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Complot de famille, de Leona Karr

Complot de famille de Leona Karr Elle vient d'hériter d'une famille... et des pires ennuis qu'elle ait jamais connus...0

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Thanks Complot de famille, de Leona Karr

 

Complot de famille
de Leona Karr





Elle vient d'hériter d'une famille... et des pires ennuis qu'elle ait jamais connus...0





Complot famille, Leona Karr


Quelques heures ont suffi à faire basculer le destin de Carolyn Leigh. La jeune femme, qui a vécu une enfance solitaire entre orphelinats et familles d'accueil, vient en effet d'apprendre qu'Arthur Stanford lui léguait la moitié des parts de sa prestigieuse société, et que ce célèbre homme d'affaires n'était autre que son grand-père! Désireuse de connaître enfin sa famille - et de comprendre pourquoi sa mère l'a autrefois abandonnée -, Carolyn doit, dans le même temps, répondre à l'étrange proposition du séduisant Alan Lawrence, agnet fédéral qui souhaite l'épouser sur-le-champ afin de mener une enquête sur d'éventuels trafics organisés au sein même de la société Stanford... 0

 
 

 

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chapitre 1



Carolyn Leigh posa un regard étonné sur les deux hommes assis en face d’elle dans le cabinet d’avocats.
— Je suppose que cette réunion concerne le bienfaiteur anonyme qui m’a aidée à financer mes études. Je sais que l’argent transitait par vos bureaux, mais à part cela…
— C’est exact, lui répondit Me Bancroft, juriste grisonnant, en remontant ses lunettes sur son nez.
— J’imagine que si vous m’avez fait venir, c’est pour me dire qu’il faut maintenant que je rembourse ? demanda-t elle, cachant mal une certaine inquiétude.
Elle ne roulait pas sur l’or et, tant qu’elle n’aurait pas trouvé un temps plein à l’hôpital, elle aurait du mal à éponger ses dettes.
La voyant embarrassée, Me Bancroft la rassura sur-le-champ.
— Non, mademoiselle, vous n’avez rien à rembourser. Le donateur s’est montré très clair sur ce point.
L’avocat marqua un temps d’arrêt, puis il poursuivit :
— En fait, j’ai de très bonnes nouvelles pour vous.
Carolyn se raidit sur sa chaise.
— De bonnes nouvelles ? répéta-t elle.
L’expression la fit frissonner, car elle ne l’avait que trop entendue. Adoptée très tôt et de santé fragile, elle n’avait jamais connu d’autres bonnes nouvelles — comme disaient les fonctionnaires de l’assistance publique — que celles de ses placements dans des familles d’accueil sans cesse renouvelées. A l’époque, elle se sentait comme le pion d’un jeu diabolique. Aujourd’hui encore, même si elle avait réussi, à force de courage et de volonté, à obtenir son diplôme de médecin, elle en faisait toujours des cauchemars.
Traumatisée à jamais par les souvenirs de sa vie chaotique d’orpheline, elle reconnut la boule d’anxiété qui lui avait si souvent noué l’estomac. Oui, son enfance, ballottée d’une famille à une autre, sans chaleur, sans tendresse, l’entraverait à jamais comme un boulet.
« Et ça recommence… », pensa-t elle, redoutant ce qu’on allait encore lui assener.
Dès l’instant où elle était entrée dans ce bureau, elle avait senti une espèce d’hésitation de la part des deux hommes, comme s’ils ne savaient trop par où commencer. Elle avait déjà rencontré William Bancroft une fois, mais l’homme assis à côté de lui, Alan Lawrence, bel homme au demeurant, elle ne l’avait jamais croisé. Qui était il au juste et pourquoi se trouvait il là ? Le vieil avocat avait omis de le lui préciser. Peut-être était il son futur associé ?
Courtois, ils lui proposèrent un café qu’elle refusa.
— Bien, dit Me Bancroft. Passons aux choses sérieuses. Nous verrons les détails par la suite.
Se tournant alors vers Alan, il enchaîna :
— A vous, maintenant, mon cher.
Alan Lawrence sourit à Carolyn, qui ne manqua pas de remarquer le charme de l’homme. La trentaine, des traits énergiques, des cheveux noirs et un bronzage léger sur le visage, il était plutôt séduisant.
De ses beaux yeux d’un gris bleu, il la fixa, l’air hésitant, comme si la nouvelle qu’il avait à lui annoncer le mettait mal à l’aise. Les nerfs mis à vif par cette attente, Carolyn commença à s’impatienter. Qu’avait il donc de si embarrassant à lui dire ?
— Vous avez entendu parler d’Arthur Stanford ? commença-t il.
Le ton se voulait amical.
— Non, répondit elle du tac au tac.
La vivacité de la réaction le surprit. Il enchaîna.
— Je suppose que vous avez entendu parler des laboratoires pharmaceutiques Horizon ?
— Evidemment. Quel médecin ne connaît pas Horizon ? C’est une des sociétés les plus anciennes de tout le Nord-Ouest américain.
Il opina de la tête.
— C’est cela. Eh bien, Arthur Stanford, le propriétaire de ce laboratoire, vient de décéder et…
Un rien sarcastique, elle lui coupa la parole.
— Suis-je supposée être au courant de ce décès ?
La mort du magnat avait sans doute paru dans la presse, mais elle était trop occupée par son travail pour lire les journaux.
Méfiante, ne voyant toujours pas où il voulait en venir, elle se préparait à attaquer. A force d’être mêlée à des bagarres dont elle était souvent la cible dans les cours d’école, elle avait appris à se protéger avant que les coups ne pleuvent. Elle était donc prête à affronter n’importe quoi. N’empêche, pourquoi l’avait-on convoquée ?
— L’aide financière qui vous a été octroyée pour faire vos études, reprit Alan, et qui vous parvenait par le canal de Me Bancroft, vous était attribuée par Arthur Stanford.
— Vraiment ? s’exclama-t elle, ahurie.
— Oui, vraiment.
Elle s’était souvent demandé d’où lui venait cet argent, qui l’avait tellement aidée dans ses études. Un moment, elle avait cru qu’elle émanait d’une organisation caritative, mais jamais elle n’avait imaginé que son bienfaiteur puisse être tout simplement un particulier. Quand elle avait demandé une bourse à l’administration de la faculté, le directeur de l’établissement lui avait annoncé qu’une personne anonyme lui verserait régulièrement des fonds.

La réponse l’avait un peu surprise, mais elle n’avait pas vraiment cherché à savoir.
— Evidemment, je lui suis très reconnaissante de m’avoir permis de profiter de cette aide, qui a largement contribué à ma réussite. Mais… M. Stanford faisait des dons à tous les étudiants en médecine ?
— Non, seulement à vous.
— A moi seule ? répéta-t elle incrédule. Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je eu cette chance ?
Alan hésita. Comment allait il lui révéler la vérité ? Me Bancroft l’avait chargé de cette mission — qu’il avait acceptée —, mais le Dr Carolyn Leigh n’était pas la petite femme insignifiante à laquelle il s’attendait. Elle lui faisait même beaucoup d’effet. De grands yeux bleus, une bouche joliment dessinée, de beaux cheveux blonds aux reflets miel, c’était une jeune femme infiniment séduisante. Elle avait passé un chemisier rose tout simple et une jupe bleu marine, qui mettait en valeur une silhouette fine que quelques rondeurs bien placées rendaient très suggestive.
Même si Alan ne la connaissait que depuis quelques minutes, il avait vite compris que, sous le désir qu’elle lui avait tout de suite inspiré, elle cachait d’autres qualités, plus solides. Il se dégageait d’elle une force et une détermination indéniables. Qu’un homme s’avise de lui manquer de respect, elle devait le remettre à sa place vertement, il l’aurait parié. Il l’imaginait volontiers dans sa blouse blanche de médecin, son stéthoscope autour du cou, visitant ses malades sur leur lit d’hôpital, des malades qu’elle devait charmer ou mettre au pas. Oui, à bien la regarder, ce qu’il détectait chez cette femme était assez impressionnant… Il fallait pourtant qu’il se lance. Le mieux était de se montrer aussi direct que possible.
— Ce n’est pas par hasard que vous avez bénéficié de ces libéralités, Carolyn. Voyez-vous, mademoiselle, rectifia-t il, M. Stanford témoignait un profond intérêt pour vous.
Il marqua un temps d’arrêt mais, devant la stupéfaction de Carolyn, il s’empressa de poursuivre.
— Ce que j’ai à vous dire risque de vous causer un choc. Ne sachant comment vous préparer à cette révélation, j’irai donc droit au but.
Maladroitement, il tendit la main vers elle, mais elle esquiva.
— Eh bien, enchaîna Alan, M. Stanford vous témoignait de l’intérêt parce qu’il était…
Il hésita.
— … votre grand-père.
Estomaquée, Carolyn vit trente-six chandelles. Elle voulut réagir, dire quelque chose, mais, l’émotion étant trop forte, les mots s’étranglèrent dans sa gorge.
Le premier choc passé, elle rassembla ses idées.
— Si je comprends bien, dit elle après un bref silence, l’argent que je recevais provenait de M. Stanford, qui se trouvait être… mon grand-père.
— Absolument, lui répondit Alan. Il n’y a aucun doute à ce sujet, vous êtes sa petite-fille.
Toute sa vie, Carolyn avait rêvé d’appartenir à un clan de la même chair et du même sang que les siens. Mais elle était seule, cruellement seule. Envers et contre tout, elle avait lutté pour survivre et réussi à se construire un petit monde à elle, une petite bulle où elle se sentait protégée. Patatras ! C’était une véritable bombe qui explosait aujourd’hui dans son univers.
« Pourvu que ce soit vrai », songea-t elle en fixant Alan.
Attendri par l’émotion de la jeune femme, Alan lui prit la main en souriant.
La voyant un peu rassérénée, Me Bancroft lui tendit un dossier.
— Vous lirez ceci, tous les détails y sont consignés.
Elle prit le document, qu’elle commença à feuilleter sous le regard des deux hommes empêtrés dans leur silence.
Enfin, Carolyn découvrait le mystère de sa naissance. Sa mère, Alicia Stanford, n’avait que seize ans quand, apprenant qu’elle était enceinte, elle s’était sauvée de chez elle. Tous les efforts menés par sa famille pour la retrouver étaient restés vains. Un an plus tard, Alicia était rentrée chez ses parents, atteinte d’un mal qui devait très vite l’emporter. Avant de mourir, elle avait refusé de révéler ce qu’était devenu son bébé, ainsi que l’identité du père de l’enfant. Pendant des années, personne n’avait cherché à percer ce mystère. Ce n’est que lorsque Carolyn était entrée à la faculté de médecine que des détectives, chargés de l’enquête par son grand-père, veuf et vieillissant, avaient pu la localiser. Dès ce moment, le vieux milliardaire n’avait jamais cessé de lui faire parvenir de l’argent.
« Ainsi, pendant des années, il a su que j’étais sa petite-fille », pensa-t elle avec amertume.
Une envie de pleurer lui serra la poitrine.
— Pourquoi ne m’a-t il rien dit ? Pourquoi ce secret ? demanda-t elle à l’avocat.
— Nous n’en savons rien, répliqua-t il. Quand votre grand-père a décidé de vous accorder cette pension, il nous a recommandé la plus totale discrétion. Ce qui ne l’a pas empêché de se tenir toujours au courant de vos faits et gestes. Il a su, par exemple, que vous travailliez comme stagiaire dans la société financière Champion Investment et que vous y aviez obtenu d’excellents résultats. Il pensait même que vous feriez carrière dans ce métier, mais finalement, vous avez préféré vous orienter vers la médecine…


Bancroft remonta ses lunettes sur son nez et se gratta la gorge.
— Voici maintenant le contenu de ses volontés.
— Cela me concerne directement ? s’enquit elle. Il m’a légué quelque chose ?
Alan ne put s’empêcher de répondre :
— Plus que « quelque chose », mademoiselle.
— Quelques mois avant sa mort, reprit Me Bancroft, Arthur Stanford a rédigé un nouveau testament dans lequel il vous désigne comme sa principale bénéficiaire. Il vous lègue cinquante et un pour cent des parts des laboratoires pharmaceutiques Horizon, la grande propriété de famille, un important portefeuille d’actions et des liquidités.
Incrédule, elle fixa tour à tour les deux hommes. Quel était donc l’objet de cette sinistre plaisanterie ? Elle n’avait jamais cru aux contes de fées, et n’allait pas davantage gober celui-là. Cela relevait du canular, de la mystification. On se moquait d’elle…
La voyant agitée d’un léger tremblement, Alan voulut la rassurer.
— Carolyn, tout ceci est vrai. Votre grand-père est décédé il y a quelques semaines. Sur le plan légal, tout est en ordre, mais avant de vous informer officiellement de ses dernières volontés, nous devions vérifier certains points précis.
— Vous prétendez me faire croire que M. Stanford a écarté les membres de sa famille à mon profit ? Mais il ne me connaissait même pas et ne s’est jamais intéressé à moi !
— C’est pourtant ainsi, Carolyn : telle a été sa décision.
— Mais que vont dire ses ayants droit ? s’enquit Carolyn, qui contrôlait mal son émotion. Il n’était sûrement pas seul au monde, et doit avoir des obligations envers ses héritiers !
— Effectivement, confirma Me Bancroft. Il a un fils, Jasper, le frère aîné de votre mère. Il est mentionné dans le testament, mais à une place plus modeste.
Pourquoi Stanford avait il agi ainsi ? se demanda-t elle. Pourquoi avait il, dans une certaine mesure, déshérité son fils ?
— Jasper est un piètre gestionnaire : il a mis en faillite deux des sociétés de votre grand-père et celui-ci en a tiré les conclusions. Il ne voulait pas confier à son fils l’avenir d’Horizon.
— Et il n’a pas d’autres héritiers ?
— Non, vous êtes le seul lien de sang avec votre grand-père, répondit Bancroft. Aujourd’hui, Jasper travaille comme chef de laboratoire à Horizon, mais c’est à vous que revient la lourde responsabilité de contrôler tout ce qui concerne les finances de l’entreprise.
— Est il marié ?
— Non. Il ne s’est jamais marié, mais il fréquente depuis cinq ans Della Denison, une femme extrêmement compétente qui travaille elle aussi dans la société. Ils vivent dans la propriété de Stanford avec les deux enfants de Della, qui ont une vingtaine d’années. Votre grand-père estimait que tout ce petit monde devait pouvoir cohabiter, en bonne intelligence, dans le manoir.
— Evidemment, tout cela est susceptible de changement, précisa Alan. Ce sera à vous de décider quand vous vous y installerez. N’oubliez pas, Carolyn, que vous êtes dorénavant le numéro un de l’entreprise, et qu’il vous appartiendra de prendre les décisions qui vous sembleront justifiées.
— Quand toutes les démarches seront terminées, ajouta Me Bancroft. D’ici là, je peux créditer votre compte des sommes dont vous avez besoin.
Peu à peu, les doutes qui avaient envahi Carolyn s’estompèrent, cédant la place à un flot de questions.
Elle était perdue dans ses réflexions quand Alan se pencha vers elle, cherchant son regard.
— Avant que vous n’endossiez l’uniforme de la riche héritière, il me semble de mon devoir de vous faire part de quelques faits troublants.
Héritière… Ce mot sonnait désagréablement à ses oreilles. Toute sa vie, elle avait peiné à boucler les fins de mois. Sa voiture d’occasion flirtait avec les cent soixante mille kilomètres et, à l’hôpital, elle gagnait un salaire peu enviable.
— La mort brutale de votre grand-père nous a tous étonnés, reprit Alan.
— Etait il gravement malade ? demanda-t elle, regrettant presque de n’avoir pu se rendre à son chevet.
Si seulement elle avait pu le soigner… Elle aurait mis en application ce qu’elle avait appris à la faculté de médecine.
— Votre grand-père n’est pas mort de maladie, dit il.
Ce qu’il avait à lui apprendre n’était pas facile à dire. Il avait peur de la choquer et de la blesser.
— Il a été victime d’un accident de la circulation. Un chauffard…
Elle le fixa, la gorge nouée. Son grand-père avait peut-être eu l’intention de lui parler, mais une mort prématurée l’en avait empêché. Elle ne le saurait jamais…
— M. Stanford a été tué à quelques kilomètres de sa résidence, près du port. Je dois vous dire que cet… « accident » soulève bien des interrogations. Certains n’hésitent pas à mettre en doute le caractère accidentel de l’affaire.
Carolyn ne saisit pas tout de suite le sous-entendu. Le front plissé, elle réfléchit quelques secondes.


— Seriez-vous en train d’insinuer que quelqu’un l’a délibérément heurté avec sa voiture ?
— Nous ne pouvons rien affirmer pour l’instant, mais c’est le doute qui plane autour de cette affaire qui me vaut d’être présent ici, dit Alan, sortant un badge de sa poche. Je suis enquêteur fédéral, et j’ai été chargé de faire la lumière sur les circonstances qui ont entouré la mort de votre grand-père.
— Vous n’êtes donc pas avocat ? Je veux dire… je pensais…
— Non, je vous répète que je suis agent fédéral. Me Bancroft m’a demandé de participer à cette réunion car il sait que j’enquête sur la société Stanford. Et comme vous êtes dorénavant l’héritière en titre, il a pensé que vous pourriez m’aider.
— Vous aider ? Comment ? Je ne suis pas agent fédéral, moi !
— Je ne plaisante pas. Votre fonction va vous ouvrir en grand les portes de la société familiale et vous permettre d’accéder aux affaires de la famille.
— Je ne comprends pas… Je ne vois pas ce que vous avez en tête, grommela Carolyn, mais donnez-moi davantage d’informations et laissez-moi du temps pour réfléchir.
Elle se leva et reprit :
— Maintenant, messieurs, veuillez m’excuser, mais… avec cette histoire, vous me faites tourner la tête.
— Vous êtes tout excusée, intervint Alan. Nous comprenons que cela fasse beaucoup de choses à assimiler en peu de temps, mais le temps, justement, est d’une importance capitale. Je ne veux pas faire pression sur vous, Carolyn, et cependant…
Elle le coupa et, d’un ton très professionnel :
— Sachez que je n’agis jamais sous la pression, monsieur Lawrence. Quoi que vous ayez à me demander, vous devrez attendre.
Après un sourire un peu figé, elle quitta le bureau d’un pas rapide, laissant ses interlocuteurs médusés.
Peut-être ce qui lui arrivait était il fabuleux, mais tout était encore trop embrouillé dans sa tête. Elle voulait bien croire à l’incroyable, mais son intuition lui murmurait de se méfier. Le charmant M. Lawrence, c’était clair, cherchait à obtenir quelque chose d’elle. Mais quoi ? Que voulait il vraiment ? Et pourquoi Me Bancroft l’avait il convié à ce rendez-vous ? Certes, elle avait été sensible au sourire enjôleur de l’agent fédéral et à la pression de sa main sur la sienne, mais ne s’était il pas joué de son émotion ?
Toutes ces pensées pêle-mêle dans la tête, elle regagna sa voiture garée derrière l’immeuble. Ses mains tremblaient quand elle ouvrit la portière. Assise au volant, elle attendit quelques minutes avant de démarrer. Il fallait qu’elle rentre chez elle et parcoure les papiers que lui avait remis l’avocat. Ensuite, elle surferait sur internet pour y trouver un maximum d’informations sur les laboratoires Horizon. Son programme bien établi dans la tête, elle tourna la clé de contact. Hélas, sans succès.
Après plusieurs essais infructueux, elle tapa sur son volant avec rage. Cela faisait plus d’un mois qu’elle avait des ennuis avec sa vieille guimbarde, qui n’en pouvait plus. Mais elle repoussait les réparations pour d’évidents problèmes financiers. Elle essaya encore une fois, toujours sans succès, et marmonna une bordée de jurons. Ironie de la situation, Alan Lawrence traversait justement le parking. Sans doute avait il entendu le moteur tousser, car il vint vers elle.
La mine dépitée, elle baissa sa vitre. Il la regardait, l’air narquois.
— Elle ne veut rien savoir, on dirait ?
Son sourire agaça Carolyn.
— Brillante déduction ! Tous les agents fédéraux sont aussi perspicaces ?
— Allez, ne vous fâchez pas… Voulez-vous que j’essaie ?
— Non, merci. Ne perdez pas votre temps.
Elle ne tenait pas à prolonger une situation dans laquelle elle se sentait ridicule. Il n’était pas besoin d’être un technicien chevronné pour conclure que sa voiture était tout juste bonne pour la casse. Mais que faire ? La laisser sur place ? Prendre l’autobus pour rentrer chez elle, et vérifier si son assurance prenait en charge les incidents mécaniques ?
— Finalement, je vais la laisser se reposer, maugréa-t elle.
— Voulez-vous que je vous raccompagne ? Vous appellerez un garage de chez vous pour vous faire remorquer.
— Non, merci, inutile de vous déranger, rétorqua-t elle d’un ton sec.
— Cela ne me dérange pas, je n’ai rien de spécial à faire. Il faudra simplement que vous me guidiez, car je ne me repère pas bien dans Seattle.
A un drôle d’éclat dans ses yeux bleus, il vit qu’elle était tiraillée entre l’envie d’accepter et celle de refuser. Pour lui, cette panne était une aubaine. Elle allait lui permettre d’établir un contact plus étroit avec elle. Et comme il avait impérativement besoin de son accord pour l’aider dans sa mission…
— O.K., dit elle finalement.
Sans s’en rendre compte, il laissa échapper un soupir satisfait.


Comme ils marchaient côte à côte en direction de sa voiture, il rompit le silence par quelques commentaires sur la météo locale.
— Savez-vous qu’il pleut plus en une semaine, ici, que chez nous pendant toute une saison ?
Pour la première fois, Carolyn lui sourit.
— Les natifs de Seattle appellent ces intempéries leur soleil liquide. C’est joli, non ?
— Très charmant.
Ces banalités météorologiques énoncées, il reprit :
— Je suis originaire du Nouveau-Mexique. Etes-vous déjà allée là-bas ?
— Non, mais je crois que ça ne me plairait pas. L’eau me manquerait.
A sa mine, Alan comprit que son bavardage l’ennuyait. Après les différents coups de théâtre survenus chez Bancroft, elle devait avoir envie de silence pour réfléchir. Apprendre l’identité de son grand-père avait été un premier choc. Passer, en l’espace de quelques minutes, du statut d’orpheline pauvre à celui d’héritière d’une fortune colossale avait de quoi ébranler qui que ce soit.
Heureusement pour elle, Alan savait qu’elle était dotée d’une volonté de fer et que ses airs d’adolescente douce et naïve étaient trompeurs. Il était inutile qu’il se berce d’illusions : il ne serait pas facile de la convaincre d’accepter son plan.
— Tenez, montez.
Ils s’installèrent et il démarra.
Profitant de ce qu’il tournait le volant à droite, il lui jeta un regard en coin. Assise près de lui, elle regardait droit devant elle. Sous son allure de jeune fille rangée, elle était terriblement féminine et dégageait même quelque chose d’assez excitant. Etait-ce son chemisier qui lui moulait la poitrine ? Ou son col entrouvert qui découvrait un cou long et racé, et laissait deviner le bombé de ses seins ?
Lawrence inspira discrètement. Le parfum de sa passagère, fleuri et capiteux, lui titilla les narines. Aussitôt, il sentit son corps réagir. Il avait eu tort de se priver si longtemps de la compagnie des femmes… Il allait le payer.
Chassant d’un geste de la main les images érotiques que lui inspirait la jeune femme, il tenta de renouer le fil de la conversation. Mais elle n’était pas loquace. Peut-être, en lui racontant avec humour les expériences malheureuses qu’il avait connues dans certains pays étrangers, réussirait il à la dérider ? Il tenta sa chance.
— Vous avez beaucoup voyagé, on dirait ? laissa-t elle tomber après avoir écouté le début de ses péripéties.
— Essentiellement en Amérique du Sud. J’ai vécu deux ans au Brésil, détaché auprès de l’ambassade américaine. En tant que spécialiste des affaires judiciaires, j’étais chargé de la coordination des opérations anti drogue.
— Intéressant. Et quand vous êtes rentré aux Etats-Unis, vous êtes devenu agent fédéral ?
— Oui, répondit il sans s’étendre.
Comme il se taisait, Carolyn lui jeta à son tour un regard en coulisse. Il dut le sentir car il tourna la tête vers elle. Son visage avait changé. Un nuage de tristesse voilait son regard. Leur conversation semblait avoir réveillé en lui un souvenir douloureux. Que s’était il donc passé dans sa carrière pour que l’évocation de son passé lui assombrisse ainsi l’humeur ?
Chez Me Bancroft, il lui avait paru énergique, et donc peu enclin à s’apitoyer sur lui-même.
— Est-ce que c’est ici ? demanda-t il en ralentissant devant une grande maison.
Carolyn y louait un appartement tout en haut.
— Oui, dit elle, la main posée sur la portière, déjà prête à sauter.
— Attendez une seconde que je me gare, dit il devant son empressement à descendre.
D’abord déstabilisée par les événements de la matinée, elle semblait, maintenant, tout à fait remise.
— Pouvez-vous m’accorder encore une minute, que nous bavardions ? demanda-t il. Je me doute que vous devez être épuisée, mais j’aimerais que vous m’écoutiez. C’est important. Il y a des décisions graves à prendre.
— Ecoutez, monsieur, je ne suis pas en état de prendre la moindre décision, l’interrompit elle sèchement. J’ai trop lu d’histoires sur des gens qui ont fait fortune subitement, et qui ont ensuite été harcelés par des aigrefins qui voulaient profiter d’eux.
— Je vous en prie, rétorqua-t il, glacial. Ce que j’ai à vous dire n’a rien à voir avec l’argent. Il s’agit de la santé de tout un chacun. Vous qui êtes médecin, vous devriez vous sentir concernée au premier chef.
— Comprenez-moi. Je suis encore sous le choc des révélations de la journée. J’ai besoin de temps pour digérer tout cela. De plus, je ne vois pas ce que vous pouvez attendre de moi.
— Laissez-moi vous l’expliquer, vous aurez ensuite tout le temps d’y réfléchir.
Il souda son regard à celui de sa passagère qui le fixait, perplexe devant tant de mystère. Les yeux gris de son chauffeur étaient si troublants qu’elle se sentit rougir. Envahie par une gêne diffuse, elle songea à se sauver, mais elle était prisonnière de cette maudite voiture. Quelle galère ! Décidément, elle détestait les situations compliquées.


Mal à l’aise, elle s’humecta les lèvres du bout de la langue puis soupira très fort. Bon gré mal gré, elle allait devoir l’écouter.
— D’accord, mais pas dans la voiture. Nous serons mieux chez moi.
Ils descendirent de voiture et se dirigèrent vers l’escalier qui menait à son appartement. Arrivée en haut des marches, elle alluma le couloir, fit les quelques mètres qui la séparaient de sa porte, et mettait la clé dans le verrou quand elle sentit le souffle tiède de Lawrence sur sa nuque…
La porte ouverte, elle rougit de nouveau. De honte, cette fois. Un désordre indescriptible régnait chez elle. Elle avait dormi trop tard et avait dû se dépêcher pour être à l’heure chez l’avocat. Il y avait de tout partout. Quant à sa chambre, elle aurait préféré qu’il ne la voie pas : ses vêtements — elle en avait essayé beaucoup avant de se décider pour la jupe bleue et le haut rose — traînaient pêle-mêle sur le lit. Au vu du caractère ostensible et… total du champ de bataille, elle ne tenta même pas de s’excuser.
L’appartement était meublé d’un bric-à-brac dont la propriétaire ne voulait plus, et qu’elle avait obligeamment abandonné à sa locataire qui l’avait récupéré, aucun brocanteur n’ayant daigné l’acheter. Dans un coin du salon, un vieux bureau croulait sous des montagnes de papiers et de livres de médecine. Pour essayer de lui donner une touche personnelle, Carolyn avait accroché aux murs des calendriers, et disposé çà et là des plantes vertes. Comme elle recevait peu, pour ne pas dire jamais, son appartement ressemblait à ce qu’il était : l’antre d’une célibataire.
Alan s’assit sur le canapé quelque peu défoncé ; elle, sur une chaise, en évitant soigneusement de le regarder. Que pouvait il bien penser ? De quel droit s’imposait il ainsi dans sa vie ?
Prenant brusquement conscience de la place qu’il occupait dans ses pensées, elle leva les yeux sur lui pour le détailler. Il fallait reconnaître qu’il avait beaucoup de présence. Il avait laissé sa veste dans la voiture et desserré sa cravate. Ses cheveux coupés court étaient noir de jais, comme ses sourcils. Un mètre quatre-vingt-cinq environ, athlétique, il avait des bras incroyablement musclés. De beaux yeux gris, une mâchoire carrée, un sourire enjôleur… Il incarnait le séducteur comme elle en avait vu parfois sur les couvertures de magazines.
Alors qu’elle se laissait aller à ses pensées, elle sentit qu’il l’observait et sursauta. Un brusque coup de chaud lui colora aussitôt les joues.
Vexée de s’être laissé surprendre, elle l’interpella sur un ton plus sec qu’elle ne le voulait.
— Bien. Maintenant, je vous écoute. De quoi est il question ?
Il la scruta et, au lieu de répondre, se leva et alla jusqu’à la fenêtre. Le regard perdu dans le vide, Alan Lawrence lui parut soudain être devenu un autre homme. Que se passait il ? C’était comme si des images tragiques le hantaient, tout à coup. Elle avait déjà vu des malades mentaux atteints d’absences, aussi resta-t elle silencieuse en attendant que la crise passe.
— De quoi est il question ? répéta-t il en revenant s’asseoir sur le sofa. Toute cette histoire concerne Marietta. Marietta était ma femme, mais elle est morte d’une longue et horrible maladie.
Non, l’homme n’était pas en crise, se dit elle. Pendant son internat à l’hôpital, Carolyn avait été témoin de drames. Confrontées à la mort, certaines personnes extériorisaient leur douleur en pleurant leurs disparus, sur place, dans les couloirs. D’autres, plus introverties, ne laissaient rien paraître de leur chagrin, préférant le dissimuler au fond de leur cœur. Pour Carolyn, c’était clair : Alan souffrait. Elle le découvrait soudain sous un autre jour, et quelque chose de touchant, d’attachant, même, l’attirait vers lui.
— Je suis désolée, dit elle en s’installant près de lui sur le canapé.
Surpris, il scruta son visage comme pour juger de sa sincérité et enchaîna.
— Vous devez vous en douter, j’ai fait du droit. Mes études terminées, j’ai été affecté à l’ambassade américaine au Brésil. Mais… je crois que je me répète. J’étais chargé de mettre à jour les divers trafics — stupéfiants, médicaments et autres — entre les deux pays.
Il fit une pause, soupira et reprit :
— Marietta travaillait comme traductrice à l’ambassade. Nous n’étions mariés que depuis quelques mois quand elle a déclaré une maladie du foie. Hélas, c’était très grave et, en moins d’un an, elle a été emportée. Enquête faite, il s’est avéré que le médecin qui la soignait lui avait administré un médicament entré dans le pays par un réseau parallèle.
Les traits d’Alan se durcirent et son beau regard gris brilla d’un éclat plus froid qu’une lame d’acier.
— Il faut que vous sachiez une chose, Carolyn : ce médicament venait de chez Horizon.
Tel un boxeur sonné, elle resta K.-O. debout et bre-douilla :
— Ce n’est pas possible ! En êtes-vous sûr ?
— A peu près. Une fois fabriqués, tous les médicaments sont répartis en lots. Chaque flacon porte sur son emballage le numéro de lot et le nom du laboratoire dont il est issu. Le flacon de gélules mortelles qui ont tué Marietta provenait sans aucun doute des laboratoires Horizon, mais, quand le ministère de la Santé publique a tenté de mener son enquête, il est apparu que le laboratoire n’avait jamais officiellement fabriqué ce médicament.


— Invraisemblable, laissa tomber Carolyn. Vous insinuez donc que votre femme a absorbé une drogue trafiquée…
— C’est ce que pensent les autorités. Je suis revenu aux Etats-Unis il y a quelques mois, et j’ai constaté que l’enquête n’avait pas progressé d’un pouce. Il semble que les organisations criminelles qui mettent ces produits sur le marché utilisent les mêmes conditionnements et les mêmes étiquettes que les laboratoires officiellement reconnus.
— Horizon est innocent, alors ?
— Ce n’est pas mon avis. Voici pourquoi. Quand ils essaient de copier les produits authentiques, les faussaires sont incapables de reproduire exactement tous les détails inscrits ou gravés sur les flacons d’origine. Ils commettent de légères erreurs dans la grandeur des lettres, le poids des flacons, les couleurs des étiquettes, et parfois même dans l’aspect des cachets, qui sortent plus plats ou plus arrondis que les originaux. En l’occurrence, la bouteille contenant les gélules qui ont tué Marietta est un duplicata fidèle de celles qui sortent de chez Horizon.
— Comment est-ce possible ? Ce n’est quand même pas le laboratoire qui s’amuserait à commercialiser des produits dangereux ?
— Ecoutez, Carolyn, l’année dernière, des médicaments Horizon ont fait leur apparition de façon illégale sur le marché noir à l’étranger. Jusqu’à ce jour, je n’ai pas pu m’infiltrer dans la société pour mener mon enquête sur place.
Jusqu’à ce jour…
Alan jeta à Carolyn un regard qui ne laissait planer aucun doute sur ses intentions.
Il a bien combiné son affaire, se dit elle. La suite allait le lui confirmer.
— Vous seule pouvez me donner une couverture légitime pour mener mes investigations chez Horizon. Si je peux contrôler, de l’intérieur, les opérations de cette entreprise pharmaceutique, je suis certain de découvrir le circuit que suivent les médicaments avant d’être introduits sur le marché noir dans des pays étrangers.
Il saisit sa main.
— C’est pourquoi j’ai besoin de votre aide.
— Mais… que puis-je faire ? Je n’ai aucune expérience, et je ne connais rien aux secrets d’Horizon. Si je vous nommais à un poste dans la société, vous seriez rapidement découvert et jeté dehors comme un intrus.
— Je sais. C’est pourquoi j’ai eu une autre idée, qui va me permettre de suivre exactement ce qui se déroule au sein de l’entreprise.
A son regard, elle comprit tout de suite : à demi mot, il lui demandait de le couvrir. Une impression désagréable, comme une boule dans l’estomac, l’envahit soudain. Sans doute ce que ressentent les trompe-la-mort avant de sauter à l’élastique, se dit elle.
Très sûr de lui cette fois, Alan Lawrence reprit la parole.
— Quand vous arriverez chez Horizon pour la première fois, je serai à votre côté, comme si j’étais votre mari.
Devant tant d’aplomb, elle faillit s’étouffer de stupeur.
— Mon mari ?
— De nom, seulement, s’empressa-t il d’ajouter. N’est-ce pas la couverture idéale ?

 
 

 

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chapitre 2
— Vous avez l’intention de prétendre que vous êtes mon mari ? martela-t elle d’une voix à la fois amusée et indignée.
— Je n’ai pas l’intention de le prétendre.
— Comment cela ?
Elle plissa le front et se raidit.
Comprenant qu’il avait fait preuve de maladresse, il se leva, fit quelques pas dans la pièce et s’appuya sur le coin d’un meuble. Il fallait qu’il rétablisse la situation au plus vite. Peut-être serait il plus à l’aise s’il s’éloignait de cette femme dont la respiration seule suffisait à le troubler.
Et comme elle n’était pas du genre à tout accepter les yeux fermés, mieux valait que ses explications soient claires.
— Non, il ne s’agit pas de « prétendre », répondit il. Nous devons nous marier vraiment, au cas où quelqu’un aurait la fâcheuse idée de vouloir vérifier si nous sommes vraiment mari et femme. Il faudra aussi que nous organisions une petite fête à cette occasion, comme cela se fait.
— Vous croyez vraiment à ce que vous dites ? lui répondit elle le plus calmement du monde.
— Bien sûr, mais il est évident qu’il s’agit d’un arrangement professionnel entre nous. L’enquête terminée, nous y mettrons un terme en demandant la dissolution de notre union pour incompatibilité, ou que sais-je… ? Je ne serai votre mari que sur le papier.
De plus en plus ahurie, elle arqua les sourcils.
— Un arrangement professionnel…, répéta-t elle, rêveuse. Un mari sur le papier ? Et comment cela va-t il fonctionner ?
— C’est très simple. Quand nous serons en public, nous jouerons le jeu du couple amoureux et…
Elle l’interrompit.
— Vous voulez dire que nous devrons nous comporter comme deux tourtereaux ?
Il ne put s’empêcher de rire. Il la laissait libre de fixer les limites de leur union.
— Nous n’aurons qu’à jouer la comédie, tout simplement, ajouta-t il.
— Vous voulez dire qu’il va falloir s’embrasser comme des jeunes mariés devant tout le monde au bureau ?
— Exactement. Du théâtre pour la galerie.
Tout en prononçant ces mots, le regard d’Alan se fixa sur les lèvres roses et joliment dessinées de Carolyn. Elle avait un visage délicat, un vrai profil de médaille. Il allait devoir se raisonner, s’il ne voulait pas tout gâcher par des élans incontrôlés, tant ce qui émanait de sa charmante personne était attirant. L’envie de la toucher lui chatouilla le bout des doigts. S’il ne s’était pas retenu, il l’aurait déjà serrée contre lui, embrassée… dévorée ! Oui, il allait devoir se méfier de lui, de ses débordements, et éviter de lui dire de but en blanc qu’il la trouvait follement sexy.
Comme si elle avait percé ses pensées, elle voulut le mettre dans l’embarras.
— Et comment vivrons-nous ? Faudra-t il que nous soyons sans cesse en représentation ?
— Le manoir Stanford est suffisamment vaste pour que nous y vivions sans nous gêner. Nous nous installerons dans une aile de la maison, et les autres dans l’autre. Nous ne les verrons que lorsque nous rechercherons leur compagnie.
Il omit de préciser qu’il souhaitait nouer des liens étroits avec Della et Jasper en raison de leur rôle chez Horizon.
— Si je comprends bien, monsieur l’agent fédéral a tout combiné, dit elle, sarcastique.
— Ce n’était pas difficile. C’est l’une des choses que je fais le mieux.
— Et cet arrangement professionnel doit durer… longtemps ? Est il déjà inscrit sur vos tablettes ? ajouta-t elle, toujours sarcastique.
— Il durera quelques semaines si tout va bien. Quand j’aurai en main les dossiers de la société, je devrais rapidement retrouver la trace des transports illicites.
Il marqua un temps d’arrêt, puis reprit :
— Mais il y a autre chose.
— Encore ! s’exclama-t elle, jugeant, cette fois, qu’il abusait.
Il hésita, chercha ses mots.
— Il se pourrait qu’il y ait quelques complications si ce que je découvre relance l’enquête criminelle sur la mort de votre grand-père.
— Une enquête criminelle ? s’étonna-t elle.
— Oui, l’histoire du chauffard, que l’on n’a jamais retrouvé, bien sûr, m’a toujours paru suspecte.
La voyant pâlir, il regretta d’avoir été aussi direct. Mais cela faisait partie des aléas du métier. A force d’asséner des choses douloureuses et qui blessent, il avait tendance à s’endurcir et à manquer de subtilité.
Les lèvres tremblantes, elle insista.
— Vous pensez vraiment qu’il y a un lien entre le marché noir des médicaments et la mort de mon grand-père ?
— Je n’en sais rien pour l’instant, mais je vous promets de tout faire pour en avoir le cœur net.
Il se rassit près d’elle et enchaîna :
— Carolyn, excusez-moi de me montrer aussi pressant, mais nous n’avons pas une minute à perdre. Avant que vous ne fassiez la connaissance de votre oncle et de tous ceux qui vivent dans cette grande demeure, il faut que je sois devenu votre mari.
— Mon oncle…



Ce mot parut lui écorcher la bouche.
— Vous le connaissez ?
Il vit sur son visage que l’idée d’affronter cette famille — sa famille — la préoccupait. C’était normal, car tout était allé tellement vite !
— Non, je n’ai jamais rencontré votre oncle, lui répondit Alan, mais je sais que Jasper Stanford a vécu avec votre grand-père pendant des années. Il doit avoir dans les cinquante ans. Il est chercheur chez Horizon et n’a aucun sens des affaires, aucune aptitude pour gérer des sociétés, commercialement parlant. Je vous l’ai déjà dit, chaque fois qu’il a tenté d’entreprendre quelque chose, il a échoué. Jasper était l’unique frère de votre mère. Il avait vingt-six ans et avait déjà quitté la maison quand votre mère s’est enfuie. Elle était toute jeune, seize ans à peine. Votre grand-mère est décédée quelques années plus tard, et votre grand-père est resté veuf de longues années.
Alan fit une pause et poursuivit. Il était important que Carolyn ait quelques idées au sujet des personnes qu’elle allait être amenée à croiser dans la propriété.
— La compagne de Jasper, Della, vit au manoir avec Lisa, sa fille, vingt-trois ans, et son fils Buddy, vingt et un ans. Votre grand-père avait donné son accord pour que tout ce petit monde s’installe à Stanford.
« Et si je n’aime pas ces gens ? s’inquiéta Carolyn. Et s’ils ne m’aiment pas ? »
Elle se sentait nouée. Cette aventure invraisemblable risquait de ressembler, par certains côtés, au cauchemar qu’elle avait connu dans son enfance.
Le mépris…
Elle ne supporterait plus le dédain dans lequel la tenaient autrefois ses parents adoptifs, qui ne toléraient sa présence que parce qu’ils étaient rémunérés en échange des maigres soins qu’ils lui donnaient. Que de fois elle avait été mal reçue… Que de fois elle avait pleuré, la nuit, dans un lit défoncé où personne, jamais, ne venait la border. Certes, les circonstances étaient différentes, aujourd’hui, mais une chose n’avait pas changé : ces gens-là n’allaient pas l’accueillir les bras ouverts.
— Mon grand-père les mentionne dans son testament ? s’enquit elle.
— Vous et Jasper êtes les principaux bénéficiaires. Les dernières volontés de votre grand-père étaient totalement inattendues : qu’il fasse de vous sa légataire universelle les a tous abasourdis.
Sa voix était chargée d’accents inquiétants. Cherchait il à l’avertir d’une quelconque menace ?
Anxieuse, elle frissonna. Tout allait beaucoup trop vite. Elle avait besoin de souffler. Brusquement, elle se leva.
— Je n’ai pas eu ma dose de caféine, ce matin. Je reprends une tasse de café, en voulez-vous une ?
La proposition ne débordait pas d’enthousiasme, mais il l’accepta et suivit Carolyn dans la kitchenette. Une chaise, une table en formica écorné : le décor était sommaire. Le visage fermé, elle sortit deux tasses d’un placard.
— De la crème et du sucre ?
— Non, merci. Noir.
— Tant mieux, parce que je n’ai pas de crème. Je n’aime pas faire les courses.
— Moi non plus. Je savais bien que nous avions des points communs, ironisa-t il.
Il guettait un sourire, mais le visage de Carolyn resta impénétrable.
Appuyée au comptoir de la cuisine, elle buvait son café. Ils se tenaient tout près l’un de l’autre, mais cela ne semblait pas la troubler. C’était même vexant d’être ignoré à ce point, pensa-t il. Serait elle allée boire son café dans la pièce voisine, qu’il n’en aurait pas été étonné.
Comment avait il pu se tromper ainsi sur son compte ?
Dès l’instant où elle avait posé sur lui ses beaux yeux bleu océan, il aurait dû voir qu’elle était le contraire d’une femme fragile. Carolyn Leigh était indépendante et intraitable, et c’était sans doute sa volonté de fer qui avait plu à Arthur Stanford et l’avait décidé à en faire son héritière. Altière, intelligente, réfléchie, elle ne devait pas être femme à se laisser dominer par ses émotions. Ni par un mari, se dit il. Si elle acceptait le mariage blanc qu’il lui proposait, il avait toutes les chances de réussir. Si elle refusait son plan, il ne pourrait rien dire, ni faire, qui puisse infléchir sa décision.
En silence, Alan buvait son café tout en inspectant la cuisine. Sur une étagère étaient disposés un vase de fleurs artificielles, une tasse à thé en porcelaine et la photo encadrée d’une vieille dame, debout près d’une fillette blonde très menue. L’enfant devait avoir dans les huit ans.
— Oui, c’est moi, dit elle, suivant son regard.
— Et qui est la dame ?
— Un ange, murmura-t elle. Hannah Lamm. A trois ans, j’étais si maigrichonne que personne ne voulait m’adopter. Hannah, la gentille Hannah, m’a recueillie chez elle et m’a soignée jusqu’à mes huit ans. Je peux dire qu’elle m’a sauvé la vie. Tant physiquement qu’intellectuellement. A force de me répéter que j’étais intelligente, elle a fini par m’en convaincre. Elle m’a dit qu’il fallait que je m’instruise et m’a poussée à faire des études. C’est elle qui m’a suggéré de faire médecine. Quand elle est morte, on m’a replacée d’office dans le groupe des orphelins dont personne ne voulait. I-na-dop-table. S’il m’arrivait de penser que la vie n’avait aucun sens et ne valait pas la peine d’être vécue, je me ressaisissais très vite en pensant à Hannah, et me jurais de ne plus jamais me laisser aller au désespoir.



— Et vous vous en êtes sortie toute seule ?
— Oui. Voyez-vous, Hannah m’avait aussi enseigné que la réussite, professionnelle mais surtout personnelle, passe par le travail. Qu’il faut se donner beaucoup de mal pour atteindre ses objectifs, mais que le succès est gratifiant. Ainsi, à ma sortie du lycée, j’ai trouvé un poste dans une société d’investissements où j’ai appris beaucoup de choses sur les finances. Quand je suis entrée en fac, j’ai continué à travailler à mi-temps. J’ai souvent été tentée de rester dans cette société d’investissements, Champion and Co, car je commençais à prendre du galon, mais, d’un autre côté, je voulais me prouver à moi-même que j’étais capable de devenir médecin. Je devais cela à Hannah.
— Et vous l’avez fait ! Bravo… Votre grand-père croyait en vous, Carolyn, et il avait raison. Il devait aussi beaucoup aimer votre mère, pour décider de vous léguer la plus grande partie de ses biens.
— Oui, mais cela est si soudain, si… énorme, que j’ai du mal à y croire, dit elle.
Il la vit serrer très fort la tasse qu’elle tenait à la main.
— Comment une vie peut elle changer si radicalement en un laps de temps aussi court ? ajouta-t elle.
— Cela arrive parfois, en bien ou en mal. Tout évolue, et nous ne sommes pas toujours maîtres de notre destin. Quoi qu’il en soit, il faut aller de l’avant, sans quoi on perd son temps. Pire, on recule.
Le sous-entendu était évident mais elle se garda de réagir. Elle ne se sentait pas prête à s’engager tête la première dans l’aventure qu’il lui proposait. Elle avait besoin de réfléchir, besoin de temps. Le temps ! Elle jeta un œil sur la pendule de la cuisine. Presque 1 heure. Elle aurait dû être à la clinique à midi et demie.
Elle bondit de sa chaise.
— Que se passe-t il ? demanda-t il devant cette brusque agitation.
— Je devrais déjà être à la clinique. C’est mon après-midi de garde. J’ai complètement oublié… Mon Dieu, et ma voiture ? Si je prends l’autobus, j’en ai pour plus d’une heure.
Il la regarda, désolé de l’avoir retardée.
— Pour la voiture, ne vous faites pas de souci, j’ai la mienne. Espérons qu’elle marche toujours.
Elle soupira, soulagée.
— Merci. Je suis étonnée que le Dr McPherson ne m’ait pas encore téléphoné pour me rappeler à l’ordre. C’est un vieux bonhomme qui aurait dû prendre sa retraite il y a longtemps, mais il se croit indispensable. C’est peut-être parce que je ne suis pas rémunérée pour ma vacation qu’il n’a pas osé. C’est du bénévolat, que je fais.
Elle se précipita dans le salon.
— Donnez-moi une minute, le temps que je prenne mon porte-documents.
— Et votre déjeuner ?
— Je n’ai pas le temps, mais rassurez-vous, j’ai l’habitude.
Dommage ! Il avait l’espoir de l’inviter au restaurant.
— Voyons, docteur, ce n’est pas sérieux… Vous ne savez donc pas qu’il ne faut jamais sauter un repas ? dit il pour la taquiner.
Elle éclata de rire, un rire cristallin qui fit froncer son nez et éclaira ses beaux yeux bleus. Elle était belle, vraiment très belle. Pleine de vie et infiniment désirable. Alors qu’il se croyait devenu insensible à la beauté des femmes, il ne pouvait nier que la belle Carolyn Leigh l’attirait. Mais il ne devait pas se laisser diriger par ses pulsions, sous peine de se fourvoyer dans les méandres inextricables des sentiments. Pour commencer, la fortune qui attendait la jeune femme allait la projeter dans des sphères sociales où il n’avait pas sa place. Toute aventure avec elle était donc vouée à rester sans lendemain. Ensuite, leur mariage devait demeurer platonique, puisqu’il n’était qu’un simulacre d’union, destiné à assurer le succès de sa mission. Si les sentiments s’en mêlaient, c’était l’échec assuré. La conclusion qui s’imposait lui dictait donc de ne s’autoriser aucun écart. Quoi qu’il puisse ressentir…
La clinique occupait un vieux bâtiment qui avait été, un jour, une école communale. Certes, l’endroit avait besoin d’un bon coup de neuf, mais le premier étage avait été rénové pour faire face aux nombreuses demandes que recevait la Free Private Clinic. Une clinique totalement privée et gratuite.
Le ciel s’était couvert et le trottoir était déjà mouillé par le crachin quand elle descendit de voiture.
— Merci mille fois, dit elle, en commençant à courir vers le perron.
— N’oubliez pas ce que je vous ai dit.
— Je n’oublierai pas. Je vous appellerai.
La promesse, assez vague, le déçut un peu, mais il aurait été maladroit d’insister davantage, car elle lui aurait très certainement répondu non.
Il la regarda s’éloigner et, avant qu’elle ne disparaisse, lui lança :
— Je peux vous raccompagner ce soir, si vous voulez.
— Merci, je trouverai bien quelqu’un à la clinique pour me ramener.


Comme elle poussait la porte d’entrée, elle crut sentir le regard d’Alan posé sur elle. Voulant en avoir le cœur net, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule : elle ne s’était pas trompée.
Pourquoi n’avait elle pas eu le courage de lui dire qu’il était hors de question qu’elle joue ce jeu ? Certes, elle compatissait au drame qui avait bouleversé sa vie. Certes, elle admirait sa conscience professionnelle, mais elle refusait cette comédie. En prétendant être sa femme, elle risquait, au fil des semaines, de nourrir des sentiments tendres pour lui, ce qu’elle préférait éviter.
— Qui est donc le beau gosse qui t’a retardée ? ironisa Rosie Dipaloa en l’accueillant.
L’infirmière, c’était clair, avait tout vu par la fenêtre.
— Ne me dis pas que notre charmant docteur a fait une conquête…
— Désolée de te décevoir, Rosie. Il n’y a pas de conquête dans l’air. Je suis en retard à cause d’une réunion de travail et de ma voiture qui est tombée en panne, une fois de plus. A ce propos, penses-tu que ton frère puisse s’en occuper ?
— Bien sûr, dit Rosie en notant l’adresse que lui donnait Carolyn. Mais, dis-moi, tu n’as pas l’impression que ta limousine passe plus de temps au garage que sur la route ? Tu devrais charger mon frère de te dénicher une bonne occasion… Un engin qui roule de temps en temps ! Tu devrais pouvoir te l’offrir, maintenant.
L’espace d’une seconde, Carolyn soupçonna Rosie d’être au courant du fameux héritage. Mais c’était impossible, elle ne pouvait le savoir. Non, elle devait faire allusion au poste d’attachée à plein temps qu’elle venait de décrocher. A propos d’héritage, se dit elle, comment Rosie allait elle réagir quand elle apprendrait que son amie avait désormais les moyens de s’offrir un carrosse, si cela lui chantait, et qu’elle était sur le point de troquer son petit appartement contre le luxe d’une somptueuse demeure ? Devenir une femme riche n’allait il pas lui ôter l’amitié de Rosie et de sa famille italienne ? Cette pensée la chagrina.
Elle avait vécu comme ces gens-là pendant des années. Tous ensemble, ils avaient connu les mêmes tracas financiers, les mêmes fins de mois difficiles. Les uns et les autres ne s’étaient jamais rien caché. Et voilà qu’à cause d’un testament de son grand-père, toute cette harmonie risquait de se trouver chamboulée.
— Qu’est-ce que tu as, aujourd’hui ? insista Rosie avec son habituelle franchise. Tu es sûre que tu n’as rien à me dire ?
— Non, rien de spécial, répondit Carolyn avec fermeté.
Elle aurait bien le temps, plus tard, de déballer son histoire. Pour l’heure, ses patients l’attendaient et elle devait leur consacrer tout son temps.
Elle ôta son manteau blanc, enroula son stéthoscope autour de son cou et lança à l’infirmière :
— Donne-moi cinq minutes et fais entrer le premier malade.


Dépité, il soupira.
— J’espérais qu’elle aurait à cœur d’aider à faire éclater la vérité.
— C’est peut-être beaucoup demander à une jeune femme déjà si maltraitée par la vie. Après tout ce qu’elle a enduré, je comprends qu’elle hésite. Il n’en reste pas moins qu’on ne peut qu’admirer sa réussite professionnelle, vous en conviendrez.
— Mais je l’admire… énormément…
Il l’admirait, et plus encore. Chaque fois qu’il la regardait, un coup de chaud sournois, contre lequel il ne pouvait rien, lui incendiait les reins. Pour la première fois depuis longtemps, il retrouvait l’envie de toucher une femme. De caresser sa peau du bout des doigts. Du bout des lèvres.
Mal à l’aise à cause des images érotiques qui s’imposaient à lui, il gesticula dans son fauteuil de cuir.
— Et maintenant, quelles sont vos intentions ? demanda l’avocat.
— Réfléchir encore, répondit Alan. Vous savez, il y a un juste équilibre à trouver. Faire pression sur elle ? La laisser libre d’agir à sa guise ? La marge de manœuvre est étroite. Reste à espérer qu’elle ne se réveillera pas trop tard.
Il crispa les mâchoires.
— Une chose est certaine, en tout cas. Qu’il pleuve ou qu’il vente, je veux être présent quand elle entrera dans la fosse aux lions.
Carolyn consulta l’horloge. 17 h 15. La clinique fermait à 18 heures. Elle avait encore le temps de recevoir un patient. D’un mouvement de tête, elle fit signe à Rosie de faire entrer son dernier malade.
— Bonjour, dit elle en souriant au jeune couple qui se présentait, un bébé dans les bras.
Le père, mexicain de toute évidence, s’exprimait dans un anglais approximatif. Sa femme, toute jeune, semblait très inquiète. Saisonniers agricoles tous les deux, racontèrent ils, ils allaient d’exploitation en exploitation pour vendre leurs services. Leur bébé, tout juste six mois, souffrait d’un gros rhume et avait beaucoup de fièvre.
— Sauvez notre José, docteur…, supplia le père.
Après avoir examiné l’enfant et diagnostiqué une forte angine, Carolyn rédigea une ordonnance qu’elle leur expliqua.
— Vous allez lui donner des antibiotiques pendant huit jours et tout rentrera dans l’ordre.
Comme ces médicaments coûtaient cher et que les malheureux semblaient démunis, elle se leva pour chercher des échantillons dans son placard.
— Voici trois flacons. C’est juste la dose pour la durée du traitement.
Elle les leur tendit et, ce faisant, jeta un coup d’œil aux étiquettes. « Laboratoires Horizon », lut elle tout bas. Elle avait déjà délivré des échantillons identiques à des malades et, à sa connaissance, aucun problème n’avait été signalé. C’étaient donc de bons produits.
Mais ceux-ci ? Peut-être avaient ils été trafiqués ? La voix d’Alan résonnait encore à ses oreilles…
Subitement envahie par une panique incontrôlable, la bouche sèche, elle resta immobile, les flacons dans les mains. S’il y avait le moindre risque que ces antibiotiques soient dangereux, elle ne devait pas les donner à ces pauvres gens.
Surpris par le comportement de Carolyn, le jeune père mexicain s’agita sur sa chaise.
— Quelque chose pas bon, docteur ?
— Si, tout va bien, assura-t elle.
Se ravisant, elle reposa les trois flacons Horizon dans le placard et les remplaça par trois produits fabriqués par un laboratoire concurrent.
— Dieu vous bénisse, remercia la mère en quittant le cabinet de Carolyn. Dieu vous bénisse.
Le couple à peine sorti de la clinique, Rosie s’empressa de fermer derrière eux .
— Quelle journée ! Le Dr McPherson est parti de bonne heure et m’a laissé une montagne de papiers à remplir.
Voyant que Carolyn ne réagissait pas, elle la regarda avec plus d’attention. Elle semblait préoccupée.
— Tu as l’air ailleurs, aujourd’hui. Si je ne te connaissais pas, je dirais qu’il y a un homme là-dessous.
— Comment l’as-tu deviné ? avoua Carolyn, se forçant à sourire.
Une profonde inspiration, pour se donner du courage, et elle se tourna vers l’infirmière.
— Rosie, il faut que tu saches, je vais me marier.

 
 

 

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