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CHAPITRE 12


— Sabina, vous dramatisez !
— Je ne vous ai pas demandé votre avis, Brice ! rétorqua-t elle en lui lançant un regard dur.
Il était assis sur le rebord de son lit tandis qu’elle jetait nerveusement ses vêtements dans sa valise. Elle ajouta alors :
— Et si vous voulez le mien, je crois qu’il vaut mieux que vous n’abordiez plus le sujet avec moi !
Ses yeux bleu clair lançaient des éclairs, son corps souple était tendu comme un arc. Bref, elle fulminait ! En un sens, il la comprenait…
Alors qu’il descendait tranquillement l’escalier tout à l’heure, il avait failli se heurter à une Sabina en furie, les joues rouges de colère.
— Que diable se passe-t il ? avait-il alors demandé. Sabina, que…
— Laisse-la tranquille ! avait ordonné son grand-père en arrivant à son tour tout essoufflé.
— Mais…
— Je t’ai dit de lui ficher la paix !
Le cyclone avait alors disparu, laissant les deux hommes seuls.
— Pour l’amour du ciel, grand-père, que se passe-t il ?
Hier soir, il lui avait pourtant semblé que ces deux-là étaient complices !
— Que lui as-tu fait ? enchaîna-t il d’un ton accusateur.
— Je ne lui ai rien fait, mon garçon, se défendit son aïeul, non sans une certaine émotion dans la voix. Du moins, pas de façon délibérée. Je n’ai jamais eu l’intention de la blesser ou de la bouleverser.
— Pourtant, il semblerait bien que ç’ait été le cas ! observa Brice, torturé entre son désir de rejoindre Sabina pour la consoler et sa curiosité d’entendre les justifications de son grand-père.
— Voilà, commença Hugh, lorsque tu m’as annoncé que tu venais avec Sabina ce week-end, j’ai cru voir un signe du destin. Hélas, avant que j’aie le temps de lui expliquer…
— Cesse de tergiverser ! En quoi la venue de Sabina était-elle un signe du destin ? l’interrompit brutalement Brice.
Il allait devenir fou ! Son grand-père n’avait jamais rencontré Sabina auparavant. Que pouvait-il donc avoir à lui expliquer ?
— Je crois que je suis davantage en mesure de vous répondre, intervint alors tranquillement une voix féminine.
Une femme blonde d’environ soixante ans apparut sur le seuil. Une femme à la silhouette impeccable, au visage amène et qu’il était bien certain de ne jamais avoir vue de sa vie !
Et pourtant…
En l’observant plus attentivement, il découvrit dans ses yeux bleu clair un air qui lui était familier. En outre, ses pommettes hautes et son teint d’ivoire ne lui étaient pas non plus entièrement inconnus.
Sabina avait prétendu ressembler à son père, mais il avait sous les yeux la preuve qu’elle était le portrait conforme de sa mère !
— Je vois…, murmura-t il, tâchant d’assimiler des événements qui le dépassaient.
Ainsi, la petite amie de son grand-père n’était autre que la mère de Sabina ! Quoi d’étonnant à ce que cette dernière fût bouleversée ?
— Vraiment ? fit Leonore.
— Je crois que oui, répondit Brice avant de se tourner vers son grand-père pour demander sur un ton de reproche : pourquoi ne m’avoir rien dit ?
Entourant d’un bras protecteur sa compagne, Hugh expliqua alors :
— Leonore a bien tenté d’exposer la situation à sa fille, la semaine dernière, mais Sabina n’était guère disposée à entendre ses confidences. Vous, les jeunes, vous pensez avoir le monopole de l’amour.
— Pardonnez-moi, intervint alors Richard Latham en se glissant à son tour dans le vestibule. Sabina est-elle montée dans sa chambre ?
— Oui, répondit Brice d’un ton sec.
— Nous allons partir sans tarder, annonça-t il froidement. Pouvez-vous m’appeler un taxi ?
— Inutile d’appeler un taxi, je vous conduirai moi-même à l’aéroport, rétorqua Brice.
— Je ne le souhaite pas. Appelez-moi un taxi.
Là-dessus, il redressa les épaules et gravit les marches qui conduisaient aux chambres.
Pour qui Latham le prenait-il donc ? s’insurgea Brice. Pour son domestique ? Ah, il avait envie de s’élancer derrière lui pour lui flanquer son poing sur la figure !
— Richard ne me porte pas dans son cœur, déclara Leonore. Je crois qu’il n’a pas apprécié mon allusion à sa grande différence d’âge avec ma fille et mes interrogations sur la viabilité de leur couple.
— Eh bien, moi, je vous apprécie beaucoup ! renchérit Brice en lui tendant la main.
Leonore se mit à rire, un rire qui lui rappela étrangement celui de Sabina. Il ressentit alors un pincement au cœur.
Sabina… Que pouvait-elle bien ressentir, de son côté ?
— Il faut que je parle à votre fille, annonça-t il.
— Je crains, hélas, que vous ne perdiez votre temps. Sabina a tellement changé ces derniers temps : alors qu’elle était débordante d’énergie, totalement indépendante, elle est devenue une personne que je reconnais à peine.
— Nous reparlerons de tout cela tout à l’heure, Leonore, dit-il alors. Je dois absolument discuter avec Sabina, mais ne partez surtout pas avant que je sois revenu.
— Rassure-toi, Leonore n’ira nulle part, grommela son grand-père.
Quelques secondes plus tard, alors qu’il pénétrait dans la chambre de Sabina, Brice ne sut s’il fut soulagé ou déçu de l’y trouver seule… En vérité, il avait très envie d’en découdre avec Richard ! Même si ce n’était pas vraiment la meilleure chose à faire, étant donné les circonstances.
— Sabina, plaidait-il à présent, est-ce pour vous si terrible que mon grand-père et votre mère soient… amis ?
De fait, il ignorait quel genre de relations ces deux-là entretenaient réellement. Néanmoins, s’ils avaient l’intention de s’envoler pour Paris, il était fort possible qu’ils fussent amants.
— Pourquoi revenir à la charge, Brice ? lui dit-elle alors. Je vous ai déjà dit que je refuse d’évoquer ce sujet.
— Est-ce la façon dont vous traitez les problèmes, maintenant ? En enfouissant la tête dans le sable et en priant pour qu’ils passent ?
— « Maintenant » ? répéta-t elle en plongeant ses yeux dans les siens. Que voulez-vous dire ?
— Selon votre mère, vous avez énormément changé depuis que vous avez rencontré Richard Latham.
— Je vous ai dit que Richard et ma mère ne s’entendaient pas, objecta-t elle.
Elle sous-entendait que Leonore n’avait pas une opinion objective de son fiancé. Mais de son côté, la femme qu’il venait de rencontrer au bas de l’escalier lui inspirait toute confiance…
Certes, il ne s’était pas encore totalement remis d’apprendre que Leonore et Hugh étaient amoureux. Néanmoins, le fait que la nouvelle compagne de son grand-père soit la mère de Sabina le disposait à une bien plus grande indulgence pour cette relation. Et à vrai dire, elle lui semblait presque naturelle, à présent.
Visiblement, pour Sabina, c’était tout le contraire !
Quelle en était la véritable raison ? Trouvait-elle réellement que Hugh n’était pas le compagnon idéal pour sa mère, ou était-elle gênée que ce dernier fût son grand-père ?
— Pourquoi ne pas leur donner une chance ? plaida-t il encore. Après tout, ce sont des adultes, ils…
Devant le regard courroucé qu’elle lui lança, il n’osa pas poursuivre.
— Ne pouvez-vous donc pas comprendre que je ne suis pas en mesure de réfléchir à cela maintenant ? demanda-t elle d’une voix blanche.
Il la scruta avec plus d’intensité. Etait-ce des larmes qu’il voyait briller dans ses yeux ? Des larmes qui perlaient à ses paupières et menaçaient de couler sur ses joues ?
— Sabina ! s’écria-t il en la prenant dans ses bras, tout va s’arranger, n’ayez crainte !
Non, contrairement à ce qu’il croyait, rien n’allait rentrer dans l’ordre, se dit-elle alors. C’était tout simplement impossible dans la mesure où elle l’aimait alors qu’elle était fiancée à un autre et que, pour couronner le tout, sa propre mère s’était amourachée du grand-père de Brice ! Quand bien même elle aurait voulu prendre de la distance avec ce dernier, c’était désormais impossible.
— Sabina ? fit Brice tout en l’enveloppant d’un regard enfiévré.
Seigneur, qu’elle aimait cet homme ! Elle aimait tout en lui : son arrogance, son charme, sa personnalité affirmée, son talent, bien sûr. Et elle voyait à présent que ses prunelles émeraude cherchaient à percer la vérité de son cœur.
Soudain, il répéta son prénom de sa belle voix grave, avant de l’attirer plus étroitement à lui pour l’embrasser.
Elle eut alors l’impression de monter directement au paradis… Instinctivement, elle noua ses bras autour de son cou et lui rendit son baiser avec la même ferveur. Ses sens s’affolaient à mesure que les ondes du plaisir parcouraient son corps. Elle entrouvrit les lèvres, et dans un gémissement de plaisir, il approfondit son baiser, la chaleur de sa langue se mêlant sensuellement à la sienne.
Elle sentait son torse musclé se presser contre le sien et perçut rapidement la force de son excitation. Détachant sa bouche de la sienne, il traça soudain avec ses lèvres un sillage brûlant le long de sa gorge. Elle inclina la tête en arrière… Bientôt, les mains de Brice effleurèrent ses seins tendus à travers l’étoffe de son T-shirt.
Un petit cri lui échappa lorsque le pouce de son compagnon en caressa sensuellement une pointe durcie. Un désir brûlant l’étreignit alors, sa respiration se fit terriblement saccadée…
— Brice, murmura-t elle d’une voix passionnée, désireuse que ses caresses ne cessent jamais.
— Oh, Sabina ! fit-il à son tour en mordillant le lobe de son oreille.
— Je…
Subitement, elle se figea.
En dépit du tumulte de ses sens, elle venait de percevoir un bruit.
D’un mouvement rapide, elle se dégagea au moment où la porte s’ouvrait.
Richard !
Ses joues la brûlèrent terriblement lorsqu’elle posa un regard coupable sur son fiancé. Avait-il deviné ce qu’ils étaient en train de faire juste avant qu’il ne pénètre dans la chambre ? Impossible à dire, car le visage de Richard ne trahissait pas la moindre émotion ! Ses yeux bleu clair n’exprimaient aucune accusation. Un étonnement, peut-être…
— Veux-tu toujours que nous partions ? demanda-t il alors.
— Plus que jamais, répondit Sabina en fermant sa valise.
Elle n’osait regarder dans la direction de Brice, priant pour qu’il ne dise rien de compromettant.
— Vu les circonstances, McAllister, vous comprendrez que ma commande est annulée.
— Quelles circonstances ?
— Manifestement, Sabina est perturbée par la relation de votre grand-père avec sa mère.
— Sabina est assez grande pour exprimer elle-même ce qu’elle ressent, répliqua Brice d’un ton ennuyé. Eh bien, Sabina, êtes-vous perturbée, ainsi que le prétend Richard ?
— Je… je n’arrive pas à analyser mes sentiments, avoua-t elle en toute honnêteté. En revanche, je suis d’accord avec Richard, nous devons partir… Et il est préférable de renoncer au portrait.
— Pourquoi ? demanda Brice d’un ton sec.
Parce qu’elle ne voulait plus se retrouver seule avec lui ! Parce que chaque fois qu’elle le regardait, elle avait envie de lui ! Ardemment, violemment, passionnément !
Parce qu’elle l’aimait, tout simplement !
Et puis… il était inutile que Richard achète son portrait alors qu’elle était décidée à rompre avec celui-ci.
— Comme vous le savez, je n’ai jamais approuvé cette commande, lui rappela-t elle.
— Vous posiez pour moi dans l’unique but de plaire à votre fiancé, n’est-ce pas ?
— Exact, dit-elle en relevant le menton d’un air de défi.
— Je suis certain que vous pouvez le satisfaire de bien d’autres façons encore, déclara-t il alors d’un ton provocateur.
— Effectivement, répondit-elle froidement.
— Envoyez-moi la facture pour ce que je vous dois, et restons-en là ! intervint Richard.
— Inutile, fit Brice.
— J’y tiens, j’ai pour habitude de payer mes dettes.
— N’en parlons plus ! Etes-vous sourd ?
Non sans inquiétude, Sabina jaugea tour à tour les deux hommes. Difficile de reconnaître en Brice le compagnon qui l’avait embrassée éperdument tout à l’heure ! Il paraissait si distant, si froid à présent…
Elle-même ignorait quel effet elle pouvait bien lui faire maintenant ! Mais ce qu’elle savait, c’est qu’elle devait partir d’ici, fuir Brice et le sortilège qui s’était abattu sur elle lorsqu’elle avait mis les pieds dans le château !
— As-tu terminé ta valise, Sabina ? demanda Richard. Si oui, nous pouvons partir.
— Allons-y, je suis prête.
— Je suis certain que notre ami ne sera pas impoli au point de te laisser porter ta valise, n’est-ce pas, McAllister ?
— Donnez-moi votre valise, Sabina, déclara Brice, mâchoire serrée. Le chauffeur de mon grand-père va vous conduire à l’aéroport d’Aberdeen.
Sabina ouvrit alors la marche de l’étrange procession, désireuse de quitter au plus vite ce château qui l’avait pourtant tellement séduite, au départ.
Une fois loin d’ici, elle serait peut-être en mesure d’analyser avec plus d’objectivité les sentiments que Brice lui inspirait ; de comprendre si ce qu’elle éprouvait pour lui était réellement de l’amour.
En revanche, elle était certaine d’une chose : elle allait rompre son contrat avec Richard !

 
 

 

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CHAPITRE 13



La colère que ressentait Brice en suivant le couple dans l’escalier lui avait ôté toute envie de parler. Il éprouvait un sentiment d’impuissance totale envers Sabina. Comment pouvait-elle s’enfuir avec Richard après le baiser ardent qu’ils venaient d’échanger ?
Jeff, le majordome, attendait stoïquement devant le coffre ouvert de la limousine pour y placer les valises.
— Sabina, déclara Brice alors qu’elle s’apprêtait à monter dans la voiture, quoi que vous puissiez ressentir en ce moment, la bienséance voudrait que vous preniez au moins congé de votre mère et de mon grand-père. En outre, il serait également opportun que vous remerciiez ce dernier pour son hospitalité !
A ces mots, une rougeur diffuse empourpra les joues de la belle fugueuse. Touché ! pensa-t il en l’entendant affirmer :
— Bien sûr !
— Inutile de venir tous les deux, précisa-t il immédiatement à l’adresse de Richard qui faisait mine d’emboîter le pas à sa fiancée.
— Attends-moi ici, Richard ! intervint cette dernière. C’est préférable. Qui plus est, je n’en ai pas pour longtemps.
Là-dessus, elle serra affectueusement le bras de son fiancé… et Brice en fut très irrité. Il ne supportait pas l’idée que Sabina puisse toucher ce… cet individu, alors imaginer que… que…
Non, c’était au-dessus de ses forces ! Un véritable enfer !
Car l’enfer n’était pas le mélange de feu et de soufre que prédisaient les apôtres de l’Apocalypse… non, l’enfer, c’était de s’apercevoir que l’on était amoureux d’une femme qui vivait avec un autre homme !
Oui, il était bel et bien amoureux de Sabina. Il ignorait quand cela était arrivé et de quelle façon, il savait seulement qu’il aimait tout en elle. Sa remarquable beauté, sa touchante spontanéité, sa voix légèrement rauque, sa démarche ondulante — et même sa loyauté envers un homme qui ne méritait pas de baiser les pieds d’une si superbe femme !
Tout à l’heure, à l’idée de ne plus revoir Sabina, une horrible douleur avait étreint sa poitrine. Une douleur qui ne voulait pas se dissiper…
Oui, l’enfer, c’était d’aimer une personne hors d’atteinte.
— Ils doivent être dans le petit salon, l’informa-t il d’un ton plus sec qu’il n’aurait voulu, en la voyant hésiter dans le vestibule sur la direction à prendre.
Frappée par sa froideur de ton, elle éprouva le besoin de se justifier :
— Brice, j’ai besoin d’un peu de temps pour me faire à l’idée que… pour m’habituer à cette relation. C’est un choc, pour moi, je vous assure.
Il la jaugea d’un œil morne, sachant que pour le moment, il ne pouvait se risquer à la regarder autrement — au risque de lui avouer son amour ! Et, eu égard au contexte, il doutait qu’elle fût disposée à entendre sa déclaration. La situation était déjà assez compliquée comme ça !
— Vous sembliez pourtant apprécier mon grand-père avant d’apprendre sa relation avec votre mère, argua-t il.
— Mais je l’apprécie toujours ! affirma-t elle avec véhémence.
— Seulement, il n’est pas votre père ! fit Brice d’un ton amer.
— Non, effectivement. Mais…

 
 

 

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— Avez-vous pensé une seconde à la solitude de votre mère durant ces cinq dernières années ? reprit Brice, bille en tête. Le calvaire qu’elle a enduré ? Votre père était son âme sœur et vice versa. D’après ce que vous m’avez dit de vos parents, leur relation n’était pas uniquement d’ordre affectif, mais également intellectuel. Avec le décès de votre père, votre mère a été comme privée de sa moitié, et…
— Taisez-vous, Brice, je vous en prie ! s’écria Sabina, visiblement au bord des larmes.
Se doutait-elle qu’il était aussi ému qu’elle ? Pas pour les mêmes raisons, bien sûr… De son côté, il avait le cœur brisé à l’idée qu’elle allait partir avec Latham.
— Soyez aimable avec eux, Sabina ! lui conseilla-t il encore avec des inflexions presque menaçantes dans la voix.
— Ou alors ?
— Ou alors vous aurez affaire à moi !
— Oh, j’en tremble d’avance ! fit-elle dans un sourire froid.
— Vous avez tort de ne pas me prendre au sérieux, lui dit-il alors en luttant contre ses impulsions pour ne pas la prendre dans ses bras et l’embrasser sauvagement.
Hugh et Leonore étaient assis l’un près de l’autre sur le sofa lorsque les deux jeunes gens firent irruption dans la pièce. Brice eut l’impression de voir des traces de larmes sur les joues de Leonore.
— Attention à ce que vous allez dire ! souffla-t il à l’oreille de Sabina.
Celle-ci lui décocha un regard noir avant de s’adresser au couple qui la fixait avec des yeux étonnés.
— Richard et moi avons décidé de partir, leur annonça-t elle. Je… je venais prendre congé de vous.
— J’espère que ce n’est pas ma présence qui te chasse ? demanda alors sa mère en serrant machinalement le bras de son compagnon.
— Bien sûr que non, assura Sabina. Richard doit retourner à Londres dès aujourd’hui, car nous partons pour l’Australie lundi et il a encore certaines choses à régler.
Brice eut un coup au cœur.
L’Australie ! Elle allait partir si loin que ça ?
— Très bien, fit Leonore. Appelle-moi quand tu rentres. Tu le feras, n’est-ce pas ?
L’insistance de sa mère parut surprendre Sabina qui hocha alors la tête en signe d’acquiescement, hésita, puis finit par dire :
— Peut-être que toi… et Hugh pourrez venir dîner chez moi, à mon retour ?
Au moins, elle faisait preuve de bonne volonté, pensa Brice. Même si l’idée que son grand-père fût reçu chez Richard Latham et sympathisât avec ce dernier ne l’enchantait nullement !
— C’est une excellente idée, déclara sa mère. N’est-ce pas, Hugh ?
— Excellente, effectivement, fit ce dernier sans grand enthousiasme. Je suis navré que vous partiez si vite, Sabina : j’aurais vraiment aimé faire plus ample connaissance avec vous.
— Nous avons toute la vie pour mieux nous connaître, décréta-t elle alors avec jovialité.
— Toute la vie ? répéta Hugh, non sans ironie. La mienne est déjà bien avancée !
Elle sourcilla, ne sachant plus trop sur quel pied danser : venait-elle de commettre un impair ? Elle jeta un coup d’œil à Brice à la dérobée…
Pour sa part, il n’était nullement perturbé par l’allusion de son grand-père à son âge car ce dernier était en excellente santé et serait à coup sûr centenaire ! D’autant qu’il venait de trouver l’amour…
— Alors c’est entendu, dès notre retour, nous organisons un dîner, reprit Sabina avec davantage d’assurance, avant d’ajouter d’une voix plus rauque que d’ordinaire, le regard fuyant : au revoir, Brice.
— Je vous raccompagne à la voiture.
— Inutile, lui dit-elle. Je connais le chemin et… nous nous sommes déjà dit au revoir.
Pourtant, il aurait tellement aimé passer encore quelques minutes en sa compagnie ! Néanmoins, à la pâleur de ses joues, aux cernes sous ses yeux, il comprit qu’elle était à bout. S’il insistait un tant soit peu, elle allait s’effondrer.
— Comme vous voudrez. Bon retour.
— Merci, dit-elle en esquissant un sourire furtif.
Là-dessus, elle quitta la pièce précipitamment.
Aspirant une large bouffée d’air, Brice se tourna alors vers son grand-père et demanda :
— Maintenant, si tu veux bien me présenter officiellement à Leonore, elle me permettra peut-être de l’interroger sur l’événement qui a métamorphosé sa fille.
Car il était plus que jamais résolu à éclaircir la mystérieuse transformation de Sabina. Il brûlait de connaître la vérité, toute la vérité !
— On peut partir ? demanda Richard tandis que Sabina s’engouffrait à l’arrière de la limousine.
— Oui.
Se laissant tomber sur la banquette en cuir, elle tourna la tête vers la fenêtre, pour admirer une dernière fois le château de Hugh McDonald.
La lumière de mai en soulignait la beauté majestueuse. Il émanait de la bâtisse une sérénité et un calme absolus — le contraire de son état d’esprit actuel, conclut amèrement Sabina.
Elle avait bien conscience de prendre la fuite, mais elle n’avait pas trouvé d’autre issue. Elle était profondément bouleversée d’avoir découvert que Hugh McDonald était le nouveau compagnon de sa mère. Mais sa réaction face aux baisers de Brice l’avait bien plus surprise encore ! Si Richard n’était pas entré dans la pièce, tout à l’heure, elle ne savait pas au juste ce qui serait arrivé. Comment tout cela se serait terminé…
Richard avait-il deviné que Brice et elle s’étaient embrassés ? Elle l’ignorait. Cependant, quelle que fût la réponse, elle ne pouvait plus poursuivre cette petite comédie avec son fiancé !
Il fallait rompre ! Elle se devait d’être honnête avec cet homme qui avait toujours été si bon envers elle.
— Drôle de surprise, n’est-ce pas ? fit soudain Richard d’un ton désinvolte.
— Pardon ? demanda-t elle en pâlissant, immédiatement sur ses gardes.
— Ta mère et McDonald ! précisa-t il alors d’un ton cynique. Il n’est pas de la première fraîcheur, mais il présente l’immense avantage d’être riche !
Elle se figea.
D’abord, les propos de Richard étaient d’une crudité tout à fait désobligeante pour sa mère.
Ensuite, elle craignait que le chauffeur de Hugh n’entende leur conversation. D’ailleurs, ne venait-il pas de tressaillir ?
Pourtant, elle ne pouvait tolérer une telle provocation.
— La fortune de Hugh n’influe nullement sur les sentiments de ma mère, répliqua-t elle à voix basse, d’un ton indigné.
— Vraiment ? fit-il en sourcillant. Permets-moi d’en douter.
Sabina connaissait sa mère : elle se moquait éperdument des biens matériels. La preuve : Leonore refusait systématiquement qu’elle l’aide financièrement, alléguant que son petit cottage en Ecosse et sa grande bibliothèque lui suffisaient.
En outre, Hugh n’avait pas que sa fortune à offrir. C’était un gentleman charmant, distingué, intelligent. Tout comme son petit-fils…
— Richard, commença-t elle sur un ton belliqueux, je…
— Chut ! Pas ici, la réprimanda-t il alors en lui désignant du menton le chauffeur.
Tiens donc ! Voilà qu’il se rappelait sa présence ! Quelle mauvaise foi ! Cette attitude était bien étonnante de la part de Richard.
— Nous reparlerons de tout cela à Londres, ajouta-t il. A la maison.
Une maison qui n’allait pas rester la sienne pour très longtemps, pensa-t elle alors. Oui, dès qu’ils seraient à Londres, elle lui ferait part de ses nouveaux projets. Des projets qui l’excluaient de sa vie.
Devrait-elle lui préciser qu’elle le quittait à cause de Brice ? Non, toute vérité n’était pas bonne à dire.
Brice…
Son cœur se serra en pensant à lui. Plus la voiture avançait, et plus la distance se creusait entre eux… Quand le reverrait-elle ? Désormais, il n’y avait plus le prétexte du tableau, puisque la commande était tombée à l’eau. Le seul lien qui l’unissait encore à lui, c’était — ironie du sort — la relation de sa mère avec son grand-père.
Le destin la punissait-il pour avoir réagi si égoïstement lorsque Leonore lui avait annoncé son voyage pour Paris ?
Probablement, pensa-t elle en soupirant. Elle se jura de lui présenter des excuses à la première occasion.
Allons, chaque chose en son temps ! En premier lieu, elle devait mettre un terme à son engagement avec Richard. Perspective peu réjouissante, se dit-elle en coulant un œil vers lui. Il avait l’air rogue ! Voilà qui promettait !
A vrai dire, il avait de bonnes raisons d’être en colère.
Depuis le début, l’homme d’affaires avait été absolument clair sur ce qu’il pouvait lui apporter et sur ce qu’il exigeait d’elle en retour. Il avait rempli sa part du contrat. Ce n’était pas lui, mais elle qui avait rompu leur accord. Pire : elle était tombée amoureuse d’un autre homme. Elle priait pour ne pas avoir à lui avouer cet amour. Elle ne voulait pas impliquer Brice dans sa rupture. D’autant que ce dernier ignorait qu’elle était amoureuse de lui.
Et elle espérait qu’il ne l’apprendrait jamais ! Car il était bien évident que Brice ne partageait pas ses sentiments.
— Allons dans le salon ! décréta Richard une fois qu’ils furent arrivés dans la maison de Mayfair.
Durant tout le voyage, il n’avait pas desserré les lèvres. Pressentait-il ce qu’elle allait lui annoncer ?
— Moi aussi, je prendrais volontiers un scotch, lui dit-elle tandis qu’il se servait un verre.
— On a besoin d’alcool pour stimuler son courage ? fit-il alors en lui lançant un regard accusateur.
Donc, il était au courant pour les baisers ! conclut-elle, nerveuse. Après tout, elle méritait ses sarcasmes, elle les avait bien cherchés !
— Eh bien, Sabina, poursuivit-il, je vais t’éviter la peine de rompre notre engagement en y mettant moi-même un terme. Car tu n’as pas respecté notre contrat. Mes stipulations étaient pourtant claires : je ne supporte pas l’imperfection.
Là-dessus, il lui lança un regard méprisant.
— Je n’ai jamais prétendu être parfaite, se défendit-elle immédiatement.
— Pourquoi le prétendre ? Tu l’étais quand nous nous sommes rencontrés. Tu avais tout pour toi : ta beauté, ton succès, ton self-control, ton air intouchable. A l’époque, tu n’avais pas que l’air d’ailleurs, tu l’étais, mais visiblement ce n’est plus le cas. Je me trompe ?
La bouche de Richard tremblait de fureur, ses yeux la regardaient durement, elle ne le reconnaissait plus !
Elle ne s’attendait pas à des attaques si violentes de sa part. Jamais il ne s’était comporté de la sorte avec elle. Oh, elle l’avait déjà vu en colère dans le passé — mais pas contre elle ! Désormais, il lui appliquait le même traitement qu’à ses ennemis. Elle l’avait déçu et son venin ne l’épargnerait plus.
— Je ne sais pas de quoi tu parles, Richard.
— Dans ces conditions, je vais être clair : quand je suis entré dans la chambre tout à l’heure, tu vibrais encore du baiser torride que venait de te donner McAllister !
— Richard, je…
— Il n’y a que la vérité qui choque, Sabina, fit-il d’un air dégoûté avant d’ajouter, blasé : je te croyais différente des autres. Après ce qui t’était arrivé, je pensais que tu étais comme moi, détaché de cette chose immonde qu’est le sexe et que l’on associe malheureusement à l’amour. Qu’à tes yeux, une relation reposait sur l’amitié, l’échange intellectuel et l’admiration mutuelle ! Hélas, je me suis aperçu ce week-end, d’après ta conduite avec McAllister, que tu es une femme bien ordinaire.
Elle le regarda, incrédule. Elle avait vécu avec lui plusieurs mois sans réellement le connaître…
— Et dire que j’envisageais même de t’épouser ! ajouta-t il avec un profond dégoût.
D’où cette allusion à leur voyage de noces, pensa-t elle alors. Pour sa part, elle n’avait jamais pris au sérieux l’idée de se marier avec lui.
— Notre contrat ne prévoyait pas le mariage, dit-elle enfin.
— Ton comportement avec McAllister annule notre contrat, annonça-t il alors avec hauteur. Aussi te saurais-je gré de faire tes valises et de quitter cette maison au plus vite.
Evidemment, pensa-t elle, sa colère était fondée. Elle n’avait d’autre choix que de l’accepter. Mais le Richard qui se tenait devant elle ce soir était un inconnu — un inconnu qu’elle n’avait nullement envie de connaître !

 
 

 

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ÞÏíã 19-03-10, 12:07 AM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 19
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CHAPITRE 14


— Décidément, cela devient une habitude dans votre famille ! s’exclama Chloe en jetant un coup d’œil rieur à Brice, assis à son côté. Vas-tu toi aussi suivre l’exemple de ton grand-père et te marier ?
Goûtant fort moyennement la boutade, il se *******a de froncer les sourcils, et reporta toute son attention sur le podium où les lumières tamisées indiquaient que le défilé allait commencer.
Durant les trois semaines qui venaient de s’écouler depuis le fameux week-end en Ecosse, il avait bien tenté de reprendre contact avec Sabina… pour se faire rabrouer chaque fois par le cerbère de Richard Latham. A croire que Sabina avait déménagé, car elle n’était jamais à la maison. Hélas ! Il savait que la vérité était bien plus cruelle et qu’en réalité, elle n’était jamais disponible pour lui.
Ces trois semaines s’étaient apparentées pour Brice à une véritable traversée du désert. Aujourd’hui, il mourait d’envie de voir et d’entendre Sabina. Il était à bout de forces !
— Ne te fais pas d’illusions, répondit-il. La série de mariages va s’arrêter là. Pour ma part, ce n’est pas ma tasse de thé.
— Hum, hum… Tu sais pourtant qu’il ne faut jamais dire fontaine, je ne boirai pas de ton eau ! fit malicieusement Chloe avant d’enchaîner, en voyant le visage de plus en plus morose de son cousin : en tout cas, nous avons tous été aussi stupéfaits qu’heureux d’apprendre que Hugh se remariait !
Et lui, alors ! Quelle n’avait pas été sa surprise lorsque son grand-père lui avait téléphoné, le week-end dernier, pour annoncer le scoop !
Une raison supplémentaire pour s’entretenir de toute urgence avec Sabina, en avait-il conclu. Comment diable avait-elle bien pu réagir à la nouvelle ?
— Et il fallait précisément que la future épouse fût la mère de Sabina ! poursuivit Chloe, l’œil brillant. Fergus m’a dit que tu avais déjà rencontré la fameuse Leonore…
— Brièvement, confirma-t il, peu désireux que sa famille fût au courant du week-end désastreux qu’il avait passé au château — même si la rencontre avec Leonore avait été des plus plaisantes. Ne t’inquiète pas, Chloe, toi aussi, tu vas bientôt faire la connaissance de notre « belle-grand-mère ».
Bon sang, pensa-t il, ce défilé allait-il commencer, oui ou non ? Il était initialement prévu à 20 h 30… et il était déjà 21 heures !
— Oh, je ne suis nullement inquiète ! repartit sa cousine. Pour bien connaître Hugh, je sais que ses goûts sont irréprochables. Je ne doute pas un instant que Leonore soit charmante. Dis-moi, crois-tu que Sabina sera présente à la réception ?
Touché ! pensa-t il, agacé, en se raidissant.
C’était précisément la question qui le taraudait depuis que son grand-père avait prévu d’organiser une réunion familiale dans le meilleur hôtel de Londres, le week-end prochain.
Il espérait tellement que Sabina serait là ! Et pas uniquement par intérêt personnel. Il avait réellement apprécié Leonore, et ne souhaitait nullement que Sabina fît de la peine à sa mère — d’autant qu’en ne venant pas, elle-même serait la première meurtrie.
— Aucune idée, répondit-il avant de demander d’un ton impatient : les défilés commencent-ils toujours en retard ?
— Oui, répondit Chloe sans paraître s’en émouvoir le moins du monde. Mais rassure-toi, Brice, je tiens de source sûre que Sabina montera sur le podium !
Et nul doute qu’elle serait également entourée de ses cerbères — ou au moins de l’éternel Clive ! Qu’à cela ne tienne ! pensa-t il en serrant les poings malgré lui. Ce soir, il avait la ferme intention de voir Sabina et rien ni personne ne pourrait l’en empêcher.
Il s’apprêtait à répliquer lorsque la musique monta d’un cran. Le défilé allait enfin commencer !
— Tout de même, ce n’est pas trop tôt, marmonna-t il en se calant sur son siège, troublé à l’idée de voir bientôt apparaître Sabina.
Durant une bonne heure, des femmes toutes plus belles les unes que les autres défilèrent sur l’estrade, vêtues de tenues parfaitement excentriques et maquillées de façon tout aussi extravagante… mais point de Sabina !
— Elle est ici, je te le jure, chuchota Chloe en percevant nettement sa tension.
A cet instant, les lumières changèrent, la musique se tut. On annonça le final de la première partie.
Sabina… !
La magnifique, la mystérieuse, l’aristocratique Sabina parut enfin. Elle était sublime dans sa robe en soie miroitante couleur nuit de Chine, dont l’étoffe moulait de façon fort suggestive son corps de déesse. Tel un cygne bleu, elle semblait glisser sur le plancher lustré. Ses cheveux étaient remontés en un haut chignon futuriste et ses yeux sertis dans un ingénieux loup fait de khôl et de poudre, en harmonie avec le ton de sa robe.
Lorsqu’elle arriva au bout du podium, elle ne regarda ni à droite ni à gauche, mais le merveilleux sourire qu’elle adressa au public scintillait autant que le tissu de sa robe sexy.
Brice était trop sidéré pour applaudir à l’unisson avec le reste de la salle. Jamais Sabina ne lui avait paru si belle…
Et, hélas, si distante, si inaccessible !
Pour la première fois, il la voyait dans son monde à elle, un monde où elle était la reine. Et il eut soudain l’impression de poursuivre une chimère.
Désemparé par cette constatation, il ne s’aperçut pas que les lumières s’étaient rallumées et que Sabina avait déjà quitté le podium.
— Veux-tu que nous allions en coulisses ? proposa alors Chloe. Brice… ?
Il sursauta, secoua la tête et, esquissant un triste sourire, répondit :
— Je me fais réellement des illusions. Son univers, c’est celui des strass et des paillettes.
— Non, je ne crois pas, rétorqua Chloe. La plupart des mannequins que je connais n’aspirent précisément qu’à fuir ce milieu lorsque leur travail est terminé. Et la plus grande partie échangerait volontiers leur gloire contre une vie normale, aux côtés d’un mari attentionné.
— Sabina a déjà ce genre de choses, répliqua-t il, le visage sombre.
— Penses-tu réellement que l’oncle de David soit un homme attentionné ? Pour moi, c’est un être froid et distant.
— Visiblement, il plaît à Sabina.
D’ailleurs, même si Latham lui était fort désagréable, il était prêt à faire le sacrifice de le revoir le week-end prochain… si du moins Sabina venait.
Ah ! Pourquoi le fait qu’elle se rende ou non à la réunion familiale l’obsédait-il à ce point ?
En réalité, ce n’était qu’un prétexte… S’il était venu ce soir au défilé, c’était pour la voir, tout simplement — et non, comme il avait voulu s’en persuader, afin de lui arracher la promesse qu’elle viendrait à la réception.
Oui, dès que ses yeux s’étaient posés sur Sabina, il avait compris qu’il ne trompait que lui. En trois semaines, les sentiments qu’il éprouvait à son égard s’étaient intensifiés, au point qu’il n’était pas certain de pouvoir la revoir sans lui avouer son amour.
— Peut-être serait-il préférable que je parte, déclara-t il subitement d’un air aussi sombre que songeur.
— Mais enfin pourquoi ? demanda Chloe, incrédule, avant de s’exclamer : tiens, bonjour, Annie, comment vas-tu ?
— Bien, bien, répondit la jeune femme qui venait de les rejoindre. Si ce n’est que là-bas, c’est l’anarchie totale.
Elle se tourna alors vers Brice.
— Vous êtes Brice McAllister, n’est-ce pas ?
— Oui, fit-il, étonné.
— J’ai quelque chose à vous remettre, dit-elle en lui tendant une enveloppe. Bon, j’y retourne !
Là-dessus, elle disparut dans la foule.
Il contempla la lettre, perplexe.
— Eh bien, vas-tu te décider à l’ouvrir ? lança Chloe d’un air curieux. Annie est une maquilleuse. Une de ces magiciennes qui œuvrent en coulisses.
En coulisses…
Cette lettre ne pouvait provenir que de Sabina !
Elle avait donc remarqué sa présence dans le public, alors qu’elle donnait l’impression de ne regarder personne en particulier. Quel professionnalisme !
Pourquoi lui écrivait-elle ? Etait-ce pour l’avertir de ne pas tenter de la voir après le défilé ? Avait-elle deviné ses intentions ? A moins qu’il ne s’agisse de tout autre chose…
Bon sang, il était tétanisé…
— Brice ! le gronda gentiment Chloe. Ouvre-la, tu seras fixé ! Bon, je vais aux toilettes, comme ça, tu pourras la lire tranquillement, d’accord ?
Si Chloe n’avait pas déjà été mariée et profondément amoureuse de son cousin, nul doute qu’il aurait fondu d’amour pour elle, pensa-t il alors affectueusement. Du moins, encore aurait-il fallu que lui-même n’ait pas été éperdument épris de Sabina !
Le cœur battant, il décacheta l’enveloppe.
« Si vous souhaitez me parler, montrez cette lettre à l’un des gardes du corps. On vous laissera passer.
Sabina »
C’était tout. De son côté, elle ne mentionnait nullement qu’elle désirait le voir !
Lorsque, dans le miroir, Sabina aperçut le reflet de Brice qui se tenait sur le seuil de sa loge, elle fut frappée par son expression déterminée. Avait-elle eu raison de lui adresser ce mot ? se demanda-t elle, le cœur serré.
Elle avait été si bouleversée de le voir dans le public, tout à l’heure. Depuis quand Brice s’intéressait-il aux défilés de mode ? Nul doute que, s’il se trouvait au premier rang ce soir, c’était pour la voir elle ! en avait-elle déduit.
A présent, elle n’en était plus aussi certaine…
Tout en continuant à se démaquiller devant le miroir — et en dissimulant soigneusement les doutes intérieurs qui la rongeaient — elle lui demanda :
— La soirée t’a-t elle plu ?
Tout naturellement, elle l’avait tutoyé. Oh, et puis zut ! se dit-elle. Il n’allait tout de même pas s’en offusquer, lui qui avait pris la liberté de l’embrasser.
— C’est la première fois que j’assiste à un défilé, mais il m’a semblé parfait, dit-il en demeurant sur le seuil.
— Et à part ça, comment vas-tu ?
— Ce n’est tout de même pas pour me demander cela que tu m’as envoyé ce mot ?
S’appliquant consciencieusement à retirer le fard de ses paupières, Sabina espérait qu’il ne percevrait pas le tremblement de ses mains.
— Parce que, de ton côté, tu es vraiment venu ici pour assister à un défilé de mode ? répliqua-t elle d’un ton cinglant.
— Tu as des doutes sur mes motivations ?
— Je pense en effet que tu cherches juste à savoir si je serai à la réception qu’organise Hugh, la semaine prochaine.
— Eh bien, y seras-tu ? demanda-t il d’un air de défi.
Elle sentit sa gorge se nouer en constatant qu’elle avait vu juste ! Et dire qu’elle avait espéré que…
Elle aurait pourtant dû s’en douter ! Ces baisers, ce flirt, tout cela, c’était un jeu pour Brice. Un jeu dangereux, certes, mais néanmoins un jeu !
Lui lançant un regard furieux dans le miroir, elle rétorqua :
— Tu sais, je n’apprécie pas le fait que tu me croies capable de blesser ma mère en ne me rendant pas à cette réception.
— Ce qui signifie que tu viendras ?
— Oui, répondit-elle avec agacement, même si cela ne te regarde pas. Bon, c’est tout ce que tu avais à me dire ?
Elle était bien plus furieuse qu’elle ne voulait l’admettre. Il fallait qu’il ait une piètre opinion d’elle pour toujours la soupçonner du pire !
Au fond, qu’espérait-elle ? Qu’elle lui avait manqué ? Que le cœur de Brice avait fait un bond de joie dans sa poitrine quand elle était montée sur l’estrade… tout comme le sien, tout à l’heure, lorsqu’elle l’avait aperçu assis au premier rang ?
— Non, ce n’est pas tout ! déclara-t il dans son dos. As-tu terminé, ou comptes-tu te rendre au cocktail ?
— Je ne me rends jamais à ces ennuyeux et interminables cocktails.
— Et où est l’attentionné Clive, ce soir ?
Elle n’en savait fichtre rien. Néanmoins, elle n’avait aucune envie de le lui dire…
— Il ne travaille pas aujourd’hui.
— Et Latham ?
— Toujours en Australie.
Du moins aux dernières nouvelles !
— Dans ces conditions, tu accepteras peut-être d’aller prendre un verre avec moi ?
Elle hésita. Etait-ce raisonnable ?
Bien que Brice l’ignore encore, sa vie avait radicalement changé durant ces trois dernières semaines. D’ailleurs, personne n’était au courant. Pas même sa mère. Et pour l’instant, elle préférait que les choses demeurent ainsi.
Allons, elle pouvait bien aller prendre un verre avec lui sans qu’il s’aperçoive pour autant des changements survenus dans son existence !
— Je sais ce qui t’est arrivé en novembre dernier, lui annonça-t il tout à trac.
Il avait prononcé cette phrase avec douceur, et pourtant elle eut l’impression qu’il venait de la poignarder. Elle se retourna vivement… pour lire dans ses beaux yeux verts qu’il ne bluffait pas.
— Je suppose que c’est ma mère qui t’a mis au courant ?
— En effet, mais uniquement parce que je l’ai questionnée à ce sujet.
— Ce qui m’est arrivé ne regarde que moi : le public n’était pas censé l’apprendre ! s’écria-t elle.
— Je ne suis pas le public ! s’exclama-t il à son tour. D’ailleurs, dans quelques semaines, nous ferons partie de la même famille.
— Le fait que ma mère épouse ton grand-père ne fait pas de nous des membres d’une même famille ! s’insurgea-t elle.
— A mes yeux, si !
— Libre à toi !
Pour sa part, elle refusait cette vision des choses. Elle se consumait d’amour pour cet homme, et ne voulait pas le croiser lors de fêtes familiales ! Surtout que, tôt ou tard, il s’y rendrait en compagnie de sa future épouse !
— Ecoute, Sabina, je ne suis pas venu ici ce soir pour me disputer avec toi dans cette maudite loge.
— Et où comptais-tu le faire ? demanda-t elle d’un ton à la fois moqueur et meurtri.
— Acceptes-tu oui ou non de venir prendre un verre avec moi ? demanda-t il sans répondre à sa provocation.
Elle le jaugea un instant, prit une grande inspiration.
— J’arrive, décréta-t elle en se levant brusquement.
— Enfin ! Il faudra donc toujours que nous nous disputions, tous les deux ?
— Ne compte pas sur moi pour te faciliter la vie, dit-elle alors dans un sourire mutin.
— Rassure-toi, rien n’est facile avec toi, Sabina.
Quelques minutes plus tard, lorsqu’ils se retrouvèrent dans la rue, elle déclara :
— Prenons ma voiture.
— Ta voiture ? Tu conduis maintenant ? C’est nouveau !
— Pas vraiment ! Cela fait des années que j’ai mon permis.
Elle savait parfaitement à quoi il faisait allusion. Pas au fait qu’elle fût en mesure de conduire, mais à l’absence de limousine avec chauffeur !
C’était pourtant l’un des changements les moins importants qui soit intervenu dans son existence, ces trois dernières semaines…

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ princesse.samara   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 19-03-10, 12:10 AM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 20
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CHAPITRE 15


— Tu n’es pas la même, ce soir, Sabina, déclara Brice, songeur, tandis que tous deux prenaient place dans le salon d’un grand hôtel londonien. Tu es comme transformée.
A cet instant, on déposa devant eux, sur une table basse, les deux cafés que Brice avait commandés. L’endroit était des plus cosys — mais Sabina décidément fort mystérieuse !
Lisait-il réellement de la méfiance dans son regard par ailleurs fuyant ? Difficile à dire, car le sourire poli qu’elle affichait brouillait les pistes, tel un masque.
— Ah bon ? fit-elle en prenant sa tasse de café. Bah, je suis toujours un peu excitée après un défilé ! Sans doute est-ce pour cette raison que je te donne cette impression.
Ils se turent quelques instants, puis il reprit :
— Tu as une très belle voiture.
— Merci, lui dit-elle en souriant, l’air heureux. J’adore conduire à Londres.
Oui, elle avait définitivement changé, se dit-il. La peur qui semblait l’habiter la première fois qu’il l’avait rencontrée avait disparu. D’ailleurs, à présent, il savait quelle en était l’origine…
— Ne tiens pas rigueur à ta mère des confidences qu’elle m’a faites à ton sujet, lui dit-il en se calant sur la banquette. Elle croyait que nous étions amis.
— Je ne suis pas la première personne connue à recevoir des lettres anonymes, déclara-t elle alors d’un air ennuyé.
— Manifestement, il ne s’agissait pas simplement de lettres. L’individu qui te traquait s’est tout de même aventuré jusque dans ta loge pour t’agresser !
A cette seule pensée, il sentit monter en lui des pulsions meurtrières ! Tout comme cela avait été le cas lorsque Leonore lui avait expliqué l’agression dont Sabina avait été victime, agression qui avait ancré la peur en elle, l’avait transformée en une jeune femme profondément angoissée qui s’effrayait de sa propre ombre et était devenue étrangère aux siens.
Après sa conversation avec Leonore, Brice avait été envahi par une immense colère. Sa première pensée avait été de retrouver le scélérat qui avait osé commettre un crime si abominable afin de lui infliger une bonne leçon.
Insidieusement, un désir plus fort l’avait peu à peu étreint : celui de se précipiter chez Sabina pour la protéger et veiller à ce que jamais un tel malheur ne se reproduise.
Le problème, c’est que Richard Latham assurait déjà la fonction de protecteur auprès d’elle. Comme il enrageait de ne pouvoir prendre sa place !
Evitant toujours le regard perçant de Brice, Sabina déclara rapidement :
— Mon agresseur a accepté d’entrer dans un service psychiatrique pour se faire soigner. Il n’y a pas eu de nouveaux incidents.
Et c’était aussi pour cette raison que l’agression avait pu être passée sous silence ! Evidemment, il comprenait que Sabina préférât éviter toute publicité — même s’il ne pouvait s’empêcher de repenser, le cœur étreint par l’angoisse, à un autre top model qui, deux ans auparavant, avait été agressée dans des conditions similaires et n’avait pas survécu !
— Ecoute, Brice, ajouta-t elle, tout cela, c’est de l’histoire ancienne, alors n’en parlons plus, d’accord ?
— Et les lettres que tu reçois, objecta-t il alors d’une voix rauque, c’est de l’histoire ancienne, peut-être ?
A ces mots, elle devint livide.
l avait donc vu juste en ce qui concernait la fameuse enveloppe verte, pensa-t il. Il s’agissait bel et bien de courrier anonyme !
— Je n’ai pas l’impression que le séjour en hôpital psychiatrique se soit révélé d’une grande efficacité pour ton agresseur, ajouta-t il.
A cet instant, il vit le pouls de Sabina s’accélérer à la naissance de son cou, et le désarroi que reflétèrent ses traits lui déchira le cœur.
— Brice, je préférerais ne pas reparler de tout cela, dit-elle d’un ton saccadé.
— Je peux le comprendre, concéda-t il. Il n’empêche que cet individu te harcèle toujours, n’est-ce pas ? Il n’attend que la prochaine occasion pour…
— Assez ! s’écria-t elle d’un ton cinglant avant de reprendre d’une voix presque tremblante, cette fois : arrête, Brice… Je ne reçois plus de lettres depuis des semaines.
— Mon intuition me dit pourtant que, la dernière fois que je suis venu à Mayfair et que tu étais alitée, prétendument souffrante, tu venais de recevoir l’une de ces maudites lettres.
Elle lui jeta un bref coup d’œil, avant de détourner le regard, fort mal à l’aise.
— Bien vu, reconnut-elle. Je… C’est la dernière que j’ai reçue.
— Cela fait donc quatre semaines, observa-t il. A quel rythme en reçois-tu d’ordinaire ?
— Tous les quinze jours, à peu près, répondit-elle d’un ton las.
— Il est un peu tôt pour décréter que ces envois ont cessé, tu ne crois pas ?
La colère qu’il ressentait envers leur auteur perçait malgré lui dans sa voix. Soudain, Sabina ouvrit la bouche pour dire quelque chose… mais, au dernier moment, se ravisa.
— Sabina… ? Qu’y a-t il que tu ne peux me dire ? demanda-t il, inquiet, convaincu qu’elle lui cachait quelque chose.
Dans un ultime effort, elle parvint à esquisser un petit sourire, et répondit :
— Allons, Brice, nous ne sommes pas assez intimes pour échanger des confidences.
Cruelle ! pensa-t il alors. Pour sa part, il la connaissait suffisamment pour savoir avec certitude qu’il était amoureux d’elle — et qu’elle l’obsédait en permanence, jour et nuit.
— Merci ! répondit-il, vexé.
— De rien, fit-elle d’un air mutin.
Décidément, il était même incapable de lui tenir ombrage de sa cruauté. Sourcillant, il reprit :
— Manifestement, tu as été fort occupée ces dernières semaines…
Si occupée qu’elle était toujours sortie ou indisponible chaque fois qu’il avait essayé de la joindre !
Brusquement, il la sentit sur ses gardes.
— Tu ne devrais pas t’en étonner, Brice. Je t’ai pourtant dit que mon emploi du temps était fort chargé.
— Effectivement. Note que de mon côté, je n’ai pas chômé non plus.
— Ah bon ? fit-elle en affichant un intérêt poli.
Il se raidit : il détestait ses marques de politesse, il préférait encore ses coups de griffe.
— J’ai fini le portrait, annonça-t il d’un ton abrupt.
— Mon portrait ?
— Evidemment ! De quel autre pourrait-il s’agir ?
Une rougeur colora ses joues tandis qu’elle balbutiait :
— Mais je… je n’avais pas terminé de poser pour toi. En outre, tu… enfin, Richard t’a dit qu’il annulait la commande.
— Tu sous-estimes donc mon talent au point de me croire incapable de peindre un sujet sans l’avoir devant les yeux ?
— Non, ce n’est absolument pas ce que je voulais dire ! Mais pourquoi terminer ce tableau… alors que ton client ne va pas te l’acheter ? Enfin, je présume que je pourrais toujours…
— Il n’est pas à vendre ! trancha-t il.
Il avait terminé ce portrait pour lui, pour son propre salut.
La peindre sur la toile avait été une sorte d’exutoire pour pallier son absence — sa façon à lui de se rapprocher d’elle durant ces trois semaines où il n’avait pu la contacter.
Et puis, sans se vanter, ce portrait était extrêmement réussi. Le visage et le buste de Sabina se détachaient sur le fond de la fameuse chambre médiévale, et l’on aurait dit une vestale auréolée de mystère.
Jamais il ne le vendrait ! A personne. Heureusement que Latham avait renoncé à la commande, car Brice n’aurait su comment lui annoncer qu’il gardait le tableau pour lui !
— Je ne comprends pas, fit Sabina.
— Vraiment ?
— Oui, sincèrement… Que comptes-tu en faire, au juste ?
— Je ne sais pas encore. L’exposer, peut-être.
Pourtant, en formulant cette éventualité, il comprit que jamais il ne pourrait se séparer du tableau — même pour le confier à une galerie réputée à titre provisoire. Non, il allait l’accrocher dans sa chambre, en face de son lit. Ce serait, hélas, son seul moyen d’être proche de la jeune femme !
— Si jamais tu décides de le présenter dans une exposition, fais-moi signe, lui dit-elle. J’aimerais tout de même le voir.
— Tu peux passer chez moi quand tu veux pour l’admirer, rétorqua-t il. Tu seras toujours la bienvenue.
— J’attendrai l’exposition, assura-t elle dans un sourire tendu.
— Comme tu voudras.
L’atmosphère venait subitement de changer entre eux, constata Brice. Sabina semblait avoir perdu la vitalité qui l’animait tout à l’heure. Etait-ce à cause de lui qu’elle s’était départie de cette joie si inhabituelle chez elle ? Si tel était le cas, il le déplorait sincèrement.
— Sabina…
Il s’arrêta tout net en la voyant porter sa tasse à ses lèvres. Car il venait de s’apercevoir d’un autre changement chez elle… ou plus exactement d’une absence qu’il n’avait pas notée jusque-là !
Elle ne portait plus son gros diamant à l’annulaire gauche, l’ostentatoire symbole de ses fiançailles avec Latham !
Sabina posa sur Brice un regard interrogateur, avant de comprendre pourquoi il fixait sa main gauche avec une telle insistance : il était manifestement déconcerté par l’absence de sa bague de fiançailles.
Qu’à cela ne tienne, elle n’était pas à court de justifications ! Elle pouvait affirmer, par exemple, qu’elle la retirait toujours lors des défilés et qu’elle avait tout simplement oublié de la remettre. Ou bien qu’elle l’avait rapportée au bijoutier afin qu’il la retaille car la pierre s’accrochait systématiquement aux vêtements, ce qui lui avait valu de déchirer la dernière création d’un couturier de renom.
Décidément, pensa-t elle non sans dérision, son imagination était fertile !
— Qu’as-tu fait de ta bague ? parvint-il enfin à demander.
A ces mots, elle se mit à fixer à son tour son annulaire gauche, comme si elle venait juste de s’apercevoir qu’elle ne portait pas le diamant…
Comment réagirait Brice si, au lieu d’élaborer un petit mensonge pour justifier l’absence de bague à son doigt, elle lui annonçait qu’elle avait rompu ses fiançailles ?
Sur une impulsion, elle le regarda droit dans les yeux et déclara :
— Je n’ai aucune idée de ce que Richard a pu en faire depuis que je la lui ai rendue.
— Tu as rendu ta bague de fiançailles à Richard ?
Il avait dû reformuler à haute voix les surprenants propos de Sabina pour bien en saisir le sens.
— Oui, je ne me sentais pas en droit de la garder après notre rupture, confirma-t elle.
— Quand la lui as-tu remise ? demanda-t il lentement, d’une voix tendue.
Si elle lui confessait la vérité — c’est-à-dire qu’elle avait rendu la bague à Richard trois semaines auparavant, à leur retour d’Ecosse —, nul doute qu’il se sentirait en partie responsable de la rupture. De fait, il l’était, mais elle était trop orgueilleuse pour le lui avouer de but en blanc.
Elle redoutait qu’il n’en tire une fierté déplacée !
Devant le silence de Sabina, Brice reprit :
— Durant ces trois dernières semaines, je n’ai cessé de téléphoner chez Richard et, à chaque fois, on me disait que tu n’étais pas là.
— C’était tout à fait exact, puisque je n’habite plus chez lui depuis plusieurs semaines, répondit-elle rapidement avant d’ajouter d’un ton fatigué : Brice, il est tard et le défilé m’a exténuée. Aussi, si tu veux bien m’excuser…
Là-dessus, elle fit un mouvement pour attraper son sac, posé près de ses pieds, sur la moquette.
— Non, je ne veux pas t’excuser ! s’exclama-t il. Tu ne peux pas tout simplement te lever et partir après m’avoir annoncé ta rupture avec Latham !
— Et pourquoi pas ? Richard et moi avons rompu d’un commun accord, répondit-elle d’un air détaché. Ce n’est pas la fin du monde, tu sais. Bien au contraire. J’apprécie infiniment d’avoir recouvré ma liberté.
Cette dernière phrase la surprit elle-même, pourtant elle exprimait la stricte vérité. Depuis le soir où elle avait quitté Richard, elle avait senti renaître son ancienne confiance en elle-même. D’un coup, la peur qui la tenaillait depuis des mois avait disparu.
— J’aime ma nouvelle indépendance, insista-t elle. J’ai emménagé dans mon propre appartement et, à présent, je fais absolument ce que je veux et je vois qui je veux. J’avais oublié à quel point c’était agréable.
Elle disait vrai. Après son agression, elle avait vécu dans la peur de la récidive, et avait su gré à Richard de la protéger. Elle n’avait pas réalisé alors le prix de cette protection étouffante…
Durant ces trois semaines, elle avait retrouvé toute son assurance. Par ailleurs, son appartement lui plaisait énormément. Elle l’avait meublé avec goût et avait repris une vie sociale, résolue à tourner la page.
La preuve : elle s’apprêtait même à se rendre à la réception de Hugh et sa mère, la semaine prochaine ! Mieux : elle avait téléphoné à cette dernière pour l’inviter à déjeuner, et pour la première fois, les deux femmes avaient échangé des confidences. Elle était certaine de pouvoir compter sur la discrétion de Leonore : celle-ci ne répéterait jamais leur conversation à Brice— et notamment ce qu’elle lui avait avoué à son sujet !
— Je vois, articula-t il enfin, pour le moins déconfit. Dans ces conditions, il n’y a guère de chance que tu acceptes mon invitation à dîner, demain soir ?
Elle était prête à confirmer ses craintes, lorsque, soudain, elle perçut l’intensité de son regard vert…
— Et en quel honneur m’inviterais-tu ? fit-elle, le souffle court.
— Parce qu’il est encore trop tôt pour te demander de passer le reste de ta vie avec moi ! répondit-il alors sur le ton de l’autodérision.
A ces mots, elle écarquilla grand les yeux.
Avait-elle bien entendu ?
Venait-il de dire que… ?
Elle secoua la tête, incapable de prononcer le moindre mot. Brice était-il en train de lui avouer qu’il l’aimait ?
— Si je comprends bien, tu n’es pas d’accord pour passer le restant de tes jours avec moi, n’est-ce pas ? reprit-il alors, se méprenant sur sa réaction. Très bien… Dans ces conditions, je me *******erai d’un dîner.
Il allait bien trop vite pour elle ! Comment était-il passé d’un dîner… à une vie entière ? Avait-elle manqué quelque chose ?
— Euh… Peut-on revenir un tout petit peu en arrière, Brice ? suggéra-t elle alors en lui lançant un regard incertain. Je suis bien consciente que tu as flirté avec moi, ces derniers mois. Tu m’as même embrassée, mais…
— Que les choses soient claires entre nous, Sabina ! coupa-t il d’un ton déterminé. Je ne flirte pas. Je ne l’ai jamais fait, et ne le ferai jamais.
— Mais…, voulut-elle objecter.
— Quant aux baisers… C’était soit t’embrasser, soit te donner la fessée. J’ai opté pour la solution la plus plaisante pour moi !
Elle eut soudain du mal à respirer. Une bulle de bonheur enflait à l’intérieur d’elle-même, tandis qu’elle buvait la moindre de ses paroles. Une bulle fragile, si fragile qu’elle redoutait qu’elle n’éclate…
— Partons d’ici, Brice ! décréta-t elle sur un ton pressant. Allons dans un endroit où nous pourrons parler tranquillement.
Le salon fourmillait encore de monde, en dépit de l’heure tardive. Il la regarda quelques secondes sans répondre, puis demanda :
— Puis-je d’abord avoir ton accord pour le dîner de demain ?
Si ce qu’elle pensait et espérait de toutes ses forces était vrai, alors il pouvait avoir son accord pour bien davantage que le dîner. De peur de se méprendre, elle se garda pourtant de le lui avouer, se *******ant de hocher la tête en signe d’acquiescement.
— Parfait, décréta Brice. Eh bien, allons-y !
Non sans timidité, elle accepta la main qu’il lui tendait, savourant la sensation de sa paume large et chaude pressée contre la sienne tandis qu’il l’entraînait vers la sortie, et qu’ils s’enfonçaient dans la nuit illuminée de Londres.



 
 

 

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