Elle laissa tomber la lettre sans pouvoir contenir un éclat de rire amer. Jusqu’à la fin, son père avait refusé de désigner Graeme autrement que par «*ce garçon*», comme si, avec cette appellation, il cherchait à minimiser sa valeur, autant à ses yeux qu’à ceux de Lara.*
Apprendre qu’elle était encore mariée à Graeme l’avait littéralement rendue malade. Après des années passées à essayer de l’oublier, toutes les émotions qu’elle avait si difficilement refoulées étaient revenues l’assaillir. Elle avait pleuré des jours entiers, submergée par la nostalgie de ce qu’ils avaientvécu et le regret de ce qu’ils ne vivraient jamais. Et quand elle s’endormait, épuisée par le chagrin, ses rêves lui ramenaient avec une netteté troublante son rire, son odeur et le goût de sa peau.*
A cela s’ajoutait le poids du non-dit sur sa relation avec Christopher. Elle n’avait pu se résoudre à lui avouer qu’elle avait été mariée, même si son mariage n’avait duré que deux nuits, mais deux incroyables, deux merveilleuses nuits… Sa réticence, elle ne le savait que trop bien, venait du fait qu’elle songeait souvent, trop souvent, à cette parenthèse enchantée. Les cinq ans passés depuis n’avaient rien effacé.*
D’un geste à peine conscient, elle glissa la main sous les pans de son chemisier et caressa le médaillon niché entre ses seins. Du bout du doigt, elle suivit le nœud d’amour celtique finement ciselé sur l’argent, puis pressa le ressort qui ouvrait le pendentif.*
A l’intérieur se trouvait une photo de Graeme. Une photo qui n’avait rien à voir avoir celle de la couverture du magazine. Une expression, sur son visage, destinée à elle seule et non pas offerte à tous les yeux du monde. Sa bouche esquissait à peine un sourire, mais ses yeux trahissaient un rire contenu.*
Elle songea au jour où cette photo avait été prise. Ils se promenaient main dans la main sur les bords de la Tamise, lorsqu’un photographe ambulant muni d’un vieux Polaroid leur avait proposé de les prendre en photo pour cinq livres. Graeme avait tout d’abord refusé, mais elle n’avait pas eu à insister beaucoup pour qu’il cède, et il l’avait enlacée pour poser devant l’objectif. Lorsque leur image était apparue sur le papier, il avait déclaré qu’elle était bonne pour la poubelle, cependant, elle l’avait vu glisser un billet de dix livres au vendeur. C’était tout Graeme, ce genre de geste. Il avait beau être un acteur sans le sou, à l’époque, il n’en était pas moins un homme généreux.Elle avait tenté de lui dérober la photo et ils s’étaient chamaillés comme deux chatons avant qu’il ne l’embrasse avec un de ces baisers qui lui faisaient oublier même son prénom… Elle n’avait plus repensé au cliché jusqu’à ce qu’il lui offre le médaillon.*
Il avait découpé l’image de sorte que leurs deux visages se faisaient face de part et d’autre du pendentif, et elle avait trouvé terriblement romantique ce baiser sans fin, caché comme un trésor dans son écrin d’argent.*
C’était son cadeau de mariage.*
Avec un soupir, elle referma le bijou et le glissa de nouveau sous son chemisier. En dépit de tout ce qui s’était passé, elle n’avait pas un seul jour cessé de le porter. C’était son talisman, le souvenir des rêves qu’elle avait un instant caressés et qui n’étaient jamais devenus réalité à cause de son père. Même à son chevet, alors qu’elle savait ses heures comptées, elle n’avait pas été capable de prononcer les mots qu’il espérait entendre depuis longtemps*: «*Je te pardonne. Tu as eu raison d’agir comme tu l’as fait. Je suis heureuse à présent avec la voie qu’a prise ma vie.*»*
Après la mort de son père, elle avait pris conscience d’une triste réalité. Si sa vie ne ressemblait pas à ce qu’elle avait imaginé, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. C’était à elle de pardonner à son père, de cesser de pleurer sur son sort et de passer à autre chose. Et le premier pas vers son avenir, c’était de demander à Graeme de signer les papiers du divorce.*
Sans délai.*
D’un geste résolu, elle ouvrit sa valise et en sortit l’emballage qui contenait son costume. Elle ne l’avait commandé que deux jours avant son départ, et reçu au dernier moment, alors qu’elle s’apprêtait à partir à l’aéroport. Elle l’avait fourré dans ses bagages sans l’ouvrir ni l’essayer.Elle déchira le papier à bulles au-dessus du lit, impatiente d’enfiler le costume maintenant et de passer à la mise en œuvre de son plan.*
Mais…*
Dans ses mains, une pièce en métal…*
Qu’est-ce que c’était que ça*?*
Non*!*
Elle regarda mieux.*
Impossible…*
Il était hors de question qu’elle enfile ça*!*
Elle avait commandé un déguisement sobre, couvrant, pour se mêler à la foule des fans de façon anonyme et discrète. Alors, qu’est-ce que ce Bikini tarabiscoté faisait dans cet emballage*? Et puis où est-ce qu’elle avait vu ce costume, déjà*?*
Bien sûr*! C’était celui de la princesse Leia dans Le Retour du Jedi, à quelques détails près*!*
Il y avait le haut, avec ses volutes en relief, le bas, avec sa demi-jupette pourpre, les lourds bracelets en forme de serpent à mettre sur les avant-bras, le collier d’où pendait une grosse chaîne. Il ne manquait même pas les bottines en daim, habilement conçues pour s’adapter à toutes les pointures par un système de Velcro.*
Trop tard pour changer quoi que ce soit… Une véritable catastrophe*!*
Et, en supplément, on lui avait envoyé un masque de type vénitien, doré, destiné à couvrir le haut de son visage.Comment avait-on pu à ce point interpréter de travers sa commande*? Elle ne pouvait pas se montrer en public accoutrée de la sorte*!*
Elle suivit du doigt les lignes élégantes du masque, fascinée malgré elle. C’était un bel objet, une véritable œuvre d’art. Quel effet cela ferait-il de porter une si belle création*?*
D’une main hésitante, elle le posa sur son visage et se tourna vers la glace, le métal frais contre sa peau.*
L’image que lui renvoya le miroir semblait appartenir à quelqu’un d’autre. Elle avait beau porter le jean et le débardeur turquoise qu’elle avait enfilés le matin même, la créature exotique qui la regardait n’était pas Lara Withfield.*
Troublée, elle caressa doucement ses lèvres. Sa bouche lui avait toujours paru trop charnue, mais, encadrée par le métal doré, elle semblait à présent délicatement pulpeuse.*
Désirable.*
Elle était méconnaissable.*
Mystérieuse femme aux yeux bleus et aux longs cheveux blond vénitien, dont les lèvres appelaient au baiser.*
Elle jeta un coup d’œil au Bikini et aux accessoires éparpillés sur le lit. Oserait-elle*? En passionnée de théâtre, elle aimait se déguiser et interpréter des rôles très éloignés de sa personnalité véritable, mais jamais de sa vie elle n’avait eu à endosser une tenue aussi provocante*! Cela dit, elle doutait que Graeme puisse la reconnaître habillée de la sorte.**