer cela comme une folie passagère. Mais si tu savais comme cette fille est belle !
— Alors, que s’est-il passé ?
— Elle veut qu’on s’installe dans une maison en pleine campagne et qu’on y élève des enfants. Voilà ce qui se passe
— C’est pour cette raison que tu as acheté la maison de Jœ ?
— Oui. Je l’avais achetée pour lui faire une surprise. J’étais prêt à engager des décorateurs pour la modifier à son goût, et je pensais vraiment lui faire plaisir.
— Elle ne lui a pas plu ?
— Si, si. Elle aime beaucoup la maison, mais elle ne veut pas vivre avec moi.
— Oh ! Je vois... Remarque, même si c’est douloureux, il vaut mieux que tu saches dès maintenant qu’elle ne t’aime pas. Une fois qu’on s’est engagé, il est trop tard.
— Non, Kelly. Elle m’aime, mais elle n’est pas encore prête à vivre avec moi. Auparavant, elle veut qu’on se marie. Te rends-tu compte ? Elle a même le toupet d’exiger que je vende ma garçonnière !
A peine si Kelly réussit à étouffer un éclat de rire.
— Oui, vraiment, quel toupet ! reprit-elle ironiquement.
— Ce n’est pas drôle, Kelly.
— Allez, Daniel, ne te laisse pas abattre. Je suis certaine que vous finirez par vous mettre d’accord. J’espère que tu m’enverras un faire-part de mariage...
Daniel lui lança un regard horrifié.
— Le mariage ! Moi ?
— Mon pauvre Daniel, regarde-toi ! Tu as l’air tellement malheureux sans elle ! Ce soir, tu n’as pas eu envie de chercher une autre cavalière. A mon humble avis, ta garçonnière n’a plus aucune raison d’être.
— On ne peut pas dire que tu me remontes le moral ! J’ai l’impression que je suis condamné à la vie confortable d’un père de famille. A moins, bien sûr, que tu décides de quitter Brant et de t’enfuir avec moi ?
— Ah ! Ton offre est tentante... Mais tu sais, je suis obligée de rester auprès de mon mari pour le meilleur et pour le pire. Je l’ai juré !
— Kelly...
Dans un élan d’amitié, Daniel lui avait pris la main. Il s’apprêtait à lui faire une confidence, mais ne termina pas sa phrase. Une voix grave les fit tous les deux tressaillir.
— Excusez-moi d’interrompre une scène aussi touchante.
Brant se tenait sur le seuil, furieux. Pourtant, rien dans ses gestes ne trahissait la moindre émotion.
— Brant ! s’écria Daniel. Je suis désolé d’avoir monopolisé votre femme. Elle me donnait quelques conseils amicaux sur...
— Vous n’avez jamais essayé le courrier du cœur dans les magazines ?
— Non, mais pourquoi pas ? répondit Daniel avec un rire forcé. Venez donc vous asseoir avec nous, Brant, et aidez-moi à terminer cette bouteille de whisky.
— Non, merci, reprit Brant en se tournant vers Kelly. J’étais venu demander à ma femme de danser avec moi. Je suppose que nos invités s’attendent tout de même à nous voir danser ensemble.
— Je viens te rejoindre dans un instant, répondit Kelly froidement.
D’un air pincé, Brant quitta la pièce sans un mot et regagna le salon.
— Eh bien ! murmura Daniel. Je me demande s’il a pu saisir notre conversation...
— Je ne sais pas, je ne l’ai pas entendu arriver.
— En tout cas, je n’aimerais pas qu’il s’imagine que j’essaye de te séduire. Il se trouve que j’aime mon travail chez Harcourt et McConell !
— Ne dis pas de bêtises, Daniel. Brant n’est pas comme ça.
Mieux valait lui cacher que Brant avait déjà une petite idée sur la nature de leurs relations... et que cela ne le gênait pas le moins du monde.
— Il est un peu contrarié parce que j’ai négligé mes invités. Ce n’est rien. Viens, allons rejoindre les autres.
La réception se déroulait à merveille. Tout le monde semblait s’amuser.
— J’ai bien envie d’aller goûter le saumon et le caviar de ce buffet. Veux-tu que je te rapporte quelque chose ?
— Non, merci, Daniel. Je vais plutôt aller à la rencontre de Brant.
— D’accord. A tout à l’heure.
Kelly n’eut pas besoin de chercher longtemps pour trouver son mari. Enlacé avec Susanna Winters, il dansait un slow langoureux. Pétrifiée par la surprise, Kelly ne les quittait pas des yeux. Brant tenait sa cavalière étroitement serrée. Leurs visages se touchaient presque. Ils semblaient discuter. Soudain, Brant leva la tête et croisa le regard de Kelly. Une expression indéfinissable traversa ses yeux noirs. C’était comme s’il cherchait à lire en Kelly, comme s’il attendait un signe, une émotion. En rage, elle se détourna et s’éclipsa en hâte.
Au cours de la soirée, elle ne dansa pas une seule fois avec Brant. Malgré ce qu’il lui avait annoncé, il ne vint jamais l’inviter. Par contre, une pléiade de jolies femmes se succédèrent dans ses bras. Kelly évitait de les regarder et se consacrait à ses invités, s’attardant au milieu des groupes, plaisantant et riant avec chacun.
Après le départ d’une bonne partie des invités, épuisée, Kelly se rendit dans la cuisine afin d’aider le personnel à remettre de l’ordre dans la maison. Un quart d’heure plus tard, Mme Wright entrait dans la pièce.
— Madame Harcourt, que faites-vous ? Il y a ici tout le personnel nécessaire pour s’occuper de cela.
— Oui, je le sais, mais je voulais tout de même participer au rangement.
— Ce n’est pas nécessaire, dit Mme Wright, remarquant la pâleur de la jeune femme. Pourquoi n’allez-vous pas vous coucher ? Vous semblez fatiguée.
— Il reste encore quelques invités, et ce serait incorrect de ma part si...
— Mais non, je vous assure. M. Harcourt est avec eux, alors vous avez le droit de vous retirer.
— Vous avez raison, je suis épuisée. Je monte me coucher. Merci, madame Wright.
Quel soulagement d’être enfin au calme, dans sa chambre ! Le grand lit lui tendait les bras. Quelle journée !
Morte de fatigue, Kelly dégrafa sa robe et la laissa glisser jusqu’au sol. D’un coup de pied elle ôta ses chaussures. Encore en combinaison de soie, elle s’allongea sur le lit. Elle espérait trouver la force d’aller jusqu’à la salle de bains chercher sa chemise de nuit. Cinq minutes plus tard, le sommeil venait l’emporter sans qu’elle s’en soit rendu compte.
— Kelly, murmura Brant à son oreille. Kelly, réveille-toi. Je veux me coucher.
Dans un soupir, elle s’étira en de lents mouvements d’une incroyable sensualité.
— Quelle heure est-il ? demanda-t-elle d’une voix assoupie.
— Tard.
Brant avait retiré sa veste de smoking. Tout en se déshabillant, il caressait du regard le corps endormi de sa femme : ses longues jambes nues, sa poitrine menue qui se dessinait au travers de la soie, ses cheveux blonds en désordre sur l’oreiller bleu.
— Kelly, fais-moi un peu de place.
— Comment ?
Kelly s’aperçut qu’elle occupait presque toute la place. En regagnant son côté habituel, une bretelle de sa combinaison tomba sur son épaule, découvrant un sein. Machinalement, elle rajusta sa bretelle et replongea dans un sommeil léger.
— Kelly, essaies-tu de me provoquer ? demanda Brant d’une voix rauque.
Le ton fit réagir Kelly qui ouvrit grand les yeux.
Il était à demi dévêtu. Son torse athlétique était nu. Ce furent surtout ses yeux qui troublèrent Kelly. Ils brillaient d’un éclat singulier, d’un éclat qu’elle avait déjà vu quelquefois lorsqu’il la désirait.
— Non, bien sûr que non.
Depuis des semaines, Kelly avait attendu impatiemment que son mari daigne la regarder ainsi. Mais ce soir, le désir de Brant semblait se mêler à la colère la plus terrifiante.
— Non, vraiment ? Pourtant, c’est bien ce que tu faisais avec Daniel !
— Je ne comprends rien à ce que tu dis. Daniel et moi ne faisions que discuter.
— Arrête de mentir, Kelly. Je l’ai entendu te proposer de partir avec lui !
— Il plaisantait, riposta-t-elle en se tournant de son côté. Brant, s’il te plaît, ne nous disputons pas, je ne me sens pas très bien.
Il y eut un silence de quelques secondes, puis Brant s’approcha d’elle. Posant sa main sur l’épaule de Kelly, il l’obligea à lui faire face. Captivée par son regard, Kelly n’osait faire un mouvement. Elle était prisonnière d’une force qui l’effrayait et la fascinait en même temps. Lentement Brant approcha ses lèvres. A leur contact, la jeune femme ferma les yeux de plaisir. Ce baiser éveilla en elle des sensations oubliées. De la main, Brant froissait la soie de sa combinaison. Il parcourait son corps alangui de caresses sensuelles.
Dans un soupir d’abandon, Kelly à son tour enlaça Brant et plongea la main dans ses cheveux bruns. Elle avait désiré leur étreinte, toutes ces nuits de supplice où il s’était allongé près d’elle sans la toucher. Ce soir, enfin, ils se retrouvaient pour une nuit d’amour.

 
 

 

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chapitre 10

Les premiers rayons de l’aurore éclairaient déjà la chambre quand Kelly ouvrit les yeux. Au travers des volets, une douce lumière filtrait et faisait briller les draps de satin sous lesquels Brant reposait encore.
La tête sur l’oreiller, tourné vers elle, il dormait profondément. D’une main, il enlaçait la taille de Kelly. Instinctivement, au mouvement de Kelly, sa main resserra son emprise. D’un doigt léger, Kelly effleura la peau de son bras. Ses muscles tressaillirent un instant à son contact. Mais Brant ne s’éveilla pas, il dormait à poings fermés.
Les souvenirs de la nuit revinrent à la mémoire de la jeune femme. Sans manifester une grande tendresse, Brant s’était rassasié d’elle. Kelly n’avait pas cherché à résister à son désir, car elle le partageait avec lui. Pourtant, elle éprouvait un sentiment de regret et d’amertume devant cet homme qui jamais ne lui parlait d’amour et qu’elle ne pouvait satisfaire que physiquement.
Une boucle de cheveux noirs était tombée sur la joue de Brant. Kelly la repoussa doucement. Pour une fois, elle pouvait contempler ce beau visage à sa guise, sans craindre d’être surprise par un regard moqueur. D’une caresse, elle suivit la courbe de ses sourcils puis, descendant sur sa joue, dessina les traits de sa bouche, ferme et sensuelle. Comme elle aurait voulu pouvoir se dire que Brant l’aimait ! Quel rêve merveilleux ! Mais ce n’était qu’un rêve. Combien de fois Brant devrait le lui faire comprendre pour qu’elle cesse d’y croire ?
Avec précaution, Kelly souleva le bras de Brant et sortit du lit. A son grand soulagement, il ne se réveilla pas. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il était 7 heures. Bientôt le réveil sonnerait. Kelly ramassa sa robe qui traînait sur le sol. En se redressant, elle sentit que la nausée la prenait. Inutile de lutter contre cela, elle l’avait appris depuis toutes ces semaines. Kelly se précipita dans la salle de bains.
Jamais sa crise de nausée n’avait été si éprouvante. Tremblant d’épuisement, Kelly se rinça le visage, puis, s’enveloppant d’une immense serviette, elle resta assise sur le sol de la salle de bains, attendant la prochaine crise, qui, selon son expérience, n’allait pas tarder.
C’est ainsi que Brant la trouva, prostrée dans sa grande serviette blanche, assise en tailleur, la tête sur les genoux.
— Kelly ?
La voix de Brant lui fit lever les yeux. Il restait à la porte, vêtu de son peignoir beige, et la regardait d’un air effrayé. Kelly reposa la tête sur ses genoux. Rien d’étonnant à ce qu’il soit effrayé, pensa-t-elle. Son visage blême était marqué par les larmes, ses cheveux blonds complètement en désordre.
— Kelly, que se passe-t-il ?
Sa voix tremblait d’inquiétude. Il s’agenouilla près d’elle et, d’une main, se mit à lui caresser les cheveux.
— Ce n’est rien... S’il te plaît, Brant, laisse-moi.
La nausée montait en elle et elle ne voulait pas que Brant soit là quand elle serait malade.
— Laisse-moi.
D’un geste, Kelly essaya de le repousser. Mais malgré elle, Brant l’entoura de ses bras et la retint contre lui. La résistance de Kelly ne rimait à rien. Contre toute attente, la présence inattendue de Brant la rassurait. La sensation de malaise s’éloignait pendant qu’il lui murmurait des paroles apaisantes et que, d’une main, il lui massait les épaules.
Au bout de quelques instants, sa respiration redevint régulière. Avec soulagement, Kelly se sentit mieux. Délicatement Brant la souleva dans ses bras, l’emmena dans la chambre et la déposa sur le lit. Les yeux fermés, Kelly pouvait enfin se détendre. Brant, allongé à son côté, veillait sur elle.
— Tu vas mieux ?
Kelly se *******a de faire un signe de tête. Adossé sur l’oreiller voisin, Brant remettait en place les boucles blondes égarées sur le front pâle de la jeune femme. Soudain, il lui prit le poignet. Une douleur assez vive la fit tressaillir. Elle ouvrit les yeux.
— Oh ! Kelly, pardonne-moi. Je me suis conduit comme une brute, s’exclama-t-il, les yeux brillants d’émotion.
— Non, Brant, je...
— Kelly, je me suis vraiment conduit comme une brute cette nuit, répéta-t-il. Ma seule excuse était la colère que je ressentais et... Mais non, rien ne peut excuser une telle conduite.
Subitement, Kelly comprit qu’il pensait être responsable de son malaise. Elle faillit lui dire qu’il se trompait, mais que pourrait-elle lui expliquer ? Etait-ce le bon moment pour lui annoncer qu’elle attendait un enfant ?
A cet instant, le réveil se mit à sonner. Aussitôt Brant le fit taire.
— Nous ne pouvons pas continuer ainsi, Kelly. Quand je rentrerai ce soir, il faudra que nous discutions de nous deux.
— Oui, si tu veux.
Depuis des semaines, Kelly espérait qu’ils prennent ensemble le temps de discuter de leurs problèmes. A voir l’expression de Brant, il lui semblait que désormais tout était perdu et que la discussion de ce soir arriverait trop tard.
Brant s’était levé. Il était l’heure de se préparer pour aller au bureau. A son tour, Kelly se mit debout.
— Que fais-tu ?
— C’est le procès Wood, aujourd’hui. Je dois me dépêcher.
— Non, tu restes ici. Tu es trop fatiguée pour travailler aujourd’hui.
— Mais, Brant...
— Pas question. Le procès sera reporté, voilà tout.
Après avoir sorti un costume gris de la penderie, Brant disparut dans la salle de bains. Quelques secondes plus tard, Kelly entendait le jet de la douche. Pour Brant, la question était réglée. Pas pour Kelly. Jamais elle n’accepterait de reporter le procès Wood. A ses yeux, et surtout aux yeux d’Anita Wood qui espérait de toutes ses forces la garde de son enfant, le retarder ne serait-ce que de quelques jours serait cruel. Cela faisait des mois qu’Anita Wood se préparait à l’audience d’aujourd’hui et Kelly ne se sentait pas le droit de la faire attendre plus longtemps.
Dans sa garde-robe, Kelly choisit une robe noire, d’une élégante sobriété et, empruntant le couloir, se dirigea vers une des salles de bains réservées aux invités.

Dans la cuisine, Kelly avait préparé le petit déjeuner quand Brant descendit la retrouver.
— Je me suis dit que si tu trouvais ton petit déjeuner tout prêt, tu accepterais peut-être de me conduire jusqu’au bureau ?
Pas un sourire, Brant restait de marbre. D’un coup d’œil, il dévisagea la jeune femme, puis aperçut la mallette qu’elle emportait quand elle allait à l’audience.
— Quand je t’ai dit de ne pas te rendre au bureau, je parlais en tant que patron, pas en tant que mari !
— Dans ce cas, si mon patron a quelque chose à me dire, qu’il m’envoie une note de service !
Un demi-sourire se dessina sur les lèvres de Brant. En silence, Kelly lui servit du café et lui proposa des toasts.
— Je le sais, le cas dont je m’occupe n’a pas l’importance de ceux dont tu te charges, mais pour moi, c’est important. Et c’est important pour Anita Wood ! De toute façon, si tu refuses de me déposer au bureau, je prends un taxi.
Peu de gens osaient résister à Brant Harcourt. En lui tenant tête, Kelly se demandait si elle n’allait pas trop loin. Elle fut surprise par sa réaction.
— Eh bien ! J’avais oublié combien tu pouvais être obstinée ! s’exclama-t-il en souriant.
— Alors nous sommes deux, reprit-elle, par plaisanterie.
D’un coup d’œil, Brant regarda sa montre.
— Il est temps que nous partions, Kelly.
Jusqu’au bureau, ils n’échangèrent pas un mot. Brant semblait soucieux. Le procès Sharman le préoccupait, sans doute. Chaque fois, Kelly s’étonnait de la capacité qu’il avait de faire abstraction de ses problèmes personnels. Ah ! Si elle avait pu avoir cette maîtrise ! Au moment où ils arrivèrent au parking de la société, Daniel Marsden venait de garer se voiture. Il les attendit devant les ascenseurs.
— Je voulais vous remercier tous les deux pour la réception d’hier soir. J’ai passé une excellente soirée, lança-t-il. Dis donc, Kelly, tu n’as pas l’air très en forme.
— Si, ça va bien. Nous avons veillé un peu tard hier, voilà tout.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à cet instant, dispensant Kelly d’ajouter un mensonge de plus.
— Alors, Brant, comment se présente l’affaire Sharman ? Je suis certain que vous allez très bien vous en tirer. En tout cas, vous faites les premières pages des journaux.
— Ce n’est pas ce qui m’intéresse, répliqua Brant.
Ignorant Daniel, il pressa les boutons du vingtième et du vingt-deuxième étages.
— J’ai demandé aux décorateurs de venir faire un devis chez moi, Kelly. J’aimerais avoir ton avis sur ce qu’ils vont me proposer, continua Daniel.
— Bon sang, Marsden ! s’exclama Brant. Je ne comprends pas pourquoi vous avez besoin de ma femme quand vous refaites votre intérieur.
— Mais il s’agit de la maison de Jœ, que j’ai achetée à Kelly ! Son aide serait précieuse. Au fait, Kelly, tu avais raison à propos de ma garçonnière. Je n’en ai plus besoin. Je l’ai mise en vente.
Elle répondit d’un sourire amusé. Brant, lui, arborait un air de mauvais augure.
— Accepterais-tu de déjeuner avec moi ? continua Daniel. J’ai plusieurs projets et...
— Navrée, c’est impossible aujourd’hui. Je suis à l’audience.
L’ascenseur s’arrêta. Ils étaient au vingtième étage. Les deux amis descendirent, laissant Brant qui, lui, allait jusqu’au vingt-deuxième.
— Peut-être pourrions-nous prévoir un rendez-vous pour demain ou après-demain ?
— Je ne sais pas, Daniel. A mon avis, tu devrais demander ces conseils à ton amie.
— Evidemment, mais elle refuse encore de me parler. Je l’ai appelée, ce matin, très tôt. Elle était forcément chez elle, mais tout ce que j’ai obtenu, c’est son répondeur. Enfin j’ai bien l’intention, ce soir, de renverser la situation.
L’assurance de Daniel, qui jubilait à l’avance, la fit rire.
— Je te souhaite bonne chance, Daniel. Tu devrais demander à tes décorateurs de venir plus tard, une fois que tout se sera arrangé avec Lois.
— Sage conseil, Kelly... Au fait, tu n’avais pas dit à Brant que j’avais acheté la maison de ton grand-père ?
— Non, j’ai oublié de lui en parler. Ces temps-ci nous avons été très occupés tous les deux.
Au travers de la vitre, Kelly aperçut Maggie qui l’appelait.
— Je dois y aller. Nous nous verrons plus tard.
— Calvin Davis, l’avocat de M. Wood, en ligne, expliqua Maggie.
— Merci, je le prends tout de suite. Allô, Kelly Harcourt à l’appareil.
A partir de ce moment-là, seule l’affaire Wood compta pour Kelly.

Peu de gens se trouvaient dans le prétoire. Seule la cliente de Kelly et, en face d’eux, l’ex-mari d’Anita Wood accompagné de son avocat ainsi qu’une poignée de témoins.
Comparée au dossier Sharman, l’affaire Wood était insignifiante. Le procès au cours duquel Brant plaidait aujourd’hui se déroulait dans le même bâtiment. A son arrivée, Kelly avait vu la foule qui s’amassait devant la porte du tribunal pour assister au procès Sharman. Sa première pensée avait été pour Brant. La tension qui pesait sur lui en ce moment devait être terrible.
Lorsque le juge entra dans la salle, tout le monde se leva. Ces derniers instants permirent à Kelly de remettre ses idées en ordre. Le magistrat qui venait d’entrer était le juge Robinson. Kelly aurait préféré que ce soit une femme, d’autant que le juge Robinson était réputé pour son manque de compassion. Sachant qu’il ne serait pas touché par des éléments affectifs, Kelly avait revu ses interventions.

Sa cliente était angoissée, on le lisait sur son visage défait. Avant de commencer à parler, Kelly lui adressa un sourire rassurant. Puis elle se mit à exposer les faits, d’une voix calme et posée, avec sa rigueur habituelle. Au fond de la salle, la porte s’ouvrit un court instant. Un homme entra et prit place mais Kelly, penchée sur ses notes, ne remarqua rien.
— Les accusations de M. Wood, contestant les aptitudes de ma cliente à se comporter comme une mère normale sont non fondées. Avant de demander à Mme Wood d’intervenir, j’aimerais appeler à la barre un certain nombre de témoins.
Les dépositions successives étaient chacune très émouvantes. Il fallut à Kelly beaucoup de sang-froid pour garder tout son calme et sa force d’analyse. L’ex-mari d’Anita Wood, avec l’aide de son avocat, semblait prêt à tout pour obtenir la garde de sa petite fille. Une bonne partie de la vie privée de ce couple fut exhibée en public, ce qui bouleversa profondément Anita Wood.
A l’issue de ces préliminaires, qui avaient duré déjà quatre heures, le juge demanda à voir la fillette de cinq ans. Le procès était remis à la semaine suivante.
— Pourquoi veut-il voir Eléonor ? demanda Anita Wood avec anxiété. Elle est si petite !
— Ce n’est qu’une formalité, madame Wood. Ne vous inquiétez pas. Le juge veut probablement voir si l’enfant se porte bien, si elle semble équilibrée... Ne vous faites pas de souci, c’est la routine.
Pendant qu’elle parlait, une main se posa sur l’épaule de Kelly. Stupéfaite, elle sursauta et se retourna brusquement.
— Brant ! Quelle surprise !
Son cœur battait à se rompre. Pourquoi Brant était-il venu ? Anita Wood regardait son avocate sans comprendre, aussi Kelly lui présenta-t-elle Brant.
— Madame Wood, voici mon mari, Brant Harcourt.
— Enchantée, monsieur Harcourt, dit-elle en lui serrant la main.
Puis, à l’adresse de Kelly :
— La séance d’aujourd’hui s’est plutôt mal passée, non ?
— Je vous avais prévenue que ce ne serait pas facile, Anita mais, selon moi, l’affaire se présente plutôt favorablement.
— Et vous avez une excellente avocate, madame Wood, ajouta Brant, d’un air convaincant. Vous êtes en de bonnes mains.
— Oui, reprit Anita en souriant. Je vous vois lundi matin ?
Kelly acquiesça et regarda sa cliente s’éloigner. Brant et elle restaient seuls dans la salle du tribunal.
— Merci pour ce que tu lui as dit, reprit Kelly.
— Je le pensais sincèrement. Je t’ai écoutée pendant une heure et demie. Tu m’as impressionné.
— Vraiment ?
La voix de Kelly tremblait légèrement. Le compliment de Brant la ravissait.
— Comment se fait-il que tu ne sois pas en train de plaider ?
— Parce que le procès Sharman a été vite bouclé. Alors j’ai décidé de venir voir comment tu te débrouillais.
— Tu l’as emporté ?
— Bien sûr que je l’ai emporté ! s’exclama Brant en riant.
— Oh ! Brant, c’est merveilleux !
Elle faillit se jeter dans ses bras pour le féliciter et partager sa joie, mais se retint par crainte d’être ridicule.
— Je suis très heureuse pour toi.
— Merci, murmura-t-il.
Un silence pesant suivit ces paroles. Nerveusement, Brant passa la main dans ses cheveux.
— Ecoute, j’attendais que le procès Sharman soit terminé pour discuter avec toi de certaines choses. J’ai réservé un vol pour Vancouver. Il part dès cet après-midi. La conférence à laquelle je prends part ne débute que dans deux jours, mais je préfère partir en avance. Cela me permettra de me reposer à l’hôtel.
— Oui, je comprends, chuchota Kelly.
En effet, elle avait compris. Brant partait dès maintenant pour s’éloigner d’elle. Leur vie de couple l’exaspérait et il était las d’elle.
— Mon Dieu, ce que j’ai à te dire est si difficile ! lança-t-il.
A ces mots, Kelly détourna les yeux par peur d’entendre la vérité.
— Il n’est pas compliqué de voir que notre mariage est un échec, poursuivit-il. Je n’avais pas l’intention de te rendre malheureuse, Kelly. Je pensais réellement que nous réussirions quelque chose. Il est un peu tard, mais je dois reconnaître que je me suis trompé.
Les yeux baissés, Kelly écoutait, accablée.
— Ce que j’essaie de te dire, c’est que si tu souhaites le divorce, je ne m’y opposerai pas.
— Et les actions McConell ?
— Elles n’ont plus aucune importance à mes yeux. Eh oui, cela te surprend, ajouta-t-il en la voyant lever des yeux étonnés. Je me suis rendu compte qu’on ne peut s’engager dans le mariage comme on s’engage dans un contrat commercial. Sans amour, c’est invivable.
— Tu es tombé amoureux de quelqu’un ? s’enquit-elle, la gorge serrée.
— Oui. Tu as du mal à le croire, n’est-ce pas ?
Au contraire, Kelly l’avait deviné depuis longtemps. Le regard de Brant quand il avait vu Susanna danser amoureusement avec Michael Isaacs avait été éloquent. C’est à cet instant qu’il avait dû comprendre combien il aimait Susanna. Et la nuit dernière... il s’était vengé de Susanna dans les bras de Kelly. Toutes ces découvertes brutales déchiraient le cœur de la jeune femme, qui pourtant n’en fit rien voir.
— Quand souhaites-tu que je déménage ?
— Je veux te laisser le temps de réfléchir à ce que tu juges le mieux pour toi, continua-t-il avec douceur. Ce que je souhaite, c’est que tu puisses être heureuse.
— C’est très noble de ta part, Brant.
— En ce qui concerne ta situation dans la société, n’aie aucune inquiétude. De plus, je veillerai à ce que, sur le plan financier, tu n’aies pas de souci.
A cela, Kelly ne répondit rien. Les questions financières et professionnelles étaient pour le moment le dernier de ses soucis.
— Voilà, Kelly, je te laisse réfléchir. Nous parlerons de tout cela quand je reviendrai.
Et il quitta la salle du tribunal. Quelle ironie du sort, se dit amèrement Kelly : après ce qu’elle venait d’entendre, il était clair que ce serait là où leur mariage se terminerait, inévitablement.

A la fin du week-end, Kelly pensa devenir folle. Elle venait de passer deux nuits blanches à ressasser dans son esprit les dernières paroles de Brant. L’idée qu’il puisse se trouver auprès de Susanna Winters l’obsédait. Etait-elle partie à Vancouver avec lui ? Kelly imaginait Brant en train de dire à Susanna les mots qu’elle avait attendus en vain : « Je t’aime. »
Le dimanche soir, n’y tenant plus, Kelly fit sa valise et regagna son ancien appartement. Au moins, elle ne garderait plus les yeux rivés anxieusement sur le téléphone.
Son appartement était glacial. Le chauffage devait s’être déréglé, car il était prévu qu’il se mette en marche tous les deux jours, pour le cas où elle le ferait visiter.
A 9 heures, dans l’espoir de trouver le sommeil, Kelly alla dans sa chambre. Sur le sol, à côté de son lit, traînait encore le magazine Modem Woman qui avait été publié juste avant leur mariage. Assaillie par ces souvenirs, Kelly s’affaissa sur son lit et éclata en sanglots.
Le lendemain, il neigeait à gros flocons dehors. La température avait encore baissé. Avec beaucoup de courage, Kelly réussit à sortir de son lit. Décidément, le chauffage était en panne. En frissonnant, elle enfila ses vêtements et alla vérifier l’installation de la chaudière. Oui, l’appareil s’était arrêté. Impossible de le remettre en marche.
Il était grand temps qu’elle parte au tribunal. Auparavant, elle dut appeler les chauffagistes et confier ses clés à un voisin pour les faire entrer pendant son absence.
Dans sa voiture, Kelly se dit qu’elle aurait pu appeler le bureau de Susanna pour vérifier si elle y était, afin de confirmer ou de chasser ses doutes. Mais elle était si pressée qu’elle n’y avait pas pensé au bon moment.
Enfin, quand elle arriva au tribunal, il était 10 h 15. Anita Wood l’attendait dans le couloir. Le juge les fit attendre encore une demi-heure. Auprès de sa cliente, Kelly observait d’un œil attendri la petite Eléonor Wood qui s’amusait avec une poupée. L’enfant était adorable dans sa petite jupe à carreaux, son pull noir et ses collants rouges. Elle avait de longs cheveux blonds bouclés. Quelle tragédie quand un couple se déchirait pour un enfant ! Peu importait qui obtenait la garde, tous étaient perdants. Le drame qui se jouait sous ses yeux la ramena à ses propres problèmes. Au moins, dans son cas, il ne serait pas question de garde parentale puisque, avant la naissance de l’enfant, ses parents auraient déjà divorcé...
Au bout du couloir, les portes à battant s’ouvrirent et l’ex-mari d’Anita Wood fit son apparition. Dès qu’elle aperçut son père, la fillette lâcha son jouet et courut se jeter dans ses bras. Il s’avança vers les deux femmes en souriant à l’enfant. Après avoir salué Kelly, il s’adressa à Anita Wood.
— Anita, est-ce que je peux te parler un moment ? D’un signe de tête, celle-ci accepta. Il mit l’enfant à terre.
— Je voulais seulement te dire que je suis désolé pour ce qui a été dit vendredi. J’ignorais que les déclarations de mon avocat prendraient cette tournure...
Peu à l’aise, Kelly ignorait si elle devait interrompre ou non cette conversation. En examinant le mari de sa cliente, elle vit qu’il avait des larmes dans les yeux.
— Anita, souhaitez-vous que je vous laisse ?
Après un silence, la jeune femme acquiesça. Kelly se leva et se dirigea vers la machine à café. Soudain elle entendit une voix masculine l’appeler par son prénom.
— Ah ! Bonjour, Daniel, s’écria-t-elle. Alors, as-tu réussi à t’arranger avec Lois ?
— Oui, c’est merveilleux. Nous avons fixé la date du mariage, expliqua-t-il, radieux.
— Félicitations ! lança Kelly en l’embrassant. Et n’oublie pas de m’inviter.
— Bien sûr, Kelly ! Tiens, pendant que j’y pense, reprit-il en devenant plus sérieux. J’ai reçu un étrange coup de fil de la part de Brant, cette nuit.
— Pourquoi t’appelait-il ?
— A vrai dire, je n’ai toujours pas compris pourquoi. Il m’a dit qu’il avait essayé de te joindre toute la nuit et qu’il pensait que tu pouvais être avec moi. Il voulait que je te passe le téléphone. Je lui ai répété que tu n’étais pas là, mais il ne voulait pas me croire. Pendant un moment, j’ai eu l’impression très désagréable qu’il s’imaginait qu’il y avait quelque chose entre toi et moi. Finalement, je lui ai annoncé mon mariage avec Lois, et je peux t’assurer qu’il a eu l’air de tomber des nues.
— C’est normal. Personne ne pouvait envisager que tu te maries si vite, remarqua Kelly en guise d’explications.
A coup sûr, Brant avait été bien ennuyé d’apprendre qu’il n’y avait rien entre Daniel et elle, puisque cette prétendue aventure rendait son infidélité légitime.
— J’ai essayé de t’appeler après ce coup de fil, mais il n’y avait personne.
— Je suis allée dormir dans mon appartement, cette nuit.
Dans la salle voisine, le public entrait de nouveau. L’audience reprenait.
— Kelly, il faut que j’y aille. Je t’appellerai. A très bientôt.
A son retour, Kelly trouva Anita Wood en pleurs dans les bras de son mari. La fillette sautillait de joie autour d’eux.
— Papa revient à la maison, expliqua-t-elle à Kelly. En s’abaissant, Kelly se mit à caresser les boucles blondes de la petite-fille

— En voilà une bonne nouvelle, Eléonor.
Puisque le procès Wood s’achevait plus tôt que prévu et d’aussi heureuse manière, Kelly en profita pour avancer son rendez-vous chez le Dr Michaels. Elle ne fut pas surprise quand, après l’examen, il lui annonça que sa tension était trop faible.
— Kelly, vous devez absolument prendre un peu de repos, déclara-t-il gravement. Sinon, vous serez forcée d’en prendre malgré vous et les conséquences pourraient être fâcheuses.
Le ton du médecin l’avait convaincue. En partant, Kelly ne prit pas la direction du bureau, mais celle de son appartement. Avant de monter chez elle, elle s’arrêta chez l’épicier voisin pour faire quelques courses.
Devant la porte d’entrée de l’immeuble, des paquets dans les bras, elle cherchait difficilement ses clés dans son sac à main.
— Allez, laisse-moi t’aider.
La voix chaude et grave de Brant la fit se retourner. Dans son trench foncé, il semblait encore plus grand que d’habitude. Kelly le fixait intensément. Brant lui avait tellement manqué pendant ces deux jours d’absence qu’elle ne parvenait pas à détacher de lui son regard. Lui aussi semblait troublé. Une étrange lueur brillait dans ses yeux noirs.
— Que fais-tu ici, Brant ? finit-elle par dire.
— J’allais te poser la même question. Bon, veux-tu vraiment que nous restions dehors, par ce froid ?
Il la débarrassa de ses paquets. D’une main tremblante, Kelly mit la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Heureusement l’appartement était chaud. Le chauffage avait été réparé. Suivie par Brant, Kelly alla droit dans la cuisine et commença à ranger les provisions.
— Ta conférence est déjà terminée ?
— Non, elle n’a pas encore commencé.
Kelly avait enlevé son manteau. Elle portait une superbe robe de cachemire rouge, qui mettait en valeur sa jolie silhouette.
— Je suis revenu car je me faisais du souci pour toi.
Une lueur de colère traversa les yeux de la jeune femme. Il était trop tard pour se faire du souci pour elle.
— Tu n’as pas à t’inquiéter, je vais très bien. Tu sais, je suis capable de me débrouiller seule.
— Oui, j’en suis sûr... J’ai essayé de te joindre la nuit dernière, annonça-t-il en s’assombrissant.
— J’étais ici. C’est chez moi, maintenant.
Un lourd silence s’installa entre eux. Pour masquer sa gêne, Kelly continua à ranger ses courses.
— J’ai appelé Daniel. Il m’a déclaré qu’il épousait une certaine Lois.
— Oui, il me l’a dit.
— Cela t’a fait de la peine ?
— Pourquoi ? s’exclama Kelly. Au contraire, je suis très heureuse qu’il ait enfin trouvé la femme de sa vie. Brant, Daniel et moi sommes des amis, et c’est tout.
Cette précision laissa Brant perplexe. De son côté, Kelly continuait à faire semblant de mettre en ordre ses placards.
— Si tu es venu uniquement parce que tu éprouvais du remords après la scène de vendredi, tu as eu tort, Brant. J’ai vécu seule ici pendant des années et je peux très bien reprendre mes anciennes habitudes.
— C’est là qu’est le problème, Kelly. Je sais que tu peux vivre seule sans moi, mais moi j’en suis incapable. Je n’ai pas la force de rentrer chez nous sans toi.
La tasse de porcelaine échappa des doigts de Kelly pour se briser en mille morceaux sur le sol.
— J’ignore à quel jeu tu joues, Brant, mais il est cruel.
En se baissant pour ramasser les débris, Kelly fut prise d’un vertige. Elle se retint à la table et mit instinctivement la main sur son ventre.
— Kelly, qu’est-ce que tu as ? s’écria Brant en l’entourant de ses bras.
Quel bonheur de retrouver la chaleur de ses bras ! Immédiatement Brant l’emmena dans le salon et l’obligea à s’allonger sur un sofa qui avait été laissé de côté. Assis près d’elle, il la couvait d’un regard plein d’inquiétude.
— Depuis combien de temps as-tu ces étourdissements ?
— Ce n’est rien, Brant. Un peu de surmenage...
— Non, je me rappelle parfaitement ta crise de vendredi matin. Tu as failli t’évanouir, il y a un instant. Je téléphone à mon médecin.
— Mais je n’ai pas besoin d’un médecin ! protesta-t-elle.
— Je préfère avoir un avis quand même.
— Non, Brant, supplia-t-elle, en vain. Tout va bien. Je... je suis enceinte depuis dix semaines.
Pétrifié, Brant resta bouche bée. Le combiné du téléphone retomba dans un bruit sec.
— Dix semaines ! s’écria-t-il d’une voix émue. Et tu ne m’en as rien dit !
— Tu m’avais fait comprendre que tu ne souhaitais pas d’enfants... Mais ne t’inquiète pas, je peux m’en sortir seule. Je ne te demande rien. Après notre divorce, je changerai de nom et j’élèverai mon enfant moi-même.
— Non, pas question ! Il ne te vient pas à l’esprit que j’ai mon mot à dire ? C’est mon enfant à moi aussi.
— Brant, écoute-moi, je t’en prie. Je sais que c’est ton sens du devoir qui te fait parler ainsi. Si tu n’as plus envie de vivre avec moi, je ne vois pas pourquoi cet enfant te ferait changer d’avis. Cela n’arrangerait rien.
— Ce n’est pas mon sens du devoir qui me pousse à revenir, reprit Brant d’une voix altérée. Je veux revenir auprès de toi parce que je t’aime.
Ces mots si simples, si inattendus, la bouleversèrent. Avait-elle bien entendu ? En quelques secondes, Kelly passa de l’incrédulité à la surprise puis à la joie la plus intense.
— Je t’aime, Kelly, et je veux que tu restes ma femme. Ces derniers jours, sans toi, c’était l’enfer !
— Pour moi aussi...
— Oh ! Chérie...
Dans un élan passionné, Brant la prit dans ses bras. Etait-ce un rêve ? Kelly avait encore du mal à croire à son bonheur.
— Je pensais que tu aimais Susanna, dit-elle en pleurant.
— Quelle idée ! Susanna n’a jamais fait que m’agacer.
— Mais la veille de notre mariage, il ne s’est rien passé entre toi et elle ?
— Comment ! Que vas-tu imaginer ? J’ai quand même plus de goût que cela ! La veille de notre mariage, elle est venue me voir et s’est littéralement offerte à moi. Je l’ai immédiatement mise à la porte. Elle ne me l’a pas pardonné. Chérie, tu peux me croire, il n’y a qu’une seule femme que j’aime et c’est toi.
— Alors il faudra que nous revoyions les termes de notre contrat de mariage, lança-t-elle en riant à travers ses larmes. La première condition sera que tu me dises au moins une fois par jour que tu m’aimes et...
Brant ne lui laissa pas le temps de continuer. Un tendre baiser la fit taire, scellant le début d’une nouvelle vie.

fin



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