Elle aimait Sean plus tendrement que jamais lorsqu’ils faisaient l’amour, elle éprouvait des émotions plus fortes en songeant à lui comme au futur père de son enfant. Après leurs ébats passionnés, elle se serrait longuement contre lui, en se demandant s’ils avaient conçu une vie cette nuit-là.
Elle ne parlait jamais de leur séparation prochaine, mais l’intensité de ses sentiments était telle que Sean éprouva le besoin de la rassurer, lui promettant de revenir auprès d’elle au début de l’année. Il y avait à présent, dans la façon dont il la caressait, une tendresse et une douceur qui évoquaient un amour absolu.
Ce furent des semaines d’harmonie parfaite, entre eux. Anne gravait ces précieux instants dans sa mémoire, s’apprêtant à en faire le deuil une fois que tout serait fini. Nul ne pouvait revenir en arrière, n’est-ce pas ?
Ils n’eurent qu’un seul sujet de discorde. Cela se produisit le soir de la première. C’était une soirée brillante et mondaine, à laquelle devait assister, entre autres, la princesse de Galles.
Anne se regardait avec attention dans le miroir pour la vingt-cinquième fois au moins.
— Tu es d’une beauté à couper le souffle, répéta Sean.
— Tu dis ça parce que c’est toi qui as choisi la robe, répliqua-t-elle avec un rire nerveux.
C’était une merveilleuse robe du soir en velours rouge sombre, dont le corset souligné d’une broderie vieil or évoquait les splendeurs des toilettes médiévales. Cela lui allait vraiment bien, faisant ressortir les paillettes d’or de son regard ambré et les reflets couleur miel de sa chevelure, où se mêlaient mèches bouclées et très fines tresses.
Il lui semblait que son élégance était à la hauteur des circonstances. Mais elle savait qu’elle serait soumise à bien des regards critiques, parce qu’elle accompagnait le célèbre Sean Riordan. Il était superbe, bien sûr, dans son smoking de cérémonie, et était certain d’être admiré et applaudi, lui !
— Tu t’inquiètes pour rien, affirma Sean, gentiment taquin. La seule chose qui pourrait encore parfaire ta tenue, ce serait que tu remplaces ces boucles d’oreilles en grenat par les diamants que je t’ai offerts à Sydney.
— Je ne crois pas qu’ils iraient avec cette toilette, dit-elle précipitamment. Je ne me sentirais pas à l’aise avec.
Superstition idiote, peut-être — mais elle associait les diamants à l’idée d’être mariée à Sean, et elle avait le sentiment que si elle les portait prématurément, il ne l’épouserait jamais. Or, en dépit de son hostilité affichée contre le mariage, elle ne pouvait s’empêcher d’espérer, dans le secret de son cœur, qu’il changerait peut-être d’avis un jour.
— Et pourquoi ça ? répliqua Sean, légèrement rembruni. Tu ne les as jamais portées depuis que je te les ai offertes.
— Je les réserve pour une occasion spéciale.
— Eh bien, la voilà, non ?
— Je voulais dire, une occasion spéciale pour nous deux. Pas pour les autres gens.
Sean la dévisagea un instant, puis finit par hausser les épaules — au grand soulagement d’Anne. Le temps pressait, au demeurant, et ils ne tardèrent pas à quitter la maison.
Alors qu’elle escortait Sean jusqu’à la limousine qui les attendait, Anne posa furtivement une main sur son ventre. Ses règles avaient deux jours de retard. Peut-être était-ce bon signe ? Peut-être était-elle enceinte ? Et il n’était pas impossible, après tout, que Sean songe à l’épouser, si elle attendait un enfant de lui… Elle ne le lui demanderait pas, bien sûr. Mais il en prendrait peut-être l’initiative.
La première d’Un interminable hiver fut un triomphe. La pièce emballa le public. Tom Colby, exceptionnel, faisait une forte composition dans le rôle principal. Les autres interprètes, vibrants de passion, ne déparaient pas à côté de lui. Quand le rideau tomba enfin, la salle demeura un instant silencieuse, encore sous le coup de l’émotion poignante du dernier acte. On perçut quelques reniflements furtifs.
Puis, les applaudissements éclatèrent, se muant peu à peu en énorme ovation. Toute la salle était debout. Les rappels succédèrent aux rappels.
Anne comprit ce soir-là qu’Alex Corbett avait exprimé une profonde vérité : Sean Riordan était probablement le plus grand dramaturge du siècle. Et s’il avait besoin d’être seul pour écrire, elle n’avait pas le droit de lui imposer sa présence.
Ce fut ensuite la cohue, dans le foyer du théâtre. Anne entrevit Alex ; il lui envoya un baiser et leva le pouce vers le ciel, en signe de victoire. Elle se réjouit de voir que leur vieille amitié n’était pas entamée par la promesse qu’elle avait faite à Sean.
Tandis que ce dernier l’entraînait vers la sortie, à travers la foule, de nombreuses personnes les arrêtèrent pour les féliciter. Sean aurait pu se laisser aller à jouir de l’adulation générale, mais il la dédaignait, ne désirant de toute évidence qu’être seul avec sa compagne.
Ils restèrent longuement enlacés, serrés l’un contre l’autre, cette nuit-là. Comparé à leur séparation prochaine, le succès comptait si peu…
Leurs derniers jours ensemble furent ponctués de coups de fil incessants, de demandes d’interviews, de télégrammes de félicitations et d’interruptions constantes. Ils n’étaient jamais vraiment seuls, semblait-il, sauf la nuit. La séparation était presque là. Elle était présente dans chacun de leurs regards, chacune de leurs caresses.
Sean accompagna Anne à Heathrow, lorsqu’elle s’envola pour l’Australie. Ils ne prolongèrent pas les adieux — c’était trop douloureux. Ils n’échangèrent ni mots ni promesses. Un ultime baiser éperdu, et Anne s’éloigna de l’homme qu’elle aimait