Son propre sarcasme le surprit et elle écarquilla les yeux, dans lesquels il vit briller une lueur d’inquiétude. Sans doute craignait-elle qu’il n’ait découvert son identité, et, tout en sachant qu’il aurait été plus sain de mettre fin à cette mascarade, il ne résista pas à l’envie de prolonger son incertitude.*
–*Je veux dire, c’est évident que ce n’est pas ta première fois…*
C’était lui sa première fois, son premier homme. Lui qui avait éveillé son innocence sauvage. Cela, au moins, personne ne pourrait le lui enlever.*
–*C’est exact, dit-elle avec un sourire. Je voulais simplement dire que je n’avais jamais fait une chose comme ça. Que je n’avais jamais couché avec un homme que… que je connais à peine.*
«*D’une certaine manière, c’est la vérité*», pensa-t–il. Il avait beaucoup changé en cinq ans et, si elle comptait retrouver le jeune homme fou d’amour qu’elle pouvait manipuler à volonté, elle risquait de déchanter très vite.*
–*Qu’est-ce que tu veux dire exactement*? demanda-t–il d’un ton devenu brusquement peu amène. Que tu ne pratiques pas les coups d’une nuit, habituellement*?*
Il s’était montré vulgaire à dessein, pour refouler l’accès de jalousie qui lui tordait soudain le ventre, rien qu’à l’imaginer avec un autre homme.*
–*Exactement, dit-elle d’un ton mordant. En tout cas, pas avant ce soir.*
–*Nous sommes dans le même cas, figure-toi…*
C’était la vérité ou presque. Il n’avait rien fait de la sorte depuis qu’il avait arrêté l’alcool, et il n’en avait pas bu une seule goutte depuis plus de trois ans.*
–*Allons*! s’écria-t–elle avec un éclat de rire ironique. Tu n’as pas à me ménager*! Tu es Graeme Hamilton et j’ai vu ce soir comment se comportent tes fans. Je sais que les femmes perdent la tête en ta présence et je sais aussi qu’il y en a même qui te jettent leurs sous-vêtements… La célébrité a ses avantages, et on peut comprendre que tu en profites.*
Il serra la mâchoire, piqué au vif. Croyait-elle vraiment qu’il était du genre à coucher avec une femme juste parce qu’elle se jetait dans ses bras*? C’était le comble, venant d’elle*!*
Cinq ans plus tôt, il n’avait pas voulu faire l’amour avec elle avant de l’épouser et, s’il s’était conduit ainsi, c’était pour donner une dimension sacrée à leur amour. Ç’avait été sa façon de lui montrer qu’elle comptait vraiment pour lui, que ses sentiments dépassaient largement les frontières du désir Et Dieu sait s’il l’avait désirée*!*
Elle était si douce et timide, et en même temps si naturelle… Il avait été complètement séduit par cette fille qui portait son cœur en bandoulière et qui n’avait pas caché une seule seconde à quel point il lui plaisait. Elle lui vouait une admiration sans bornes et le regardait constamment comme s’il était un super-héros. A vrai dire, il aurait pu coucher avec elle dès le premier jour car elle en avait autant envie que lui, mais elle était si jeune et si pleine de candeur qu’il ne se serait jamais pardonné de trahir sa confiance. Au cours de leurs longues conversations, il avait fini par comprendre qu’elle était une incurable romantique et que, pour elle, se marier en secret était la plus grande preuve d’amour que l’on puisse imaginer. C’était pour cela qu’en dépit de son caractère passionné, il avait voulu l’épouser avant de coucher avec elle.*
Des mois s’étaient écoulés avant qu’il n’accepte l’idée qu’elle ne lui reviendrait pas, et des mois encore avant qu’il ne jette aux orties ses principes moraux pour tenter de remplir le vide douloureux qu’elle avait laissé, en trompant son absence dans les bras d’amantes de passage.*
Il était devenu caractériel, imprévisible, et sa carrière en avait souffert. Les metteurs en scène, même ceux qui le connaissaient et l’appréciaient, ne voulaient plus de lui et, plein d’amertume, il avait plus encore cherché à noyer son chagrin dans l’alcool et le sexe.*
Mais ni l’alcool ni le sexe, tous deux consommés sans modération, ne l’avaient aidé à oublier Lara.*
Il ne l’avait toujours pas oubliée. C’était la raison pour laquelle son accusation le rendait fou de rage.*
–*C’est ce que tu penses*? lui demanda-t–il avec une douceur empoisonnée, en se penchant sur elle. Que je t’ai baisée simplement parce que tu t’es jetée dans mes bras*? Qu’il suffise qu’une femme se trémousse devant moi pour que je commence à baver*? Je suis quoi, selon toi*? Un étalon sans la moindre retenue*?*
Il s’écarta d’elle brusquement en lâchant un juron.*
Le pire, songea-t–il avec courroux, c’était qu’en ce qui la concernait, il n’avait en effet aucune retenue.*
Vraiment aucune.*
Même à ce moment précis, il la désirait encore.*
C’était pathétique.*
Il était pathétique…*
Le ressentiment et la colère qu’il avait ressentis lorsqu’elle avait préféré son père à lui resurgissaient du passé comme un fantôme vengeur.*