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5


David se serait battu ! Pourquoi avait il proféré pareille énormité ? Tout se déroulait à merveille, Holly et lui étaient en train de s’apprivoiser lentement et, au moment précis où les fantômes du passé commençaient à s’éloigner, il gâchait tout !
A présent, ce n’était plus qu’une question de secondes avant que la jeune femme lui ordonne de partir. Mieux valait donc prendre l’initiative…
— Pardon, bredouilla-t il. Je m’en vais, je te laisse tranquille.
Toutes les excuses du monde n’auraient rien changé, aussi préféra-t il se taire. Et Holly qui n’avait toujours pas prononcé le moindre mot.
— David ?
Alors qu’il s’apprêtait à franchir le seuil, il se retourna lentement : elle allait le noyer sous un torrent d’insultes et d’imprécations, et elle aurait raison…
— Pourquoi as-tu envie de m’embrasser ?
Un léger vertige le saisit. Soudain, il sentit renaître en lui un fol espoir : peut-être tout n’était il pas perdu…
— Parce que… je t’aime beaucoup.
— Je ne suis plus l’adolescente naïve que tu as connue.
— Je m’en suis rendu compte. Mais j’aime aussi la femme que tu es devenue…
— Je t’ai haï de toute mon âme, tu sais… Je t’en ai voulu d’avoir gâché ma vie. A l’époque, j’ai cru mourir. Mais, avec le recul, je vois mieux aussi ce que j’ai gagné à notre séparation : deux amies merveilleuses, un métier que j’adore, et l’espace dont j’avais besoin pour m’accomplir et devenir moi-même.
— Moi aussi, je t’ai haïe de toutes mes forces. Après toi, je n’ai eu personne dans ma vie pendant trois ans.
Comme elle restait silencieuse, une atroce jalousie s’empara de lui. Elle n’avait pas répondu « moi non plus »… Ainsi, elle avait peut-être, contrairement à lui, collectionné les conquêtes, à la recherche de l’amour dont elle croyait qu’il l’avait volontairement privée. A moins qu’elle ne soit devenue si difficile dans ses choix amoureux qu’aucun homme n’ait véritablement réussi à l’approcher…
Peu importait, au final. Sans l’avoir souhaité, chacun avait infligé à l’autre une blessure profonde qui demeurait aujourd’hui encore très douloureuse. Mais le temps de la réparation, celui de panser leurs plaies, était peut-être enfin venu…
Porté par une force qui le dépassait, il traversa la pièce à pas lents et vint se camper devant Holly, qui s’était levée. Leurs regards se rivèrent l’un à l’autre et, sans qu’ils aient eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait, ils se retrouvèrent enlacés, s’étreignant avec une violence presque désespérée. Puis leurs lèvres s’unirent en un baiser fougueux, comme pour rattraper les douze longues années qui les avaient séparés.
Dans un éclair de lucidité, David eut toutefois la force d’interrompre leur baiser.
— Pardon, je ne voulais pas te brusquer comme ça…
— Moi non plus, murmura Holly d’une voix tremblante.
Il lui caressa tendrement la joue.
— Je n’ai jamais réussi à t’oublier ni à me remettre de notre rupture. Je sais bien qu’aujourd’hui tout est différent, que nous ne sommes plus des adolescents, mais des adultes et que…
Submergé par une nouvelle vague d’émotion, il laissa sa phrase en suspens et s’empara de nouveau des lèvres de Holly.
Cette fois-ci, elle s’écarta la première.
— Je ne veux pas d’une simple liaison, David…
— Moi non plus…
— J’ai besoin de temps…
— Nous prendrons tout le temps qu’il faudra. Mais, Holly, je t’en prie…
— Oui ?
— Je voudrais… Enfin, tu veux bien que nous passions la journée ensemble demain ? Je te promets de ne rien brusquer, je veux juste passer du temps avec toi.
Une brève hésitation voila les traits de la jeune femme, puis elle hocha lentement la tête.
— Tu sais, murmura-t elle en lui effleurant le visage d’une tendre caresse, jusqu’à ce que nous sachions avec certitude où nous allons, j’aimerais mieux que… tout cela reste secret. Je n’ai pas envie que tout l’hôpital parle de nous.
— Entendu. Bon, il faut que j’y aille parce que sinon…
Il déposa un doux baiser au creux de sa paume.
— Je passe te chercher à 9 heures et demie ?
— D’accord. Bonne nuit.
Holly avait beau s’en défendre de toutes ses forces, elle flottait littéralement sur un petit nuage à l’issue de cette journée passée à flâner dans Londres avec David. Ils avaient visité le grand aquarium, déjeuné dans un restaurant sur les bords de la Tamise et avaient achevé leur promenade dans le soleil déclinant de ce doux après-midi de septembre.
Passé le premier moment de gêne et de timidité, ils avaient très vite retrouvé leur tendre complicité d’autrefois, au point que flâner main dans la main, comme deux amoureux, leur avait paru la chose la plus naturelle du monde.


— Merci, dit elle en souriant au moment où David la raccompagna chez elle. J’ai passé une excellente journée.
— Moi aussi. Dommage qu’elle se termine déjà…
— Tu peux entrer prendre un verre, si tu veux.
— Je ne suis pas certain de pouvoir garder mon sang-froid. Et je tiens à mon coccyx, ajouta-t il avec un clin d’œil malicieux.
Holly éclata de rire.
— Je n’aurais jamais dû te raconter cette histoire.
— Oh, j’aurais bien fini par l’apprendre un jour ou l’autre… Holly, continua-t il avec une soudaine gravité, tu serais d’accord pour que nous nous revoyions ? Je veux dire, en dehors de l’hôpital, comme aujourd’hui…
— Oui, bien sûr.
Soulagé, il se pencha pour l’embrasser, mais elle recula d’un pas.
— Excuse-moi…
— Non, je t’en prie. Il se trouve simplement que j’ai des voisins… disons, très à l’affût de ce qui passe dans leur rue.
Elle désigna d’un signe discret du menton la fenêtre d’une maison voisine dont le rideau retomba au moment où David se retourna dans sa direction.
— C’est Mme Smith, expliqua Holly. Il y a peu, tout le voisinage a assisté à une demande en mariage publique, en pleine rue, et j’ai bien peur que, du coup, nous voir ensemble ne donne des idées à cette vieille commère.
David exhala un soupir de regret.
— Alors, tant pis… On se voit jeudi matin à l’hôpital ?
— Oui. Frais et dispos pour affronter une nouvelle garde…
Ils échangèrent un dernier sourire, puis David tourna les talons et s’éloigna.
Le jeudi matin suivant, Holly attendit avec impatience de croiser David, toutefois il y eut un tel défilé de patients qu’elle n’en eut pas l’occasion. Elle dut en particulier traiter le cas très épineux d’un homme qui présentait des troubles de la vue après qu’il eut reçu une balle dans l’œil au cours d’une partie de squash. Après avoir pratiqué les premiers examens de routine, elle n’eut d’autre choix que de l’adresser à un ophtalmologue : Melvyn Platt, son patient, bien que fort peu alarmé de ce qui lui arrivait, contrairement à sa femme, qui l’accompagnait, risquait de perdre son œil.
A la pause de midi, son dernier patient parti, Holly s’apprêtait à quitter le box où elle avait officié pour se rendre à la cafétéria, lorsque David surgit sur le pas de la porte.
— Salut !
— Salut ! répondit elle avec un large sourire.
— Tu déjeunes avec moi ?
— Impossible.
David parut surpris.
— Tu as peur de donner du grain à moudre aux commères ?
— Non, j’ai déjà rendez-vous.
Il ne répondit rien, mais elle aurait pu jurer qu’il était jaloux et mourait d’envie de savoir avec qui elle devait déjeuner.
Attendrie, elle décida de ne pas le tourmenter plus longtemps.
— Je déjeune avec Jude et Zoé.
Un vif soulagement éclaira l’expression du médecin.
— Ah… Demain alors ?
— Peut-être, si j’ai le temps.
— Tu ne te laisses pas attraper si facilement, on dirait… Très bien, que dirais-tu d’un dîner ensemble demain soir ? Tu aimes la cuisine thaïlandaise ?
— D’accord !
Ayant obtenu sa réponse, David aurait dû tourner les talons. Mais il s’attardait, avec une attitude un peu gauche, comme s’il mourait d’envie de lui voler un baiser, mais hésitait, de peur de se faire repousser. Alors Holly se haussa sur la pointe des pieds et embrassa la fossette qu’il avait sur le menton. Puis, aux anges en le voyant stupéfait, elle s’éclipsa en hâte en direction des ascenseurs.
Judith et Zoé étaient déjà attablées dans la cafétéria et lui avaient commandé un déjeuner.
— Je t’ai pris une salade au poulet froid, annonça Jude en poussant une assiette devant elle. S’il n’avait tenu qu’à moi, j’aurais choisi des nachos, mais Zoé m’a suppliée de ne pas le faire sous prétexte que tu allais encore nous donner une leçon de diététique sur les graisses saturées.
— Et elle a eu tout à fait raison ! observa Holly en riant. Je n’ai aucun problème avec le guacamole, puisque l’avocat contient beaucoup de vitamine E, excellente pour la santé, mais toutes ces pâtes cuites à la friture, très peu pour moi, amiga ! Une salade au poulet, c’est parfait !
— Tu as l’air d’excellente humeur aujourd’hui ! s’exclama Zoé. Tu as passé une bonne matinée ?
— Oui. Avec un cas d’ophtalmo très intéressant.
— C’est tout ? s’enquit Jude d’un ton innocent.
Holly lui glissa un regard oblique.
David et elle avaient pourtant été d’une discrétion absolue. Se pouvait il tout de même que quelque chose de leur relation ait filtré ?
Elle écarta la question de son amie d’un haussement d’épaules désinvolte et entama sa salade.


— Au fait, reprit Zoé, nous dînons chez Giovanni demain soir ?
— Sans moi, je suis du soir, répliqua Holly.
— Holly, tu étais du matin aujourd’hui, ce qui signifie que tu le seras aussi demain, répliqua Jude avec un sourire entendu. Tu seras du soir samedi…
Holly pesta en silence. Elle avait oublié à quel point il était facile de connaître son emploi du temps, surtout pour quelqu’un d’aussi rusé que Jude.
— De toute façon, je ne peux pas, répondit elle d’un ton dégagé. Je dînerai avec vous la semaine prochaine.
Si elle avait vaguement espéré que ses deux amies se *******eraient de cette explication, elle dut déchanter.
— Qu’est-ce que tu as de prévu ? demanda Zoé. Un repas entre collègues ?
Inutile de mentir, ces deux curieuses détecteraient le mensonge dès qu’il aurait franchi ses lèvres. Et puis elles apprendraient par d’autres qu’il n’y avait aucun repas de service organisé.
Elle soupira.
— Holly ! s’exclama Jude, ravie. C’est la première fois que tu as un rendez-vous galant depuis… Depuis des lustres !
— Oh, ça va… Ce n’est parce que vous êtes toutes les deux mariées et heureuses que tout le monde doit en faire autant. Et puis accepter un dîner ne signifie pas que je pars à la conquête du prince charmant.
— Comment s’appelle-t il ? demanda Zoé, les yeux brillants de curiosité.
Holly soupira de nouveau.
— Sérieusement, j’aimerais mieux pour l’instant que tout cela reste très discret… Il s’appelle David.
— David Neave ? murmura Zoé.
Holly la fixa, stupéfaite.
— La rumeur court elle aussi vite que ça ? gémit elle.
— Non, pas du tout, intervint Jude d’un ton rassurant. Mais n’oublie pas que tu es désormais la voisine de ma belle-sœur.
De fait, lorsqu’elle avait épousé Kieran, Jude avait emménagé avec lui et laissé sa maison, qui se trouvait dans la même rue que celle de Holly, à Tess et à Charlie, la sœur et le neveu de Kieran.
— Figure-toi, reprit Jude, que Tess a aperçu par hasard, dimanche, un bel homme devant chez toi, avec un magnifique bouquet de fleurs orange vif à la main. Le même qui est posé sur le rebord de la fenêtre de ta cuisine, tu sais ? ajouta-t elle avec malice. Elle m’a décrit l’homme en question et, incroyable coup du sort, je l’ai justement croisé ce matin même. Il travaille aux urgences et m’a adressé une patiente…
Les épaules de Holly s’affaissèrent.
— Vous saviez tout depuis le début et vous attendiez simplement que j’avoue, n’est-ce pas ?
— Mais non, voyons, répondit Zoé en lui tapotant la main. Et avant que tu paniques, sache que nous avons fait jurer le secret à Brad et Kieran.
Holly secoua la tête en riant.
— Vous êtes insupportables, toutes les deux !
— Nous aimerions simplement te voir heureuse, dit Zoé. Si c’est l’homme de ta vie, aucun problème, nous avons déjà choisi nos robes de demoiselles d’honneur. Sinon, tu sais que nous sommes là, au cas où tu aurais envie de parler.
— Il est encore très tôt. Nous avons décidé de prendre tout notre temps…
Jude et Zoé échangèrent un regard entendu qui désola Holly.
Dans leur esprit, elles l’avaient déjà mariée à David. Toutefois, si elle leur apprenait enfin la vérité sur son passé et la raison pour laquelle elle avait dû attendre une année supplémentaire avant de pouvoir passer le bac…
A peine cette idée s’insinua-t elle en elle qu’elle la repoussa. Pour l’instant, il était bien trop tôt pour leur avouer son secret…


 
 

 

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6


On était mercredi soir et Holly avait rendez-vous chez David, qui l’avait invitée à dîner.
Après lui avoir ouvert la porte, il la pria de le suivre dans le salon de son appartement.
— J’aurais dû apporter mes lunettes de soleil, plaisanta Holly en découvrant la décoration seventies, avec couleurs criardes dans le plus pur style psychédélique.
— Ce n’est pas moi qui ai choisi la déco, répondit David avec une moue penaude. Je ne suis que locataire. Je n’ai pas encore vendu ma maison de Newcastle, alors je me suis installé ici en attendant.
— Au moins, ça me tiendra éveillée.
Elle lui tendit le sac en papier qu’elle avait apporté et qui contenait une bouteille de vin.
— Du sauvignon de Nouvelle-Zélande, génial ! s’exclama David.
— Il y a autre chose au fond du sac.
Il y plongea donc la main et en sortit une boîte.
— Des chocolats ! Décidément, tu as pensé à tout. Viens…
Il l’entraîna dans la cuisine, où il avait dressé le couvert, puis il servit les entrées : de délicieuses tranches de saumon fumé accompagnées de fagots de haricots verts.
Holly en resta pantoise. Tout était parfait, de la saveur à la présentation raffinée. Et elle n’était pas au bout de ses surprises, car le plat principal — un poulet à l’estragon servi avec un assortiment de petits légumes — fut un véritable régal.
Jamais elle n’aurait cru que David avait de tels talents de cordon-bleu. A moins que…
Le léger doute qui s’était insinué en elle se transforma très vite en soupçon au moment du dessert, lorsque David leur servit deux coupes de mousse au chocolat blanc « fabrication maison ». Une petite douceur qu’elle reconnut sur l’instant : elle en achetait assez souvent et savait exactement dans quel rayon du supermarché il fallait chercher pour la dénicher.
— Mmm, délicieux ! s’exclama-t elle après la première cuillerée. Il faut absolument que tu me donnes ta recette.
David esquissa un sourire gêné et marmonna dans sa barbe.
— Est-ce que tu as essayé la mousse au citron dans la même gamme ? enchaîna Holly en riant sous cape. Elle n’est pas mal du tout…
Il exhala un soupir.
— Bon, je suis démasqué, si je comprends bien…
— On dirait, oui… Pas de chance, cette marque de desserts est la préférée de Jude, c’est elle qui me l’a fait découvrir.
— En fait, j’avais cuisiné quelque chose moi-même, mais j’étais tellement stressé que tout a brûlé. J’ai dû me précipiter en catastrophe au supermarché… et voilà.
Holly le considéra avec étonnement.
— Nous aurions très bien pu commander des plats à emporter chez le traiteur… Je te fais vraiment si peur que ça ?
— Oui. Enfin, non… Disons que je voulais tellement que tout soit parfait que… Enfin, bref, c’est raté. J’habite un appartement très moche, je n’ai pas été capable de cuisiner un vrai repas et…
— C’est toi que je suis venu voir, pas ton appartement…
Il la remercia d’un timide sourire.
— Nous pouvons toujours nous rattraper avec les délicieux chocolats que tu as apportés.
— J’ai une bien meilleure idée…
Se levant, elle contourna la table pour venir se placer derrière David, qu’elle entoura de ses bras, puis elle posa sa joue contre la sienne.
— Je suis très touchée que tu te sois donné du mal pour moi, murmura-t elle. Je n’aurais pas dû te taquiner… Pardon.
Quand elle l’embrassa sur la joue, il tourna la tête à demi et lui adressa un regard malicieux.
— Tu peux t’excuser encore, s’il te plaît ?
Elle l’embrassait dans le cou, cette fois, quand elle se retrouva assise sur les genoux de David, à échanger avec lui un baiser passionné.
— Je croyais que nous étions censés prendre tout notre temps, soupira-t elle en s’écartant de lui.
— C’est ce que nous faisons… Nous avons dîné ensemble vendredi soir au restaurant thaïlandais et, ensuite, chacun est rentré sagement chez soi. Nous ne nous sommes pas revus en dehors de l’hôpital depuis…
Holly eut un petit rire joyeux.
— Pour autant, ça ne correspond pas tout à fait à ma définition de l’expression « prendre son temps » ! Comment te sens-tu, là maintenant, en cet instant précis ? ajouta-t elle en plongeant son regard dans le sien.
— Sur le point de perdre mon self-control, murmura-t il. Mais j’avais imaginé quelque chose de très différent pour notre première fois… Champagne, roses rouges, grand lit à baldaquin… Bref, le grand jeu !
— Et tu avais une date précise en tête ? le taquina-t elle.
— Nous sommes tous les deux de repos demain.


— Ce que tu appelles « prendre son temps », commenta-t elle avec un rire gentiment moqueur.
David capitula dans un soupir.
— Entendu, je me rends… J’attendrai que tu sois prête et tu fixeras toi-même les conditions.
Holly nicha son visage au creux du cou de David.
— Demain, ça me paraît bien…
— C’est vrai ? Tu en es sûre ?
— Sûre et certaine.
Après tout, quelle importance qu’ils se soient retrouvés depuis deux semaines seulement ? Ils s’étaient rencontrés quatorze ans plus tôt, deux années durant ils avaient vécu une merveilleuse histoire d’amour et, soudain, les douze ans de souffrance qui les avaient séparés lui semblaient s’effacer comme par magie. Avaient ils même jamais existé ?
— Alors, tu vas passer ta journée de repos de demain avec moi ? demanda-t elle, déjà impatiente.
— Et même celle de vendredi, puisque nous sommes également de repos. A moins que tu préfères attendre encore un peu…
— Non.
Elle chercha ses lèvres et lui donna un nouveau baiser.
— Il vaudrait mieux que je te raccompagne maintenant, souffla David d’une voix rauque. Sans quoi…
— Et si je te disais que je n’ai aucune envie de rentrer chez moi ?
— Je veux que tout soit absolument parfait.
— Rien ne l’est jamais tout à fait, David…
— Nous en reparlerons vendredi matin, conclut il en souriant.
Bien qu’elle soit épuisée par sa journée à l’hôpital, Holly ne dormit guère cette nuit-là, car une foule de questions se bousculaient en elle. David et elle ne se laissaient ils pas emporter un peu trop vite ? Avaient ils complètement perdu la raison ou, au contraire, empruntaient ils la bonne direction ? Oui, elle avait aimé David de toute son âme autrefois, mais ils n’avaient plus dix-huit ans. De l’eau avait coulé sous les ponts, et chacun avait suivi son propre chemin, s’était laissé façonner par la vie… Ils avaient changé. David avait vécu un mariage qui s’était soldé par un divorce, elle s’était consacrée corps et âme à son métier. Peut-être un énorme fossé les séparait il à présent.
Mais il n’était pas trop tard pour faire machine arrière. Après tout, jusqu’ici, ils n’avaient fait qu’échanger quelques baisers. Surtout, ils ne s’étaient rien promis. Elle pouvait donc tout à fait lui téléphoner demain matin et annuler leur rendez-vous. Seul hic : elle n’en avait pas la moindre envie.
C’était un premier problème derrière lequel se profilait un autre : sans doute n’avait elle jamais cessé d’aimer David, et il pouvait lui briser le cœur une seconde fois…
A 9 h 25 précises, le timbre de la porte d’entrée de Holly retentit.
— Bonjour, dit David avec un sourire un peu timide. Tu sais, il n’est pas trop tard pour changer d’avis.
— C’est si évident que ça ? s’enquit elle, surprise.
— Tu as l’air… assez nerveuse, oui.
Elle releva le menton en signe de défi.
— Je t’assure que non.
David lui effleura la joue d’une caresse.
— Moi, je le suis.
Prise au dépourvu, elle fronça les sourcils.
— Est-ce bien là l’homme qui m’a promis une absolue perfection ?
— Vantardise, bluff, fanfaronnade… Que se passera-t il si je ne parviens pas à tenir ma promesse ? ajouta-t il avec gravité.
Impossible, songea-t elle. Lorsque leurs deux corps s’uniraient enfin, ce serait un moment magique et merveilleux. Son instinct lui soufflait que, de ce côté-là, le présent n’aurait rien à envier au passé.
— Et si nous prenions tout cela à la légère ? suggéra-t elle. Pas de grandes promesses, pas de grandes attentes… Mieux vaudrait nous laisser porter par le hasard sans trop réfléchir, tu ne crois pas ? D’ailleurs, c’est ce que nous avions décidé.
— C’est vrai. Et quand nous nous serons enfin retrouvés, je saurai peut-être alors à qui j’ai affaire : Holly le grand méchant loup ou Holly la douce…
— Je suis peut-être un peu les deux…
— Peut-être… J’ai envie de t’embrasser, Holly, mais si je le fais, je ne pourrais plus m’arrêter. Et j’ai d’autres plans pour aujourd’hui…
— Comme quoi ?
— Tu verras… Le carrosse de madame est avancé !
La carrosse se révéla être un coupé sport qui n’était pas de la première jeunesse.
— Le moteur est en parfait état, rassure-toi, commenta David quand il vit l’air perplexe de Holly.
— Très bien. Et… les points de rouille sur la carrosserie ?
— C’est parce que je n’ai pas encore eu le temps de restaurer entièrement cette magnifique antiquité.


— Ah oui ? C’est comme ça que tu occupes ton temps libre ? Le nez plongé dans des magazines spécialisés ou chez les carrossiers et les ferrailleurs, à la recherche de la pièce introuvable pour réparer ta voiture ? Ne me dis pas que tu y tiens comme à la prunelle de tes yeux !
Curieux… Jamais le David d’autrefois n’avait eu le profil de cette espèce un peu étrange que constituaient les hommes qui aimaient leur voiture plus que toute autre chose.
— Non, évidemment ! Mais, à l’époque où j’habitais Newcastle, j’avoue que cette voiture m’a coûté beaucoup en temps et en argent, car c’était une véritable épave. Je l’ai confiée à un garagiste afin qu’il s’occupe de remettre en état le moteur, et je me suis occupé du reste, avec pour objectif principal de restaurer le chef-d’œuvre aussi fidèlement que possible.
— Et pourtant, tu n’as pas hésité à ajouter une petite touche de modernité, commenta-t elle en désignant le lecteur de CD.
— Je suis incapable de conduire sans musique.
Elle le reconnaissait bien là… Il était la seule personne qu’elle connaissait — hormis peut-être Jude — qui possédait une collection de disques vinyle et de CD plus impressionnante que la sienne…
— Choisis ce que tu veux, déclara David en démarrant. Les disques sont dans la boîte à gants.
Holly ne se fit pas prier et opta aussitôt pour une compilation de vieux standards de jazz.
Une demi-heure plus tard, ils avaient quitté Londres et Holly était aux anges : il faisait un temps resplendissant, elle roulait à vive allure en compagnie de David, au son d’une musique qu’elle adorait. Elle était en train de vivre une scène qu’elle avait imaginée cent fois adolescente…
Son humeur s’assombrit un peu. N’était elle pas censée oublier le passé ? Difficile, dans la mesure où tout le leur rappelait à chaque instant…
Elle avait cru que David les conduirait dans un relais château, mais il emprunta la direction d’un parc animalier où les animaux, bien que parqués pour la sécurité des visiteurs, évoluaient dans une relative liberté.
— Quelle bonne idée ! s’exclama-t elle comme il se garait sur le parking. Ça fait des lustres que je n’ai pas visité un zoo !
— Un parc animalier, corrigea David. Et puis c’est un prêté pour un rendu : l’autre jour, tu m’as emmené voir les requins au grand aquarium de Londres ; aujourd’hui, je t’emmène voir les lions. Essaie simplement de ne pas trop les effrayer, conclut il avec un clin d’œil.
Elle leva les yeux au ciel.
— Très drôle !
La visite du parc fut un véritable enchantement, excepté qu’ils furent rattrapés, comme souvent, par leur métier de médecin, le temps d’un incident heureusement sans gravité. Une petite fille, perchée sur les épaules de son père, qui se tenait trop près de la barrière de l’enclos des singes, avait été mordue par l’un d’eux, l’animal ayant voulu s’emparer de la barre de céréales au chocolat que la fillette avait à la main. Holly et David proposèrent leur aide aux parents de la fillette qui hurlait, sans doute plus de peur que de douleur. Après avoir rassuré la mère de l’enfant, Holly calma la petite Cara et examina sa blessure. La morsure était superficielle, toutefois il fallait la nettoyer avec soin et administrer un antibiotique à la fillette. Ils se rendirent donc à l’infirmerie du parc, où les secouristes prirent le relais.
Il était 13 heures passées, aussi décidèrent ils de déjeuner à la terrasse de l’une des buvettes du parc.
— Tu as été très bien avec la petite, commenta David, admiratif. Patience, douceur… Bravo !
Holly se *******a d’esquisser un pâle sourire, ce commentaire anodin ayant ravivé de douloureux souvenirs.
— Hé…, murmura tendrement David. Nous sommes censés ne plus penser au passé.
— Je sais, mais c’est parfois difficile.
— Tu sais ce qu’il te faudrait ? Te détendre dans un bain à remous…
Holly haussa un sourcil.
— Je suis certaine que les gérants du parc en ont installé un quelque part.
— Les gérants du parc, non, répondit David en riant. Mais les propriétaires de notre hôtel ont pensé à tout.
Holly ouvrit des yeux ronds.
— Tu a réservé une chambre avec Jacuzzi ?
— Avec du champagne, aussi, et des fraises.
— Si quelqu’un t’entendait, il conclurait probablement que tu essaies de me soudoyer pour que je t’offre mon corps de rêve !
Une lueur sombre traversa le regard bleu.
— Et le quelqu’un en question aurait parfaitement raison.
Feignant la désinvolture, Holly haussa les épaules.
— Eh bien ? Qu’est-ce qu’on attend ?

 
 

 

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7






L’hôtel était romantique à souhait. A leur arrivée à la réception, David donna son numéro de carte Bleue, récupéra la clé de leur chambre, puis il se saisit de leurs bagages.
En entrant dans la chambre, Holly reçut un choc. David n’avait pas menti : une bouteille de champagne posée dans un seau à glace les attendait, ainsi qu’une énorme coupe de fraises. Et un immense lit à baldaquin.
— Viens, dit David, qui l’avait précédée dans la pièce.
Un frisson la parcourut. David et elle avaient déjà fait l’amour, mais c’était il y a longtemps… Que serait cette expérience cette fois-ci ? Lui semblerait elle familière ou, au contraire, nouvelle, presque un peu étrange ?
Curieusement, une intense timidité s’était soudain emparée d’elle. Une timidité bien plus grande que la première fois où David et elle s’étaient aimés. Ce qui était complètement idiot… Aujourd’hui, elle n’était plus une jeune fille inexpérimentée, mais une femme. Elle avait connu d’autres hommes — peu, il était vrai, mais assez pour avoir acquis une certaine assurance. Alors pourquoi, en cette minute, se sentait elle gauche et maladroite ?
David lui adressa un sourire tendre et rassurant.
— Nous ne sommes obligés de rien, tu sais… Si tu préfères que nous en restions là, je peux parfaitement m’installer dans une autre chambre et…
— Non, ce n’est pas ça, David ! C’est juste que…
Elle laissa sa phrase en suspens. Comment lui expliquer les sentiments troublants et contradictoires qui l’animaient ?
David s’approcha d’elle et lui prit la main.
— Je sais… Moi aussi, je ressens la même chose. Bien, je vais nous faire couler un bain.
Dès qu’elle se retrouva seule, Holly fouilla fébrilement son sac de voyage, furieuse contre elle-même de n’avoir apporté qu’une chemise de nuit en coton ordinaire. Etant donné le cadre et les circonstances, un déshabillé de soie aurait été beaucoup plus approprié !
Elle se changea en hâte et s’enveloppa de la robe de chambre assortie à sa chemise de nuit — en coton, elle aussi, et aussi sexy qu’un sac de pommes de terre…
Ils allaient à l’échec, songea-t elle avec amertume. Elle allait décevoir David. Ils auraient bien mieux fait de laisser le passé là où il était.
A cet instant, David ressortit de la salle de bains.
— A toi l’honneur…
Ouf ! Au moins, il ne la regarderait pas se déshabiller. Et quand il entrerait dans la salle de bains à son tour, elle serait dissimulée par la mousse floconneuse du bain.
Elle se dévêtit rapidement, se glissa dans la baignoire et attendit.
Une minute plus tard, David frappa à la porte.
— Je peux entrer ?
— Oui.
Il entrouvrit le battant et passa la tête par l’entrebâillement.
— Ferme les yeux…
Le cœur battant la chamade, Holly obéit.
Des secondes qui lui semblèrent durer une éternité s’écoulèrent, puis elle sentit que David la rejoignait dans la baignoire.
— Tu peux rouvrir les yeux maintenant…
Il s’était assis face à elle dans l’immense baignoire ronde, son corps dissimulé par la mousse, et lui souriait tendrement, deux flûtes de champagne à la main. Tout près d’elle, sur le rebord de la baignoire, il avait déposé la coupe de fraises.
Ses doigts tremblaient légèrement quand elle saisit la flûte qu’il lui tendait.
— A nous, murmura-t il.
— A nous…
Ils trinquèrent et burent une gorgée du délicieux vin pétillant. Puis David reposa sa flûte sur le rebord de la baignoire et s’approcha de Holly.
Dès qu’il prit Holly dans ses bras, David eut l’enivrante impression de rentrer enfin au port, de retrouver le havre de paix qu’il n’aurait jamais dû quitter. C’était là sa place. Jamais il ne s’était senti aussi pleinement homme et pleinement lui-même qu’en cet instant.
Faire l’amour avec Holly était une expérience à nulle autre pareille. Il ne s’agissait pas seulement de la satisfaction des sens, c’était bien au-delà. Enfin, il retrouvait celle qu’il n’était jamais parvenu à oublier. Et aujourd’hui, la jolie adolescente d’autrefois avait cédé la place à une femme resplendissante, dont le corps magnifique vibrait sous chacune de ses caresses. Une femme qui était à lui.
Une femme qu’il aimait. Oh oui, comme il l’aimait… Mais il était encore trop tôt pour le lui dire, car l’un et l’autre avaient encore de nombreuses blessures qui n’étaient pas cicatrisées. S’il brusquait les choses, il risquait de tout gâcher. Une chose était sûre, en tout cas : c’était là le commencement de quelque chose. Et il se sentait plus heureux qu’il ne l’avait jamais été depuis de longues années…


David avait prévu un dîner romantique aux chandelles dans la salle de restaurant, une idée que Holly et lui abandonnèrent bien vite. Leur désir était tel qu’il semblait inextinguible, et ces premières retrouvailles, loin de les rassasier, les rendirent encore plus affamés de caresses et de plaisir, au point qu’ils en perdirent toute notion du temps. Enfin, pourtant, ils retombèrent, haletants et alanguis l’un contre l’autre dans le grand lit à baldaquin, dans un état second et enchanteur.
Holly avait l’impression de flotter sur un petit nuage. Blottie tout contre David, dans la chaleur de ses bras, elle éprouva pour la première fois depuis des années — peut-être même pour la toute première fois de sa vie — une sérénité et un bien-être dont elle n’aurait jamais soupçonné qu’ils pouvaient exister.
— J’ai eu tort, murmura-t elle.
— A quel sujet ?
— Quand j’ai dit hier que rien n’était jamais parfait… Je viens, au contraire, de faire l’expérience de la plus pure perfection.
En riant, David déposa un baiser sur le bout de son nez.
— Merci de flatter ainsi mon ego… Tu as faim ?
— Un peu… Mais je n’ai pas la moindre envie de me rendre dans la salle de restaurant. De toute façon, nous avons les fraises et le champagne.
— A l’heure qu’il est, il ne doit plus rester une seule bulle dans le champagne, et les fraises doivent avoir perdu pas mal de leur fraîcheur. Heureusement qu’un type très ingénieux a inventé le room-service, ajouta-t il avec un sourire malicieux. Nous sommes sauvés, nous ne mourrons pas de faim ce soir.
— Excellente idée !
— Tu as envie de quelque chose de précis ?
Elle lui adressa un grand sourire.
— Oui. Mais je ne crois pas que ça figure au menu de l’établissement…

 
 

 

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8




— Holly… Holly, réveille-toi.
Holly cligna des yeux et étouffa un bâillement.
— Bonjour, princesse, dit David en lui tendant un mug de café délicieusement odorant. Le petit déjeuner est servi.
Elle s’appuya contre les oreillers et saisit le mug.
— Merci. Quelle heure est il ?
— 6 heures moins le quart. Il faut que nous soyons partis dans une heure.
— Parle pour toi…
David fronça les sourcils.
— Je te rappelle que nous sommes dimanche et que nous sommes censés prendre notre garde à l’hôpital tout à l’heure. Nous sommes du matin, tu avais oublié ?
— Oh, excuse-moi… Ce que j’ai oublié, c’est de te dire que j’avais interverti ma garde de ce matin avec Trish. Je la remplace ce soir et, en échange, elle me remplacera mercredi soir.
— Pourquoi ? Tu as quelque chose de prévu mercredi soir ?
— Un concert au club de l’hôpital.
Devant l’air déconcerté de David, elle se mit à rire.
— Je dois vraiment avoir l’esprit ailleurs pour ne pas t’avoir fait acheter une place ! Zoé, Jude et moi organisons une fois par mois un concert au club de l’hôpital afin de collecter des fonds que nous répartissons ensuite entre nos trois services. L’argent récolté permet de pallier les coupes budgétaires décidées par la direction en achetant, par exemple, du matériel médical, ou en remplaçant les appareils qui menacent de nous lâcher d’un jour à l’autre.
— C’est la première fois que j’en entends parler, commenta David avec surprise. Tu dois vraiment avoir l’esprit ailleurs, en effet !
— J’ai une bonne excuse. Ces derniers temps, certains événements m’ont un peu… distraite. Alors, tu vas faire ta B.A. et acheter une place ?
— C’est bien pour te faire plaisir. Mais je te préviens tout de suite, je ne pourrai pas assister au concert.
— Ça ne commence pas avant 8 heures et demie. Si tu viens tout de suite dès la fin de ta garde, tu ne manqueras qu’une demi-heure du spectacle.
— Entendu, conclut il en la rejoignant dans le lit. J’avoue que je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de te laisser ici alors que je suis obligé d’aller à l’hôpital.
— Comme je te comprends, le taquina-t elle. Je vais pouvoir m’attarder dans mon grand lit et j’ai sept longues heures de liberté devant moi avant de reprendre le chemin de l’hôpital à mon tour.
David esquissa une moue contrariée.
— Je serais presque tenté de me faire porter pâle.
— Docteur Neave, vous n’oseriez tout de même pas !
— O.K., O.K., docteur Grand-Méchant-Loup, tu as gagné.
— Pour me faire pardonner, je te préparerai quelque chose de bon pour le déjeuner.
— Ici ?
— Ah oui, il faudrait que je te donne un double des clés…
David se figea.
— Tu vas me donner un double des clés de chez toi ?
Elle eut un haussement d’épaules désinvolte.
— Ça paraît logique… Etant donné que nous avons passé ici tout notre temps libre ces derniers jours.
De fait, depuis leur nuit à l’hôtel, ils avaient passé chaque minute de leur temps libre ensemble, incapables de supporter d’être séparés l’un de l’autre plus d’une demi-heure. L’appartement de David étant minuscule — sans parler de la décoration qui donnait la nausée à Holly —, ils avaient naturellement investi la maison de la jeune femme. David n’était retourné chez lui que pour aller chercher quelques affaires de rechange et vider le réfrigérateur des victuailles qui avaient dépassé la date de péremption.
— Holly, tu vas peut-être me trouver un peu lent, mais… tu me proposes d’emménager chez toi, c’est bien ça ?
Elle lui adressa un sourire radieux.
— Si tu es d’accord… Je sais bien que nous avions décidé de prendre notre temps, mais ce n’est pas comme si nous venions à peine de nous rencontrer.
— Et puis nous avons déjà perdu douze longues années.
— Alors, à quoi bon attendre encore ?
Emu, il se pencha et l’embrassa.
— J’avoue que je ne sais pas quoi dire.
— Eh bien réfléchis et dis-moi ce que tu auras décidé ce soir. Maintenant, il est un peu tôt parce que je te rappelle que tu dois prendre ta garde dans… moins d’une demi-heure.
— Tu n’auras qu’à me donner tes clés quand tu arriveras à l’hôpital. Comme ça, quand tu rentreras ce soir à la maison, j’aurai préparé le dîner et tu n’auras plus qu’à te mettre les pieds sous la table.
A la maison… Holly avait eu le coup de foudre pour sa maison et elle s’y était tout de suite sentie chez elle. Mais, en cette minute, elle comprenait que, pendant toutes ces années où elle y avait vécu seule, quelque chose — ou plutôt quelqu’un — lui avait manqué. David…
Aujourd’hui, tout était parfait…


Holly et David se retrouvèrent à l’hôpital au moment où cette dernière vint prendre sa garde. Ils s’isolèrent quelques minutes dans le bureau de David, le temps de faire le point sur les patients.
— Au fait, avant que j’oublie…, dit Holly au moment de quitter la pièce.
Puis elle tendit le double des clés de chez elle à David. Il s’en empara et la serra dans ses bras.
Elle se débattit en riant.
— Laisse-moi tranquille, j’ai des patients à voir !
— Ils peuvent attendre quelques secondes, répondit il en la dévorant de baisers. Et le code de l’alarme ? ajouta-t il lorsqu’il la relâcha.
— 0104.
— C’est un poisson d’avril ?
— Exactement ! Tu vois, tu aurais pu le deviner tout seul.
Elle planta un baiser sonore sur sa joue et s’éclipsa.
Pendant un bon moment, elle n’eut que des cas assez routiniers, jusqu’à ce qu’elle soit appelée au chevet de Tiffany Baker, une jeune femme que l’on avait installée dans le box numéro 3.
— Vous savez, à mon avis, c’est juste une grippe, annonça aussitôt la patiente.
— Il n’y a pas d’épidémie en ce moment, objecta Holly en souriant.
— Alors, ça doit être le décalage horaire.
Le fiancé de Tiffany, Brian, secoua la tête.
— Elle est rentrée de Thaïlande depuis quinze jours, et elle a une fièvre de cheval, expliqua-t il. C’est pour ça que je l’ai amenée aux urgences.
Alarmée, Holly redoubla d’attention. Les symptômes apparents d’une grippe, une forte fièvre et un séjour en Thaïlande, tout cela faisait penser d’emblée à la malaria.
— Pouvez-vous préciser vos symptômes ? demanda-t elle.
— J’ai très chaud et je transpire pas mal à cause de la fièvre, je suppose. Sinon, je me sens très fatiguée et j’ai des maux de tête en permanence.
— Et donc vous rentrez de Thaïlande ?
— Oui. Je suis photographe et j’ai été envoyée là-bas par mon journal pour y faire un reportage.
Tout en écoutant la jeune femme, Holly l’avait observée avec soin. Elle était parcourue de frissons et des gouttelettes de sueur perlaient à son front. Des symptômes qui en effet accompagnaient souvent une grippe, mais son intuition lui soufflait qu’il y avait à craindre bien plus qu’une simple grippe.
— Avez-vous déjà séjourné en Afrique de l’Ouest ? s’enquit elle.
— Non, jamais.
Voilà qui écartait au moins l’éventualité de la fièvre de Lhassa, une fièvre hémorragique mortelle.
— Et depuis combien de temps ressentez-vous ces symptômes ?
— Deux ou trois jours, répondit Brian.
— Avez-vous pris un traitement antipaludéen ?
Tiffany acquiesça d’un signe de tête.
— Vous pensez au paludisme ? demanda-t elle d’un ton anxieux.
— C’est une possibilité. Les souches de virus transportées par les moustiques de certaines régions de Thaïlande sont particulièrement résistantes aux antipaludiques. Quand avez-vous pris votre dernier comprimé ?
— Le jour de mon départ. Je sais que j’ai arrêté un peu tôt, mais…
— En effet, soupira Holly.
Elle vérifia ensuite les constantes de Tiffany : hyperpyrexie, tension artérielle trop basse et battements cardiaques trop rapides. Des symptômes courants chez les patients atteints de malaria…
— Je pense que vous êtes atteinte de paludisme, reprit elle. Toutefois, comme il existe quatre formes de la maladie, je vais devoir vous faire faire des analyses de sang afin de déterminer quelle est la forme dont vous souffrez. Ensuite, je vous adresserai au service des maladies tropicales et infectieuses.
— La malaria, c’est une maladie qui peut être mortelle, n’est-ce pas ? s’enquit Brian d’un ton alarmé.
Holly lui adressa un sourire rassurant.
— La plupart des décès surviennent chez les enfants de moins de cinq ans et en particulier dans les pays sous-développés. Tiffany, avez-vous des chances d’être enceinte ? ajouta-t elle en reportant son attention sur la jeune femme.
— Non. Je suis sous contraceptif et j’ai eu mes règles la semaine dernière.
— Je vais tout de même vous faire faire un test de grossesse par mesure de précaution.
— Docteur, il est normal que la maladie se déclare seulement maintenant ? demanda la jeune femme.


— La période d’incubation est plus ou moins longue en fonction du type de virus qui a infecté le patient. En règle générale, elle est de deux ou trois semaines, mais elle peut aller jusqu’à six semaines, voire parfois plus. Une fois que nous aurons prélevé tous les échantillons sanguins pour analyse, je vais vous faire hospitaliser. Si aucune complication ne survient, vous vous sentirez mieux dans quarante-huit heures grâce au traitement de quinine et de tétracycline — un antibiotique — que je vais vous prescrire.
Brian, malgré de visibles efforts pour conserver son sang-froid, paniquait de plus en plus.
— Et que se passera-t il en cas de complications ?
— Il se pourrait que nous soyons obligés d’hospitaliser Tiffany dans l’unité de soins intensifs.
Par prudence, Holly se garda de préciser ce qu’elle entendait par « complications », à savoir que Tiffany souffre d’un Plasmodium falciparum, la forme la plus grave de la maladie, responsable de la majorité des cas fatals. Le P. falciparum risquait aussi de provoquer des convulsions cérébrales, voire un coma, une insuffisance rénale, une acidose ou encore une sévère anémie, toutes pathologies qui laisseraient de graves séquelles.
— De toute façon, continua-t elle, nous avons détecté le problème assez tôt et il y a toutes les chances pour que nous réussissions à vous soigner rapidement.
— J’espère bien ! soupira Tiffany. Je suis censée partir en reportage à Moscou la semaine prochaine.
— Alors là, je dois vous annoncer que ce sera sûrement impossible, objecta Holly. Mais comme nous ne pouvons rien pronostiquer avant d’avoir obtenu vos résultats d’analyses, je vais vous envoyer une infirmière pour les prélèvements et je vais également prendre contact avec un médecin du service des maladies infectieuses.
Prenant congé du couple d’un sourire, elle quitta le box. Dans le couloir, elle demanda à la première infirmière qu’elle croisa de procéder aux prélèvements dont elle avait besoin.
— Je suspecte un cas de malaria, alors prenez les précautions nécessaires : masque de protection, gants en latex, etc. Dès que ce sera fait, prévenez-moi afin que je vous donne le formulaire de demande d’analyses que je vais remplir maintenant, et ensuite, envoyez les prélèvements au labo en leur précisant bien que c’est très urgent. Je veux un test immunochromatographique du sang complet. De mon côté, je vais prévenir le service des maladies tropicales et infectieuses et préparer le formulaire d’admission de la patiente. Elle s’appelle Tiffany Baker et elle est dans le box 3.
— Entendu, docteur.
Après quoi, Holly pénétra dans un autre box afin de s’occuper d’un nouveau patient.
La suite de sa garde s’écoula selon une routine éprouvée : plaies à suturer, chevilles ou poignets foulés, fractures diverses… A la fin de sa garde, elle briefa le médecin qui allait prendre la relève, alla se changer aux vestiaires et rentra chez elle à pied.
Lorsqu’elle arriva, une étrange émotion l’envahit. Les rideaux étaient tirés, une douce lumière tamisée éclairait les pièces, l’une de ses musiques favorites jouait en sourdine et un fumet appétissant s’échappait de la cuisine.
Elle s’immobilisa sur le seuil de la cuisine pour contempler David, debout devant le plan de travail, qui coupait des fruits en quartiers.
Si l’avenir devait ressembler à la scène à laquelle elle était en train d’assister, songea-t elle avec ravissement, elle signait tout de suite et sans condition.
— Tu veux un coup de main ? demanda-t elle.
David se retourna vers elle et lui sourit.


— Non, merci. Assieds-toi… Alors, comment s’est passée ta garde ?
— Bien… Excepté que j’ai eu un cas de paludisme.
— Grave ?
— Si je prononce le mot de « Thaïlande »… ?
David lui adressa un regard entendu.
— Probablement un Plasmodium falciparum, donc un cas très sérieux. Ce qui justifie bien un petit remontant, ajouta-t il en ouvrant la porte du réfrigérateur dont il sortit une bouteille de vin blanc.
Il remplit un verre et le tendit à Holly.
— Tiens…
Elle le remercia d’un sourire.
— Tu sais, je risque de m’habituer très vite à ce genre de choses… Etre attendue, dorlotée…
— Encore faut il, pour que cela continue, que nos gardes concordent à peu près. Imagine que je sois systématiquement du soir et toi du matin, ou l’inverse…
— Et que nous n’ayons jamais le moindre jour de congé en commun, compléta-t elle avec un soupir. Enfin… Qu’est-ce que tu as fait cet après-midi ?
— J’ai téléphoné à mon propriétaire pour le prévenir que mes yeux ne pouvaient supporter une seconde de plus sa décoration rouge et orange, et je lui ai donné mon congé. Une chance que mon appartement soit un meublé, ça m’a facilité la tâche pour déménager. Il m’a suffi d’empaqueter mes vêtements et mes petites affaires personnelles, et voilà !
— Et le disque que nous sommes en train d’écouter, c’est le tien ou le mien ?
— Le tien. Pour l’instant, je n’ai apporté que mes vêtements. J’ai rangé le plus gros dans la chambre d’amis afin de ne pas envahir ton espace.
Holly posa son verre sur la table.
— Tu n’envahis pas mon espace, David… Il s’agit plutôt d’un partage.
— C’est ta maison.
— Et je suis ravie de la partager avec toi… Inutile de tergiverser sur la façon dont les choses auraient dû ou pu se passer. Il est trop tard et, aujourd’hui, nous sommes deux personnes très différentes de ce que nous étions à l’époque de l’adolescence. Nous avons connu des expériences diverses et peut-être même que nous n’avons plus du tout la même façon d’envisager les choses ou l’avenir. Quoi qu’il en soit, j’ai très envie d’être auprès de toi.
— Moi aussi.
— Alors, si tu penses sincèrement que mes propres vêtements occupent trop de place dans l’armoire de la chambre, tu n’as qu’à le dire, tout simplement.
— Quitte à te décevoir, j’ai plutôt l’impression que c’est moi qui ai une garde-robe de princesse, répondit il, la mine penaude.
— Ne me dis pas que tu es une fashion victim pire que Jude ? le taquina-t elle en riant. Elle possède la plus impressionnante collection de chaussures qu’il m’ait été donné de voir !
— Non, je ne crois pas.
Il s’approcha d’elle pour l’enlacer et se mit à la couvrir de baisers avides.
— David ! Dois-je te rappeler que je sors tout juste d’une longue garde et que je meurs de faim ?
A regret, il la laissa s’échapper.
— D’accord. Je te nourris d’abord, et ensuite…
Il laissa sa phrase en suspens, pour le plus grand plaisir de Holly. Inutile qu’il précise sa pensée, elle avait exactement la même.
Décidément, jamais la vie ne lui avait paru aussi belle…
Le mercredi soir suivant, dès la fin de sa garde, David se changea en hâte et se précipita au club de l’hôpital afin d’assister au concert.
A la fin du spectacle, il retrouva Holly et l’attira un peu à l’écart.
— Jude chante divinement bien, commenta-t il, admiratif.
— Oui, c’est vrai, elle a une voix d’or.
Soudain, un éclair de désir traversa son regard.
— Dis-moi, maintenant que nous vivons sous le même toit, sommes-nous encore tenus à la plus absolue discrétion ou bien me donnes-tu le droit de t’embrasser là tout de suite, en public ?
En guise de réponse, Holly se blottit contre lui et chercha ses lèvres.
— Ah, enfin ! s’exclama une voix masculine derrière eux. A partir de cet instant, je ne me considère plus comme obligé de surveiller la moindre de mes actions ou de mes paroles de peur que ma femme ne se livre aux pires représailles.
Ils se tournèrent vers Kieran et éclatèrent de rire.
— David, je te présente Kieran Bailey, le mari de…
— Jude, je sais, coupa David en souriant. Nous nous sommes déjà croisés.
De fait, les médecins des urgences étaient amenés à côtoyer tous ceux des autres services en fonction des diverses pathologies de leurs patients.


— Ah oui ? murmura Holly, vaguement gênée.
— Tu rougis ? se moqua gentiment Kieran. Mais c’est une première !
— Tu veux que je te parle de ton dernier spectacle en date ? répliqua-t elle sur un ton taquin.
Kieran leva les mains en signe de reddition et se tourna vers David.
— J’ai donné la sérénade à Jude dans sa rue pour lui demander sa main, expliqua-t il. Mais comme je ne sais pas chanter, j’avais apporté un magnétophone et je me suis livré à un play-back sous les yeux de tous les voisins qui s’étaient postés à leur fenêtre.
David se mit à rire.
— Ainsi donc, c’est la fameuse déclaration publique dont Holly m’a vaguement parlé. Je comprends mieux pourquoi elle m’interdisait même un simple baiser sur le pas de sa porte.
— Ma sœur, Tess, qui habite juste en face, vous a quand même aperçu avec un énorme bouquet de fleurs orange.
— Et elle s’est empressée de le lui répéter, lui l’a répété à Jude, qui l’a répété à Zoé, et ainsi de suite, intervint Holly en levant les yeux au ciel.
— La rumeur se répand toujours comme une traînée de poudre, tu le sais bien, dit Kieran. En tout cas, Tess meurt d’envie de faire votre connaissance, ajouta-t il à l’adresse de David. Bon, je vous laisse, j’étais censé aller chercher un verre au bar pour ma chanteuse de femme.
Il prit congé d’un sourire, puis s’éloigna.
— C’est fou ! s’exclama David en enlaçant de nouveau Holly. On pourrait penser que dans un aussi grand centre hospitalier, l’anonymat est roi et que chacun est trop occupé lui-même pour prêter attention à son voisin. Or, c’est tout le contraire ! On se croirait dans un petit hôpital de campagne.
Holly haussa les épaules avec une désinvolture résignée.
— Bienvenue au London City General.

 
 

 

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