chapitre 6
Face à son miroir, Kelly se regardait d’un œil critique. Sa robe de taffetas couleur champagne touchait le sol. Un grand couturier l’avait conçue d’après ses propres indications. Lorsque, dans la boutique, Kelly l’avait essayée pour la première fois, elle avait été éblouie. A présent, ce qui la préoccupait, c’était l’avis de Brant. A coup sûr, la robe ne lui plairait pas. Taffetas et dentelles... Une robe romantique... Exactement ce que Brant détestait ! De toute façon, ces réflexions venaient trop tard. Dans un peu plus d’une demi-heure, elle serait Mme Brant Harcourt.
En s’approchant du miroir, Kelly vérifia son maquillage. Une maquilleuse professionnelle s’en était chargée, car, trop nerveuse, Kelly ne pouvait tenir un pinceau d’eyeliner sans trembler. Le résultat était superbe. Sans être trop insistant, le maquillage lui donnait une mine éclatante, soulignait son regard et surtout, dissimulait sa fatigue après une nuit blanche. Ses cheveux bouclés entouraient son visage d’une auréole de blondeur, lui donnant un air angélique.
Agacée, Kelly se détourna de son image dans la glace. Voilà ce qui n’allait pas ! Ce genre de beauté laissait Brant absolument insensible, lui qui aimait les femmes du genre de Susanna Winters. Kelly avait l’air trop innocente, trop romantique pour lui plaire. Dès qu’il la verrait, il la trouverait ridicule.
Au-dehors, le ciel était bleu. Pas un nuage pour cette belle journée d’automne. Les feuilles des arbres prenaient les teintes rousses et dorées qui précèdent leur chute. La beauté de cette scène ne parvint pas à chasser les angoisses de Kelly. Une chose surtout la tourmentait : qu’allait-il se passer, ce soir, quand Brant découvrirait qu’elle était aussi innocente qu’elle en avait l’air ? Kelly était incapable de calmer son appréhension. Peut-être parviendrait-elle à dissimuler son inexpérience ? Non, Brant ne tomberait pas dans le piège. Comment allait-il réagir ? Cette pensée lui donnait envie de pleurer.
La sonnerie de la porte brisa le silence de l’appartement. Sans doute s’agissait-il du chauffeur. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il avait un quart d’heure d’avance. Elle n’était pas prête. Que faire ? Kelly descendit précipitamment l’escalier et alla ouvrir la porte.
Un chauffeur en uniforme gris se tenait sur le seuil. Derrière lui, on apercevait une luxueuse Rolls Royce de couleur crème.
— Je ne suis pas prête, déclara Kelly. J’ai encore besoin de dix minutes.
— Ne vous inquiétez pas, mademoiselle McConell, prenez votre temps. Je voulais simplement vous prévenir que j’étais là.
Sur ces mots, il retourna prendre place dans sa voiture.
En réalité, Kelly était prête depuis une heure. Mais son émotion était si forte qu’elle ne pouvait se résoudre à partir dès maintenant. Désœuvrée, elle erra dans les pièces vides. Comme il était logique, Kelly s’apprêtait à emménager chez Brant et l’appartement avait été entièrement vidé. « Vous pouvez mettre votre appartement en vente », lui avait suggéré son futur mari. Trop occupée, Kelly ne l’avait pas encore fait.
Montée dans son ancienne chambre, elle jeta un dernier coup d’œil par la fenêtre, sur le parc qu’elle aimait tant, puis s’assit sur son lit, le seul mobilier resté sur place. Son réveil indiquait 12 h 50. Dans une demi-heure, elle serait mariée.
Par terre traînait un magazine féminin, acheté une semaine auparavant. Un article avait été consacré au mariage de Brant Harcourt. Kelly le ramassa et il s’ouvrit immédiatement sur ces quelques pages, lues et relues.
A plusieurs reprises, un journaliste avait téléphoné pour l’interviewer. Elle avait refusé. Les journalistes racontaient toujours les mêmes histoires et cela ne l’intéressait pas. Remplir des lignes pour raconter comment l’avocat le plus brillant de la ville était tombé amoureux de Kelly McConell, petite-fille du célèbre homme d’affaires Jœ McConell, c’était absurde. De plus, ce scénario sonnait faux et l’agaçait prodigieusement. Aussi son refus avait-il été un peu brutal.
En guise de vengeance, le journaliste avait choisi d’orienter son article d’une tout autre façon. Il insistait surtout sur le précédent mariage de Brant. Evidemment dans le but de mettre Kelly à son désavantage. Une photo, prise sans son accord alors qu’elle quittait les bureaux de la société, figurait dans l’article. Pâle, l’air fatigué, avec un triste tailleur gris, elle contrastait avec la resplendissante Francesca, photographiée dans les bras de Brant, sur une plage des Bahamas. Tous deux avaient l’air tellement heureux ! Cette photographie rappela cruellement à Kelly la froideur de Brant à son égard. Depuis le jour où, après leur dispute, ils avaient fixé la date du mariage, Brant s’en était tenu à la plus stricte politesse avec elle, rien de plus. Comme s’il était parvenu à son but et qu’il n’avait plus à jouer la comédie de la passion...
Francesca était d’une beauté à couper le souffle. Son sourire la rendait radieuse. Sous la photo, le journaliste avait écrit : « Le grand amour de sa vie », alors que l’article consacré à Kelly s’intitulait froidement : « La nouvelle Mme Harcourt ». Et pour couronner le tout, le journaliste rapportait les propos d’une personne restée anonyme qui révélait : « Ce mariage est une excellente affaire pour la société Harcourt et McConell. »
Qui pouvait avoir dit cela ? Un ou une des employés, sans doute. Quelle perfidie ! Chaque fois qu’elle lisait cette phrase, Kelly avait l’impression de recevoir un coup de poignard.
Kelly ferma le magazine avec impatience. Ce n’était pas le moment de penser à cet article démoralisant. En fait, si elle avait été sûre de l’amour de Brant, ces pages insignifiantes l’auraient laissée indifférente, mais là était le problème...
De nouveau, la sonnerie de la porte retentit. Il était temps de partir. En épousant Brant, faisait-elle le bon choix ? La question avait hanté son esprit toute la nuit durant, ajoutant à son désarroi. Trop tard pour reculer... Kelly prit sa veste de fourrure blanche et descendit l’escalier.
Dans l’entrée, elle s’arrêta. Il y aurait foule à l’église, ses amis, les amis de Brant, des curieux, des journalistes. Jamais elle ne pourrait affronter tout ce monde. La cérémonie lui semblait soudain une mascarade. Sans l’amour de Brant, plus rien n’avait de sens ! Mieux valait ne pas y aller.
Une troisième fois, la sonnerie se fit entendre. Elle alla ouvrir, dans l’intention d’annoncer au chauffeur sa décision de ne pas se rendre à l’église.
A sa grande surprise, ce n’était pas le chauffeur qui se tenait sur le seuil, mais un jeune livreur en uniforme qui tenait à la main une rose du plus beau rouge.
— Mademoiselle McConell ?
Sur son signe de tête, il lui tendit la fleur et partit.
Un grand bonheur envahit Kelly. Même si le livreur ne lui avait remis aucune carte, le message était clair : la rose rouge était le symbole de la passion. Avec une délicatesse inattendue, Brant lui déclarait son amour avant de la conduire devant l’autel.
— Mademoiselle McConell, si nous ne partons pas tout de suite, vous serez en retard, déclara le chauffeur qui était revenu la chercher.
— Oui, très bien, répondit-elle, les yeux fixés sur les pétales à peine ouverts. Allons-y.
Sur le parterre de l’église, une foule l’attendait. Lorsque l’on aperçut la voiture de la future mariée, toutes les têtes se retournèrent. Un murmure d’admiration l’accueillit quand Kelly descendit de la Rolls Royce, vêtue de sa somptueuse robe. Les photographes s’en donnèrent à cœur joie. Indifférente à la cohue, Kelly n’avait d’yeux que pour Brant.
Vêtu d’un costume gris perle, un œillet à la boutonnière, des gants blancs à la main, Brant était superbe. Quittant ses amis, il s’avança vers elle en souriant.
— J’ai cru que vous aviez changé d’avis, lança-t-il.
Prenant un peu de recul, il contempla la jeune femme dont les yeux pétillaient de bonheur. Brant s’émerveillait de la splendeur de la robe de taffetas et de la beauté de sa future femme.
— Vous m’avez fait attendre, Kelly, mais je dois avouer que le spectacle en valait la peine !
La douceur de sa voix la surprit agréablement. Rayonnante, elle lui tendit la main et ensemble ils entrèrent dans l’église où leurs deux vies allaient être liées à jamais.
Ensuite, tout se passa comme dans un rêve. En quelques instants Kelly McConell était devenue Mme Brant Harcourt. A la sortie de l’église, éblouie par l’étincelant soleil automnal et par les éclairs des appareils photo, Kelly serra le bras de Brant. Le couple fut entouré par leurs amis qui voulaient les féliciter. Parmi la foule, la mère de Brant se dirigea vers eux pour les embrasser affectueusement. Elle avait les larmes aux yeux. D’instinct, Kelly se sentit attirée vers cette femme qu’elle ne connaissait pas encore.
Entourant Kelly de son bras, Brant s’adressa à tous les invités.
— Nous vous donnons rendez-vous à l’hôtel Chequers Hall pour la réception.
— Brant, vous n’avez pas encore embrassé la mariée ! s’exclama quelqu’un.
Aussitôt, prenant Kelly par surprise, Brant répara cet oubli. Il se pencha vers elle et Kelly crut lire dans ses yeux une indéfinissable expression de tristesse. Mais le baiser langoureux qu’ils échangèrent chassa ce qui n’avait peut-être été qu’une illusion. Des applaudissements accueillirent ce baiser. Brant, souriant, entraîna Kelly vers la voiture qui devait prendre la route de l’hôtel.
— Il est temps de partir au Chequers Hall, mes amis ! Sinon vous allez nous faire rater l’avion de ce soir...
— Nous prenons l’avion ce soir ? Où allons-nous ?
— Tu le sauras plus tard. Le lieu de notre lune de miel est précieusement gardé secret pour éviter que l’on soit dérangés. D’ailleurs, ce matin, j’ai réglé tous les détails de l’affaire Shaunessey pour la semaine prochaine. Comme ça, au bureau, ils pourront se débrouiller seuls et nous laisser savourer ces quelques moments ensemble...
Le Chequers Hall était un vieil hôtel, au charme suranné, situé sur les bords du lac Ontario. Son calme et son luxe de bon aloi en faisaient le lieu idéal pour une telle réception. Dans le plus grand salon du premier étage, un somptueux buffet avait été dressé.
Lorsque Brant et Kelly entrèrent, de nombreux invités étaient déjà arrivés. Un majordome vint leur apporter des coupes de champagne et ils se mêlèrent à la foule. Puis Brant fut réclamé par certains de ses associés qui discutaient d’un scandale financier récent et souhaitaient l’avis de Brant.
Kelly s’éloigna. Helen Harcourt, profitant de ce que sa belle-fille était seule, vint lui tenir compagnie.
— Ah ! Kelly, je suis heureuse de pouvoir enfin discuter avec vous. Quelle ravissante belle-fille Brant vient de me donner !
— Merci, répondit Kelly, intimidée.
Helen Harcourt était d’une élégance parfaite. Vêtue d’un tailleur Chanel blanc et noir, elle parlait avec un accent anglais d’une grande distinction.
— Mon fils est très discret en matière de sentiment ! Savez-vous qu’il ne m’avait même pas dit qu’il souhaitait se remarier ? Vous imaginez ma surprise quand il m’a téléphoné, il y a quelques jours, pour m’annoncer votre mariage ! D’ailleurs, c’était la même chose la première fois, un véritable coup de foudre
Cette découverte chagrina Kelly. Helen, perspicace, s’en aperçut et voulut réparer sa maladresse.
— Pardonnez-moi, Kelly. J’ai manqué de tact en évoquant ce passé...
— Non, non, ce n’est rien, reprit Kelly, un peu émue.
— Vous êtes quelqu’un de très sensible, je le vois bien. Je ne pouvais souhaiter plus charmante belle-fille. Et Brant vous adore. Je l’ai observé lorsqu’il vous a vue arriver en voiture. Votre retard l’avait inquiété et, dès qu’il vous a aperçue, son visage s’est illuminé de bonheur. Cela faisait plaisir à voir.
Ce qu’Helen lui apprenait mit les larmes aux yeux de Kelly. Brant, heureux de leur mariage ? Elle n’avait jamais osé l’espérer.
— Vous êtes vraiment la personne dont Brant avait besoin, Kelly, continua Helen d’une voix douce.
« Il a besoin de moi ? » se demanda Kelly avec incrédulité. Elle maîtrisait à peine son émotion et ses larmes menaçaient de couler sur ses joues.
— Vous avez fait connaissance, à ce que je vois, s’exclama Brant, qui venait rejoindre les deux femmes.
S’il remarqua les yeux brillants de Kelly, il ne fit aucune réflexion à ce sujet. Brant les prit toutes les deux par les épaules.
— Oui, et ce n’est pas grâce à toi, Brant, rétorqua Helen d’un air faussement contrarié. Tu ne nous avais même pas présentées convenablement !
— Ah oui ? Eh bien, madame Harcourt, je vous présente Mme Harcourt.
— Kelly, j’espère que vous savez à quoi vous vous exposez avec Brant, car il est absolument impossible.
— Oui, je le sais déjà, répondit la jeune femme en souriant à son mari.
En plein milieu de leur conversation, Daniel fit son apparition. Dans son costume trois-pièces, il gagnait le premier prix d’élégance. Tendant la main à Brant, il lui adressa ses félicitations. Etait-ce son imagination qui donna à Kelly l’impression que les remerciements de Brant étaient un peu secs ?
— Brant, savez-vous que vous avez beaucoup de chance ? Puis-je embrasser votre femme ?
— Oui, si vous n’en prenez pas l’habitude, répondit Brant après une hésitation.
C’était dit sur le ton de la plaisanterie, mais une certaine agressivité perçait dans la voix.
— Kelly, tu es magnifique ! s’écria Daniel.
Puis, avant même qu’elle ait le temps de réagir, il déposa un baiser sur ses lèvres. Rougissant sous le coup de la surprise, Kelly fut soulagée de voir que Brant et Helen avaient été distraits par l’arrivée de quelques invités avec lesquels ils discutaient.
— Je te souhaite tout le bonheur possible, Kelly.
— Merci, Daniel. Et pour toi, à quand le mariage ?
— Pas de sitôt ! Surtout depuis que j’ai perdu l’unique amour de ma vie...
Kelly répondit d’un éclat de rire.
— A propos, as-tu aperçu ta grande amie Susanna ? reprit Daniel en baissant la voix ; Je peux t’assurer que, pendant la cérémonie, elle te jetait des regards meurtriers !
— Vraiment ? murmura Kelly en cherchant des yeux sa rivale.
Susanna se trouvait dans le salon, entourée d’une foule d’admirateurs qui buvaient ses paroles. Voilà qui n’était pas très étonnant : dans un fourreau de satin blanc, les cheveux relevés sur la nuque, Susanna était époustouflante. Jusqu’ici, Kelly n’avait jamais remarqué combien elle ressemblait à Francesca. Comme elle, Susanna avait de longs cheveux blonds, la silhouette d’un mannequin et s’habillait avec beaucoup de sophistication.
— A mon avis, en lui prenant Brant, tu t’es fait une ennemie.
— Oh ? Je ne crois pas. Regarde, elle est en bonne compagnie en ce moment. Elle ne pense probablement plus à Brant. En tout cas, merci de te faire du souci pour moi.
— C’est normal. A partir de maintenant, tu dois me considérer comme ton grand frère. Au fait, as-tu reçu mon petit cadeau ?
— Quel cadeau ?
A cet instant, Brant se tourna vers eux et interrompit leur discussion.
— Kelly, il sera bientôt l’heure de partir. Veux-tu monter te changer ?
Ce rappel fit battre le cœur de Kelly : leur départ était imminent. Pour quelle destination ? Pour quelle lune de miel ? Brant lui tendit les clés de leur chambre.
— Je viendrai te rejoindre dans un moment.
Leur chambre était d’un luxe raffiné. Tapissée de bleu, meublée avec goût, elle faisait regretter à Kelly ce départ précipité. La vue sur le lac et sur les forêts environnantes était enchanteresse. Enfin, Brant avait déjà tout prévu et lui réservait peut-être une agréable surprise.
Avec hâte, Kelly ôta sa robe et enfila un tailleur de cachemire beige. Brant pouvait entrer à tout instant et Kelly ne tenait pas à ce qu’il la surprenne en tenue légère. « Tu es ridicule ! » se dit-elle. Cette nuit, de toute façon, Brant saurait tout d’elle, alors peu importait qu’il l’aperçoive dès maintenant en lingerie de soie.
Au souvenir de cet après-midi, Kelly laissa échapper un soupir de bonheur. Le futur au côté de Brant s’annonçait radieux depuis sa discrète déclaration d’amour : cette rose qu’il lui avait envoyée, son émotion lorsqu’elle était descendue de la voiture, et son baiser sur le parvis de l’église...
Prenant son sac, ses gants et son foulard, Kelly se regarda une dernière fois dans le miroir. Elle rayonnait. D’un geste de la main, elle retira de ses cheveux quelques confettis qui avaient été lancés à la sortie de l’église. Les éclats de sa bague attirèrent son regard. Mariée, elle était mariée avec Brant Harcourt ! Kelly était comblée.
Puisque Brant ne venait pas la rejoindre, pourquoi ne pas aller le retrouver ? Peut-être que, par délicatesse, il l’avait laissée seule pour se changer. Sans doute était-il resté dans le salon à discuter avec les invités.
Une fois dans le couloir, Kelly reconnut la voix de Brant avant de l’apercevoir. Elle venait des ascenseurs, à l’extrémité du couloir. Une femme lui parlait.
— Je sais que tu ne l’aimes pas. J’ai bien vu qu’à peine la cérémonie terminée, tu regrettais déjà de l’avoir épousée.
Susanna Winters ! Un froid glacial paralysa Kelly. Elle aurait voulu s’enfuir, ne pas écouter cet échange qui lui faisait si mal, mais elle était incapable de faire le moindre mouvement.
— Kelly est ma femme, Susanna, et je...
— Oui, c’est ta femme. Et alors ? Bien sûr, tu es le genre d’homme à tenir ta parole et à être fidèle seulement par principe, même si cela doit te rendre malheureux.
— Ecoute, Susanna, mes rapports avec ma femme ne te concernent pas. Ça suffit maintenant ! répliqua-t-il, en colère.
— Oh ! Brant, ne sois si dur avec moi, s’exclama Susanna, des sanglots dans la voix. Je voulais seulement te parler de ce qui s’est passé hier soir. Après t’avoir quitté, j’étais bouleversée. Tu avais été si...
— Je t’ai dit de ne plus penser à hier ! Je ne veux pas que cela se reproduise !
— Oui, Brant. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver.
Kelly n’entendit pas la réponse de Brant. Ses pas se rapprochaient. Pour rien au monde il ne devait s’apercevoir qu’elle avait écouté leur conversation. Brusquement Kelly se mit à courir. Devant la porte de la chambre, ses mains tremblaient tellement qu’elle eut du mal à mettre la clé dans la serrure. Enfin, la porte s’ouvrit. Au bord de la crise de nerfs, Kelly se précipita dans la salle de bains qu’elle ferma à clé. S’écroulant dans un fauteuil, Kelly éclata en sanglots. Des bribes de mots revenaient la tourmenter : « Tu ne l’aimes pas », « tu regrettais déjà de l’avoir épousée »... « Tu étais si... » Si quoi ? Amoureux ? Passionné ? Brant avait passé la veille de son mariage dans les bras de cette femme ! Prête à s’évanouir, Kelly eut la force de s’approcher du lavabo et d’asperger son visage d’eau fraîche.
Quelques coups se firent entendre à la porte.
— Chérie, tout va bien ? Il faudrait que nous partions bientôt.
— Oui, je sors dans un instant.
Le miroir lui renvoyait son reflet : excessivement pâle, les yeux brillants, Kelly essaya de dissimuler les marques laissées par cette violente émotion. Après qu’elle eut respiré profondément, ses traits recouvrèrent quelque sérénité. Il ne fallait pas que Brant sache qu’elle avait surpris cette scène. Lui en parler ne ferait qu’envenimer les choses. Jamais Brant n’avait promis à Kelly de l’aimer. Et elle l’avait épousé en connaissance de cause... « Tu es le genre d’homme à tenir ta parole et à être fidèle seulement par principe, même si cela doit te rendre malheureux », avait dit Susanna. Kelly ne parvenait pas à chasser ces mots de sa mémoire : s’était-elle trompée en croyant pouvoir rendre Brant heureux ?
— Kelly, tu prends un bain ? demanda encore Brant.
— Non, non. Je sors.
Enfin, elle ouvrit la porte. Dans un costume gris, Brant se tenait près de la fenêtre et regardait la surface miroitante du lac. Il se retourna et apprécia du regard la jolie silhouette de sa femme.
— Daniel avait raison, j’ai beaucoup de chance de t’avoir épousée. Tu es très belle, Kelly.
La gorge nouée, Kelly ne pouvait prononcer une seule parole. L’envie de pleurer lui piquait les yeux. Brant savait lui dire les mots qu’elle voulait entendre, il était passé maître dans ce domaine. En fait, ce que Susanna avait affirmé était exact. Brant saurait la respecter et se comporter comme un mari doit le faire. Dans leur mariage, l’amour ne serait qu’accessoire.
— Ça ne va pas, Kelly ? questionna-t-il en faisant un pas vers elle.
— Si, tout va bien. Nous devons prendre notre avion bientôt, non ? Je suis prête à partir.
— Oui, mais auparavant, je voudrais embrasser ma femme.
Avec tendresse, Brant la prit dans ses bras. Malgré sa tristesse, Kelly s’abandonna contre lui, comme pour se raccrocher à un dernier espoir. Leurs lèvres se rencontrèrent en un baiser fervent qui chassa aussitôt doutes et angoisses. Ce baiser semblait démentir tout ce que, par perfidie peut-être, Susanna avait prétendu. Enivrée par le charme de Brant, Kelly se laissait envahir par des sensations délicieuses.
— Et si nous retardions notre départ ? Si nous restions ici, tous les deux ? murmura Brant d’une voix rauque.
Cette question jeta Kelly en plein désarroi. Rester ici avec Brant ? Oui, c’était son plus cher désir. Pourtant, Kelly envisageait avec appréhension le moment où son mari lui ferait découvrir l’amour physique. Elle cherchait, par tous les moyens, à le retarder.
— Je préférerais que nous partions, Brant. De toute façon nos invités nous attendent en bas.
— Comme tu voudras.
Aussitôt, il décrocha le téléphone placé sur le secrétaire, et appela la réception.
— Allô, c’est la chambre 206. Pouvez-vous m’envoyer un porteur pour les bagages ?
Apparemment, le refus de Kelly l’avait contrarié, car Brant se tourna vers elle et lui demanda un peu sèchement :
— Satisfaite ?
Le cœur serré, Kelly préféra dissimuler son chagrin et sauver les apparences.
— Oui, merci, Brant.
Tous leurs invités les attendaient pour leur souhaiter un bon voyage de noces. Brant joua parfaitement son rôle de mari prévenant et amoureux et Kelly réussit à simuler le bonheur d’une jeune mariée. Une fois dans la voiture que conduisait un chauffeur en livrée, Kelly se tourna pour regarder la foule qui les saluait amicalement. Seule Susanna, restée à l’écart, ne souriait pas. Elle fixait Kelly avec une assurance insupportable, qui semblait dire : « Brant finira par revenir vers moi. C’est seulement une question de jours. »
Jusqu’à l’aéroport, Brant et Kelly gardèrent le silence. A quoi Brant pouvait-il bien penser ? Peut-être à Susanna ? Ou à Francesca ? Les traits de son visage étaient durs et il semblait ignorer la présence de Kelly.
Dans le hall de l’aéroport, Kelly examina les tableaux des départs, pour essayer de deviner quelle était leur destination.
— Où allons-nous, Brant ? demanda-t-elle avec une certaine excitation.
— Où voudrais-tu aller ?
La question méritait réflexion. Pendant quelques instants, elle chercha la destination idéale.
— J’aimerais bien aller quelque part où il fasse chaud, où l’on puisse se dorer au soleil sur une plage immense...
— Parfait, c’est ce que j’avais prévu. Que penses-tu de la Floride ?
— La Floride ? C’est là que nous allons ?
— Oui, si tu es d’accord. Mais si tu préfères un autre endroit...
— Oh ! non.
Dans sa joie, Kelly aurait voulu lui dire que n’importe quel endroit lui conviendrait du moment qu’ils étaient ensemble. Elle aurait voulu tomber dans ses bras et lui dire combien elle l’aimait... Ces mots, hélas, ne pouvaient franchir le seuil de ses lèvres. Par peur d’être rejetée, d’être humiliée, Kelly gardait le silence.
— Viens, murmura Brant. Allons profiter du soleil de Floride.
Il était bien tard quand ils arrivèrent à leur destination. Une fois à Miami, ils avaient pris un avion privé jusqu’à Sarasota. Là, une voiture les attendait. Encore une heure de route et la voiture s’était arrêtée dans le parc d’une vaste maison de bois blanc, dont toutes les lumières étaient allumées.
En pleine forme malgré la longueur du trajet, Kelly était sortie de la voiture la première. Seul le bruit des vagues brisait le silence. Dans l’air de la nuit, les fleurs du parc exhalaient leur parfum. La maison rayonnait de lumière et sa blancheur contrastait avec le noir pourpré du ciel. Il s’agissait d’une demeure de style colonial espagnol. Des arcades menaient à un charmant patio.
— J’ai demandé à ce qu’on allume toutes les lampes de la maison avant notre arrivée, expliqua Brant en prenant les valises.
— Cette maison t’appartient ? Je pensais que nous allions loger dans un hôtel.
— Non, je voulais te faire découvrir ma propriété de Floride. Je devrais dire plutôt notre propriété.
Ils seraient donc seuls pendant une semaine dans cette superbe demeure ? La tête de Kelly commençait à tourner.
Brant ouvrit la porte d’entrée. Des lustres étincelants illuminaient les murs blancs et les tapis d’un rose profond. De l’entrée, on apercevait sur la droite un immense salon dans lequel l’ameublement gardait sa couleur locale : des panneaux d’ébène étaient plaqués sur les murs tandis que des tapis d’une couleur cuivrée revêtaient les sols. Le choc de ces couleurs produisait une impression forte sur le visiteur. Kelly était ravie.
Brant traversa la pièce et conduisit sa femme à l’étage supérieur. Au centre de la chambre se trouvait un grand lit à baldaquin dont les rideaux de soie bleue s’accordaient avec les tapisseries turquoise de la pièce.
Après avoir déposé les valises, Brant se tourna vers Kelly et la regarda attentivement.
— As-tu faim, Kelly ? Tu n’as presque rien mangé dans l’avion.
— Non, je n’ai pas faim. Par contre je veux bien boire quelque chose, dit-elle d’une voix tremblante.
— Du thé, du café ou de l’alcool ?
— Plutôt de l’alcool.
Peut-être retrouverait-elle ainsi un peu de courage ? Brant lui répondit dans un sourire :
— Très bien. J’avais demandé à Maria de mettre du champagne au frais. Je vais le chercher. Pendant ce temps, mets-toi à l’aise. Si tu veux, prends un bain ou une douche.
— Merci, Brant.
Son mari lui apparaissait soudain comme un étranger, auquel elle ne savait que dire. Peu à peu, la panique prenait possession de la jeune femme sans qu’elle puisse se contrôler. Les mains tremblantes, elle alla chercher sa chemise de nuit et ses affaires de toilette. Puis elle s’enferma dans la salle de bains, espérant un peu de répit.
La douce chaleur et le parfum agréable du bain ne parvinrent pas à la détendre. En sortant de l’eau, Kelly s’enveloppa dans une grande serviette. Avec soin, elle appliqua sur tout son corps un lait parfumé. Enfin, Kelly enfila sa chemise de nuit de soie, puis un élégant déshabillé. Ses cheveux, détachés pour la nuit, ondoyaient souplement sur ses épaules. Sur son visage, nulle trace de maquillage. Elle était jolie ainsi, elle le savait. Mais ce soir, elle ne cherchait plus à séduire Brant. Au contraire, elle aurait voulu s’enfuir, éviter l’épreuve qui l’attendait. Souhait irréalisable... n’était trop tard. Kelly ouvrit la porte et entra dans la chambre.
Brant était étendu sur le lit. Il ne s’était pas encore dévêtu. Dès qu’elle entra, il leva les yeux vers elle et, sans mot dire, la contempla. Sur la table de nuit, une bouteille de champagne attira le regard de Kelly. Brant se redressa et, d’un geste, fit sauter le bouchon, et deux grandes flûtes de cristal furent emplies du vin pétillant et doré.
— Viens, Kelly, murmura-t-il avec tendresse.
Masquant sa gêne, Kelly s’avança vers lui et s’assit au bord du lit. Elle prit le verre qu’il lui tendait.
— A notre vie ensemble ! s’exclama Brant.
Parlait-il sérieusement ? Mieux valait ne pas chercher à le savoir. Anxieuse, Kelly vida son verre de champagne d’un trait et en demanda un autre. Brant se *******a de lui reprendre son verre et de le reposer sur la tablette.
— Je voudrais une autre coupe, Brant.
— Je sais. Mais je ne tiens pas à t’enivrer... en tout cas pas de cette façon-là, dit-il avec un sourire ambigu.
Ces paroles mirent Kelly au supplice. Comment expliquer à Brant ses craintes, comment lui faire comprendre que la simple idée de partager son lit la terrifiait ? N’y tenant plus, Kelly se leva et s’approcha de la baie vitrée. On apercevait la plage illuminée par la clarté de la lune. Au loin, quelques voiliers étaient amarrés et attendaient leurs riches propriétaires. Les portes coulissèrent et elle sortit sur la terrasse. L’air de la mer ranimait son courage.
— Que se passe-t-il, Kelly ? demanda Brant.
— Rien, rien.
— Allez, entre, ordonna-t-il impatiemment.
Brant s’était levé. Agacé par le comportement de sa femme, il vint la chercher.
— Kelly, cesse tes enfantillages.
Il essaya de la prendre par le bras. Affolée, elle recula.
— Non, Brant ! Ne me touche pas ! Je ne veux pas !
— Très bien, ma chérie. Calme-toi. Entre, s’il te plaît. Tu as besoin de sommeil.
C’était vrai. Kelly était épuisée. Le mariage, la réception, le voyage... Après ces bouleversements, elle ne souhaitait plus qu’une chose : le repos et le calme.
— Oui, tu as raison, Brant. Mais jure-moi que...
— Je te le jure.
— Où vas-tu dormir ?
— Dans le même lit que toi, Kelly. Nous nous étions mis d’accord là-dessus, rappelle-toi.
— Oui... mais...
— Je t’ai dit que je ne te toucherai pas. Alors va te coucher.
Brant disparut dans la salle de bains.
Pendant quelques secondes, Kelly resta figée sur place. Par ses craintes absurdes, elle avait tout gâché ! Retenant ses larmes, elle obéit à son mari et se glissa entre les draps soyeux. Son corps se détendait peu à peu, mais pas son esprit. Les événements de ces dernières heures défilaient dans sa tête. Kelly revoyait la rose rouge envoyée par Brant. Ce souvenir agréable fut chassé immédiatement par celui des paroles de Susanna : « A peine la cérémonie terminée, tu regrettais déjà de l’avoir épousée. » Elle se rappela ensuite le regard triste de Brant quand il l’avait embrassée sur le parvis de l’église. Ces scènes traversaient sa mémoire et meurtrissaient son cœur. Soudain, un détail lui revint à l’esprit. Daniel lui avait parlé d’un cadeau qu’il lui avait fait parvenir. Or, elle n’avait rien reçu de lui. Rien ? Mais si ! La rose rouge ! Ce présent, qui lui avait fait croire à l’amour de Brant, ne venait donc pas de son mari, mais de Daniel !
La douche s’était arrêtée. Brant allait venir se coucher auprès d’elle. La porte s’ouvrit et se referma discrètement. Immobile, Kelly retenait son souffle. Brant se glissa dans le lit et éteignit sa lampe.
Finalement, le sommeil vint emporter Kelly, un sommeil hanté par les mauvais rêves. Elle se trouvait de nouveau à l’église, mais la foule qui l’entourait, au lieu de la féliciter, se moquait d’elle. Tout le monde savait que Brant ne l’épousait que pour obtenir le contrôle de la société. Susanna s’avançait vers elle et lui disait : « Jamais vous ne pourrez vous faire aimer de Brant. » Puis, elle entendait la voix de Brant : « Désolé, Kelly, nous ne pouvons pas vivre ensemble. Je te quitte. »
Brusquement, elle ouvrit les yeux. Son cœur battait la chamade, des frissons parcouraient son corps. Progressivement, le calme revenait. A sa grande surprise, Kelly se rendit compte qu’elle partageait l’oreiller de Brant. Dans un geste de tendresse, il l’avait enlacée. Doucement elle se redressa. La lumière de l’aurore éclairait la chambre. Brant dormait paisiblement. Ses traits avaient perdu de leur dureté. Il se dégageait de ce visage une impression de vulnérabilité qui avait jusqu’alors échappé à Kelly. Emue, elle aurait voulu le réveiller et lui dire tout son amour, se confier enfin et lever tous les malentendus. Mais elle n’en eut pas le courage. Avec précaution, Kelly se dégagea de son étreinte et quitta le lit. Après s’être enveloppée dans un grand châle de soie, elle ouvrit les fenêtres et sortit.
Le soleil, qui venait de se lever, embrasait l’horizon. Le ciel était serein. Une légère brise faisait trembler les palmes des arbres. Cet endroit était un vrai paradis, le lieu idéal pour une lune de miel. Combien elle regrettait la scène d’hier soir ! Elle s’était comportée comme une idiote. Brant devait déjà se repentir de l’avoir épousée. Quelle erreur d’avoir imaginé que Brant était amoureux d’elle ! Non, il ne l’avait jamais été et ne risquait pas de le devenir.
— Pourquoi es-tu sortie ?
Kelly sursauta. Brant, à demi dévêtu, se tenait sur le seuil de la porte. Kelly détourna les yeux. La beauté athlétique de ce torse nu la troublait et la mettait mal à l’aise.
— Je regarde le lever du soleil.
Ne sachant que dire, Kelly se mit face à l’océan et fit mine de le contempler. La lumière jouait sur les vagues et leur donnait des reflets diaprés. Sans bruit, Brant s’appuya contre le parapet, près d’elle.
— C’est magnifique, n’est-ce pas ? Ce spectacle ne manque jamais de m’émouvoir. Cela nous remet à notre vraie place, minuscule et insignifiante, dans l’ordre de l’univers. On adopte un autre regard sur le monde. Face à cela, nos problèmes perdent de leur gravité...
De telles paroles étaient inattendues dans la bouche de Brant. Etonnée, elle lui jeta un regard de biais.
— Il m’est arrivé de traverser des moments d’incertitude, Kelly.
La compréhension et la gentillesse de Brant la déconcertaient. Il essayait de l’aider à parler. Paradoxalement, son attitude ne lui était d’aucun secours. La gorge serrée, Kelly se taisait. Aussi Brant reprit-il la parole :
— J’ai acheté cette propriété après la mort de Francesca. C’est ici que j’ai réussi à surmonter la douleur de sa disparition.
Après avoir tant souffert, Brant méritait d’être heureux, pensa Kelly. Désespérée, elle se sentait incapable de lui donner ce bonheur qu’elle croyait, la veille encore, possible.
— Brant, je suis désolée pour hier soir. Tu as été très patient avec moi. Beaucoup d’hommes auraient...
— Beaucoup d’hommes auraient passé outre ton refus, continua-t-il. Mais crois-tu vraiment que j’appartiens à ce type d’hommes ?
— Je ne sais pas, Brant. Il m’arrive de le croire. Tu peux être très violent parfois. Tout ce que je sais, c’est qu’entre nous... entre nous il n’y a pas d’amour. Nous avons commis une énorme erreur en nous mariant.
— Une énorme erreur ? reprit-il, en changeant de ton. Je te rappelle tes propres paroles, il y a un mois : « Ce mariage peut être une bonne affaire pour moi aussi. »
Le souvenir de cette pénible conversation lui revint. Comment lui dire ce qu’elle éprouvait réellement ? Les mots lui jouaient de mauvais tours. Ce jour-là, elle avait menti. Tout ce qu’elle voulait, c’était l’épouser sans perdre la face. Elle avait défié Brant et s’était prise à son propre jeu.
— Il n’est pas trop tard, Brant. Il y a encore une solution.
— Ah oui ? Laquelle ?
— Nous pouvons faire annuler le mariage. Je suis sûre que...
— Tu n’es sûre de rien, Kelly. Moi je le suis, et je peux te dire que notre mariage ne sera pas annulé. Hier, tu m’as fait un serment. Je ne te permets pas de le briser par caprice, simplement parce que tu as changé d’avis. Il y a bien trop de choses en jeu !
— Oui, les actions McConell, par exemple. C’est tout ce qui compte, pour toi !
— Tu connaissais les termes du contrat. Il n’y a pas à revenir là-dessus.
— Oui, d’accord. Mais qu’est-ce qui m’oblige à partager ton lit ?
— C’est cela qui te gêne ? Où est donc la femme qui, il y a quelques semaines, me suppliait presque de lui faire l’amour ?
A ce rappel, Kelly rougit de honte. Comment osait-il ? Humiliée, elle ne trouva quoi répondre.
— Ce soir-là, je t’avais offert un précieux collier. Et hier, j’ai oublié de le faire..., reprit Brant.
Kelly ne put se retenir. La gifle laissa des marques rouges sur la joue de Brant. Aussitôt, elle regretta son geste. Jamais elle n’avait giflé quelqu’un.
— Brant, pardonne-moi, mais tu es allé trop loin.
— Au contraire, Kelly, au contraire, dit-il d’une voix menaçante.
Son regard furieux inquiéta Kelly. Elle recula d’un pas. La main de Brant s’abattit sur son épaule et l’immobilisa.
— Que fais-tu, Brant ? Laisse-moi !
— Ce que j’aurais dû faire cette nuit !
Sans ménagement, Brant la souleva et la prit dans ses bras. La résistance était inutile. Pourtant, Kelly se débattait de toutes ses forces.
— Tu es fou, Brant. Laisse-moi !
Une fois parvenu dans leur chambre, Brant la jeta sur le lit. Stupéfaite, la jeune femme le regardait sans comprendre. L’effroi la fit réagir. Elle tenta d’échapper à la colère de son mari. En vain. Il la rattrapa et la plaqua sur le lit.
— Arrête, Brant, arrête ! cria-t-elle.
Ses cheveux blonds épars sur la couverture, Kelly le repoussait. D’une seule main, Brant avait emprisonné les siennes. Il couvait la jeune femme d’un regard ardent. Il l’hypnotisait comme un serpent fascine sa proie. Peu à peu, la volonté de Kelly fléchissait, l’effroi laissait place au désir. Enfin Brant posa ses lèvres brûlantes sur celles de Kelly, déclenchant une tempête d’émotions chez la jeune femme. Des frissons délicieux l’envahirent. Elle n’avait plus aucune envie de se défendre. Non, s’abandonner contre lui, céder à ses caresses de plus en plus pressantes... Brant relâcha son emprise. Kelly était libre maintenant mais ne songeait pas à s’enfuir. Brant écarta son châle de soie et doucement fit glisser sa chemise de nuit autour d’elle.
Complètement nue, alanguie sur les draps de satin, Kelly se laissa contempler par Brant.
— Tu es très belle, Kelly, murmura-t-il dans un souffle.
Déjà le désir montait en elle, impérieux. Elle enlaça Brant tendrement et se laissa emporter par les plaisirs enivrants de l’amour.