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ÇáÊÓÌíá

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ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ Romantic Novels Fourm¡ ÑæÇíÇÊ ÑæãÇäÓíÉ ÇÌäÈíÉ


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merci a vous maya pour vous encouragement

 
 

 

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ÞÏíã 11-05-10, 05:31 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 27
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CHAPITRE 9

Quand Alan se réveilla, le lendemain matin, Carolyn dormait toujours de l’autre côté du lit et toute la maisonnée semblait encore endormie. Sur la pointe des pieds, il sortit de la maison, grimpa à bord de sa voiture et se dirigea vers la ville. L’appel téléphonique de la veille au soir émanait de son agence et lui donnait des informations sur Cliff. Certaines ne manquaient pas d’intérêt.
Le père de Cliff, pétrolier très prospère, avait séjourné avec sa famille dans de nombreux pays étrangers. Chaotiques, les études de Cliff s’en étaient ressenties. Il avait fréquenté plusieurs universités, où il s’était distingué par de brillants résultats dans presque toutes les disciplines, pour décider finalement d’embrasser la carrière médicale. Il semblait en bonne voie quand son père était mort. Dès lors, il avait tout laissé tomber, et avait terminé avec une licence de chimie pour tout bagage.
Le rapport était formel sur un point : Cliff Connors était un garçon doué. Assez doué pour mettre en place un réseau de marché noir sous le nez de Jasper. Mais il ne pouvait agir seul, il lui fallait des complices tout au long de la chaîne.
Alan serra les mains sur le volant et jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.
Il y avait sûrement un maillon douteux à un niveau ou à un autre, et il allait le découvrir.
Comme il passait devant un café, non loin d’Horizon, il aperçut Suzanne Kimble assise à une table.
Le clignotant, un coup de volant à droite et il se gara sur le parking. C’était l’occasion de faire la lumière sur les relations de la jeune femme avec Cliff.
— Bonjour, Suzanne, lança-t il en entrant. Je peux m’inviter à votre table ? Je n’ai pas eu ma dose de caféine, ce matin.
Embarrassée par cette intrusion, elle porta nerveusement la main à son col tout en opinant de la tête. Elle devait se maudire d’être là, songea Alan.
— Je vois que vous êtes matinale, vous aussi. Il est à peine 6 heures, et nous sommes déjà là. Au fait, j’espère que vous n’attendez personne ? Je ne voudrais pas m’imposer…
— Non, je n’attends personne. Je prends parfois le bus plus tôt, pour avoir le temps de prendre un café avant que les portes de l’usine ouvrent.
Elle semblait gênée, comme si elle avait eu peur de lui.
— C’est une bonne idée.
Elle sourit. Elle commençait manifestement à se détendre. Encouragé par ce sourire, Alan prononça encore quelques banalités, dans l’espoir de la mettre en confiance. Peut-être lui livrerait elle ensuite, sans même s’en rendre compte, des détails sur Cliff qui l’éclaireraient sur le personnage. N’obtenant aucun résultat, il lança une perche.
— J’ai vu Cliff à L’oie qui galope, hier soir, après le travail. C’est vraiment un pub sympa.
— Je ne sais pas, je n’y suis jamais allée.
— Vraiment ? demanda Alan.
Il chercha son regard, espérant y lire une émotion.
— Cliff ne vous y a jamais emmenée ? Comme vous prenez vos repas ensemble, je pensais que…
Il ne termina pas sa phrase, lui laissant volontairement le soin de la compléter.
— Ah non, il n’y a rien entre Cliff et moi.
Elle semblait plutôt *******e qu’il ait pu l’imaginer.
Soit c’était une menteuse de génie, soit elle disait la vérité. Il allait la tester. Se doutant que la nouvelle de l’agression de Nick ne tarderait pas à faire le tour de la société, il allait la lui annoncer lui-même et juger de sa réaction.
Elle écouta, sembla horrifiée et fit toutes les remarques d’usage sur ce genre de mésaventure. Mais une chose manquait : une véritable émotion. Alan aurait parié qu’elle savait déjà.
Il décida de prêcher le faux pour savoir le vrai.
— Vous êtes amie avec Nelly Ryan ?
— Je la connais, mais pourquoi cette question ?
— Elle est venue à l’hôpital voir Nick, hier soir.
— Je la vois de temps à autre au labo, mais on ne peut pas dire que nous soyons vraiment amies.
« Alors, comment savez-vous ce qui est arrivé à Nick ? » eut il envie de lui demander.
Un éclat dans le regard d’Alan dut inquiéter Suzanne, car elle commença à gesticuler sur sa chaise.
— Je crois qu’il est temps que je m’en aille, dit elle, se tapotant les lèvres du bout de sa serviette.
Sa sortie précipitée était éloquente. Que savait elle donc qu’elle ne voulait pas révéler ?
Quand Carolyn se réveilla, il était près de 10 heures, et elle était en retard pour prendre sa garde à l’hôpital. Son réveil n’avait pas dû sonner.
Elle s’adossa à la tête de lit et se frotta les yeux. Mon Dieu, cette chambre ! Elle avait oublié… Elle regarda l’autre moitié du lit : vide. Seul un creux au centre de l’oreiller prouvait qu’il avait dormi là. D’habitude, quand il se couchait, elle sentait le matelas se creuser sous son poids, mais la veille au soir, écrasée de fatigue, elle s’était endormie comme une souche. Il était encore au téléphone. Heureusement… Car si elle l’avait senti se glisser dans le lit, elle se serait sans doute blottie contre lui pour y chercher un peu de réconfort après le stress de la soirée.
Elle s’habilla à la hâte et descendit l’escalier, espérant trouver Alan dans la salle du petit déjeuner. Mais seule Lisa s’y trouvait, attablée devant une tasse de café, un journal de mode ouvert sous les yeux.
— Je vois avec plaisir que je ne suis pas la seule à descendre déjeuner à une heure indue, déclara Lisa, tout sourires. Chouette ! Je déteste manger seule.
Elle souleva la cloche de porcelaine posée sur la table et sonna.
— Morna a la sale habitude de débarrasser le buffet du petit déjeuner à 9 heures. Mais Seika vous apportera tout ce que vous voudrez.
Elle sonda Carolyn du regard.
— Je suis sûre que vous êtes du genre café-pain-beurre… Je me trompe ?
Carolyn hocha la tête.
— En général, je prends des céréales parce que je saute souvent le déjeuner. Trop de travail.
Lisa soupira.
— Vous, les dingues du boulot, vous êtes un mystère pour moi. Ma mère, c’est la pire. Avec son ambition de malade, elle a bouffé mon père.
Sans chercher à cacher son amertume, elle ajouta :
— On l’a enterré, il n’avait même pas quarante ans. Crise cardiaque. Voilà ce qu’elle a gagné !
— Je suis désolée, dit Carolyn. Quarante ans, c’est jeune.
— Je pense que c’est par réaction que Buddy et moi avons envie de nous amuser. Maintenant, combien de temps ça va durer, cela dépend de vous…, ajouta-t elle avec une franchise désarmante. A propos, vous allez jeter maman ou la garder ?
Seika entra, ce qui évita à Carolyn l’embarras d’une réponse hâtive. La jeune fille lui servit une tasse de café, et Carolyn lui commanda un jus d’orange, des toasts et des céréales.
— Alors ? reprit Lisa quand elles furent de nouveau seules. Vous allez mettre maman dehors et prendre sa place ?
Prendre sa place ? Cette perspective était effrayante. Mais Carolyn ne le dit pas.
— Je comprends que vous ayez envie d’être P.-D.G., poursuivit Lisa. De toute façon, c’est ce qu’Arthur souhaitait, puisqu’il vous a désignée comme son héritière alors qu’il ne vous connaissait même pas. C’est incroyable, ce testament. Cette histoire me tue !
— Moi aussi, confirma Carolyn en souriant. Au fait, mon grand-père… Donnait il l’impression d’être préoccupé par des… choses qui auraient pu se passer chez Horizon ?
— Préoccupé ?
La question était trop abrupte, Carolyn s’en rendit compte trop tard. Il aurait fallu toute la diplomatie d’Alan pour la formuler plus adroitement.
— Je veux dire : était il comme d’habitude, avant d’avoir cet accident ?
— Comment pourrais-je le savoir ? Personne ne savait ce qu’il avait dans la tête. Il était toujours courtois, gentil, mais à dire vrai, Buddy et moi comptions pour du beurre.
La conversation en resta là. Plus intéressée par la mode, Lisa inspecta la robe de Carolyn — un fourreau de lin passé à force d’avoir été trop lavé.
— Ça vous dirait d’aller faire du shopping ? C’est mon occupation favorite : dépenser de l’argent par procuration.
— C’est une bonne idée, acquiesça Carolyn.
Alan serait satisfait qu’elle ait suivi son conseil.
Lisa ne lui avait pas menti : elle aimait dépenser, et elle savait s’y prendre. Les boutiques les plus branchées et les plus chères n’avaient pas de secret pour elle.
Quatre heures après son entrée dans le premier magasin, Carolyn, les bras chargés de sacs et de cartons, sortait de chez un grand chausseur. En deux fois deux heures, elle s’était acheté plus de robes et de chaussures qu’au cours des cinq dernières années. A la fin, Lisa avait suggéré qu’elles aillent grignoter quelque chose sur le pouce au Country Club, ce que Carolyn avait accepté. A force d’essayer robes et escarpins, le temps avait filé, et elle n’avait pas eu une minute pour aborder le sujet de Della. Alan serait déçu si elle revenait bredouille. Au dernier essayage, Lisa avait insisté pour que Carolyn garde sur elle la robe rouge hyper-sexy qu’elle venait d’essayer. Il fallait qu’elle teste son nouveau look sur des étrangers. Bravant sa timidité, Carolyn avait accepté.
Le personnel et les adhérents du Highland Country Club semblaient bien connaître Lisa. Parfaitement à l’aise, celle-ci plaisantait avec tout le monde. A côté d’elle, Carolyn se sentait très gauche. On la dévisageait, et cela la gênait. Heureusement, Lisa lui avait épargné l’épreuve des présentations, qui l’aurait beaucoup ennuyée.
Arrivées sur la terrasse qui surplombait le golf, elles s’étaient assises face au soleil, et Lisa avait commandé d’autorité deux cocktails, avant de commencer à étudier la carte.
— Si on prenait la salade crevettes-homard ? suggéra-t elle. C’est divinement bon.
— Vendu ! acquiesça Carolyn.
Depuis qu’elle s’était assise, l’impression désagréable d’être une comédienne qui fait son entrée sur scène s’était dissipée, et elle se sentait bien. C’était le moment de questionner la jeune fille.
— Alors Lisa, vous avez un homme dans votre vie ?
— Vous savez que vous pouvez me tutoyer, si ça vous chante.
— Toi aussi. Alors, dis-moi, as-tu un homme dans ta vie ?
— Oui, je sors avec un golfeur professionnel en ce moment, répondit elle en haussant les épaules. Mais j’ai besoin de changer de décor. Quand Arthur s’est tué, maman parlait de financer un voyage en Europe pour Buddy et moi.
— Vraiment ? Ce serait formidable. Elle voyage beaucoup à l’étranger ?
— Non, mais justement, elle voulait que ça change. Un soir, je l’ai entendue parler à Arthur de voyages à l’étranger pour élargir le marché à l’international, mais je crois que ça ne lui a pas plu.
Lisa fit signe à la serveuse d’apporter deux autres cocktails.
— Elle voulait travailler pendant ses vacances ? Quelle idée ! hasarda Carolyn.
— De toute façon, Arthur a quitté la maison en claquant la porte, et quelques jours plus tard il était mort.
Elle but une gorgée de son deuxième cocktail.
— C’est le problème avec maman, elle ne pense qu’au boulot. Matin, midi et soir, boulot, boulot, boulot… Je crois qu’Arthur en a eu assez. Tu en aurais eu assez à la longue, toi aussi, Carolyn. Elle veut tout diriger : les affaires, la vie des autres, tout ! Tu verras, elle fera pour toi comme pour nous, mais tu peux compter sur moi pour venir à ton secours.
Elle hocha la tête.
— Si tu veux des idées pour avoir la belle vie, appelle-moi, je t’apprendrai.
Carolyn n’en doutait pas. A en juger par ce qu’elle lui avait raconté, Lisa Denison avait réussi dans la vie en ne faisant rien, magnifiquement rien.
De retour au domaine, Carolyn était épuisée par le bavardage de Lisa.
Quand Alan téléphona vers midi à la résidence, Morna l’informa que Carolyn et Lisa étaient sorties faire du shopping, et qu’elle ignorait à quelle heure elles rentreraient.
— Dînerez-vous ce soir à la maison avec Mme Lawrence ? demanda-t elle.
— Oui, Morna. Nous ne sortons pas, ce soir.
Il aurait préféré un dîner en tête à tête dans un petit restaurant, mais son enquête lui imposait des obligations. Il ne devait négliger aucune occasion. Voir vivre les gens, les observer, les écouter, les interroger, c’était l’essentiel de son métier. Si Jasper, Della et ses enfants avaient eu vent du nouveau testament d’Arthur, il se pouvait qu’ils aient conspiré pour se débarrasser du vieil homme.
Aiguillonné par l’urgence, Alan avait passé sa journée au laboratoire. Sachant que Nick serait absent, il avait commencé par son bureau.
— Vous cherchez quelque chose ?
Alan referma le dossier qu’il était en train d’examiner dans un placard et se retourna. Debout dans l’embrasure de la porte, Nelly l’observait.
— Ah, c’est vous, Nelly ? Vous tombez bien, vous allez pouvoir m’aider. J’ai décidé de commencer mon audit de la société par le service livraison. J’aimerais pouvoir proposer assez rapidement des méthodes pour améliorer encore le rendement du service. Au fait, comment va Nick, ce matin ? demanda-t il, changeant délibérément de sujet.
— Je crois que ça va. Ils ne disent pas grand-chose au téléphone. Je suis venue tôt ce matin pour m’occuper de petites choses qui ennuyaient Nick. Je ferai un saut à l’hôpital plus tard dans la journée.
— Très bien. Tout compte fait, je crois que j’ai déjà une bonne vue d’ensemble du service. Je vais attendre le retour de Nick. Il aura bien quelques minutes à me consacrer, pour me fournir les informations qui pourraient me manquer. Je suis persuadé que je vais arriver à lui éviter certains casse-tête. Si cela peut l’aider…
Elle opina de la tête, et il sentit son regard fixé sur lui tandis qu’il se dirigeait vers l’ascenseur. Nelly avait elle menti ou était elle sincère ? Il n’aurait su le dire.
Le reste de la journée n’avait rien livré de passionnant. Il avait employé le plus clair de son temps à bavarder avec le plus grand nombre de membres du personnel. L’ordinateur d’Arthur n’avait rien révélé. Apparemment, personne n’avait tenté d’effacer des données.
Della l’avait ignoré ostensiblement, et quand les coups de 16 heures avaient sonné, il était épuisé. Comme un nageur qui aurait crawlé cinq kilomètres à contre-courant, pensa-t il.
Il s’était levé. Il avait besoin de recharger ses batteries. Il avait besoin de Carolyn.
Quand il arriva à la maison, il vit que la voiture de Lisa se trouvait là, dans le garage. Il monta dans la suite, espérant y trouver Carolyn. Elle n’était pas dans la chambre. Il passa la tête à la porte du bureau et s’arrêta, stupéfait.
— Oh, bonjour…, dit elle en s’avançant vers lui. Je cherchais quelque chose à lire dans la bibliothèque.
Il voulut répondre, mais les mots s’étranglèrent dans sa gorge. Moulée dans un fourreau rouge qui soulignait la perfection de sa silhouette, elle était sublime et terriblement désirable, l’excitation faite femme. Interloqué, il resta à la regarder sans parler et, sentant qu’il réagissait, jura tout bas… Dieu seul sait ce qui serait arrivé, s’ils avaient été dans leur chambre !
— Que dis-tu de mon nouveau look ? demanda-t elle, un peu inquiète de sa réaction.
— C’est… c’est…
Il était confus, et ne trouvait plus ses mots.
— Je crois que je te préférais avant. Ce n’est pas toi, ça.
— C’est vrai ? C’est quoi, moi, alors ? reprit elle, déçue. Une fille ringarde ? C’est cela que tu veux dire ?
Il tenta de rattraper son impair.
— Ce que je voulais dire, c’est que tu es suffisamment belle naturellement pour ne pas avoir besoin de t’affubler de cette robe de vamp. Tu donnes une idée fausse de toi. Si c’est pour attirer l’attention, tu n’avais pas besoin de ça.
— Tu parles pour toi ou en général ?
Tout doucement, se déhanchant juste un peu, elle avança vers lui.
Il savait que s’il la touchait, il ne pourrait s’empêcher de l’embrasser. Depuis le début, dès l’instant où il l’avait vue, elle l’avait mis à l’épreuve, mais il avait réussi à se contenir car elle n’avait jamais joué de ses charmes. Ce soir, il en allait tout différemment…
Elle s’arrêta devant lui et sourit.
— Ne t’en fais pas, Alan. C’était juste un essai. Lisa s’est trompée.
— Trompée sur quoi ?
— Elle m’a dit que quand il me verrait, mon mari me prendrait dans ses bras et me déposerait sur son lit. Je crois que cette idée me plaisait… inconsciemment. Si le contexte avait été différent…
— Si le contexte avait été différent, il y a belle lurette que ce serait arrivé… même sans une robe aussi… explosive.
Il prit le menton de Carolyn dans ses mains, approcha son visage du sien et prit tendrement sa bouche. Leurs lèvres se frôlèrent, se touchèrent. Celles de Carolyn étaient pulpeuses, suaves. Une bouffée de désir s’empara de lui. Il étouffa un grognement. Enhardie par l’ardeur de son étreinte, elle noua ses bras autour de son cou et approfondit leur baiser.
Se reprenant alors, il la repoussa sans la brusquer.
Ce qu’il faisait était déplacé. Jouer avec les sentiments de Carolyn, inutile. Elle était millionnaire. Elle n’avait pas encore pris conscience de l’étendue de sa fortune ni des privilèges qui en découlaient. Quelques semaines, quelques mois encore et le monde entier s’agenouillerait à ses pieds. Quel que soit l’intérêt qu’elle lui portait aujourd’hui, il serait vite oublié.
— Je suis désolé, Carolyn, murmura-t il. Je n’avais rien prémédité.
Il sourit, penaud.
— C’est la faute de cette fichue robe ?
— Est-ce qu’Angelica porte des tenues sexy ? lui demanda-t elle, mordante.
— Qui ? Qu’est-ce que tu…
— Angelica ! La femme que tu appelles Angelica, tu sais bien.
Troublée par leur baiser, titillée par le désir, Carolyn ne se maîtrisait plus. C’était comme si un petit diable assis sur son épaule s’était amusé à exciter sa jalousie.
— Pourquoi n’es-tu pas franc avec moi, Alan ?
— Ce n’est pas ce que tu penses, Carolyn. Tes conclusions sont fausses.
— Mes conclusions sont peut-être fausses, il n’empêche que tu m’as abreuvée de mensonges depuis notre première rencontre. J’aurais dû me méfier et mener mon enquête moi-même, mais tu ne cessais de me rabâcher qu’il n’y avait pas une minute à perdre. Tu as insisté pour qu’on se marie, légalement, et je sais pourquoi, maintenant : tu avais une idée derrière la tête. Un but inavouable.
Il voulut protester, mais elle l’en empêcha.
— Qui me dit que je ne suis pas victime d’un horrible coup monté par Bancroft et toi pour faire main basse sur mon argent ?
Il fit un geste pour la faire taire, traversa la chambre à grandes enjambées et ouvrit brusquement la porte qui donnait sur le couloir. Il était vide. Mais les portes des chambres étaient ouvertes et quelqu’un avait pu l’entendre. Tant pis, le mal était fait.
Blanc de contrariété, il referma la porte et retourna vers Carolyn, dont la colère n’était pas retombée.
Comment une remarque à propos d’une robe sexy et des coups de téléphone à sa supérieure hiérarchique avaient ils pu dégénérer ainsi, lui valoir ce flot d’injures et une telle suspicion ? Etait elle sincère quand elle le soupçonnait de manigance pour s’emparer de son héritage ? Les doutes, ce poison, la rongeaient ils depuis les premiers jours de leur rencontre ? Lui qui était si heureux de leur collaboration harmonieuse ! Quelle erreur avait il pu commettre pour qu’ils en arrivent là ?
— Je vais tout t’expliquer, Carolyn.
— Je t’en prie, lui dit elle, glaciale.
Il hésita. Il ne pouvait citer Angelica Rivers pour ne pas la mettre en danger. C’était une des règles de base de l’agence, de ne laisser aucune trace qui permette de remonter d’un agent sous couverture à une autre personne.
— Je ne sais pas ce que tu as entendu, dit il, mais…
Il hésita et se tut. Mieux valait la laisser parler.
— Je n’ai pas entendu grand-chose, je ne suis pas du genre à écouter aux portes. Je t’ai seulement entendu appeler Angelica quelqu’un au bout du fil, et je sais que tu as profité de mon sommeil pour passer des coups de téléphone, la nuit. Tu m’as menti.
Elle chercha son regard.
— Je ne comprends pas pourquoi tu ne m’as pas dit la vérité. Tu prétends que tu n’es attaché à personne… Bobard ! Le premier d’une litanie de mensonges, je suppose. Je me sens vraiment idiote.
— Je ne t’ai pas menti. Ni à propos de ma vie privée ni de la situation chez Horizon, rétorqua-t il avec fermeté.
Il avait envie de lui dire qu’aucune femme ne l’avait ému depuis la mort de Marietta. Que sa présence lui faisait mesurer le vide de sa vie. Que, souvent, il sentait monter en lui un besoin de la protéger… Que ce n’était pas du cinéma. Pas pour la galerie. Il vibrait encore du baiser qu’ils avaient échangé… Ne voyait elle donc rien ? Comment pouvait elle douter de sa sincérité ?
— Tu dois me croire, Carolyn : j’ai toujours été honnête envers toi. Tu aurais dû m’avouer que cette Angelica te tarabustait, au lieu de te monter la tête. Je t’aurais rassurée. Je te jure que mes coups de fil ne s’adressent ni à une maîtresse, ni à une fiancée. Mais je ne peux pas t’en dire davantage avant la fin de l’enquête.
Elle écarquilla les yeux, l’air dubitatif.
— C’est tout ? demanda-t elle.
— Oui. Ou bien tu crois ce que je te dis, ou bien tu refuses. Mais c’est la vérité, coupa-t il sèchement.
Il savait qu’il ne la rangerait pas de son côté si elle en avait décidé autrement.
— Ma motivation est toujours la même : je veux mettre fin à des combines qui sèment le chagrin et la mort. On dénombre déjà trop de victimes innocentes. Si tu veux croire qu’il y a autre chose là-dessous, complot ou machination, je ne te force pas à continuer. C’est un jeu dangereux. Tu le joues avec moi ou tu te retires.
Sans répondre, elle s’assit sur le canapé, la tête entre les mains. Comme elle avait l’air fragile, vulnérable… Il dut lutter contre lui-même pour ne pas la prendre dans ses bras.
Quand elle releva finalement la tête, le cœur d’Alan se mit à battre comme un fou.
— C’est décidé, je reste avec toi, dit elle.
Camouflant son soulagement sous un faux air désinvolte, il déclara :
— Morna nous attend pour dîner. Essayons d’être à l’heure, ce soir.
Elle fit un signe de tête et, sans même le regarder, le précéda dans l’escalier. On aurait dit deux étrangers.

Elle fit un signe de tête et, sans même le regarder, le précéda dans l’escalier. On aurait dit deux étrangers.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ princesse.samara   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 20-05-10, 06:10 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 28
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ÇáÊÓÌíá: Apr 2008
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CHAPITRE 10

Le dîner fut lugubre. Seul Buddy faisait montre de bonne humeur. Il avait pêché avec un ami et, persuadé que ses exploits intéressaient la tablée, se vantait de ses prises. Ignorant le regard sévère de sa mère, il fit signe à Seika pour qu’elle lui verse à boire.
Della et Lisa avaient dû se heurter avant le dîner car elles n’échangèrent pas un mot de tout le repas. Jasper, absent de ce qui se passait à table, ne prêtait attention qu’à son assiette et n’ouvrit la bouche que pour laisser tomber ce commentaire définitif :
— Le saumon est sec.
Désireux de détendre l’atmosphère, Alan posa quelques questions à Della sur sa journée, et n’obtint que des réponses polies mais vagues. En mari amoureux et attentif, il souriait à Carolyn, lui proposant du pain, un peu plus de riz… Il était pourtant flagrant qu’elle ne faisait que picorer dans son assiette.
Chaque fois qu’il frôlait son bras, elle frissonnait. Le souvenir de ses lèvres quand il avait happé les siennes la faisait encore trembler. Elle imaginait ses jambes longues et musclées allongées sous la table, et l’idée de cette proximité la troublait.
Quand le repas, interminable, prit fin, Jasper pria Carolyn de l’accompagner dans la bibliothèque. L’étonnement fut général.
— Je veux te montrer quelque chose, dit il, solennel.
L’invitation ne s’adressait pas à Alan, qui fit comme s’il n’avait pas entendu. Il adressa un clin d’œil à Carolyn, lui prit le bras en souriant, et main dans la main, ils suivirent Jasper dans une grande pièce meublée de fauteuils de cuir et d’interminables rangées de livres.
Que pouvait donc lui vouloir Jasper ? Allait il lui révéler quelque chose de terrible sur ses ascendants ? Elle avait essayé d’obtenir quelques informations sur sa mère, sur les tableaux qui la représentaient, mais en vain. Il semblait pourtant impensable que le père et le frère de sa mère ignorent tout de celui qui lui avait fait un enfant. Avait elle été violée par un étranger ? Un ignoble individu avait il abusé de son innocence ? Profité de sa naïveté ?
— Ne t’inquiète pas, assura Alan. Souviens-toi d’une chose : quoi que tu apprennes sur tes parents, cela ne change rien à la femme que tu es. Tu es quelqu’un de bien, Carolyn. Je crois que tu en as largement fait la preuve.
Elle le remercia d’un sourire et s’assit sur le canapé que Jasper lui montrait du doigt. Alan s’installa près d’elle. Jasper s’éclaircit la voix et prit sur la table un paquet de photos qu’il lui tendit.
— Elles sont presque toutes de moi, dit il, à part quelques-unes qui sont de ta mère.
Les mains tremblantes, Carolyn prit les clichés. Ils représentaient surtout Jasper. Jasper assis, Jasper debout, Jasper enfant, Jasper adolescent, Jasper jeune homme, Jasper… Tiens, qui était ce petit personnage, derrière ? Cette petite fille de sept ou huit ans qui riait ou faisait des grimaces. Ma mère ? se demanda Carolyn. Du bout du doigt, elle caressa le tour de son adorable minois. Elle semblait heureuse. Que s’était il passé ? Pourquoi Alicia avait elle fugué ? Pourquoi avait elle abandonné un enfant sans nom et indésirable ?
— Vous n’avez pas de photos de sa mère un peu plus âgée ?
Jasper fronça les sourcils.
— Il y avait une boîte de photos dans la bibliothèque, autrefois, mais je me demande ce qu’elles sont devenues. Quand Della a emménagé, elle a fait un grand ménage et s’est débarrassée de pas mal de choses qui traînaient. Je dois dire qu’on ne pouvait pas se douter de ce qui allait arriver. Qui aurait cru qu’un jour la fille d’Alicia ferait son apparition ?
— Bien sûr, acquiesça Carolyn. Je me demande ce que ma mère penserait de tout cela. Vous croyez qu’elle serait étonnée que son père ait légué sa fortune à sa fille ?
En guise de réponse, Jasper haussa les épaules. Carolyn lui rendit les photos qu’il remit dans le tiroir sans en prendre grand soin. Quantité négligeable, songea-t elle.
Pendant ce temps, Alan avait étudié le visage de Jasper, sur lequel il n’avait pas décelé une once de douceur. L’homme n’était pas le personnage détaché et tranquille qu’il s’appliquait à paraître, ce qui confirmait les soupçons d’Alan. Sous la façade lisse de l’homme de sciences, une rancœur sourde avait aigri l’individu. Avait il une part de responsabilité dans le malheur de sa sœur ? Et n’allait il pas, maintenant, reporter sur Carolyn ses ressentiments ?
Après avoir remercié son oncle, Carolyn, suivie d’Alan, sortit de la bibliothèque. Prétextant une envie de se reposer, elle refusa de l’accompagner dehors et monta directement.
L’air était lourd, ce soir. La nuit commençait à tomber. Alan fit le tour de la maison, décidément imposante. L’héritage que Carolyn venait de faire, en la propulsant aux plus hautes marches de l’échelle sociale, l’auréolait d’un incontestable prestige. Dans ce monde d’opulence qui devenait le sien, elle choisirait sans tarder un mari fortuné qui ne dérogerait pas à son rang.
Alan grogna et envoya balader un caillou. Jaloux ? se dit il. Ce n’était pas son genre.
Comme il levait le nez vers la maison, il vit de la lumière dans les appartements de Della et hésita à lui rendre visite. C’était dangereux. Puisqu’il travaillait ici sous couverture, mieux valait adopter un profil bas. Attirer l’attention sur lui risquait de saborder le travail déjà accompli. Sous quel prétexte un jeune marié se promènerait il seul, dehors, au lieu d’être blotti contre le corps doux et tiède de sa jeune et belle épouse ?
Il rentra dans la maison, avec un souci en tête : se raccommoder avec Carolyn. Outre la tristesse que lui causait leur brouille, il avait besoin d’elle pour poursuivre son enquête. Bon gré mal gré, il fallait qu’elle continue à jouer le jeu. Heureusement, autour de la table, les convives, absorbés dans leurs pensées, n’avaient rien remarqué de la tension qui régnait entre eux. Du moins l’espérait il. Un regard, un geste, un soupir, une remarque pouvaient suffire à les trahir.
A peine levée de table, Carolyn était montée dans sa chambre. Serait elle éveillée quand il la rejoindrait ? Il fallait qu’ils parlent. C’était important.
Hélas ! Non seulement elle était couchée, mais apparemment, elle dormait. Déçu, il soupira. Le lendemain matin, à la première heure, avant même de descendre déjeuner, ils mettraient les choses au point.
*
* *
A 2 heures du matin, Carolyn se réveilla en criant, poursuivie par un cauchemar qui ne la quittait pas depuis son enfance. Tout avait commencé quand une orpheline un peu plus âgée qu’elle lui avait affirmé, pour la terroriser davantage, qu’on l’avait trouvée sous un tas de bois à l’orphelinat. Poussant la cruauté à son comble, l’adolescente lui avait montré l’endroit où on empilait les bûches. Dans ses cauchemars, Carolyn se voyait enterrée vivante sous les stères trop lourds, incapable de se dégager malgré ses efforts frénétiques. Elle criait, hurlait, se débattait, quand arrivait une sorcière qui mettait le feu au tas de bois.
Ses cris d’effroi réveillèrent Alan, qui venait de s’endormir. Il s’approcha d’elle dans le lit, mais elle le repoussa et continua de pleurer.
— Ne me brûlez pas ! Ne me brûlez pas !
Elle se battait avec l’énergie du désespoir, comme un animal pris au piège. Tandis qu’il tâchait de la rassurer, elle le griffa au bras.
— Carolyn, réveille-toi, c’est un rêve… Tout va bien.
Doucement, la voix d’Alan trouva son chemin dans les méandres cotonneux de son esprit. Elle ouvrit les yeux, et commença à émerger du tourbillon de peur qui l’avait aspirée.
— Tu rêvais, Carolyn. Tout va bien.
Sa respiration était saccadée. C’était tout juste si elle ne sentait pas encore les flammes qui la léchaient et le poids énorme des bûches sur son pauvre petit corps d’enfant. Il l’entoura de ses bras, et la sentit peu à peu se détendre.
Du bout de la langue, il cueillit une larme salée sur sa joue, tout en remettant en place une mèche de ses cheveux. Il la serra un peu plus fort contre lui. Dans ses bras, elle semblait reprendre peu à peu confiance. L’horreur et la peur se dissipaient. Il se passa quelques minutes et son pouls reprit son rythme normal, son souffle redevint régulier. Elle ferma les yeux et, refusant de penser, laissa la chaleur de ce corps viril et rassurant la protéger comme un rempart contre l’effroi.
— Ça va ? dit il doucement.
Elle ne répondit pas, mais fit oui de la tête. Elle était toujours dans ses bras et semblait s’y trouver bien, blottie contre sa poitrine. Le silence était profond, seul le tic-tac discret du réveil le trouait. Comme il la serrait contre lui, il remarqua qu’elle était plus grande qu’elle ne le paraissait. Ils n’étaient séparés que par l’épaisseur de leurs vêtements de nuit, et c’était une défense bien mince contre les pensées qui l’assaillaient. Qu’elle devait être belle, entièrement nue…
Une envie de la caresser lui chatouilla l’extrémité des doigts. Elle n’était que courbes et rondeurs, creux et déliés. Un véritable péché.
Il vit sa bouche remuer et approcha les lèvres. Sentant son souffle tiède, il recula la tête.
Au prix d’un effort considérable, il chassa les pensées qui l’entraînaient inexorablement vers un enfer… merveilleux. Vu son désarroi, elle répondrait sans aucun doute à ses élans de tendresse et à son désir.
Comment lui ferait elle encore confiance, quand il lui avait juré que leur mariage resterait platonique ? Une fois qu’ils auraient fait l’amour, il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Compte tenu de l’enjeu, ils ne pouvaient se permettre d’être empêtrés dans des sentiments. Elle se dégagea de ses bras, ce qui ne le surprit pas, et roula doucement sur le dos.
— Veux-tu me raconter ? demanda-t il tendrement, pour ne pas l’effaroucher. Cela soulage, de parler.
Il se hissa sur un coude pour la regarder. Elle fixait le plafond.
— Je suis… Je suis désolée, dit elle.
Elle n’avait pas fait de cauchemars depuis longtemps et trouvait ridicule sa crise d’hystérie. Qu’allait il penser d’elle ? La même chose que ses parents adoptifs, qui la grondaient, quand ils ne la punissaient pas, pour avoir troublé la maisonnée par ses terreurs nocturnes. Ce n’était rien d’autre, disaient ils, que des caprices de gosse infernale.
— Tu n’as pas à t’excuser, lui dit il en tournant son visage vers lui.
Les rideaux n’avaient pas été bien tirés, et laissaient passer un rayon de lune qui éclairait ses yeux. Dans cet éclat de lumière, peut-être parce qu’ils étaient encore noyés de larmes, ces yeux étaient plus beaux et plus bouleversants que d’ordinaire. La douleur s’y lisait encore.
— Il n’y a pas de crime à faire des cauchemars, douce Carolyn.
Elle fouilla son visage, y cherchant la certitude qu’il ne se moquait pas d’elle. Puis elle mouilla ses lèvres et lui raconta son histoire.
Son récit achevé, elle se tut et regarda Alan, dont la colère n’avait cessé de croître au fil du récit. Elle méritait bien la chance qui la comblait aujourd’hui, se dit il. Et si un malheureux s’avisait de toucher, ne serait-ce qu’à un de ses cheveux, il aurait affaire à lui.
— Je te remercie de m’avoir raconté ça, dit il en la serrant comme un bébé dans le creux de son bras.
Elle ne protesta pas, resta immobile et ferma les paupières. Puis elle inspira profondément, comme si le récit qu’elle venait de faire l’avait libérée d’un poids trop lourd pour ses épaules.
Quand il entendit son souffle régulier, Alan comprit qu’elle s’était endormie. Il rejoignit alors son côté de lit. Il n’était pas sûr de pouvoir contrôler son désir, s’il se réveillait pendant la nuit. Elle était si chaude contre lui, et cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas été satisfait sexuellement. Il en avait la certitude, il connaissait une femme merveilleuse qui avait ravivé le feu qui sommeillait en lui depuis la mort de Marietta. Il sentait qu’il était en train d’en tomber amoureux, avec tous les risques que la passion entraîne.
Il grommela tout bas.
Pourquoi la petite-fille longtemps perdue de vue par Arthur Stanford était elle si belle et si excitante ?
Sa mission était déjà assez difficile… Pourquoi fallait il que des questions sentimentales la compliquent ?
Carolyn dormit tard, le lendemain matin, et ne s’éveilla qu’avec l’arrivée d’Alan qui lui apportait son petit déjeuner.
— Bonjour, chérie…
Surprise par cette marque de tendresse, elle regarda autour d’elle. Ces mots doux s’adressaient bien à elle. Redoublait il de gentillesse pour lui faire oublier son affreux cauchemar ?
Détestant être plainte, Carolyn se redressa dans son lit.
— Qu’est-ce que c’est ?
— J’ai pensé que tu méritais de prendre ton petit déjeuner au lit. D’autant que l’atmosphère, en bas, est à peu près aussi joyeuse que celle du dîner d’hier soir. Bien sûr, si tu préfères affronter la mine sinistre de Jasper et les remarques caustiques de Della, je peux repartir avec mon plateau.
— Jamais de la vie ! martela-t elle en tapotant son oreiller.
Alan déposa le plateau devant Carolyn qui souleva aussitôt les couvercles. Céréales, biscuits, fraises à la crème…
— Merci, mon chou, dit elle sur un ton badin, tu es vraiment trop gentil.
— Quels sont tes projets pour aujourd’hui ? lui demanda-t il en s’asseyant au bord du lit.
Elle mordit dans un biscuit, l’air absorbé.
— Je n’en ai pas la moindre idée. Tu as des suggestions à me faire ?
— Nous pourrions peut-être aller t’acheter une voiture car il est temps, je trouve, que tu aies un véhicule à toi. De plus…
— De plus ?
— Je me sentirais mieux, te sachant libre de te déplacer comme tu veux au lieu de dépendre de quelqu’un.
Elle chercha son regard.
— Tu ne me cacherais pas quelque chose, par hasard ? Hier, tout s’est bien passé quand nous nous sommes promenées, Lisa et moi. Et, au besoin, je peux emprunter l’une des voitures qui sont dans le garage.
— Je ne veux pas que tu prennes de risque.
— J’ignore ce que tu veux dire, répondit elle en fronçant les sourcils.
— Tout simplement ceci : qu’il est plus facile d’avoir l’œil sur une voiture que d’en surveiller deux ou trois.
— Surveiller ? reprit elle faisant l’étonnée.
Alan ne parlait pas de mécanique, et elle le savait.
— Tu ne penses pas que…
Elle laissa sa phrase en suspens.
— Je ne pense à rien de précis pour l’instant, sinon qu’il te faut une voiture et que ce serait une bonne idée d’aller l’acheter. Qu’en penses-tu ? De quelle voiture as-tu envie ?
— Une voiture avec de bons pneus et qui démarre au quart de tour.
Alan se mit à rire.
— Je pense que cela devrait se trouver.
Carolyn ne parvenait pas à se décider. Quels vêtements allait elle porter aujourd’hui ? Après de longues hésitations, elle opta pour un pantalon camel en étamine de laine, bien appliqué sur les hanches, et le chemisier couleur sable qui se mariait à ravir avec son collier et les boucles d’oreilles en or serties d’améthystes. Elle remonta ses cheveux assez haut sur la nuque, puis déposa quelques gouttes de parfum derrière ses oreilles.
La voyant, Alan ne put retenir un Oh ! d’admiration.
— Tu as tout d’une grande bourgeoise qui s’apprête à acheter la plus luxueuse des limousines, dit il, extatique. Allons-y, faisons le bonheur d’un concessionnaire.
Trouver la voiture idéale se révéla plus difficile qu’Alan ne l’aurait imaginé. Déboussolée par ce que l’argent dont elle disposait subitement lui permettait de s’offrir, Carolyn se promenait dans les show-rooms comme une enfant à qui l’on propose tellement de bonbons qu’elle ne peut plus choisir.
— Que penses-tu de celle-ci ? Tu la trouves assez grande ou tu préfères un modèle encore plus gros ? Tiens, regarde celle-là, elle est du même bleu que tes yeux, dit il en lui montrant une petite sportive.
— Je ne pense pas que ce soit mon genre, répondit elle. Non, je préférerais quelque chose de plus grand mais de moins tape-à-l’œil.
Son choix se porta finalement sur une marque étrangère, un modèle de taille moyenne, blanc avec intérieur de cuir bordeaux. Alan, soulagé, soupira.
Le vendeur accepta de la livrer à la maison le jour même. Après un déjeuner pris sur le pouce, ils rentrèrent chez Horizon dans la voiture de location d’Alan.
— Je pense qu’il faudrait que je passe un peu de temps dans les services administratifs, dit il en se garant devant les bureaux.
Sans entrer dans les détails, il lui fit part de sa conversation avec Suzanne Kimble au petit déjeuner.
— Elle m’intrigue, poursuivit il. Je sais qu’elle est chef de service, ce qui est un poste à forte responsabilité.
— Tu ne la soupçonnes quand même pas d’être impliquée dans le trafic de médicaments ?
L’air vraiment surpris, elle se tourna vers lui.
— Elle a l’air tellement gentille…, ajouta-t elle.
— Je ne l’accuse pas, rectifia-t il. A ce stade, je cherche un fil à dérouler pour voir où il mène. Quand ils verront qu’on est près de les identifier, les malfrats tâcheront de nous arrêter. A ce moment-là, ça deviendra dangereux. Ta fonction fait que tu es particulièrement exposée, Carolyn. Je te demande en conséquence de ne rien faire sans m’en avertir au préalable.
Supportant de plus en plus mal qu’on lui dicte sa conduite, Carolyn commença à grogner. N’était elle pas capable de se prendre en charge toute seule ?
Elle se tournait vers Alan pour protester, quand elle vit son regard, dur et presque cruel. Aussitôt, elle se tut. Il ne semblait pas d’humeur à discuter. Etait-ce le même homme qui l’avait tenue dans ses bras et réconfortée, la veille ?
— D’accord, finit elle par répondre, mais sache que c’est une idée qui m’insupporte.
Le regard d’Alan s’adoucit. L’indépendance qu’elle revendiquait haut et fort était un trait de son caractère qu’il aimait particulièrement. Quoi qu’il arrive, elle voulait être libre d’agir à sa guise, en fonction d’elle et non de forces extérieures.
— Pourquoi ne passerais-tu pas la journée avec Della ? suggéra-t il. Si je n’étais pas là, c’est sûrement ce que tu ferais pour te mettre au courant.
— Elle doit penser que je suis futile et frivole, et que je partage mes journées entre la grasse matinée et le lèche-vitrines avec Lisa.
Alan fit la moue.
— Tant mieux, si c’est ce qu’elle pense. Moins elle se méfiera de toi, plus elle baissera la garde. C’est là qu’il faudra que tu ouvres tout grands tes yeux et tes oreilles.
— Que veux-tu que je regarde ou que j’entende ? Je ne connais rien à ce business qui est à des années-lumière de mon métier, lui rappela-t elle.
Comment pouvait il penser qu’elle était capable d’être son partenaire dans cette enquête, puisque ce domaine lui était totalement étranger ?
— Pour l’instant, *******e-toi d’observer Della. Si tu remarques une attitude étrange, note-la dans un coin de ta tête.
— Comme quoi, par exemple ?
— Si, par exemple, tu vois qu’elle entre en contact avec une personne qui n’a rien à voir avec Horizon… Celui qui orchestre l’opération de marché noir au sein de la société n’agit pas seul, de toute évidence. C’est beaucoup trop important et trop complexe.
Si les preuves contre Horizon n’avaient été aussi flagrantes, Carolyn aurait plaidé l’innocence de la société. Comme elle aurait aimé qu’Alan fasse fausse route… Hélas ! Rien ne l’arrêterait. Sa conviction et sa détermination étaient inébranlables. Il avait perdu un être cher, et d’autres encore mourraient si les coupables n’étaient pas remis entre les mains de la justice.
— D’accord, répondit elle. Je ferai ce que je peux. Je suis assez intuitive, et cela m’a déjà servi.
Ensemble, ils franchirent l’entrée du bâtiment. Et, pour donner le change, il l’embrassa ostensiblement dans le hall.
— A tout à l’heure, chérie.
Au moment où les portes de l’ascenseur allaient se refermer, il lui adressa de loin un baiser. Elle souriait encore en pénétrant dans le bureau de l’assistante de Della.
— Bonjour. Je suis Carolyn Lawrence. Mme Denison est elle là ?
— Elle sera sûrement là pour vous, lança la secrétaire en actionnant son Interphone.
Della devait l’avoir entendue, car la porte de son bureau s’ouvrit avant même que la jeune femme ait eu le temps de l’avertir.
— Voyons, Carolyn, vous n’allez quand même pas vous faire annoncer ! Pourquoi n’êtes-vous pas passée par les portes de communication entre nos deux bureaux ?
— Pour tout vous avouer, je ne suis pas encore passée à mon bureau, répondit Carolyn. Je suis allée m’acheter une voiture.
— Une voiture… Entrez donc. Nous avions une petite réunion, Cliff et moi, mais nous avons bientôt fini.
A la vue de son ancien camarade, le sentiment de bien-être qu’éprouvait Carolyn s’estompa. Cliff était assis dans un fauteuil profond et, dès qu’il la vit, se leva, un sourire vaguement sarcastique aux lèvres.
— Bonjour, Carolyn. J’ai bien entendu ? Tu viens de t’offrir une voiture ? Une Cadillac, je suppose, avec des chromes et toutes les options, j’imagine…
— Ah, non. Désolée de te décevoir, Cliff, répondit elle sans s’étendre davantage.
Se tournant alors vers Della, elle lui sourit.
— Pardon de vous interrompre. Si cela ne vous dérange pas, je vais m’asseoir dans un coin pendant que vous finissez. Faites comme si je n’étais pas là.
— C’est entendu.
Della se réinstalla dans un fauteuil de cuir, dans le coin salon de son bureau. Cliff retourna s’asseoir en face d’elle. Plusieurs dossiers étaient ouverts sur la table. Della en prit un et le reposa aussi vite.
— Excusez-moi, j’ai oublié de préciser un détail à mon assistante.
Sur ces mots, elle quitta le bureau. Profitant de ce qu’ils étaient seuls, Cliff se leva à son tour et s’approcha de Carolyn.
— Alors, comment va notre petite fille riche ?
Le ton était affable, mais l’étincelle qui brillait dans ses yeux en disait long sur ses intentions.
— Comme toujours, répondit elle, tout sourires. Rien n’a changé. Je pourrais me réveiller demain matin et retourner à mon ancienne vie, si la roue devait se mettre à tourner à l’envers.
— Ce serait désolant. Je serais navré pour toi. Tu te vois, recommencer à traîner ton passé comme un boulet au pied ?
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Tu sais, il y a belle lurette que j’ai digéré mon passé. Mes erreurs, tout cela, c’est de l’histoire ancienne. Pas pour toi, Cliff ?
S’il devait y avoir chantage, il fallait qu’il comprenne que les deux parties en avaient autant en réserve. Elle savait des choses sur lui qu’il n’aimerait sûrement pas voir déballées sur la place publique et, en définitive, il avait beaucoup plus à perdre qu’elle.
Soudain, une idée lui traversa l’esprit. Et si Cliff ne la faisait pas chanter pour de l’argent, mais pour son silence ? S’il était mêlé à cette histoire de marché mafieux, il pouvait user de toutes les ruses pour l’empêcher d’alerter la terre entière.
— Je n’aime pas les compromis, Cliff, reprit elle.
— Dommage, Carolyn.
Il entamait une autre phrase quand Della entra. Le visage de Cliff se détendit aussitôt. Sans demander son reste, il se leva et prit congé.
Le reste de l’après-midi, Carolyn le passa à observer Della qui pianotait sur son ordinateur. Le téléphone sonna à plusieurs reprises ; Della décrocha et répondit, sans prendre la peine d’informer Carolyn du contenu de la conversation. Si elle devait un jour prendre en mains les finances de la société, il fallait qu’elle s’attende à ne recevoir aucune aide de Della. Heureusement, il resterait les dossiers. Compte tenu de son niveau, elle devait être capable de se rendre compte de la solvabilité des laboratoires. Cela dit, comment cette femme, à elle seule, pouvait elle tout contrôler dans des domaines si différents ? Son grand-père, qui devait être un homme sensé, ne pouvait avoir placé — aveuglément — sa confiance en Della Denison.
Quand Alan fut prêt à quitter l’administration, l’heure de la fermeture sonnait. Le temps passé avec Suzanne s’était révélé aussi peu productif que celui que Carolyn avait passé avec Della. Il avait observé les machines, mais Suzanne ne s’était pas montrée prolixe en explications. Pour l’heure, il était toujours incapable de voir de quelle manière de fausses commandes pouvaient partir. Ils n’avaient donc pas progressé.
Ils décidèrent de ne pas rentrer à la résidence. Endurer un dîner aussi tendu que celui de la veille était au-dessus de leurs forces. Quand Carolyn appela Della pour lui dire qu’ils dînaient en ville, celle-ci leur recommanda, à leur grande surprise, un petit restaurant de bord de mer « où l’on sert un fabuleux homard », précisa-t elle.
Le tour de la baie se révéla un vrai bonheur. La nourriture aussi. Comme Carolyn et Alan se détendaient et savouraient les mets, ils décidèrent d’un commun accord d’éviter les sujets qui fâchent.
Pendant deux heures environ, ils ne furent que deux personnes qui cherchent à mieux se connaître. Après le dîner, ils décidèrent de se promener sur les quais, puis de faire une incursion dans les petites rues adjacentes, bordées de coquets magasins.
— Tu devrais entrer et t’offrir quelque chose de joli, lui dit il.
— Tu sais, je ne suis pas une consommatrice insatiable, répondit elle. Je n’ai pas besoin de posséder pour apprécier.
Il fit une moue dubitative.
— Je pense que tu changeras vite d’avis. En attendant, pourquoi n’achètes-tu pas des cadeaux pour tes amies ? Pour Rosie, par exemple.
Carolyn écarquilla les yeux.
— Tu as raison, c’est une bonne idée. Je vais lui acheter une boîte à musique. Si tu savais le nombre de fois où elle m’a fait écouter ces fichues mécaniques ! Elle a failli me rendre folle, d’autant qu’on savait très bien, l’une comme l’autre, qu’elle n’avait pas le premier sou pour en acheter une.
Ils trouvèrent une boutique de cadeaux, où Carolyn choisit un carrousel miniature avec de petits chevaux peints de couleurs pastel. Ravie de son achat, elle prit le coude d’Alan et, bras dessus bras dessous, ils retournèrent à la voiture.
— Si nous faisions une petite balade en voiture, maintenant ? lui proposa-t il comme s’ils avaient été deux amoureux. La nuit est claire, nous pourrions nous arrêter et compter les étoiles.
— En tout bien tout honneur ? répliqua-t elle sur un ton badin.
Il était beau, ou plutôt craquant, et avait un goût très sûr pour s’habiller.
— Absolument, répondit il.
— C’est vrai que la nuit est belle, dit elle à son tour. Ce serait dommage de ne pas en profiter.
Son audace la surprit. Flirter n’avait jamais été sa tasse de thé, et elle se sentait un peu nerveuse. Que ferait elle, s’il pensait qu’elle lui faisait du charme et se montrait trop entreprenant ? Faire l’amour dans une voiture, quand on a un lit immense qui vous attend, était pour le moins ridicule.
Ils firent quelques kilomètres sur le grand axe, puis Alan tourna sur une petite route qui menait à un point de vue dominant la baie de Puget. Il y avait un autre véhicule garé là, qui redémarra aussitôt.
Une superbe plage de sable blanc s’étirait en bas, au pied de la falaise à pic. Alan coupa le moteur.
— J’adore le bruit des vagues, dit Carolyn. Tu crois qu’il existe un chemin pour descendre jusqu’à la mer ?
— Ça me semble un peu raide, mais on peut aller voir.
Main dans la main, ils s’avancèrent jusqu’au bord de la falaise. Soudain, dans le fracas des vagues, le ronflement d’un moteur de voiture apparemment lancée à grande vitesse les fit se retourner. Elle fonçait droit sur eux.
Aveuglée par les phares, Carolyn se mit à hurler. Les jambes en plomb, paralysée, elle attendait l’imparable choc quand, d’un revers du bras, Alan la bouscula. Un grincement terrifiant de freins leur vrilla les oreilles. C’était trop tard pour esquiver. Projetés dans le vide, ils basculèrent sur la pente qu’ils dévalèrent jusqu’à la mer. Comme deux cailloux.

 
 

 

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CHAPITRE 11


Carolyn atterrit sur le dos dans le sable humide et froid. A moitié assommée, elle vit les étoiles tournoyer dans le ciel. Tout s’était déroulé tellement vite qu’il lui semblait presque qu’elle avait rêvé, mais son corps endolori était là pour lui rappeler que ce n’était nullement un cauchemar.
Quand elle entendit Alan grogner, ses doutes s’évanouirent pour de bon. Cherchant son souffle, elle parvint à s’asseoir. Elle avait mal partout. Avec prudence, elle remua les jambes pour s’assurer qu’elle n’avait rien de cassé, puis elle balaya du regard l’étroite bande de sable sur laquelle avaient déboulé les pierres. Le bruit des rouleaux couvrait la plainte d’Alan, et elle avait du mal à apprécier l’endroit où il était tombé.
— Alan ! Où es-tu ? s’écria-t elle en se levant avec difficulté.
Il n’était pas sur la plage. Sans doute, dans sa chute, était il resté accroché à un rocher, et n’avait il pas dévalé toute la pente ? Dans le flou de la nuit, elle ne distingua d’abord rien. Ce n’était partout que formes fantomatiques. Mais ses yeux s’habituant peu à peu à l’obscurité, elle crut voir quelque chose bouger sur la falaise.
Ignorant son corps meurtri, elle commença à grimper. La plainte se précisa, et elle le vit. Coincé entre deux rochers qui l’avaient arrêté dans sa chute mais dont l’un l’écrasait, il gémissait tout en essayant de se dégager.
A eux deux, au prix d’efforts insensés, ils réussirent à pousser le bloc de roche et à le faire rouler en bas. Carolyn se pencha sur Alan et, d’un ton qui ne tolérait pas la contradiction, ordonna :
— Ne bouge pas.
Elle tâta son pouls. Il ne filait pas, ce qui la rassura. Très appliquée, elle palpa ses hanches, ses jambes, ses bras et son crâne. Aucun signe extérieur de blessure.
— Où as-tu mal ?
— Où n’ai-je pas mal ? Ce serait plus simple, dit il en s’asseyant.
Il la rassura très vite. Il allait bien. Soulagée, elle soupira.
— Et toi ? s’enquit il.
— Moi, j’ai tout dévalé jusqu’en bas et j’ai atterri sur le sable. Un vrai plaisir, ajouta-t elle, essayant de ne pas grimacer de douleur chaque fois qu’elle remuait.
Elle regarda en l’air et grogna en silence.
— Veux-tu que nous attendions un peu avant de remonter ?
Elle hocha la tête. Plus le temps passait et plus leurs muscles, en se refroidissant, les faisaient souffrir. Mieux valait ne pas penser au réveil, le lendemain matin. Complètement courbatus, ils auraient du mal à mettre un pied devant l’autre.
— Tu crois que le danger est écarté ? demanda-t elle, la voix cassée par la peur.
Elle avait raison de s’interroger. Peut-être que quelqu’un, tapi dans l’ombre, les attendait pour achever le travail. Le hurlement des freins résonnait encore à ses oreilles. Il ne faisait aucun doute qu’on avait cherché à les éliminer en les projetant dans le vide. Pour Alan, cependant, l’agresseur ne devait plus rôder dans les parages, car il était sûrement armé et les aurait abattus.
— Je pense qu’il n’y a plus aucun risque, murmura-t il, priant le ciel pour dire vrai.
Escalader la falaise fut moins pénible qu’ils ne l’avaient redouté. Et le fait d’être tous deux en vie relevait du miracle. Les bleus et les égratignures finiraient par cicatriser.
Arrivé en haut de la pente, Alan traversa le parking devant Carolyn, jouant ainsi les boucliers. Tout était calme, le parking vide, à l’exception de leur voiture. L’oreille aux aguets, il attendit ; mais aucun bruit de moteur, pas un son, pas un frémissement ne vint troubler le silence de la nuit.
— Bon, allons-y, dit il.
De la main, il fit signe à Carolyn de courir derrière lui jusqu’à la voiture. Dès qu’ils furent à bord, Alan démarra sans demander son reste et fila à tombeau ouvert vers le centre— ville.
Carolyn s’était serrée contre lui sur la banquette et ne disait rien, en état de choc. Tout s’était passé si vite qu’elle essayait de visionner mentalement le déroulement des faits et de rassembler ses esprits.
— As-tu vu quelque chose de la voiture ? demanda Alan.
Elle hocha la tête.
— Je n’ai pas eu le temps.
— Ces fichus phares nous ont tout de suite aveuglés. La seule chose dont je suis sûr, c’est que c’était une voiture, je veux dire qu’il ne s’agissait ni d’une camionnette ni d’un fourgon.
— Il faut porter plainte à la police, dit Carolyn.
L’idée de faire la une des médias lui répugnait, mais que faire ? On avait essayé de les tuer, après tout.
— Non ! s’exclama Alan. Il faut éviter que la police se mêle de cette histoire.
— Mais…
— Si elle commence à mettre son nez là-dedans, je ne donne pas cher de notre couverture. J’imagine d’ici la tête de mon boss apprenant que je suis à l’origine d’une fuite. Je crois qu’il me tuerait. Et puis, tu les connais, ces messieurs de la brigade locale : il n’y a pas pires pour tout compliquer.
— On ne peut quand même pas rester comme ça… Comme si rien ne s’était passé !
— Il n’est pas question de laisser passer, répondit il en la voyant s’énerver. Mais quand un événement comme celui-ci se produit, on doit le prendre comme un avertissement. Ensuite, il faut aller vite.
Il la regarda avec intensité.
— Tu m’as dit que tout s’est passé normalement, avec Della, cet après-midi ?
— En tout cas, je n’ai rien remarqué de suspect.
Elle serra les dents.
— Il y a juste eu ce petit accrochage avec Cliff. Rien qui concerne la société, s’empressa-t elle d’ajouter. C’était personnel.
Alan frappa son volant de la main.
— Bon sang, Carolyn ! Je t’ai demandé de tout me dire. Tout, tu comprends ! Je me moque que ce soit personnel ou pas, je veux tout savoir.
Vexée d’être grondée comme une petite fille, mais se sentant en faute, Carolyn raconta sa conversation avec Cliff.
— Il sait que je ne lui verserai pas un sou.
— Ai-je bien compris ? Tu lui as dit à mots couverts que, s’il le fallait, tu n’hésiterais pas à te servir de son passé pour le discréditer ?
— Pour être tout à fait précise, je lui ai dit que s’il voulait me faire chanter, je lui rendrais la pareille.
Il haussa les épaules.
— Ma chère Carolyn ! Toi ? Maître chanteur ?
Il s’esclaffa.
— Tu ne penses quand même pas que… ? Non, Cliff ne serait pas capable d’une chose pareille. C’est un manipulateur, un gentil voyou, mais de là à l’accuser de meurtre. D’ailleurs, c’est Della qui a suggéré ce restaurant. Pas lui. Elle a pu nous suivre.
— Ou raconter à qui voulait l’entendre que nous dînions ce soir à cet endroit-là. Si nous restons tranquilles, je veux dire si nous n’ébruitons pas ce qui nous est arrivé ce soir, nous pouvons débusquer le menteur. Ce sera celui qui feindra de ne pas savoir où nous dînions.
— D’accord, mais comment allons-nous expliquer que nous ayons l’air de deux SDF ?
— Nous n’avons qu’à regagner notre suite par l’escalier extérieur. Avec de la chance, nous ne croiserons personne.
Carolyn appuya la tête contre le dossier de son siège. Pour l’heure, elle était trop fatiguée et trop choquée pour jouer les détectives. Elle n’avait envie que d’une chose : prendre un bon bain chaud et enfiler des vêtements secs.
Sur le parking, elle s’aperçut que sa belle voiture neuve était là ; en revanche, les autres voitures de la maison étaient sorties. Lisa et Buddy rentraient toujours tard, et ce n’était pas surprenant ; c’était plus étrange de la part de Della et de Jasper, qui se rendaient rarement en ville après le dîner.
Il faudrait vérifier leurs allées et venues de la soirée.
Ils regagnèrent leur suite sans être vus. La porte refermée derrière eux, ils allumèrent et, pour la première fois depuis l’incident, se regardèrent.
Leurs vêtements étaient sales et déchirés. Leurs bras, leurs jambes, couverts de bleus et d’écorchures. Si les circonstances n’avaient pas été aussi graves, ils auraient pouffé de rire, en se voyant dans cet état.
— Tu n’as qu’à occuper la salle de bains le premier, dit Carolyn.
— On peut la partager, proposa-t il en riant.
— On pourrait, dit elle, comme si cette idée méritait réflexion. Mais je te préviens : je vais rester très très longtemps dans mon bain… Et seule.
— Tu ne peux pas me reprocher d’avoir essayé !
Profitant de ce qu’il se douchait, elle se déshabilla pour contempler l’ampleur des dégâts. Elle n’était que plaies et bosses. Mettant à profit son expérience en salle des urgences, elle ouvrit sa trousse médicale, désinfecta les plaies et appliqua successivement mercurochrome, compresse stérile et sparadrap, puis elle passa le caftan, fluide et chatoyant, que Lisa l’avait convaincue d’acheter.
— A ton tour ! lança Alan en émergeant de la salle de bains.
Il s’était noué une serviette-éponge autour des hanches. Une longue écorchure lui balafrait la jambe, et il avait un bleu très visible à l’épaule. Ses bras n’étaient qu’une enfilade de plaies tuméfiées.
Après l’avoir détaillé de la tête aux pieds, elle lui tendit sa trousse de secours.
— Désinfecte bien avant de mettre une gaze, surtout.
— Pardon ? Pour une fois que j’ai la chance d’avoir un médecin sous la main, j’estime que tu pourrais prendre un peu soin de moi. Je peux attendre que tu sortes de ton bain, suggéra-t il. Ce n’est pas urgent à ce point-là !
— Désolée, cher ami, mais je ne fais pas de visite à domicile.
Là-dessus, elle donna une pichenette à la serviette de bain qui lui enserrait les reins et se détourna très vite pour ne pas céder à la tentation.
Ni l’un ni l’autre ne dormit correctement, cette nuit-là. Ankylosé et endolori, Alan n’était pas tenté par les câlins et écoutait Carolyn se tourner et se retourner dans son lit, en quête d’un improbable sommeil. Comme lui, elle devait être affreusement courbatue.
Allongé dans le noir, il essayait de relier cet incident à d’autres faits intervenus plus tôt. Quelqu’un avait cherché à les éliminer. Cela le confortait dans l’idée que la mort d’Arthur Stanford n’avait pas été accidentelle. Dans les deux cas, le mode opératoire était le même. Il était urgent d’arrêter le criminel avant qu’il ne frappe encore. Quelqu’un commençait à s’impatienter. Qui ?
Passant mentalement en revue les suspects potentiels, Alan ne put en retenir aucun.
Quand il remua pour se lever, Carolyn battit des paupières et marmonna :
— Non, ne me dis pas qu’il est déjà l’heure.
— Désolé, mais je ne mens jamais… Du moins, presque jamais.
Il était debout au pied du lit, dans son pantalon de pyjama rayé, et il la regardait en souriant.
— Me croiras-tu si je te dis que tu n’as jamais été aussi belle, Carolyn ?
— Cela ne t’a pas suffi, tu veux un autre coup ?
— Sans façon. J’ai eu mon compte.
— Tu sais que les balafres te vont bien ? reprit elle d’un ton badin. Toi non plus tu n’es pas mal du tout, ce matin.
— Tu veux dire pas trop moche, rectifia-t il.
— Avec des manches longues, ton col de chemise boutonné jusqu’en haut et une mèche de cheveux en travers du front, je défie quiconque de deviner quoi que ce soit. Tu as dû te protéger instinctivement le visage en roulant, car il devrait être beaucoup plus marqué.
Elle se caressa le visage.
— Et moi ? J’ai des bleus qui ont dû sortir pendant la nuit…
Il s’assit au bord du lit, lui prit le menton dans la main et orienta son visage de droite à gauche pour l’inspecter.
— Ça pourrait être pire.
Avant qu’elle ait pu le repousser, penché sur elle, il déposa un chapelet de menus baisers, de son front jusqu’au creux de son cou. Elle passait les bras autour de son cou pour les lui rendre quand un gémissement lui échappa. Comme c’était douloureux ! Dans son geste, elle effleura malencontreusement l’ecchymose qu’il avait à l’épaule, lui arrachant à son tour une grimace. Trouvant, finalement, la situation comique, ils explosèrent de rire.
— Nous voilà dans de beaux draps ! dit il.
De nouveau, ils éclatèrent de rire. C’était leur façon d’évacuer leur frayeur de la veille.
— Je nous prescris un jour d’arrêt de travail, dit elle à son tour. Après tout, nous sommes dimanche, aujourd’hui.
— Jour idéal pour traîner chez Horizon, car les bureaux doivent être fermés, répondit il. Allons donc déjeuner, et voyons un peu ce que la famille a programmé pour la journée.
Elle aurait préféré, et de loin, rester bien au chaud dans sa chambre et reprendre des forces, mais elle savait qu’il ne servait à rien de lui tenir tête.
Ils s’habillèrent en ayant soin d’enfiler des vêtements très couvrants. Alan mit un pantalon bleu et un pull à manches longues et col cheminée. Carolyn enfila un jean sur lequel elle passa une chemise en jean. Il aurait fallu être devin pour discerner sous leurs tenues le moindre bleu, la moindre égratignure.
Dans l’escalier qui descendait vers la salle du petit déjeuner flottait un arôme de café. De la cuisine parvenaient des odeurs exquises de bacon grillé. Le couvert n’était pas encore mis. Apparemment, on déjeunait plus tard, le dimanche, chez les Stanford.
— Est-ce que j’ose ? demanda Carolyn avec malice, la main posée sur la poignée de la porte fermée qui donnait sur la cuisine.
— Tu es chez toi, c’est ta cuisine, lui répondit Alan. Je reste derrière toi pour te relever, au cas où quelqu’un te jetterait dehors.
A leur grande surprise, quatre personnes étaient déjà là. Monsieur Lei et l’aînée de ses filles, Lotus, s’affairaient à l’autre bout de la cuisine. Assise à la table, Seika préparait un pique-nique. Buddy, assis à côté d’elle, la regardait faire.
— N’hésite pas, mets-en beaucoup, j’adore les biscuits aux noix, lui dit il. On va être partis toute la journée, et il n’y a pas grand-chose à manger dans la cabine…
Voyant Carolyn entrer, il s’interrompit sur-le-champ.
— Bonjour, vous deux. Vous partez tôt, vous aussi, à ce que je vois.
Sans leur laisser le temps de répondre, Seika se précipita sur eux.
— Pas de problème moi partir ? Moi congé aujourd’hui, oui ?
— Je… Je ne sais pas, bégaya Carolyn prise de court.
— Si Morna t’a donné un jour de congé aujourd’hui, Seika, personne ne va le contester, s’empressa de dire Buddy. On va faire une petite sortie jusqu’à l’île Victoria. Cela vous dit de vous joindre à nous ? Dommage que je n’aie pas un bateau plus gros, on pourrait rester dormir en mer. Quelle fête !
Il fit un clin d’œil à Carolyn.
— Quand vous aurez découvert les joies de la navigation, on pourra peut-être s’offrir une superbe vedette.
— Peut-être, dit elle.
D’abord Lisa, maintenant Buddy, volontaires pour lui faire dépenser son argent. Les deux lascars, c’était clair, appréciaient les bonnes choses de la vie. Della, pour satisfaire l’insatiable appétit de sa progéniture, s’était elle vue, par hasard, contrainte de gagner de l’argent par des voies détournées ? C’était peut-être une piste qu’il faudrait explorer, se dit Carolyn.
— D’habitude, que font Della et Jasper, le dimanche ? demanda Alan, pour s’assurer que l’usine serait déserte et qu’il pourrait s’y promener en toute tranquillité.
— Pas grand-chose, répondit Buddy dans un haussement d’épaules. Je pense qu’ils ont dû partir hier soir au chalet à la montagne et qu’ils rentreront ce soir pour dîner. Mor-tel ! On a mieux à faire, pas vrai, Seika ?
Il lui jeta un regard qui la fit rougir.
Carolyn lança un coup d’œil au père de la jeune fille, qui s’affairait autour du four. Il suivait sans doute la conversation, mais la liaison qu’entretenait sa fille avec le fils de la maison ne semblait pas l’émouvoir. Lotus, en revanche, leur lançait des regards mauvais. Etait elle furieuse que sa sœur ait congé et pas elle, ou ruminait elle quelque chose de plus pernicieux ? Il y avait tant de ressentiment sur ce jeune visage…
— Puis-je avoir mon petit déjeuner ? demanda Carolyn.
Lotus fit oui de la tête.
— Tout de suite, madame.
Leur petit déjeuner avalé, Carolyn et Alan prirent leur voiture au garage. Celle de Lisa n’était toujours pas là.
— Je serais curieuse de savoir où elle a passé la nuit, dit Carolyn. Et qui est l’heureux élu ?
— Ce serait peut-être bon de le savoir. Lisa est bien placée pour fournir des détails sur la société à quelqu’un de mal intentionné.
— Tu plaisantes ! Lisa impliquée ? Elle vit dans son monde, où il n’y a place que pour la mode, les clubs, le strass et les paillettes. Je suis prête à parier qu’elle est en dehors de tout ça.
— Rappelle-moi de ne jamais t’emmener aux courses de chevaux. Il n’y a rien de moins sûr qu’un pari. Pas plus avec les chevaux qu’avec les hommes.
Carolyn ne pipa mot. Elle appréciait Lisa. Comment allait elle pouvoir vivre, si elle devait soupçonner tout son entourage ? Pour une fois qu’elle croyait pouvoir tirer un trait sur le passé, la méchanceté et la cruauté du monde la rattrapaient. Quelqu’un qu’elle ne connaissait sans doute pas la détestait au point de souhaiter sa mort. Les coups et les plaies qu’elle avait sur le corps étaient là pour le lui rappeler.
Grâce à leur badge de sécurité, ils pénétrèrent dans une zone strictement réservée. Là — surprise ! — une voiture était garée à la place de Nick Calhoum. Intrigué, Alan décida de commencer par le service des livraisons. Ils verraient plus tard le bureau de Della.
Nick était avachi sur son bureau, un œil au beurre noir, le crâne à moitié rasé pour les besoins des points de suture. Etonnée, bien qu’habituée à voir des blessés, Carolyn porta la main à la bouche quand elle le vit.
— Dommage que vous n’ayez pas vu le type…, bredouilla-t il, la lèvre pendante.
— Vous ne devriez pas être ici, déclara Carolyn sur un ton réprobateur. Vos blessures sont encore ouvertes. Je m’étonne que l’hôpital vous ait laissé sortir.
— J’ai signé une décharge et je suis parti, répondit il. Les gens meurent à l’hôpital, j’aime autant être dehors.
— Cela ne vous a pourtant pas réussi, répartit Alan. Allez, dites-nous un peu ce qui s’est passé.
— Ça me regarde. Mais je l’aurai, celui-là. Bon sang !
— C’est pour ça que vous êtes là ? Pour l’avoir ? demanda Alan.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Nick fronça les sourcils si fort qu’ils formèrent un V au-dessus de son nez.
— Je vous dis que c’est personnel, la raclée de l’autre jour. Ça n’a rien à voir avec mon boulot ici.
Il implora Carolyn du regard.
— Vous n’allez pas me licencier pour ça, au moins ?
— Bien sûr que non, Nick, dit elle. Mais quelqu’un va vous remplacer pendant quelques jours, le temps que vous récupériez.
— Mais je vous dis que je vais bien et…
Une alarme qui déchira l’air couvrit le reste de la phrase.
— Que se passe-t il ?
Maladroitement, il se leva de sa chaise, ouvrit une porte et se précipita devant un panneau qui indiquait l’emplacement des alarmes d’incendie.
— C’est dans le service conditionnement !
Empoignant un extincteur dans le couloir, Alan se mit à hurler.
— Appelez les pompiers !
— La sécurité va le faire, cria Nick qui avait emboîté le pas à Alan.
A l’aide de sa carte magnétique, il ouvrit la porte du hall emballages dont la lumière se mit à clignoter en vert. Dans un angle de la pièce, une spirale de fumée s’élevait déjà jusqu’au plafond.
L’impression qu’une porte se fermait à l’autre extrémité du hall intrigua Alan, mais le feu qui ne demandait qu’à s’étendre réclamait toute son attention. Ce n’était pas le moment de se laisser distraire. Nick attrapa un deuxième extincteur et, à eux deux, ils réussirent à éteindre le départ de feu. Carolyn, la main sur la bouche, éloignait des documents, des boîtes et toutes sortes de papiers que les flammèches atteignaient. Quand hurlèrent les sirènes des pompiers, le feu était circonscrit.
La pièce n’avait subi que peu de dommages. Ils avaient réussi à contenir le feu.
— Qu’en pensez-vous, Nick ? interrogea Alan quand ils furent de retour dans le bureau. A votre avis, comment le feu a-t il pris ?
— Si je savais ! Je ne connais même rien aux produits qu’ils mettent dans leurs fichus cartons. Moi, je ne mets jamais le nez dans le service conditionnement. Je serais même incapable de vous dire qui y travaille.
Sur ces mots, il baissa les yeux.
Alerté par son regard fuyant et sa prétendue ignorance de ce qui se passait dans le service voisin, Alan plissa les yeux. L’homme en faisait trop. A l’évidence, il mentait.

 
 

 

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CHAPITRE 12

Intrigué par ce qu’il avait cru voir bouger au fond du hall, Alan s’arrêta pour réfléchir. En fait, ce qu’il avait vu était flou. Peut-être était-ce la fumée qui, en brouillant sa vision, lui avait donné l’impression fugitive que quelqu’un s’enfuyait.
Comme les pompiers nettoyaient les lieux, Alan demanda à leur commandant son sentiment sur l’origine du sinistre.
— On pense toujours à un incendie criminel, répondit il. Mais avant d’être affirmatif à cent pour cent, il faudra pousser plus loin les investigations. Maintenant, si vous voulez vraiment le fond de ma pensée, je dis que c’est un acte criminel. La façon dont le feu s’est déclaré, dans un coin du hall, là où des cartons étaient empilés, me paraît suspecte. Tout, là-dedans, semble avoir été fait à la va-vite et de manière incohérente. Il y avait peu de chance pour que tout le bâtiment s’enflamme. Oui, ça sent son bricolage… Du boulot d’amateur.
Carolyn écoutait sans dire un mot, laissant à Alan le soin d’interroger le chef des pompiers. Maintenant qu’elle détenait la majorité des parts de la société, elle ne tenait pas à se trouver en première ligne. C’était en effet préoccupant. Si les médias avaient vent de l’affaire, ils s’en empareraient et donneraient de grands coups de projecteur sur Horizon, ce qui était justement à éviter. Il fallait qu’Alan voie au plus vite le contenu des cartons. Hélas, quels secrets allait bien pouvoir lui livrer une pile de cendres ?
Alors qu’il était plongé dans ses réflexions et mettait déjà au point son ordre du jour, Nick, à moitié titubant et jurant comme un charretier, entra. Le feu n’avait pu prendre qu’à l’intérieur d’un carton qui s’était consumé doucement avant d’éclater. C’étaient encore ces fichus produits… Et ils avaient failli mettre le feu à son service…
— Tout le bâtiment aurait pu partir en fumée. Heureusement que je suis venu, ce matin, sinon, tout brûlait, c’est sûr ! fulmina-t il.
Le vigile, interrogé par Alan et Carolyn, et qui avait fait sa dernière ronde une heure plus tôt, n’avait vu personne. Il n’avait rien noté de douteux quand il avait pointé dans le service conditionnement.
— Qui se charge d’appeler le Dragon ? Je veux dire… Mme Denison ? s’enquit le garde. Il faut bien l’informer de ce qui vient de se passer.
Avec un manque d’enthousiasme évident, Carolyn se proposa. Alan et elle se dirigèrent vers son bureau mais, ne connaissant pas le numéro du chalet, ils commencèrent par appeler la résidence. Telle un pitbull que le couple Jasper-Della aurait engagé pour veiller sur sa tranquillité, Morna leur répondit qu’elle avait reçu l’ordre de ne les déranger sous aucun prétexte.
— Dorénavant, les ordres, c’est moi qui vous les donne, Morna. Et quand je vous demande un renseignement, vous serez bien aimable de me répondre. C’est compris ? Maintenant, c’est moi qui décide s’il faut ou non les déranger.
Elle marqua un temps d’arrêt, nota le numéro et raccrocha.
Stupéfait, Alan l’avait écoutée faire. Pour une surprise, c’était une surprise ! C’était une facette de Carolyn qu’il n’avait encore jamais vue. Son grand-père avait vraiment fait le bon choix. Elle avait de la poigne et des aptitudes au commandement. Quand elle prendrait ses fonctions dans la société, elle ferait sûrement le poids, et Della serait bien obligée d’en rabattre.
« Carolyn disparaîtra alors de ton paysage », se dit il, la mort dans l’âme.
D’un geste de la main, il balaya cette certitude, mais un pincement au cœur lui rappela qu’on ne balayait pas d’un revers de main une femme comme Carolyn.
— Je vois qu’on a une main de fer, dit il sur le ton de la plaisanterie. Je pense que tu n’auras plus le moindre problème avec Morna, maintenant que tu lui as expliqué qui était le patron.
— Je me suis entraînée à l’hôpital. C’est là que j’ai appris à me faire respecter. On ne peut pas se laisser indéfiniment manipuler par le personnel, surtout quand rien n’est négociable.
Elle inspira une grande bouffée d’air et composa le numéro du chalet.
Ce n’est qu’au bout de la cinquième sonnerie, alors que Carolyn s’apprêtait à raccrocher, qu’elle entendit un « Allô » susurré du bout des lèvres par Della. C’était évident, cet appel la dérangeait.
— Allô, c’est Carolyn.
— Carolyn ? répéta Della, partagée entre la surprise et l’agacement.
— Désolée de vous ennuyer, Della. J’appelle pour vous informer d’un événement que je dois porter à votre connaissance. Il y a eu un début d’incendie ce matin chez Horizon.
— Un incendie ? répéta Della, comme si elle n’était pas sûre d’avoir bien entendu.
— Rien de grave, Della, ajouta très vite Carolyn. Des cartons ont été détruits dans le service conditionnement. Une partie du hall est abîmé, dans un angle. Les pompiers n’ont pu déceler avec certitude l’origine de ce départ de feu.
— Et c’est vous qu’ils ont appelée ?
Les accents de la voix étaient peu amènes.
— Nick, Alan et moi étions sur les lieux.
— Ah ? Un dimanche matin ?
— Oui, j’avais l’intention de commencer à m’installer dans mon bureau, mentit elle avec aplomb. Ne vous croyez pas obligée de vous dépêcher de revenir, Jasper et vous. Tout est rentré dans l’ordre. S’il y avait un quelconque rebondissement, je vous rappelle, évidemment.
— Nous rentrons dès cet après-midi, répliqua Della.
Et, sur ces mots, elle raccrocha sans même dire au revoir.
— C’est plutôt drôle, dit Carolyn, sarcastique. Je ne sais pas comment je vais procéder pour prendre la direction de la société. Della et Jasper me traitent comme une outsider, indésirable de surcroît.
— C’est simple. Tu tiens les cordons de la bourse.
Il vint se placer derrière elle et l’attira à lui. La tête penchée de côté sur son épaule, il regardait dehors. Au loin, à quelque cent cinquante kilomètres, se profilait le mont Rainier. Plus près d’eux, sur les eaux chatoyantes du lac Washington, naviguaient les voiliers du dimanche.
— De toute façon, avant de me proclamer P.-D.G. de ces laboratoires, il faudra que j’apprenne leur fonctionnement de A à Z.
— Si ton grand-père t’a légué son labo, Carolyn, c’est qu’il avait une bonne raison pour le faire. Il savait que tu étais une battante.
« Oui, mais pas toute seule », se dit elle.
Incapable de résister à son magnétisme, elle se tourna vers lui.
« J’ai besoin de toi », l’implora-t elle, en silence. Ignorant ses muscles douloureux, elle passa les bras autour de son cou et entrouvrit les lèvres pour l’embrasser.
Alan lui rendit son baiser, avec une ardeur décuplée par le désir qui le tenaillait depuis le premier jour où il l’avait aperçue. Les mains sur son dos, il la caressa, descendit sur ses hanches, remonta vers ses épaules. Encouragé par ses gémissements, il la plaqua contre lui pour lui faire sentir combien il la désirait. Puis il plongea les mains dans ses cheveux, les fit rouler entre ses doigts. S’il ne cessait pas tout de suite de l’embrasser, il le savait, il ne pourrait plus s’arrêter et ils commettraient l’irréparable. L’espace d’un instant, il se demanda s’il ne devait pas ce subit accès de passion à la frayeur qu’elle avait éprouvée plutôt qu’à un élan de tendresse envers lui.
Se dégageant doucement de son emprise, il essaya de lui cacher son désir. Si les circonstances avaient été autres, il aurait fermé les portes du bureau à double tour et se serait laissé aller. Mais il était convaincu que les événements de la veille et ceux de ce matin l’avaient perturbée. Et qu’ils expliquaient son audace.
Il ouvrit la bouche pour parler, mais elle lui barra les lèvres.
— Non, ne dis rien.
Elle se détourna alors de la fenêtre et alla à son bureau. Elle ne voulait pas qu’il mette des mots sur ce qu’ils venaient de partager — des mots qui risquaient de tout gâcher.
— Que faisons-nous, maintenant ? dit elle.
— Installons-nous dans la voiture et essayons de faire des recoupements.
— Quels recoupements ?
— J’ai une liste de noms et d’adresses de suspects potentiels. Voyons un peu lesquels sont chez eux en ce dimanche matin.
— Cela me semble une bonne idée, approuva Carolyn, heureuse d’avoir quelque chose à faire.
Quelle mouche l’avait piquée pour qu’elle se conduise ainsi ? Elle, la raisonnable, la réservée… Elle ne se reconnaissait pas dans cette femme qui s’était jetée au cou d’Alan, au risque de les entraîner… sur le canapé.
— Qui est le premier sur la liste ? demanda-t elle.
— Cliff.
Cela ne la surprit pas. D’aussi longtemps qu’elle connaissait Cliff, elle l’avait toujours considéré comme un opportuniste. Elle le pensait capable, pour arriver à ses fins, de mettre le feu à un bâtiment sans le moindre état d’âme.
— Pourquoi l’aurait il fait ? demanda-t elle. Pour me punir de l’avoir menacé — à mots couverts — d’étaler son passé sur la place publique ?
Alan resta sans réponse.
Cliff habitait dans un immeuble un peu à l’écart de la rue. Le parking, sur le côté, étant complet, Alan décida de se garer dans la rue, le long du trottoir d’en face, de manière qu’on puisse les voir de tous les appartements.
— Qu’allons-nous lui raconter pour expliquer notre arrivée à l’improviste ? s’inquiéta Carolyn.
Cédant à la lâcheté, un défaut qui n’était pas le sien, d’habitude, elle murmura, honteuse :
— Tu ne veux pas y aller seul ? Je t’attends dans la voiture.
— Dans le fond, oui, tu as raison, convint il. Tu as eu ta dose d’angoisse, aujourd’hui.
Il lui prit la main : elle était moite. Projetée dans le vide la veille au soir, victime d’un début d’incendie ce matin, cela faisait beaucoup en douze heures. Elle n’était pas habituée à une vie aussi trépidante !

Furieux contre celui qui lui voulait du mal, il se mit à jurer.
— Nom de D… de nom de D… ! Si j’attrape celui qui est derrière tout ça, je te jure qu’il passera un mauvais quart d’heure. Ah, il me le paiera cher… S’il croit que je vais te laisser terroriser, il se trompe.
Carolyn se détendit.
— Il me le paiera cher à moi aussi, dit elle.
— Maintenant, voyons un peu ce que fait Cliff un dimanche matin chez lui. S’il est là et m’invite à entrer, je serai obligé de rester lui faire un brin de conversation. Ne t’étonne pas si ça se prolonge un peu.
— J’avais cru comprendre que tu voulais seulement vérifier qu’il était chez lui ?
Attendre dans la voiture n’était peut-être pas une très bonne idée, tout compte fait.
Comme Alan ne répondait pas, elle suivit son regard et aperçut une jeune femme qui sortait de l’immeuble… Pas de doute possible : ces cheveux bruns, cette démarche souple, c’était Lisa ! Elle souriait à un homme qui marchait à son côté.
Cliff !
Il l’accompagna à sa voiture, déposa un baiser tendre sur sa bouche, la regarda s’installer au volant et partir. A peine la voiture avait elle tourné l’angle de la rue qu’il dégaina son téléphone portable. La conversation fut assez brève, deux minutes peut-être. Il enfonça les mains dans les poches de son pantalon et, l’air détendu, descendit le trottoir pour une promenade matinale.
— C’est clair, je crois. Cela ne peut pas être Cliff qui a mis le feu, dit Alan. Il était trop occupé à apaiser un autre incendie !
La plaisanterie ne fit pas rire Carolyn.
— Ça me fait mal de voir ça… Elle ne voit donc pas qui est ce type ! Un voyou !
— Allons, viens, on va le suivre. Il a peut-être rendez-vous avec quelqu’un. On sait que ce n’est pas lui qui a mis le feu, mais il a pu déléguer.
Ils abandonnèrent leur voiture et se mêlèrent aux piétons qui déambulaient sur le trottoir. Cliff, qu’ils s’arrangeaient pour ne pas perdre de vue, marchait assez vite, du pas décidé de celui qui sait où il va.
— Qu’est-ce qu’elle fait avec un type comme ça ? se désola Carolyn. Ça n’a aucun sens. Ils ne fréquentent pas les mêmes cercles ; la seule chose qu’ils aient en commun, c’est un lien avec Horizon. Et même là…
— C’est juste, approuva Alan.
Elle lui jeta un regard en coin.
— Tu penses qu’ils sont tous les deux impliqués dans le trafic de médicaments ?
— C’est une possibilité. Cliff se servirait de Lisa pour obtenir les informations dont il a besoin. Il se peut qu’elle soit parfaitement innocente ou, au contraire, impliquée jusqu’au cou. Une chose est sûre : l’un et l’autre ont de gros besoins d’argent et, que ce soit Lisa ou Cliff, je ne vois pas comment ils peuvent s’en procurer à hauteur de leurs exigences.
— De la part de Cliff, rien ne m’étonne. Mais de Lisa… ? murmura Carolyn.
Elle détestait l’idée de trahir la seule femme qui semblait lui avoir offert son amitié depuis son arrivée.
— Ça me rend malade de la voir avec ce type ! Si seulement elle savait…
— Surtout, ne lui dis rien, supplia Alan. On va suivre cette piste, voir où elle nous mène. Je regrette de ne pouvoir me passer de toi pour faire ce travail, Carolyn, mais je ne peux pas. Tu es le pilier de mon enquête ; sans toi, tout s’effondre.
Flattée, elle minauda un peu.
— C’est agréable de se sentir utile mais, pour commencer, j’aurais préféré que ce soit plus soft.
Elle passa son bras sous le sien.
— Cela me permet de découvrir pas mal de choses sur moi. Et sur toi, par la même occasion.
— C’est vrai ? Quelle note me donnes-tu ?
— Allez, tu n’as pas besoin de moi pour y répondre.
Il la vit rougir et comprit qu’elle faisait allusion à leur début d’étreinte, tout à l’heure, dans son bureau. Il s’apprêtait à lui dire combien il aimait être avec elle, mais il ravala son compliment. Ce n’était ni l’endroit ni l’heure. D’ailleurs, il n’y aurait certainement jamais d’endroit ni d’heure pour cet aveu, se dit il, soudain triste.
Ils suivirent Cliff à distance raisonnable, l’attendirent le temps qu’il achète son pain à la boulangerie. Ils continuèrent derrière lui jusqu’à l’épicerie, le suivirent à la cave à vins. Ses achats sous le bras, il revint chez lui, sans jamais s’arrêter pour bavarder. Avait il fait ses courses de la semaine, ou attendait il des amis à déjeuner ?
— Et maintenant ? demanda Carolyn, espérant secrètement qu’Alan ait abandonné l’idée de monter chez Cliff.
— Retournons à la voiture.
S’il avait été seul, il serait resté surveiller l’appartement. Mais il était avec Carolyn… Il appela donc un jeune collègue et lui demanda de venir planquer à sa place. Si quelqu’un se présentait chez Cliff, Alan devait être prévenu sur-le-champ.
Ils remontèrent en voiture. Comme la voiture filait plein sud, Carolyn regarda Alan à la dérobée. Elle lui trouvait un charme fou. Un vrai don Juan, se dit elle.
— A qui, maintenant ? demanda-t elle.
— Nelly Ryan. S’il se passe des choses douteuses dans les services conditionnement et expéditions, je ne vois pas comment elle peut ne pas être au courant.
— Elle ferme peut-être les yeux au nom de sa tendresse pour Nick, argumenta Carolyn.
— Bingo ! lança Alan en tapant sur son volant.
Nelly se trouvait bien sagement dans son jardin, les deux genoux plantés en terre et, vu tous les outils, pots de fleurs vides et autres paquets d’engrais qui l’entouraient, elle avait dû y passer la matinée.
D’entrée de jeu, elle déclara que Nick l’avait appelée pour lui raconter l’incendie et les soûla de questions. Puis elle leur proposa un café qu’ils acceptèrent volontiers et qu’ils prirent dehors. Elle habitait une maison de deux étages, plutôt modeste, entourée d’arbres, de buissons et de fleurs.
— Nick m’a dit qu’on parlait d’un incendie criminel ? demanda-t elle en versant du café dans les trois tasses.
— C’est peut-être un employé qui a été licencié, ou quelqu’un de mé******* ? suggéra Alan. Y a-t il quelqu’un dans votre service qui avait des raisons d’en vouloir à la société ?
Elle leur proposa une tranche de gâteau.
— Grands dieux, non ! Je le saurais. Je sais qu’Elinor a parfois du mal avec son équipe, mais de là à mettre le feu à l’usine, c’est impossible… Il faut être devenu fou.
— Elle a peut-être raté quelques commandes, et n’a rien trouvé de mieux à faire pour cacher ses erreurs que de mettre le feu à la boutique, suggéra Carolyn.
— Pas Elinor ! s’offusqua Nelly. Il y a trente-six façons de cacher une erreur éventuelle sans que personne s’en rende compte. Jamais de la vie elle n’aurait mis le feu ! Et j’aime autant ne pas être là quand elle apprendra la nouvelle. Son service, c’est toute sa vie.
— Elle n’a jamais fait allusion à des difficultés qu’elle aurait rencontrées dans son service ? questionna Alan. Des problèmes de personnels ?
— Non, Elinor est quelqu’un qui sait écouter, qui est apprécié. C’est une grosse bosseuse. J’espère que cette histoire ne va pas lui attirer d’ennuis.
— Vous passez votre temps à aller et venir dans le service conditionnement et emballage. Une fois les commandes mises en carton et prêtes à partir, y a-t il une manière particulière de les manipuler ?
— Aucune idée. C’est Elinor qui peut vous répondre. En ce qui me concerne, mon service production me prend suffisamment la tête comme cela. Je veux dire que j’ai déjà assez de mal à le faire tourner correctement pour ne pas me soucier de la suite.
— Nous avons été étonnés de trouver Nick à son bureau ce matin, dit Carolyn, changeant de sujet. J’estime qu’il en fait trop, Nelly. Vous ne pourriez pas lui dire de lever le pied ?
Elle soupira.
— J’aimerais bien, mais…
Elle se mordit la lèvre.
— Je crois que Nick se débat dans des problèmes. Je devrais sans doute me taire, mais… C’est le jeu, vous savez. Il joue au poker toutes les semaines, et plus ça va, plus il s’enfonce.
— Vous pensez que ça peut être à cause d’une dette de jeu qu’on l’a passé à tabac ? s’enquit Alan.
— Je ne vois pas ce que ça pourrait être d’autre. Tout le monde aime Nick.
Elle rougit et ajouta :
— Certains plus que d’autres.
— C’est vrai qu’il a l’air d’un brave type, acquiesça Carolyn.
Ils bavardèrent encore un peu, refusèrent une autre tasse de café et prirent congé.
— Je crois qu’on peut barrer son nom, suggéra Carolyn tandis qu’ils roulaient vers le centre-ville.
— Pas sûr.
Carolyn le regarda, l’air incrédule.
— Tu plaisantes ?
— Pendant que nous étions avec Cliff, elle a eu largement le temps de rentrer chez elle et de se changer. Elle prétend que Nick l’a informée de l’incendie, mais qui nous dit qu’elle ne le savait pas déjà ?
— C’est terrible, tu te méfies de tout le monde alors ! soupira Carolyn d’un ton de reproche. Tu ne fais donc jamais confiance à personne ?
Il lui adressa un sourire désarmant.
— Si. A toi. Et toi ?
Elle comprit qu’il attendait d’elle une réponse positive, mais ses doutes concernant cette Angelica la tourmentaient toujours. Son enfance, toutes ces années où on l’avait ballottée de famille d’accueil en famille d’accueil, lui avait appris à ne pas accorder trop de crédit aux paroles des adultes… Honnêtement, pouvait elle dire qu’elle faisait totale confiance à Alan ?
La réponse dut se lire sur son visage, car elle l’entendit conclure :
— Je m’en doutais.
Sur ces mots, il se concentra de nouveau sur sa conduite.
Elle pensait qu’ils rentraient à Horizon quand elle le vit bifurquer à droite au lieu de continuer tout droit.
— Où va-t on ?
— Chez Suzanne Kimble. Je ne serais pas étonné que ce soit avec elle que Cliff ait l’intention de consommer les courses qu’il a faites tout à l’heure.
— Tu ne sembles pas trop croire à l’amitié homme-femme ?
— Et toi ? répliqua Alan du tac au tac. Tu es mieux placée que moi pour répondre… Tu l’as connu autrefois, ce type.
Elle fouilla sa mémoire en quête de souvenirs. Quel genre de relations Cliff entretenait il avec les amis de la fac ?
— Je me souviens d’une fille qui faisait médecine avec nous. Il était très gentil avec elle. Au début, je croyais qu’ils travaillaient seulement en binôme, et puis …
— C.Q.F.D. ! triompha Alan.
La réponse de Carolyn venait conforter ce qu’il lui disait un instant plus tôt.
Après avoir tourné dans une rue secondaire, Alan arrêta sa voiture devant une petite maison de briques peintes en blanc.
— Suzanne doit être chez elle, fit remarquer Carolyn. Sa voiture est là.
— C’est ce qu’on va voir.
Après plusieurs coups frappés à la porte, personne ne vint ouvrir. Comme ils partaient, une boule de poils s’approcha de la clôture en aboyant. C’était un chiot. Désespérée d’être seule, la petite bête s’attaqua à un piquet qui céda sous l’assaut des griffes. Tel un fauve qui aurait été retenu prisonnier depuis des heures, l’animal bondit à l’extérieur de l’enclos et se mit à japper autour d’eux. Les aboiements redoublèrent.
— Oh là ! On se calme, le chien ! ordonna Alan en tentant d’éviter les manifestations de liesse de l’animal.
Mais le chiot ne se calmait pas, bien au contraire. Alan se pencha alors et le prit dans ses bras, subissant les caresses enthousiastes de la langue râpeuse.
— Désolé, mon petit vieux, mais il faut que tu retournes dans ton jardin…
Carolyn, étranglée de rire, regardait Alan qui, malgré ses protestations, semblait sous le charme du chien. Sans doute n’en avait il jamais eu ? Sans doute n’y avait il pas eu de place pour un corniaud dans le paysage très bourgeois de son enfance ?
Pour l’heure, il fallait réparer.
Après avoir considéré l’état de la clôture, Alan reposa le chien à l’intérieur de l’enclos.
— Tiens la barrière fermée, le temps que je fasse une réparation de fortune, dit il.
Il y avait du linge à sécher sur le fil et des planches de bois près d’un petit potager.
— Tiens bien, je vais chercher ce qu’il me faut là-bas.
Il traversait le jardin quand une odeur suspecte l’alerta.
— Bon sang ! Qu’est-ce qui… ?
Laissant sa phrase en suspens, il se précipita vers la maison. Le gaz ! L’odeur avait filtré par les interstices de la porte. On ne pouvait s’y tromper. Sans perdre une seconde, il brisa une fenêtre et se pencha à l’intérieur. La cuisine. Une silhouette menue — Suzanne Kimble — gisait à terre.
— Eloigne-toi ! lança Alan à Carolyn qui s’escrimait sur la barrière pour empêcher le chien de se sauver.
— Que se passe-t il ? demanda-t elle.
Alan avait attrapé le râteau appuyé au mur et fracassait les autres carreaux de la fenêtre.
Une bouffée âcre s’échappa par la fenêtre.
— Mon Dieu ! Une fuite de gaz ! s’écria Carolyn. Fais attention, Alan !
Il avait décroché une serviette du fil à linge et, tout en courant vers la porte de derrière, se l’appliquait sur le nez et la bouche.
La porte n’était pas fermée à clé.
Assailli par l’odeur de gaz, il se précipita dans la cuisine.
Suzanne était étendue devant la cuisinière, dont les robinets étaient grands ouverts. Il fallait faire vite. D’abord fermer les robinets. Prendre ensuite Suzanne sous les bras et la traîner dehors.
En quelques secondes, c’était terminé. A moitié asphyxié, il se mit à tousser. Accourue au chevet de Suzanne, Carolyn s’agenouilla près d’elle, cherchant désespérément un signe, une étincelle de vie. Hélas, elle le comprit tout de suite, il n’y avait plus une lueur d’espoir.
Ils étaient arrivés trop tard. Suzanne Kimble était morte.

 
 

 

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