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le 2éme chapitre
Le taxi ne mit que vingt minutes pour aller de Paddington, où habitait Anne, jusqu’au Park Hyatt. La jeune femme employa chacune de ces minutes à se constituer une contenance. Quand elle descendit de voiture, puis entra dans l’hôtel, il était 1 heure pile.
Les grandes baies du vestibule offraient une vue magnifique sur l’Opéra. De merveilleuses compositions florales apportaient çà et là leur note luxuriante et exotique. A la réception, un meuble antique au bois poli par les ans semblait souligner par sa simplicité désuète le calme et la bonne éducation qui régnaient dans les lieux.
Anne saisit un mouvement du coin de l’œil, dans le salon de réception situé à droite de l’entrée. Elle se détourna, et elle le vit ; l’homme qui avait conquis son cœur dès leur première rencontre, tant d’années auparavant. Déjà debout, il avançait vers elle d’un pas régulier et résolu.
Leurs regards se croisèrent — ambre et vert un instant réunis. Anne tenta de maîtriser son excitation soudaine, si vive qu’elle lui faisait presque peur. Son cœur s’était mis à battre à grands coups précipités, comme pour scander son émoi. Elle voulut se porter à la rencontre de Sean ; ne put bouger, cependant. Elle restait figée sur place, captant d’un regard passionné les caractéristiques de celui qui lui faisait face.
Si elle l’avait reconnu aussitôt, elle le trouvait différent, pourtant, de l’homme dont elle avait gardé le souvenir et qui avait hanté ses rêves. Et ce changement avait quelque chose de perturbant.
Physiquement, il semblait le même. Il était d’une taille nettement supérieure à la moyenne ; son costume gris mettait en valeur ses larges épaules, sa silhouette athlétique. Peut-être avait-il quelque chose de plus dur qu’autrefois. Ses joues étaient un peu plus creusées, donnant davantage de relief à son visage.
Il avait des traits puissants, un front haut et large, une mâchoire anguleuse, un nez plein de caractère et un menton altier. Par contraste, sa chevelure noire, aux boucles rebelles, lui conférait quelque chose d’indompté, follement séduisant.
Il y avait quelque chose de plus fort, de plus dominateur dans sa démarche. C’était celle d’un homme résolu à agir à sa guise. Etait-ce-là un effet du succès ? La richesse vous donnait-elle ce genre d’assurance ? Son regard était déterminé. Peut-être même avait-il quelque chose de… oui, d’impitoyable.
Il était plus beau encore que dans ses souvenirs, et aucune photographie n’aurait pu lui rendre justice. Au moment où il s’immobilisa devant elle, Anne remarqua le tissu luxueux de son costume, sa chemise et sa cravate de soie — signes infaillibles de la richesse et de la réussite. Jusque-là, c’était au corps qu’elle avait prêté attention, oubliant les vêtements qui l’habillaient. A présent, elle entrevoyait que cette tenue faisait elle aussi partie du personnage, et que cet aspect-là de Sean lui était inconnu.
— Tu te souviens de moi ? lui demanda-t-il d’une voix à peine audible.
Anne tressaillit, s’intima l’ordre de se ressaisir.
— Sean, énonça-t-elle, d’un ton aussi neutre qu’elle put.
— Tu es devenue encore plus belle, Anne.
Dans son regard, elle lut : « désirable ». Intensément et immédiatement désirable.
— Et toi, encore plus séduisant, répondit-elle sans même réfléchir.
Le sourire de Sean prit une nuance d’ironie.
— Tu ne t’es pas mariée.
— Non. On dirait que nous faisons la paire, de ce côté-là.
Il y eut entre eux un bref échange muet, où passèrent de l’interrogation, du soulagement, puis de la satisfaction.
— Exactement ce que je pensais hier soir, dit-il doucement. Quelqu’un en harmonie avec moi. Cela a été une révélation excitante, Anne, de voir que tu comprenais si bien ce que j’ai écrit. De savoir que nous partagions les mêmes passions.
Il s’interrompit, puis poursuivit d’un ton presque téméraire :
— Il n’y a personne de spécial dans ta vie en ce moment ?
Le ressentiment envahit la jeune femme, mettant une sourdine à ses élans. Après tant d’années, s’imaginait-il vraiment pouvoir reparaître ainsi dans sa vie, comme si de rien n’était ?
— Il se trouve que je n’ai pas d’attachement particulier, répondit-elle avec une certaine froideur. Mais je ne suis pas venue pour évoquer ma vie privée, Sean. Je croyais que tu désirais parler de mon travail.
Il haussa les sourcils.
— Tu penses qu’un travail ne reflète pas la vie privée de son auteur ?
— Pas entièrement !
— C’est pourquoi je voudrais savoir ce qui t’est arrivé. Ce qui t’a conduite là où tu en es aujourd’hui.
— Je ne crois pas que nous pourrons faire tenir sept ans de ma vie dans le court laps de temps d’un repas, dit-elle avec un soupçon d’amertume.
— Je suis prêt à m’attarder aussi longtemps qu’il faudra.
Mensonge ! Cela ne pouvait être qu’un mensonge.
— Qu’est-ce qui t’a ramené en Australie, Sean ?
— Les souvenirs, dit-il avec ce doux accent irlandais qui avait le don de la troubler.
Elle se raidit. S’il avait une malle pleine de souvenirs, il lui avait fallu un sacré bout de temps pour se décider à l’ouvrir ! Cherchant à réduire en pièces l’approche facile et insultante qu’il avait adoptée, elle déclara :
— Ma mémoire est vide, elle.
Un sourire doux-amer incurva les lèvres de Sean. Il éleva une main vers le visage d’Anne. D’une touche légère, il effleura sa joue, sa gorge, son épaule, son bras…
— Alors, nous pouvons peut-être bâtir d’autres souvenirs. Plus difficiles à oublier que les premiers.

 
 

 

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a logique, la raison, tout sombra dans une sorte de chaos, tandis qu’Anne était aspirée dans un maelström d’émotions. Elle ne s’était pas attendue à une attitude aussi directe. Pour quelque raison inconnue, Sean Riordan avait décidé qu’il la voulait…
Il replia les doigts autour de son bras, dans un geste possessif et séducteur à la fois. A son contact, elle sentit son corps s’embraser. Sean Riordan avait hanté son esprit pendant si longtemps ! Et maintenant, il pouvait être à elle si elle le décidait. Quel effet cela lui ferait-il, de connaître ce qu’elle n’avait jamais pu partager avec lui ? De vivre enfin l’intimité qu’elle avait si intensément désirée ? De faire l’amour avec lui ?
Mais… est-ce que cet homme-là était capable d’amour ? Il ne ressemblait guère au Sean bienveillant et tendre dont elle avait conservé le souvenir. Il était plutôt semblable à celui qu’elle connaissait en tant qu’écrivain : sombre, dangereux, animé de courants souterrains, effrayants et invisibles.
— Que veux-tu de moi ? demanda-t-elle.
— Rien que tu ne puisses librement donner, Anne.
— C’est-à-dire ?
— Qu’est-ce que tu désires plus que tout au monde, Anne ?
Quelques instants auparavant encore, c’était lui. Elle résolut néanmoins de lui laisser croire que l’ambition était son moteur suprême.
— La chose qui compte le plus pour moi, c’est ma carrière.
Cela le secoua. Il lâcha son bras. Ses traits parurent se durcir, ses lèvres se serrèrent. La chaleur de son regard vert se mua en cynisme.
— Alors, je t’aiderai, dit-il.
Bien sûr, avec ses relations et son influence, il avait les moyens de lui ouvrir des voies auxquelles elle n’aurait jamais pu accéder par elle-même. Mais se servir froidement de ce pouvoir-là pour l’amener à coucher avec lui, c’était vraiment la dernière chose dont elle l’aurait cru capable !
— Pourquoi, Sean ? Quel profit en tireras-tu ? s’enquit-elle.
Le regard de Sean se vida de toute expression.
— J’ai pris des dispositions pour qu’on serve le déjeuner dans ma suite. Pouvons-nous y monter afin de poursuivre la discussion ?
A la pensée d’être seule avec lui, la jeune femme eut un élan de peur. Intuitivement, elle sentait que cette démarche ne pourrait lui apporter que du chagrin…
Et pourtant, par orgueil, elle tenait à paraître indifférente aux manœuvres de Sean. Par fierté, elle voulait aller jusqu’au bout de cette rencontre, quoi qu’elle puisse lui réserver.
— Et après le repas… qu’arrivera-t-il ?
— Voyons, cela dépend uniquement de toi…
Un sourire moqueur erra sur les lèvres de Sean tandis qu’il passait son bras sous celui de sa compagne et l’entraînait vers l’ascenseur. Anne ne résista pas. Elle ne pouvait s’arracher à lui. Pas encore…
Peut-être n’y parviendrait-elle jamais ?

 
 

 

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ÞÏíã 17-02-08, 09:34 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 13
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le 3éme chapitre
Quand ils atteignirent la porte de la suite, lorsque son compagnon ôta son bras de dessous le sien pour ouvrir le battant, Anne eut une sorte de coup au cœur et se sentit vaciller. Ce ne fut qu’un instant fugitif, et elle se ressaisit vite ; pourtant, au moment où Sean se détourna pour l’inviter à entrer, il parut hésiter.
Etait-elle trop pâle ? Avait-elle l’air fiévreux ? Elle n’en savait rien. Mais il y eut une expression de chagrin ou de regret dans le regard de Sean. Cela passa si vite, cependant, qu’elle douta de ce qu’elle avait vu. Le visage de son compagnon ne reflétait déjà plus que la détermination.
— Je t’en prie, dit-il, l’incitant à le précéder.
Elle avança, aussi digne que possible.
L’appartement était spacieux, somptueux. Les parois astucieusement disposées formaient des alcôves, accueillant respectivement une salle à manger, un salon et un grand lit. Du sol au plafond, d’immenses baies vitrées offraient une vue spectaculaire du port. Anne s’avança vers elles.
Absurdement, elle avait une conscience aiguë de la présence du lit, et plus encore du regard de Sean, qui ne la quittait pas des yeux.
— Tu ne te refuses rien, Sean, observa-t-elle.
— Je peux me le permettre.
— Cela change de l’ancien temps, n’est-ce pas ? Quand nous mangions de la vache enragée…
— Oui, c’est différent.
— En tires-tu plus de plaisir ?
Aussi stupide et impossible que cela pût paraître, elle désirait éperdument lui entendre dire que rien ne lui avait apporté plus de joie que leurs promenades, leurs longues conversations, leurs rires complices, les heures qu’ils avaient passées ensemble à jouir de choses simples.
Il ne répondit pas, et son silence engloutit les souvenirs de la jeune femme. Elle contempla l’étendue d’eau, en contrebas, en se reprochant avec dérision d’avoir posé cette question idiote. La richesse n’était-elle pas toujours préférable à la pauvreté ?
Elle entendit un tintement de glaçons, le petit bruit sourd d’un bouchon sautant hors d’un goulot, perçut le pétillement du champagne. « Les avantages de la réussite », pensa-t-elle amèrement, songeant à toutes les autres femmes avec qui il les avait partagés.
Il vint auprès d’elle et lui tendit un verre, tout en levant le sien pour porter un toast.
— A Anne-Lise Tolliver et sa carrière.
Elle se força à le regarder d’un air paisible.
— Merci, Sean.
Puis, incapable de contenir son amertume, elle ajouta :
— Est-ce que tu sais tenir tes promesses ? Ou bien sont-elles aussi mensongères que l’intérêt que tu as prétendu me porter autrefois ?
— Cet intérêt était réel, Anne.
— Tu es parti sans même me dire adieu.
— Si nous nous étions revus, nous serions devenus amants.
— Et ç’aurait été une aussi mauvaise chose que ça ?
— Oui, répondit-il simplement. Oui, à l’époque, ç’aurait été mal.
— Mais ce n’est plus aussi mal que ça aujourd’hui.
— Exact.
— Comme c’est rassurant ! ironisa-t-elle, pleine de ressentiment à l’encontre de ses certitudes, de ses décisions unilatérales.
Il ne la consultait pas, ne discutait pas. Seul comptait son bon vouloir. Levant son verre pour porter un toast à son tour, elle laissa tomber d’un ton cassant et railleur :
— Au bien et au mal. Et que le mal l’emporte parfois.
Ils burent tous deux leur champagne. Anne faillit s’étrangler en avalant le contenu de son verre.
— Est-ce qu’il t’arrive de ne pas te satisfaire de ta carrière, Anne ? De te sentir seule ? demanda doucement Sean après l’avoir observée longuement en silence. Ne désires-tu pas quelque chose de plus ?
Il savait où frapper. Et comment retourner le couteau dans la plaie. Mais elle disposait de la même arme.
— Chacun souffre de solitude, Sean, carrière ou pas carrière. N’est-ce pas le sujet de tes pièces ? La solitude absolue ? Une solitude si profonde et si extrême que personne ne devrait jamais avoir à la subir…
Les doigts de Sean se posèrent sur ses lèvres, lui imposant silence d’un mouvement si preste qu’il la prit par surprise. Ses yeux verts étaient devenus presque noirs, il avait plissé le front. Elle sentit qu’en parlant comme elle l’avait fait, elle avait violé son univers intime de façon inacceptable pour lui.
Puis, tout aussi brusquement, son humeur se modifia. Dans son regard, elle vit paraître une lueur moqueuse, raillant sa tentative de le blesser. Il retira sa main, paume tournée vers le ciel, d’un geste qui semblait dire : « Je n’ai rien à cacher. »
— C’est pourquoi je suis toujours seul, dit-il du simple ton de la constatation. J’écris sur ce que je connais. J’écris ce que je ressens. C’est là ma vie, Anne. Ma compagne de tous les instants.
— De tous les instants, tout de même pas, lui lança-t-elle en pensant aux nombreuses beautés qui s’étaient succédé dans sa vie. Tes diverses liaisons ont longuement alimenté les colonnes des journaux.
— Crois-tu donc tout ce que tu lis ? lui répliqua-t-il avec ironie.
— Nies-tu avoir eu des liaisons avec toute une ribambelle de jolies femmes ?
— Ce n’étaient pas des liaisons. Pas au sens où tu l’entends.
— De quoi s’agissait-il, alors ?
— De publicité.
— Tu n’espères tout de même pas que je vais croire ça ?
Il haussa les épaules.
— Crois ce qu’il te plaira.
— Ben voyons ! Tu vis comme un moine enfermé dans un monastère.
— Quand je le veux.
— Et toutes ces femmes hautement désirables n’ont eu que des déceptions ?
— Elles ne signifiaient rien pour moi.
— Tu es resté entièrement seul ?

 
 

 

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Anne ne pouvait croire cela.
— Je suis un homme comme les autres, avec ses besoins, admit-il.
— Alors, tu as…
— Oui, j’ai, coupa-t-il.
De sombres tourments habitèrent soudain son regard.
— Mais seulement après que tu t’es liée à Tom Colby.
La jalousie coléreuse d’Anne céda sous le choc. En une fraction de seconde, la victoire qu’elle avait conquise sur lui en l’amenant à un aveu fut réduite à néant. Avait-elle perdu Sean à cause de Tom ? Mais comment cela se pouvait-il ? Cela n’avait aucun sens.
— Que sais-tu de Tom ? s’écria-t-elle avec angoisse.
— Assez pour savoir que je veux ce qu’il a eu, rétorqua-t-il d’un ton dur.

 
 

 

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le 4 éme chapitre
Anne sentit son sang refluer de son visage. Sean était au courant de sa liaison avec Tom Colby. Il n’avait touché aucune autre femme avant d’avoir appris cela. Que dire de la possessivité véhémente qu’il venait de manifester ?
Sean aurait pu avoir « ce qu’avait eu Tom » et bien davantage, s’il ne l’avait pas abandonnée. C’était lui qu’elle avait aimé, personne d’autre. Elle n’avait rencontré Tom Colby que trois ans après. Et en se persuadant que Tom était un autre Sean, elle s’était fourvoyée.
Elle leva vers son compagnon des yeux pleins de tristesse.
— Si tu me voulais, pourquoi n’es-tu pas revenu ?
Sean esquissa un sourire en coin ; son regard se fit doucement moqueur.
— Je ne pouvais cadrer avec tes rêves, Anne.
— Quels rêves ?
— Se marier, vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants. Quand j’ai entendu parler de Tom Colby, j’ai espéré qu’il te donnerait tout ce que tu désirais.
— Quel altruisme ! Quelle sollicitude !
Il tressaillit. Féroce, elle enfonça le clou, poussée par le besoin de lui faire mal comme il lui avait fait mal en décidant unilatéralement de ce qui valait mieux pour eux deux.
— Est-ce que tu t’es senti un peu moins un raté, quand tu as cru que mes rêves s’étaient réalisés ?
— Un raté ? répéta-t-il avec un rire dur et empreint de dérision.
Celui-ci se mua en sourire lugubre alors qu’il reprenait, citant Hamlet :
— « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Anne, que n’en rêve ta philosophie. »
— Et toi, tu les connais toutes, ironisa-t-elle.
— J’en connais que je ne souhaite à personne d’autre de connaître, répondit Sean. Mais cette amertume dans ta voix… Tu commences à savoir ce qu’est la solitude, n’est-ce pas ? Si ton travail sur ma pièce est si réussi, ce n’est pas seulement grâce à tes dons artistiques, mais aussi grâce à ton expérience… Est-ce Tom Colby qui est responsable de ça ?
« Non. C’est toi ! » voulut-elle répondre. Mais elle ravala ces paroles. Il ne comprendrait jamais ce qu’elle avait ressenti pour lui, la profondeur que ses sentiments avaient atteinte.
— Comment as-tu entendu parler de Tom ? demanda-t-elle.
— Par Alex Corbett.
Alex, son patron de l’époque. Anne avait appris beaucoup de choses sur la scénographie, sous sa houlette. Elle se rappelait qu’il avait effectué un voyage en Angleterre. Mais il n’avait pas mentionné sa rencontre avec Sean Riordan.
Il avait dû voir Sean par hasard. Sans doute avaient-ils discuté de leurs connaissances communes en Australie. Alex adorait les potins ; à la mention du nom d’Anne, il n’avait sûrement pas manqué de parler de sa liaison avec Tom.
— Est-ce que tu l’aimais, Anne ?
Elle le regarda d’un air désespéré, sans mot dire.
— J’ai répondu à tes questions, souligna-t-il.
Tant bien que mal, elle parvint à émettre cette vérité dont elle avait tellement honte.
— Non, je ne l’aimais pas.
— Mais tu t’es donnée à lui.
— Oui.
— Etait-ce par esseulement ?
« Par besoin éperdu », songea-t-elle avec désespoir. Le besoin d’être aimée comme elle avait imaginé que Sean l’aurait aimée. Mais elle ne pouvait lui dire cela. Ce serait accroître sa honte. Et beaucoup trop révélateur. Sean ne l’aimait pas, elle ne devait pas l’oublier. Il la désirait seulement. Dépouillée de ses rêves.
— Peut-être est-ce que j’ai les besoins normaux de toute femme, répondit-elle sèchement.
Une lueur de satisfaction flamba dans le regard de son interlocuteur.
— Dans ce cas, nous sommes égaux, dit-il.
Doucement, il éleva la main et posa les doigts sur la joue d’Anne. A son contact, elle eut la sensation d’une brûlure, sentit ses jambes flageoler. Une part d’elle-même voulait battre en retraite, mais l’autre vacillait sur le fil du rasoir, partagée entre curiosité et anticipation. L’attirance était toujours là, en dépit de tout.
Pas un seul instant, les yeux de Sean ne quittèrent les siens, la fascinant par leur intensité résolue tandis que ses doigts glissaient vers son cou et la chaîne d’or qu’elle portait, dont il redessina le contour.
— Tu ressens la même chose que moi, Anne, murmura-t-il d’une voix rauque. Notre désir mutuel n’est pas mort, n’est-ce pas ? A l’instant où je t’ai regardée, et où tu m’as regardé, j’ai su que c’était toujours là.
Fallait-il donc que les choses se résument à cela ? pensa-t-elle, à la torture. Tant de chagrin, de solitude, de nostalgie et de désir pour en venir seulement à cela ? A la réunion de deux corps jouissant ensemble pour satisfaire un instinct animal ?
Elle ressentit une crispation au creux de l’estomac, excitation et répulsion mêlées. La caresse savante de Sean sur sa nuque avait quelque chose d’hypnotique.
Les doigts de Sean remontèrent vers la barrette qui retenait son chignon.
— Tes cheveux sont si beaux… Bien trop beaux pour être attachés.
C’était une des phrases familières de Tom. Tom, qui avait cru être amoureux d’elle — pour un temps, du moins. Mais il n’y avait pas d’amour chez l’homme qui la caressait à présent, éveillant ses sens, l’amenant à vouloir lui donner ce qu’elle avait donné à Tom et bien davantage.
Un horrible sentiment de trahison envahit Anne. Elle s’arracha à l’emprise de Sean, se plaçant hors de portée sans presque se rendre compte de ce qu’elle faisait. Elle avait la nausée ; elle mourait de honte à l’idée de ce qu’elle avait fait avec Tom, et de ce qu’elle s’apprêtait à faire avec Sean — Sean qui l’avait autrefois repoussée, Sean qui n’éprouvait pour elle que du désir

 
 

 

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