— Je te voulais tellement… Tu m’avais ramené à la vie, à la joie, tu m’avais fait ressentir des choses que je croyais mortes pour moi. Je savais que c’était mal de céder à cette attirance, mais c’était un tel délice, pour moi ! Je ne pouvais pas y résister. Je me disais : rien que pour un petit moment. Et puis, tu en es venue à prendre les choses au sérieux, à former des projets, désirer des promesses que je ne pouvais pas faire. Pouvais pas, Anne. Est-ce que cela ne te fait rien comprendre ?
Elle secoua la tête, incapable de saisir en quoi ce qu’il lui disait à présent était différent de ce qu’il lui avait déjà dit. Amer, accusateur, il lança :
— Tu ne veux pas voir, hein ? C’est plus commode de me laisser prendre les décisions difficiles. Tu tiens encore à rêver. A moi d’affronter les réalités incontournables.
— Mais de quelles réalités me parles-tu, Sean ?
— Tu prétendais que ta carrière passait avant tout. Mais c’était faux. Tu as voulu transformer ce que je t’offrais en quelque chose d’autre, m’enchaîner à un avenir dont je ne ne pouvais être garant.
Sean avait le souffle court, son torse se soulevait au rythme des émotions violentes et fortes qui l’agitaient.
— Etre avec moi, travailler avec moi… Voilà ce que tu m’as demandé. Mais cela ne te suffisait pas, n’est-ce pas ? Alors, tu as décidé d’avoir un enfant. Mon enfant. Dont tu te sers maintenant pour exercer un chantage affectif sur moi, pour me faire rester alors que je ne le peux pas.
— Ce n’est pas du chantage ! Tu as dit que tu aimais notre enfant. Mais de quel genre d’amour l’aimes-tu, si tu ne veux même pas l’accueillir en ce monde ?
— De ce genre d’amour qui s’assure que l’enfant ne manquera jamais de rien, même si sa mère est la plus irréaliste et la plus bornée des femmes ! Nous ne sommes pas mariés, Anne. Ni même près de former vraiment un couple. Je ne t’ai jamais promis de t’épouser, et je ne t’ai jamais caché ma position sur ce point.
— Je ne t’ai pas demandé de m’épouser. Seulement de vivre avec toi. Et tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi c’était impossible.
— Tu ne veux pas le savoir. Si tu le voulais vraiment, tu aurais compris maintenant.
— Eh bien, je suis désolée d’être si obtuse !
Soudain, dans un pur accès de désespoir, elle le supplia :
— Dis-le-moi, pour que j’arrive à trouver un sens à tout ça.
Sean cessa d’aller et venir. La souffrance peinte sur son visage, son regard hanté étaient terribles à voir.
— J’en tenté de te protéger, dit-il durement.
Pendant un instant, la résolution d’Anne vacilla. Mais il fallait qu’elle sache. Les choses étaient allées trop loin.
— Je suis marié, Anne. J’étais marié bien avant de te rencontrer. Et même si nous n’avons pas eu de vie ensemble en plus de dix années, ma femme demeure ma femme.
S’il s’était agi d’une déclaration pure et simple, relativement neutre, Anne aurait sans doute mieux encaissé le choc. Mais les mots étaient sortis de la bouche de Sean avec une intensité fiévreuse, brûlante, révélant sans l’ombre d’un doute que cette union était loin d’être révolue pour lui. Toutes ces sombres passions en son âme, qu’il lui avait cachées… elles tournaient donc autour de ce mariage qui n’était pas mort !
L’esprit en tumulte, Anne tenta de raccorder les pièces du puzzle. Sean, la quittant pour aller à la poursuite de ses propres rêves, vivant en moine sauf en de rares occasions — exutoires de la frustration sexuelle –, revenant vers elle le jour où il l’avait crue prête à l’accepter sur un terrain d’égalité, s’assurant qu’elle était libre… tout comme il lui fallait être libre lui-même afin de retourner vers sa femme.
— Tu aurais dû me le dire. Dès que nous nous sommes revus, dit-elle d’une voix étranglée.
— Au départ, ça ne se justifiait pas. Ensuite, quand tu m’as révélé les dégâts que j’avais causés, et le besoin que tu avais de moi… Dis, Anne, est-ce que ç’aurait été mieux, ou pire, si tu avais su que j’étais marié ?
Elle pensa à son désespoir d’alors, sa peur d’être rejetée, sa joie de se retrouver entre ses bras…
— Aurais-tu opté pour l’adultère ? Ne valait-il pas mieux que je sois le seul à porter cette culpabilité ?
Anne secoua la tête à plusieurs reprises, ne sachant comment elle aurait réagi.
— Ta femme, dit-elle avec difficulté. Comment se fait-il qu’elle n’ait pas vécu avec toi, pendant toutes ces années ?
On eût dit que sa question anéantissait toute vie en lui. Son visage ne fut plus qu’une sorte de masque lorsqu’il répondit :
— Elle vit avec moi. Dans mon cœur. Elle a toujours été présente, et le sera toujours. La grande passion de ma vie…
Anne se sentit pâlir mortellement à son tour.
— Tu l’aimes… tant que ça ?
— Oui.
L’amour de Sean n’était pas pour elle. Il l’avait donné à celle qu’il avait épousée, à jamais. Sean avait de l’affection pour elle. Il la désirait. Mais il ne l’aimait pas.
— C’est elle que tu vas retrouver en Amérique.
— Oui.
— Mais elle ne veut pas que tu sois avec elle.
— Dieu seul sait ce qu’elle veut ! J’ai fait tout ce qu’il était possible de faire pour l’atteindre, pour la ramener à moi, mais je ne peux briser la barrière qui nous sépare. Je me suis débattu avec ça à m’en heurter la tête contre les murs. Jusqu’au moment où ma propre survie et ma santé mentale me contraignaient à fuir. Je me suis essentiellement évadé dans l’écriture.
— Jusqu’à ce que je vienne t’offrir un exutoire plus heureux, commenta la jeune femme avec amertume.