le 7éme chapitre
Ce fut un contact léger sur ses cheveux qui arracha Anne à son désespoir. Elle leva les yeux et vit Jenny debout près d’elle. Jenny, dont elle avait totalement oublié la présence. En se rendant compte que sa jeune sœur avait été le témoin de tout ce qui s’était passé, elle éprouva un regain de douleur. Poussant un gémissement d’angoisse, elle enfouit de nouveau son visage entre ses mains.
— Laisse-moi, je t’en prie. Je veux être seule.
— Anne, je ne peux pas te laisser comme ça. S’il te plaît… je veux t’aider.
Jenny l’enlaça par les épaules et la serra bien fort. D’une certaine façon, l’attitude de sa cadette accrut le désarroi d’Anne. Jusque-là, c’était toujours elle qui avait apporté amour et consolation à ses sœurs. Que Jenny, qui était la plus jeune de toutes, fût amenée à la soutenir ne lui faisait que plus fortement ressentir le caractère sans espoir de sa situation.
— On ne peut rien arranger, Jenny.
— Pourquoi ?
— Parce que Sean veut ce que Tom Colby a eu. Et je n’ai apporté que du chagrin à Tom. Je ne pouvais l’aimer comme il désirait l’être.
— Mais si j’ai bien compris, c’était parce que tu aimais toujours Sean Riordan, Anne. L’amour est l’émotion la plus forte, la plus déchirante, la plus passionnée…
— Sean ne veut pas de mon amour. Il veut… eh bien, ce qu’il veut, sans plus.
— Tu te trompes, Anne. Ça l’a presque anéanti de te quitter.
— Tu ne comprends pas.
— Anne, voyons, dit doucement, tristement Jenny. C’est tellement flagrant, à présent. Il est le seul homme que tu aies aimé. C’est à cause de lui que tu ne t’es pas mariée. Toutes ces années de souffrance et de solitude… tu n’en as jamais rien laissé paraître. Tu ne nous as jamais permis de t’aider.
— A quoi bon ? C’était inutile.
— Tout à coup, j’ai l’impression que nous ne te connaissons pas. Que tu es une étrangère.
Anne émit un lourd soupir, essuya ses larmes et redressa la tête, regardant sa sœur avec une sombre résignation.
— Rien ne changera. Je suis vouée à ma carrière. C’est tout ce que j’ai.
— Grâce à Sean.
Un petit rire bref et dur, dénué d’humour, échappa à Anne.
— Et maintenant, il me porte au sommet. Je n’ai qu’à signer ce contrat.
— Je pense qu’il t’aime, Anne.
— J’ignore ce qu’il ressent à mon égard, Jenny. Ce n’est pas ce que Brian éprouve pour toi.
— Sean a des réactions passionnées en ce qui te concerne, tout comme Brian en ce qui me concerne. Ils tiennent à nous, l’un et l’autre.
— Ce qui compte pour Sean, c’est son métier d’écrivain. C’est ça qui est primordial à ses yeux.
Jenny saisit la main de sa sœur et la serra de façon significative, quêtant son attention. Quand elle parla, ce fut avec une intense conviction :
— Tu te trompes. Tu n’as pas vu son visage, quand tu lui as demandé si c’était l’écriture qui l’avait amené à agir envers toi comme il l’a fait. Moi, si. J’ai vu ce qui y était inscrit. C’était une souffrance sans nom. Il te mentait, Anne.
— Pourquoi mentirait-il ? objecta la jeune femme. Il m’a abandonnée comme il l’a déjà fait il y a sept ans. La seule différence, c’est qu’il a pris la peine de me dire adieu, cette fois. Et de préciser qu’il ne me reverrait plus.
— Il ne voulait pas partir. Il s’est forcé à le faire. Il mentait aussi lorsqu’il a prétendu être un parfait égoïste. J’en suis aussi sûre que de moi-même. S’il ne t’avait pas tourné le dos, si tu avais vu son visage, tu saurais que je dis la vérité.
— Pourquoi ? Pourquoi ferait-il une telle chose ?
— Je n’en sais rien. Peut-être que… Ne t’est-il jamais arrivé de penser qu’il cherchait à te protéger ?
— Mais de quoi ?
— Je ne sais pas trop. Il est possible que…
— Oui ?
— Eh bien, est-ce qu’il ne pourrait pas essayer de te défendre contre quelque chose qui est en lui ? Quelque chose qu’il lui est impossible de changer, même pour toi ?
« Je ne suis pas l’homme qu’il te faut… Il est certaines choses que nulle puissance sur terre ne peut modifier. »
— Il aurait pu essayer de m’expliquer, raisonna Anne.
Oui, pourquoi n’aurait-il pu faire appel à sa compréhension, au lieu d’édicter des jugements ? Comment pouvait-elle accepter ce manque de communication, ce gouffre béant ? Il n’éprouvait pas d’affection pour elle, c’était impossible. Cependant, comment expliquer alors tout ce qu’il avait fait pour elle ?
— Ce n’est pas un égoïste, lui dit Jenny, comme si elle avait lu dans ses pensées. Sinon, il n’aurait pas pris la peine de t’aider à démarrer. Et puis il y a ce contrat. Tu es peut-être la meilleure décoratrice qui soit, mais je parierais qu’il t’aurait engagée même si cela n’avait pas été le cas.
Un instant, Anne contempla les maquettes alignées sur le plan de travail. La destinée de Sean. Et la sienne. Liées, et cependant toujours divergentes.
— Quoi que Sean puisse éprouver pour moi, Jenny, ce n’est pas le genre d’amour qui mène au mariage, tu peux me croire.
— Je n’en sais rien. Je ne peux pas répondre à ça.
— Il veut coucher avec moi.
— Pour l’amour du ciel, Anne ! Y a-t-il quelque chose de mal à ça ? N’est-ce pas naturel, quand deux personnes s’aiment profondément ?
« Je voulais être avec toi. Je voulais que tu sois avec moi… »
Les mots de Sean la hantaient. Mais il avait précisé sans faux-fuyants que tout lien entre eux ne pourrait que finir par être destructeur pour elle. Cependant, il n’était pas absent de sa vie et ne le serait jamais plus — excepté au sens physique du terme. Si elle signait le contrat, cela ne ferait que renforcer leur lien, même si elle devait ne plus le revoir