CHAPITRE 18
LE timbre aigu de la sonnerie du téléphone la réveilla. Les lourdes tentures isolaient la chambre de la lumière matinale, mais les aiguilles du réveil lui indiquaient qu’elle avait dormi beaucoup plus tard que de coutume.
— Boone ?
Le lit était vide, et ses vêtements avaient été ramassés du sol. Même son blouson avait disparu du dossier de la chaise où il l’avait déposé. Le téléphone sonna de nouveau. Elle décrocha.
— Allô ?
— Ma colombe, je suis dans le hall.
— Oh ? Euh, bonjour, papa.
Son sang ne fit qu’un tour. Elle tourna la tête vers la salle de bains. Où était Boone ?
— Je t’ai réveillée ? demanda-t-il d’une voix surprise.
— Oui, avoua-t-elle en se glissant hors du lit. Désolée. La journée d’hier a été très longue.
— Je suis là dans deux minutes.
— Attends !
Trop tard. Le sénateur Barrington avait raccroché et s’apprêtait à prendre l’ascenseur.
Jayne attrapa ses sous-vêtements et sa chemise de nuit étalés au pied du lit, avant de les fourrer dans un tiroir de la coiffeuse au milieu d’autres vêtements bons pour la lessive. Ne disposant que de très peu de temps avant l’arrivée de son père, elle décrocha la première robe qui lui tomba sous la main dans le placard, en légère cotonnade vert pâle.
Que pourrait-elle lui dire ? Pour le moment, une seule pensée occupait son esprit : où était passé Boonfe ? Il n’était sûrement pas parti. La nuit qu’ils venaient de partager n’avait pas eu un parfum d’adieu. Impossible.
Tandis qu’elle glissait les pieds dans ses sandales, deux petits coups familiers furent frappés sur la porte. Ebourif-fant ses boucles blondes d’une main nerveuse, elle se diri-gea vers la porte. De quoi diable allait-elle lui parler ?
« Bonjour, papa. Tu ne devineras jamais ! J’ai fait la rencontre de cet homme. Je suis sûre que tu l’adoreras comme je l’adore ».
Non. Trop faible.
« Papa ! Devine ce qui m’est arrivé ! »
Non. Il comprendrait autre chose…
« Papa, je suis amoureuse. Il m’aime, je le sais, même si pour le moment je n’ai aucune idée de l’endroit où il se trouve, ni s’il va revenir… »
Elle ouvrit la porte :
— Papa…
Gus Barrington s’avança dans la pièce, étreignit sa fille, puis la tint à bout de bras pour la contempler de la tête aux pieds, avec l’œil avisé d’un père protecteur. Comme à son habitude, Chad, son principal collaborateur, se tenait un bon mètre derrière lui.
— Tu es resplendissante, observa-t-il, le visage éclairé d’un sourire heureux. Pas la moindre marque de fatigue !
— Je te remercie.
Chad, 35 ans, mince et ambitieux, dont la jeune carrière était néanmoins menacée par une incapacité pathologique à sourire, prit le relais :
— La conférence de presse débute dans vingt minutes.
— Une conférence de presse ? s’étonna-t-elle.
— Le hall est envahi par les médias, ma colombe, préci-sa le sénateur. Ils ont des milliers de questions à poser, et je suis bien en mal de répondre à une seule d’entre elles. Il m’a semblé judicieux de laisser Chad organiser une petite réunion pour en avoir fini au plus vite. Tu n’y vois pas d’inconvénient, je suppose ?
Chad l’étudia avec circonspection.
— La robe est ravissante, Jayne, mais un peu trop dé-contractée pour une conférence de presse. N’auriez-vous pas sous la main un ensemble plus habillé ? Je pense à ce tailleur mauve, ou au vert turquoise…
Pamela la taquinait souvent à propos de la quantité de vêtements qu’elle emportait à chaque voyage. Mais elle devait constamment parer à toute éventualité. Y compris les conférences de presse imprévues.
— Bien sûr, répondit-elle, un peu contrariée.
Non, ce n’était pas exactement la rencontre informelle qu’elle s’était imaginée.
D’un geste de la main, son père fit signe à Chad de s’écarter. Docile, celui-ci obtempéra. Il s’éloigna de quel-ques pas, puis ouvrit son porte-documents en cuir et fouilla d’un air concentré dans ses papiers.
Plaçant les mains sur ses épaules, le sénateur scruta son visage.
— Es-tu sûre que tout va bien ? Tu as bonne mine, je le concède, mais d’après les quelques informations qui me sont parvenues, je sais que tu as vécu d’affreux moments.
Jayne hocha la tête. Il n’en avait aucune idée.
— C’est vrai, répondit-elle. Il est avéré que Corbin Marsh est un trafiquant de drogue et un meurtrier. Il proje-tait de te soutenir publiquement et financièrement, puis… d’extorquer ton appui par chantage.
Elle hésita quelques secondes, le visage grave, avant de poursuivre :
— Si les choses avaient tourné autrement, si nous n’avions pas découvert qui il était, il t’aurait sans aucun doute compromis dans de très sales opérations.
Gus Barrington la gratifia d’un sourire indulgent.
— Ne t’inquiète pas pour ce qui aurait pu se passer. Pour être franc, je me serais retourné sur-le-champ contre ce serpent à sonnettes, au risque de mettre un terme à ma car-rière politique.
— Je le sais, soupira-t-elle.
Si elle s’agaçait parfois de l’aspect public de la vie de son père, elle savait qu’il n’en demeurait pas moins un homme foncièrement droit et honnête.
— Vois-tu, papa, tant d’événements se sont produits que je ne sais pas par où commencer… Quant à répondre aux questions des journalistes, je ne vois pas ce que je pourrais leur dire. A la vérité, je préférerais ne pas leur parler du tout. Oh, je le ferai si tu le souhaites vraiment, mais ne pourrions-nous pas simplement leur déclarer que je vais bien, et que nous discuterons de tout cela une autre fois ?
Un voile d’inquiétude assombrit le regard du sénateur.
— Si c’est ce que tu désires…
— Sénateur, objecta Chad. Dans quelques jours, cette histoire sera oubliée, et nous avons là des journalistes im-portants…
Un temps d’antenne gratuit comprit Jayne immédiate-ment.
— Si ma fille ne souhaite pas leur parler aujourd’hui, ré-pondit-il, l’œil grave, je ne la forcerai pas. Je leur dirai qu’elle est sauve, en bonne santé, et que je la ramène à la maison. Ils devront s’en satisfaire.
Jayne ne put réprimer un sourire.
— Merci, murmura-t-elle.
De nouveaux coups sur la porte.
Boone ? Oh, le moment était on ne peut plus mal choisi pour une confrontation entre les deux hommes les plus importants de sa vie !
— J’ai commandé du café, dit Chad en se dirigeant vers la porte.
— Attendez…
Sa faible protestation arriva trop tard.
L’homme qui surgit en trombe dans la pièce n’était ni Boone ni le garçon d’étage. L’intrus bouscula Chad, qui perdit l’équilibre et tomba. Des papiers s’envolèrent, le porte-documents fut projeté au sol. Le nouveau venu l’écarta d’un coup de pied.
Jayne ne reconnut pas tout de suite cet individu basané aux cheveux noirs. Puis son regard tomba sur le revolver qu’il tenait au poing. Ce n’est que lorsqu’il la regarda droit dans les yeux qu’elle comprit. Apparemment, il avait négli-gé les lentilles de contact. Par contraste avec le fond de teint olivâtre, les pâles yeux bleus lui donnaient un air si-nistre et inquiétant.
— Marsh.
— Le joli tableau que vous formez tous les deux ! obser-va-t-il d’un ton hargneux.
Au moment où il claquait la porte derrière lui sans se re-tourner, Chad lança le pied et la bloqua, grognant sous la douleur qui lui vrilla la cheville. Le producteur ne sembla pas s’en apercevoir.
— Le père et la fille enfin réunis. C’est très touchant.
Penchant la tête de côté, il dévisagea de nouveau la jeune femme.
— Où est-il ?
— Je ne vois pas de qui vous…
Marsh leva son arme et la pointa vers elle.
— Sinclair, Tex, ou quel que soit son nom. Où est-il ?
Le sénateur se plaça devant sa fille, faisant ainsi obstacle de son corps.
— Jayne ? De qui cet homme parle-t-il ?
Marsh les contourna, le sourire aux lèvres, maintenant la distance qui le séparait d’eux sans cesser de menacer Jayne de son arme.
— Ah ! Il ne sait pas encore, n’est-ce pas ? J’ai toujours pensé que le spectacle du sénateur rencontrant le petit voyou avec lequel sa fille s’envoie en l’air sans vergogne serait des plus plaisants !
Gus Barrington s’avança d’un pas, le visage congestion-né.
— Comment osez-vous ?
— Papa, intervint Jayne, arrêtant le sénateur d’une main ferme sur son bras. Elle darda sur Marsh un regard incen-diaire : J’ignore où est Boone. Il est parti.
Marsh-Gurza secoua la tête.
— Il convoitait le petit depuis le début, dit-il. Mais lors-que je m’en suis rendu compte, il était déjà trop tard. J’aimais beaucoup cet enfant, vous savez. J’y tenais énor-mément. Sa mère était une toxicomane et une putain, mais Drew était innocent. Il était la seule chose qui me soit arri-vée de bien dans ma vie…
— Combien de temps serait-il resté innocent ? coupa Jayne d’un ton agressif. Tôt ou tard vous l’auriez contami-né. Vous l’auriez transformé en un autre Harvey. Il n’avait aucune chance de mener une vie décente en restant auprès de vous.
— Vous l’avez aidé, grogna le producteur en agitant son revolver. Vous avez aidé ce menteur, ce salaud, à m’enlever Drew. Vous paierez pour cela.
— Si vous tirez, déclara le sénateur d’une voix calme, vous ne sortirez pas vivant de cet hôtel.
Marsh reporta son attention sur lui.
— Ma vie est finie. Ma maison, Drew, ma carrière… mes carrières, devrais-je dire. Ma fortune. Tout cela est terminé. Mais je ne partirai pas seul.
Son poing se resserra sur la crosse, tandis que son index appuyait peu à peu sur la détente.
La porte s’ouvrit brusquement. Dans un mouvement flou de denim et de cuir, Boone bondit au-dessus de Chad, se jetant devant Jayne et son père au moment même où le coup de feu éclatait. Surpris, Marsh sursauta et la balle passa à quelques centimètres de sa cible. La vitre de la fenêtre vola en éclats.
Sans lui laisser le temps d’une seconde tentative, Boone immobilisa son poignet et asséna au producteur un uppercut qui le fit tournoyer sur lui-même. L’arme fut projetée au sol, traversant la pièce dans sa course. Les deux hommes étaient à présent désarmés. N’importe quel être sensé eût alors compris que Boone aurait l’avantage dans une lutte à mains nues. Il était plus jeune, plus grand et plus fort. Mais c’est un Marsh rendu fou de rage qui se précipita sur lui.
Esquivant son attaque, le détective l’arrêta d’un coup de botte en pleine poitrine. Le producteur tituba en arrière et trébucha sur Chad. Ce dernier émit un grognement de dou-leur, puis, reprenant ses esprits, l’envoya d’une solide bour-rade rouler au centre de la pièce.
A bout de souffle, Marsh tenta une nouvelle fois de se relever, mais Boone l’immobilisa d’une clé, plaquant sa tête contre le sol. A califourchon sur l’homme, il se tourna vers Jayne et prit une profonde inspiration.
— Appelle la chambre 819, chérie. Et dis à Shock que s’il se dépêche, il pourra passer les menottes à Jack l’Eventreur.
Tout ce qu’il désirait, c’était toucher Jayne et s’assurer qu’elle n’avait rien. Elle semblait indemne en dépit de sa pâleur, mais il voulait la serrer dans ses bras afin d’en juger par lui-même.
Il était revenu à l’hôtel pour faire ses adieux à Jayne dans sa suite, sans se douter un seul instant qu’il entendrait la voix rageuse de Corbin Marsh filtrer par la porte entre-bâillée. Il n’osait penser à ce qui se serait passé s’il n’était pas venu lui rendre une dernière visite.
Une possibilité qui ne s’offrirait plus avant longtemps. Car son père s’était empressé de l’envoyer dans sa chambre pour qu’elle se prépare à affronter les journalistes, la confé-rence de presse ayant été reportée pour raisons de force majeure. Le bruit de la fusillade avait rameuté tout l’hôtel, et selon le sénateur, il n’était plus question d’annuler la rencontre.
Après avoir remis Corbin Marsh à Del et à Shock, Boone se retrouva momentanément seul avec le père de Jayne et son freluquet d’assistant. La tension qui planait dans la pièce était à couper au couteau. S’il avait pu s’enfuir sans passer pour un couard, il l’eût fait sans hésiter.
Le freluquet avait insisté pour que Boone fût associé à la conférence, arguant de pauvres inepties : l’homme ordinaire qui avait risqué sa vie, bla-bla-bla. Le sénateur étudiait Boone d’un œil inquisiteur, comme s’il cherchait à le dissé-quer morceau par morceau. Que Jayne lui avait-elle dit ?
Jayne émergea de la salle de bains plus ravissante que jamais, bien qu’un peu collet monté avec son rang de perles et son tailleur vert. Il voulut lui parler, mais le freluquet la dirigea sans attendre vers le couloir, comme un garde du corps zélé. Boone les suivit. Non parce qu’il avait des révé-lations à livrer à la presse, mais parce qu’il n’avait toujours pas eu l’occasion de lui parler.
Et qu’il le voulût ou non, il devait lui faire ses adieux. Après avoir accompagné les Patterson et Lacey à l’aéroport, il avait songé rentrer directement chez lui, en Alabama. Et tourner la page. Mais Jayne n’était pas une femme que l’on quitte aussi facilement.
Une partie de lui voulait la garder encore quelque temps ; une autre savait que leur relation était sans avenir.
Les portes de l’ascenseur se refermèrent sur eux. Jayne s’approcha de lui.
— Où étais-tu ? murmura-t-elle.
Il pencha légèrement la tête.
— J’ai emmené Drew et ses grands-parents à l’aéroport.
La présence de son père l’empêchait de lui dire qu’il n’avait pas voulu la réveiller. Elle dormait d’un sommeil si paisible…
— Les Patterson sont de braves gens, répondit-elle en posant une main sur son bras. Drew sera très heureux là-bas.
Le geste n’échappa pas à son père, qui haussa un sourcil perplexe.
Boone ne parvenait pas à croire qu’il lui avait parlé de Patrick et de ses cauchemars. Elle avait dû le prendre pour un fou, de traîner ainsi cette vieille culpabilité, de n’être pas capable de faire son deuil du passé. Il n’en avait jamais parlé à personne auparavant, n’en avait même jamais été tenté. Patrick était son noir secret, son fardeau.
Jayne n’avait pas besoin de partager un tel fardeau. Per-sonne n’en avait besoin.
Le rez-de-chaussée fut trop vite atteint. Quelques se-condes plus tard, ils se frayaient un chemin à travers une petite foule, vers une salle où caméras, reporters et micros attendaient leur arrivée.
Une fois à l’intérieur, Boone s’arrêta juste à côté de la porte. Le sénateur prit sa fille par la main, puis s’avança avec elle dans l’allée centrale, tout sourire dehors. Très maîtresse d’elle-même, Jayne se retourna pour faire signe au détective de les suivre. Celui-ci secoua la tête et ne bou-gea pas.
Le freluquet informa les reporters de la tentative d’assassinat dont Marsh s’était rendu coupable, expliquant de quelle manière un homme — il indiqua Boone d’un geste de la main — s’était courageusement interposé entre le sénateur et la balle qui lui était destinée.
Toutes les têtes se tournèrent. Des lampes éclairèrent son visage. Des dizaines de paires d’yeux se fixèrent sur lui. Bon sang, il n’appartenait pas à ce monde ! Que croyait-il ? Les adieux étaient faits pour les amoureux. Jayne et lui n’avaient jamais été qu’amants, et les amants se séparaient sans effu-sions.
Les reporters le mitraillèrent de questions sous l’œil des caméras, et les perches des micros. Il les ignora. Jayne l’observait depuis le podium érigé au fond de la salle, où elle se tenait aux côtés de son père. S’il avait besoin d’un rappel de leurs différences…
Une voix s’éleva au-dessus du tumulte :
— Qu’est-ce qui vous a poussé à vous jeter devant le sé-nateur ?
— Je ne me suis pas jeté devant le sénateur, répondit-il d’un ton rogue.
Puis il tourna les talons et sortit.
Le cœur de Jayne s’arrêta lorsqu’elle vit les portes se re-fermer sur Boone, et les caméras et micros se tourner de nouveau vers eux. Non, il ne s’était pas jeté devant le séna-teur. Il s’était jeté devant elle. A présent, il s’en allait. Elle avait aperçu l’expression de son visage avant qu’il ne dis-paraisse. Ce n’était pas celle d’un homme qui l’attendrait dans le hall à la fin de la conférence.
Elle s’avança vers les marches latérales, tandis que le sénateur trônait de toute sa hauteur sur le podium :
— Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Chad émit une sorte de sifflement et, d’un signe impé-rieux de la main, l’enjoignit de regagner sa place derrière son père. Celui-ci tourna vers elle un regard surpris.
— Désolée, papa, chuchota-t-elle, mais je dois partir.
Sans attendre sa réponse, elle descendit du podium et marcha vers la porte sous l’objectif des caméras. Puis, arri-vée à mi-chemin de l’allée centrale, elle se mit à courir.
Surgissant telle une flèche dans le hall, elle aperçut im-médiatement Clint et Dean, bagages aux pieds comme s’ils attendaient un véhicule pour l’aéroport.
— Où est-il ? demanda-t-elle, essoufflée.
— Mademoiselle Barrington, commença Dean d’un ton solennel, ce n’est vraiment pas une bonne…
— Pas maintenant, grand frère, coupa Clint.
Le visage fendu d’un large sourire, il désigna la porte à tambour de l’hôtel :
— Il est parti par là.
Jayne fit un pas dans la direction indiquée, puis, perce-vant le bruit d’une porte derrière elle, pivota vers les deux hommes.
— Il est possible que des reporters tentent de me suivre. Rendez-moi service. Retenez-les.
— Nous ne pouvons quand même pas interdire aux jour-nalistes de circuler dans le hall ! protesta Dean.
— Pourquoi pas ? répondit Clint, avant de faire craquer ses phalanges, l’œil brillant.
Jayne n’attendit pas de voir la suite des événements. Elle se précipita vers l’entrée de l’hôtel, d’où elle examina les voitures en stationnement, puis le parking situé un peu plus loin. Plissant les yeux, elle chercha vainement un blouson de cuir et une tête aux longs cheveux bruns. Etait-elle arri-vée trop tard ?
Dans le parking, elle s’arrêta de nouveau pour un rapide tour d’horizon. La journée était magnifique, le ciel d’un bleu incroyable et l’air chargé des premiers effluves du printemps. Comment une chose aussi terrible pouvait-elle se produire par une journée aussi radieuse ? C’était injuste.
Boone n’était nulle part en vue. Très bien. Elle se ren-drait à Birmingham s’il le fallait et débarquerait à son bu-reau. Mais elle ne voulait pas attendre. Pas plus qu’elle ne désirait passer des heures dans un avion sans savoir s’il serait là, ni s’il serait heureux de sa visite impromptue. Elle voulait le voir maintenant !
Elle jeta un dernier regard circulaire et l’aperçut enfin. Il s’avançait vers elle depuis la sortie d’un immeuble de gara-ges situé à l’extrémité du parking. Ses yeux se brouillèrent, puis, après quelques secondes de paralysie, elle courut à sa rencontre.
— Que fais-tu là ? s’enquit-il tandis qu’elle s’arrêtait à trois pas de lui.
— Je te cherchais. Ma grand-mère en serait scandalisée, les jeunes filles bien élevées ne courent pas après les hom-mes dans les parkings !
— Dans ce cas, il vaudrait peut-être mieux que tu re-tournes là-bas avant la fin de la conférence.
Pour quelque obscure raison, ces paroles lui firent cris-per la mâchoire.
— Papa se débrouillera très bien tout seul. Ceci est beaucoup plus important.
Elle tourna les yeux vers l’hôtel. Pour le moment, per-sonne ne l’avait suivie. Le barrage constitué par Dean et Clint était certainement un obstacle de taille, mais elle connaissait la détermination sans borne des reporters. Le temps dont elle disposait était limité.
Reportant son regard sur Boone, elle plaça une main au-dessus de ses yeux pour se protéger les yeux et mieux voir son visage.
— Est-ce que tu m’aimes ?
— Je suis sûr que grand-mère n’aimerait pas cela non plus, répondit-il d’une voix radoucie. Une jeune fille de bonne famille ne se permettrait pas…
— Nom de Dieu, Boone !
Il haussa légèrement les sourcils.
— Jayne Barrington, ai-je bien entendu ? Tu as dit « nom de Dieu ? »
Jayne sentit son visage s’empourprer. Elle savait ce qu’il tentait de faire, c’est-à-dire tourner en dérision ce qui était en train de se passer. Il prenait délibérément les choses à la légère, afin de garder la conscience tranquille et pouvoir s’en aller comme si de rien n’était.
— Très bien, soupira-t-elle. Tu penses que je devrais re-gagner la salle de conférences ? Dis-moi que tu ne m’aimes pas et je le ferai.
Les traits et le regard de Boone reprirent un aspect miné-ral.
— Cela ne devrait pourtant pas te poser de problèmes, poursuivit-elle. C’est ce que tu fais le mieux. Mentir… Ecoute-moi bien, Boone Sinclair. Tu me mens maintenant, tu me dis que tu ne m’aimes pas, et je m’en vais. Et lorsque les journalistes me demanderont qui tu es, je leur répondrai que tu es juste un brave homme qui m’a sauvé la vie à deux ou trois reprises.
Elle s’avança d’un pas.
— Ou, pour une fois, tu me dis la vérité, reprit-elle. Tu me dis que tu m’aimes, et nous partons ensemble tous les deux. Je collaborerai avec toi si tu le désires. Je t’aiderai à retrouver des enfants perdus et à chasser tes cauchemars. A moins que tu ne préfères travailler seul. Dans ce cas, je t’attendrai sagement à la maison, et serai là pour t’accueillir lorsque tu rentreras.
— Jayne, c’est…
— Assez ! Je ne veux plus de tergiversations ni de raille-ries. La vérité ou le mensonge. Tu choisis.
— Je ne…
Il ne pouvait plus lui mentir à présent, elle le savait.
La saisissant par le poignet, il l’attira contre lui. Jayne glissa aussitôt les bras autour de son cou. Il la souleva du sol, l’étreignant avec passion.
— Bien sûr que je t’aime, nom de Dieu ! grogna-t-il. Mais cela ne signifie pas que les choses fonctionneront entre nous. Tu devrais être avec quelqu’un qui… Un homme du genre de ce freluquet, là-bas. Le petit monsieur avec son porte-documents.
— Chad ? s’étonna-t-elle, horrifiée.
— Oh, et puis crotte ! grommela-t-il.
Jayne l’embrassa dans le cou et plongea les doigts dans ses longs cheveux.
— Moi je t’aime, déclara-t-elle. Et nous avons besoin l’un de l’autre. Nous appartenons l’un à l’autre, d’une ma-nière intime que personne ne pourra jamais soupçonner.
— Je sais, soupira-t-il, tandis que tout son corps se dé-tendait.
— Je t’aime, espèce de sacrée tête de mule.
Boone resserra les bras dans son dos.
— Jamais plus je ne te laisserai partir, murmura-t-il. Je refuse désormais de te perdre de vue plus de cinq minutes.
— Peur que je remette les pieds dans les ennuis ?
Elle lui avait déjà connu cette expression. La sombre in-tensité du regard, les lèvres tentantes et entrouvertes, le cou crispé par la tension…
— Non. A la vérité, je me sens misérable et inutile sans toi. Effrayant constat pour un gars qui n’a jamais eu besoin de rien ni de personne.
— Tu as besoin de moi.
— Bon sang, oui !
— Moi aussi j’ai besoin de toi, déclara-t-elle. Comme j’ai besoin d’air, d’eau, de sommeil.
— Alors je crains fort qu’il ne te faille m’épouser, ob-serva-t-il d’une voix rugueuse.
— C’est également mon avis.
Un lumineux sourire s’épanouit sur son visage. Puis il lui offrit un long et voluptueux baiser, qu’il rompit en chucho-tant :
— Ya-houou.
Épilogue
Un beau dimanche d’été dans le Mississippi. Le soleil qui filtrait à travers les tentures damassées réveilla Boone. Après une minute de flottement, il se souvint qu’il était dans la maison familiale de Jayne.
Avec un beau-père qui ne l’aimait pas trop, une belle-mère qui continuait à faire la tête parce que le mariage n’avait pas revêtu l’apparat qu’elle avait espéré, et une belle-grand-mère déterminée à le gaver au-delà des limites du raisonnable. En comparaison, la traque aux mauvais garçons était une promenade de santé !
La veille au soir, le sénateur, qui avait insisté pour qu’il l’appelât Gus, avait emmené Boone dans son bureau après le dîner. Là, il lui avait proposé une somme de 20 000 dol-lars pour qu’il se coupât les cheveux. Après un juron des moins civilisés, Boone avait répondu qu’il ne le ferait qu’à la demande de Jayne, et que cela ne lui coûterait pas un centime. De toute évidence, avoir comme gendre un Sin-clair n’était pas du goût du sénateur Barrington.
Et Mme Barrington avait failli s’étrangler en apprenant leur décision de s’envoler pour Las Vegas pour s’unir de-vant un sosie d’Elvis Presley. Lorsqu’ils avaient commencé à parler mariage, elle leur avait présenté un planning étalé sur une année, ce qui avait fait dresser les cheveux sur la nuque de Boone. Pas question d’attendre un an avant de faire de Jayne sa femme !
Il haussa les épaules, un sourire aux lèvres. Depuis tou-jours, il était habitué à être considéré comme un mouton noir, et ne voyait aucun inconvénient à perpétuer la tradi-tion.
Jayne roula contre lui dans le lit, avant de se réveiller le sourire aux lèvres. Ils avaient passé la nuit ici, à Hooker’s Bend, dans le Mississippi, et dormi dans son lit de jeune fille qui s’était révélé aussi bruyant qu’une usine à ressorts. Ses changements de position au cours de la nuit n’avaient dû échapper à personne. Il détestait les antiquités, et cette maison en était remplie.
— Bonjour, murmura-t-elle.
Boone l’embrassa avec chaleur.
— Bonjour, mon amour.
— J’ai rêvé de bébés, soupira-t-elle, un tendre sourire sur les lèvres. Ton neveu Justin est si mignon.
— Notre neveu, rectifia-t-il.
Leur visite de deux jours à Atlanta s’était déroulée à la vitesse d’un éclair. Comme il s’y était attendu, Jayne et Shea étaient d’emblée devenues amies. Tout le monde avait adoré la jeune femme. Boone s’était montré si heureux de ce court séjour qu’il n’avait même pas songé à houspiller Clint lorsque celui-ci avait présenté son nouveau-né à l’oncle « Booboo ».
C’est la gorge serrée d’émotion qu’il avait tenu dans ses bras l’enfant âgé de seulement trois jours. Comment ne pas être ému devant cette vie minuscule, fragile et vulnérable ?
— Combien en veux-tu ? demanda-t-il.
Quelques jours plus tôt, l’idée d’être père l’eût terrifié. Maintenant, elle lui semblait naturelle.
— Des enfants ? s’enquit Jayne surprise.
— Quoi d’autre ?
Jayne se lova contre lui et murmura :
— Je n’ai pas encore décidé. Plus d’un, en tout cas. J’ai toujours détesté être une fille unique. Trois ou quatre…
Un sourire ému s’épanouit sur son visage.
— Trois filles et un garçon, décréta-t-elle.
Boone la couvrit de son corps. Le lit protesta en émettant un grincement inquiétant. Laissant échapper un rire cristal-lin, Jayne plongea les doigts dans ses cheveux.
— Est-ce que tu es prêt ? demanda Jayne.
Boone commença à s’agiter au-dessus d’elle. Le lit coui-na. A ce régime-là, ils finiraient tous deux sur le plancher de la chambre, au moins aussi bruyant.
Sa jeune épouse lui adressa l’un de ces sourires qui le faisaient fondre.
— Je ne faisais pas allusion à cela, minauda-t-elle. Je pensais aux enfants, à la belle-famille, aux repas domini-caux, pour toujours.
— Oui.
— Sans réserve ?
— J’ai juré devant Elvis, rappela-t-il. Pour le meilleur et pour le pire.
— Je n’ai vu que le meilleur jusqu’à présent, remarqua-t-elle, tout en l’enlaçant de sa jambe.
— Je t’aime, dit-il. Lorsque le pire viendra, nous serons prêts.
Jayne était davantage qu’une amante et qu’une épouse. A maints égards, elle était sa partenaire. Et il lui appartenait corps et âme.
Ya-houou. 0
FIN
ÇáäåÇíÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÉ