CHAPITRE 12
Jayne se réveilla d’un profond sommeil, le nez sur le torse nu de Boone, un bras lui enveloppant le flanc et une jambe prise entre les siennes. Pendant un long moment, elle ne bougea pas d’un millimètre. Hmm, c’était si bon… Chaud, confortable, bien meilleur qu’elle ne l’eût imaginé.
Elle avait toujours su, bien sûr, qu’il existait d’autres spécimens de son espèce. Il était grand, fort, solide, les muscles bien dessinés et le corps dépourvu du moindre atome de graisse. Le regarder était un réel plaisir. Si elle s’était plu à penser que ce type de mâle entrait dans la caté-gorie « tout dans les muscles, rien dans la tête », ce n’était assurément pas son cas. Ses neurones fonctionnaient à mer-veille, de même que son cœur.
Sa fascination pour lui tenait-elle à ce qu’il était diffé-rent des hommes qu’elle avait connus ? Vivre aux côtés de son père lui avait fait rencontrer des avocats, des politiciens et des financiers. Des hommes certes intelligents, mais trop souvent ambitieux et calculateurs. Boone, quant à lui, se comportait avec une honnêteté qui leur faisait fâcheusement défaut.
Un mois plus tôt, elle se serait empressée de fuir la mai-son de Corbin Marsh en découvrant qu’il s’y passait quel-que chose de louche. Son père lui avait enseigné la pru-dence, et de songer d’abord à elle-même. Mais Boone, qui avait mis sa vie en jeu pour elle, lui avait ouvert les yeux. La fuite n’était pas toujours la meilleure solution. Il avait instillé en elle la volonté de risquer sa vie pour ce à quoi elle tenait. Ou celui à qui elle tenait.
Avec précaution, elle s’écarta enfin de lui. Ses dernières nuits avaient été courtes, et elle ne désirait pas l’arracher à un sommeil réparateur.
Veillant à ne pas faire de bruit, Jayne réunit des vête-ments propres et se dirigea vers la salle de bains. Après avoir refermé la porte, elle se pencha sur le rebord de la baignoire, ouvrit les robinets et laissa l’eau chaude lui cou-ler sur les doigts.
Reverrait-elle Boone lorsqu’ils seraient sortis d’ici ? A l’idée d’une réponse négative, son cœur se serra. Qu’elle dormît mieux auprès de lui était aussi insensé que l’était le sentiment de sécurité qu’elle ressentait en sa présence. Absurde, également, le fait qu’elle aimât ses cheveux longs, sa mine renfrognée, son blouson de cuir et… son caractère bourru. Quant aux sentiments qu’elle lui vouait — et qu’elle n’avait jamais éprouvés pour quiconque auparavant — ils la laissaient tout aussi rêveuse.
Considéré objectivement, Boone n’était pas son type. Mais il possédait en lui-même plus que les apparences ne le laissaient supposer. Oui, il était imposant, souvent grossier, comme peuvent l’être les mauvais garçons. Mais s’arrêter à cela, c’était ignorer l’essentiel : il avait grand cœur, ainsi qu’un sens aigu de la justice. Il était vrai, honnête et… elle adorait la manière dont il l’embrassait.
Elle-même avait rejeté la compagnie des hommes après ses désastreuses fiançailles avec Dustin. Et jusque récem-ment, jamais elle n’avait réalisé à quel point sa position était radicale : la recherche de la perfection, rien que cela ! Boone n’était pas parfait. Personne ne l’était. Il lui arrivait cependant de penser que néanmoins il était parfait pour elle.
Restait au moins un point dont elle était sûre : Boone ne s’intéressait pas à elle parce qu’elle était la fille du sénateur Barrington. Non, l’univers dans lequel ce dernier évoluait lui répugnait au plus haut point. S’il la voulait, c’était pour la femme qu’elle était.
Mais la voulait-il ?
A peine sortie du bain, Jayne se sécha et s’habilla d’une robe en coton bleu, parfaite pour cette journée. Elle se bros-sa les cheveux, s’appliqua un peu de rouge à lèvres et glissa les pieds dans une paire de sandales blanches.
Les enfants, elle ne l’ignorait pas, se réveillaient tôt. Peut-être pourrait-elle surprendre Drew et sa nurse pendant leur petit déjeuner et obtenir du petit garçon qu’il lui mon-trât sa chambre. N’était-il pas naturel et compréhensible pour une jeune femme d’afficher de la curiosité à l’égard d’un tout petit ?
Sa décision prise, elle quitta la pièce aussi discrètement qu’elle était sortie du lit.
Il luttait contre le vent, la moto fonçant à vive allure sur la route sinueuse. Il était chez lui. Il le savait, à cause des arbres et des kudzus qui défilaient de chaque côté, typiques de l’Alabama. Un parfum familier emplissait l’air, propre, piquant et humide. Pendant un moment, le rêve fut agréa-ble.
— Vous allez encore tout faire foirer ! dit une voix der-rière lui.
Boone fit un écart. La machine frôla la sortie de route, mais il la rétablit aussitôt. Jetant un œil par-dessus son épaule, il reconnut Patrick à cheval sur la selle, avec ses cheveux carotte et ses taches de rousseur.
— Accroche-toi à moi ! ordonna Boone.
— Non ! lança Patrick d’un ton de défi.
Le gosse refusait de se tenir à Boone ainsi qu’il l’aurait dû. Il pavoisait en équilibre précaire sur le bout de la selle, impudent et téméraire. Bon sang ! Il allait tomber !
— Cette fois, vous avez semé une belle pagaille, dit Pa-trick en secouant lentement la tête. Quand donc appren-drez-vous ?
— Tout va bien, assura Boone, j’ai la situation bien en main.
Il tenta de ramener la moto sur le bon côté de la route, mais la machine refusait de coopérer.
Patrick éclata de rire.
— Vous le croyez vraiment ?
Boone ignora le sarcasme et garda les yeux rivés sur la chaussée, tandis qu’apparaissait devant lui un virage en épingle. La vitesse s’accrut, les arbres et les kudzus se fondirent en une sorte de gelée verte, puis la moto quitta la route et s’envola…
Roulant sur lui-même, il ouvrit les yeux et tendit la main vers Jayne. Le lit était vide. Il se redressa d’un bond, profé-ra un juron, puis se souvint du micro sous la table de nuit. Avait-il parlé dans son sommeil ?
Son cauchemar, bribes déplaisantes de son passé, demeu-rait bien vivace dans son esprit. Etait-ce la raison pour laquelle il éprouvait cette sensation de panique ? Ou était-ce l’absence de Jayne ?
— Jayne ?
Il se glissa hors du lit et se dirigea vers la salle de bains. La porte était ouverte. Pas de Jayne.
En quelques secondes il fut habillé. Bon Dieu ! Quelle mouche l’avait donc piquée de s’aventurer seule dans la maison ? Marsh était d’une façon ou d’une autre en cheville avec Gurza, et ils devaient être très prudents.
Boone se dirigea vers le corps central du bâtiment, où étaient situés le séjour, la salle à manger, la cuisine et la bibliothèque. S’y trouvaient également deux autres pièces, à première vue peu utilisées. Il tendit l’oreille. Pas un bruit. Ce silence ne lui disait rien de bon.
Un son ténu lui parvint enfin. Un rire d’enfant. Alors qu’il se dirigeait vers l’aile sud, le rire résonna de nouveau, plus lointain cette fois. Pivotant sur lui-même, il regagna le centre de la maison, pour entendre un deuxième rire se superposer au premier. Celui de Jayne. Sans hésiter, il s’avança dans la direction d’où provenaient les bruits.
Il les trouva dans le jardin, Jayne assise sur la terrasse auprès de Drew, au milieu de petites voitures et de rampes fabriquées à l’aide d’objets disparates. Pendant quelques secondes, il se *******a de les regarder, laissant son cœur retrouver un rythme normal.
Qu’une femme pût être aussi belle était presque inconce-vable, songea-t-il, l’épaule appuyée sur le chambranle de la porte. La ligne délicate du visage, la peau nette et lumi-neuse, l’or blond de ses cheveux… Mais sa véritable beauté résidait ailleurs. Dans le rayonnement de son sourire, déci-da-t-il. Non. Ce rayonnement émanait du plus profond d’elle-même, de la chaleur qui se trouvait sans doute dans son âme.
Il lui suffisait de les emporter tous deux dans ses bras, et de les emmener hors de la maison. Son pick-up était garé devant l’entrée, et s’il agissait avec rapidité… Il examina les lieux. La nurse était assise à une table non loin de là, mais elle ne représentait pas un problème. Harvey, en re-vanche, se tenait discrètement à quatre ou cinq mètres de Jayne et de l’enfant. Tout en sirotant un café, il jetait de temps à autre un regard de leur côté. Qui surveillait-il ? Jayne ou Andrew ?
La veille, tandis que le domestique transportait son sac de marin, Boone avait remarqué que l’un de ses bras restait légèrement écarté du corps, signe qu’il portait un holster. De toute évidence, l’aversion de Marsh pour les armes à feu tolérait quelques exceptions…
Jayne se rendit soudain compte de sa présence. Elle leva la tête et son sourire s’élargit.
Rien que pour lui.
Du doigt, elle lui fit signe d’approcher.
— Nous avons commencé une course de stock-cars, an-nonça-t-elle.
Drew leva son visage aux joues rebondies et dévisagea le détective de ses magnifiques yeux marron.
— Tu veux jouer ?
Boone s’accroupit au sol et accepta le modèle réduit que lui tendait l’enfant.
— Pourquoi pas ?
— Si j’ai bien compris, dit Jayne, le but du jeu est de démolir autant de voitures que possible.
— Oui ! s’écria Drew avec un sourire réjoui.
— Quand j’étais petit, répondit Boone, je faisais des par-ties avec mes frères.
— Moi, je n’ai pas de frères, répondit l’enfant, la moue dépitée. Mais quelquefois oncle Corbin ou M. Harvey jouent avec moi.
— C’est très bien, observa Jayne d’une voix tendre.
Boone tressaillit aussitôt à l’idée que le gosse côtoyait un gangster armé comme Harvey.
Drew se pencha vers lui avec une mine de comploteur, et chuchota :
— Mlle Jayne joue comme une fille.
— Je sais, murmura-t-il.
Pendant plusieurs minutes, les véhicules se percutèrent joyeusement, sous les éclats de rires du petit garçon. Bien-tôt lassé des carambolages, il entreprit de faire emprunter à son véhicule les rampes et toboggans constitués de blocs de plastiques, de boîtes diverses et de vieux livres.
Boone approcha son visage de celui de Jayne.
— Ne refais jamais cela, lui chuchota-t-il à l’oreille.
— De quoi parles-tu ? s’étonna-t-elle.
— De disparaître ainsi sans me dire où tu vas.
— Tu dormais si bien. Je ne voulais pas te réveiller. Oh, très bien, soupira-t-elle devant son regard accusateur. Pour l’amour du ciel, ne te fais donc pas tant de bile à mon su-jet !
Il se pencha pour l’embrasser, conscient du fait qu’ils étaient observés. Le baiser fut tendre et léger, ainsi qu’il convenait pour bien commencer une journée.
— Beurk ! s’écria Drew. Ils s’embrassent !
Boone s’écarta de Jayne en souriant.
— Il n’y a rien de mal à cela, mon petit. Attends seule-ment d’être un peu plus âgé.
Ils jouèrent encore quelque temps. A l’image de la nurse, Harvey demeurait immobile dans son coin. Boone s’interrogea. Comment parviendrait-il à sortir de là Jayne et Drew sans prendre de risques ? Dean attendait son signal, et tôt ou tard le groupe formé par ce dernier, Clint, Del et Shock investiraient la place, par la force si nécessaire.
Les libérer rapidement et en douceur était de loin la meilleure option.
Voyant la nurse se lever brusquement, il comprit que Marsh venait de faire son apparition. Harvey était resté assis, mais sa position avait imperceptiblement changé.
— Eh bien, tout le monde s’est levé tôt aujourd’hui, lan-ça le producteur en pénétrant dans le jardin.
L’agacement contenu de ses paroles démentait la chaleur de son sourire.
— Lacey, dit-il à la jeune fille. Drew ne devait-il pas ap-prendre son alphabet ce matin ?
— Oui, monsieur. Allons, Drew. La récréation est termi-née.
— Nous nous amusions si bien, protesta Jayne.
Saisissant la main de l’enfant, elle l’aida à se relever.
— Est-ce que je peux montrer ma chambre à Mlle Jayne ? demanda ce dernier, tandis que Boone se re-dressait lentement.
— Nous verrons cela après le déjeuner, répondit Marsh d’une voix crispée.
— D’accord, soupira Drew en libérant sa main. A tout à l’heure, mademoiselle Jayne.
Il se tourna vers Boone.
— A tout à l’heure, oncle Booboo.
Celui-ci soupira, avant de croiser le regard de Jayne.
— Pourquoi ai-je donc l’impression que ce surnom va me coller à la peau ?
Elle lui répondit d’un sourire.
Corbin Marsh s’avança vers eux. Son sourire n’avait pas disparu, mais les traits de son visage étaient tendus. Il sem-blait mal à l’aise.
— Vous voir jouer ainsi avec mon neveu est un spectacle charmant, déclara-t-il. Je suis sûr que vous ferez plus tard une mère merveilleuse.
Le rouge monta au front de la jeune femme.
— J’adore les enfants, répondit-elle. Un jour, peut-être, en effet…
— Et vous ? poursuivit-il, s’adressant au détective. Ai-mez-vous les enfants ?
— Pas spécialement.
Jayne le frappa gentiment sur le bras.
— Boone !
— Drew est un gosse attachant, concéda-t-il. Mais d’une manière générale, ils sont plutôt assommants.
— Tu es assommant ! s’insurgea-t-elle. Mais cela ne t’empêche pas d’être un homme adorable !
Ses joues étaient à présent cramoisies.
Marsh se tourna vers Benita, qui attendait les ordres de-vant la porte :
— Apportez-nous le petit déjeuner sur la terrasse, vou-lez-vous ?
Jayne suivit Drew et sa nurse des yeux, tandis qu’ils dis-paraissaient dans la maison. Boone observa Harvey. L’homme de main ne fit aucun mouvement pour les suivre. Un frisson lui parcourut le dos. Il n’était pas là pour Drew, mais pour surveiller Jayne.
L’hospitalité du producteur était déjà nettement moins chaleureuse, constata Jayne. Ils avaient passé la majeure partie de la matinée à parler politique. Certes, l’homme se montrait intéressé par le sujet, trop, peut-être, mais son en-train de la veille était retombé. Sans la présence de Drew, elle serait retournée à Flagstaff dans l’après-midi sans de-mander son reste.
Au lieu de quoi, elle se laissait guider par l’enfant jus-qu’à sa chambre, la main dans la main, suivie de Lacey. Après le déjeuner, Marsh avait cédé à la demande de son « neveu ». Boone s’était levé pour les accompagner, mais leur hôte l’avait aussitôt retenu en le bombardant de ques-tions sur l’Alabama, au vague motif d’y envisager des par-ties de chasse.
Tout en longeant le couloir, Jayne se demanda si Lacey poserait problème lorsque le temps serait venu d’emmener Drew hors de la maison. La nurse était une personne effa-cée et peu souriante, mais peut-être se montrait-elle diffé-rente en la seule présence du petit garçon. C’était à espérer, car Drew avait besoin d’une personne heureuse pour veiller sur lui.
— C’est ici, dit-il, avant d’ouvrir la porte de la chambre et de la tirer par la main.
Jayne pénétra dans une pièce agréablement décorée et pleine de jouets, équipée d’un petit bureau d’écolier et d’un ensemble magnétoscope-téléviseur.
— Ma salle de jeux, annonça-t-il. Mlle Lacey m’y ap-prend l’alphabet, mais on y joue la plupart du temps. J’irai peut-être dans une vraie école l’année prochaine.
— Oui, j’espère… soupira Jayne.
L’enfant l’emmena jusqu’à une autre porte, qui s’ouvrit sur une pièce simple mais très jolie, décorée avec sobriété dans des tons blanc et jaune.
— La chambre de Mlle Lacey, dit-il tout en poursuivant son chemin vers une troisième porte.
Sa propre chambre à coucher était la sœur jumelle de la salle de jeux, rutilante de couleurs primaires : rouge, jaune et bleu. Le rêve de n’importe quel enfant, si l’on oubliait les barreaux scellés aux fenêtres.
Jayne fit une rapide inspection de la pièce.
— Quelle jolie chambre ! s’exclama-t-elle.
Une deuxième porte s’ouvrait sur la salle de bains. Comment diable allaient-ils se débrouiller pour sortir Drew d’ici ?
Lâchant enfin sa main, le petit garçon repartit en courant vers sa salle de jeux. Jayne le suivit d’un pas tranquille, Lacey à ses côtés.
— Cet enfant est gâté, dit-elle en souriant. Etes-vous ici depuis longtemps ?
— Quelques mois seulement, répondit la jeune fille d’une voix éteinte.
— Le travail vous plaît ?
— Bien sûr.
En dépit de cette affirmation, le voile qui troublait son regard n’échappa pas à Jayne.
Si des micros avaient été placés dans les chambres d’hôtes, toute la maison devait en être truffée. Et plus parti-culièrement cette aile occupée par Marsh et Drew. Péné-trant dans la salle où l’enfant avait commencé à ériger un bâtiment en cubes de couleurs vives, elle l’examina d’un regard circulaire. Une caméra de sécurité était placée bien en évidence dans un angle du plafond.
Lacey montrait des signes de nervosité de plus en plus manifestes. Jayne ne put s’empêcher de s’interroger sur le malaise qu’elle ressentait chez la nurse.
— Drew semble disposer de tous les jouets qu’on puisse imaginer, observa-t-elle.
— M. Marsh veille à ce que tous ses désirs soient com-blés, dans les limites, bien sûr, des besoins de son âge.
Décidément, l’enfant était bel et bien gâté.
— Cette demeure est un très bel endroit pour travailler, reprit-elle. Mais elle est un peu éloignée de tout, non ? Faire du shopping, aller au cinéma… Tout cela ne vous manque-t-il pas ?
— Pas vraiment, répondit Lacey de la même voix faible. M. Marsh m’a tellement… aidée. Et il me procure tout ce dont je peux avoir besoin, je n’ai qu’à demander.
— Il vous a aidée ?
La jeune fille hocha la tête.
— Je me suis enfuie de chez moi à 17 ans. J’ai ensuite longtemps vécu dans la rue. M. Marsh m’a recueillie et je n’ai plus eu à me battre pour survivre…
— Quel âge avez-vous aujourd’hui ?
— Dix-neuf ans.
— Vous devriez suivre des études…
— Je suis heureuse ici.
Jayne riva son regard dans les pâles yeux bleus de la jeune nurse. Elle mentait, c’était évident.
— Est-ce que vous et… Corbin avez une liaison ?
Lacey blêmit.
— Euh, non.
Jayne était persuadée que la réponse n’était pas totale-ment sincère, mais elle connaissait trop peu son interlocu-trice pour se permettre d’insister.
— C’est l’heure de la sieste de Drew, annonça précipi-tamment Lacey en la poussant vers la porte. S’il ne dort pas, il se montrera grincheux toute la soirée.
— Je comprends.
A peine eut-elle mis le pied dans le couloir que la nurse lui referma quasiment la porte au nez. Elle prit une pro-fonde inspiration. Du coin de l’œil, elle perçut un léger mouvement à l’extrémité opposée du couloir. D’un geste décontracté, Harvey faisait mine d’épousseter la manche de sa veste.
Jayne se dirigea vers le corps central de la résidence, cer-taine qu’il la suivrait. Elle ne se retourna pas, et il ne fit pas un bruit, mais elle savait qu’il était sur ses pas. Un frisson glacé courut le long de sa moelle épinière.
Alors qu’elle s’apprêtait à regagner sa chambre, espérant y trouver Boone, celui-ci apparut soudain à la porte de la bibliothèque. Il lui saisit le bras.
— Ah, te voilà, chérie, dit-il en souriant. Est-ce que je t’ai manqué ?
— Pendant les quinze dernières minutes ?
— Toi, tu m’as manqué.
Il l’emmena le long du couloir vide jusqu’aux portes vi-trées donnant sur le jardin, puis, sans lui lâcher le bras, s’avança vers la fontaine. Le gargouillis de l’eau apportait une note bucolique à l’endroit. Prenant place sur la mar-gelle, il la fit asseoir sur ses genoux et lança ses bras autour de son cou.
— Je ne pense pas que l’on puisse nous entendre ici, dit-il à voix basse, le nez dans son cou. Alors, qu’as-tu trouvé ?
Jayne pivota pour lui faire face et appuya la tête sur son épaule.
— C’est impossible. Il faut traverser une autre pièce équipée d’au moins une caméra de sécurité, puis la chambre de Lacey pour accéder à celle de Drew. Et sa fenêtre est équipée de barreaux.
Boone jura à mi-voix.
— Est-il possible que Marsh ignore que le petit ait été kidnappé ? reprit-elle. Que Gurza lui ait raconté une his-toire mélodramatique en lui demandant de le garder ? Drew est bien traité, et notre hôte lui semble très attaché.
— Pourquoi dans ce cas l’aurait-il fait passer pour son neveu ?
— Je ne sais pas…
Plaquant les mains sur les joues de Boone, elle déposa un baiser sur ses lèvres.
— Je pense que nous devrions emmener Lacey avec nous.
— La nurse ?
— C’est une fugueuse. Elle se prétend heureuse ici, mais je n’en crois pas un mot.
— Sait-on jamais, peut-être joue-t-elle un rôle aussi im-portant que Marsh dans le dispositif.
— Peut-être. Mais si tu te trompes, et que Marsh est aus-si vicieux que tu sembles le croire, alors il risque de passer sa rage sur elle quand nous lui aurons enlevé Drew.
Boone ouvrit la bouche, hésita un instant, puis murmura, en la regardant avec un petit sourire :
— Crotte !
Jayne l’embrassa de nouveau, s’attardant un peu plus sur ses lèvres.
— Et maintenant ? s’enquit-elle.
— Je ne sais pas. Nous avons un problème.
— Quel genre de problème ? Nous en avons tellement !
— Mon téléphone portable ne fonctionne pas dans cette zone, et les feux d’artifice que j’avais placés dans le fond de mon sac ont disparu, de même que le pistolet que je gardais en réserve. Je soupçonne Harvey de les avoir enle-vés en transportant mon sac à mon arrivée. Il nous surveille, soit dit en passant. Cela nous prive de deux des trois maniè-res que j’avais d’entrer en contact avec Dean pour lui signa-ler que nous avons besoin de son aide.
Il resserra les bras sur elle en soupirant.
— Et hier soir, j’avais garé mon pick-up dans l’allée de-vant la maison. J’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre pen-dant que tu étais occupée avec Lacey et Drew. Il n’y est plus.
Elle appuya la tête sur son épaule.
— Le pick-up, c’était le troisième moyen ?
— Tout juste, répondit-il en lui caressant le dos. Tu au-rais dû t’en aller quand tu en avais encore l’occasion. A présent, tout se complique.
Jayne sourit et frotta son nez contre le sien.
— Eh bien, pour une fois dans ma vie, d’être la fille d’un sénateur pourrait se révéler utile. Papa sait où je suis, et Marsh est parfaitement au courant. Ils se sont même parlé au téléphone. Je suis en sécurité ici. Il n’osera rien tenter.
— Alors tu dois partir maintenant. Nous feignons de nous disputer, tu demandes à Harvey de te reconduire à Flagstaff…
— Non, objecta-t-elle avant de lui prodiguer un baiser furtif. Je ne quitterai pas cette maison sans Drew ni toi… et Lacey. En outre, si je m’en vais, il est peu probable que Marsh te demande de rester.
— Si je comprends bien, tu as décidé de sauver le monde à toi toute seule.
Boone effleurait ses lèvres des siennes, mais le ton de sa voix trahissait sa colère.
— Pas toute seule, murmura-t-elle. Et trois personnes, ce n’est pas le monde entier.
— Arrête, soupira-t-il avec irritation, tout en glissant les doigts sur sa nuque.
— Je n’y peux rien. Je ne m’imagine pas sortir d’ici en laissant derrière moi…
— Pas question, coupa-t-il sèchement. Nous sommes sous constante surveillance. Marsh m’a ôté mon revolver, Harvey te file comme un limier, et il est armé. Quant au moyen de quitter cet endroit, je n’en ai encore aucune idée…
« Mais c’est peut-être parce qu’à la minute présente, je réfléchis avec la partie de mon corps que je préfère.
— Je sais, minauda-t-elle, le sourire aguicheur.
Elle approcha la bouche de son oreille. Les longs che-veux de Boone lui caressaient la joue.
— Lorsque nous serons sortis d’ici, reprit-elle, il faudra que tu fasses un détour par le Mississippi. Hooker Bend n’est pas si éloigné de Birmingham.
— Hooker Bend ?
— Du nom du fondateur de la ville, expliqua-t-elle. Pourquoi ne pas venir déjeuner un dimanche, par exemple ? Rencontrer mon père, ma mère, ma grand-mère… Tu pour-rais même rester quelques jours.
— Avec papa ? demanda-t-il, le regard suspicieux.
Jayne écarta la tête pour mieux voir ses yeux.
— Avec moi.
Boone ne répondit pas. Au moment où elle ouvrait la bouche pour poursuivre, Marsh apparut dans le jardin.
— Ah, vous voilà ! lança-t-il d’un ton cordial. Je suis impardonnable de laisser ainsi mes invités livrés à eux-mêmes. Mais je me réjouis de constater que vous n’avez besoin de personne pour profiter de votre séjour !
Les bras noués autour du cou de Boone, Jayne se retour-na, le sourire aux lèvres. Le producteur ne donnait absolu-ment pas l’image d’un homme acoquiné avec des criminels.
Mais Boone non plus n’avait pas l’air d’un ange. Et pourtant… 0