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chapitre 15
A peine eût-il entendu résonner l’appel désespéré de Rebecca que Blaidd dégaina son épée et se précipita à travers la cour. Il gravit quatre à quatre l’escalier à vis et, se jetant de tout son poids contre la porte de la chambre du comte, fit irruption dans la pièce.
Une épée ensanglantée à la main, Throckton se dressait au-dessus du corps de Rebecca qui gisait sur le sol. Elle avait les mains jointes sur son flanc et un liquide pourpre coulait entre ses doigts. Son teint était cireux comme celui d’une morte.
— Rebecca ! dit Blaidd d’une voix étranglée par l’angoisse en courant vers elle.
— Gardes ! cria le comte. Gardes !
Une rage terrible s’empara de Blaidd qui pivota vers Throckton comme un lion prêt à bondir.
— Sale traître ! s’écria-t il. Si tu imagines que les gardes vont t’aider, tu te trompes. Pas un homme d’armes dans toute l’Angleterre ne te portera assistance.
Le sang reflua du visage du comte quand il vit Blaidd avancer vers lui, l’épée au poing.
Dobbin et deux gardes venaient de surgir sur le seuil et découvraient avec horreur le corps inanimé de Rebecca.
— Qu’est-ce que vous attendez ? leur cria Throckton d’un ton furieux. Tuez-le ! Ne voyez-vous pas qu’il s’en prend à votre seigneur ? Il vient de frapper ma pauvre Rebecca.
— C’est ta lame et non la mienne qui est rouge du sang de ta fille, dit Blaidd entre ses dents.
Il luttait contre l’envie de transpercer le comte, mais ce dernier ne méritait pas une mort rapide.
Le regard empli d’épouvante, Throckton brandit sa rapière.
— Tu mens, Gallois. Tu t’es saisi de mon arme et je te l’ai arrachée des mains après ton horrible forfait. Vengez le sang de ma fille, gardes ! Plongez vos piques dans le cœur de ce traître qui a abusé de ma confiance. Je l’ai surpris alors qu’il essayait de posséder ma malheureuse enfant…
— C’est faux ! cria Blaidd en avançant sur lui, prêt à l’occire s’il continuait à nier l’évidence.
Dobbin, qui n’avait pas vu Blaidd le précéder dans l’escalier, tira son épée dans le doute et s’interposa entre son maître et le chevalier. Rejeté par Rebecca, ce dernier avait donc tenté de la prendre par la force et, comme elle lui résistait, il l’aurait menacée de son arme…
Persuadé soudain que la scène s’était déroulée ainsi, il se jeta furieusement sur Blaidd.
— Non seulement vous passez vos nuits avec les filles mais, le jour, vous vous en prenez à damoiselle Rebecca !
Le chevalier para le coup et les épées s’entrechoquèrent violemment. Par deux fois, Dobbin porta de terribles assauts contre Blaidd qui échappa de justesse à sa lame. Bouleversé par ce qu’il pensait être la mort de Rebecca, il n’avait pas même envie de se défendre. Le goût d’en finir, de rejoindre sa bien-aimée dans l’au-delà, s’immisçait même en lui alors qu’il venait de contourner la table pour échapper à la fureur de Dobbin.
Ce dernier le rejoignit et, Blaidd, par instinct de survie et par réflexe aussi — il avait livré tant de tournois au cours de sa vie qu’il esquivait les coups de son ennemi sans même en être conscient —, retrouva un peu d’ardeur à combattre et réussit à résister aux assauts de Dobbin.
— Votre seigneur est félon, dit-il à ce dernier alors que leurs visages et leurs épées se frôlaient. J’ai été envoyé ici par le roi pour enquêter à son sujet et j’ai acquis la preuve qu’il envisageait de marcher sur Westminster avec l’aide des Danois et d’autres barons. C’est Ester, qui m’avait imploré de venir la voir pour me faire des révélations, qui a achevé de me convaincre de la réalité de ce complot.
Le doute voila le regard de Dobbin. Bien des démarches de son maître lui avaient semblé suspectes, ces derniers temps, et l’arrivée impromptue des Danois lui avait particulièrement déplu. Le chevalier disait-il la vérité ? Mais alors, il avait commis une erreur impardonnable en l’accusant d’avoir tué Rebecca ! Le drame qui venait de se produire était le point d’orgue de tous ces malentendus…
— Eh bien, gardes ! dit le comte en s’adressant aux deux hommes armés de piques qui restaient immobiles à l’entrée de la chambre. Allez à la rescousse de votre chef.
Voyant les deux gardes hésiter, il s’affola et, au mépris du code de la chevalerie, voulut poignarder Blaidd dans le dos.
— Blaidd !
Ce cri désespéré avait jailli de la gorge de celle que l’on croyait morte. Appuyée sur un coude, horrifiée, Rebecca observait la scène.
En entendant sa voix, Blaidd retrouva instantanément sa vigueur et sa force. Profitant de l’indécision de Dobbin, il dégagea son épée et fit volte-face au moment où le comte allait lui fendre le crâne du tranchant de son arme.
Plongeant sous son bras dressé, il lui enfonça son épée dans le flanc.
L’épée du comte chut au sol.
Luttant pour respirer, Throckton recula en titubant. Il heurta la table derrière lui et s’y effondra, renversant tout ce qui s’y trouvait. Il essaya de se relever et se mit à tousser alors que le sang jaillissait de son nez et de sa bouche.
Ses yeux se révulsèrent et, glissant de la table, il tomba la face contre le sol.
Sans même s’inquiéter de Dobbin, Blaidd se tourna vers Rebecca dont les prunelles élargies trahissaient la détresse. Ne venait-elle pas d’assister à la mort de celui qu’elle avait aimé et chéri comme un père jusqu’au matin de ce même jour ?
Dobbin avait couru le premier vers elle et la soutenait dans ses bras.
— La lame n’a fait qu’effleurer les côtes, dit-il en examinant la blessure. L’entaille est plus profonde au ventre, mais elle n’est pas mortelle. J’ai vu pire. Rebecca survivra.
Blaidd ferma les yeux pour une brève prière de louange. « Merci Seigneur », murmura-t il à la fin de son oraison alors qu’il relevait les paupières.
Mais il vit que Rebecca, dont le visage était d’une pâleur livide, avait les joues sillonnées de larmes. Assurément, la malheureuse pleurait celui dont elle ne parvenait toujours pas à admettre la trahison…
— Je n’ai pas pu faire autrement, assura-t il, en proie à un terrible tourment. Ou c’est moi qui serais mort.
La jeune fille ne répondit rien et, tournant la tête vers Dobbin, blottit le visage contre sa poitrine.
— Il n’aurait pas pu échapper à la mort de toute façon, reprit Blaidd. Il aurait été condamné à subir des supplices atroces. Il valait mieux pour lui terminer sa vie ainsi.
Dobbin le considéra avec froideur. Il voulait bien accréditer la thèse du chevalier, mais il sentait le besoin de vérifier certains propos, notamment concernant la jeune prostituée.
— Ce n’est pas le moment de discuter, chevalier, dit-il sèchement. Damoiselle Rebecca a besoin de soins. Je vais m’en occuper, J’ai une certaine expérience des blessures et de la façon de les panser.
— Oui, vous avez raison, concéda Blaidd en se redressant.
Un sentiment d’impuissance terrible l’envahit. Un soldat comme Dobbin ne pouvait-il comprendre qu’il n’avait fait que se défendre ? Et si lui en était incapable, comment Rebecca arriverait-elle à lui pardonner d’avoir tué son père, même s’il était prouvé que ce dernier complotait contre la couronne ?
Toutes les personnes au service du comte de Throckton réagiraient peut-être de la même manière à son égard, auquel cas il serait en danger, de même que Trevelyan. Trevelyan dont il avait la charge et dont il ne devait exposer la vie pour rien au monde. Il fallait fuir au plus vite ! La première chose, d’ailleurs, étant de trouver l’écuyer.
Les deux gardes, muets, interdits, attendaient sur le seuil de la chambre. Blaidd tenait bien serré dans sa main le pommeau de son épée. S’ils essayaient de l’empêcher de sortir, ils trouveraient à qui parler.
Mais avant qu’il n’atteignît la porte, Valdemar passa entre les deux gardes et entra dans la chambre. Il s’arrêta brutalement et retint son souffle lorsqu’il vit le comte qui gisait dans son sang. Puis, levant les yeux, il aperçut Rebecca dont la tunique portait une large tache rouge au côté.
La vue du Danois rappela à Blaidd qu’il était d’abord ici comme envoyé du roi et qu’il était temps, maintenant, de le faire savoir. Même s’il avait eu un instant la tentation de fuir, il lui apparaissait désormais évident qu’il allait de sa responsabilité de prendre le commandement du château et de sa garnison.
— Venez avec moi, dit-il avec autorité en prenant le Danois par le bras. Nous parlerons dehors.
Le sang aux joues, manifestement très mal à l’aise, le géant blond le suivit. Domestiques et gardes encombraient l’escalier, obstruant le passage. Blaidd les pria d’aller vaquer à leurs occupations, mais il retint Meg à qui il demanda de s’occuper de sa maîtresse. La jeune fille, visiblement bouleversée, se précipita dans la chambre du comte.
Blaidd descendit avec Valdemar dans la grande salle et l’entraîna à l’écart. Le Danois dégagea son bras que Blaidd n’avait jamais lâché et, faisant face au chevalier, grommela :
— De quel droit me tenez-vous ainsi comme si j’étais votre prisonnier ?
Blaidd le regarda droit dans les yeux et demanda à son tour :
— De quel droit osez-vous comploter contre mon souverain ?
— Je ne comprends pas de quoi vous voulez parler.
— Vous me comprenez très bien, au contraire. Et votre allié gît dans une mare de sang dans sa chambre. Votre complot prend un bien mauvais tour, je le crains.
Valdemar, baissant les yeux sur l’épée de Blaidd, recula d’un pas.
— Il n’y a aucun complot, répondit-il sur un ton qui manquait de conviction. Je ne suis venu à Throckton que pour faire du commerce avec le comte…
Blaidd le considéra longuement avec une expression sévère.
— Je ne vous crois pas et je ne pense pas non plus que notre roi croira à votre version des faits. Il y a peu de chance pour qu’il considère avec bienveillance l’implication d’étrangers dans un complot contre la couronne d’Angleterre. Aussi, prince, je vous suggère de fuir au plus vite le royaume pendant que je vous en donne l’occasion. Si vous restez, vous risquez fort de vous retrouver dans la tour de Londres.
Valdemar, quelque peu rassuré par les propos de Blaidd, reprit une attitude hautaine, la main rivée au pommeau de son épée comme s’il ne redoutait pas de croiser le fer avec le chevalier alors que, un instant avant, il craignait fort d’avoir à le faire.
— Vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez, répondit-il. Vos accusations ne reposent sur rien.
— Le roi sera informé de ce qui s’est passé ici et il aura connaissance de votre présence, reprit Blaidd, nullement intimidé. Il soupçonnait déjà fortement Throckton de conspirer contre lui. A présent, il n’aura plus aucun doute à ce sujet et il établira évidemment un lien entre votre venue à Throckton et le complot contre la couronne à la tête duquel se trouvait le comte. Henry n’aura aucun doute non plus sur l’implication de votre père. Je vous conseille donc de ne pas mettre les pieds en Angleterre à l’avenir, à moins que vous ne vouliez déclencher une guerre entre nos deux royaumes.
Le sang monta aux joues de Valdemar.
— Cette allusion à une guerre est absurde, de même que votre histoire de tour de Londres. Jamais votre roi ne me ferait emprisonner. Vous oubliez que je suis le fils du roi du Danemark !
Il se tut et s’efforça de recouvrer un peu de calme avant de reprendre :
— D’ailleurs, vous n’avez aucune autorité ici.
— Dans la mesure où nous sommes en Angleterre, j’en ai un peu plus que vous. Soyez certain que ce n’est pas par amitié que je vous laisse rentrer librement dans votre pays, mais pour éviter les hostilités qui ne manqueraient pas de se déclencher entre nos deux souverains si nous vous jetions en prison comme vous le méritez.
Valdemar ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son ne franchit le seuil de ses lèvres. Le visage empourpré, il tourna les talons et quitta la salle, suivi de Blaidd qui marchait d’un pas lent et décidé.
Rebecca ouvrit lentement les yeux. Elle était couchée dans le luxueux lit à baldaquin de son père. Meg, tournée vers la table de toilette, lavait un linge dans la cuvette. Un faible jour entrait par les étroites fenêtres dont les volets étaient ouverts. L’aube, sans doute ?
Que faisait-elle ici ? Que s’était-il passé ?
Le souvenir des événements de la veille revint soudain à sa mémoire : la conversation qu’elle avait surprise entre le comte et le prince danois, l’échange violent entre elle et celui qu’elle considérait encore comme son père, la peur horrible qu’elle avait ressentie et le coup d’épée donné par ce dernier, et, enfin, l’intervention de Blaidd suivie de la mort du comte…
Blaidd n’avait pas eu d’autre moyen de protéger sa propre vie. En pourfendant le comte, il s’était simplement défendu. Il avait été le premier à se précipiter dans cette chambre. Sans son intervention si rapide, le comte l’aurait sans doute frappée une seconde fois pour s’assurer de sa mort.
Elle avait été sauvée par celui qui avait conquis son cœur…
Elle s’en voulait de ne pas lui avoir fait confiance. Comment avait-elle pu le repousser avec une telle arrogance ? Pour défendre un père qui n’était pas le sien et qui la méprisait… Quelle tragique erreur qui avait failli lui coûter la vie et la séparer à jamais de Blaidd.
Elle voulait le voir et lui demander pardon. Elle espérait qu’il comprendrait combien il lui avait été difficile d’entendre, et plus encore de croire, ces propos sur son supposé père le présentant comme un renégat, un félon.
Elle essaya de s’asseoir mais une vive douleur au côté la fit retomber sur son oreiller.
— Il est trop tôt pour vous asseoir, dit une voix familière tout près d’elle. Vous pourriez rouvrir les plaies.
Dobbin… Elle n’avait pas encore vu qu’il était assis à son chevet. Il se penchait sur elle, à présent, lui souriait et lui prenait la main qu’il serrait dans les siennes, fortes et rugueuses. Des mains de soldat et d’homme du peuple.
C’était lui son père… Son vrai père… Comme elle était fière de lui, et comme elle s’en voulait aussi de ne pas s’en être avisée plus tôt ! Pourtant, la couleur de leurs yeux était identique, de même que leurs nez.
Pourquoi, aussi, n’avait-elle pas remarqué qu’Ester ressemblait à Laelia alors qu’elle-même n’avait rien de commun avec elle ? Pourquoi avait-elle été aveugle à tous ces signes si révélateurs ?
Meg se retourna, un linge ruisselant d’une eau rose à la main.
— Vous êtes réveillée, enfin ! s’exclama-t elle, les yeux cernés, mais le visage éclairé par un beau sourire.
— Et vous, Meg, vous répandez une eau sale sur le sol, remarqua Dobbin d’un ton sévère.
Dobbin était toujours un peu brusque avec les servantes, aussi Meg ne prêta-t elle pas attention à sa remarque. Après avoir replongé le linge dans la cuvette, elle approcha du lit sans se départir de son sourire et en séchant ses mains sur son tablier.
— Désirez-vous quelque chose, ma damoiselle ? demanda-t elle. Rowan a préparé un bouillon pour vous lorsqu’il a appris…
Elle se mordit la lèvre avant de poursuivre :
— … que vous étiez blessée. Il nous a dit que cela vous remettrait sur pied en un clin d’œil.
Rebecca acquiesça d’un hochement de tête.
— Si Dobbin n’y voit pas d’objection, bien sûr, répondit-elle.
— Un bon bouillon de viande et de légumes ne peut que vous faire du bien. Vous pouvez même, peut-être, y ajouter un peu de pain. D’ailleurs, je ne refuserai pas moi-même du pain et du fromage. Vous devriez manger également, Meg.
— Peut-être, répondit-elle en se tournant vers la porte. Je vais chercher tout ce qu’il faut dans la cuisine.
Une fois seul avec la jeune fille, Dobbin reprit :
— Vous avez perdu beaucoup de sang avant que je ne réussisse à recoudre correctement votre blessure, dit-il en étudiant le visage de la jeune femme. Il faut vous reposer, maintenant, sinon j’aurai travaillé pour rien.
— Où est le chevalier Morgan ? s’enquit la jeune fille.
— Je ne sais pas.
A l’expression fermée de Dobbin, elle comprit qu’il ignorait les vraies raisons pour lesquelles Blaidd s’était rendu dans la maison de plaisir au beau milieu de la nuit.
— Il n’est pas allé voir Ester pour les raisons que vous imaginez, expliqua-t elle. Lorsqu’il était allé y rechercher Trevelyan, Ester lui avait dit qu’elle avait des informations importantes me concernant à lui transmettre. C’est pour les recueillir qu’il est retourné là-bas.
Pour la première fois de sa vie, Rebecca vit le sang refluer complètement du visage de Dobbin.
— Que… que lui a-t elle dit ?
Rebecca devinait la raison de son émoi mais elle ne voulait en parler que lorsque l’innocence de Blaidd serait clairement établie entre eux.
— Que ce n’était pas la première fois que les Danois venaient à Throckton mais que, précédemment, ils s’étaient fait passer pour des Allemands. Elle craignait que le comte n’eût des intentions néfastes pour nous tous et pour le royaume et voulait, surtout, prévenir Blaidd pour qu’il puisse me protéger contre la colère du roi. Elle a dit également à Blaidd qu’elle était la fille de Throckton pour qu’il ait une idée du genre d’homme insatiable et sans moralité qu’il était.
Dobbin laissa échapper un soupir en opinant du chef.
Rebecca prit alors la grande main de Dobbin dans la sienne, cette rude main qui l’avait si bien et si délicatement soignée, et, le regardant avec tendresse dans les yeux, ajouta :
— Je sais ce que vous redoutez que je dise…
Dobbin, tendu et visiblement très ému, la fixait intensément.
— C’est vous mon vrai père, reprit Rebecca avec un doux sourire. Je l’ai appris de la bouche même du comte avant qu’il n’essaie de me tuer.
Dobbin rougit puis, se levant brusquement, gagna la fenêtre.
— Pourquoi ne me l’avez-vous jamais dit vous-même ?
Le regard dirigé vers la campagne qui s’étendait à perte de vue au-delà des remparts, le soldat répondit d’un ton bourru :
— Parce que je savais comment vous réagiriez si je vous disais la vérité. Vous auriez quitté le château car vous n’auriez pas pu vivre dans le mensonge.
Il se retourna pour la regarder avant de reprendre :
— Or, je considérais que vous méritiez de mener la vie d’une jeune fille noble. Tout en vous est noble, comme l’était d’ailleurs votre maman.
Il revint vers le lit et ouvrit les mains.
— Qu’aurais-je pu vous offrir sinon la vie rude d’une fille de soldat ? J’ai préféré rester en service à Throckton toute ma vie et être tout près de vous pour vous voir grandir et devenir une jolie et très noble damoiselle, à l’image de votre maman qui n’était plus là, malheureusement, pour en être témoin.
Il s’interrompit et sembla plonger à l’intérieur de lui-même, au tréfonds de son cœur où séjournaient ses plus chers souvenirs.
— Votre mère était la personne la plus fine, la plus délicate et courageuse qui eût jamais vécu sous ces cieux, et je me demande encore ce qui l’a attirée en moi…
Il secoua la tête sans pouvoir terminer sa phrase.
— Elle a vu un homme de mérite avec un cœur immense, dit Rebecca avec fermeté. Un homme qui l’aimait, tout simplement.
— Oh ! cela oui ! Je l’aimais, murmura-t il en retournant s’asseoir sur le tabouret près du lit. Mais, peut-être, d’une manière un peu trop égoïste sinon je ne l’aurais pas mise enceinte. Je me serais *******é de la vénérer à distance.
— Je suis certaine qu’elle vous a aimé aussi, Dobbin. Et si c’était un signe d’égoïsme, je ne lui en ferais pas le reproche.
— Elle ne s’est pas donnée à moi par faiblesse, Rebecca. C’était une femme généreuse et bonne, mais dotée d’une volonté de fer. Il lui fallait faire preuve de beaucoup de courage pour supporter les vexations que lui faisait subir votre père. Il s’acharnait contre elle comme il s’est acharné, plus tard, contre vous. Il a essayé, sans y parvenir, de vous briser l’une et l’autre.
Rebecca pensa à ce qu’elle-même avait éprouvé lorsqu’elle avait eu le sentiment que Blaidd l’aimait sincèrement.
— C’était votre amour qui lui donnait de la force, répondit-elle.
— Pas au début. Je la respectais et l’admirais trop pour oser imaginer quoi que ce fût. Et lorsque j’ai pris conscience de ce qui se passait dans mon cœur, j’ai lutté de toutes mes forces pour contenir mes sentiments. Votre mère faisait la même chose de son côté. Elle avait un sens élevé de l’honneur.
— Mais elle souffrait trop et elle a fini par se tourner vers vous pour chercher d’abord un réconfort, puis l’amour s’est glissé dans cette amitié faite initialement d’estime réciproque. Je suis heureuse que vous lui ayez donné votre amour, Dobbin. Vraiment.
Elle lui prit les mains.
— Je suis fière que vous soyez mon père.
— Et moi, je suis plus fier encore que vous soyez ma fille, dit-il, les larmes aux yeux. Ma fille chérie…
Un silence chargé d’émotion et de tendresse s’établit entre eux alors qu’ils se tenaient toujours les mains.
Puis, soudain, l’expression de Dobbin devint grave.
— Il ne faut pas en parler, Rebecca. Nous devons garder ce secret entre nous.
— Pourquoi ? s’étonna-t elle, déçue. Je n’ai pas honte de dire que vous…
— Il est dans l’intérêt des gens de Throckton que cela ne se sache pas. Qui d’autre que vous pourra parler au roi en leur faveur et lui faire comprendre que personne ici, ni vous, ni votre sœur ni moi n’étions mêlés à la conspiration conduite par votre père. Laelia est peut-être l’aînée, mais elle n’est bonne qu’à pleurer et se lamenter.
Rebecca reconnut la justesse de son propos.
— Oui, murmura-t elle, mais cela ne me plaît pas.
— Croyez-vous que cela me soit agréable, à moi ? demanda Dobbin en fronçant les sourcils. Mais, hélas, nous n’avons pas le choix. Votre devoir est de protéger les domestiques de Throckton et le mien de protéger les hommes de la garnison.
— Où est Laelia ? Sait-elle ce qui s’est passé ?
— Je crois qu’elle passe son temps à pleurer dans la chapelle. C’est le chevalier Morgan qui lui a annoncé la mort du comte.
Le cœur de Rebecca se serra en pensant à la douleur de sa sœur et au remords qu’avait dû éprouver Blaidd en annonçant à la jeune fille la mort de son père, tué de sa propre main !
— Est-ce que Blaidd vous a informé de ce qui allait se passer maintenant ?
Dobbin fit « non » de la tête.
— Pas à ma connaissance, mais il a de facto pris le commandement du château et donné l’ordre aux Danois de le quitter. Ils sont partis à l’aube.
— Je voudrais lui parler, Dobbin. Pourriez-vous aller le chercher pour moi ?
Au même instant, on frappa à la porte.
— C’est sans doute Meg avec le bouillon, dit Dobbin en se levant pour aller ouvrir.
Mais il n’eut pas à le faire. La porte s’ouvrait déjà pour livrer passage au chevalier, vêtu comme pour livrer bataille et dont l’expression austère laissait craindre le pire.0

 
 

 

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ÇáÊÓÌíá: Sep 2007
ÇáÚÖæíÉ: 43839
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g adoré ce roman

 
 

 

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ÞÏíã 29-01-10, 05:05 AM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 28
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ÇáÊÓÌíá: Jan 2010
ÇáÚÖæíÉ: 155436
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 37
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ãÚÏá ÇáÊÞííã: *ÊÇáÇ* ÚÖæ ÈÍÇÌå Çáì ÊÍÓíä æÖÚå
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merci bcp chere Rihame

 
 

 

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ÞÏíã 31-01-10, 12:26 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 29
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chapitre 16


Du moins Rebecca le crut-elle car il portait une cotte de mailles sous son manteau, ses bottes étaient munies d’éperons, il avait son heaume sous le bras et son épée au côté qui claquait contre sa cuisse à chaque pas.
Il approcha du lit, l’attitude un peu raide, en tout cas pas celle qu’on était en droit d’attendre d’un homme venant rendre visite à sa bien-aimée pour laquelle, la veille, il avait mis sa vie en péril.
— J’espère que vous êtes sur le chemin de la guérison, ma damoiselle ? demanda-t il avec courtoisie.
— En effet, répondit-elle laconiquement, consternée par son attitude rigide et la froideur de son ton.
— J’ai le regret de devoir vous apporter de mauvaises nouvelles.
Rebecca se redressa sans tenir compte de la douleur que le mouvement lui infligeait.
— De quoi s’agit-il ?
Le regard glacial de Blaidd se troubla quelque peu.
— Je suis vraiment désolé de vous annoncer cela, ma damoiselle, mais votre sœur…
Il hésita puis, se redressant, poursuivit :
— Il semble qu’elle se soit enfuie.
— Enfuie ? répéta Rebecca, incrédule.
— Apparemment, confirma Blaidd dont l’expression devint plus sévère encore. Elle m’a dit, hier soir, qu’elle voulait veiller votre père dans la chapelle pendant la nuit. Je n’y ai vu aucun inconvénient à condition qu’elle n’y fût pas seule. Une domestique a donc été désignée pour rester près d’elle. La servante a dû s’endormir. En tout cas, lorsqu’elle s’est réveillée, au petit matin, votre sœur n’était plus là. Elle est venue me trouver aussitôt et j’ai fait fouiller le château de fond en comble. Or, voici ce que nous avons trouvé dans votre chambre où régnait un certain désordre.
Blaidd s’avança en présentant un parchemin à la jeune fille.
— Sait-elle écrire ?
— Oui, mais pas très bien. J’ai voulu apprendre pour tenir les comptes de la maison, mais elle, elle ne faisait aucun effort. Mon père… euh… le comte de Throckton a insisté pour qu’elle ait tout de même des notions.
— L’écriture est très tremblante.
— Elle a toujours écrit comme cela, répondit Rebecca en prenant connaissance des quelques phrases maladroites tracées sur le parchemin.
Il s’agissait d’un mot d’adieu qui lui était adressé et qui précisait que Laelia partait avec Valdemar. Elle laissait à sa sœur tous ses vêtements et ses bijoux.
Rebecca le relut trois fois avant de vraiment comprendre ce que Laelia avait fait et pourquoi. Puis, elle leva les yeux sur Blaidd et Dobbin qui la fixaient avec inquiétude.
— Elle a fui avec le prince danois, dit-elle laconiquement.
— Elle a toujours voulu vivre à la cour, dit le capitaine de la garnison d’un air mé*******, mais je croyais qu’il s’agissait de celle d’Angleterre !
— Je ne suis pas certain qu’elle soit partie de son plein gré, déclara Blaidd.
— Vos hommes seraient venus vous trouver même ici, demanda Rebecca à Dobbin, s’ils avaient remarqué quoi que ce fût d’étrange ou d’anormal lorsque les Danois ont franchi les portes du château, n’est-ce pas ?
— Bien sûr, ma damoiselle. Rien n’échappe à la vigilance de mes gardes.
— Ils ne m’ont pourtant pas vu descendre avec une corde l’autre nuit, objecta Blaidd.
— Ah ! bon ? Vraiment ? dit Dobbin, ironique, en relevant un sourcil.
Blaidd, impassible, reprit :
— Je n’en demeure pas moins préoccupé. Valdemar pourrait fort bien avoir forcé Laelia à l’accompagner.
— Si elle a voulu quitter Throckton sans être vue, il y a un passage secret, intervint Rebecca. Seule la famille le connaît, mais je ne doute pas que je puisse vous faire confiance, seigneur chevalier, pour que vous ne le révéliez à personne.
Rebecca insista sur le mot « confiance » pour bien faire comprendre à Blaidd qu’elle regrettait de ne pas lui en avoir témoigné suffisamment lorsqu’il exprimait ses soupçons au sujet du comte.
— Il part justement de la chapelle, reprit-elle, et débouche dans un petit bois en contrebas du château.
— Il se pourrait aussi que les Danois en aient eu connaissance et qu’ils l’aient utilisé pour enlever Laelia, rétorqua Blaidd.
Dobbin eut un petit grognement désapprobateur.
— N’avez-vous pas noté comment elle regardait ce prince ? Après ce qui s’est passé, elle redoutait peut-être que vous ne la fassiez emprisonner pour haute trahison. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle se soit enfuie avec le Danois. Je ne perdrais pas mon temps à essayer de la retrouver.
— Peut-être ne vous sentez-vous pas concerné, Dobbin, mais moi, je considère que c’est mon devoir de le faire. J’ai donné la possibilité à Valdemar de se retirer et d’échapper ainsi à la colère du roi, mais je ne lui ai pas donné l’autorisation de partir avec la fille aînée du comte. Même si le risque qu’il l’ait emmenée de force est très faible, je ne veux pas le prendre et, si c’est le cas, il est de mon devoir de la ramener ici saine et sauve.
Il tourna son regard vers Rebecca et son expression était pleine de respect lorsqu’il lui demanda :
— Vous souhaitez savoir si votre sœur est partie librement et volontairement, n’est-ce pas, ma damoiselle ?
— Oui, bien sûr, je voudrais en avoir la certitude, répondit la jeune fille, *******e qu’il lui parlât, enfin, sur un ton moins distant.
— Je vais prendre vingt de vos hommes avec moi, dit-il à Dobbin, et me lancer à leur poursuite.
— Les Danois, eux, sont cinquante, objecta Dobbin.
— Vingt de vos gardes parfaitement entraînés suffiront largement si les choses tournent mal.
— Vingt et un, répondit Dobbin, car je viens avec vous.
Blaidd tourna les talons et, avant de quitter la chambre, s’adressa à Rebecca en ces termes :
— Si votre sœur s’est sauvée parce qu’elle me redoutait, c’est sans raison. Je suis parfaitement conscient qu’aucune de vous n’était impliquée dans la conspiration conduite par votre père ni même au courant de ses ambitions, et j’ai formellement l’intention de le bien faire comprendre au roi.
Lorsqu’il aperçut la troupe danoise à environ deux lieues de Throckton, Blaidd eut le sentiment que Laelia était partie de son plein gré. Si Valdemar l’avait emmenée de force, en effet, il se serait certainement éloigné du château au triple galop et, à cette heure, il aurait parcouru une bien plus grande distance. Alors que là, il apparaissait qu’ils avaient cheminé à l’allure très lente convenant à Laelia.
Reconnaissable à sa grande taille et à la blondeur de ses cheveux, Valdemar marchait en tête de la troupe. Une jeune femme, blonde également et vêtue d’un manteau bleu, chevauchait près de lui, a priori en toute liberté.
Mais, même si les apparences semblaient montrer que Laelia était partie volontairement, il voulait l’interroger et l’entendre exprimer sa volonté de sa bouche. Comme il l’avait clairement expliqué à Rebecca, il représentait le roi à Throckton et avait besoin de s’assurer que, en la circonstance, rien de contraire à la morale ni aux bonnes mœurs n’avait été commis.
Ordonnant aux hommes de Dobbin de le suivre, il éperonna Aderyn Du qui partit au galop. Trevelyan aurait aimé participer à une charge de ce type, pensa Blaidd, mais il lui avait interdit avec fermeté de venir. Il ne s’agissait pas d’un jeu et il ne voulait pas exposer le jeune homme à recevoir un mauvais coup.
Valdemar, entendant le bruit de la cavalcade dans son dos, se retourna. Autour de lui, les cavaliers essayaient de maîtriser leurs montures qui hennissaient et s’agitaient nerveusement. Certains, cependant, y renoncèrent et, relâchant leurs rênes, laissèrent leurs chevaux partirent eux aussi au galop le long de la route qui serpentait au flanc d’une colline.
Valdemar leur cria de garder le pas, mais d’autres les imitèrent et, bientôt, toute la troupe s’éloigna dans un nuage de poussière tandis que le prince restait seul auprès de sa compagne qui criait de frayeur.
Blaidd s’était attendu à voir Valdemar fuir avec les autres, mais il avait dégainé et restait à côté de la jeune fille en pleurs qu’il protégeait en s’interposant entre elle et ses poursuivants.
— Ah ! C’est vous, chevalier, dit-il quelque peu rassuré de reconnaître Blaidd. Je croyais que nous étions libres de partir.
Il remit son épée au fourreau, mais garda une attitude hautaine et princière, la présence de Laelia réveillant assurément en lui des sentiments de noblesse et d’orgueil guerrier.
— Vous êtes effectivement libre de quitter l’Angleterre, prince. Je ne reviens pas sur ma parole. Le plus tôt sera le mieux, d’ailleurs. Je ne vous ai poursuivi que pour m’assurer que damoiselle Laelia était partie sans contrainte de votre part.
Laelia fit avancer sa jument pour que le chevalier entende bien sa répons.
— C’est moi qui ai choisi de partir avec lui, dit-elle d’un ton ferme qui ne lui ressemblait pas. Vous n’êtes ni mon père ni mon frère. Vous n’avez aucune autorité sur moi. Je ne retournerai pas avec vous.
— Dans la mesure où vous n’avez ni père ni frère, le roi est votre tuteur légal jusqu’au jour où le plus proche de vos parents mâles sera désigné pour jouer auprès de vous le rôle de protecteur, ou que vous serez mariée.
— Mon père n’a aucun héritier mâle et je me tiens auprès de celui qui deviendra mon mari dès que nous aurons posé le pied sur le sol du Danemark.
Blaidd tourna son attention vers Valdemar dont le cheval caracolait nerveusement. Il vit aussitôt dans son regard qu’il avait peur, mais il ne s’agissait pas de la crainte d’avoir à combattre et de mourir, mais celle de perdre un être cher. A cette crainte se mêlaient une tristesse et une mélancolie qui ne trompaient pas.
— Vous avez vraiment l’intention de faire de cette damoiselle votre femme ?
— Oui, répondit le prince sans hésitation alors que son regard s’éclairait. Je l’épouserai dès que nous serons de retour auprès de mon père, le roi.
— Vous la prenez sans même une dot ? demanda Blaidd bien qu’il sût que cette question était sans importance aux yeux du Danois, manifestement fou d’amour.
Il voulait, toutefois, s’assurer que l’un et l’autre avaient bien mesuré toutes les conséquences de leur acte pour qu’ils n’eussent pas de regret après.
— Il faut que vous sachiez, reprit le chevalier, que si Laelia part avec vous maintenant, elle ne touchera rien de son héritage. Son père étant considéré comme traître, tous ses biens seront confisqués par la couronne, et vu les circonstances du départ de sa fille aînée, il est peu probable qu’Henry lui restitue quoi que ce soit.
— C’est elle que je veux et non sa dot, répondit le prince. Elle sera ma femme et la mère de mes enfants, tous des fils et des filles légitimes. Je vous donne ma parole qu’elle sera bientôt princesse.
Blaidd reconnut au ton de sa voix et à la clarté limpide de son regard qu’il exprimait le fond de sa pensée.
— Je vous crois, répondit-il avec un sourire. Au fond, vous n’êtes peut-être pas aussi proche de vos ancêtres vikings que je ne le pensais.
Valdemar esquissa un sourire lui aussi.
— Vous nous laisserez donc partir ensemble ?
— Oui, répondit Blaidd.
Puis, se tournant vers Laelia :
— Vous avez conscience de tout ce que vous allez perdre, n’est-ce pas ?
La jeune fille sourit à son tour et jamais elle n’avait paru à Blaidd aussi jolie et heureuse.
— Oui, mais je sais aussi tout ce que je gagne. J’aime Valdemar et lui aussi m’aime.
— Vous ne pourrez peut-être plus jamais revenir en Angleterre, même pour une simple visite.
Le menton délicat de Laelia se mit à trembler et ses yeux se remplirent de larmes.
— Rebecca va me manquer. Dites-lui, s’il vous plaît, que je lui souhaite d’être heureuse. J’espère qu’un jour elle rencontrera, comme moi, un homme qu’elle aimera. Dites-lui au revoir de ma part et que Dieu la bénisse. Peut-être nous permettra-t Il de nous revoir un jour ?
Valdemar lui baisa la main avec dévotion, et si Blaidd n’avait pas déjà eu la certitude de la profondeur de leurs sentiments, il l’aurait eu en cet instant, car il n’y avait rien de plus éloquent que l’échange des regards entre les deux jeunes gens.
— Allez rejoindre votre vaisseau, Valdemar, dit-il.
Puis, s’adressant à Laelia :
— Je vais rapporter votre message à votre sœur.
— Que direz-vous à votre roi ? demanda le prince.
Blaidd réfléchit un instant avant de répliquer :
— Que la fille aînée du comte de Throckton est tombée amoureuse d’un beau prince danois et qu’elle a préféré fuir avec lui plutôt que de s’exposer à la colère de son souverain.
Une lueur amusée pétilla dans ses yeux.
— Je crois qu’il aimera la fin de mon explication.
— Rentrez bien, chevalier, dit Valdemar en souriant lui aussi. Je préfère que nous ne nous soyons pas affrontés. J’aurais été désolé de devoir vous tuer.
— Moi également, répondit Blaidd.
Etrangement ému, il regarda Valdemar et Laelia tirer sur la bride de leurs chevaux et s’éloigner côte à côte.
Dès son retour à Throckton, Blaidd sauta de cheval, abandonna les rênes d’Aderyn Du à Trevelyan qui l’attendait dans la cour du château, et se rendit directement au chevet de Rebecca.
Meg lui ouvrit la porte de la chambre du comte et s’empressa de l’y faire entrer, mais à peine fut-il dans la pièce qu’il s’arrêta comme subjugué. Rebecca était assise dans le lit à baldaquin, ses cheveux bruns magnifiques épandus sur ses épaules. Elle semblait plus jeune encore, mais aussi plus vulnérable, avec ce teint diaphane.
Le chevalier Morgan, fine fleur de la chevalerie et ami du roi, auquel aucune femme ne savait résister, se sentit, soudain, aussi timide qu’un puceau.
Alors qu’il se tenait devant elle, immobile et muet, le souvenir de toutes les erreurs qu’il avait commises l’accablait : il avait séduit Rebecca dans la chapelle où elle s’était réfugiée pour prier ; il lui avait caché la véritable raison de sa présence à Throckton et, plus grave encore, il avait tué son père.
Les questions qu’il n’avait cessé de se poser, depuis l’instant où il avait quitté pour la dernière fois cette chambre, le harcelaient de nouveau. L’amour qu’il vouait à Rebecca suffirait-il à compenser les mensonges dont il s’était rendu coupable à son égard et considérerait-elle qu’il n’avait pas d’autre choix que de tuer le comte pour sauver sa propre vie ? Ou le haïssait-elle à présent, ne voyant en lui qu’un espion de la couronne coupable d’avoir brisé sa famille ?
Il attendait en silence qu’elle voulût bien parler et qu’elle lui donnât, ainsi, quelques indications sur les sentiments qu’elle nourrissait à son égard.
— Laisse-nous, Meg, s’il te plaît, dit Rebecca en s’adressant à la servante qui attendait près de la porte.
Comme cette dernière ne semblait pas comprendre et considérait sa maîtresse d’un air interrogateur, Rebecca reprit :
— Je voudrais parler avec le chevalier, seule à seul.
Quand la jeune fille eut quitté la pièce et refermé la porte derrière elle, Blaidd espéra que la tension baisserait entre Rebecca et lui, mais ce fut l’opposé qui se produisit. Il ne savait que dire… Pouvait-il, d’ailleurs, seulement s’aventurer sur un terrain personnel ?
Le silence se poursuivit jusqu’à en devenir insupportable. Pour le briser et en finir avec ce malaise, il s’informa tout simplement de l’état de Rebecca :
— Comment vous sentez-vous ? Allez-vous un peu mieux ?
— Oui… Grâce au bouillon de Rowan, il me semble que je reprends des forces.
Le silence retomba sur eux et Blaidd, qui redoutait qu’il s’installât de nouveau de façon durable, s’empressa de donner à Rebecca des nouvelles de Laelia :
— C’était bien le libre choix de votre sœur de partir avec Valdemar.
La jeune fille acquiesça.
— Je le pensais.
— Moi aussi. Mais je voulais en être sûr.
— Vous avez très bien fait de le vérifier. Je vous en remercie. Je suis heureuse d’avoir la confirmation qu’il n’y avait aucun doute au sujet de son choix.
Un voile de tristesse glissa dans le regard de Rebecca.
— J’aurais seulement aimé lui dire au revoir.
Blaidd regretta aussitôt de n’avoir pas obligé Laelia à revenir à Throckton pour faire ses adieux à sa sœur.
— Elle était triste de vous quitter, assura-t il. Elle nous a dit que vous seriez la seule personne qui lui manquerait, et elle espère qu’un jour vous trouverez aussi le bonheur.
Rebecca baissa les yeux sur ses mains jointes sur ses genoux.
— Je vois…
— Je ne doute pas qu’elle aime sincèrement Valdemar et que lui aussi ait des sentiments pour elle, reprit Blaidd en se rapprochant du lit dont il resta, néanmoins, éloigné de plus d’un pas. Il la prend, en effet, sans dot, et affirme que cela lui importe peu. Je crois qu’il est honnête lorsqu’il dit qu’il va l’épouser. Si je n’en avais pas eu très fortement l’impression et si j’avais senti la moindre hésitation ou le moindre doute chez Laelia, je ne leur aurais pas permis de quitter le sol d’Angleterre.
Rebecca lui lança un regard ironique.
— Vous ne leur auriez pas permis ?
— Je suis le représentant du roi auprès de vous, ma damoiselle.
— J’en suis bien consciente. C’est bien là le problème.
Il regretta aussitôt d’avoir donné cette réponse.
— Que va-t il advenir de moi, chevalier ?
Il aurait voulu lui répondre : « Nous allons nous marier », mais il n’en avait pas le droit. L’avenir de Rebecca dépendait du roi et non de lui.
Même si Henry voulait bien croire qu’elle n’avait aucun lien avec le complot conduit par son père, il pouvait garder des doutes sur sa fidélité à la couronne. Pour prouver sa loyauté au roi, Rebecca devrait obéir strictement à toute décision qu’il prendrait à son sujet.
Blaidd espérait convaincre le souverain de l’innocence de la jeune fille et obtenir de lui qu’il leur permette de se marier, mais s’il n’y parvenait pas, ils n’auraient pas d’autre choix que de se soumettre à sa volonté. La vie de Rebecca pourrait dépendre de leur docilité.
En ce cas, il valait mieux que Rebecca ignorât toute la profondeur de son amour car elle souffrirait moins de s’en voir privée. La sagesse lui dictait de garder ses distances vis-à-vis d’elle et, dans leur intérêt réciproque, de ne plus parler d’amour entre eux jusqu’à nouvel ordre.
— Comment pensez-vous que le roi agira avec la fille d’un traître ? demanda-t elle, faisant écho aux propres pensées de Blaidd. Me fera-t il emprisonner ?
— Aucune preuve ne pèse contre vous. Je sais, moi, que vous n’avez aucune culpabilité dans cette affaire, que vous n’étiez mêlée ni de près ni de loin aux agissements de votre père, et je suis bien décidé à le faire comprendre au roi.
— Avez-vous tant d’influence sur lui ?
— Je crois qu’il m’écoutera. Je vais l’assurer, en tout cas, de votre innocence.
— Merci… Croyez-vous qu’il me dépossédera et me retirera mon titre ?
— Je l’ignore, mais j’aurais tendance à penser que, lorsqu’il aura acquis la certitude de votre innocence, il vous prendra sous sa protection et vous permettra non seulement de porter le titre de comtesse mais aussi de conserver une partie du domaine de Throckton à titre de dot.
Il sentait sur lui le regard intense de la jeune fille comme si elle essayait de lire au fond de son âme et d’y décrypter ce qu’il n’osait pas lui dire.
— Je suppose alors qu’il voudra me marier de telle manière que cette alliance renforcera la couronne, sans se préoccuper de mes sentiments. La reine a peut-être un parent célibataire auquel la terre de Throckton conviendrait ?
Le cœur de Blaidd se serra et il éprouva un bref instant de la sympathie pour celui auquel il avait ôté la vie, la veille.
— Ce n’est pas le genre de réflexion que je ferais devant témoin à votre place, ma damoiselle.
— Non, sans doute, à moins que je ne veuille paraître suspecte aux yeux du roi.
Elle le regarda dans les yeux avec insistance.
— Dites-moi, chevalier, connaissez-vous un baron dans ce pays qui voudra bien oublier ce qu’a fait mon père et m’épouser ?
— Une chose est certaine, ma damoiselle. Personne ne peut vous obliger à vous marier contre votre volonté, pas même le roi. Ce serait en contradiction avec la loi de l’Eglise. Cependant…
Il hésita, consterné de ce qu’il allait dire, mais il fallait qu’elle fût consciente des dangers qu’elle encourait :
— Cependant, disais-je, étant donné ce qui s’est passé, je vous conseille de ne pas refuser le parti que vous offrira le roi. En vous opposant à ses vues, vous risqueriez de soulever ses soupçons au sujet de votre loyauté et, peut-être, de mettre votre vie en péril.
Elle fronça les sourcils.
— Ce qui signifie qu’on ne me jettera peut-être pas en prison, mais que je ne serai pas vraiment libre ? Si j’ai la chance que le roi me prenne sous son aile, je devrais obéir à tout ce qu’il me commandera de faire, sinon, en qualité de fille de traître, ma vie sera en danger. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Blaidd se fit violence pour ne pas rassurer la jeune fille et lui dire que rien de la sorte ne se passerait car il serait toujours là pour la protéger.
— Oui, répondit-il, le cœur serré.
Elle froissa de ses doigts fébriles la courtepointe de soie.
— Que se passerait-il si je m’enfuyais comme Laelia et qu’il ne restait plus ici aucun héritier du comte de Throckton ? Que deviendrait ce domaine ?
— Pourquoi me posez-vous cette question ? Avez-vous l’intention de vous enfuir ?
Bouleversé à la pensée qu’il pourrait la perdre, il se rapprocha d’elle.
— Je serais libre de faire ce que je veux, alors, n’est-ce pas ? insista-t elle.
— Non, pas davantage. Henry considérerait, certainement, que votre fuite est le signe de votre culpabilité. Comme tous les rois, il redoute particulièrement les conspirations. Il vous pourchasserait jusqu’à ce qu’il vous retrouve et vous seriez mise à mort.
Blaidd s’agenouilla près du lit.
— Jamais il ne croirait à votre innocence si vous vous enfuyiez maintenant. Si vous tenez à la vie, vous ne devez pas l’envisager un seul instant.
— Mais je considère peut-être qu’une vie sans liberté, où je serais un objet entre les mains du roi, ne mérite pas d’être vécue.
— Ne dites pas cela ! s’écria Blaidd, effrayé qu’elle commît un acte irrémédiable. Vous seriez en vie, du moins.
Il y avait tant de choses qu’il avait envie de dire, mais la prudence lui imposait le silence. En qualité de chevalier loyal et fidèle à son souverain, il avait le devoir de lui obéir et Rebecca également si elle voulait mériter le titre de comtesse qui allait lui échoir puisque sa sœur aînée avait fui.
— Alors, que va-t il se passer, messire ? demanda-t elle avec un sanglot dans la voix qui donna à Blaidd une envie brûlante de la serrer dans ses bras. Je suppose qu’il va falloir informer le roi de ce qui s’est passé ici. Vous rendrez-vous vous-même à Westminster, puisque votre mission est terminée, ou y enverrez-vous votre écuyer pendant que vous garderez le château dans l’attente d’une réponse du roi ?
— Je me rendrai moi-même auprès du roi. Ce sera la meilleure façon de m’assurer qu’il n’aura pas envie de se venger sur vous.
— Ce serait encore mieux si je vous accompagnais. Je plaiderais mon innocence devant lui, et lui jurerais moi-même fidélité.
Si Rebecca avait été une femme fragile et vulnérable, un joli brimborion sans caractère, il aurait peut-être répondu de façon affirmative, mais lorsqu’il l’imaginait sûre d’elle-même et impertinente, s’opposant à Henry avec la même assurance qu’elle avait eue en face de lui à son arrivée à Throckton, il optait pour la négative.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi pas ? Vous ne me croyez pas capable de parler en mon propre nom ?
— Si, évidemment, mais je crains que vous ne disiez certaines choses qu’il vaudrait mieux taire et puis il y a aussi votre manière d’être qui n’est pas toujours… très courtoise.
L’expression de Rebecca se durcit.
— Vous pensez que je vais aggraver mon cas ?
— Je connais bien le roi, Rebecca, mais vous, vous n’avez pas conscience des comportements à la cour. Il aurait mieux valu que Laelia y aille à votre place.
— A quoi bon en parler puisque c’est impossible ! s’écria Rebecca qui fit aussitôt une grimace et mit la main à son côté.
De nouveau, Blaidd eut un pincement au cœur, mais il s’interdit de se pencher sur elle pour la prendre dans ses bras comme il en avait le désir.
— Même si j’accédais à votre demande, vous ne seriez pas en état de chevaucher jusqu’à Londres. Je parlerai au roi en votre nom et je vous donne ma parole que je ferai tout ce qui est possible pour qu’il se rende compte de votre innocence et que vous méritez son respect et, même, son amitié.
Elle lisait dans le regard de Blaidd et était certaine qu’il prenait la chose à cœur.
— Je ne mets pas en doute vos bonnes intentions ni vos compétences, messire. Mais, comme vous me l’avez déjà fait remarquer, il s’agit de ma terre et de mes gens. C’est à moi de parler pour eux et aussi pour ma propre défense. Ne me refusez pas cette occasion.
Rebecca avait trouvé la formule qui touchait. Comment Blaidd aurait-il eu le cœur de lui refuser quoi que ce fût ?
— D’accord, répondit-il enfin en se redressant. Lorsque vous irez mieux, nous partirons ensemble pour Londres.
— Merci, seigneur chevalier. Il faudrait que je me repose, maintenant.
— Oui, bien sûr, répondit-il avant de quitter la chambre.
Lorsqu’elle fut seule, Rebecca ferma les yeux et s’enfonça sous la courtepointe. Elle aurait voulu se mettre en boule sur le côté et s’abandonner à sa tristesse, mais le mouvement lui aurait fait trop mal.
Elle se sentait horriblement seule. Elle avait aimé et vénéré toute sa vie un père qui n’était pas le sien et qui n’avait jamais éprouvé que de l’animosité pour elle et celle qui l’avait engendrée ; sa sœur, qui ne l’était pas non plus puisqu’elles n’étaient pas nées de la même mère, était partie vivre dans un lointain pays ; et Blaidd, qu’elle avait cru aimer, qui avait régné sur son cœur au cours des dernières semaines, se montrait depuis la veille froid et distant à son égard.
Pire encore, il avait voulu la reléguer à un rôle inférieur alors même qu’il évoquait son avenir. Un avenir solitaire, sans lui en tout cas, elle l’avait bien compris. Et même lorsqu’il avait semblé s’attendrir et s’était rapproché d’elle, ce n’était plus le Blaidd dont elle était tombée amoureuse.
Elle avait eu alors la réponse à la question qu’elle se posait sur ses sentiments, et cette réponse ne correspondait en rien à celle qu’elle appelait de ses vœux.
Tout avait changé entre eux. Les rêves qu’elle avait faits, l’espoir qu’elle avait nourri, tout s’évanouissait. Seul demeurait l’amour inexpiable qu’elle ressentait pour lui.

 
 

 

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merci soeurette di moi il reste un seul chapitre ou plus

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ aghatha   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÅÖÇÝÉ ÑÏ

ãæÇÞÚ ÇáäÔÑ (ÇáãÝÖáÉ)

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