chapitre 1
Carolyn Leigh posa un regard étonné sur les deux hommes assis en face d’elle dans le cabinet d’avocats.
— Je suppose que cette réunion concerne le bienfaiteur anonyme qui m’a aidée à financer mes études. Je sais que l’argent transitait par vos bureaux, mais à part cela…
— C’est exact, lui répondit Me Bancroft, juriste grisonnant, en remontant ses lunettes sur son nez.
— J’imagine que si vous m’avez fait venir, c’est pour me dire qu’il faut maintenant que je rembourse ? demanda-t elle, cachant mal une certaine inquiétude.
Elle ne roulait pas sur l’or et, tant qu’elle n’aurait pas trouvé un temps plein à l’hôpital, elle aurait du mal à éponger ses dettes.
La voyant embarrassée, Me Bancroft la rassura sur-le-champ.
— Non, mademoiselle, vous n’avez rien à rembourser. Le donateur s’est montré très clair sur ce point.
L’avocat marqua un temps d’arrêt, puis il poursuivit :
— En fait, j’ai de très bonnes nouvelles pour vous.
Carolyn se raidit sur sa chaise.
— De bonnes nouvelles ? répéta-t elle.
L’expression la fit frissonner, car elle ne l’avait que trop entendue. Adoptée très tôt et de santé fragile, elle n’avait jamais connu d’autres bonnes nouvelles — comme disaient les fonctionnaires de l’assistance publique — que celles de ses placements dans des familles d’accueil sans cesse renouvelées. A l’époque, elle se sentait comme le pion d’un jeu diabolique. Aujourd’hui encore, même si elle avait réussi, à force de courage et de volonté, à obtenir son diplôme de médecin, elle en faisait toujours des cauchemars.
Traumatisée à jamais par les souvenirs de sa vie chaotique d’orpheline, elle reconnut la boule d’anxiété qui lui avait si souvent noué l’estomac. Oui, son enfance, ballottée d’une famille à une autre, sans chaleur, sans tendresse, l’entraverait à jamais comme un boulet.
« Et ça recommence… », pensa-t elle, redoutant ce qu’on allait encore lui assener.
Dès l’instant où elle était entrée dans ce bureau, elle avait senti une espèce d’hésitation de la part des deux hommes, comme s’ils ne savaient trop par où commencer. Elle avait déjà rencontré William Bancroft une fois, mais l’homme assis à côté de lui, Alan Lawrence, bel homme au demeurant, elle ne l’avait jamais croisé. Qui était il au juste et pourquoi se trouvait il là ? Le vieil avocat avait omis de le lui préciser. Peut-être était il son futur associé ?
Courtois, ils lui proposèrent un café qu’elle refusa.
— Bien, dit Me Bancroft. Passons aux choses sérieuses. Nous verrons les détails par la suite.
Se tournant alors vers Alan, il enchaîna :
— A vous, maintenant, mon cher.
Alan Lawrence sourit à Carolyn, qui ne manqua pas de remarquer le charme de l’homme. La trentaine, des traits énergiques, des cheveux noirs et un bronzage léger sur le visage, il était plutôt séduisant.
De ses beaux yeux d’un gris bleu, il la fixa, l’air hésitant, comme si la nouvelle qu’il avait à lui annoncer le mettait mal à l’aise. Les nerfs mis à vif par cette attente, Carolyn commença à s’impatienter. Qu’avait il donc de si embarrassant à lui dire ?
— Vous avez entendu parler d’Arthur Stanford ? commença-t il.
Le ton se voulait amical.
— Non, répondit elle du tac au tac.
La vivacité de la réaction le surprit. Il enchaîna.
— Je suppose que vous avez entendu parler des laboratoires pharmaceutiques Horizon ?
— Evidemment. Quel médecin ne connaît pas Horizon ? C’est une des sociétés les plus anciennes de tout le Nord-Ouest américain.
Il opina de la tête.
— C’est cela. Eh bien, Arthur Stanford, le propriétaire de ce laboratoire, vient de décéder et…
Un rien sarcastique, elle lui coupa la parole.
— Suis-je supposée être au courant de ce décès ?
La mort du magnat avait sans doute paru dans la presse, mais elle était trop occupée par son travail pour lire les journaux.
Méfiante, ne voyant toujours pas où il voulait en venir, elle se préparait à attaquer. A force d’être mêlée à des bagarres dont elle était souvent la cible dans les cours d’école, elle avait appris à se protéger avant que les coups ne pleuvent. Elle était donc prête à affronter n’importe quoi. N’empêche, pourquoi l’avait-on convoquée ?
— L’aide financière qui vous a été octroyée pour faire vos études, reprit Alan, et qui vous parvenait par le canal de Me Bancroft, vous était attribuée par Arthur Stanford.
— Vraiment ? s’exclama-t elle, ahurie.
— Oui, vraiment.
Elle s’était souvent demandé d’où lui venait cet argent, qui l’avait tellement aidée dans ses études. Un moment, elle avait cru qu’elle émanait d’une organisation caritative, mais jamais elle n’avait imaginé que son bienfaiteur puisse être tout simplement un particulier. Quand elle avait demandé une bourse à l’administration de la faculté, le directeur de l’établissement lui avait annoncé qu’une personne anonyme lui verserait régulièrement des fonds.