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Fiancée à Un Autre, De Carole Mortimer

Fiancée à un autre, de Carole Mortimer Lorsqu’un magnat des affaires demande au peintre Brice McAllister de réaliser un portrait de sa fiancée, ce dernier est d’abord tenté

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Congrats Fiancée à Un Autre, De Carole Mortimer

 

Fiancée à un Autre, de Carole Mortimer

Lorsqu’un magnat des affaires demande au peintre Brice McAllister de réaliser un portrait de sa fiancée, ce dernier est d’abord tenté de refuser. Attaché à son indépendance artistique, Brice n’a nulle envie d’exécuter un tableau sur commande, et surtout pas celui du mannequin Sabina dont le visage apparaît régulièrement à la une des magazines. Comment une jeune femme exposée au regard de tous pourrait-elle enflammer son imagination ?
Une simple rencontre avec Sabina suffit pourtant à faire voler ses préjugés en éclats. Car la jeune femme est non seulement belle, mais fragile et mystérieuse… Troublé au plus haut point, Brice reste perplexe. Doit-il accéder à la requête du fiancé de Sabina et réaliser un portrait de celle-ci — au risque d’en tomber amoureux ?

 
 

 

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CHAPITRE 1

—Vous êtes bien McAllister, n’est-ce pas ?
A ces mots, Brice se crispa.
Qui osait faire intrusion dans ses rêveries solitaires ? se demanda-t il sans se retourner immédiatement. Encore que l’on pût difficilement vouloir être seul au milieu de convives fêtant une victoire politique !
D’ordinaire, il se gardait bien d’assister à ce genre d’événement, mais en l’occurrence, la benjamine du député récemment élu n’était autre que la femme de son cousin Fergus. Aussi était-ce tout naturellement qu’il avait été convié à la sauterie mondaine que donnait pour l’occasion Paul Hamilton. Comme il eût été fort impoli de sa part de refuser l’invitation, il s’était armé de tout son courage pour s’y rendre.
Etre apostrophé par son nom de famille lui déplaisait fortement, se dit-il encore, car cela lui rappelait de douloureux souvenirs scolaires. D’autant que la voix de l’homme qui venait de l’interpeller lui était foncièrement antipathique : elle était empreinte d’une arrogance qui frisait la condescendance.
Lentement, il finit par pivoter sur ses talons, et se retrouva nez à nez avec… un total inconnu ! D’une taille imposante, les tempes grisonnantes, le blond qui se tenait devant lui avait dépassé la cinquantaine. Encore fort bel homme, il arborait cependant un air méprisant des plus détestables — en conformité avec sa voix.
—Effectivement, je suis bien Brice McAllister, répondit Brice en martelant son prénom.
—Richard Latham, enchaîna son interlocuteur en lui tendant la main.
Richard Latham… Le nom lui évoquait vaguement quelque chose, mais ce visage ne lui était absolument pas familier. Il serra rapidement la main de l’inconnu, sans faire mine de vouloir poursuivre la conversation.
Brice n’était pas un homme particulièrement sociable et il estimait qu’aujourd’hui il avait largement participé aux relations publiques et familiales. Il ne souhaitait qu’une chose : avoir la paix !
—Vous ne savez pas qui je suis, n’est-ce pas ? insista l’homme avec une pointe d’amusement dans la voix.
Certes, Brice ignorait son nom. En revanche, il avait d’emblée reconnu la catégorie à laquelle appartenait cet individu : celle des importuns !
Bon, il affirmait s’appeler Latham, pensa Brice dans un ultime effort pour faire bonne figure. Nom inconnu du côté de sa famille… Par conséquent, il devait s’agir d’un parent de Paul Hamilton. Curieux ! On aurait dit que finalement, c’était moins son identité que sa fonction que l’homme voulait mettre en valeur.
La barbe ! Que son interlocuteur cesse de tergiverser, à la fin ! Et pourquoi ne lui disait-il pas ce qu’il attendait de lui ? Il était près de 7 heures et Brice avait hâte de rentrer à la maison. Il avait l’intention de prendre congé en prétextant un rendez-vous professionnel important, seule solution pour que Fergus ne le supplie pas de rester.
—Non, désolé, répondit enfin Brice… sans paraître le moins du monde navré, mais passablement agacé !
En tant qu’artiste reconnu et apprécié, il ne pouvait se soustraire totalement aux conventions sociales, et visiblement, Richard Latham jouait sur cette corde-là. Levant les sourcils, ce dernier annonça alors :
—Ma secrétaire vous a contacté à deux reprises la semaine dernière. J’aimerais vous commander un portrait de ma fiancée.
Bingo ! Voilà, il s’en souvenait à présent : c’était Richard Latham, le multimillionnaire. Son nom était bien évidemment connu de Brice : sa réussite économique était internationalement reconnue — tout comme sa réputation de play-boy ! Latham faisait souvent la une des journaux à scandale en compagnie des plus belles femmes de la terre. Brice ignorait cependant quelle créature avait en ce moment l’heur d’être sa « fiancée ».
—Comme je vous l’ai indiqué dans mon courrier, répondit sèchement Brice, je ne peins pas de portrait.
—Faux ! rétorqua Latham en plissant les yeux. J’ai eu récemment l’occasion d’admirer le magnifique portrait de Darcy McKenzie réalisé par vos soins.
—Darcy est ma cousine par alliance, c’était un cadeau de mariage destiné à son mari, Logan, se justifia Brice.
—Dans mon cas aussi, il s’agit d’un cadeau de mariage ! argua l’homme d’affaires d’un air entêté.
Manifestement, Latham n’avait guère l’habitude qu’on lui résiste… Eh bien, tant pis pour lui ! se dit Brice. Il était hors de question qu’il cède au caprice du milliardaire. Il n’exécutait pas de portraits et ne ferait certainement pas d’exception pour les nantis de ce monde. Pas question qu’ils les accrochent ensuite dans leurs salons et affirment avec fierté : « C’est un McAllister » !
—Ecoutez, commença Brice, je suis réellement désolé, mais…
Il s’interrompit brutalement — à l’instar de la salle entière. Tous les regards convergèrent alors vers la jeune femme qui était apparue sur le seuil : Sabina !
Comme tout le monde, Brice avait déjà admiré des photos du célèbre mannequin. Il ne se passait pas une journée sans que Sabina ne pose pour un magazine ou un journal quelconque. Pourtant, aucun des clichés n’avait préparé Brice à la perfection absolue de sa beauté, au merveilleux velouté de sa peau que soulignait sa robe de lamé, à la longueur infinie de ses jambes, à ses grands yeux d’un bleu lumineux et à la cascade de ses cheveux aussi blonds que les blés, dont les pointes frôlaient ses hanches sveltes.
Elle ne portait pas le moindre bijou, observa-t il. Pourquoi renchérir sur la perfection ?
Le regard de Brice se concentra de nouveau sur les yeux de la jeune femme… Certes, ils étaient lumineux, le bleu azur de l’iris étant serti dans un cercle plus sombre qui le mettait en valeur. Pourtant, lorsqu’ils balayèrent la salle, il aperçut dans leurs profondeurs une sorte d’appréhension. Etait-ce de la peur ?
Il n’eut pas le temps de méditer davantage sur cette curieuse lueur, car à peine eut-il reconnu l’éclair qui trahissait les émotions de Sabina que celle-ci avait déjà recouvré un regard socialement correct et affichait un sourire confiant… tout en se dirigeant vers lui !
—Veuillez m’excuser, annonça Richard Latham, un sourire de supériorité aux lèvres. Je vais saluer ma fiancée.
Et, sous l’œil médusé de Brice, il se dirigea effectivement vers Sabina, passa un bras familier autour de sa taille et l’embrassa sur la joue.
Tiens, constata alors Brice, il s’était trompé en ce qui concernait les bijoux. Sabina n’en était pas totalement dépourvue — à son annulaire gauche brillait un gros diamant en forme de cœur.
Sabina était-elle la fiancée à qui Richard Latham avait fait référence ? La fiancée dont il souhaitait un portrait ?
En tout cas, c’était bien la seule femme au monde que lui-même ait jamais eu envie de peindre dès l’instant où il l’avait vue en chair et en os !
Oh, pas à cause de sa beauté, aussi spectaculaire fût-elle ! Non : en raison de cette lueur d’angoisse entraperçue dans ses prunelles et si rapidement masquée — un aveu de faiblesse fort intrigant de la part d’une aussi belle femme, et qui l’élevait à un rang bien supérieur à celui d’une icône de la mode.
Cette émotion, il avait une terrible envie de l’explorer — en tant qu’artiste, du moins…
—Désolée pour le petit retard, déclara Sabina en souriant chaleureusement à Richard. Andrew était très exigeant aujourd’hui, les essayages n’en finissaient pas !
—Tu es ici, à présent, et c’est le principal, lui assura son compagnon.
A ces mots, Sabina éprouva un vif soulagement. Comme il était appréciable de vivre avec un homme qui ne se plaignait jamais des contraintes et exigences liées à sa carrière ! Richard était si accommodant : tout ce qu’il voulait, c’était qu’elle parade à son bras. Le reste…
Ouf, constata Sabina, les gens avaient repris leur conversation ! Bien qu’elle fût top model depuis sept ans, elle ne parvenait pas à s’habituer aux réactions que déclenchait immanquablement son arrivée dans un lieu quelconque. Elle avait dû se forger une véritable carapace pour masquer la gêne que les regards inconnus continuaient d’exercer sur elle.
Le seul endroit public où elle se sentait bien… c’était le fast-food à l’angle de sa rue ! Elle s’y rendait en jean délavé et pull informe, une casquette de base-ball vissée sur la tête. Bien malin qui aurait pu reconnaître le top model Sabina, en train d’engloutir un hamburger hautement calorique, accompagné d’une large portion de frites qui ne l’étaient pas moins !
Certains journalistes mal intentionnés avaient beau affirmer que, pour garder la ligne, le mannequin ne se nourrissait que de fruits et d’eau minérale, Sabina faisait partie de ces rares et heureuses femmes qui pouvaient avaler tout ce qu’elles voulaient sans prendre le moindre gramme.
Néanmoins, cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas aventurée dans le fast-food pour l’une de ces visites impromptues et anonymes.
Six mois exactement…
—Viens, je veux te présenter à quelqu’un, déclara Richard d’un air mystérieux.
Sabina lui lança un regard intrigué. Sans lui révéler ses intentions, son compagnon l’entraîna vers le fond de la salle… pour lui présenter l’homme avec qui il s’entretenait au moment de son arrivée.
Bien que Richard fût d’une taille impressionnante, son interlocuteur avait quelques centimètres de plus que lui. Il avait environ trente-cinq ans et était vêtu de façon décontractée — jean, T-shirt et veste noire — en accord avec ses cheveux, plutôt longs pour un homme.
Son expression contrastait avec cette décontraction apparente et lui conférait une beauté ténébreuse. Ses yeux verts retinrent particulièrement l’attention de Sabina ; son regard était si intense qu’il semblait plonger directement dans votre âme.
A cette pensée, Sabina sentit de nouveau l’angoisse l’étreindre. Elle défendait à quiconque — et particulièrement à cet inconnu aux yeux troublants — de lire dans son âme.
—Brice, je voudrais vous présenter ma fiancée, Sabina, décréta Richard. Sabina, voici Brice McAllister.
Comme à chaque fois qu’il la présentait à un tiers, Sabina reconnut dans la voix de Richard des inflexions de fierté. Sans compter qu’en l’occurrence, il semblait forcer le trait !
Sabina scruta McAllister d’un air confus. Etait-elle censée le connaître ?
Mais oui, elle y était ! Il s’agissait du peintre Brice McAllister, celui dont on s’arrachait les œuvres à prix d’or !
—Bonjour, monsieur McAllister, dit-elle enfin sur un ton réservé.
—Enchanté, Sabina, déclara Brice. A propos, avez-vous un nom de famille ?
Sa question avait été posée sur le mode ironique, aussi répondit-elle froidement :
—Smith. D’une banalité affligeante, n’est-ce pas ? Ma mère m’a choisi un prénom original pour compenser… Presque personne ne connaît mon vrai nom.
Brusquement, elle se tut. Pourquoi confier cela à cet inconnu ? Un inconnu qui, de surcroît, la mettait fort mal à l’aise avec son regard perçant…
—Tu es Sabina, et c’est suffisant, trancha Richard non sans arrogance.
Sentait-il, lui aussi, l’intensité anormale du regard de Brice ? se demanda Sabina qu’un frisson d’angoisse venait de parcourir. Instinctivement, elle se rapprocha de Richard.
—Je vous promets de ne le répéter à âme qui vive, affirma alors Brice.
Ces propos, qui se voulaient rassurants, provoquèrent en elle l’effet opposé. Au mot « âme », elle sursauta. Car elle était persuadée qu’il lisait dans la sienne comme dans un livre ouvert !
Allons ! Que redoutait-elle tellement qu’il y décelât ? Dans son âme, il devait voir de la chaleur, et de la gentillesse. De l’humour aussi, du moins l’espérait-elle. Sans compter le sens de la loyauté et de l’honneur.
Et immanquablement, de l’appréhension, de la peur…
Non ! Ces émotions-là, elle les avait enfouies au plus profond d’elle-même. Personne ne pouvait les deviner. Elles affleuraient uniquement lorsqu’elle était seule, et comme elle évitait le plus possible de se trouver seule avec ses propres pensées…
—Votre fiancé et moi discutions d’un éventuel portrait que je peindrais de vous, déclara Brice sans ambages.
A ces mots, Sabina adressa un regard surpris à Richard… Jamais il ne lui avait fait part de son intention de commander un portrait d’elle à un artiste. Pour sa part, elle refusait de poser pour Brice McAllister. Pas question de passer du temps en sa compagnie ! Cet homme la mettait définitivement trop mal à l’aise.
—Je voulais te faire une surprise, intervint alors Richard en la couvant d’un regard protecteur avant de se tourner vers Brice et d’ajouter, non sans une inflexion d’ironie : finalement, vous voulez bien exécuter ce portrait ?
Sabina jeta un bref coup d’œil à Brice McAllister. Ainsi, il n’avait pas accepté d’emblée la commande de Richard ; il le laissait pourtant entendre… pourquoi avait-il changé d’avis ? Au même instant, Brice répondait à Richard en haussant les épaules :
—Pourquoi pas ? Je devrais réaliser quelques esquisses avant de prendre une décision définitive. Mais je vous préviens, je ne pratique pas l’enjolivement, si vous voyez ce que je veux dire.
Charmant personnage ! se récria intérieurement Sabina. Même si sa franchise était tout à son honneur… Soudain, elle ressentit un pincement au cœur. Elle venait de comprendre le véritable sens de ses propos !
Nul doute qu’il envisageait de la peindre en fonction de ce qu’il lisait dans son âme !
—Je doute qu’il soit nécessaire d’enjoliver les traits de ma fiancée, répliqua sèchement Richard. Ainsi que vous pouvez le constater, elle est d’une beauté irréprochable.
Face à l’éloge appuyé de Richard, Brice se *******a d’un petit sourire.
—Je crains que tu ne sois guère objectif, intervint alors Sabina, avant d’ajouter, désireuse de mettre un terme à cette impossible conversation : je crois que nous avons assez abusé de la gentillesse de M. McAllister…
Brice McAllister lui était décidément fort peu sympathique ! conclut-elle. Quelque chose dans son regard l’avait immédiatement mise mal à l’aise. Et le plus tôt elle s’éloignerait de lui, le mieux ce serait.
—Donnez-moi votre numéro de téléphone, demanda alors Brice. Si vous le permettez, je vous appellerai et nous conviendrons d’un rendez-vous pour les esquisses.
Par pitié ! Elle n’avait nulle envie que Brice McAllister en connaisse plus à son sujet que ce qu’il avait déjà deviné.
—Tenez ! décréta Richard en sortant une carte de visite de sa poche qu’il brandit avec fierté sous le nez de Brice. Nous habitons ensemble.
A cette annonce, Sabina sentit le regard de l’artiste s’appesantir sur elle. Visiblement, il ne prenait pas bien cette information ainsi que l’indiquait le pli désapprobateur de sa bouche.
Déterminée à lui tenir tête, elle plongea à son tour un regard défiant dans le sien — tout en se sentant rougir, mais peu importe !
Seigneur ! Pour qui se prenait-il pour se permettre de la juger ? Elle avait vingt-cinq ans, tout de même, et était tout à fait libre de ses choix ! Et ceux-ci lui convenaient parfaitement !
Vraiment ? interrogea alors une petite voix intérieure.
Dans ces conditions, pourquoi était-elle sur la défensive ? Aspirant une large bouffée d’air, elle s’efforça de rationaliser la situation. Il était impossible que Brice McAllister ait deviné sur quelle base reposait son arrangement avec Richard.
Sept mois plus tôt, lorsque ce dernier et elle-même avaient opté pour une vie commune, il était clair pour chacun que l’amour n’était pas à l’origine de cette décision. A dire vrai, elle leur convenait à tous deux : Richard lui offrait une protection contre la peur perpétuelle dans laquelle elle vivait avant son installation chez lui, et lui en retour pouvait s’afficher en public avec une très belle femme — ce qui semblait être l’ultime but de sa vie !
Oui, curieusement, c’était tout ce que Richard attendait d’elle, ainsi qu’elle avait pu le constater durant ces sept mois de cohabitation.
Nul doute que leur arrangement aurait paru des plus étranges à une tierce personne, mais pour eux, il était parfait. D’ailleurs, leur intimité —ou plus exactement leur absence d’intimité — ne regardait qu’eux. Et sûrement pas cet inquisiteur aux yeux trop verts !
—Je vous appellerai, affirma Brice en plaçant la carte dans la poche de sa veste noire.
Là-dessus, il prit congé d’eux pour aller rejoindre un couple avec un tout jeune enfant.
—C’est Logan McKenzie, indiqua alors Richard à Sabina, et sa charmante femme Darcy.
Sabina se moquait de savoir qui étaient ces gens ou quelle relation Brice entretenait avec eux. En revanche, elle était extrêmement soulagée d’être débarrassée de lui ! Elle pouvait de nouveau respirer tranquillement.
De fait, elle venait juste de s’apercevoir que, durant toute cette conversation, sa respiration avait été saccadée. En tout cas, elle était certaine d’une chose : si Brice lui téléphonait, elle ferait dire qu’elle était absente !
Entre-temps, elle comptait mettre en œuvre toute son habileté et sa force de persuasion pour que Richard change d’avis et renonce au portrait !

 
 

 

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CHAPITRE 2

—Je regrette, Mlle Sabina est sortie, répondit la domestique de Richard Latham à Brice.
C’était la cinquième fois en cinq jours qu’on lui faisait la même réponse, et il sentait qu’il allait finir par perdre son sang-froid. Car il était persuadé que la belle Sabina voulait se débarrasser de lui et avait donné des indications très strictes à la domestique.
Lors de la réception chez Paul Hamilton, il avait rapidement compris que Sabina, contrairement à son compagnon, ne souhaitait absolument pas qu’il réalisât un portrait d’elle.
Et, naturellement, cette nette réticence qu’il avait perçue chez elle avait contribué à renforcer son propre désir de la peindre !
—Bien, merci, répondit Brice en rongeant son frein.
Bon… Il allait devoir adopter une autre stratégie — puisque, manifestement, ses tentatives pour prendre rendez-vous par téléphone n’aboutiraient à rien.
—Je lui ferai part de votre appel, précisa la domestique avant qu’il ne raccroche.
Oh, nul doute qu’elle lui transmettrait le message ! Mais cela ne l’avancerait guère, étant donné que Sabina avait certainement été informée de ses quatre précédents coups de téléphone… et qu’elle s’était bien abstenue de le rappeler.
—Si j’étais toi, je garderais mes distances avec mon oncle Richard, lui avait gentiment conseillé David Latham à la fête de Paul Hamilton, en l’entraînant à part. C’est un collectionneur, qui accumule les objets de valeur. Et il considère que Sabina est sa dernière acquisition. En outre, il illustre parfaitement le concept de mouton noir de la famille, si tu vois ce que je veux dire.
Certes… Mais en l’occurrence, ce n’était pas Richard Latham qui intéressait Brice. Hélas ! Comme il l’avait appris à ses dépens, ce premier était l’élément incontournable qui menait à la belle Sabina…
Pour une femme jouissant d’une notoriété internationale, elle menait une vie de recluse, se dit-il encore. En outre, elle ne sortait jamais sans Latham ou le chauffeur de celui-ci, ou encore l’un de ses gardes du corps.
Deux semaines avant leur rencontre chez Paul, Brice avait assisté à un défilé de mode auquel l’avait convié Chloe, la femme de Fergus, par ailleurs créatrice de mode.
Sabina avait alors fait une courte apparition sur le podium puis s’était rapidement retirée dans les coulisses, suivie de deux gardes du corps… tandis que Brice renonçait à l’aborder, ainsi qu’il en avait eu initialement l’intention.
Après le défilé, elle n’avait pas assisté au cocktail et, comme Brice se renseignait discrètement sur la raison de son absence, on lui avait indiqué qu’elle s’était éclipsée dans une limousine avec chauffeur, une fois sa prestation terminée.
Décidément, cette femme incarnait le mystère — et attisait la curiosité de Brice. En outre, il était convaincu que Richard Latham ignorait ses vaines tentatives téléphoniques pour prendre rendez-vous avec Sabina. Oui, son instinct lui disait que la belle ne se vantait pas de ses dérobades. Richard paraissait tellement déterminé à ce qu’il réalise son portrait !
Il regarda sa montre. 16 heures. Le plus simple n’était-il pas de se rendre chez Richard, dans le quartier de Mayfair —le plus chic de Londres, soit dit en passant ? Il ne tergiversa pas longtemps.
La Mercedes coupé sport, garée devant la riche demeure de Latham, lui indiqua qu’il y avait quelqu’un à la maison. Peu importait qu’il s’agît de Richard ou de Sabina. Il avait la ferme intention d’obtenir le rendez-vous promis — de l’un ou de l’autre.
Pourquoi avait-il été si surpris d’apprendre que Richard et Sabina habitaient ensemble ? s’interrogea-t il en descendant de sa voiture.
Sans doute parce qu’il émanait de Sabina une aura qui la rendait intouchable, et maintenait les autres à distance… Visiblement, cela ne s’appliquait pas à Richard Latham qui, partageant sa vie, devait aussi partager son lit. Logique, non ?
—Oui ?
Perdu dans ses pensées, Brice avait machinalement appuyé sur la sonnette, aussi sursauta-t il lorsque la porte s’ouvrit. La femme âgée qui se tenait sur le seuil le fixait d’un air interrogateur. Nul doute qu’il s’agissait de la domestique qui avait pour consigne de lui signifier l’absence de Sabina !
—Je viens voir Sabina, annonça-t il d’une voix ferme.
—Avez-vous rendez-vous ?
La bonne blague ! C’était précisément ce qu’il cherchait à obtenir. Allons, pensa-t il, inutile de s’énerver : la pauvre domestique n’était pas responsable des caprices de sa patronne.
—Pouvez-vous informer Sabina que M. McAllister désire la voir ? demanda-t il en ravalant sa colère.
—McAllister ? répéta la domestique, déconcertée. Mais n’êtes-vous pas…
—Oui, l’homme qui a tenté de la joindre plusieurs fois cette semaine, l’interrompit Brice. Pouvez-vous lui dire que je suis là ?
Il avait répété sa demande d’un ton impatienté, conscient de son impolitesse, mais il était bien trop énervé pour concevoir encore des scrupules envers cette tierce personne —aussi innocente fût-elle — qui se dressait entre son but et lui.
Il était convaincu à présent que le coupé sport appartenait à Sabina et qu’elle se trouvait bel et bien chez elle. Tout comme c’était le cas lorsqu’il avait téléphoné tout à l’heure ! A l’évidence, elle le fuyait.
—Mais…, commença la domestique.
—C’est bon, madame Clark, intervint soudain Sabina en se matérialisant au côté de la gouvernante. Monsieur McAllister, voulez-vous me suivre dans le salon ?
Privilégiant le silence à un commentaire acerbe qu’il aurait regretté par la suite, Brice hocha la tête et la suivit à l’intérieur. Curieux comme cette femme lui apprenait la patience, à lui le fougueux, qui s’emportait à la moindre contrariété.
Aujourd’hui, elle paraissait différente. Plus naturelle, mais toujours d’une beauté éclatante, dans son jean clair et son T-shirt blanc. Elle avait relevé sa chevelure en une queue-de-cheval et n’était absolument pas maquillée. On lui aurait donné dix-huit ans à peine.
—Je vous prie de m’excuser, mais je n’attendais personne, dit-elle en faisant référence à sa tenue décontractée. Je reviens à l’instant de mon club de sport.
Adorable menteuse !
Fronçant les sourcils d’un air moqueur, Brice rétorqua :
—A l’instant, vraiment ?
—Puis-je vous offrir du thé ? demanda-t elle alors d’un ton dégagé.
—Non merci, répondit-il, avant d’ajouter froidement : Je vous ai téléphoné plusieurs fois cette semaine.
—Ah bon ? fit-elle d’un ton détaché.
—Vous le savez pertinemment, répliqua-t il sans cacher son agacement.
—J’ai été fort occupée cette semaine, argua-t elle. J’ai dû me rendre à Paris, j’ai défilé pour plusieurs couturiers. Sans compter une séance de photos avec…
—Je me moque de votre emploi du temps ! trancha-t il de façon cavalière. Ce que je veux savoir, c’est pourquoi vous ne m’avez pas rappelé.
—Je viens précisément de vous expliquer que…
—Ecoutez, passer un coup de téléphone, cela prend objectivement peu de temps, et même si vous étiez réellement absente, je suis certain que la diligente Mme Clark vous a fait part de tous mes appels et vous a communiqué tous les numéros de téléphone que je lui ai laissés : le numéro de mon domicile, de mon atelier, ainsi que celui de mes deux portables, le privé et le professionnel.
—Peut-être, je ne sais plus, dit-elle rapidement. Etes-vous bien certain de ne pas vouloir de thé ?
—Absolument certain, fit-il en serrant les dents.
Un double whisky, voilà ce dont il aurait eu besoin, même au beau milieu de l’après-midi ! La froideur de cette femme aurait poussé n’importe quel homme à se ruer sur la boisson !
—Bon, reprit-il, à propos de notre rendez-vous…
—Asseyez-vous, monsieur McAllister, je vous en prie.
—Merci, je préfère rester debout, répliqua-t il, les nerfs chauffés à blanc par la désinvolture de Sabina.
Etonnée par son refus, elle se laissa choir pour sa part dans un confortable fauteuil et, le regardant droit dans les yeux, lui asséna :
—C’est curieux, je croyais pourtant que vous étiez un artiste réputé.
—Je le suis ! répondit-il, immédiatement sur la défensive.
—Vraiment ? fit-elle sur le ton de la dérision. Et traquez-vous toujours vos mécènes potentiels de cette façon ?
Une bouffée de colère le submergea.
Elle cherchait délibérément à le froisser ! Et y était parvenue ! Mais pourquoi le provoquait-elle, au lieu de lui avouer tout simplement qu’elle ne voulait pas qu’il réalise son portrait ? Poussant un profond soupir, il déclara subitement :
—Finalement, je prendrais volontiers du thé.
Là-dessus, il s’assit dans un fauteuil face à elle… et eut le plaisir de constater le désarroi qui se peignit alors sur le visage de la belle Sabina. Il était clair qu’en dépit de son invitation initiale, elle n’attendait qu’une chose : qu’il s’en aille !
Que redoutait-elle ? Certainement l’arrivée de Richard qui ne manquerait pas de la convaincre d’accepter de poser pour lui.
—J’ai tout mon temps, précisa-t il d’un ton provocateur.
—Très bien, dit Sabina en se levant brusquement. Je vais donner des instructions à Mme Clark.
Et en profiter pour se remettre de ses émotions ! ajouta Brice in petto. Pourquoi Sabina redoutait-elle tant qu’il la peigne ? Qu’est-ce qui lui déplaisait tellement en lui ? Encore qu’il ne fût pas certain qu’il s’agît réellement d’hostilité à son égard. Il repensa alors à l’éclair de peur qu’il avait aperçu dans ses yeux, à la réception de Paul Hamilton…
Quel mystère cachait donc le sublime mannequin ? Dans quelles eaux troubles nageait son âme ?
Sabina ne se rendit pas directement dans la cuisine, mais se précipita vers la salle de bains pour s’asperger le visage d’eau froide, car ses joues la brûlaient.
Jamais elle n’aurait imaginé que McAllister aurait l’audace de venir chez elle, alors qu’elle avait systématiquement refusé de lui parler au téléphone.
Pauvre idiote ! Elle aurait pourtant dû s’en douter ! Brice McAllister était animé d’une détermination implacable. Ah, comme elle avait eu tort de l’éconduire ! Résultat : il la traquait jusque chez elle.
Bon, le mal étant fait, à quoi bon se lamenter ?
Il fallait réagir !
Dans une heure, Richard rentrerait à la maison. D’ici là, elle devait s’arranger pour que Brice McAllister ait bu son thé, et surtout s’ingénier à trouver toutes sortes d’empêchements afin de repousser le fameux rendez-vous aussi loin que possible dans le temps — rendez-vous qu’elle continuerait à remettre par la suite aux calendes grecques !
Cette seconde rencontre venait de la conforter dans son opinion : elle ne voulait pas que McAllister réalise son portrait. Non qu’elle doutât de son talent, bien au contraire ! D’ailleurs, elle savait pourquoi il était si doué : tout simplement parce qu’il allait au cœur des choses et des êtres.
Ses prunelles d’un vert perçant faisaient sauter le vernis social et plongeaient droit dans l’âme, mettant à nu des émotions profondément ensevelies. Fatalement, le peintre découvrirait le mur de protection qu’elle avait érigé autour d’elle pour maintenir les autres à distance. Et, tout aussi inexorablement, il voudrait savoir pourquoi elle n’était pas une jeune femme insouciante et heureuse, profitant sereinement de sa célébrité…
—Le thé sera servi dans quelques minutes, annonça-t elle en revenant au salon. Selon Richard, vous avez peint un remarquable portrait de votre cousine Darcy McKenzie.
—A ce qu’il paraît, répondit-il d’un ton abrupt, peu sensible à ses efforts de courtoisie.
—Il espère certainement que vous en ferez un aussi magnifique de moi.
—Et vous, Sabina, qu’espérez-vous ? rétorqua-t il tout à trac.
Pourquoi cette question ? s’étonna-t elle. Etait-il borné ? N’avait-il pas encore compris qu’elle ne souhaitait pas qu’il la peigne, mais qu’il s’en aille, et surtout, qu’il laisse intacte la carapace dans laquelle elle avait enfoui son être ?
—Euh… La même chose que lui, bien sûr. Oh, mais voici le thé.
Soulagée, elle se tourna vers Mme Clark et lui adressa un large sourire. La gouvernante avait reçu la consigne de servir uniquement du thé, sans les petits gâteaux secs qui allaient avec. Rien, en somme, qui fût susceptible de retarder le départ de Brice McAllister !
—Sans sucre, pour moi, s’il vous plaît, marmonna Brice tandis que la domestique quittait la pièce et que Sabina remplissait les tasses.
Voilà qui correspondait bien à la personnalité de cet homme, pensa-t elle. Apre et fort !
Brice avala une gorgée de thé brûlant puis, braquant son regard vers elle, il déclara tout à trac :
—Vous êtes comme chez vous, ici !
—Pourquoi ne le serais-je pas ? rétorqua-t elle en s’efforçant de ne pas paraître déconcertée par cette affirmation qui sonnait comme une accusation. J’habite ici, c’est ma maison.
Décidément, sa cohabitation avec Richard le perturbait, pensa-t elle. Curieux tout de même, pour un homme de trente-cinq ans. Etait-il vieux jeu ? A moins que ce ne fût la différence d’âge entre Richard et elle qui le contrariât ?
—Quand serez-vous libre pour des séances de pose ? demanda-t il soudain.
—Vous savez, durant les deux mois à venir, mon agenda est totalement rempli, et…
—Allons, il doit bien vous rester une petite heure libre quelque part, objecta-t il non sans ironie.
—Effectivement, mais alors j’en profite pour me reposer, dit-elle.
—Rester assise pendant que je réalise des esquisses ne sera pas particulièrement éreintant, insista-t il.
La position assise, non. Mais conserver un regard dénué d’expression pendant une heure pour se protéger du sien, si ! Terriblement fatigant, même !
—Navrée, mais j’ai oublié mon agenda chez un client, je vous appellerai dès que je pourrai vérifier mon emploi du temps.
—Demain, nous sommes samedi. Et le samedi, vous n’avez pas de rendez-vous professionnel, n’est-ce pas ?
Un élan de fureur la traversa. Ce n’était plus de la détermination, mais de l’acharnement ! Plus il sentait sa réticence, plus il insistait. Logique !
—Désolée, Richard et moi ne sommes pas à Londres ce week-end.
Soudain, elle entendit un bruit de moteur sous ses fenêtres. Richard ! Par pitié… Elle qui en général était heureuse de l’entendre rentrer sentit alors son cœur se serrer ! Car elle savait que ce dernier, en dépit de ses réticences, était décidé à obtenir ce maudit portrait.
—Dommage, répondit Brice sans deviner ses tourments, je me demandais si…
—Sabina ? Es-tu…
Richard s’interrompit brusquement quand il s’aperçut que sa fiancée n’était pas seule.
—Richard ! s’exclama cette dernière en se levant pour l’enlacer tendrement avant d’ajouter sur un ton insouciant : M. McAllister est venu prendre le thé.
Prendre le thé, vraiment ? pensa Brice, agacé. Il était venu pour l’obliger à lui accorder un rendez-vous, oui !
A cet instant, Sabina posa sur lui un regard inquiet…
Brice allait-il dévoiler à Richard la véritable raison de sa présence ici ? se demanda-t elle. Et lui rapporter le nombre précis de fois où il avait appelé pour prendre rendez-vous et s’était entendu répondre par la fidèle gouvernante : « Mlle Sabina est sortie » ?
Mon Dieu ! S’il informait Richard de ses dérobades, celui-ci en concevrait un vif mé*******ement. Et exigerait des explications dès qu’ils seraient seuls. Comment lui avouer alors qu’elle redoutait le regard de McAllister sur son âme ?
—Je suis venu personnellement vous prier de m’excuser, déclara subitement Brice. Je n’ai pas appelé pour prendre rendez-vous, ainsi que je l’avais promis. A ma décharge, je dois dire que j’ai été fort occupé ces derniers temps.
Elle le regarda, stupéfaite… C’était lui qui présentait des excuses ? Lui qui invoquait un emploi du temps chargé ?
—Je vous en prie, inutile de vous justifier, répondit Richard. Eh bien, êtes-vous finalement convenus d’un rendez-vous ?
A ces mots, Sabina lança une œillade désespérée à Brice…
Allait-il encore la sauver ? se demanda-t elle, le cœur battant. Certes, il avait déjà menti une fois pour elle, mais elle se demandait bien pourquoi, dans la mesure où sa propre attitude envers lui ne pouvait en aucun cas inciter à la complicité ! De son côté, Brice n’avait donné aucun signe de galanterie auparavant.
—Je crois que oui, répondit ce dernier dans un large sourire.
D’accord, elle venait de comprendre ! Il avait menti dans le dessein de la placer au pied du mur et de la contraindre à lui accorder un rendez-vous !
—J’étais en train de dire à M. McAllister que…
—Brice, corrigea ce dernier.
—Je disais à Brice, répéta-t elle, vaguement irritée, que je suis libre mardi après-midi.
—Et moi, je félicitais Sabina d’avoir une si bonne mémoire car elle n’a même pas eu besoin de consulter son agenda. Pour ma part, sans lui, je suis perdu, précisa Brice, en la regardant d’un air ouvertement moqueur.
Le fourbe ! pensa-t elle. Comment osait-il se moquer d’elle si effrontément, sachant qu’elle ne pouvait se défendre ?
—A 3 heures, alors ? ajouta-t il.
Un sourire éclatant éclaira son visage lorsqu’il tendit sa carte de visite à Sabina. Visiblement, il était satisfait de lui-même, se dit-elle en saisissant brutalement la carte qu’il lui présentait.
—Je ne pourrai pas t’accompagner, annonça Richard, mais je prierai Clive de venir avec toi.
—A dire vrai, je n’aime guère avoir de spectateurs lorsque je travaille, précisa Brice.
—Oh, Clive est un homme fort discret ! lui assura Richard. Néanmoins, si sa présence vous importune, je lui demanderai d’attendre dans la voiture, à l’extérieur.
—Merci, je préfère, répondit Brice.
Et elle, pensa-t elle amèrement, personne ne lui demandait si cela ne l’importunait pas de passer une heure seule avec lui, dans son atelier ?

 
 

 

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CHAPITRE 3


Il voulait percer le mystère de sa froideur et de sa distance, et découvrir pourquoi Richard Latham faisait exception à la règle. Ce qui le troublait par-dessus tout, c’était la vulnérabilité qui émanait malgré elle de son être. En dépit de tous les efforts qu’elle prodiguait pour paraître hors d’atteinte.
Sabina était riche, belle, célèbre, elle avait le monde à ses pieds et des honoraires au moins égaux aux actrices les mieux payées d’Hollywood et pourtant…
C’était précisément ce « et pourtant » qui allait finir par l’obséder ! Il soupira, agacé. Cet après-midi, il espérait résoudre l’énigme Sabina Smith.
En rentrant chez lui, il repensa à sa conversation avec Chloe. Il avait juste fait une brève allusion à Sabina et pourtant il était certain que d’ici à ce soir, toute la famille saurait qu’il avait questionné sa cousine au sujet du célèbre mannequin !
Il arriva à l’atelier bien avant l’heure de leur rendez-vous. 3 heures sonnèrent sans que Sabina apparaisse… Allait-elle lui jouer un mauvais tour ? Après quatre jours d’attente et d’anticipation, elle ne pouvait pas ne pas venir ! Au fur et à mesure que les minutes passaient, Brice sentait croître sa fureur, ne doutant pas un instant que Sabina avait délibérément « oublié » le rendez-vous. Il…
La sonnerie retentit brusquement.
3 h 25 ! Aucun coup de téléphone pour l’avertir de son retard, et pourtant il savait que c’était elle. Il s’efforça de prendre un air dégagé et d’effacer toute trace d’agacement sur son visage. Si elle s’attendait à ce qu’il fût furieux, eh bien, elle allait être déçue !
— Navrée pour le retard, lui dit-elle en entrant dans l’atelier. J’arrive d’une séance photos. On m’avait promis que je serais libre à 2 heures, mais…
— Peu importe, vous êtes là à présent, l’interrompit-il, ne sachant si elle lui jouait la comédie ou disait la vérité. Avez-vous déjeuné ?
— Non, mais…
— Je vais demander qu’on vous prépare un sandwich.
— Inutile, je mangerai plus tard.
— Un thé, alors ? Ou un café ?
Bon sang ! Elle était d’une beauté époustouflante dans son chemisier en Lycra moulant, de la même couleur que ses yeux, et son pantalon noir qui épousait tout aussi étroitement ses formes. Aujourd’hui, ses cheveux détachés formaient un épais rideau d’or dont les franges venaient caresser le creux de ses reins…
Du calme, Brice ! s’ordonna-t il en se mettant en quête de son carnet de croquis et de ses crayons.
— Je boirais volontiers un café, répondit-elle.
Comme il se dirigeait vers le téléphone pour prier sa domestique de préparer du café et de le monter à l’atelier, il ne put s’empêcher de demander :
— Comment va Clive ? Dois-je lui faire servir une tasse de café à lui aussi ?
— Inutile ! fit-elle d’un ton froissé avant d’ajouter sèchement : où dois-je m’asseoir ?
— Sur le canapé.
Il ignorait encore comment la peindre… Allait-il réellement pouvoir rendre justice à sa beauté ? En outre, ce n’était pas seulement sa beauté qu’il voulait capter, mais ce qu’il y avait au-delà, à l’intérieur de son être. Il était résolu coûte que coûte à faire tomber ses barrières et à atteindre cette Sabina-là…
Le soleil de mai entrait à flots par l’immense baie vitrée de l’atelier et projetait ses rayons sur le canapé. A l’extérieur, le jardin flamboyait de couleurs et le foisonnement des fleurs multicolores apaisa Sabina.
— Est-ce vous qui entretenez votre jardin ? lui demanda-t elle soudain.
— Pardon ?
Tournant ses regards vers lui, elle s’aperçut qu’il avait commencé à travailler.
— Oh, navrée ! fit-elle, non sans éprouver un certain agacement à l’idée qu’il l’avait croquée à son insu, alors qu’elle admirait ses fleurs. Vous avez donc commencé ?
— Quelques traits, répondit-il en plongeant son regard vert dans le sien. Et pour répondre à votre question, oui, c’est moi qui entretiens mon jardin. Cela me détend, lorsque je suis resté des heures enfermé dans mon atelier. Et vous, aimez-vous jardiner ?
— Autrefois, oui…, fit-elle, une pointe de nostalgie dans la voix.
— Avant que le travail ne vous happe tout entière, n’est-ce pas ? dit-il en souriant.
— Oui, c’est à peu près ça, répondit-elle tandis qu’un nuage passait dans ses yeux.
Le fait qu’elle ait arrêté de jardiner n’avait rien à voir avec son activité professionnelle. Non, c’était simplement parce qu’elle n’habitait plus son charmant petit cottage… Allons ! Elle ne devait pas s’abandonner au sentimentalisme ! Et puis, ce n’était tout de même pas auprès de Brice McAllister qu’elle allait s’épancher.
— A peu près ça ? reprit-il doucement.
Sabina changea de position et déclara dans un soupir :
— Je doute que je fasse un très bon modèle. Je n’arrive pas à rester assise sans bouger très longtemps.
— Vous pouvez vous lever et marcher, si vous préférez. D’ailleurs, je ne suis pas certain que la position assise soit celle que j’adopterai pour vous.
Ah bon ? Et quelle position jugeait-il adéquate pour elle ? se demanda-t elle en se levant. Tout en faisant les cent pas dans l’atelier, elle inspecta la pièce du regard : des toiles étaient entassées contre les murs et sur les étagères, les pots de peinture et les pinceaux se disputaient l’espace. Bref, il régnait le joyeux désordre d’un atelier d’artiste, avec le minimum de mobilier — en l’occurrence, la chaise sur laquelle Brice était assis, une table maculée de peinture et le divan sur lequel elle s’était installée.
— Voilà le café, annonça jovialement Mme Potter en entrant dans l’atelier.
Comme Brice l’avait prévu, elle avait préparé des petits en-cas, et tranché le cake aux fruits confectionné par ses soins, dans la matinée.
— Merci, lui dit Sabina, ravie.
Mmm, pensa-t elle en les dégustant, ces toasts étaient tout simplement délicieux. Finalement, elle était affamée !
— Sautez-vous souvent des repas ? lui demanda subitement Brice.
— Cela m’arrive, quand je n’ai pas le temps de manger. Ne croyez pas que je me prive de nourriture ! J’ai la chance de ne pas grossir, quoi que j’avale.
A cet instant, les yeux de Brice glissèrent sur le corps de Sabina et elle regretta sa remarque. Son regard était si inquisiteur, si…
— A quand le mariage ?
Elle sursauta. Avait-elle bien entendu ?
— Pardon ?
— Si j’ai bien compris, le portrait que je vais réaliser sera le cadeau de mariage de Richard. Aussi je me demandais de combien de temps je disposais pour le réaliser.
— Je crains que vous n’ayez mal interprété les propos de Richard, objecta-t elle en sourcillant.
Jamais il n’avait été question que leur arrangement débouche sur un mariage…
— Richard m’a pourtant donné l’impression que la date de la noce était imminente.
— Vraiment ? dit-elle, persuadée que Brice se trompait.
— Mais oui ! Vous avez une grande différence d’âge, n’est-ce pas ?
Elle se mit à rougir violemment. Qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire ? se révolta-t elle en silence. Cela ne le regardait absolument pas !
— C’est comme l’union du printemps et de l’automne, insista Brice, non sans dérision.
— A vingt-cinq ans, on peut difficilement me comparer au printemps, rétorqua-t elle sèchement. L’analogie avec l’été serait plus adaptée. Mais de nos jours, l’âge n’a guère d’importance.
— De nos jours ? reprit-il ironiquement. Vous croyez donc que c’est une question de mode ?
Cet homme était décidément infernal ! Richard et elle étaient uniquement amis, et il s’était certainement mépris sur les propos de son « fiancé ».
— Ecoutez, commença-t elle, visiblement agitée, je suis venue ici pour que vous fassiez des croquis de moi, et non pour subir vos questions sur ma vie personnelle, d’accord, monsieur McAllister ?
— M. McAllister s’appelle Brice, déclara-t il alors.
— Pour moi, vous êtes M. McAllister, répliqua-t elle avec hauteur.
— Comme vous voudrez, fit-il, résigné. Pouvez-vous prendre place près de la cheminée ?
Voilà à présent qu’il faisait comme si cette conversation très personnelle n’avait jamais eu lieu ! Furieuse, elle se plaça là où il le lui avait indiqué.
— Les vêtements que vous portez ne conviennent pas. Comprenez-moi bien ! Ils vous vont à ravir, mais ils ne sont pas adaptés à la façon dont je compte vous peindre.
— Et comment comptez-vous me peindre, exactement ?
Sans répondre, il poursuivit son esquisse, d’un air fort concentré. Elle resta immobile, adoptant son fameux regard figé, celui pour lequel elle optait lors des séances de photos. Un maître était à l’œuvre et elle était l’objet qui servait son art. En tant que personne, elle n’existait pas, et cela lui convenait parfaitement. Elle était ici contre sa volonté et la dernière chose qu’elle voulait, c’était établir une intimité quelconque avec McAllister.
— Devrez-vous en faire beaucoup ? demanda-t elle au bout d’une bonne demi-heure, commençant sérieusement à se lasser.
— Beaucoup de quoi ? fit-il en relevant la tête, visiblement absorbé par son travail.
— De croquis ! Ces séances se renouvelleront-elles souvent ?
Réservant sa réponse, il continua de dessiner.
C’était réellement un fort bel homme, reconnut-elle à son corps défendant. Ses cheveux, longs et noirs, lui conféraient un faux air de tsigane. Quant à ses yeux, aussi verts que troublants, ils étaient dignes d’une star de cinéma.
— Pourquoi ? finit-il par demander.
— Comme je vous l’ai dit, je suis…
— Très occupée, oui, je sais. Vous me l’avez précisé plusieurs fois, je crois que j’ai compris. La question est : pourquoi êtes-vous si prise ?
Il lui lança un regard moqueur avant d’ajouter :
— Ne me dites pas que vous travaillez pour vivre. Depuis sept ans, vous avez dû accumuler un joli petit pécule. Qu’est-ce qui vous pousse à travailler sans relâche, Sabina ?
Une raison simple : lorsqu’elle se plongeait à corps perdu dans le travail, elle ne pensait plus à rien et dormait à poings fermés la nuit, sans ressasser le passé !
— Pour rester l’un des top models les plus demandés, répondit-elle calmement.
— Est-ce si important que cela ?
Sa question la fit rougir. Néanmoins, elle rétorqua sur un ton caustique :
— Et pour vous, monsieur McAllister, n’est-il pas important de demeurer au top du marché de l’art ?
D’accord, les métiers de mannequin et d’artiste peintre ne requéraient pas les mêmes talents, il n’empêche qu’elle se sentait une âme d’artiste. Elle mettait en valeur le génie des grands couturiers, inspirait les meilleurs photographes ; elle possédait un don pour exalter le talent des autres !
— Touché ! concéda-t il de mauvaise grâce. Seulement, je conçois mal qu’on ait envie de faire votre métier ad vitam aeternam.
— Que cherchez-vous à faire ? Me blesser, me provoquer — ou bien est-ce que la goujaterie est une seconde nature, chez vous ?
— Peut-être un peu des deux, qui sait ?
Ils se jaugèrent durement.
— Vous vous moquez de tout, n’est-ce pas ? dit-elle dans un souffle, déconcertée par l’arrogance de Brice.
Oh, comme elle aurait aimé être aussi insouciante qu’autrefois !
Alors elle aurait éclaté de rire, oui, elle aurait ri d’elle-même et de lui. Mais la personne qu’elle était autrefois avait définitivement disparu. Et Sabina doutait qu’elle revînt un jour.
— Il est temps que je parte, décréta-t elle d’un air las en regardant sa montre.
Il l’observait intensément, cherchant à deviner ce qui agitait ses grands yeux bleus, les troubles pensées qui se formaient derrière son beau front lisse…
— Déjà ? dit-il.
— J’ai un autre rendez-vous.
— Chez vous, avec Richard ? fit-il en se relevant, déployant son immense silhouette qui sembla alors remplir tout l’atelier.
Elle recula d’un pas, prise soudain de claustrophobie. Le regard toujours enchaîné au sien, Brice se rapprochait d’elle, lentement, avec une souplesse toute féline… Il était si proche d’elle à présent qu’elle sentait son souffle sur sa joue, la fragrance de son after-shave.
— Je dois vraiment partir, dit-elle d’une voix étranglée, sans esquisser cependant le moindre geste en ce sens.
— Eh bien, qu’est-ce qui vous retient ? lui souffla-t il au visage.
Ses jambes ! Elles étaient en coton et refusaient de lui obéir ! Sabina avait l’impression qu’elle allait s’effondrer d’un instant à l’autre. Elle se faisait l’impression d’un lapin affolé, surpris par les phares d’une voiture et qui, au lieu de sauter dans le fossé, demeurait sur la chaussée, hébété.
Brice était décidément un homme dangereux, elle l’avait senti d’emblée ! S’humectant les lèvres du bout de sa langue, elle répondit :
— J’attends que vous me laissiez passer…
A ces mots, il s’écarta.
— Je vous en prie, dit-il avec une courtoisie affectée.
Dans un ultime effort, elle se dirigea vers la porte.
— Je vous appellerai, ajouta-t il.
Une main tremblante posée sur la poignée, elle se retourna lentement.
— Pardon ?
— Afin de prendre rendez-vous pour une prochaine séance, précisa-t il d’un air amusé.
Que venait-il de se passer ? se demanda-t elle. Il s’était juste approché un tout petit peu trop d’elle, et alors ?
Sornettes !
Elle savait parfaitement qu’il s’était produit autre chose entre eux, de curieuses ondes sur lesquelles elle préférait ne pas s’attarder…
— Me ferez-vous l’honneur de me répondre, cette fois ? poursuivit-il.
— Si je suis chez moi, évidemment !
— Si tel n’est pas le cas, je suis certain que Richard pourra convenir d’un rendez-vous pour vous.
— Contrairement à ce que vous insinuez, monsieur McAllister, je gère moi-même mon emploi du temps.
— Curieux, ce n’est pas l’impression que j’ai eue lors de notre première rencontre.
Elle le fixa un instant en silence, avant de lui asséner d’une voix blanche :
— Je me fiche comme d’une guigne de ce qu’était — ou n’était pas — votre impression lors de notre première rencontre. Et pour tout vous dire, rien chez vous ne présente le moindre intérêt à mes yeux.
— Rien du tout ?
— Non ! fit-elle d’un ton rageur. Au revoir, monsieur McAllister.
— A très bientôt, Sabina.
Elle ne releva pas son ultime provocation et referma soigneusement la porte derrière elle. Enfin libre…
Une fois installée à l’arrière de la confortable limousine, elle s’autorisa à repenser à la séance en regardant distraitement le paysage urbain défiler derrière la vitre fumée.
Elle n’aimait pas la façon dont McAllister la dévisageait. Pas plus qu’elle n’appréciait le ton très personnel sur lequel il s’adressait à elle. Ou encore la manière dont il s’était approché d’elle, tout à l’heure, avant qu’elle ne parte, comme s’ils étaient intimes.
Bref, elle ne l’aimait pas !
Comment allait-elle bien pouvoir s’y prendre pour ne jamais retourner dans son atelier ?

 
 

 

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ÞÏíã 10-03-10, 06:57 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 5
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CHAPITRE 4


Brice passa la semaine suivante à se maudire pour la façon dont il s’était comporté avec Sabina lors de la séance de croquis qu’elle avait bien voulu lui accorder.
Dès leur première rencontre, il avait reconnu en elle l’éclair qui brille dans les yeux des biches traquées. Pourquoi, alors, avait-il fallu qu’il cherche systématiquement à la provoquer ? Quel démon intérieur l’avait donc conduit à se moquer d’elle ? Il avait tout simplement été aveuglé par sa volonté d’aller au-delà de l’image publique qu’elle entretenait soigneusement.
Résultat : il n’était parvenu qu’à se rendre antipathique !
Oh, cette fois-ci, elle avait accepté de répondre à ses coups de téléphone ! Elle avait pris ses quatre appels, mais à chaque fois elle avait trouvé une excuse des plus légitimes pour décliner toutes les dates qu’il lui proposait en vue d’une deuxième séance de travail.
Lors de leur dernière conversation téléphonique, Sabina avait cependant fait une concession. Elle pouvait lui accorder une petite heure, ce matin, mais… chez elle ! Et vraisemblablement sous l’œil vigilant de Richard, avait-il alors pensé.
Autant dire que cette proposition ne l’enchantait guère. Néanmoins, comme il n’en était qu’au stade des croquis, il pouvait, il est vrai, se rendre chez elle. Et, de toute façon, il n’avait pas le choix.
Après tout, se dit-il en découvrant une Sabina fort détendue dans sa résidence de Mayfair, peut-être cette solution n’était-elle pas si mauvaise que cela ? D’autant que la belle était seule. Nulle trace de Richard à l’horizon…
Ce matin, elle incarnait la quintessence de l’hôtesse charmante. En outre, elle était vêtue avec beaucoup de distinction : un corsage beige et une jupe noire, qui lui arrivait juste au-dessus des genoux. Sa chevelure était rassemblée en un chignon sage et bas.
Une évidence s’imposa alors à lui : ce n’était pas cette Sabina-là qu’il voulait peindre !
— On s’entraîne à jouer son futur rôle de maîtresse de maison ? railla-t il, peu après lui avoir dit bonjour.
Ç’avait été plus fort que lui !
Il était pourtant arrivé plein de bonnes intentions et bien résolu à s’en tenir à un échange professionnel afin de la mettre à l’aise. Hélas ! Cette image si lisse qu’elle s’appliquait à donner d’elle-même avait suffi à raviver le démon qui sommeillait en lui. De toute évidence, par cette tenue, elle avait surenchéri dans la protection dont elle s’entourait habituellement. Nul doute que la séance à l’atelier l’avait sensiblement ébranlée !
— Vous aviez raison, Brice, lorsque vous affirmiez la dernière fois que la goujaterie était une seconde nature chez vous, repartit-elle alors calmement.
D’accord, il aurait dû s’excuser… mais il n’y parvint pas.
Quelque chose dans son être, sa personnalité, lui donnait envie de la prendre par les épaules et de la secouer. Il voulait l’entendre rire… ou pleurer, bref, lui arracher des émotions, que diable ! Néanmoins, s’il passait à l’acte, il risquait fort d’être à jamais banni de chez elle ! Il convenait d’opérer de façon plus subtile.
— Vous avez bonne mémoire, se *******a-t il d’observer avant d’ajouter sèchement : navré, mais il va falloir dénouer vos cheveux.
Là-dessus, il prit place sur une chaise, carnet de croquis et crayon en main.
— C’est impossible, décréta-t elle. J’ai un déjeuner juste après notre séance et je n’aurai pas le temps de refaire mon chignon.
La peste ! pensa Brice, fort énervé. Elle avait donc décidé de lui donner du fil à retordre !
— Avec qui ? fit-il. Votre confesseur ?
Elle le fixa durant quelques instants sans ciller et, dans les profondeurs de ses prunelles bleutées, il vit briller un bref éclair de colère.
— J’ai rendez-vous avec ma mère ! précisa-t elle froidement.
Il lui lança un regard étonné puis déclara :
— Vous êtes top model… et votre mère aime vous voir dans une tenue pareille ?
Finalement, ce n’était pas à cause de lui qu’elle s’était accoutrée de la sorte, mais pour sa mère. Voilà où menait la vanité, McAllister ! se dit-il, piqué au vif.
— Que reprochez-vous donc à ma tenue ? demanda-t elle, la voix vibrant de ressentiment.
Objectivement, il était difficile de critiquer ses vêtements. Elle était d’une élégance irréprochable, mais sa coiffure et sa mise masquaient toute sa personnalité ! Impossible de déceler en elle, ce matin, la beauté provocante du mannequin Sabina.
Mue par le besoin de se défendre, elle enchaîna sans attendre sa réponse :
— Ma mère vit en Ecosse depuis le décès de mon père, et je la vois rarement. C’est une femme qui déteste l’excentricité.
— C’est-à-dire ?
Elle soupira longuement, puis commença d’une voix chargée de tristesse :
— Mes parents enseignaient l’histoire à l’université d’Edimbourg, et se consacraient entièrement à leur carrière. Je crois qu’en réalité, ils ne voulaient pas d’enfant, mais un accident est si vite arrivé…
Elle émit un petit rire dérisoire avant de poursuivre :
— Ils étaient relativement âgés quand je suis née ; ma mère avait quarante et un ans et mon père quarante-six. Aujourd’hui, évidemment, on voit les choses différemment, mais à l’époque… Toujours est-il que mon père a, me semble-t il, mieux accepté sa paternité que ma mère sa maternité. Naturellement, lui n’a pas dû arrêter d’enseigner pendant cinq ans pour s’occuper de moi !
C’était bien la première fois que Sabina se livrait autant. Ce qui en disait long sur sa nervosité !
— Votre naissance a constitué un bouleversement total pour eux, lui dit-il.
Et pas seulement sa naissance, pensa-t il. Comment s’étaient-ils accommodés de sa beauté frappante ? Car nul doute qu’enfant, elle devait déjà avoir l’air d’un ange sorti tout droit du paradis.
— J’ai eu effectivement une enfance étrange, dit-elle d’un ton mélancolique.
Et certainement très solitaire, réalisa Brice. Une enfance aux antipodes de la sienne, lui qui avait été élevé par des parents jeunes et joyeux et qui passait tous ses étés en Ecosse, dans le château de son grand-père, avec ses cousins Logan et Fergus. Il avait réellement le sentiment d’appartenir à une fratrie. Au clan des McDonald.
— A qui ressemblez-vous ? demanda-t il doucement, désireux de ne pas rompre le charme, car il avait le sentiment que Sabina évoquait rarement son enfance.
— A mon père, dit-elle en esquissant un vague sourire — sourire qui disparut totalement lorsqu’elle précisa : il est mort il y a cinq ans.
— Je suis désolé, dit-il d’un ton sincère, tout en se demandant s’il ne tenait pas là la clé de sa relation avec Richard.
Ne recherchait-elle pas une figure paternelle auprès de cet homme plus âgé ?
— Il souffrait d’un cancer depuis des années, sa disparition a été une délivrance pour lui, confia-t elle. Mon plus vif regret, c’est qu’il n’ait pas été là lorsqu’on m’a remis ma licence d’histoire…
Elle s’interrompit et, devant son expression étonnée, elle lui décocha un superbe sourire avant d’ajouter d’un ton dérisoire :
— Eh oui, Brice, je n’ai pas toujours été top model à plein temps ; je suis allée à l’université, vous savez.
Allusion directe à ses remarques désobligeantes sur le métier de mannequin, la dernière fois, se dit-il, presque honteux. Comme il regrettait son arrogance ! Il l’avait jugée sans la connaître. Pas étonnant qu’elle veuille le tenir à distance !
Soudain, il l’entendit ajouter :
— En tant que grand défenseur de la cause féministe, ma mère désapprouve la voie que j’ai choisie.
— Et que pense-t elle de votre vie en concubinage avec Richard Latham ?
A peine eut-il terminé sa phrase, qu’il la regrettait déjà. Bon sang ! Il venait de commettre un sérieux impair. De fait, ce n’était pas réellement l’opinion de Mme Smith qui le préoccupait. Sa question exprimait davantage son indignation à lui, à l’idée que la belle Sabina partageât la vie — et le lit — de Richard Latham.
— Vous êtes bien trop indiscret, monsieur McAllister ! rétorqua-t elle, furieuse, en le fusillant du regard.
Certes, la question de Brice l’avait agacée ! Néanmoins, elle était surtout en colère contre elle-même pour les confidences qu’elle venait de lui faire.
— En parlant de Richard… Votre fiancé n’est pas à la maison, aujourd’hui ?
— Il est à New York jusqu’à demain.
Sur une impulsion, il demanda :
— Dans ces conditions, accepteriez-vous de dîner avec moi ce soir ?
Sa question le stupéfia lui-même… Comment osait-il inviter une femme déjà fiancée au restaurant ? Et qui plus est, une femme qui ne lui avait donné aucun signe encourageant ! Bien au contraire !
Sabina paraissait aussi suffoquée que lui.
Ses joues étaient devenues toutes pâles, aussi pâles que l’albâtre, et ses yeux insondables le fixaient d’un air stupéfait.
A cet instant, comme pour reprocher à Brice son audace, un rayon de soleil vint jouer sur le diamant de Sabina qui se mit à scintiller de tous ses feux. Le cadeau de Richard Latham…
— Ce n’était pas une bonne idée, excusez-moi, marmonna-t il alors, confus. Enfin, ce n’était qu’une invitation à dîner, Sabina, sans arrière-pensées.
Elle le fixait toujours d’un air égaré…
A cet instant, on frappa à la porte.
— Entrez, fit-elle d’une voix rauque.
— Vous m’aviez priée de vous apporter le courrier dès qu’il arriverait, précisa Mme Clark en lui tendant une liasse d’enveloppes.
— Merci beaucoup, répondit Sabina en lui adressant un beau sourire.
Quelle incroyable faculté à recouvrer une contenance ! pensa alors Brice. Comme il regrettait ses propos ! Elle n’avait déjà pas une grande opinion de lui, mais il venait de sonner le glas de leur relation !
Certes, il n’espérait pas que toutes les femmes tombent à ses pieds, mais il n’était pas habitué à ce qu’on le prenne en grippe dès le premier regard, comme cela avait été le cas avec Sabina. Et, contre toute attente, plus elle était inamicale, plus elle l’intéressait !
— Ecoutez, déclara-t il subitement en se levant, je crois qu’il est préférable que nous en restions là, aujourd’hui. De toute évidence…
Il s’interrompit subitement. Sabina venait de laisser tomber son paquet de lettres et paraissait totalement tétanisée. Ce n’était tout de même pas lui qui…
— Sabina, que se passe-t il ? s’enquit-il, inquiet.
A cet instant, elle se baissa pour ramasser son courrier… et chancela. Se précipitant vers elle, il la prit fermement par le bras et l’aida à s’asseoir sur une chaise.
Puis, d’un pas décidé, il se dirigea vers le bar, lui servit un double whisky et le lui tendit.
— Non, merci, dit-elle, le souffle court. Je doute que ma mère apprécie les effluves de whisky.
— Ma proposition vous répugne donc à ce point ? demanda-t il alors, hésitant lui-même à vider le verre.
— Pardon ? fit-elle, visiblement surprise par sa question.
Ce n’était donc pas son invitation qui l’avait mise dans cet état. Dans ces conditions, pourquoi avait-elle failli s’évanouir ?
Ce fut alors qu’il remarqua qu’elle serrait une enveloppe vert pâle entre ses doigts crispés. Elle la serrait si étroitement que la lettre en était froissée et ses phalanges blanchies…
— Sabina…, commença-t il.
Brusquement, elle se leva et annonça :
— Votre proposition ne me contrarie absolument pas, bien au contraire, je trouve que c’est une excellente idée.
Curieux ! Si Mme Clark n’était pas venue les interrompre, il doutait fort qu’elle eût répondu favorablement à son invitation. Néanmoins, pour une raison inconnue de lui, la seule vue de cette mystérieuse lettre verte — qu’elle n’avait même pas lue — l’avait perturbée au point qu’elle avait accepté son invitation à dîner.
Le mystère s’épaississait…
— Parfait, répondit-il avant qu’elle ne change d’avis. Je passerai vous prendre à 19 h 30. Cela vous convient-il ?
— Entendu, dit-elle, visiblement pressée de le voir partir.
Etait-ce afin de pouvoir lire le contenu de l’enveloppe vert pâle ? se demanda Brice.
— Dois-je réserver pour trois ou Clive patientera-t il dans la voiture ?
— Je suis certaine que nous pourrons nous passer de lui, répondit-elle, tendue, en jetant un coup d’œil à sa montre. Désolée, nous n’avons pas avancé ce matin, mais à présent, je dois partir.
— Je comprends, vous ne devez pas faire attendre votre mère, dit-il en lui souriant gentiment.
Contrairement à ce qu’elle croyait, ils avaient énormément progressé ce matin : il avait beaucoup appris à son sujet — sur son enfance, ses relations avec ses parents.
Et pourtant, il repartait frustré ! Car ce qu’il aurait réellement aimé savoir, c’était ce que contenait la lettre qui l’avait étrangement bouleversée.
L’interrogerait-il ce soir, à ce sujet ? Peut-être… Il avait tout l’après-midi pour méditer là-dessus.
— Un appel pour vous, Mlle Sabina, l’informa Mme Clark en fin d’après-midi, lorsque la jeune femme décrocha le téléphone de sa chambre. M. Latham.
— Passez-le-moi ! s’exclama-t elle chaleureusement.
Après la drôle de journée qu’elle venait de vivre, elle avait envie d’entendre le son rassurant de sa voix.
— Richard ! Comment vas-tu ? Oh, ne me dis pas que tu dois repousser ton retour ?
— Allons, allons, une question à la fois ! Oui, je vais bien, et non, mon retour n’est pas repoussé, je serai à la maison demain, comme prévu. J’avais juste envie de savoir comment tu allais.
Cela faisait quatre jours qu’il était parti et jusque-là, elle n’avait pas vu le temps passer, car elle avait été fort occupée. Et puis ce matin, tout avait basculé ! Et depuis, elle ne souhaitait qu’une chose : qu’il rentre le plus rapidement possible à Londres.
— Je vais bien, mentit-elle. Très prise par le travail, comme toujours.
— Et qu’as-tu prévu de beau, pour ce soir ?
— Oh… Eh bien, je vois McAllister.
— Parfait ! Comment se déroulent les séances ? Le grand homme est-il enfin descendu de sa tour d’ivoire et s’est-il rendu compte que tu es la plus belle créature qu’il ait jamais peinte ?
— Hum… Pas vraiment, répondit-elle, réalisant que Richard s’était mépris sur le sens de ses propos et avait cru qu’elle rencontrait Brice McAllister pour une séance de travail.
Non qu’elle ne fût jamais sortie au restaurant avec un autre homme depuis qu’elle vivait sous le toit de Richard ! Son travail la conduisait souvent à accepter ce genre d’invitations. Mais le dîner avec Brice n’entrait pas dans cette catégorie. Avalant une large bouffée d’air, elle commença :
— En fait, Richard, je…
— Un instant, Sabina, on essaie de me joindre sur mon autre ligne. Ne quitte pas…
Plus elle attendait, et plus le courage lui manquait. Richard apprécierait-il qu’elle dîne avec un homme pour des raisons non directement professionnelles ?
Voilà qu’elle redoutait ce dîner, à présent. Oh, pourquoi avait-il fallu que Brice fût là précisément au moment où elle avait reçu la lettre ? Elle s’était ensuite trouvée dans un tel état de confusion que, désireuse qu’il parte au plus vite, elle avait accepté son invitation.
— Désolé, Sabina, reprit enfin Richard. Mon rendez-vous est arrivé, je dois te quitter. Je te rappellerai plus tard dans la soirée, d’accord ?
— Euh… A dire vrai, je comptais me coucher tôt, ce soir, mentit-elle pour la deuxième fois. Je viendrai t’attendre à l’aéroport, demain.
Et elle pourrait enfin lui expliquer tranquillement que Brice McAllister l’avait invitée à dîner !
— Inutile de te déplacer jusqu’à Heathrow, envoie Clive, cela suffira.
Non, elle viendrait l’accueillir. Il serait plus facile de faire des confessions à l’arrière de la banquette de la limousine…
— Je n’ai rien à faire demain, et cela me ferait vraiment plaisir de venir te chercher.
— Comme tu voudras. A demain.
Génial ! pensa-t elle avec dérision en raccrochant. Non seulement elle allait dîner en tête à tête avec un homme qu’elle s’était ingéniée à fuir jusqu’à présent, mais en plus elle avait menti à son fiancé à ce sujet.
Fallait-il que Brice la rende nerveuse pour qu’elle agisse contre son gré ! Tout cela, c’était la faute de ses yeux verts. Des yeux qui vous transperçaient jusqu’au plus profond de votre être, et auxquels rien n’échappait.
Nul doute qu’il était conscient de ses réticences à poser pour lui. Des réticences qui l’avaient conduite à trop parler. Elle d’ordinaire si réservée ne parvenait pas à s’expliquer ses confidences sur son enfance, ce matin.
En outre, elle était convaincue que Brice avait compris que c’était l’enveloppe verte qui l’avait plongée dans un état d’agitation intense.
La dernière qu’elle avait reçue remontait à trois semaines. Durant cette longue période, elle avait presque nourri l’espoir que le calvaire était terminé. Voilà pourquoi ce matin, à la réception de la lettre, elle avait été si bouleversée !
Et le déjeuner avec sa mère n’avait absolument pas arrangé les choses !
— Etes-vous convenus d’une date de mariage, Richard et toi ? lui avait demandé cette dernière tandis qu’elles dégustaient leur salade aux crevettes.
Sabina avait manqué s’étrangler.
McAllister, sa mère à présent… mais qu’avaient-ils donc tous à vouloir la pousser au mariage ?
— Pas encore, avait-elle répondu. Nous ne sommes pas pressés.
Comme tout le monde, sa mère ignorait l’arrangement qui la liait à Richard. Une mère qui était l’incarnation de la perfection, pensa-t elle alors. Tout en Leonore Smith était soigné, de ses ongles à sa tenue vestimentaire, en passant par sa syntaxe. Oh, Sabina adorait sa mère, seulement… elle était incapable de communiquer avec elle ! Et chaque fois qu’elle la rencontrait, elle avait l’impression d’être sur la sellette.
— Si je te pose cette question, précisa Leonore, c’est que je projette de faire un petit voyage, à l’automne. Je ne voudrais pas que ton mariage ait lieu durant cette période.
— Excellente idée ! répondit Sabina, sans prêter attention à la dernière phrase. Et où comptes-tu aller ?
— Nous n’avons pas encore choisi notre destination, répondit-elle en avalant une gorgée de vin. Je… Je pars avec une connaissance. Il se peut que nous nous rendions à Paris, c’est une ville où l’on peut se divertir…
Se divertir ? Etait-ce bien sa mère qui venait de prononcer ce mot ?
— Et cette amie, je la connais ?
A ces mots, Leonore rougit légèrement et détourna les yeux. Mon Dieu ! Cette connaissance, c’était un homme ! réalisa Sabina, choquée.
Pourquoi cette nouvelle la bouleversait à ce point, mystère ! Après tout, sa mère était encore une fort belle femme pour ses soixante-six ans. Elle était toujours aussi mince et blonde qu’à trente. Mais de là à ce qu’elle fît une escapade romantique à Paris…
Décidément, se dit-elle en regardant une dernière fois son reflet dans le miroir avant de rejoindre Brice, elle venait de vivre une bien mauvaise journée !
Hélas, elle n’était pas encore terminée. Qu’allait lui réserver la soirée ?

 
 

 

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