— Non. Et moi non plus. Je n’attendrai pas Sean, cette fois, Paula. Je rentre en Australie. Définitivement.
— Tu… tu ne veux plus de lui ?
— Il a choisi de me quitter. Pour la femme qu’il aime.
— Mais, Anne…, fit Paula, l’air profondément désemparé. Comment peut-tu être aussi cruelle ! Ce n’est qu’une question de jours, et tout sera fini. Un soulagement miséricordieux pour eux deux.
— Ce ne sera jamais fini pour Sean, répliqua Anne, blessée par la partialité de Paula. Il l’aime. Il l’aimera toujours.
— Oh, Anne ! Tu renonces à la réalité de l’amour que tu as avec Sean à cause d’un rêve ? D’un souvenir ?
— Sa femme passe avant tout, pour lui, dit-elle avec amertume.
— Pour l’amour du ciel ! Ne peux-tu le comprendre ? N’as-tu donc aucune compassion ? s’écria Paula avec horreur.
— Et pourquoi devrais-je en avoir ?
Cette fois, Paula se leva, digne et glaciale.
— Je vois que Sean avait raison de vouloir te tenir coupée de cette partie de sa vie, puisque c’est ainsi que tu réagis. Après tout ce qu’il a fait pour toi ! dit-elle avec un mépris glacial. Tu m’excuseras, mais je préfère te laisser à ton insondable égoïsme.
Là-dessus, Paula sortit. Anne demeura un moment sous le choc. Sa visiteuse l’avait condamnée d’une façon si absolue, si catégorique, que cela lui donnait à réfléchir. Si partiale que fût Paula quand il était question de Sean, elle n’était pas pour autant quelqu’un de déraisonnable. Jusqu’ici, elle avait manifesté de la sympathie et de la compassion à Anne. Pourtant, elle accordait elle aussi la priorité à la femme de Sean, en ces circonstances. Pourquoi ?
Anne était si occupée à ruminer tout cela qu’elle ne protesta même pas lorsque l’infirmière se présenta pour emmener Michael-John afin de le laver et le changer. Elle ignorait quelque chose d’important sur Sean et sa femme, c’était la seule explication. Et une seule personne était susceptible de lui fournir l’information dont elle avait besoin : Alex Corbett.
Elle eut tôt fait de téléphoner à son vieil ami, pour lui demander de venir lui tenir compagnie. Moins d’une demi-heure plus tard, il était là, les bras chargés d’une pile de magazines.
— Merci, tu es un amour, lui dit-elle chaudement.
— Je suis un vrai Père Noël, affirma-t-il avec une fierté comique. Mais je ne distribue pas mes trésors à tout le monde ! Juste à quelques privilégiés. Alors, où est le précieux rejeton ?
— A la nurserie. Tu le verras tout à l’heure. Mais pour le moment, j’ai besoin de te parler de Sean et de sa femme.
L’expression joviale et affectueuse d’Alex se modifia sur-le-champ.
— Oh, non ! Non, non, c’est hors de question, ma chère petite. Impossible. Là-dessus, j’ai la bouche cousue. Je ne tiens pas à me faire assassiner. Sean m’a juré qu’il m’étriperait, si je lâchais le moindre mot. Et il le pensait vraiment. Ne compte pas sur moi.
— Alex, je suis au courant, pour sa femme, souligna Anne. Mais il y a des choses que j’ignore encore. Il faut que tu me les dises.
Il fit non de la tête, avec véhémence, et se remit debout.
— Non, Anne, désolé. J’ai donné ma parole d’honneur.
— Ecoute, si tu te tais, je quitterai Sean en emmenant le bébé avec moi, et quand il rentrera à la maison, il ne trouvera personne. Parce que je serai en Australie.
Alex se rassit, fortement choqué.
— Tu ne peux pas lui faire ça, Anne !
— Si. J’ai déjà averti Paula Wentworth de ce que je comptais faire. Et sa réaction m’a fait comprendre que Sean ne m’avait pas tout dit. Alors, si tu penses vraiment que je dois rester auprès de lui, tu ferais mieux de me révéler pourquoi.
Son vieil ami poussa un lourd soupir.
— Manœuvre habile, fit-il. Que je sois pendu si je parle. Et que je sois pendu si je ne parle pas.
Impitoyable, Anne enchaîna :
— Tu peux commencer par m’apprendre ce qui va se passer le 21 août.
— Les machines, lâcha Alex d’un ton lugubre. Ils vont débrancher les machines. Les parents ont appris à Sean qu’ils allaient le demander par voie légale, lorsqu’il est allé là-bas en décembre. Détérioration irréversible. Aucun espoir de recouvrer une vie normale. Sean n’a pas eu le cœur de s’opposer à leur requête. Ils ont beaucoup souffert, tout au long de ces dix ans, eux aussi. Alors, l’affaire est passée devant les tribunaux, et ils ont obtenu gain de cause. La date a été fixée au 21 août.
Anne ne comprenait pas grand-chose à ces propos décousus.
— De quelles machines parles-tu, Alex ?
— Mais… tu prétendais être au courant, pour sa femme.
— *******e-toi de me dire quelles machines.
— Je n’en sais rien. Je ne connais rien à cette technologie médicale. Les trucs qu’ils utilisent.
— Pour quoi ?
— Pour la maintenir en vie, bien sûr ! Il y a dix ans qu’elle est plongée dans un coma profond. Elle ne peut plus rien faire. Elle ne se rend plus compte de rien, ne voit personne. Elle est allongée là, dans le coma, c’est tout.
— Oh, mon Dieu ! s’exclama Anne.
Elle porta les mains à son visage et regarda Alex d’un air horrifié, tandis que toutes les pièces du puzzle se mettaient en place, avec une force dévastatrice.
— Tu ne savais pas, fit Alex, accusateur.
— Pas pour le coma, non, énonça-t-elle d’une voix étranglée. Comment est-ce arrivé ? C’était un accident ?
— Non. C’est le tragique de l’histoire. Ils n’étaient mariés que depuis dix-huit mois. Ils ne le savaient ni l’un ni l’autre, mais elle souffrait de la maladie de Goodpasture. Une nuit…
— Continue.
— Elle a eu une grave hémorragie, dans les deux poumons. Elle est tombée dans le coma avant que Sean ait pu alerter les secours et n’en est jamais sortie depuis. Sean s’en est rendu responsable. Année après année, il est allé là-bas, auprès de son lit, écrivant des pièces pour elle et les lui lisant, faisant tout ce qui était en son pouvoir pour la ramener à la viea