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الروايات الرومانسية الاجنبية Romantic Novels Fourm، روايات رومانسية اجنبية


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Chapitre 7


Il était plus de 11 heures lorsque Sheila monta se coucher. Slade regardait le dernier journal télévisé. Assis dans le lit, torse nu, elle le trouva plus désirable que jamais !
Lorsqu’il se retourna, la jeune femme remarqua la profonde lassitude qui empreignait ses traits. Elle songea que le matin même elle était seule et le croyait perdu, et ne put empêcher une vive émotion de lui étreindre la poitrine.
— Comment vous sentez-vous ? dit Slade en posant la télécommande sur la table de nuit.
— Je suis presque trop fatiguée pour avoir la force de m’en plaindre.
Il tapota le matelas, juste à côté de lui.
— Allons, venez vous coucher.
Sheila hésita. Le moment était pourtant mal choisi pour jouer les timides.
— Je..., fit-elle.
Slade se leva et vint vers elle. Il lui prit la main.
— Venez, dit-il d’une voix douce. Mes intentions sont chastes. Du moins... jusqu’à ce que vous estimiez qu’il peut en être autrement. Je suis un gentil garçon, rappelez-vous.
Sans réfléchir, Sheila s’allongea avec lui. Slade commença à lui masser les épaules.
— Sheila, j’ai rejoué mille fois tout ce qui s’est passé entre nous. Tout ce qui s’est passé après que nous avons nagé dans cette petite crique.
Après coup, Sheila s’en était voulu d’avoir commis une telle folie. Cette nuit avait pourtant été si magique.
— Si quelqu’un nous avait surpris...
— Mais personne ne nous a surpris.
Après un imperceptible silence, il poursuivit sur un autre ton.
— Dites-moi, à part cette nuit-là, avez-vous toujours été bien sage ?
Sheila voulut se retourner, mais il insista d’un geste pour qu’elle reste allongée. Elle consentit d’autant plus volontiers que ses mains faisaient merveille.
— Si vous voulez savoir si j’ai l’habitude de prendre des bains de minuit avec des inconnus, la réponse est non.
— Rien qu’avec moi ?
Une joie très perceptible colorait sa voix.
— Rien qu’avec vous.
— Ma foi, cela me va.
Sans cesser de la masser, il déposa de petits baisers tendres sur sa nuque.
— Cela me va même tout à fait.
Le cœur de Sheila se mit à battre à tout rompre. Malgré sa fatigue, elle sentait son désir s’éveiller. Il était toutefois trop tôt pour cela.
— Orgueil de mâle ? demanda-t elle, une pointe de provocation dans la voix.
— Légitime fierté de mari, rectifia Slade.
Et... un brin d’orgueil, j’en conviens. Il continuait de lui pétrir les épaules.
— Vos muscles sont durs comme de la fonte. Détendez-vous, Sheila. Vous êtes revenue à la maison.
Elle était revenue à la maison, certes. Mais la situation était très différente. Lorsqu’elle aperçut le reflet de Slade sur l’écran de la télévision, elle ne put réprimer un frisson. Elle avait épousé un inconnu !
— Vous savez, commença-t elle d’une voix hésitante, on m’a toujours dit de ne pas croire à ce qui est trop beau pour être vrai.
Oui, mais toute règle comporte des exceptions. Et Slade savait maintenant que Sheila était cette exception dans sa vie.
— Et que vous a-t on dit d’autre ?
— De réfléchir avant d’agir.
Elle rit.
— Je suis ravi que vous n’ayez pas pris ce conseil-là trop à cœur, rétorqua-t il en souriant.
La jeune femme se retourna pour le regarder.
— C’est pourtant ce que j’ai toujours fait.
— Même avant de faire l’amour avec moi ?
Elle prit une profonde inspiration.
— J’ai fait l’amour avec vous parce que...
Mais elle n’alla pas plus loin, s’apercevant un peu tard qu’elle n’avait jamais vraiment réfléchi aux raisons de sa conduite.
— Oui ? fit-il.
— Eh bien, j’ai fait l’amour avec vous parce que... parce que vous êtes l’homme le plus séduisant que j’aie jamais rencontré.
Slade reçut chaque mot comme une caresse parfumée.
— Je sentais une sorte d’inexplicable harmonie entre nous, continua Sheila. Et puis, vous alliez quitter le pays.
— Je m’en doutais un peu, dit Slade. Est-ce ce genre de commodités qui vous guide dans le choix de vos amants ?
Si elle voulait que leur couple ait l’ombre d’une chance de réussir, il ne voulait pas laisser s’installer la moindre équivoque sur un sujet aussi délicat.
— Pour ce qui est des amants, n’en parlez pas comme si j’en avais eu des centaines, s’il vous plaît.
— Combien ?
Une lueur d’exaspération passa dans les yeux de Sheila.
— Excusez-moi, ajouta Slade. Vous aussi, vous avez le droit de me poser des questions.
Elle lui lança un coup d’œil sceptique.
— Vous me répondrez ?
— Oui.
Du côté de Slade, pas la moindre hésitation.
— La vérité ?
Il sourit en hochant la tête d’un air faussement navré.
— Qu’est-ce qui a bien pu vous rendre aussi soupçonneuse ?
— Je suis le dernier rejeton d’une longue lignée de méfiants.
Incapable de résister, Slade lui caressa la joue. Elle portait ses cheveux dénoués comme cette nuit-là. Il les aimait ainsi, cascadant le long de ses épaules veloutées.
— Vos ancêtres étaient-ils tous aussi splendides que vous ?
Sheila chercha à s’écarter mais il la retint.
— Ne changez pas de sujet, s’il vous plaît.
Slade enfouit ses mains dans la masse des cheveux blonds de la jeune femme et l’obligea à tourner le visage vers lui.
— Embrassez-moi, continua-t il. Embrassez-moi comme cette nuit-là. Embrassez-moi comme si je m’en allais de nouveau.
Si elle avait été debout, ses jambes se seraient dérobées sous elle.
— Vous vous en allez ?
— Pas dans un prochain avenir.
— Mais un jour ?
— Peut-être.
Et, cette fois-ci, Sheila aurait peur pour lui. Déjà, elle éprouvait un petit pincement au cœur. Mais elle refusait de s’inquiéter pour quiconque. Ce n’était pas pour rien qu’elle s’était si longtemps défendue d’aimer.

— Le journal m’enverra loin. Un jour au l’autre...
— Vous vous en irez donc encore ? murmura-t elle.
— Pour une semaine ou deux, par-ci par-là. Pas pour toujours.
Slade chercha une raison à la soudaine détresse qu’il lisait dans les yeux de Sheila.
— Qu’y a-t il ? Quelqu’un vous a-t il déjà quittée pour toujours ?
— Non.
Sheila avait toujours pris l’initiative des ruptures. Même si, au fond, elle n’avait pas vraiment eu le choix.
— Personne ne m’est jamais devenu assez cher pour me faire du mal en partant. J’y ai veillé.
— Pourquoi ? demanda Slade.
— Ma nature soupçonneuse, n’oubliez pas.
Il lui prit la main et déposa un petit baiser au creux de sa paume. Puis, lentement, il l’attira contre lui et lui donna un baiser profond. Comme pour la dernière fois. Comme un jeune marié entrant dans la chambre nuptiale. Comme un amant qui retrouve sa maîtresse après une trop longue absence.
Il l’embrassa comme un homme qui vient de comprendre que la femme qu’il tient dans ses bras détient l’autre moitié de son âme et incarne le bonheur de toute sa vie.
Lorsqu’il s’écarta, Sheila s’agrippa à sa nuque. Un baiser aussi magnifique n’aurait jamais dû cesser. Il leur faudrait pourtant attendre plusieurs jours avant de satisfaire les désirs qui leur faisaient bouillonner le sang.
Slade sourit.
— Dépêchez-vous de vous endormir, avant que je ne déniche un médecin prêt à certifier que vous êtes apte à remplir votre devoir conjugal !
— Et mon consentement, dans tout ça ?
— Je viens de le savourer sur vos lèvres.
Il lui baisa le front et se glissa sous les couvertures.
— Bonne nuit, doc. Faites de beaux rêves. Sheila se coucha auprès de lui et se tourna de l’autre côté. De beaux rêves !
Pour cela, il faudrait d’abord qu’elle réussisse à s’endormir.

 
 

 

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Chapitre 8


La nuit se passa étonnamment bien. Sheila avait cru qu’elle n’arriverait pas à fermer l’œil. Mais son instinct de conservation l’emporta. Il ne lui fallut que quelques minutes pour s’endormir.
Après le biberon de 7 heures, Sheila décida de ne pas se recoucher. Son bébé dans les bras, elle retourna dans sa chambre pour se changer. Le lit était vide.
— Ah ! on dirait que l’oiseau s’est envolé, murmura-t elle à Rebecca. Elle coucha sa fille dans le grand lit défait et s’habilla.
Penser qu’elle était mariée lui faisait toujours une impression bizarre. Pour s’habituer au fait d’avoir un bébé, elle avait eu neuf mois. Mais son mariage avait été comme de se retrouver au milieu d’un ouragan une seconde après avoir regardé le ciel et l’avoir trouvé serein.
Sheila se brossa les cheveux et jeta un coup d’œil à son reflet, dans le miroir. Pour le moment, il faudrait que ça aille. Elle se maquillerait plus tard, quand elle y verrait clair.
— Maintenant, on va descendre dans la cuisine, dit-elle à son bébé. Je vais prendre un thé bien fort, d’accord ?
Rebecca accueillit cette déclaration avec des yeux ronds.
— Bien, dit Sheila, j’aime un auditoire qui réagit.
L’enfant trouvait sa place au creux de son bras avec un naturel incroyable. Sheila l’embrassa sur la nuque et huma le doux parfum de sa chair. « Quelles délices, mon Dieu ! » Quoi qu’il puisse arriver par la suite, elle serait éternellement reconnaissante à Slade pour le bonheur inouï qu’elle éprouvait en ce moment même.
Au bas de l’escalier, elle faillit buter contre lui. Il portait un jean qui semblait avoir été cousu sur lui et une chemise brune.
Sheila frémit lorsque leurs regards se croisèrent.
— Bonjour, dit-elle.
— Bonjour, répondit-il avec un sourire.
Il regarda Rebecca. Le bébé avait un petit air bougon qui l’amusa.
— Bonjour, vous.
Sheila remarqua qu’il s’était rasé. Un discret parfum d’eau de Cologne flottait autour de lui.
— Je vois que vous avez mis vos yeux assortis à votre chemise, dit-elle. Vous sortez ?
Il hocha la tête.
— J’en ai pour une heure. Quelque chose à régler au journal.
Machinalement, elle épousseta une miette de biscotte sur sa chemise. S’était-il *******é d’une biscotte pour son petit déjeuner ? Grands dieux, elle ignorait tant de choses sur lui. Et puis d’abord, comment s’y prenait-on pour être une épouse ?
— Je croyais que vous étiez en vacances.
— Je le suis. Sinon, je serais déjà dans un avion en partance pour Dieu sait où.
Il allait voir son rédacteur en chef pour lui en parler. Slade était décidé à lui demander de le rayer de la liste des correspondants à l’étranger. Il y avait ce Jake Seavers, qui l’avait accompagné en Europe et en Afrique à plusieurs reprises. Il manquait encore un peu d’expérience mais il avait du talent. Il serait sans doute ravi de voler de ses propres ailes. Jeune, sans attaches, prêt à prendre des risques, le remplaçant idéal ! Slade était prêt à passer le flambeau.
Le bébé s’agita dans les bras de sa mère.
— Hé, petite chose, tu nous as fait un de ces vacarmes, la nuit dernière. Quels poumons !
Il se tourna vers Sheila.
— Elle doit tenir de ma mère, lui dit-il. Elle était sur le point d’obtenir un premier rôle à l’Opéra de New York quand elle a rencontré mon père.
— L’homme qui vous a laissé tomber ? demanda Sheila, attendrie.
La compassion qu’il perçut dans sa voix réchauffa le cœur du jeune homme. Il enfonça ses mains dans les poches arrière de son jean.
— Ouais.
Sheila regarda par-dessus son épaule.
— Vous avez déjà pris votre petit déjeuner ?
— Un petit morceau en vitesse.
— Vous voyez, encore une chose que j’ignore à votre sujet. Je ne sais pas si vous êtes un adepte des petits déjeuners copieux ni comment vous aimez votre café.
— J’aime les petits déjeuners légers et le café très fort. Mais ce sont des détails sans importance.
— Bien sûr que non, rétorqua Sheila. Ces détails sont le secret d’un mariage réussi. Ce sont les boulons, les rouages...
— Boulons, rouages ! répéta Slade avec un froncement de sourcils amusé. Vous en parlez comme d’une machine. L’amour, voilà ce qui fait marcher un mariage.
Il songea qu’elle ne lui avait pas encore dit qu’elle l’aimait. Mais cela viendrait.
— L’amour, insista-t il. Et l’indulgence.
Il la regarda attentivement et s’inquiéta de la trouver si lasse et soucieuse. Certes, elle n’avait pas beaucoup dormi. Becky Sue les avait réveillés au moins trois fois, et il s’était juré de se faire expliquer le maniement du biberon pour permettre à Sheila d’avoir une vraie nuit de sommeil sur deux.
— Sur ces bonnes paroles, il ne me reste plus qu’à m’en aller.
Il embrassa ses lèvres roses.
— Je ne suis pas encore parti que vous me manquez déjà, dit-il. Et toi aussi, ajouta-t il en caressant le nez du bébé. Sois bien gentille avec ta maman. Elle est nouvelle dans le métier.
En route vers la porte, il croisa la jeune nurse.
— Bonjour, Ingrid.
Ingrid, ses cheveux blonds au vent, avait un air conquérant.
— Bonjour, monsieur Pollack.
— Garrett, rectifia-t il.
— Il est gentil, votre M. Garrett, dit Ingrid à Sheila, dès que Slade fut sorti.
— Oui, il est gentil, approuva Sheila. Alors, continua-t elle en se tournant vers Becky Sue, qu’est-ce que ta maman va bien pouvoir manger pour se revigorer un peu ?
Elle ouvrit le réfrigérateur et en examina le contenu.
— Oh ! je vous en prie, dit Ingrid. Vous avez bien assez à faire comme cela. Dites-moi ce qui vous ferait plaisir et je vais vous le préparer.
— Je vous ai embauchée comme nourrice, pas comme bonne à tout faire, rappela Sheila.
Mais Ingrid n’en démordit pas.
— Je peux faire les deux, docteur Pollack.
Maintenant, qu’est-ce que... ? La sonnette de la porte d’entrée retentit. Slade, pensa Sheila. Il devait avoir oublié quelque chose. Mais pourquoi ne se servait-il pas de sa clé ? Elle lui en avait donné une la veille au soir.
— Je vais ouvrir, dit Ingrid en se précipitant dans le couloir.
Sheila se replongea dans la contemplation du réfrigérateur.
— Il y a trop de gens qui vont et viennent dans cette maison, Rebecca, murmura-t elle. Cela m’étourdit. Je n’ai pas l’habitude.
— Docteur Pollack ?
Sheila se retourna pour découvrir un sourire énigmatique sur les lèvres de la jeune fille.
— Oui ?
— Vos parents !
Derrière Ingrid se tenaient Susan et Théodore Pollack. Ils n’apparaissaient ensemble que dans les solennités et Sheila se demanda si elle tombait désormais sous cette rubrique.
Elle ne se souvenait pas non plus de les avoir jamais vus habillés d’une façon aussi décontractée. Elle n’avait pas de pique-nique en famille à se remémorer ni de randonnée en montagne ni de balade au bord de la mer. Dans un pays réputé pour ses lieux de villégiature et ses stations balnéaires, ses parents n’avaient fait que travailler, travailler.
Mais il y avait encore autre chose. Un grand changement était intervenu : Sheila le vit dans le regard de sa mère.
Quand Susan Pollack porta la main à sa bouche, Sheila crut voir des larmes briller dans ses yeux saphir.
— Oh ! mon Dieu, Ted, c’est donc vrai !
Susan regarda son mari pour s’assurer qu’il était aussi ému qu’elle.
— Elle a eu son bébé...
Sans attendre le commentaire de l’homme auquel elle était mariée depuis presque trente-cinq ans, Susan alla enlacer dans une même étreinte sa fille unique et sa petite-fille.
Sheila put ainsi s’en assurer : Susan Pollack pleurait. Elle ne se souvenait pas d’avoir jamais vu sa mère pleurer !
— C’est charmant ! Apprendre qu’on est grand-mère par un message sur répondeur.
Sheila avait appelé ses parents dès qu’elle était sortie de la salle de travail. Ils n’étaient pas là, comme prévu.
— Bonjour, maman.
Sheila tendit sa joue à son père. Elle s’étonna de le sentir lui caresser furtivement les cheveux.
— Vous étiez en croisière, ajouta-t elle.
Ce seul fait sortait de l’ordinaire. Ses parents ne prenaient jamais de vacances et ils ne s’éloignaient de leurs cabinets ou de leurs blocs opératoires que pour assister à des congrès médicaux où, le plus souvent, ils ne se rendaient pas ensemble.
— Tu aurais pu nous télégraphier sur le paquebot, dit Susan sur un ton de reproche. Notre gouvernante savait sur quelle ligne nous étions. Tu pouvais aussi...
Mais elle n’eut qu’à regarder de nouveau sa petite-fille pour perdre aussitôt l’envie de réprimander sa fille.
— Oh ! qu’elle est belle ! N’est-ce pas, Ted ?
Deux fois plus à l’aise dans la vie à cinquante-cinq ans qu’à vingt-cinq, le Dr Théodore Pollack sourit.
— Oui, c’est vrai qu’elle est belle. Pas comme Sheila, évidemment, mais...
Il regarda sa femme avec le même émerveillement que s’il la voyait pour la première fois.
— Mais il faut dire que Sheila avait vos yeux, votre bouche. Même si cette petite-là porte votre nom.
Susan sourit et Sheila aurait juré qu’elle rougissait sous son maquillage.
— Rebecca Susan, c’est un choix fabuleux, chérie.
Sheila regardait ses parents avec des yeux ahuris. Ce n’était pas possible. Ce n’étaient pas les mêmes Susan et Théodore Pollack. On les lui avait changés !
— Maman, papa, qu’est-ce qui ne va pas ?
Je vous trouve..., balbutia-t elle. Ils attendirent poliment la suite.
— ... bizarres, acheva Sheila, qui ne voyait pas comment le dire autrement.
Théodore éclata de rire.
— Nous, bizarres ? fit-il avec un regard plein de malice. Comme c’est bizarre !
— Tu veux dire, intervint Susan, que nous n’avons plus l’air d’avoir avalé un parapluie.
Sheila n’aurait insulté ses parents pour rien au monde mais, oui, le premier qualificatif qui venait à l’esprit lorsqu’on pensait à eux, c’était collet monté. Réservés. Distants. Froids.
— Je veux dire que vous êtes différents. Je m’attendais à une carte de félicitations avec un bon du Trésor, pas à une visite.
— Le bon du Trésor ! s’écria Susan, à qui ces mots rappelaient soudain quelque chose.
Elle se tourna vers son mari.
— Tu t’es souvenu d’en acheter un ? Sheila leva la main pour arrêter son père.
— Ce n’était pas un appel du pied, juste une constatation.
Elle fit un pas en arrière pour mieux les voir.
— Que vous est-il arrivé ?
Ils échangèrent un tendre regard et, à la grande joie de sa fille, Théodore passa un bras autour des épaules de sa femme.
— Je crois simplement, dit-il, qu’après trente-cinq ans de mariage nous nous sommes enfin trouvés.
— La maison était grande mais pas à ce point-là, plaisanta Sheila.
Ce ne pouvait être la seule explication. Il y avait encore quelque chose qu’on ne lui disait pas.
Susan se blottit contre son mari.
— Nos carrières nous accaparaient. Mais nous n’avons pas besoin de te le dire, tu ne le sais que trop.
Oui, leurs carrières étaient toujours passées avant tout. Son père, qui partait deux fois par an dans des pays du tiers-monde ; sa mère, qui passait deux jours par semaine dans un dispensaire ; sans compter les dix heures par jour qu’ils passaient dans leurs cabinets respectifs, tout cela avait fini par réduire à rien leur vie de famille.
— Alors, que s’est-il passé ?
Susan lança un regard à son mari, mais il ne répondit pas tout de suite. Ils venaient tous deux de traverser la pire épreuve de toute leur vie, et le vieil homme avait encore du mal à en parler.
— Un moment, nous avons craint que ta mère n’ait un cancer du sein.
Sheila n’était pas au courant. Horrifiée, elle s’écria :
— Maman !
Susan leva la main pour endiguer le flot de questions qu’elle pressentait.
— Nous ne t’avons rien dit, Sheila, parce que nous ne voulions pas t’affoler pour rien. La tumeur s’est révélée bénigne. Cela nous a amenés à faire un bilan de santé de notre mariage.
Elle se tourna vers son mari. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir de l’amour dans son regard.
— Tout à coup, nous nous sommes trouvés confrontés à une situation insolite, continua Théodore Pollack. Alors, nous nous sommes posé des questions. Comme, par exemple : être un automate qui fonctionne bien, cela suffit-il au bonheur ? Et qu’est-ce qui est vraiment important dans la vie ?
Susan poursuivit :
— La réponse est simplement : lui pour moi, moi pour lui et toi pour nous deux, Sheila.
Sa mère l’embrassa avec plus de tendresse qu’elle n’en avait jamais mis dans ce geste.
— Pauvre petite. Tandis que nous nous occupions de soulager la misère du monde, toi, tu étais seule et malheureuse.
Maintenant qu’elle était adulte, Sheila ne voulait se souvenir que des aspects positifs de son enfance.
— J’étais très fière de vous, dit-elle avec sincérité.
Susan caressa les cheveux de sa fille.
— Et très solitaire. Je m’en rends compte maintenant. Ton père et moi, nous sommes pourtant des gens charitables... mais tu n’en as guère profité.
Elle posa sur sa petite-fille un regard caressant.
— Mais les choses vont changer, maintenant qu’elle est là.
Un sourire illumina son visage lorsque Sheila lui tendit le bébé.
— Oui, poursuivit Susan, tout va changer. Nous allons la gâter, celle-ci.
Sheila feignit la frayeur. D’un regard, elle implora l’aide de son père.
— Papa ?
Il rit. Cette saynète lui plaisait. La vie en général lui plaisait. Il profitait de chaque minute, de chaque bonheur, avec l’enthousiasme d’un homme qui avait failli perdre ce qu’il avait de plus cher au monde.
— Je tâcherai de la modérer, promit-il. Susan pouffa.
— Ah ! on voit que tu ne connais pas ton père quand il s’y met ! Avant longtemps, il faudra louer un hangar pour entreposer les jouets qu’il lui aura offerts.
Sheila ne croyait pas à son bonheur. Ses parents se disputaient l’honneur de gâter sa fille !
Susan regarda tout autour d’elle, comme si elle s’attendait que quelqu’un surgisse du réfrigérateur ou du garde-manger.
— Et ton mari dans tout cela, où est-il ? Car il était également question d’un mari dans ton message. A moins que ce n’ait été un défaut de la bande magnétique ?
Sheila hocha la tête.
— Non, maman. Slade est parti travailler.
Ted remonta ses lunettes sur son nez et prit un air grave.
— Ce qui nous renseigne déjà sur un point : notre gendre n’est pas un clochard.
Susan écarta d’un revers de main la remarque de son mari.
— Excuse ton père, chérie. Son sens de l’humour est un peu rouillé. Il faut dire qu’il n’a pas servi depuis une trentaine d’années !
Elle berça sa petite-fille dans ses bras avec tendresse.
— Est-il digne de toi, au moins ?
— A vrai dire non, répondit Sheila sans hésiter. Mais saint François d’Assise est mort et le pape n’est pas libre. Alors, il a bien fallu que je m’en *******e !
— Ça, Ted, c’est de l’humour ! proclama Susan en se tournant vers son mari. Elle le tient de moi.
Sheila était heureuse, cela se voyait. Et le soulagement de Susan était incommensurable. N’en avait-elle pas rencontré, de ces jeunes femmes mal mariées, avec leurs vies et celles de leurs enfants gâchées d’avance.
— Maintenant, dit-elle, je propose que nous passions dans le salon. Ce n’est pas une petite visite de rien du tout que nous te faisons. Ton père a un collègue qui le remplace et j’ai fermé mon cabinet. Nous n’avons pas à craindre d’être dérangés et nous avons bien l’intention de passer autant de temps que possible avec vous deux.

 
 

 

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Chapitre 9


Une Mercedes bleu foncé était garée devant l’immeuble. D’un modèle plutôt ancien, elle était en parfait état. Slade en déduisit qu’il s’agissait sans doute d’un des collègues de Sheila qui venait voir le bébé.
Un ami qui rend une visite de courtoisie à une jeune accouchée : comme tout cela était banal, normal, quotidien ! Pourtant, après ce qu’il avait été contraint de vivre depuis des mois, le banal, le normal, le quotidien ne cessaient de l’étonner.
Il se glissa dans l’appartement par l’escalier de service. Il voulait faire un brin de toilette et se changer avant de se présenter devant l’ami de Sheila. Comme il se faufilait à pas de loup vers la salle de bains, il aperçut la jeune femme du coin de l’œil. En pantalon, penchée profondément en avant, elle lui offrait une vue imprenable et tentante sur ses courbes avantageuses.
Cédant à un caprice, Slade arriva derrière elle sur la pointe des pieds et la saisit par la taille.
— Vous étiez censée vous reposer, dit-il.
En riant, il la fit se retourner et s’apprêta à l’embrasser. Leurs lèvres n’étaient plus séparées que par un espace infinitésimal lorsqu’il s’arrêta net, sidéré.
— Mais... vous n’êtes pas Sheila.
Tour à tour, Susan hoqueta de surprise, poussa un soupir saccadé et rit de bon cœur. Il ne pouvait s’agir que de Slade.
— Eh bien, non, dit-elle.
Elle sourit chaleureusement au jeune homme, félicitant en secret Sheila pour son choix.
— D’ailleurs, pour cette fois, ajouta-t elle, je le regrette un peu !
S’apercevant qu’il tenait encore l’inconnue par la taille, Slade se hâta de la lâcher. Elle ressemblait beaucoup à Sheila.
Il fit un pas en arrière.
— Qui... ? Euh... Sheila ne m’avait pas dit qu’elle avait une sœur.
Susan le trouva aussitôt charmant.
— Pour la bonne raison qu’elle n’en a pas, dit-elle. Je suis sa mère.
Elle remit de l’ordre dans ses cheveux. La coquetterie n’avait jamais été son fort, mais pour l’heure, elle regrettait de ne pas avoir de peigne.
— Susan ?
Théodore venait d’entrer dans la cuisine. Il regarda alternativement sa femme et l’inconnu.
— Que se passe-t il ici ?
Susan crut voir une étincelle de jalousie briller dans les yeux de son mari. N’était-ce pas merveilleux, après toutes ces années ?
— Il se passe, dit-elle, que j’ai failli découvrir ce qui a décidé notre Sheila à se marier si vite.
Avec un temps de retard, Sheila entra à son tour dans la cuisine. Ce n’était pas exactement la manière dont elle avait eu l’intention de présenter Slade à ses parents, mais, depuis quelques jours, plus rien ne se déroulait selon ses plans.
Le désarroi de Sheila n’avait d’égal que celui de Slade. Lentement, il considéra ses beaux-parents, l’un après l’autre. Il les avait vus au gala de charité, le soir où il avait rencontré Sheila et ne les reconnaissait pas. Ils avaient l’air si sympathiques qu’il n’arrivait pas à croire qu’il s’agissait des mêmes personnes.
— Vous êtes les docteurs Pollack ? s’étonna-t il.
Slade s’interrompit. Ils devaient être en train de le prendre pour un triple idiot.
— Au fait, comment s’adresse-t on à un couple quand l’un et l’autre sont médecins ?
Théodore s’empara de la main de Slade et la serra cordialement.
— Dans ce cas précis : maman et papa. Vous savez, j’ai toujours rêvé d’avoir un fils.
Susan lança à son mari un regard surpris. Après la naissance de Sheila, ils avaient renoncé d’un commun accord à avoir d’autres enfants.
— Pourquoi ne m’en avez-vous jamais parlé, mon ami ?
Il y avait tant de choses qu’ils ne s’étaient pas dites. Mais, à partir de maintenant, ils étaient résolus à tout partager.
— J’ai pensé qu’il n’aurait pas été loyal de vous mettre dans la confidence d’un tel désir. Vous ne trouviez pas le temps de vous occuper de Sheila. Avec deux enfants, vous n’y seriez jamais arrivée.
Il tourna vers sa fille un regard désolé. Tout ce gâchis, grand Dieu, tout ce temps perdu qui ne se rattraperait jamais.
— Ce n’est pas pour cela que tu as été mieux traitée, ma pauvre petite, conclut-il.
Il y avait des siècles que Sheila espérait entendre de telles paroles. En d’autres temps, elle les aurait accueillies comme l’expression d’une justice tardive, certes, mais toujours bonne à prendre. Mais désormais, mère et médecin elle-même, elle comprenait mieux comment ils avaient pu en arriver à vivre de telles situations. D’une main levée, elle interrompit les excuses de son père.
— Assez de mea culpa, d’accord ? Nous allons repartir du bon pied et oublier le reste.
— Bien dit ! s’exclama Susan. Maintenant, si nous retournions dans le salon pour faire connaissance ?
En chemin, Slade demanda tout bas à Sheila si c’étaient bien là ses parents, l’homme et la femme dont elle avait prétendu qu’ils s’ignoraient au point de ne jamais dormir dans le même lit. Selon lui, ils avaient plutôt l’air de s’entendre à merveille.
— Mes parents ? Je n’en suis plus très sûre, répondit-elle dans un murmure. Ce sont peut-être des sosies, allez savoir ! Il va falloir que je vérifie. Mais en attendant, j’ai l’intention de profiter de ces braves gens, quels qu’ils puissent être. Et vous, continua-t elle un ton plus haut, comment cela s’est-il passé au journal ?
Slade n’avait rien arrêté avec son rédacteur en chef et jugeait qu’il était trop tôt pour en parler.
— Ni bien ni mal, répondit-il.
Sheila n’insista pas. L’énigme que lui posaient ses parents suffisait à lui occuper l’esprit.
Sheila alluma la veilleuse au chevet de Rebecca, qui dormait à poings fermés.
Ses parents étaient restés toute la journée et elle ne se souvenait pas d’avoir jamais passé une journée entière avec l’un ou l’autre, alors, les deux ! Elle était presque tentée de se pincer pour s’assurer que tout cela n’était pas un rêve.
Revenue dans leur chambre, Sheila suivit Slade des yeux. Il baissait les stores et lorsqu’il tirait sur la cordelette, ses muscles déliés ondulaient sous sa peau hâlée. Accoutumé à dormir nu ou tout habillé, il ne possédait pas un seul pyjama et se promenait en caleçon court. Un caleçon léger qui moulait ses formes viriles.
Sheila alla ouvrir une fenêtre. On étouffait ici, tout à coup. Son regard rencontrant celui de Slade, elle lui sourit. Il avait passé l’après-midi à raconter des anecdotes pour divertir ses parents. Et Théodore avait répliqué avec quelques-unes de son cru. Pour être moins exotiques et effrayantes, les aventures engrangées par le chirurgien n’étaient pas moins émouvantes que celles du grand reporter. Les deux hommes s’étaient entendus comme de vieux amis.
— Mes parents vous aiment bien, dit-elle.
Slade se retourna pour la regarder. Derrière elle, un rayon de lune doré filtrait à travers les lattes du store. A contre-jour, son corps, tout en courbes sensuelles, transparaissait sous sa chemise de nuit comme derrière le voile d’un théâtre d’ombres. Il avala sa salive. Tant de beauté faisait mal à contempler.
— C’est le contraire qui serait étonnant, lança-t il plaisamment. Je suis un type sympa.
Si vous ne me croyez pas, demandez à Becky Sue. Cette petite est folle de moi.
Sheila s’esclaffa.
— Vous, au moins, ce n’est pas la modestie qui vous étouffe !
Lorsqu’il s’approcha d’elle, Sheila frissonna. Sa démarche souple et silencieuse évoquait celle d’un grand prédateur. Elle l’attendit. Peut-être même alla-t elle à sa rencontre. Et la seconde d’après, elle se retrouvait sur la pointe des pieds, la tête rejetée en arrière, les lèvres écrasées contre celles de Slade.
Aussitôt, toute pensée l’abandonna. Seules restèrent les sensations que lui procurait cette étreinte. Le battement de son sang à ses tempes, cette chaleur qui prenait naissance dans son ventre et irradiait dans tout son corps. Sur la bouche de Slade, elle buvait un philtre aussi enivrant que le soir où ils s’étaient connus. D’où tenait-il ce pouvoir de lui donner envie de courir nue sur une plage à minuit ? Cet homme avait quelque chose de magique. Et chaque fois qu’il l’embrassait, elle se sentait décoller du sol. Dieu, comme elle le désirait ! Même si elle était encore loin d’avoir remis de l’ordre dans sa vie après tous ces chamboulements. Même si elle avait grandi dans la certitude que le mot « mariage » ne ferait jamais partie de son existence...
Et voilà que ses propres parents venaient de réduire à rien ce credo désenchanté. Elle ne savait plus que croire.
Sheila soupira tristement lorsque Slade s’écarta d’elle. Elle se sentait si apaisée dans ses bras. Il lui donnait l’impression sublime et rare d’être en sécurité.
— Au dodo, fit-elle en se glissant sous les couvertures. J’ai trois heures devant moi avant que Sa Seigneurie ne m’appelle.
Slade s’allongea à côté d’elle. Les mains croisées derrière la tête, il regarda le plafond.
— Je suis en bonne voie vers la sainteté, dit-il.
Sheila leva un sourcil interrogateur.
— Etre couché près de vous sans vous toucher doit bien mériter une récompense dans l’au-delà, non ?
Sheila se pencha sur lui et déposa un petit baiser humide sur son front.
— Vous êtes admirable, chuchota-t elle.
Slade se demanda alors combien d’hommes avaient déjà partagé son lit. Il avait vu une photo d’elle à l’âge de quinze ou seize ans, sur le manteau de la cheminée, et l’avait trouvée déjà très désirable. Sheila était de ces femmes qui naissent et restent belles. Beaucoup d’hommes avaient dû la courtiser.
— Comment étiez-vous à quinze ans ? demanda-t il, sans oser en dire davantage.
— Oh ! un vrai garçon manqué. Je n’avais pas de grand frère pour me protéger, alors, il fallait bien que je m’en charge moi-même. J’ai fendu quelques lèvres et poché quelques yeux avec ça, affirma-t elle, montrant son poing fermé.
Slade sourit. Il lui prit la main et y déposa un long baiser.
— Hum... Quelle arme redoutable ! Vous n’en aurez heureusement pas besoin contre moi. Je suis un pacifiste.
Sheila n’était pas assez naïve pour croire cela. Pas après les anecdotes qu’il avait racontées. Non qu’il ait joué au guerrier, mais il n’était pas de ceux qui se *******ent de prendre des notes pendant que les gens se font massacrer. Elle se rappelait tout particulièrement ce jour où il avait aidé un homme à fuir au péril de sa vie. A cet instant, elle avait été fière de lui.
— Je suis sûre que vous avez fait les quatre cents coups quand vous étiez jeune, dit-elle.
— Comme tous les gosses, admit-il.
Repensant à sa mère et à ses cheveux blancs, il ajouta :
— Peut-être un peu plus que la moyenne.
Sheila était épuisée. Ses paupières s’alourdissaient et une irrépressible envie de bâiller faisait vibrer sa mâchoire.
— Cela n’a pas dû être facile pour vous. Je veux dire, de grandir sans père.
— En fait, je..., commença-t il.
Sheila l’interrompit.
— Pour moi, ça n’a pas été drôle, croyez-moi, dit-elle d’une voix de plus en plus alanguie. J’avais parfois l’impression d’être orpheline. Mon père et ma mère étaient toujours partis aider les autres. J’en suis parfois venue à me dire qu’il faudrait que j’attrape une maladie rare pour qu’ils s’intéressent à moi.
Slade la prit dans ses bras.
— Slade ? dit-elle dans un souffle.
— Oui ?
— Vous pensez vraiment que nous allons y arriver ?
— Bien sûr, répondit-il simplement, sans la moindre trace d’hésitation dans la voix.
A l’abri de la pénombre, Sheila eut un sourire doux-amer. Elle aurait donné cher pour être aussi confiante que lui.

 
 

 

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Chapitre 10


Les jours passèrent. Sheila découvrait avec une immense surprise et un plaisir insoupçonné que la vie conjugale lui convenait tout à fait. Passionnée par son métier, habituée à de longues journées de travail, elle s’était attendue à s’ennuyer à périr pendant son congé de maternité. Elle avait aussi craint d’avoir de la peine à faire une place au bébé dans sa routine, et à Slade davantage encore.
Mais quand vint l’heure des premiers compromis, vint aussi pour Sheila l’heure des premiers ébahissements. Elle s’aperçut très vite que son mari était merveilleusement conciliant et attentif.
— Cela ne vous dérange pas ? Vraiment ? demanda-t elle, étonnée qu’il prenne sa requête en considération.
Elle s’était inquiétée de le voir partir loin, et il venait de l’informer de sa décision de cesser ses voyages. Selon lui, le rédacteur en chef du Times ne demandait d’ailleurs qu’à se laisser convaincre.
Pour sa femme et sa fille, Slade semblait prêt à tous les renoncements.
— Puisque je vous dis que c’est d’accord. Bien sûr, cela va me manquer, admit-il. Le fait est que le danger est séduisant. Mais vous l’êtes bien plus encore, toutes les deux.
Sheila écarquilla les yeux. Le pensait-il vraiment ?
— Quand on a vécu au jour le jour pendant aussi longtemps que moi, quand on a regardé chaque matin se lever le soleil sans pouvoir jurer de le voir se coucher, eh bien, la question de savoir de quel côté du lit on va dormir est tout à fait rassurante.
Comme elle le regardait bizarrement, il embrassa Sheila sur le bout du nez.
— La vie est belle, non ? Qu’en pensez-vous, madame Garrett ?
Sheila se sentit fondre. Sans l’admettre, elle comptait les jours avant de pouvoir faire l’amour avec lui.
— Il va falloir que je sorte, dit Slade. Le rédacteur en chef veut me voir. Je sais que je peux le persuader de me changer d’affectation. Mais il va falloir marchander.
— Marchander ?
— Oui, je vais sans doute devoir consentir à une solution bancale. Je ne partirai plus à l’étranger, mais en échange, je serai envoyé n’importe où dans le pays.
Il eut un sourire sardonique.
— Comme ça, reprit-il, quand quelqu’un me dira : « Crève, sale fouineur ! » avant de me tirer dessus, ce sera en anglais !
— Vous tirer dessus ! répéta Sheila, mal à l’aise.
— Je vois que vous n’êtes pas encore habituée à mon humour noir, dit-il, tout en se réjouissant secrètement qu’elle s’inquiète pour lui. Et puis, je ne m’absenterai jamais plus d’une semaine.
Ce n’était certes pas insurmontable, mais Sheila commençait à aimer le sentir près d’elle. Elle savait qu’elle pouvait compter sur lui et redoutait maintenant de dormir seule.
Devant sa mine boudeuse, Slade eut envie de la taquiner.
— Ne me dites pas que vous me voulez pour vous toute seule.
— Mais pas du tout.
« Bien sûr que si », pensa-t il, ravi.
— Que me vaut cette petite mine, dans ce cas ?
— D’accord, reconnut enfin la jeune femme, vous allez me manquer. Là, vous êtes *******, j’espère.
— Pour le moment, ça ira, murmura Slade en la prenant par la taille. Mais avant de m’en aller, j’essaierai de vous apprendre à dire des choses comme : « Quoi de plus cruel que votre absence, mon bien-aimé ? » ou : « Il suffit que vous partiez pour que tout se dépeuple ! »
Maintenant, femme, accompagnez-moi jusqu’à la porte, je suis en train de me mettre en retard.
— Oui, mon seigneur et maître.
— C’est bien, ça. C’est même très bien. Vous apprenez vite.
Sheila souriait aux anges en refermant la porte derrière lui. Oui, leur mariage leur promettait des jours merveilleux.
Slade était un homme sensible, charmant et doux. Que pouvait-elle attendre de plus de la part d’un époux ? Elle aimait se réveiller chaque matin à son côté. Elle aimait surprendre ses regards tendres. Sous ses airs sombres, il avait un sens de l’humour mêlé à une rigueur et un sérieux qu’elle appréciait chaque jour davantage.
« Jusqu’ici, vous pensiez que toute médaille a son revers, lui avait-il dit un jour. Eh bien, peu à peu, je me charge de vous démontrer que tout revers a également sa médaille. »
Voilà ce qu’elle aimait en lui : qu’il soit parvenu à préserver cette fraîcheur d’âme, cet optimisme à toute épreuve, en dépit des horreurs qu’il avait vues et vécues.
L’avenir s’annonçait radieux.
Peut-être même étaient-ils faits l’un pour l’autre.
Ingrid, avec ses yeux bleu pâle et ses quatre ans d’études supérieures, l’avait lu dans les feuilles de thé !
« Elles ne mentent pas, avait-elle déclaré. Quelles raisons auraient-elles de le faire ? Elles disent que M. Garrett et vous êtes faits l’un pour l’autre, et vous pouvez les croire. »
Ces paroles résonnaient encore aux oreilles de Sheila, lorsqu’elle alla s’installer dans le canapé du salon pour un instant de repos.
Comme chaque fois qu’elle fermait les yeux, des images de cette nuit extraordinaire se formèrent dans son esprit. Ils étaient sur la plage et faisaient l’amour jusqu’à l’aube. Elle avait dû tomber amoureuse de lui cette nuit-là. Oui, elle en était certaine à présent. Un sourire de béatitude s’étira sur ses lèvres.
Le téléphone la tira brutalement de sa rêverie.
— Je prends, Ingrid !
Elle décrocha et coinça le combiné entre son oreille et son épaule.
— Allô ?
— Allô, je suis bien chez M. Garrett ?
demanda une voix de femme. Sheila hésita.
— Euh, oui, en somme...
Silence gêné de l’autre côté.
— Slade est-il là ?
— Non, il vient de sortir. Mais je peux prendre un message, si vous voulez. Je suis sa femme.
Elle prononçait ces paroles pour la première fois et en ressentit une émotion étrange.
— La femme de Slade ?
Quelle qu’elle soit, la correspondante semblait s’en réjouir. Ce n’était donc pas une de ses anciennes petites amies, pensa Sheila, avec un petit pincement au cœur proche de la jalousie.
— Oui, que puis-je faire pour vous ?
Elle n’alla pas plus loin.
— Comme c’est merveilleux ! Je suis sa mère. Rebecca.
La femme, au bout du fil, parlait sur un rythme saccadé, sans reprendre son souffle.
— Vous ne pouvez pas savoir comme je suis heureuse que vous ayez convaincu mon gredin de fils de dire oui !
Sheila lui aurait volontiers expliqué que c’était lui qui l’avait convaincue, mais elle n’en eut pas l’occasion.
— Il m’a dit que vous êtes superbe !
Sheila retrouva le naturel et la désinvolture de Slade dans les paroles de sa mère. Pas de doute, Rebecca allait lui plaire.
— Il exagère toujours, répliqua-t elle, un peu gênée.
— Je ne crois pas, dit Rebecca Garrett. Et il n’a pas dit moins de bien du bébé. Ah ! j’ai hâte de vous connaître, toutes les deux !
Ainsi, elle avait une belle-mère ! Et adorable par-dessus le marché.
— Pourquoi ne viendriez-vous pas dîner ce soir ? proposa-t elle. Nous pourrons faire connaissance.
Rebecca Garrett éclata de rire. L’invitation semblait la réjouir.
— Ce n’est pas si simple, dit-elle. Nous habitons Phoenix.
— Nous ?
— Mon mari et moi.
— Votre mari...
D’abord prise au dépourvu, Sheila se ressaisit bientôt.
— Excusez-moi, je ne savais pas que vous étiez remariée.
Slade avait omis de le lui dire.
— Remariée ? répéta Rebecca. Oh ! mon Dieu, non. Je n’ai jamais épousé qu’un seul homme !
Cette idée paraissait grandement la divertir.
— Mon cher mari ne m’a jamais déçue et je n’ai jamais songé une seule seconde à en changer, reprit-elle. Vous me comprendrez quand vous le verrez. Le portrait de Slade ! J’ai eu le coup de foudre dès que je l’ai vu, et trente-six ans plus tard je n’en suis toujours pas remise !
Elle marqua une petite pause, le temps de pousser un soupir nostalgique.
— Si je vous appelle, enchaîna-t elle, c’est pour vous demander si nous pouvons venir le mois prochain. Son père va avoir deux semaines de vacances, et j’ai oublié d’en parler à Slade quand il m’a appelée pour la naissance du bébé.
Sheila était abasourdie.
— Le mois prochain... Parfait, s’entendit-elle répondre.
Mais cela ne pouvait pas être parfait, pensa-t elle. A partir de maintenant, rien ne pouvait plus être parfait en ce bas monde.
Comme un automate, elle réussit à terminer cette conversation, sans la moindre idée de ce qu’elle avait pu dire. Passé le moment où elle avait entendu Rebecca Garrett parler du père de Slade, elle ne se souvenait plus de rien.
Le père de Slade !
— Va au diable, Slade, tu m’as menti ! s’écria-t elle, après avoir raccroché.
Elle avait l’impression que le sol s’ouvrait sous ses pieds.
— Et tu m’as sûrement menti pour tout le reste !
Attirée par le son de la voix de Sheila, Ingrid pointa le nez à la porte de la cuisine.
— Vous m’avez appelée ? demanda-t elle. Sheila regardait le téléphone avec hargne.
— Oui, dit-elle en se levant. A partir de maintenant, personne ne boira plus de thé dans cette maison. Les feuilles de thé sont des menteuses.
Sans se donner la peine de s’expliquer, elle quitta la pièce, laissant derrière elle une Ingrid muette de stupéfaction.
D’un pas de somnambule, elle monta à l’étage, où elle avait des bagages à préparer.

 
 

 

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