–*Ne sois pas ridicule, rétorqua-t–elle sèchement. Je ne suis plus la petite fille qui vivait dans un monde imaginaire de princesses et de châteaux. J’ai grandi, Graeme, j’ai compris beaucoup de choses que j’ignorais alors. Et… j’ai besoin de bien plus que de fantasmes pour être heureuse.*
–*J’en déduis que tu n’écris plus*?*
Elle se figea.*
–*Que veux-tu dire*?*
–*Rien, juste qu’il y a cinq ans, écrire des histoires te rendait heureuse. Ne me dis pas que tu as laissé tomber l’écriture.*
–*J’écris encore des nouvelles, mais… je ne cherche pas à les faire publier. J’écris pour… eh bien… pour un public très ciblé.*
–*Ah*! dit-il d’un ton entendu. On peut dire alors que tu n’écris que pour ton plaisir*?*
–*On… on peut le dire comme ça, oui.*
–*A l’époque, tu me laissais te lire.*
–*Eh bien, cette époque est révolue.*
–*Donc personne, ou presque, ne lit ce que tu écris*?*
–*Ce n’est pas ce que j’ai dit, mais si tu as envie de lire ce que j’écris, la réponse est non, dit-elle, en l’obligeant à lâcher son bras d’un geste brusque. Mes nouvelles sont très différentes de celle que tu as lue. Tu serais fort surpris, je pense.*
–*Ah bon*? Et pourquoi*?*
–*Peu importe… Ce n’est que le fruit de mon imagination et je préfère garder ça pour moi. Point.*
Tu ne les gardes pas pour toi, mon ange. Loin s’en faut*!*
Il se garda cependant de lui dire qu’il était au courant de son activité littéraire. Ils avaient d’autres affaires plus importantes à mettre au clair d’abord.*
–*Si je comprends bien, tu continues à mettre tes fantasmes par écrit*? insista-t–il, prenant un malin plaisir devant son embarras croissant.*
–*C’est vrai. Mais je n’espère plus qu’ils se réalisent. La différence est de taille.*
Il songea un instant à ces jours enchantés qu’ils avaient partagés, quand il était son preux chevalier dans son armure étincelante. Il avait vraiment cru qu’ils vivraient heureux à jamais, avant que leur belle histoire d’amour ne tourne en mauvais drame sentimental, en film de série B. Mais ce n’était pas tant pour lui qu’il le regrettait. Il avait appris à ses dépens que la vie n’était pas un conte de fées. Il avait grandi dans une cité malfamée de Glasgow et sa mère, une femme courageuse et pleine de ressources, s’était donné beaucoup de mal pour l’envoyer, avec son frère, à la Glasgow Academy, une école privée très réputée, pour qu’ils aient toutes les chances de réussir. Il n’avait que treize ans alors, et il se rappelait encore l’excitation avec laquelle il avait attendu la rentrée.*
Il avait déchanté très vite, car, dès le premier jour, il avait compris qu’il ne suffisait pas de porter le même uniforme pour être considéré comme un égal par ses camarades mieux lotis que lui. A la fin de la première semaine, il s’était déjà battu trois fois.*
Pire encore… Chaque jour, lorsqu’ils rentraient à la maison le soir, son frère et lui devaient endurer les railleries des enfants du quartier, qui se moquaient de leurs uniformes. Il aurait pu encaisser en silence s’il ne s’était agi que de lui, mais, quand un groupe de trublions s’en était pris à son frère, il avait vu rouge et avait frappé violemment l’un d’eux. Une semaine plus tard, il avait été expulsé de la nouvelle école et avait été forcé de réintégrer l’enseignement public.*
Mais il était décidé à ne pas baisser les bras et si, au bout de longues années de travail acharné, il avait réussi à intégrer la très sélecte Académie royale d’art dramatique, aucun effort, aucune humiliation ne lui avaient été épargnés.*
Le goût amer de la désillusion avait toujours fait partie de sa vie et il n’attendait pas grand-chose de la nature humaine.*
Ce n’était pas le cas de Lara. La jeune fille qu’il avait connue était pleine d’espoir et d’idéaux et, soudain, entendre de sa bouche ces propos tristes et désabusés lui sembla insoutenable.*
Mû par un élan irrépressible, il l’attira contre lui, et plongea ses yeux dans les siens.*
–*Laisse-moi te rendre heureuse, mon ange, murmura-t–il en l’embrassant. Je peux te rendre heureuse…**