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ÇáÊÓÌíá

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ÇáÊÓÌíá: May 2008
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est ce qu'il ya sous forme pdf

 
 

 

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ÇáÊÓÌíá: Feb 2008
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Ciao

 

chapitre 7


Emma, le cœur serré, pensait à sa grand-mère. Elle aurait aimé lui parler, lui confier le bouleversement soudain de sa vie, lui ouvrir son âme. « Ma pauvre grand-mère, si tu savais comme les choses sont difficiles pour moi, en ce moment. Tu ne peux pas savoir… »
— Et si vous me parliez un peu de vous, Emma ? dit calmement Pierce tandis qu’il posait sa tasse de café sur la table.
Autour d’eux, le ballet des garçons du célèbre café allait bon train. La salle était comble, mais ils se trouvaient heureusement un peu à l’écart, dans un coin relativement tranquille.
— Qu’aimeriez-vous savoir de moi ? répondit Emma en souriant modestement.
— Il y a combien de temps que vous travaillez dans ce restaurant ?
— Six ans.
— J’imagine que le travail doit vous plaire, si vous continuez à le faire depuis tant de temps ?
— Liz et Adam, les propriétaires de l’établissement, sont vraiment très sympathiques. Ils font régner une bonne ambiance. Je n’ai pas à me plaindre.
— Il ne vous vient jamais à l’esprit que vous pourriez faire autre chose pour gagner votre vie ?
— Si, bien sûr. J’ai souvent pensé à reprendre mes études, mais ce n’est pas si simple que cela.
— Pourquoi ?
— J’ai des engagements que je dois tenir.
— Quelle sorte d’engagements ?
— Ma grand-mère est malade du cœur. Dans huit jours, elle doit subir une opération. Il faut que je m’occupe d’elle jusqu’à ce qu’elle soit rétablie. Elle risque d’en avoir pour plusieurs mois avant de pouvoir reprendre une activité normale.
Malgré elle, des larmes montèrent aux yeux d’Emma. Pierce s’en aperçut aussitôt.
— Je suis désolé, murmura-t il, compatissant.
Comme elle cherchait vainement un mouchoir en papier dans son sac, Pierce lui en tendit un. Elle essuya ses yeux avec le mouchoir délicieusement parfumé à l’eau de Cologne.
— Je suis désolée, fit elle en reniflant.
— Vous n’avez pas à être désolée. J’imagine que vous devez être très attachée à votre grand-mère.
— Oh, oui ! avoua-t elle, tout en tamponnant délicatement ses yeux.
Pierce prit familièrement sa main et la serra dans la sienne avec douceur.
— Voulez-vous que nous restions encore ici, Emma, ou souhaitez-vous rentrer à notre hôtel ?
Elle rangea en boule dans le fond de son sac le mouchoir prêté par Pierce et ferma son sac avec un sourire.
— Je suis désolée de vous avoir ennuyé avec mes problèmes, confessa-t elle.
— Vous savez quoi ? reprit Pierce avec bonhomie. Dès que nous serons à l’hôtel, vous téléphonerez à votre grand-mère pour la rassurer, pour lui dire que tout va bien.
— C’est une bonne idée, merci.
Ils restèrent un moment silencieux. Pierce avait l’air sombre et songeur. Intriguée, Emma se dit qu’elle aurait donné n’importe quoi pour connaître ses pensées. Est-ce que, par hasard, il n’aurait pas décidé de mettre fin à leur brève « liaison », si l’on pouvait qualifier ainsi leur escapade à Paris ? Ou bien s’agissait il d’autre chose ?
— Tiens, remarqua Pierce, voilà qu’il pleut.
Sur le boulevard Saint-Germain, les gens se hâtaient sur les trottoirs. Certains s’étaient abrités dans des cafés ou sous des porches d’immeubles. Emma, quelque peu gênée par le silence qui se prolongeait entre Pierce et elle, et soucieuse de détendre l’atmosphère, demanda sur un ton détaché :
— Vous ne m’avez pas parlé de votre travail, Pierce. En quoi consiste-t il exactement ?
— Je dirige une société qui est au tout premier plan sur le marché mondial. En gros, il s’agit de marchés financiers, avec toute l’architecture organisationnelle que cela sous-entend. Je pourrais être un peu plus explicite, entrer dans les détails, mais je craindrais de vous ennuyer.
— Pourquoi cela m’ennuierait il ? Pensez-vous que je ne possède pas les capacités intellectuelles pour comprendre ?
Pierce parut momentanément abasourdi, puis il eut un petit rire amusé et reprit :
— Il ne s’agit pas de ça, Emma ! Je voulais simplement dire que je ne suis pas de ces hommes qui cherchent à se faire valoir en expliquant en long et en large à quel point leur travail est important. Je ne veux pas tomber dans ce travers-là. Habituellement, je reste très discret lorsqu’on me demande ce que je fais. Disons que ma vie est séparée par une frontière. D’un côté, je mène mes affaires du mieux que je le peux, de l’autre, je mène ma vie personnelle.
Il fit une pause et lui sourit de manière énigmatique. Emma se demandait qui était, dans le fond, le véritable Pierce Redfield. Elle avait une vision très personnelle du monde des affaires, de l’argent, de ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas. Et c’est d’une voix sûre et tranquille qu’elle donna à Pierce son point de vue.


— Nous vivons dans un monde dominé par le pouvoir et les apparences. Les gens vous jugent non pas en fonction de ce que vous êtes au plus profond de vous-même, mais en fonction de ce que vous possédez, de votre travail, de votre voiture, de votre fortune, de votre lieu de résidence, etc.
La spontanéité, la sévérité, la lucidité de ce commentaire fit se redresser Pierce sur sa chaise. Il ne comprenait pas comment une jeune femme aussi intelligente pouvait accepter un simple métier de serveuse. Il était aussi impressionné par la subtilité d’Emma que par son charme. Il avait hâte de la serrer dans ses bras, raison pour laquelle il lança subitement :
— Il serait temps de rentrer à notre hôtel, qu’en pensez-vous ?
— Mais il n’y a pas longtemps que nous sommes ici ! Je pensais que nous irions nous promener un peu…
— Il pleut. Nous irons nous balader après.
— Après quoi ?
— Vous allez voir.
Intriguée, Emma le vit se lever, s’approcher d’elle, la prendre dans ses bras de manière à la fois vigoureuse et passionnée. Eberluée, elle se laissa embrasser dans cette grande salle remplie de monde. Pierce semblait se moquer éperdument du monde extérieur. Les consommateurs eurent l’air amusé, sur le moment, puis reprirent leurs conversations, après cet épisode insolite. Le baiser échangé par Pierce et Emma, aussi bref que passionné, laissa celle-ci sans voix, à bout de souffle.
— Vous avez vu, commenta flegmatiquement Pierce lorsque leur étreinte prit fin.
Il appela le garçon pour régler la note, puis marmonna d’une voix grave et impérative :
— Rentrons à l’hôtel.
Quelques instants plus tard, ils marchaient dans les rues dont le sol était trempé par la pluie. Pierce tenait fermement la main d’Emma. Ils n’avaient pas de parapluie, et marchaient d’un pas rapide.
Le cœur battant, Emma devinait que plus rien ne les empêcherait d’aller jusqu’au bout, à présent. Elle était fermement décidée à faire l’amour avec Pierce, en dépit de toutes ses appréhensions. Car le baiser échangé au café l’avait enflammée : elle avait hâte de se retrouver seule avec Pierce !
Lorsqu’ils se retrouvèrent face à face dans l’ascenseur, ils ne se quittèrent pas des yeux une seule seconde. Et, quand Pierce poussa la porte de leur suite, Emma crut défaillir tant l’émotion qui la saisit était violente.
Dès qu’ils furent dans leur domaine, Pierce se débarrassa immédiatement de son imperméable et de sa veste.
— Je vais vous aider à enlever ça, murmura-t il en défaisant les boutons de son vêtement avec des gestes fébriles.
Lorsqu’il eut enlevé l’imperméable d’Emma, Pierce posa ses mains sur l’ourlet de son pull, ce qui augmenta son trouble. Puis, avant qu’elle n’ait eu le temps de protester, Pierce lui ôta son pull d’un mouvement vif, et Emma se retrouva vêtue, pour le haut, d’un simple soutien-gorge. C’est alors qu’il l’attira contre lui pour un nouveau baiser, plus passionné encore que celui qu’ils avaient échangé dans le café de Saint-Germain.
Tandis qu’il la serrait passionnément contre lui, Emma sentait le désir de Pierce qui s’imposait avec toute son ardeur et son exigence. Ses mains, chaudes et possessives, caressaient son dos, ses épaules, avec une volupté infinie.
Lorsqu’il posa ses lèvres sur ses épaules nues, elle ne put retenir un petit cri de plaisir. Ivre de désir, elle tirait fébrilement sur la chemise de Pierce afin de l’enlever. Il fut bientôt torse nu, et Emma prit conscience du physique exceptionnel de cet homme, de sa constitution d’athlète, avec sa merveilleuse peau bronzée sur des muscles saillants.
Toujours debout, enlacés, brûlants de passion partagée, ils partaient à la découverte l’un de l’autre. ............................................................ ............................................................ .............................
Ils restèrent un long moment silencieux, main dans la main.
Et, soudain, le sens des réalités revint à Emma. Emportés par la violence de leur désir, ils avaient fait l’amour sans aucune protection. « Quelle folie ! », pensa Emma. C’est à ce moment que Pierce, semblant émerger de son paradis, se tourna vers elle et murmura de sa voix la plus tendre :
— Vous êtes tellement belle, Emma…, chuchota-t il avec ardeur.
Elle lui sourit sans répondre. Il se leva et alla chercher un peignoir de bain qui était pendu dans la salle de bains. Il enveloppa délicatement Emma dans le peignoir qui était doux et large. Ses gestes étaient si tendres qu’on aurait dit qu’il langeait un bébé.
— Vous voulez aller dans le lit, ou préférez-vous prendre un bain ? demanda-t il avec un sourire câlin.
— Un bain ? répéta-t elle, rêveuse.
Elle avait aperçu la vaste baignoire avec sa robinetterie en or, les nombreuses essences de plantes, de différentes couleurs, dans leurs jolis bocaux de verre, les piles de serviettes moelleuses, tout ce luxe prometteur de voluptés.
— Un bain en ma compagnie, précisa Pierce. La baignoire est assez grande pour deux, n’est-ce pas ?
Comme elle le dévisageait de ses grands yeux étonnés, Pierce la souleva délicatement, comme une plume, et la transporta jusqu’à la salle de bains en riant joyeusement.
Pour aller dîner dans le charmant petit restaurant choisi par Pierce, Emma avait revêtu la très jolie robe noire offerte par son amie Fleur. Cette tenue lui allait parfaitement, et, ce soir, Emma rayonnait de beauté. L’amour, évidemment, était pour beaucoup dans cette irradiation toute particulière qui émanait d’elle.
Pierce, fasciné par sa jeune amante, la couvait des yeux.
Ils discutèrent d’abord de choses et d’autres, gaiement, puis, sans qu’elle sût bien pourquoi, une question vint aux lèvres d’Emma :
— Est-ce que vous envisagez d’aller rendre visite à Lawrence, en Cornouailles ?
Elle avait parlé sans réfléchir. Si elle avait pris le temps de la réflexion, sans doute se serait elle abstenue d’aborder ce sujet.
— Pourquoi me posez-vous cette question ? rétorqua froidement Pierce, le regard soudain sévère.
Elle sentit qu’elle avait bel et bien fait une gaffe. Elle tenta de la réparer et lança d’un ton évasif :
— Bah, je vous demandais ça comme ça…
— Je ne sais pas si j’irai voir Lawrence, poursuivit Pierce, les sourcils froncés. En fait, cela dépend principalement de lui. Je ne ferai le voyage que si j’ai l’assurance d’être bien accueilli.
Emma trouvait désolant qu’une telle hostilité envenime les rapports entre le père et le fils.
— Je suis certaine qu’il sera ravi de vous revoir, assura-t elle d’un ton optimiste.
— Je ne suis pas certain — quant à moi — que le mot « ravi » soit celui qui convienne, répondit il, l’air dur.
— J’admets que Lawrence est souvent capable d’être tête en l’air, mais il peut également se montrer tout à fait adorable.
Pierce ne put réprimer une sorte de grimace. Sa bouche se déforma un très bref instant, dans une expression à la fois douloureuse et inquiète. Comme une sorte de sourire amer. Mais son visage reprit très vite sa beauté naturelle.


— C’est étrange, Emma. On a l’impression que vous voyez les gens à travers des lunettes déformantes. Vous ne percevez en eux que le bien, ou le potentiel.
Il lui avait pris la main et caressait sa paume de son pouce en un mouvement doux et circulaire.
Emma le fixa un instant, étonnée.
— Et vous pensez que ma façon de voir est absurde ? questionna-t elle, piquée. Vous pensez que je suis à côté de la plaque ?
— Vous ne survivriez pas deux minutes dans la jungle que constitue notre société de production et de consommation, décréta-t il gravement. Les gens gentils y sont automatiquement éliminés. Seuls les loups parviennent à faire carrière.
— Alors, mieux vaut avoir un petit métier comme le mien, rétorqua-t elle, ironique. Une serveuse, ça peut survivre. Tout le monde a besoin de se nourrir.
— En tous les cas, je ne voudrais pas vous voir dans le monde sans pitié des affaires, dans cet univers de la vente où les gens tueraient père et mère pour arriver au sommet…
Pierce s’interrompit subitement. Il se rendait compte qu’il se mettait à penser à voix haute. Il hocha discrètement la tête tandis qu’un nouveau souci lui venait à l’esprit. Lorsqu’ils avaient fait l’amour, tout à l’heure, ils n’avaient pas utilisé de préservatif. Emportés par le feu de la passion, ils avaient tout oublié, tout jusqu’à la plus élémentaire des règles de protection.
— Emma, j’espère que… que vous ne risquez pas de tomber enceinte, chuchota-t il en se penchant vers elle. Je ne sais pas si vous prenez la pilule ou pas…
Les joues d’Emma rosirent légèrement.
— Non, je ne prends pas la pilule, murmura-t elle, les yeux baissés. Je ne la supporte pas très bien. Par ailleurs, je n’en avais pas besoin, car je ne…
Elle hésita, se mordilla nerveusement la lèvre et reprit dans un souffle :
— … je ne voyais personne. Je n’ai pas vu d’homme depuis des années…
Une étrange satisfaction parcourut Pierce. Un sentiment de soulagement l’envahit, aussi soudain qu’absurde, car, après tout, il n’était pas sûr qu’il la reverrait dans l’avenir. Ils allaient bientôt reprendre chacun le cours de sa vie. Emma s’occuperait de sa grand-mère, et lui avait un planning très chargé pour les mois qui suivaient : des voyages à l’étranger, des séminaires, etc. Ils allaient se dire adieu à l’aéroport, après cette escapade parisienne aussi merveilleuse que brève.
— En tous les cas, assura-t il à mi-voix d’un ton ferme, si la catastrophe arrivait, il ne faut pas que vous vous inquiétiez, Emma. Nous ne nous reverrons probablement plus, mais je tiens à assurer la responsabilité financière de ce qui pourrait arriver. Je suis un homme puissant, vous savez.

 
 

 

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chapitre 8


La déclaration de Pierce épouvanta Emma. Elle sentit son cœur se figer, se glacer, comme si un fluide mortel venait de s’insinuer dans ses veines.
Pierce venait de lui rappeler — ni plus ni moins — que leur rencontre n’avait été motivée que par un seul but. Ce but ayant été atteint par Pierce, ce dernier pouvait à présent se passer d’Emma.
Oh, certes, « en cas de catastrophe », il était prêt à lui apporter une aide financière. C’était un homme immensément riche. Ce coup de pouce financier ne lui demandait évidemment aucun effort.
Il évoquait l’éventualité d’une « catastrophe ». C’est ainsi qu’il qualifiait le fait d’être enceinte. Ce terme hérissait Emma qui murmura d’une voix faible :
— Vous avez une curieuse manière de qualifier une éventuelle grossesse !
— Il faut être réaliste, Emma. Si jamais vous vous rendez compte que vous êtes enceinte, vous n’allez tout de même pas vous réjouir !
Emma sursauta, piquée au vif.
— Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ? Comment pouvez-vous porter un jugement aussi rapide sur ma personne ? Vous ne me connaissez même pas !
— Les enfants vous changent la vie une fois pour toutes, Emma. Il faut être lucide. Vous n’avez que vingt-cinq ans ! Votre vie commence à peine. N’avez-vous donc pas envie de voyager, de rencontrer des gens, d’élargir vos horizons ? Vous savez bien — ou vous devriez savoir — qu’avec un enfant — toutes ces libertés vous seraient enlevées !
Emma n’était absolument pas d’accord avec cette analyse qu’elle jugeait réductrice. Et c’est d’un ton courroucé qu’elle répliqua :
— Parlez pour vous, Pierce ! J’ai bien l’impression que la paternité n’était pas faite pour vous. Lawrence a de toute évidence été un poids pour vous.
Elle se mordit la lèvre, pensant qu’elle était allée un peu loin. De fait, Pierce parut sous le choc. Un muscle de sa mâchoire saillait nerveusement, par saccades, indiquant son intense irritation. Il était devenu livide.
— Je n’ai jamais prétendu vouloir refuser la paternité, asséna-t?il d’une voix glaciale.
Il la fixa d’un regard à faire frémir et poursuivit :
— Ce qui se passe entre Lawrence et moi ne regarde que moi. Je ne permets à personne de porter un jugement sur ce sujet. Laissez-moi simplement vous dire que tout le travail que j’ai réalisé, tout ce que j’ai accompli jusqu’ici, c’est d’abord pour mon fils que je l’ai fait. Je regrette une chose, c’est de n’avoir pas été assez présent durant son enfance. Mais, que voulez-vous, on ne réécrit pas l’histoire.
Emma sentait comme une boule au fond de sa gorge. Elle était très ébranlée par le récit de Pierce, et demeurait muette, les sourcils froncés, très pensive.
Pierce, se rendant compte de son état, parut subitement s’adoucir. Il lui demanda d’une voix douce :
— A quoi pensez-vous, Emma ?
— Je réfléchissais, répondit?elle, la gorge toujours serrée.
Le visage de Pierce était éclairé par la lumière discrète de la bougie qui était fixée dans un grand bougeoir au milieu de la table. Vêtu d’un costume italien de coupe impeccable, il avait une allure princière. Et Dieu que son visage était beau ! Chaque fois qu’elle levait les yeux vers lui, Emma était impressionnée par la distinction de cet homme. Elle avait beau faire, elle ne pouvait résister à son charme envoûtant.
Mais elle savait que leur relation — une relation toute provisoire — ne reposait que sur leur attirance sexuelle. Il l’avait désirée, donc il l’avait invitée. C’était aussi simple que cela.
— Et à quoi réfléchissiez-vous, Emma ? reprit?il posément.
Elle hésita un moment puis se lança courageusement. Il fallait qu’elle lui avoue ce qu’elle avait sur le cœur.
— En fait, ce qui vous intéressait dans cette escapade à Paris, c’était uniquement l’opportunité de coucher avec une jeune femme assez jolie et pas trop compliquée, n’est-ce pas ?
— Je vous en prie, Emma. Ne dites pas des choses pareilles !
— Je parle vrai, Pierce. Je dis les choses comme elles sont. Préféreriez-vous que je reste sur le plan de la politesse, avec des formules toutes faites ? Ce n’est pas mon genre. J’aime la franchise.
Il la dévisageait avec la plus grande attention, impressionné par le caractère de cette jeune femme qui n’avait pas peur de déplaire ou de bousculer les convenances.
— Eh bien, soyez franche jusqu’au bout, Emma, conseilla-t?il avec un sourire tendu. Je suis tout ouïe.
— Je sais parfaitement que je ne suis pas le genre de femme que vous avez l’habitude de fréquenter. Je ne sais pourquoi vous avez choisi de partir avec moi. Peut-être étiez-vous piqué de curiosité à l’égard d’une simple serveuse de restaurant. Peut-être pensiez-vous que je fondrais de bonheur pour avoir passé deux jours en compagnie d’un célèbre homme d’affaires. Mais ce n’est pas ce que je ressens, Pierce. Sachez que je suis une femme qui vibre, qui vit, qui a des sentiments. Je ne suis pas une sorte de poupée qu’on utilise et qu’on jette après usage.

Pierce sursauta, électrisé.
— Je ne vous ai pas « utilisée », Emma, protesta-t?il avec véhémence. Vous étiez d’accord pour que nous fassions l’amour, rappelez-vous. Je ne vous ai pas forcée. Nous étions consentants tous les deux. Et, pardonnez-moi de le dire crûment, mais vous avez pris plaisir autant que moi à nos… nos ébats.
Emma rougit brusquement, et, dans les secondes qui suivirent, se mit à pâlir à l’extrême. C’en était trop. Il poussait le bouchon trop loin.
— Vous êtes parfaitement odieux ! s’écria-t?elle avec exaspération. Si j’avais su comment allait se dérouler ce dîner, j’aurais immédiatement refusé votre invitation !
Sur ces mots, elle se leva d’un coup, lança sa serviette d’un geste rageur sur la table, et tourna les talons.
Pierce, stupéfait, n’avait pas eu le temps de réagir que déjà elle se précipitait dans les toilettes du restaurant. Lorsqu’elle s’aperçut dans le miroir, elle vit une Emma aux joues écarlates, à l’œil étincelant de colère. « Maintenant, on se calme », se dit?elle, déterminée.
Quelques minutes plus tard, elle sortait discrètement du restaurant par une porte dérobée. Lorsqu’elle se retrouva dans la rue, elle n’avait aucune idée de l’endroit où aller. Elle marcha devant elle d’un pas vif. L’air lui faisait du bien.
Pierce, très inquiet, arpenta les rues des alentours pendant près de deux heures. Il savait qu’il avait peu de chances de retrouver Emma, en pleine nuit, mais il s’obstinait. De temps à autre, il appelait l’hôtel avec son téléphone mobile. Chaque fois, la réception lui répondait que, non, Mlle Robards n’était pas de retour.
Il comprenait la réaction de la jeune femme. Qui eût pu la blâmer ? Il lui avait bien sûr donné l’assurance qu’il ne la laisserait pas tomber si elle était enceinte, il lui avait promis une aide financière, mais là n’était pas l’essentiel, il le savait. Elle était partie parce qu’elle était en colère contre lui. Et sans doute avait?elle des raisons de l’être, car, après tout, c’était lui qui avait insisté pour faire l’amour. Elle avait fini par être d’accord, certes, mais le pas n’avait pas été facile à franchir pour elle. C’était une jeune femme sans grande expérience amoureuse, contrairement à lui, et elle avait probablement été très bouleversée par leur aventure.
Mais pourquoi ne revenait?elle pas à l’hôtel ? Il marcha encore longtemps dans les rues. La pluie recommença. Il rentra finalement à l’hôtel et s’installa sur un tabouret de bar. Il commanda un cognac. Régulièrement, il jetait un coup d’œil à sa montre. Les nerfs à vif, il commanda un deuxième verre.
Il songeait à Emma. En y réfléchissant, il était touché par la générosité de cette jeune femme qui se dévouait sans restriction pour sa grand-mère. Elle avait un métier difficile, et ne gagnait probablement pas beaucoup d’argent. Et si jamais elle était enceinte ? Parviendrait?elle à s’occuper d’un enfant en plus de tout ce qu’elle avait à faire ? Oh, il n’était pas question qu’il la laisse dans le besoin. Il s’en voulait de ne pas avoir pris de précautions avant de faire l’amour avec elle. Il avait été dépassé par l’exigence de son désir. Il n’avait pas pris le temps de réfléchir…
Il sursauta soudain. On venait de lui taper discrètement sur l’épaule. Il se retourna et vit l’un des employés qui se tenait devant lui, l’air contrit. Lorsque Pierce, le cœur battant, lui demanda ce dont il s’agissait, l’employé lui expliqua qu’il venait de recevoir un message de Mlle Robards. Celle-ci allait passer la nuit chez une amie et ne serait de retour à l’hôtel que demain matin.
Après un premier sentiment de soulagement — il ne lui était rien arrivé de grave —, Pierce ressentit une profonde déception. Il ne verrait pas Emma avant le lendemain matin.
L’alcool augmentait son désarroi. Il se sentit d’un coup extrêmement triste. Il avait un impérieux besoin de la serrer dans ses bras, de la toucher, de lui parler, de lui expliquer que…
Il secoua la tête, désespéré. Il ne connaissait même pas l’adresse de son amie. Il n’avait aucune possibilité de joindre Emma.
Accablé de chagrin, il commanda un autre cognac.
Le lendemain matin, avant de rentrer à l’hôtel, Emma décida de visiter la cathédrale Notre-Dame. Dès qu’elle fut entrée dans l’immense édifice, elle fut submergée par un sentiment de paix absolu. Des milliers de cierges illuminaient les différentes chapelles latérales de la cathédrale. Emma s’installa un moment dans l’une des chapelles et pria pour sa grand-mère, pour sa santé, pour sa vie. Les larmes aux yeux, elle suppliait le Seigneur de lui accorder une rémission. Oh, qu’elle ne meure pas encore ! Faites que l’opération réussisse !
Elle se remit debout et se mit à méditer, à repenser à tout ce qu’il s’était passé depuis deux jours. Elle n’aurait jamais dû accepter cette invitation à Paris, pensa-t?elle. Ni de faire l’amour sans prendre les précautions qui s’imposaient. Voilà où le bât blessait : elle avait fait preuve de faiblesse.
Elle se leva, marcha discrètement sur une allée de pierre, troublée par l’odeur entêtante de l’encens. Puis elle passa le grand porche et se retrouva à l’air libre. Elle prit alors la direction de l’hôtel. Il se trouvait assez loin de la cathédrale, mais elle avait envie de marcher. Pierce devait l’attendre pour aller à l’aéroport. On allait probablement la conduire à Roissy. Elle se dit alors que c’était mieux ainsi : la fin d’une brève et étrange aventure.

— Vous avez pris votre petit déjeuner ? questionna Pierce d’un ton tranquille lorsqu’elle entra dans la suite.
Etait-ce tout ce qu’il avait à dire ? Manifestement, cette froideur apparente cachait un autre sentiment, mais lequel ? La colère d’avoir été abandonné brutalement au restaurant, hier soir ? La frustration d’avoir été obligé de passer la nuit seul ?
Elle répondit sur le ton le plus détaché qui fût :
— Oui, j’ai pris un café et des croissants avec Fleur avant qu’elle ne rejoigne son petit ami.
Elle déboutonna son imperméable et dénoua ses cheveux qui tombèrent souplement autour de son visage.
— J’ai été passablement surpris de votre départ si soudain, hier soir, grommela Pierce. Cela n’était pas raisonnable de vous envoler ainsi : il aurait pu vous arriver quelque chose…
Ainsi, il était « surpris », mais non « attristé », par cette fugue. Emma eut un rire très discret, un rire amer.
— Soyez honnête, Pierce, répliqua-t?elle avec froideur. Vous faites la tête parce que vous craignez que je sois enceinte. A ce propos, je tenais à vous dire qu’il ne faut pas vous inquiéter : vous n’entendrez plus parler de moi lorsque nous serons rentrés. Vous êtes la dernière personne que j’irai trouver en cas de besoin. Vous pourrez dormir sur vos deux oreilles : je n’irai pas pleurnicher pour une aide financière ou autre ! Nous ne nous reverrons plus.
Comme elle tournait brusquement les talons pour se rendre dans la chambre à coucher, afin de faire sa valise, Emma fut brutalement happée par le bras.
Le regard bleu de Pierce la transperçait avec une incroyable intensité.
— En êtes-vous si sûre, Emma ? Etes-vous certaine que nous ne nous reverrons plus ? Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
Emma se dégagea d’un mouvement vif et lança :
— Oh, par pitié, n’essayez pas de me faire croire que vos sentiments ont changé à mon égard ! railla-t?elle avec amertume. Ou bien ne serait-ce pas autre chose, également : notre séjour ici n’est pas tout à fait terminé, et vous aimeriez bien en avoir pour votre argent…
Pierce bondit vers elle et l’attira soudainement contre lui avec une telle énergie qu’elle ne put faire un geste pour s’échapper.
Comme il la tenait tout contre lui, elle perçut, à travers les vêtements qui les séparaient, toute son énergie, sa chaleur, son désir, et elle en éprouva, elle aussi, un désir aussi subit qu’imprévu.
— Je ne suis pas seul à vous désirer, Emma, murmura-t?il d’une voix éraillée. Vous le savez bien.
Les jambes flageolantes, l’esprit en émoi, elle balbutia, éperdue :
— Je… Je n’ai jamais dit que je ne vous désirais pas… Mais, comprenez-moi : je suis sentimentale, contrairement à vous.
Elle se reprit, les larmes aux yeux, et ajouta d’une voix plus calme :
— Je ne suis certainement pas aussi brillante, aussi distinguée, aussi sophistiquée que les femmes avec lesquelles vous avez l’habitude de sortir, mais cela ne devrait pas vous empêcher d’avoir un minimum de respect pour moi !
— Mais, grands dieux, j’ai du respect pour vous ! protesta-t?il avec véhémence.
Il secoua la tête, préoccupé, et marcha jusqu’à la fenêtre qui s’ouvrait sur l’arrière de l’hôtel : une jolie cour jardin où les employés étaient installés devant des petites tables et discutaient paisiblement et gaiement. Des rires fusaient, de temps à autre. Pierce enviait cette possibilité d’être heureux en toute simplicité. Pourquoi les rapports avec Emma étaient?ils si difficiles ? Il constatait que leur relation se révélait bien moins simple qu’il l’eût aimé. Il la désirait toujours, mais il savait qu’il ne fallait pas jouer avec le feu — avec le sexe — dans cette situation de malentendu.
— Vous savez, Emma, murmura-t?il en se tournant vers elle, il ne faut pas me juger de manière trop hâtive. Mes relations avec les femmes se sont toujours terminées sur une amitié réciproque.
— Est-ce cela que vous attendez de moi ? répondit?elle avec vivacité. Vous souhaitez que nous devenions amis ?
« Oh, non, ce n’est pas cela que je désire, pensa-t?il. Je n’ai aucune envie d’une relation platonique avec Emma. Elle est trop désirable. »
— Dès que nous serons de retour à Londres, je dois repartir presque aussitôt pour un long voyage qui me conduira de l’Australie à la Nouvelle-Zélande, avant l’Indonésie, Bali et enfin l’Afrique du Sud. J’en aurai pour trois mois. Comprenez donc que je ne pourrai pas vous voir pendant tout ce temps. Mais je vous appellerai quand je serai de retour.
Emma eut l’impression que son cœur devenait aussi lourd qu’une pierre. Elle fit un effort pour rester sereine malgré l’émotion qui l’avait submergée.
— Je comprends, murmura-t?elle du ton le plus dégagé possible.
Pierce changea brusquement de comportement et parut étrangement enjoué.

— Bon, lança-t?il joyeusement. Si on allait faire une balade dans Paris tous les deux ? Qu’en dites-vous ?
— Une balade ? répéta-t?elle, hésitante.
— Nous pourrions monter sur la tour Eiffel, aller au Louvre, à Notre-Dame…
— Je vous rappelle que Miles m’a conduite hier à la tour Eiffel, que j’ai fait une longue visite du Louvre. Et j’ajoute que je suis allée ce matin brûler un cierge à Notre-Dame.
Il la fixa d’une étrange manière.
— Un cierge ?
— Pour ma grand-mère. J’ai prié pour elle.
Pierce devint confus. Il avait soudain mauvaise conscience. Cette jeune femme était décidément un ange, il le constatait à chaque instant.
— Il y a plein d’autres choses à voir, assura-t?il avec un sourire. J’aimerais beaucoup faire un peu de tourisme avec vous, dans Paris.
— D’accord, dit simplement Emma. Je vous demande juste quelques minutes, le temps que je me change.
Elle songea que bien des jours et des mois allaient passer avant qu’elle ne remette cette jolie robe noire que lui avait offerte Fleur.
Dans le grand hall de l’aéroport d’Heathrow, c’était la bousculade autour d’Emma et de Pierce.
— Miles va vous reconduire chez vous, annonça Pierce. De toute façon, j’ai un rendez-vous pas loin d’ici. Miles viendra me chercher plus tard.
Emma, qui savait que l’heure de la séparation était arrivée, avait le cœur terriblement lourd. Ils avaient passé un très agréable après-midi à visiter Paris, un bref sursis avant la désunion, puis ils avaient pris l’avion pour un très court voyage. Et voilà, c’était fini. Ils rentraient chacun de son côté.
Pierce caressa délicatement la joue d’Emma. Elle avait l’air si perdu, si malheureux, qu’il en fut terriblement ému, mais il se garda bien de le montrer. La voir s’en aller ainsi lui brisait le cœur. Et l’imaginer dans les bras d’un autre lui était un supplice.
Comme un papillon, un mot s’imposa à son esprit, le prenant totalement au dépourvu : « Mariage. » Il secoua la tête. « C’est stupide », pensa-t?il.
— Promettez-moi de m’appeler si besoin est, recommanda-t?il d’une voix de conspirateur. Vous voyez ce que je veux dire.
Emma comprit qu’il faisait allusion à une éventuelle grossesse. De toutes les façons, elle était décidée à ne rien lui dire. Même si…
— Appelez ma secrétaire, Fiona. Elle me transmettra le message où que je sois.
Emma acquiesça d’un vague signe de tête. Puis elle croisa son regard et dit avec détermination :
— Je voudrais vous demander quelque chose, Pierce.
— Je vous écoute, fit?il, intrigué.
— Réconciliez-vous avec Lawrence. Il a besoin de vous, Pierce, même si vous pensez le contraire.
Pris de court, Pierce hésita, jeta un coup d’œil à sa montre. Il était en retard. Ce n’était vraiment pas le moment d’aborder le sujet de son fils, en plein aéroport.
— J’y songerai, Emma, répondit?il avec un bref sourire. Je ferai un effort.
Il avait envie de prendre Emma dans ses bras pour un dernier baiser, mais il savait que plus il prolongerait les adieux, plus il leur serait difficile de se séparer.
— Allons, Emma, il faut y aller. J’ai déjà vingt minutes de retard pour mon rendez-vous.
— Merci de m’avoir emmenée à Paris, Pierce, assura-t?elle d’une voix enrouée par l’émotion. Je n’oublierai jamais ce voyage.
Comme elle s’éloignait, Pierce s’étonna de ce qu’il ressentait : au lieu d’éprouver un certain soulagement, son cœur était oppressé par une douleur étrange, nouvelle.
Il devinait que, dès cet instant, la vie n’allait pas être si facile que cela.

 
 

 

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chapitre 9



A peine de retour, Emma reçut un appel téléphonique : sa grand-mère venait d’avoir une attaque cardiaque, et se trouvait à présent dans le service de soins intensifs de l’hôpital.
Affolée, Emma téléphona aussitôt à son amie Liz qui lui proposa immédiatement de la conduire à l’hôpital en voiture.
Et c’est là que les deux femmes attendaient, dans un couloir de la section des soins intensifs. Elles étaient assises sur un simple banc. Emma était pâle et défaite. L’attente lui paraissait interminable.
— Je vais chercher des cafés au distributeur, annonça Liz au bout d’un moment.
Elle se leva et revint avec un gobelet qu’elle tendit à Emma.
— J’ai mis plein de sucre. Tu en as besoin, ma pauvre.
— Merci, Liz.
Poussés par des infirmiers, des chariots blancs roulaient dans le couloir, faisant crisser leurs roues sur le linoléum.
Emma se tordait machinalement les doigts en les voyant passer. Elle sirotait son café, extrêmement anxieuse, attendant qu’on vienne lui donner des nouvelles de sa grand-mère qui se trouvait derrière les cloisons blanches, entre la vie et la mort.
Liz posa une main amicale sur le bras d’Emma.
— Ne t’inquiète pas, ma chérie, murmura-t elle avec douceur. Ta grand-mère va tenir le coup. Elle est forte. Je suis persuadée qu’elle va s’en sortir.
Emma essuya le coin de ses yeux.
— J’aurais dû la faire opérer avant, se lamenta-t elle, désespérée. Je n’aurais pas dû attendre. Je suis responsable…
— Allons, Emma, ne dis pas des choses pareilles. Tu t’es parfaitement occupée de ta grand-mère. Je ne connais pas beaucoup de jeunes femmes de ton âge capables des sacrifices que tu as faits. Tous tes week-ends étaient dévoués à ta grand-mère. Et, après tout cela, tu t’en veux !
Les lèvres tremblantes, Emma se retenait pour ne pas fondre en larmes.
— Je voudrais tellement que ma pauvre grand-mère soit heureuse, soupira-t elle. J’ai fait des projets pour améliorer la décoration de sa petite maison. J’ai même déjà acheté de la peinture…
Un sanglot l’interrompit. Liz serra son bras avec une compassion émue.
La porte à tambour s’ouvrit soudain, et le chirurgien qui s’était occupé de l’admission de la vieille dame apparut. Emma se leva brusquement
— Alors ? interrogea-t elle, le cœur plein d’espoir. Elle va mieux ?
Comme le chirurgien la considérait d’un air sombre, Emma, au comble de l’inquiétude, la gorge serrée par l’angoisse, insista :
— Comment va-t elle, docteur ? murmura-t elle, terriblement tourmentée.
— Je suis désolé, mademoiselle Robards, annonça le médecin d’une voix grave. Votre grand-mère est décédée il y a cinq minutes. Elle avait le cœur très faible. Nous n’avons rien pu faire.
Emma eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Ses oreilles bourdonnaient. Un voile avait obscurci ses yeux. Elle chancela, ivre de douleur. Elle sentit que Liz l’avait prise par le bras et murmurait des mots apaisants à son oreille. On la fit asseoir. Les larmes commencèrent à couler sur ses joues. C’était donc fini ? Déjà ? Oh, comme c’était triste ! Comme c’était injuste ! Sa pauvre grand-mère !
— Je vais rester avec elle, chuchota Liz à une infirmière qui avait remplacé le chirurgien, appelé ailleurs.
Liz serrait avec tendresse son amie si malheureuse.
— Pleure, Emma, si cela doit te soulager. Ma pauvre petite, ma pauvre enfant !…
Emma demeura un moment effondrée, sans forces. Puis, se ressaisissant, le visage livide, elle annonça à Liz :
— Je vais avoir plein de choses à faire : les formalités administratives, la préparation des obsèques… Tout ça…
Elle se leva et redressa courageusement la tête.
— Je rentre chez moi, Liz.
Après l’enterrement de sa grand-mère, Emma se sentait tellement triste qu’elle en avait perdu le goût de vivre, l’appétit et le sommeil. Au point que la direction de son restaurant avait décidé de la laisser en congé le temps qu’il fallait.
Ce jour-là, elle se trouvait dans son appartement. Morose, elle triait des affaires ayant appartenu à sa grand-mère. Lawrence, qui n’avait pas encore émigré pour les Cornouailles, était venu lui rendre visite. Il faisait les cent pas dans son salon, impatient et vindicatif. Emma, en le voyant aller et venir, pensa à Pierce : le père et le fils avaient la même façon d’arpenter les pièces lorsqu’ils étaient irrités, le même regard bleu et vif. Mais celui de Lawrence était tout de même beaucoup moins beau que celui de son père.
— Enfin, Emma, grommela Lawrence au bout d’un moment. Il serait temps de devenir raisonnable. Tu ne manges plus rien, tu te laisses aller. Monte chez moi un moment : je vais te préparer quelque chose de bon !
— Merci, Lawrence. Je n’ai pas faim. J’ai des papiers à ranger…


— Tu n’es pas raisonnable ! Tu n’es plus que l’ombre de toi-même !
« C’est vrai, pensa-t elle, amère. Je n’ai plus goût à rien. Je n’ai plus jamais faim… »
— Si tu continues, tu vas être malade, menaça Lawrence en secouant la tête. Et cela t’avancera à quoi ? Tu peux me le dire ?
Emma eut un rire faible et sans joie.
— Tu ne vas tout de même pas faire la cuisine pour moi, Lawrence. Tu es en plein déménagement.
— Qui te parle de faire la cuisine ? rétorqua le jeune homme avec un grand sourire. Il suffit de descendre dans la rue et de rapporter des plats tout préparés. Je ne suis pas du genre à me compliquer la vie.
C’est ainsi qu’Emma, quelques minutes plus tard, se retrouva dans l’appartement de Lawrence, assise en tailleur en face d’un plat chinois qu’il avait choisi pour elle. Du bout de ses baguettes, elle s’efforçait de saisir ce qui lui permettrait de remplir quelque peu son estomac, vide depuis trop longtemps.
— Alors, c’était bien, Paris ? questionna Lawrence tout à trac.
Elle sursauta, ahurie. Comment diable était il au courant de son voyage à Paris ? Elle s’essuya les lèvres avec la serviette en papier, et demanda de la manière la plus calme possible :
— Comment sais-tu que je suis allée à Paris ?
— Mon père m’a dit qu’il t’avait invitée. Une manière pour lui de retourner le couteau dans la plaie. Bah, je ne t’en veux pas, Emma. Tu as eu un séjour agréable ?
— Très agréable, oui. Mais pourquoi évoques-tu ce « couteau dans la plaie » ?
Le garçon prit un air renfrogné.
— Mon père a voulu s’amuser à mes dépens, bougonna-t il d’un ton méprisant. Il t’a emmenée parce qu’il sait que j’ai un faible pour toi.
Emma tressaillit. Elle eut l’impression que l’air lui manquait soudain.
— Tu veux dire que ton père m’a invitée uniquement pour te contrarier ?
— Réfléchis un peu. Pourquoi s’intéresserait il à toi, Emma ? Tu n’es pas de son monde. Tu es jolie, certes, tout à fait charmante, mais tu n’appartiens pas à la société qu’il fréquente. Les femmes avec lesquelles il sort sont des femmes brillantes, pétillantes, sophistiquées… Des dames de la haute société, tu comprends ce que je veux dire ?
Emma reçut le coup en plein cœur. Si le jeune homme avait essayé de lui faire mal, il avait réussi. Elle murmura d’une voix étouffée, mais ferme :
— Je ne savais pas, jusqu’à aujourd’hui, à quel point tu peux être méchant, odieux et malveillant, Lawrence. Mais je viens d’en avoir la preuve.
Elle se leva, tremblante de rage.
Lawrence se mordit la lèvre. Il avait l’air tourmenté et semblait regretter de s’être laissé emporter.
— Attends, Emma. Comprends-moi : ce n’est pas à cause de toi que je fulmine, mais à cause de lui.
— Mais te rends-tu compte de ce que tu viens de me dire ? C’est lamentable, Lawrence…
— Je ne… Je t’assure, je ne voulais pas te blesser…
— Ah bon ? En tous les cas, tu as choisi les termes les plus blessants. Oh, si tu savais comme j’en ai assez de la famille Redfield, le père comme le fils ! Vous me prenez tous les deux pour une perruche, une bécassine, une…
— Je t’en prie, Emma. Ne t’énerve pas…
— Vous êtes bien à mettre dans le même panier, tous les deux, toi et ton père. Et je ne suis pas près de vous revoir !
Lawrence, qui, curieusement, semblait moins inquiet, aspira une gorgée de sa boisson, puis jeta négligemment la boîte dans un coin de la pièce. Et c’est d’une voix qui exprimait plus le reproche que la peine qu’il marmonna :
— Vraiment, tu n’aurais pas dû coucher avec lui, Emma. Tu sais à quel point je suis attaché à toi.
Emma eut un rire amer.
— Dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi tu reçois tellement de filles chez toi ! Ce n’est pas un appartement que tu as, c’est un harem !
— Il faut bien que je trouve quelque part le plaisir que tu n’as jamais voulu m’offrir…
— Tu es un enfant gâté, Lawrence. Quand tu as envie de quelque chose, tu fais tout pour l’obtenir, sans songer aux conséquences de tes actes.
Lawrence la fixa de son regard à la fois candide et libertin, puis commenta d’un ton désabusé avec un méchant petit sourire :
— Ton jugement s’applique tout à fait à mon père, pas à moi.
Il ricana de nouveau.
— Depuis que je suis tout petit, mon père collectionne les aventures féminines. Ma mère, au bout d’un certain temps, a naturellement eu des aventures, elle aussi. Tu vois, ce n’était pas la famille idéale ! Chacun à la chasse, chacun de son côté.
— Et moi, je suis donc le dernier gibier convoité par ton père, n’est-ce pas ? Un gibier pas très noble, évidemment. Je ne cours pas dans les domaines royaux. Un genre de palombe, vite croquée par l’auteur de tes jours, le temps d’un envol à Paris !


Elle battit l’air de la main dans un geste d’agacement, comme si elle effaçait d’un coup de chiffon le tableau.
— Oublions ça, murmura-t elle, dégoûtée.
Elle se dirigea vers la porte. Juste au moment où elle la franchissait, Lawrence la retint par le poignet. Il déclara d’une voix enrouée par l’émotion :
— Tu mérites mieux que lui, Emma. Viens avec moi en Cornouailles. Maintenant que ta grand-mère n’est plus là, tu es libre. Viens avec moi, tu seras ma muse, mon inspiration, ma…
— Mais tu n’y es pas du tout, mon pauvre Lawrence ! l’interrompit elle avec un rire amusé. D’abord, ça ne m’amuse pas d’être une muse. Ensuite, tu oublies ton amie Vicky, celle qui est si jalouse.
— Oh, celle-là, je ne la vois plus. C’est fini, terminé.
Il se reprit.
— Non, pas si bien fini que ça. En tout cas, il n’est plus question que je la voie.
— Mais sois logique avec toi-même, Lawrence. Il y a un instant, tu as eu des mots très durs pour moi, et…
— Je ne les pensais pas ! affirma-t il d’un trait.
Et soudain, avant qu’Emma ait pu réaliser ce qu’il lui arrivait, elle sentit la bouche de Lawrence qui écrasait la sienne, dans un élan passionné. Il tentait ardemment de glisser sa langue contre la sienne, mais elle s’y refusait, brusquement raidie.
Il s’ensuivit une sorte de lutte, dans laquelle Emma tentait de se dégager, tandis que Lawrence essayait fébrilement de la retenir dans ses bras.
Ils n’entendirent pas la porte d’entrée qui s’ouvrait. Lawrence, à son habitude, l’avait laissée entrouverte. Pierce se tenait sur le seuil de l’appartement. Il les considéra d’un regard impitoyable, puis déclara d’une voix aussi froide que son regard :
— La porte était ouverte. J’espère que je ne vous dérange pas.
— Pierce ! s’écria Emma, abasourdie.
Elle s’était arrachée d’un coup à l’étreinte de Lawrence, mais Pierce, qui était arrivé à l’instant crucial, avait eu tout loisir de contempler la fin de leur enlacement.
— Tiens, vous vous souvenez de mon prénom ! railla l’homme d’affaires. Je suis vraiment flatté, ajouta-t il, amer.
— Mais, mais, balbutia Emma, je croyais que vous deviez partir pour trois mois !
Pierce avala sa salive avec difficulté. Le coup était rude pour lui, terrible à vrai dire. Qu’Emma le trahisse avec un autre homme constituait pour lui une torture, mais que son nouvel amant soit son propre fils… C’était pire que tout. A cet instant, il ne savait pas lequel des deux le révoltait le plus.
Bien qu’il fût en proie à la plus grande agitation, il répondit calmement, avec une ironie bien marquée :
— Alors, comme j’étais en voyage, vous avez pensé que la voie était libre ! Et voilà pourquoi je vous retrouve chez Lawrence…
Horrifiée par le malentendu, Emma fixait Pierce, la bouche à demi ouverte. Mais les mots n’en sortaient pas. Elle voulait protester, expliquer la méprise… Tout juste arriva-t elle à bredouiller :
— Je ne… Ce n’est pas du tout ce que… ce que vous pensez, Pierce.
Puis, se tournant vers Lawrence, elle ajouta sur un ton plus net :
— Voyons, Lawrence, grands dieux, exprime-toi ! Dis quelque chose ! C’est trop injuste.
Mais Pierce, coupant l’herbe sous le pied de son fils, ne laissa pas la parole à ce dernier. Il déclara, toujours sarcastique :
— Je ne suis pas parti, comme vous pouvez le constater. J’ai changé mes plans. Mais j’aimerais bien avoir une explication de ta part, Lawrence. Oui, j’aimerais bien savoir ce qu’il se passe.
Lawrence, qui avait ouvert entre-temps une autre canette de soda, et qui avait suivi d’un œil moqueur l’échange entre Emma et son père, jeta sa canette dans un carton qui servait de poubelle et fit face à son père.
— On dirait que c’est le jeu de l’amour et de la guerre, papa. N’est-ce pas ton impression ? Tu n’étais pas là pour t’occuper d’Emma, elle est donc venue chez moi, et elle va venir avec moi en Cornouailles.
— Mais c’est complètement fou ! explosa Emma, furieuse.
Elle avait l’impression d’être l’enjeu d’une course au pouvoir qui opposait Lawrence à son père. Ne se sentant aucune disposition pour faire le pion qu’on pousse ou qu’on tire, elle ajouta avec véhémence :
— Je n’ai jamais eu ce projet ! C’est une idée de Lawrence, une idée parfaitement absurde, et…
— J’aimerais bien savoir exactement ce qu’il se trame entre vous deux, marmonna Pierce, sévère.
— Rien du tout, justement ! rétorqua immédiatement Emma, résolue à mettre les points sur les i, et à dissiper tout malentendu. Lawrence et moi sommes des amis, comme nous l’avons toujours été. Des amis, rien de plus, répéta-t elle, opiniâtre.


Pierce eut une moue, une sorte de grimace qui témoignait de son incrédulité. Il se tourna brusquement vers son fils et darda sur lui un regard qui semblait ordonner : « Maintenant, c’est à toi de m’expliquer ce qu’il en est. » Lawrence comprit cette interrogation muette et haussa les épaules de manière exagérément détachée, afin de bien montrer que ces petits affrontements ne l’affectaient guère. Il considéra un instant Emma et son père, puis conclut d’un ton pondéré :
— Je suis un homme libre, j’ai bien le droit de tenter ma chance, non ?
— Tu as embrassé Emma pour me défier ! gronda Pierce, le regard implacable.
Lawrence considéra son père de manière oblique, avec un sourire de défi.
— J’avoue que j’ai pris un certain plaisir à te dérober, même provisoirement, l’objet de ta convoitise, assura-t il avec un petit rire. Nous sommes en plein conflit freudien, n’est-ce pas ? Le fils en face du père.
Emma, paralysée, suivait sans mot dire l’explication qui se développait de manière de plus en plus dramatique entre Lawrence et Pierce.
— Si tu es réapparu dans ma vie, c’est à cause d’Emma, grommela Lawrence d’un ton amer. Avant, on ne te voyait pas. Tu ne donnais pas de nouvelles. C’était le silence radio. Je pouvais crever dans mon coin, être malade, avoir des ennuis : tu restais absent. Et puis, tout à coup, tu réapparais, comme par enchantement. Et j’apprends que tu as emmené à Paris une femme, pas n’importe quelle femme : celle qui m’importait le plus. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un hasard, n’est-ce pas ? Tu l’as emmenée parce que cela te plaisait de me contrer, surtout dans le domaine sentimental. Et à un moment où j’avais besoin de quelque chose de plus qu’une aide financière.
Pierce fronça subitement les sourcils, manifestement touché par la dernière phrase de son fils. Il demanda d’une voix basse, émue :
— Depuis quand attends-tu de moi autre chose que de l’argent ?
Comme Lawrence ne répondait que par un geste évasif, Emma comprit que l’apparition soudaine de Pierce chez son fils n’était pas un hasard. Lawrence savait que son père allait lui rendre visite. C’était prévu. Et Lawrence s’était perfidement arrangé pour qu’elle fût là lorsque Pierce pousserait la porte. Elle comprenait la subtilité et la perversité d’une telle manœuvre.
— Dis-moi, Lawrence, interrogea-t elle, glaciale. Tu savais que ton père allait venir d’un instant à l’autre, n’est-ce pas ? Je te soupçonne même d’avoir laissé la porte entrouverte exprès. Et, lorsque tu m’as brusquement embrassée, c’était parce que tu avais entendu les pas de ton père dans l’escalier ! Quel stratège ! Bravo ! Dans le genre machiavélique, on fait difficilement mieux.
— Je t’assure que je n’ai pas cherché à te blesser, Emma, plaida Lawrence, l’air piteux. Tu es mon amie. Tu seras toujours mon amie. Je n’ai pas envie de te perdre…
— Non, tu n’es pas un ami, tu es un manipulateur, coupa Emma, furieuse. Tu t’es servi de moi pour tes petites affaires, d’abord en m’envoyant en mission chez ton père, dans son bureau, afin de lui soutirer une promesse d’argent. Puis tu te sers de moi, à présent, pour contrecarrer ton père sur le plan sentimental. Ce n’est pas très beau, tout ça !
Comme elle tournait brusquement les talons et se dirigeait d’un pas vif vers la porte, Lawrence couina d’une voix misérable :
— Attends, Emma !
Mais elle en avait par-dessus la tête. On lui avait assez empoisonné la vie comme ça. Elle n’avait qu’une envie : rester seule, tranquille, chez elle, sans personne pour la tourmenter.
Dans l’heure qui suivit, elle entendit des éclats de voix à l’étage du dessus. Le père et le fils étaient encore en train de se chamailler. Il y eut une pause, et l’immeuble redevint silencieux. Quelques minutes plus tard, elle entendit des pas dans l’escalier. On frappa à sa porte. Elle poussa un soupir excédé et alla ouvrir. C’était Pierce.
Il entra sans dire un mot, le visage sombre.
Elle se demandait ce qu’il voulait. Pourquoi était il de retour chez elle ? Qu’attendait il ?
Il la dévisageait d’un air préoccupé.
— Vous avez une mine terrible, déclara-t il sans préambule.
Ce n’était pas le genre de compliment qu’elle attendait.
— Merci, très aimable, répondit elle, vexée.
— Je n’ai pas dit cela pour vous critiquer ou pour vous taquiner, Emma. Je me fais du souci pour vous. Votre visage est vraiment creusé. Vous êtes à bout. Il faut faire quelque chose.
— Ah bon ? Que faut il faire ?
— Vos valises.
Interloquée, elle le dévisagea. Etait-ce une plaisanterie ? Non, certainement pas. Il avait l’air tout à fait sérieux.
— Vous ne pouvez pas rester dans cet état, Emma. Vous allez venir avec moi.
— A Paris, encore ? railla-t elle.
Pierce eut un sourire triste et pensif.
— Je vous emmène chez moi. Ne discutez pas. Ne protestez pas : de toutes les manières, ma décision est prise, et je n’en changerai pas.


chapitre 10


« Quel étrange ultimatum ! », pensa Emma, interloquée par ce qu’elle venait d’entendre.
Elle poussa un soupir, et alla ouvrir le réfrigérateur. Elle en sortit une bouteille de lait. Puis elle prit la boîte de chocolat en poudre qui se trouvait dans un placard.
— Qu’est-ce que vous faites ? questionna Pierce, intrigué.
— Je me prépare mon chocolat, pour la nuit, expliqua-t elle posément.
— Vous n’avez pas entendu ce que je viens de vous dire ?
— J’ai très bien entendu, je ne suis pas sourde.
— Mais…
— Ecoutez-moi bien, Pierce. Vous êtes un grand manitou dans les affaires. Vous commandez à des tas de gens qui vous obéissent au doigt et à l’œil. Mais vous êtes ici chez moi, et il n’est pas question que vous vous amusiez à jouer les chefs dans mon domaine.
— Mais je…
— J’en ai assez de ces petits jeux, de ces petites guerres avec votre fils. Ça ne m’amuse plus. Je vous demande donc de quitter mon appartement, et de disparaître de ma vie. S’il vous plaît, laissez-moi seule. J’ai besoin d’être seule.
Pierce Redfield devint blême.
— Alors, Lawrence a réussi à tout briser ! commenta-t il, amer.
Emma, après avoir avalé péniblement sa salive, répondit avec tristesse :
— Lawrence m’a confié que vous m’aviez emmenée à Paris dans le but de marquer un point contre lui. C’est le genre de choses qui n’est pas très agréable à entendre, vous savez !
Pierce tressaillit. Il avait appris par sa secrétaire que Lawrence, grâce à des indiscrétions, était au courant de leur escapade à Paris.
— Je n’ai jamais parlé à mon fils de ce voyage à Paris, grommela-t il. Mais il a réussi pourtant à l’apprendre. Il faut que vous sachiez qu’il n’a agi de cette sorte que dans le but de me nuire, de me discréditer à vos yeux. Comprenez-vous, Emma ?
Elle remarqua une lueur de détresse dans le bleu si vif de son regard. Elle en fut touchée.
— Et puis j’ai été attristé par la disparition de votre grand-mère, Emma. J’ai beaucoup pensé à vous…
— Merci, murmura-t elle, les yeux humides.
— Ce qui me désole, aussi, continua-t il d’une voix morne, c’est ce genre de spectacle auquel vous venez d’assister, cette mini-guerre entre mon fils et moi.
— Il est encore en colère contre vous ?
— Il reste pas mal de ressentiments, de malentendus et de non-dit entre nous, mais je suis sûr que, avec le temps, on finira par arranger ça…
— Vous avez donc pu conclure une sorte d’armistice ? Aboutir à une déclaration de non-belligérance ? demanda-t elle, le cœur plein d’espoir. Ce pourrait être la fin des hostilités ?
— Presque, acquiesça-t il en souriant. Nous avons décidé de lever les principaux obstacles qui nous séparaient. Vous voyez, Emma, je ne suis pas si buté que ça !
— Formidable, Pierce. Ce que vous me dites m’enchante. J’ai eu quelques frayeurs, tout à l’heure, en entendant vos éclats de voix…
— Mais nous nous sommes vite calmés.
— Comme je serais heureuse si vous pouviez vous réconcilier, tous les deux ! Si vous saviez comme mon père m’a manqué, dans ma vie, et comme il me manque ! On a tellement besoin d’un père !
— Vous n’avez aucune nouvelle de lui ?
— Aucune. Je pense qu’il doit être quelque part en Australie, au bout du monde… Je n’ai même pas pu le joindre pour lui dire que ma grand-mère, c’est-à-dire sa mère, était morte.
Pierce se passa machinalement la main dans les cheveux en soupirant. Il était très soucieux de l’état de fatigue de la jeune femme. Et c’est justement à cause d’elle qu’il avait annulé le voyage qu’il devait entreprendre. Lorsqu’il avait appris le décès de la vieille dame, il s’était souvenu des larmes d’Emma, à Paris, lorsqu’elle lui avait confié ses soucis relatifs à sa grand-mère. Dès lors, il avait décidé de la retrouver au plus vite. Voilà pourquoi il était là ce soir.
Il fallait absolument qu’elle quitte ce petit appartement humide et inconfortable. Et si jamais elle était enceinte de lui ? Jamais il ne pourrait tolérer qu’elle moisisse dans cet endroit !
— Préparez votre chocolat si cela vous chante, grommela-t il, mais il faudra que vous fassiez vos valises, que vous le vouliez ou non. Vous ne resterez pas un jour de plus dans cet appartement. Chez moi, vous aurez tout le confort dont vous avez besoin pour vous remettre. On s’occupera de la cuisine, des diverses tâches ménagères, et Miles vous conduira où vous voulez : ma voiture sera à votre disposition.
— Ecoutez, Pierce, nous nous sommes dit adieu à l’aéroport, et vous m’avez bien fait comprendre, alors, que nous ne nous reverrions plus. Alors, pourquoi revenir ici aujourd’hui ? Vous perdez votre temps.
L’expression de Pierce se durcit soudainement.
— Vous attendez peut-être un enfant de moi, et j’ai le droit de le protéger, lui, autant que sa mère.


Prise de court, Emma resta sans voix. Depuis la mort de sa grand-mère, elle n’avait pas songé au fait qu’elle pouvait être enceinte. Pierce et elle n’avaient pas pris de précautions, à Paris, et elle se trouvait à une période de son cycle où la fécondation est possible. Il n’était donc pas absurde de penser qu’elle attendait un enfant de lui. Cette éventualité ne lui déplaisait pas. On peut tout à fait élever un enfant seul, et c’était bien son intention, si jamais elle était enceinte.
— Si j’attends un enfant, c’est mon affaire, assura-t elle d’un ton décidé. Je suis assez grande pour m’en occuper. Bien, assez discuté, Pierce. Je vous prie de me laisser, à présent. J’ai des choses à faire, et le temps passe.
— Ce que vous pouvez être butée ! explosa-t il.
— Je ne pars pas avec vous, murmura-t elle sur un ton adouci. Ce ne serait pas… convenable. Ce ne serait pas bien.
— Pas convenable ? Pas bien ? Mais pourquoi donc, dieux du ciel ? Vous êtes très fatiguée, Emma. Vous avez besoin d’assistance.
— D’assistance ? Certainement pas !
— Mais vous êtes têtue, Emma, c’est incroyable ! Je vous assure que vous avez besoin d’être prise en charge. Au moins quelque temps. Soyez raisonnable.
Il la considérait de son regard hypnotique avec tant de sincérité, tant de bonté, qu’elle hésita. Comment résister à un regard pareil ?
— Bien, concéda-t elle à mi-voix. C’est d’accord, Pierce. Un jour ou deux…
— Allez vite prendre vos affaires, préparer votre valise ! lança-t il joyeusement. Moi, je m’occupe de la cuisine.
Il retroussa immédiatement ses manches et commença de faire la vaisselle. Emma était médusée : Pierce Redfield, l’un des hommes les plus importants du monde de la finance britannique, faisait la vaisselle ! « On aura tout vu », pensa-t elle en se dirigeant vers sa chambre.
Installée confortablement, en boule, au creux d’un gros fauteuil de cuir, devant la cheminée où crépitaient des bûches, Emma rêvassait, toute à sa béatitude.
Le vaste et luxueux appartement de Pierce donnait sur un grand parc. On se serait cru en pleine campagne anglaise. Pour la première fois depuis bien longtemps, Emma se sentait bien.
— J’espère que vous trouvez l’endroit à votre goût !
Il était là, tout près d’elle. Elle ne l’avait pas entendu approcher. Il lui apportait un petit plateau où était posée une grande tasse de chocolat fumant qui embaumait.
Elle tourna la tête et répondit avec un sourire radieux :
— Absolument, assura-t elle. Mais je ne devrais pas être là… En tous les cas, merci pour le chocolat.
— Et pourquoi donc, Emma ? Pourquoi ne devriez-vous pas être là ?
— Je reste jusqu’à demain, et puis je rentrerai chez moi. Je dois m’occuper de plein de paperasses, répondre aux gens qui m’ont fait part de leurs condoléances…
— Vous pouvez très bien faire ça ici.
— Non, il faut que…
— Ah, Emma, nous n’allons pas commencer à nous disputer ! De toutes les façons, vous n’aurez pas le dernier mot.
— Oh, avec vous, c’est bien probable, admit elle avec un rire léger.
— Dès que vous le souhaitez, je vous montre votre chambre…
— Ma chambre ? répéta-t elle, hésitante.
De nouveau, elle trouvait la situation absurde : pourquoi était elle là ? Pourquoi se laissait elle prendre en main par cet homme qui lui avait bien fait comprendre, à Paris, son désir d’indépendance ? Pourquoi Pierce agissait il de cette manière avec elle ? Etait-ce de la pitié ? Elle ne voulait pas de sa compassion. Elle se sentait suffisamment forte pour affronter les difficultés de la vie, et surmonter son chagrin.
— Vous savez, Pierce, murmura-t elle d’une voix incertaine. Je me demande ce que je fais chez vous.
Il darda sur elle un regard brûlant.
— Vous êtes ici chez moi, parce que, pour une fois, vous avez besoin qu’on s’occupe un peu de vous, Emma. Je sais que cela constitue un changement de vie pour vous, mais il faut que vous acceptiez qu’on vous aide. Laissez-vous aller. Oubliez votre orgueil.
— Je n’ai besoin de personne, Pierce, insista-t elle en posant sa tasse de chocolat.
— Terminez votre tasse, Emma. Ensuite, je vous montrerai votre chambre à l’étage.
— Vous allez à votre bureau, demain matin ?
— Non. J’ai décidé de prendre quelques jours de congé.
Emma saisit de nouveau la tasse qu’elle avait posée sur un guéridon en cerisier, la vida, puis annonça nonchalamment :
— Je mettrai mon réveil assez tôt. Je ne veux pas occuper les lieux trop longtemps. J’aurai passé une très bonne soir…
— Mais vous êtes impossible ! s’écria-t il, l’air ulcéré. Vous n’êtes pas ici pour en repartir aussitôt !
— Je ne vais tout de même pas rester des mois chez vous…
— Et pourquoi pas ?
La gentille Mme Mayes, la gouvernante de Pierce, qui s’occupait de sa résidence avec une remarquable efficacité, posa le plateau du thé près d’Emma. Celle-ci était confortablement installée dans la bibliothèque où des milliers de livres étaient méticuleusement rangés sur les étagères. Par la fenêtre, Emma aperçut un rouge-gorge qui sautillait sur la pelouse du parc.


Quelques instants plus tard, Pierce frappait doucement à la porte. Emma lui dit d’entrer.
— Vous n’avez pas besoin de frapper, Pierce, dit elle avec un ton de reproche. Vous êtes chez vous.
— En l’occurrence, c’est vous qui êtes chez vous. Comment va votre mal de tête ?
— Mme Mayes m’a donné un cachet de paracétamol. Ça va beaucoup mieux, merci.
— C’est bien, fit Pierce, tout réjoui. Votre mine s’améliore de jour en jour.
— J’ai rendez-vous demain après-midi chez le notaire pour la succession de ma grand-mère.
— Miles vous y conduira. Vous me donnerez simplement l’heure de votre rendez-vous, et on s’organisera.
— C’est gentil à vous. Merci.
— Mme Mayes est en train de préparer le déjeuner pour 13 heures. Ça vous va ?
— Parfait. Merci.
— Cessez de dire « merci » toutes les deux minutes, grommela-t il. Vous n’avez pas besoin de me remercier à tout bout de champ !
— Que voulez-vous que je dise, alors ? s’insurgea-t elle. Je suis chez vous, je n’ai pas à lever le petit doigt. On s’occupe de moi. On m’apporte du thé, ou du chocolat, on me fait mon lit, on lave mon linge, on me conduit en ville quand je le désire… N’est il pas normal que je dise « merci » de temps en temps ?
— Une fois suffit. Une fois pour toutes. Oubliez le « merci ».
Le regard de Pierce, en cette matinée, paraissait plus bleu, plus perçant que jamais. Il semblait également soucieux, mais pour quelle raison ?
Emma savait qu’elle ne devait pas s’éterniser chez lui. Elle avait mille choses à régler chez elle, ainsi que de nombreux rangements à faire dans la petite maison de sa grand-mère.
La perspective de se retrouver seule dans cette maison si longtemps habitée par sa grand-mère la glaça. C’était tellement désolant que les larmes lui vinrent aux yeux.
— Qu’avez-vous ? murmura Pierce, alerté par les larmes qui coulaient sur les joues d’Emma.
Il l’aida à se lever et la serra contre lui. Elle se mit à sangloter contre son épaule, tandis qu’elle répétait : « Ce n’est rien… Ce n’est rien… »
Du bout des lèvres, il baisa son front, ses joues mouillées par les pleurs, ses cheveux…
Et, subitement, Emma eut l’envie irrépressible qu’il la prenne dans ses bras, qu’il la cajole, la caresse, l’enflamme. Le désir était revenu, fulgurant, incontrôlable. Elle avait tout à coup terriblement envie de lui.





chapitre 11


Il pouvait lire sa requête dans les yeux d’Emma. Lorsqu’il scruta son regard, il comprit en effet qu’elle était animée d’une ardeur nouvelle. Elle se plaquait contre lui avec une sensualité surprenante, ce qui le troubla au plus haut point. Jamais il n’avait autant désiré une femme.
Comme Emma caressait sa nuque avec des mouvements réguliers et voluptueux, il murmura à son oreille :
— Si nous continuons ainsi, je ne suis pas sûr de pouvoir résister à l’envie de vous porter jusqu’au lit…
— C’est justement là où je veux que vous m’emmeniez, Pierce, chuchota-t elle, éperdue de désir.
Pierce hésitait encore. Il prit son beau visage dans ses mains et lui demanda d’une voix douce :
— Vous êtes sûre de ce que vous voulez, Emma ? Vous avez eu un tel chagrin, vous avez été si bouleversée que vous n’êtes plus tout à fait vous-même, et je ne veux pas abuser de la situation.
— Vous n’abusez pas, Pierce. C’est moi qui vous le demande : j’ai besoin de vous sentir près de moi. J’ai besoin que vous me touchiez, que vous me caressiez… Faites-moi oublier mes chagrins et mes misères. Venez, je vous en prie. Vous voulez bien ?
Une fois dans l’immense chambre de Pierce, Emma enleva ses vêtements à la hâte et se glissa dans les draps de lin soigneusement repassés, qui fleuraient bon la lavande. Pierce se faufila à ses côtés, mais il resta tout d’abord discret, presque à distance. Il ne voulait pas la brusquer, comme il l’avait fait la première fois qu’ils avaient fait l’amour, à Paris. Leur avidité avait été tellement intense, alors, qu’ils s’étaient jetés dans les bras l’un de l’autre avec une frénésie incoercible.
Aujourd’hui, c’était différent. Pierce, tout débordant de désir qu’il fût, attendait qu’Emma fasse les premiers gestes. C’était elle qui l’avait sollicité, aussi attendait il avec une certaine impatience qu’elle prenne les choses en main.
Emma caressa d’abord le visage de Pierce, avec une dévotion extraordinaire, puis, s’enhardissant, elle poursuivit sa caresse en s’attardant sur ses épaules robustes, sur ses bras musclés, sur son buste puissant, couvert d’un duvet blond et doux. Sa main s’enhardit encore, et c’est alors qu’elle se mit à trembler et à gémir. Pierce s’appuya sur un coude et entreprit, lui aussi, de la caresser. Les soupirs d’Emma devinrent plus marqués, ses plaintes plus tumultueuses. Elle délirait de désir et de bonheur.
Lorsque leurs bouches se rencontrèrent, Pierce éprouva une sensation que jamais, jusqu’alors, il n’avait éprouvée. Il eut l’impression d’avoir atteint le sommet de l’amour. Emma se pressait contre lui, seins fermes et tendus de désir, en une danse érotique qui le mettait au supplice. L’un et l’autre s’enivraient de l’arôme de leurs corps respectifs, en en goûtant chaque parcelle, chaque recoin inexploré. Leur conversation amoureuse n’était plus que gémissements, plaintes et petits cris de plaisir.
— Pierce… Oh, Pierce…, murmura-t elle, ivre de bonheur.
— Oh… Emma… Tu es tellement belle… J’ai tellement envie de toi…
— Viens, mon amour… Viens…
Elle l’invita en elle dans un mouvement sensuel et exigeant, et il la pénétra tendrement, progressivement, déclenchant aussitôt en elle un déferlement de jouissance.
C’était la première fois qu’elle connaissait une extase aussi totale, qu’elle atteignait une telle intensité voluptueuse.
Ils restèrent un long moment sans rien dire, après l’amour. Ils étaient comblés. Emma songeait que, quoi qu’il advienne par la suite, elle garderait de ce moment un souvenir inoubliable. L’avenir, elle ne pouvait le prédire. Il était bien possible que Pierce l’oublie, comme il avait oublié tant d’autres femmes qui avaient pourtant soupiré entre ses bras. Mais elle acceptait cette éventualité sans se révolter. Elle était consciente de la fragilité des relations humaines…
Elle remercia silencieusement le ciel de lui avoir accordé ces instants sublimes où l’âme et le corps atteignent une communion merveilleuse qui, à elle seule, donne un sens à la vie. En bref, elle était confiante en l’avenir, quelle que soit la nature de celui-ci.
Dès demain, elle irait acheter dans une pharmacie un test de grossesse. Elle ignorait complètement son état : enceinte ou non ? Elle avait deux jours de retard pour ses règles. Deux jours seulement. Le test allait permettre de savoir ce qu’il en était.
Le lendemain, Emma avait rendez-vous avec le notaire qui s’occupait de la succession de sa grand-mère. Une grosse surprise l’y attendait : non seulement sa grand-mère lui laissait sa maison, mais un chèque de trente mille euros avait été rédigé à son intention. Lorsqu’elle demanda d’où venait ce chèque, le notaire lui expliqua que la banque qui l’avait émis se trouvait en Australie. C’était son père qui lui laissait cet argent, par l’intermédiaire de sa grand-mère. Il lui faisait cadeau de cette somme, mais ne désirait pas revoir sa fille pour autant. Etrange comportement, qui attrista Emma. Elle aurait préféré ne pas recevoir un sou et retrouver son père…

Elle était déçue.
Lorsqu’elle revint chez Pierce, celui-ci se trouvait seul dans le luxueux appartement. Elle fut frappée par l’élégance et le charme qui se dégageaient de lui. Il avait choisi un simple chandail de cachemire noir qui lui allait à merveille.
— Ah, vous êtes de retour ! lança-t il gaiement.
— Il faut que nous parlions, Pierce. Vous avez quelques minutes ?
— Bien sûr ! Allons nous asseoir dans la bibliothèque. Mme Mayes a préparé un bon feu.
Lorsqu’ils furent confortablement installés dans les profonds fauteuils qui faisaient face à la cheminée, Emma se lança sans préambule :
— J’ai vu mon notaire. Ma grand-mère m’a légué sa maison, et, en plus, je dispose de trente mille euros qui viennent de mon père.
— De votre père ! s’exclama Pierce, stupéfait. Mais je croyais que…
— En fait, les choses se sont passées d’une étrange manière, enchaîna Emma rapidement. Lorsque ma grand-mère a su qu’elle allait subir une opération du cœur, elle a écrit à son fils pour lui demander de m’aider financièrement. Elle connaissait ma situation financière, qui n’était guère brillante. Mon père a envoyé une belle somme d’argent, manifestement pour avoir bonne conscience. Et il a précisé qu’il ne souhaitait pas me voir.
— C’est triste, c’est dommage, murmura Pierce, consterné.
Puis, sur un ton plus optimiste, il demanda brusquement :
— Alors, vous allez pouvoir quitter votre travail au restaurant ?
Piquée, elle rétorqua sèchement :
— Pourquoi devrais-je abandonner mon travail ? Est-ce une activité honteuse ?
— Nous n’allons pas retomber dans la polémique à propos de votre travail, fit il, agacé. Vous faites ce que vous voulez. Ce n’est pas à moi de vous diriger ni même de vous conseiller.
— J’espère bien ! Il y a autre chose que je voulais vous annoncer, Pierce. J’ai décidé de rentrer chez moi.
— Non.
— Comment : « Non » ?
— Il n’est pas question que vous partiez. D’ailleurs, vous ne pouvez pas retourner chez vous pour la bonne raison que votre appartement est en travaux. J’ai téléphoné à votre propriétaire pour lui faire savoir dans quel état se trouve ce logement. C’est une honte. Il m’a promis de faire toutes les transformations qui s’imposent, l’aération, la salle de bains et la cuisine… Cela prendra au moins trois semaines.
Interloquée, Emma ne savait que dire. D’un côté, elle admirait l’efficacité de Pierce, mais, de l’autre, elle se sentait un peu prise au piège dans une situation où elle avait l’impression de perdre son autonomie.
— Il y a chez moi pas mal de vêtements dont j’ai besoin, plaida-t elle. Je n’en ai emporté ici qu’une partie…
— Je vous achèterai tout ce que vous désirez, ce n’est pas un problème.
Elle secoua la tête, pensive. Pierce Redfield n’avait jamais de problèmes. Il avait le don de les faire disparaître d’un claquement de doigts.
— Je vais aller m’installer chez ma grand-mère, alors, décida-t elle sans enthousiasme.
Elle savait que quelques heures dans cette maison suffiraient à la déprimer : le souvenir de sa grand-mère était encore trop vivace.
— Ce serait absurde, grommela Pierce. Je veux que vous restiez avec moi, c’est la meilleure solution. Vous n’êtes pas bien, ici ?
— Si, je suis bien, assura-t elle en soupirant.
Elle croisa le regard de Pierce et baissa les yeux. Comme il était difficile de tenir tête à cet homme ! Quelle force, quel caractère, quel regard !
— Je dois partir, déclara-t elle, obstinée. Je suis désolée, Pierce. Je ne peux pas rester.
Pierce haussa les épaules dans un mouvement de résignation.
— Bon, alors, si vous tenez absolument à quitter les lieux, je vais vous réserver une chambre dans un hôtel près d’ici. De cette manière, je pourrai rester en contact avec vous.
— Non, vous n’avez pas besoin de…
— Emma !
Il darda sur elle un regard si bleu, si direct, si autoritaire qu’elle se sentit vaincue.
— Oui, Pierce ? répondit elle d’une petite voix.
— Vous avez deux possibilités. Ou bien vous restez sous mon toit, ou bien vous vous installez à l’hôtel, près d’ici. Nous devons nous décider rapidement, car demain j’accompagne Lawrence pour son déménagement en Cornouailles.
— Vous aidez Lawrence ! s’exclama-t elle, toute surprise.
— Il a besoin d’un coup de main. Vous le connaissez : il est incapable d’organiser convenablement un déménagement, il est trop tête en l’air. Et puis j’ai envie de voir l’endroit qu’il a loué.
Emma était très émue, très heureuse de constater l’amélioration des relations entre Pierce et Lawrence. C’est pourquoi elle n’eut pas envie de contrer Pierce outre mesure.


— D’accord pour l’hôtel, concéda-t elle. Mais je tiens à payer moi-même ma chambre.
— Non, pas question.
— Alors je reste chez vous, déclara-t elle en riant. Mais, si jamais je sens que je dérange, même légèrement, je reprends ma valise et je m’en vais.
Le sourire de Pierce attendrit Emma. Il était visiblement soulagé. Il avait eu peur qu’elle s’en aille. Ses yeux brillaient de plaisir. Il reprit d’un ton enjoué :
— Je ne vois pas pourquoi vous me dérangeriez ! L’appartement est vaste. Nous ne nous gênerons pas. Ah… Au fait, j’oubliais : j’ai invité des amis à dîner, ce soir. Cela ne vous ennuie pas ?
— Mais non, c’est une bonne idée.
Les yeux fixés sur la petite boîte transparente, Emma attendait, le cœur battant. Etait elle enceinte ? La couleur vira du rouge au vert, indiquant l’absence de grossesse. Emma poussa un soupir de soulagement. Puis, paradoxalement, dans les secondes qui suivirent, ressentit comme un serrement intérieur : elle était déçue. Car la vérité, comme souvent, était double. Elle était à la fois débarrassée d’un souci, et aussi désenchantée : elle n’aurait pas d’enfant — pour l’instant.
— Eh bien, je sais à présent où j’en suis, murmura-t elle pour elle-même.
Elle alla se faire belle pour le dîner. Elle ne voulait pas décevoir Pierce.
Les invités de ce dernier, Eve et Doug Webster, étaient ses plus vieux amis. Une réelle complicité unissait Pierce, Doug et Eve. Au point qu’Emma se sentit plusieurs fois de trop au cours de ce dîner, fort joyeux par ailleurs, mais au cours duquel Pierce se montra étonnamment peu bavard.
Entre poire et fromage, Doug se tourna vers son ami et lança familièrement :
— On ne t’entend pas beaucoup ce soir, Pierce.
— Ah bon ? répondit Pierce sur un ton grognon.
— Tu as peut-être quelque chose derrière la tête, un petit secret ? insista Doug en lui faisant un clin d’œil malicieux.
— Un petit secret ? répéta Pierce en fronçant les sourcils.
— Ecoute, mon vieux, poursuivit Doug avec un rire amusé. Tu n’as pas cessé durant tout le dîner de regarder Emma… Donc, je suppose que tu as quelque chose à nous confier concernant cette ravissante jeune femme.
— Je n’ai rien à dire de spécial, ronchonna Pierce, l’air contrarié.
Après un silence quelque peu embarrassant, il reprit sur le ton de l’évidence :
— Emma et moi sommes de bons amis, voilà tout.
Un nouveau silence se fit. On entendit une fourchette tinter contre une assiette. Une gêne réelle flottait dans l’atmosphère. Pierce, sentant sans doute qu’il était de son devoir de briser ce silence oppressant, se tourna vers Emma et dit posément :
— N’est-ce pas, ma chère ?
Subitement glacée, elle affirma d’une voix étranglée :
— Mais oui, nous sommes de bons amis, Pierce et moi. Voilà tout, confirma-t elle avec un sourire forcé.
Elle regardait fixement son assiette, chavirée. Puis, n’y tenant plus, elle lança un bref : « Excusez-moi un instant », et sortit précipitamment de table.

 
 

 

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chapitre 12



Emma retourna dans sa chambre, le cœur brisé. Elle s’assit sur le lit, l’esprit vide. « De bons amis, voilà tout », avait déclaré Pierce. Le commentaire équivalait presque à une injure. Comment Pierce pouvait il avoir des mots aussi durs — ou plus exactement aussi vains — pour qualifier leur relation ?
Elle se leva brusquement, entra dans la salle de bains et coiffa ses cheveux, une manière pour elle de recouvrer son calme et ses esprits.
Et, subitement, elle murmura pour elle-même, à voix basse :
— Je sais ce que je dois faire : réserver le premier vol pour un pays tropical, et prendre deux ou trois semaines de vacances. Oui… Voilà la solution.
Demain, elle se rendrait dans une agence de voyages. Elle n’avait plus de soucis d’argent, à présent. Elle pouvait s’offrir une destination de rêve. Elle pourrait se reposer, sur le sable brûlant, à l’ombre des cocotiers, face au bleu de la mer. Et, là, elle déciderait paisiblement de la tournure de sa vie. Voilà l’idée !
Comme elle s’engageait dans l’escalier qui menait à la salle à manger, elle entendit Eve qui s’exclamait avec stupeur :
— Une serveuse ! C’est une serveuse… Ça alors !
Son cœur s’arrêta de battre. Elle chancela et s’appuya à la rampe de l’escalier pour ne pas s’effondrer. Elle avait envie de vomir. Elle les imaginait en train de gloser sur le métier de serveuse. Ah, ah, comme c’était amusant ! Pierce s’était donc amouraché d’une serveuse de restaurant… Oh, ce Pierce, il était vraiment incorrigible !
Emma se cramponnait à la rampe de l’escalier, blême de colère. Peut-être Pierce lui-même trouvait il la situation très drôle.
Tout le monde se moquait d’elle, c’était évident.
C’est à ce moment qu’apparut Mme Mayes. Elle portait un plateau avec quatre flûtes de champagne et se dirigeait vers la salle à manger.
— Attendez ! lança aussitôt Emma.
Elle descendit l’escalier et prit le plateau des mains de la gouvernante. Celle-ci protesta poliment :
— Mais… Je dois aller porter le champagne à…
— Je m’en occupe, coupa Emma, catégorique.
Mme Mayes paraissait déstabilisée. Elle hésitait.
— C’est gentil à vous, mademoiselle Emma, finit elle par dire. C’est très gentil…
Un instant plus tard, Emma entrait avec le plateau à la main. Pierce sursauta.
— Mais, Emma ? J’avais demandé à Mme Mayes de s’occuper du champagne. Pourquoi portez-vous ce plateau ?
— Les plateaux, j’en ai l’habitude, non ? Un de plus, un de moins…
— Mais enfin, Emma…
— C’est mon métier, après tout, n’est-ce pas ? Je suis une serveuse, non ? Une serveuse professionnelle. Oh, je n’ai pas honte de l’être. Vous trouvez sans doute ce métier dégradant ou ridicule, mais moi, je l’aime bien, ce métier de serveuse. En tous les cas, Pierce, ce n’est pas ma profession qui vous a empêché de m’emmener dans votre lit !
— Mais enfin, Emma, c’est ridicule…, protesta vivement Pierce.
Il avait pâli et son visage s’était assombri. Emma pensa qu’il ne voulait pas perdre la face devant ses amis et qu’il s’efforçait de faire bonne figure, mais il semblait profondément touché par la révolte de sa compagne.
— Je vous ai entendus, derrière la porte, tout à l’heure. Vous vous moquiez de moi ! fulmina-t elle.
— Mais pas du tout ! assura Eve, la main sur le cœur.
— Vous voulez bien nous excuser un moment ? grommela Pierce en marchant d’un pas vif vers Emma. Nous en avons pour deux minutes.
Il la saisit par le bras d’une poigne énergique et la fit sortir de la pièce.
Lorsqu’ils furent à bonne distance de la salle à manger, Pierce relâcha son étau et murmura d’un ton ferme :
— Qu’est-ce qu’il vous a pris, Emma ? Personne ne s’est moqué de vous ! Cette scène ridicule ne rime à rien !
Mais Emma, très remontée, ne voulait rien entendre. Elle n’admettait pas qu’on puisse rire des gens de petite condition.
— Evidemment, je ne fais pas partie de votre monde, marmonna-t elle avec humeur. Vous, vous appartenez à la catégorie haute, et moi, à la catégorie inférieure. Vous, vous brassez des millions, et moi, je fais des économies à la petite semaine, parce que les fins de mois sont difficiles ! Mais je n’ai pas honte de ma condition, pas plus que de mon métier ! Je suis même fière de mon rang dans la société !
Emma s’arrêta pour reprendre souffle. Elle vit que Pierce était consterné. Il finit par déclarer d’une voix marquée par la déception et la tristesse :
— Ce que vous venez de dire montre à quel point vous me connaissez peu, Emma. Pour votre information, laissez-moi vous dire que je viens moi-même d’une famille très modeste, très simple. Mon père était agriculteur et ma mère, cuisinière dans une cantine scolaire. Et savez-vous ce que font mes amis ? Eh bien, figurez-vous qu’ils travaillent durement dans la restauration. Eve, qui vous a paru être une femme du monde, a commencé sa carrière comme serveuse. Tout comme vous !0


Abasourdie, Emma ne trouvait plus rien à dire. Elle aurait souhaité que la terre s’ouvre sous ses pieds pour la faire disparaître. Elle avait honte du comportement qu’elle avait eu.
Pierce poussa un soupir de tristesse et poursuivit à mi-voix :
— Ai-je jamais eu le moindre regard de mépris à votre égard, Emma ? Avez-vous jamais senti un décalage entre nous, à cause d’une différence de classe ou de fortune ? Non. Je ne vous ai jamais prise de haut, malgré ma réussite professionnelle. Je ne vous ai jamais méprisée, ni pour votre métier ni pour votre compte en banque. Ce n’est pas la modestie de ce dernier qui pourrait être dégradante. Je juge les gens pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils possèdent. Je ne m’estime nullement supérieur à vous. Et, dans l’absolu, je ne pèse pas plus lourd que vous.
Sidérée d’entendre une telle profession de foi, Emma saisissait que, jusqu’à présent, elle avait mal compris Pierce.
Ce dernier avait l’air encore très affecté. Il murmura doucement :
— Je retourne auprès de nos amis. Venez nous rejoindre dès que vous serez remise.
Il tourna les talons, la laissant totalement déboussolée.
Elle dormit très mal, cette nuit-là. Elle se leva de bon matin et descendit dans la cuisine pour se préparer un café. Naturellement, à cette heure matinale, Mme Mayes n’avait pas encore pris son service.
Comme elle ouvrait un placard pour y prendre le paquet de café, elle entendit la porte s’ouvrir. C’était Pierce. Elle eut un petit sourire nerveux.
— Vous êtes bien matinale, remarqua-t il.
— Vous aussi, Pierce.
— C’est parce que j’accompagne Lawrence en Cornouailles.
— Ah, oui, c’est vrai. J’avais oublié.
Pierce avait pris une douche froide pour se réveiller, après une nuit pénible durant laquelle il n’avait cessé de désirer Emma. Se tournant et se retournant dans son lit, il avait désespérément cherché le sommeil, mais l’image d’Emma, qui dormait dans l’autre chambre, à quelques pas de là, n’avait cessé de le hanter.
Et voici qu’elle se trouvait maintenant devant lui, si mince, si gracieuse, si désirable dans son peignoir de soie qui laissait deviner les courbes sensuelles de son merveilleux corps. Pierce mourait d’envie de la prendre dans ses bras, de l’embrasser passionnément, puis de la conduire jusqu’à son lit pour de folles étreintes.
S’il n’avait pas fait la promesse d’accompagner Lawrence, il serait resté auprès d’Emma, et il aurait tout fait pour se réconcilier avec elle, pour dissiper l’absurde malentendu de la veille.
— Lawrence doit être fou de joie, aujourd’hui, commenta Emma en souriant. Il va pouvoir enfin commencer la vie d’artiste dont il rêvait !
— Je ne sais pas s’il parviendra à vivre de son art, mais, en définitive, on ne peut pas lui reprocher de tenter sa chance.
Très étonnée par le changement d’attitude de Pierce à l’égard de Lawrence, Emma se sentait profondément émue.
— Je suis tellement heureuse de votre réconciliation avec Lawrence ! Les parents et les enfants ne devraient jamais s’enfermer dans des positions où le dialogue n’existe plus. Il faut toujours rester ouvert.
— C’est en effet mon avis, concéda Pierce avec un sourire. Et j’espère que votre père se manifestera un jour. Il ne faut jamais perdre espoir.
Elle eut une moue dubitative.
— Oh, je n’ai plus guère d’illusions de ce côté, soupira-t elle avec découragement.
Mais, balayant la tristesse qui l’avait submergée, elle se redressa et reprit d’un ton plus ferme :
— J’ai bien réfléchi, Pierce. Je vais vous quitter. Je vous suis très reconnaissante de m’avoir accueillie avec autant d’attention, de gentillesse, mais il faut que je m’en aille. Je… J’ai des projets.
On eut dit que Pierce venait de recevoir une décharge électrique. Il tressaillit, puis sembla chercher un argument pour la retenir encore. Il ne supportait pas l’idée de la voir disparaître.
— Et si vous étiez enceinte ? hasarda-t il avec une sorte d’espoir dans la voix.
— Je ne le suis pas. J’ai effectué le test de grossesse : il est négatif. Je voulais vous le dire hier soir, mais il y avait du monde, et, surtout, il y a eu cet incident qui a rendu toute discussion impossible.
La déception se lisait sur le visage de Pierce. C’était tout à fait paradoxal, pensa Emma, car il avait nettement affirmé, quelque temps auparavant, qu’il ne souhaitait pas avoir d’enfants. Pourquoi, alors, ce désappointement qui marquait son beau visage ?
— Vous avez des projets, disiez-vous ?
— Je vais prendre un peu de vacances et, lorsque je reviendrai, je m’inscrirai à l’université.
— A l’université ? répéta-t il, éberlué.
— J’ai besoin de diplômes qui me permettront de changer d’activité.


— Vous voulez commencer une autre… carrière ?
— Oui. Je ne vais pas rester serveuse indéfiniment. Le métier me plaît, plus exactement, m’a plu. Mais j’ai envie de changement. Il n’y a rien de pire que la routine dans la vie.
Pierce approuva d’un signe de tête. Il demeurait silencieux, pensif. Et, brusquement, il comprit qu’il était totalement amoureux d’Emma. Il ne pouvait nier cette évidence : il l’aimait comme il n’avait jamais aimé aucune femme jusqu’alors.
Dès le début, lorsqu’elle avait fait irruption dans son bureau, il avait été fasciné par le charme d’Emma, par son élégance naturelle, sa spontanéité, sa vision très personnelle des choses.
Et, depuis lors, son attachement pour elle n’avait fait que croître, jour après jour, même s’il n’en avait pas toujours été conscient, même s’il avait minimisé son importance.
A présent, il ne pouvait plus se passer d’elle. Il avait besoin d’elle de la même manière qu’il avait besoin d’oxygène pour respirer.
La perspective de vivre sans elle le mortifiait. Il fallait qu’elle reste avec lui : c’était vital.
— Et la maternité ne vous tente pas ? questionna-t il avec gravité au bout d’un moment. Vous n’avez pas envie d’avoir d’enfants ?
— Si, un jour, sans doute, quand j’aurai rencontré l’homme qui…
— Mais bon sang, Emma ! explosa-t il. A quel jeu jouez-vous ?
En deux enjambées, il fut près d’elle, et il l’enlaça d’un mouvement impérieux. Il la tenait fermement contre lui.
— Vous ne pouvez pas disparaître dans la nature en faisant abstraction de tout ce que nous avons déjà vécu, tous les deux ! Vous avez failli porter mon enfant ! Nous sommes liés, quoi qu’il advienne. Oh, si vous saviez comme je le souhaitais, cet enfant !
Avant qu’Emma ne puisse répondre, la bouche de Pierce avait pris possession de la sienne, et ils échangèrent un baiser d’une ardeur, d’une intensité, d’une tendresse extrêmes. Emma, totalement bouleversée, comprenait que cet homme était le centre de sa vie, sa raison d’être, son avenir.
Lorsqu’ils rompirent leur étreinte, Emma sentait que la tête lui tournait, tant elle était heureuse.
— Vous l’espériez vraiment, cet enfant ? demanda-t elle, émue.
— Je vous aime, Emma. Je souhaite avoir plein d’enfants avec vous.
— Oh, Pierce ! murmura-t elle, les larmes aux yeux. Si vous saviez !… Moi aussi, je l’ai espéré, cet enfant… Notre enfant. Oui, moi aussi, je veux des enfants de vous… Si vous saviez comme je vous aime !
Pierce exultait. C’est d’une voix vibrante qu’il enchaîna :
— Qui dit enfants, dit mariage, c’est logique, non ?
— C’est logique, admit Emma, les yeux embués de larmes.
— Alors, ne tardons pas à nous marier !
Ils se jetèrent une nouvelle fois dans les bras l’un de l’autre avec ivresse.
Au bout d’un moment, ayant repris ses esprits, Emma demanda d’une voix hésitante :
— Mais dites-moi, Pierce. Et Lawrence ?
— Quoi, Lawrence ? répéta-t il avec un sourire optimiste.
— Comment va-t il réagir lorsque nous lui annoncerons que nous nous marions ? Je n’ai pas envie qu’il fasse une crise, qu’il soit jaloux de vous…
— Nous avons bien progressé, Lawrence et moi, ma chérie. Nous avons dissipé les malentendus et les conflits qui nous opposaient. Je suis prêt à l’aider, non seulement financièrement, mais je voudrais aussi être un père pour lui.
Il s’interrompit. Il la dévisageait avec des yeux pleins d’amour.
— Dis-moi, Emma. Quelle impression cela va-t il te faire d’avoir Lawrence comme beau-fils ?
— Oh, mon chéri, je m’y ferai, tu sais. Même si cela paraît un peu bizarre au début.
— J’ai envie de toi, j’ai terriblement envie de toi, mon amour, murmura-t il d’une voix troublée. Allons dans ma chambre…
— Mais… ce déménagement que tu dois faire avec Lawrence ? dit elle d’une voix incertaine.
— Je suis sûr qu’il dort encore. Viens, accordons-nous ce moment d’intimité… Nous avons du temps à rattraper. Viens, viens, mon amour ! 0

 
 

 

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