CHAPITRE 1
1
Le ciel azur et le soleil resplendissant promettaient aux personnes en promenade une belle journée sans aucun
nuage. Beaucoup de gens s’installaient de part et d’autre de certaines terrasses de café qui longeaient une avenue.
A la terrasse de « Chez Maxime », une dizaine de jeunes étudiants s’emparèrent de tables libres afin de les
regrouper. Ils commandèrent l’instant d’après au jeune serveur, dont ils connaissaient le prénom, leurs boissons. Ce
n’était pas leurs tenues vestimentaires dont leurs couleurs étaient criardes et leurs piercings, mais leurs brouhahas qui
attiraient de temps à autre le regard de quelques clients.
Pas très loin de là, un couple d’une soixantaine d’années ne semblait pas se soucier d’autrui. Main dans la main, au
dessus de la table, les yeux dans les yeux, ces amoureux sirotaient leur apéritif.
Christelle Gordon, assise, le coude posé sur l’une des tables rondes, la paume de la main sous le menton, visualisait
tous ces gens d’un air distrait. Elle attendait patiemment ses meilleures amies qui devaient arriver d'une minute à l'autre.
Christelle jeta un coup d’oeil furtif à sa montre. Ses amies avaient déjà quinze minutes de retard.
C’était bien la première fois qu’Isabelle était en retard, ce qui n’était pas le cas de Cindy.
Elle appela Isabelle sur son portable. Encore une fois, elle tombait sur la messagerie. Cinq minutes s’étaient
écoulées entre les deux coups de téléphone. Elle se rassura en pensant qu’étourdie comme l’était Isabelle, elle avait
oublié son cellulaire chez elle. Mais pourquoi donc ce retard ? C’était anormal. Un frisson s’empara d’elle en songeant à
un éventuel accident.
Isabelle avait une chose très importante à lui révéler. Elle était si joyeuse à l’autre bout du téléphone. Elle n’avait
pas voulu lui dire ce que cela pouvait bien être. La dernière fois qu’elle avait été aussi excitée était le jour où elle lui
avait annoncée son mariage. Mais pour quelle raison ne lui avait-elle rien dit ?
Une fillette d’environ quatre ans, blonde aux cheveux bouclés avec une adorable petite robe rouge, courait entre les
tables pour échapper à son frère légèrement plus grand qu’elle. Elle riait aux éclats. Son rire était cristallin. Tout d’un
coup, elle tomba sur les genoux. Son frère l’aida à se relever et essaya d’atténuer ses pleurs jusqu’à l’arrivée de leur
maman non loin de là.
A cette scène, Christelle se souvint de sa première rencontre avec Isabelle et Cindy. C'était à l’école primaire.
♦♦
Christelle avait joué à la marelle dans la cours de récréation. Les cris d’enfants ne s’estompaient jamais. Les uns
hurlaient de joie lorsqu’ils gagnaient à la partie de billes, les autres pour attirer vers eux l’un de leurs camarades qui était
le chat. Le regard de Christelle s’était attardé sur chacun des groupes de jeux en attendant son tour.
Elle avait vu un garçon pousser une fille alors qu’il jouait avec ses copains au ballon. Cette fille était tombée par
terre et avait pleuré toutes les larmes de son corps. Personne n’avait fait attention à elle. Christelle avait stoppé son jeu,
elle s’était approchée de la petite fille en pleur en même temps qu’une fille blonde et rondelette. Elles s’étaient
accroupies devant la petite victime.
- Tu as mal ? Lui avait demandé Christelle.
La petite fille avait levé des yeux humides vers elles. Elle avait cessé de pleurer. Elle leur avait montré sa paume
gauche qui était égratignée.
- Viens, on va nettoyer ça aux toilettes, lui avait proposé Cindy en l’aidant à se relever.
Christelle avait secoué la poussière sur la jupe rouge.
- Merci, avait-elle dit d'un ton timide.
- De rien. Comment tu t’appelles ?
- Isabelle, et vous ?
- Christelle.
- Et moi, Cindy.
Christelle et Cindy s’étaient occupées d’Isabelle tout au long de la récréation. Depuis ce jour-là, leurs destins étaient
liés…
♦♦
Christelle sourit rêveusement à cette petite anecdote.
Un coup d’oeil sur toutes les personnes présentes à la terrasse la mettait mal à l’aise. Le regard pénétrant des
hommes la fit frémir. Même les hommes, accompagnés de leurs amies ou femmes, se permettaient de la dévorer des
yeux. Elle avait conscience de son charme. Dans les yeux de certains, elle se voyait qu’en objet sexuel comme si aucune
âme n’habitait son corps. Ses vêtements ne renvoyaient jamais l’image d’une femme vulgaire, bien au contraire. Ses
tailleurs que cela soit jupe ou pantalon lui donnaient l’air d’une femme sophistiquée. Elle se permettait certains jours de
mettre un jean mais cela n’enlevait rien à son charme.
Elle passa la main à travers ses cheveux pour se donner une contenance et porta à ses lèvres sa tasse. Elle but la
dernière gorgée de son café et appela un serveur pour commander un autre expresso.
Elle saisit dans son sac de marque assorti à la couleur de ses vêtements, un roman policier. Son marque page était
intercalé à une dizaine de pages de la fin du roman, au moment crucial où l'on découvrirait l'assassin.
2
Alors qu’elle entama sa lecture, elle sentit la présence d'une personne à ses côtés. Cela ne pouvait pas être Cindy car
elle était toujours en retard d’au moins une heure.
- Tu sais que tu as vingt minutes de retard…
- Vous m'attendiez depuis vingt minutes ! Je n'étais pas averti d'un rendez-vous avec une personne aussi lumineuse,
dit une voix inconnue.
Surprise, elle leva la tête et découvrit une grande silhouette dont elle ne pouvait distinguer le visage, ayant le soleil
en face d’elle. Elle savait néanmoins que c’était un homme particulièrement grand et imposant, que sa voix était chaude
et sensuelle.
Christelle maugréa contre Isabelle et Cindy. C’était vraisemblablement un nouveau soupirant. Peut-être un pot de
colle dont elle n’arriverait pas à se défaire. Pourquoi les attirait-elle ? Elle avait la poisse. Il fallait trouver une solution
très vite !
- Excusez-moi, je vous ais pris pour une autre personne.
- Dommage, mais puis-je m'asseoir ? L’interrogea-t-il.
Sa voix l’avait déjà ensorcelée. En guise de réponse, elle lui fit signe de s'asseoir en face d'elle.
- Un petit instant alors, car mes amies vont arriver d'une minute à l'autre.
- Merci, répondit-il avec cette voix qui la faisait tant frissonner.
Cet homme allait s’asseoir sur l’une des deux chaises.
- Attention à ce que vous faites ! Vous ne voyez pas Magui ?
Il scruta la chaise et le sol à la recherche d’une moindre forme de vie.
- Qui est Magui ?
Christelle regarda la chaise comme si une personne était présente.
- Bein, ma petite soeur. Dis bonjour au Monsieur… tu ne veux pas ? Excusez-la de son impolitesse, elle est très
timide.
L’homme prit tout de même une autre chaise. Avait-il vu clair dans son jeu ou avait-il dans l’idée d’en savoir plus
sur elle et Magui ?
Magui était une de ses inventions vers l’âge de quinze ans. Elle avait été créée pour rendre le sourire à Isabelle qui
avait perdu son grand-père maternel.
Elle discerna mieux le physique de cet homme. Il était brun avec de magnifiques yeux verts qui lui faisaient tant
penser à l'éclat d’émeraude. Des hommes bruns aux yeux verts si étincelants étaient très rares. Elle n'en avait jamais vu.
Son visage était bien dessiné, on aurait dit qu'il avait été sculpté avec précision. Son nez était aquilin, la mâchoire
volontaire et les pommettes saillantes. Il devait avoir une trentaine d'années et était d'une beauté rare, car des hommes
comme lui, on n'en trouvait pas à chaque coin de rue. Sous son tee-shirt blanc, qui mettait en valeur son teint halé, se
laissait deviner un torse musclé.
Elle rougit de honte. Qu’avait-elle fait ? C’était toujours les moments où il fallait être sérieuse qu’elle jouait la folle.
C’était la première fois qu’elle utilisait Magui afin de faire fuir un homme. Il était sûrement un Don Juan qui devait
cumuler les liaisons d’un soir avec une telle beauté.
Décidée, elle allait continuer cette mascarade.
Il posa les yeux sur le livre qu'elle était en train de lire.
- Est-ce le premier livre que vous lisez de Monica Ardene ?
Au son de sa voix, elle fut tirée de ses pensées.
- C'est mon auteur préféré, s'empressa-t-elle de dire pour ne pas faire remarquer son trouble.
- Tout comme moi.
- Avez-vous déjà lu ce livre ?
- Oui, je les ai même tous lus, ils sont extraordinaires. Avez-vous déjà une idée de l'auteur de ces crimes ?
- A dire vrai, non.
Elle ferma le livre et le rangea dans son sac. Elle ne voulait pas entendre de lui la fin de son roman policier.
- Puis-je connaître le prénom que peut porter une aussi jolie femme que vous ? Demanda-t-il en la regardant droit
dans les yeux.
- Vous me trouvez jolie ? S’enquit-elle vexée.
C’était bien le premier homme qui pensait cela d’elle. Généralement, ils employaient des termes beaucoup plus
élogieux.
- Je vous trouve superbe… pourrais-je savoir votre prénom ?
- C'est...
Ils furent interrompus par le serveur qui apporta l’expresso. Christelle proposa à l'inconnu une boisson. Celui-ci
refusa, sans quitter des yeux la jeune femme.
Christelle fixa la chaise vide.
- Tu es sûr de ne rien vouloir Magui ? Tu veux un jus de pomme ?… comme tu veux.
Il la regardait avec une telle insistance qu'elle sentit le rouge lui monter au visage. Son visage semblait s’enflammer.
Sa respiration se fit plus lente. Christelle s’empourprait très facilement ce qui l’embêtait au plus haut point.
- Jamais deux sans trois, fit-il constater avec humour. Alors, quel est votre prénom ?
Il n’avait pas l’air d’être perturbé par cette étrange présence. Il était peut-être fou !
- C'est Joanna, et vous ?
Pourquoi avait-elle menti ? Peut-être pour donner un peu plus de piment à cette rencontre ou peut-être parce qu'il
pouvait représenter un danger. Elle ne souhaitait pas s’enticher d’un autre homme aussi séduisant soit-il sans en
connaître davantage sur lui.
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- C'est Tony. Ravi de vous connaître.
- Egalement.
Anthony lui tendit la main.
A l’instant où ils se serrèrent la main, une onde électrique parcourut le corps de la jeune femme. Elle la retira
aussitôt.
Avait-il éprouvé cette sensation ? Non, il était resté impassible. Le regard de Christelle ne pouvait plus se détourner
de cet homme qui exerçait sur elle un charme puissant.
Tony remarqua sur l'annulaire de la jeune femme un anneau superbe, serti de petits diamants. Il la complimenta
discrètement et lui dit que la personne qui lui avait offert ce somptueux bijou avait bon goût.
Christelle s'empressa de lui avouer que la personne lui ayant offert cette bague n'était autre qu’elle-même.
- Donc, vous n'êtes pas mariée ? Questionna-t-il avec une certaine hésitation.
- Non.
- Etes-vous seule ?
- Oui.
En fin de compte, cette journée ne lui avait révélée que des surprises. Elle qui d'habitude ne répondait jamais aux
questions indiscrètes, avait répondu à cet homme avec une facilité déconcertante. De plus, elle lui avait avoué que c'était
elle-même qui s'était achetée cet anneau, alors qu'ordinairement pour chasser les importuns, elle rétorquait froidement
que c'était son fiancé.
- Puis-je vous poser une question à mon tour ? Demanda-t-elle.
- Je vous en prie, accepta-t-il en inclinant légèrement la tête.
- Que faites-vous dans la vie ? J'ai l'impression de vous connaître.
- Je suis ouvrier en bâtiment, dit-il avec un grand sourire. Et quel métier exercez-vous ?
Christelle hésita. Ayant déjà menti sur son prénom, pourquoi ne le ferait-elle pas sur son métier ? Elle ne le reverrait
pas de toute manière. Pourtant…
Par simple réflexe, elle tapa du point sur la table et quand elle s'en rendit compte, elle croisa le regard interrogateur
d'Anthony.
- Quelque chose ne va pas ?
- Magui arrête de bouger ainsi, tu me stresses ! Tonna-t-elle en jetant un regard vers la chaise. Excusez-moi. Pour
répondre à votre question, je suis secrétaire dans une très grande firme, mentit-elle.
Anthony était resté de marbre à la remontrance de Christelle envers Magui.
- Quelle grande firme ?
Elle répondit sans hésitation.
- Petterson Industrie.
- En effet, c'est une très grande firme.
En voyant son amie monter les escaliers, elle fut soulagée qu'il ne lui soit rien arrivée.
- Je suis désolée de vous chasser, mais mon amie arrive, j'ai été très heureuse d'avoir fait votre connaissance.
Le jeune homme se retourna pour vérifier ses dires. Il voulait certainement savoir si son amie était réelle.
Elle lui tendit la main, mais au lieu de la serrer, il la lui baisa avec une telle douceur qu'elle en frémit.
- Non, c'est moi qui aie été heureux de parler à la plus belle femme qui existe sur Terre, affirma-t-il avec une infinie
douceur. Au revoir… à bientôt Magui, conclut-il en mimant un ébouriffement sur la tête de la petite soeur imaginaire.
Christelle écarquilla les yeux d’étonnement. Etait-il fou ou bien pensait-il qu’elle était réellement folle ? S’était-il
tout simplement pris au jeu ? Elle ne le découvrirait sûrement jamais.
- A bientôt... peut-être, finit-elle par dire sans aucune conviction.
Son coeur battait à tout rompre. Le sourire qu'il avait arboré était si craquant, de quoi faire fondre un coeur de pierre.
En tout cas, elle n'y avait pas résisté. Et cette voix était si séduisante pour un homme, qu'à chaque fois qu'il prononçait un
mot, elle en frissonnait. Elle n'eut pas le loisir de s'interroger plus longtemps sur ce bel homme car Isabelle arriva à sa
table.
Isabelle était une très belle jeune femme de vingt-six ans d'un mètre soixante-dix. Elle portait un tailleur jaune
canari qui lui allait à merveille. Isabelle avait un joli petit nez, des lèvres fines, des yeux en amandes marrons clairs dont
le regard était toujours doux et émouvant. Ses cheveux bruns continuellement tirés en arrière finissant par un chignon lui
donnaient un air d’institutrice. Christelle l’assimilait à chaque fois à une poupée de porcelaine avec sa peau blanche et
laiteuse. Christelle l’avait toujours protégée contre les gens mal attentionnés tant Isabelle était gentille. Sa grâce et sa
naïveté lui attiraient systématiquement que des problèmes. A présent c’était Marks, l'ami d'enfance de Christelle qui
avait pris le relais quand il s’était marié avec Isabelle l’année d’auparavant.
Travaillant comme secrétaire à Petterson Industrie, elle était tombée, comme la plupart des secrétaires, folle
amoureuse de son patron.
Un jour, ne pouvant plus garder son terrible secret, elle était venue demander conseil à Christelle. Elle se souvenait
comme si c’était hier des quelques paroles qu'elles avaient échangées.
♦♦
- Comment lui dire que je l'aime ? Avait demandé Isabelle.
- Montre-lui que tu n’es pas insensible à son charme.
- Mais je n'oserai pas, tu sais parfaitement que je suis timide. Pourquoi serais-je venue te demander de l’aide ? S'il te
plaît, aide-moi ! Tu es la seule en qui je crois, je te considère comme ma soeur. Si je t'ennuie…
4
- Tu sais très bien que tu ne m'ennuies jamais...
Qu’aurait-elle pu faire dans ce genre de cas ? Il aurait fallu plusieurs mois à Isabelle pour vaincre sa timidité. Et
parler à Marks, de l’attirance de son amie, aurait pu lui faire peur. Marks avait fuis pendant quelques mois les relations
amoureuses sérieuses. Il avait été trahi par sa fiancée et ne faisait plus confiance aux femmes.
- Laisse-moi quelques jours pour trouver une solution, avait-elle ajouté en voyant la mine déconfite de son amie.
- Merci, s'était écriée Isabelle en retrouvant le sourire et en lui sautant au cou.
Quatre jours après cette conversation, et après avoir mûrement réfléchi, Christelle s’était rendue à l'entreprise où
travaillait Isabelle.
Elle n'était pas revenue dans cette entreprise depuis un an. L’entrée du bâtiment avait changé et était devenue moins
austère et plus accueillante avec une nouvelle peinture saumon et des plantes vertes disposées un peu partout. Cela venait
certainement d’Isabelle qui aimait les plantes et une couleur plus gaie que du blanc.
Christelle avait travaillé huit mois pour Marks en tant que secrétaire. Puis ayant une obligation personnelle, elle
avait dû quitter son emploi. Elle avait donc mis en contact Isabelle et Marks. Après un entretien, Marks avait embauché
immédiatement Isabelle la trouvant très qualifiée pour cette embauche.
Elle avait salué la standardiste et pris l’ascenseur. Le bureau de Marks était situé au dernier étage. Lorsque les
portes s’étaient ouvertes, elle avait vu Isabelle. Cette dernière s’était arrêtée de pianoter sur son clavier d’ordinateur et
avait froncé les sourcils d’un air interrogateur.
- Mais que fais-tu ici ? Avait-elle chuchoté.
- J'ai rendez-vous avec ton patron.
- Pour... pourquoi ?
- A ton avis. Tu peux lui signaler ma présence, s’il te plait.
Isabelle, déconcertée, s’était exécutée en appuyant sur l'interphone.
- Monsieur Petterson, Christelle Gordon est arrivée.
- Faites-la entrer ! S’était-il exclamé à travers l'interphone.
Christelle avait emboîté le pas de sa meilleure amie pour gagner le bureau de Marks. Christelle avait attendu
qu'Isabelle eut refermé la porte pour commencer à parler.
- Salut, comment vas-tu Marks ? S’était-elle informée en l'embrassant.
- Je vais bien, merci, et toi ?
- Ca va, je te remercie beaucoup.
- Assieds-toi je t'en prie.
La pièce somptueuse était restée inchangé. Le bureau imposant noir se trouvait en plein milieu de la pièce afin de
faciliter les allés venus de Marks. La bibliothèque était à droite et l’armoire où il avait ses dossiers les plus importants à
gauche. L’environnement de froideur avait été atténué par des philodendrons posés près de la fenêtre. En un an, elle
aurait dû lui rendre visite quelques fois. Marks avait téléphoné chaque semaine pour prendre de ses nouvelles. Il ne
pouvait plus venir chez elle car son travail lui prenait les trois quarts de son temps. A partir de ce jour, elle s’était
promise de lui rendre visite régulièrement.
- Qu'est-ce qui me vaut l'honneur de ta visite ?
Ce qu'elle aimait tant chez lui, c'était sa facilité à changer de sujet. Marks avait trente ans et avait tout pour plaire.
Il était grand et bel homme. Il avait un corps athlétique car il pratiquait le football américain. Malgré cette carrure, il
paraissait, envers les autres, avoir une attitude aristocratique tant il se tenait bien droit avec un regard hautain et une
démarche guindée. Sans le vouloir, il mettait mal à l’aise certaines personnes qui ne le connaissaient pas. C’était un vrai
caméléon et Christelle aimait le voir dans toutes sortes de situations. Il avait un superbe sourire et des dents éclatantes
d’une extrême blancheur. Ses yeux bleus changeaient de couleurs en fonction de son humeur et cela intriguait toujours
Christelle quand ils viraient du bleu clair au foncé. Son nez était parfaitement droit, sa mâchoire carrée et il portait avec
succès un bouc très bien taillé. Ses cheveux châtains étaient coiffés en arrière. Ces lunettes d’une monture très fine en or
étaient posées sur son bureau. Il avait une très bonne vue pourtant il ne les utilisait qu’en rendez-vous clientèle. Cette
paire de lunette lui conférait un air très sérieux. Pour certaines personnes, sa carrure sportive ne semblait pas en
adéquation avec son intelligence. Une fois la confiance gagnée auprès de ses nouveaux clients, il ne les remettait jamais
en leurs présences.
La première fois qu'elle l'avait rencontré, elle était tombée folle amoureuse de lui, du moins l'avait-elle cru. Elle
avait douze ans et lui seize. Son père avait invité son meilleur ami et son fils Marks un soir à dîner chez eux. Depuis cet
instant, ils ne s'étaient plus séparés. Plus le temps passait, plus elle s'apercevait que son amour n'était autre qu'une grande
amitié.
- Simple visite ! Avait-elle répondu.
- Tu es toujours aussi ravissante.
- Merci, je te renvoie le compliment.
- Alors comme cela, je serai devenu une jeune et belle femme, avait-il prononcé d'un ton frivole.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, avait-elle rétorqué en riant. Soyons sérieux, je voudrais te demander une chose
importante.
Marks avait changé aussitôt d'expression. Son visage avait pris un air sérieux ce qui le rendait plus irrésistible que
jamais.
- Je t'écoute.
- Je t'invite à dîner ce soir chez moi pour en discuter.
- Pourquoi pas. A quelle heure ?
- Vingt heures, cela te va ?
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- O.K. !
- Je dois y aller.
Elle avait fait le tour du bureau et avait déposé sur la joue de Marks un baiser.
- A ce soir !
- A ce soir, ma grande.
Isabelle s’était retournée vivement en entendant la porte se refermer.
Christelle s’était approchée d'elle avec un très grand sourire.
- Alors ? Interrogea-t-elle sans plus se contenir.
- Je t'invite à dîner ce soir pour parler de cela. A vingt heures ! Précisa-t-elle avant de partir.
Isabelle était arrivée avec cinq minutes d'avance. A vingt heures précises une personne avait sonné à la porte.
- Qui est-ce ? Avait questionné Isabelle, étonnée.
- Un ami. Pourrais-tu ouvrir la porte, s'il te plaît ?
Quelques secondes plus tard, Christelle avait entendu en écho :
- Vous…
- Christelle m'a invité, avait rétorqué Marks d'une voix rauque.
- Moi aussi.
Isabelle l'avait invité à pénétrer au salon. Pendant ce temps-là, dans la salle à manger, Christelle avait préparé la
table pour deux, avait mis deux chandelles et avait apporté le champagne.
Le téléphone avait sonné et Christelle avait entendu son frère, comme convenu, à l'autre bout du fil. Déposant le
combiné, elle avait retrouvé Isabelle et Marks au salon pour s'excuser de son départ précipité en leur précisant qu'elle
serait de retour très bientôt. Elle les avait priés de dîner ne sachant pas l'heure exacte à laquelle elle serait de retour.
Avant de partir, elle avait accompagné Isabelle dans la cuisine pour lui présenter ce qu'elle devait servir. En partant,
elle avait fait un clin d’oeil à Isabelle, qui devinant ce qu'avait manigancé Christelle, était restée bouche-bée.
A vingt-deux heures, après avoir dîné au restaurant « La triple étoile » et s'être promenée, elle était rentrée chez elle.
Et là, qu'elle avait été sa surprise quand elle avait découvert Marks et Isabelle s'embrassant fougueusement. Elle avait été
surprise, non pas parce qu'elle doutait du résultat mais parce qu'elle n'avait pas prévu que cela aurait été si rapide.
Etant occupés, ils ne s’étaient pas rendus compte de sa présence, ce qui l'avait obligée à toussoter.
Une demi-heure plus tard, Marks et Isabelle avaient pris congé de leur hôtesse.
Le lendemain matin, Marks avait appelé Christelle pour lui avouer qu'il était tombé fou amoureux d'Isabelle dès le
jour où il l'avait embauchée mais qu'il n'avait jamais su comment le lui dire.
Quelques mois plus tard, ils se mariaient...
♦♦
- Salut Christelle, comment vas-tu ? S’enquit Isabelle en embrassant son amie et en s'asseyant en face d'elle.
Cette question fit ramener Christelle sur terre.
- Salut Isa ! Tu as vingt minutes de retard, j'ai cru que le pire était arrivé. Tu aurais pu au moins me téléphoner, j'ai
eu peur...
- Calme-toi Christelle. Pardonne-moi… ma voiture est tombée en panne et j’ai oublié mon portable… pourquoi tu
ne fais jamais de scène à Cindy, elle qui est toujours en retard ?
- Comme tu le dis, elle est toujours en retard.
- Mais au fait, qui était ce beau ténébreux assis à ta table ?
- Un type.
- Mais comment s'appelle-t-il ?
- Tony.
- Et ?
- Salut les filles !
La nouvelle arrivante n’était autre que Cindy. Plus grande que Christelle et Isabelle, Cindy était blonde avec de
superbes boucles qui lui arrivait jusqu’au milieu du dos et de grands yeux bleus. Cindy aurait pu être top model avec un
corps de rêve. Toujours sexy dans ses vêtements roses, elle attirait d’innombrable prétendant. Pourtant, elle ne gardait
jamais le même homme après deux semaines.
Christelle et Isabelle avaient vu se métamorphoser peu à peu cette petite fille très rondelette en femme super sexy et
mangeuse d’homme. Cindy semblait se rattraper du temps perdu et se venger auprès de la gente masculine.
Après les avoir embrassées, Cindy prit place sur une chaise en prenant soin de tirer légèrement sur sa jupe jugé trop
courte au goût de Christelle et Isabelle. Les remarques sur sa tenue vestimentaire n’avait en rien changé l’attitude de
Cindy.
- Alors, quoi de beau ? Demanda-t-elle.
- Christelle a rencontré un bel homme et elle commençait à me raconter…
- On t’écoute attentivement, interrompit Cindy en posant ses coudes sur la table pour se rapprocher plus près de
Christelle.
Le serveur arriva et prit leur commande. Christelle raconta lorsque le serveur s’éloigna.
- Il s’appel Tony et c’est un fan de Monica Ardene. Il est ouvrier en bâtiment et… et je ne sais rien d’autre.
Soudain Christelle éclata de rire.
- Quoi ? Demandèrent Isabelle et Cindy.
- Je repense à ce que j’ai fait !
6
- Qu’as-tu encore inventé ? Interrogea Cindy.
Christelle leur narra tout ce qui s’était produit.
- Ce n’est pas possible ! Comment veux-tu te trouver un homme ! S’exclama Isabelle
Christelle vit trembler les lèvres d’Isabelle. Cette dernière finit par ne plus tenir et éclata de rire en même temps que
Cindy.
- Tu es incorrigible ! Magui… cela fait longtemps que je n’avais plus entendu parler d’elle.
- Notre petite Magui. Toujours là pour nous remonter le moral. Notre soeur imaginaire, dit Cindy.
Isabelle essuya de son mouchoir les larmes qui ruisselaient sur ses joues.
- Au fait, nous ne sommes pas là pour parler de moi ni de Magui. Qu'avais-tu de si important à nous communiquer ?
Les yeux d’Isabelle devinrent pétillants, son visage beaucoup plus gai, son sourire plus grand. Elle ne tenait plus en
place sur sa chaise.
- C'est vrai, j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer...
Elle prit dans chacune de ses mains celles de Christelle et Cindy.
- J’attendais cela depuis des mois…
Christelle sourit à son tour.
- Si c’est ce que je pense…
- Oui, je suis enceinte !!!
- Félicitations ! S’exclamèrent-elles folles de joie en quittant leurs chaises et en prenant Isabelle dans leurs bras.
Elle aurait aimé avoir un enfant elle aussi, mais elle n'avait pas encore trouvé l'homme de ses rêves. Christelle eut
un pincement au coeur.
- Maintenant, il ne reste plus que vous deux, dit Isabelle.
- De quoi ? S’enquit Cindy.
- Vous trouver un homme et avoir des enfants, répondit Isabelle.
- Oh, là, là ! Stop ! Je préfère ma vie actuelle, protesta Cindy.
- Du libertinage, soupira Isabelle.
- Peut-être…
Christelle les écouta tour à tour. C’était toujours la même chose. Isabelle essayait toujours de convaincre Cindy de
revenir sur le droit chemin. Christelle avait essuyé les maintes refus de cette tête de linotte et finalement avait laissé
place à Isabelle qui s’en chargeait quasiment à chacune de leur rencontre.
Tony refit surface dans ses pensées. Elle revit la scène de tout à l’heure. Il avait émané de lui tout un magnétisme.
Une puissance invisible se dégageait de sa personne. Sa plaisanterie aurait pu gâcher leur conversation…
Une main vint se placer devant ses yeux. C’était celle de Cindy qui se mouvait devant elle.
- Pardon ?
- Tu es dans tes pensées. A quoi penses-tu ? Interrogea Cindy.
- Oh rien…
- Tu penses à ce bel italien ? Intervint Isabelle.
- Oui mais tu sais aussi bien que moi que les hommes s’enfuient quand je leur dis ce que j’essaye de faire.
Isabelle et Cindy ne savaient pas ce qu’elle ressentait pour son futur métier si elle arrivait à y accéder. Elle avait été
passionnée par ce monde mais jamais elle n’aurait imaginé qu’un jour elle en ferait partie.
Elle secoua vivement la tête comme pour chasser de sa mémoire ce qui s'était passé trois ans auparavant. Si elle ne
voulait pas que ce souvenir resurgisse à son esprit, il fallait qu'elle change de sujet et vite.
- Et les hommes que tu côtoies, ils t'ont toujours aidée, soutenue... il doit bien y en avoir un auquel tu tiens.
- Oui !
- Qui est-ce ? Questionna Isabelle avec enthousiasme.
- Tom.
Isabelle soupira de lassitude.
- Tu es désespérante.
- Je te l'ai déjà dit et répété, c'est non, N-O-N ! Epela-t-elle.
- Elle a raison, nous n’avons pas besoin d’un homme pour survivre.
- Toi, Cindy, tu es le Don Juan au féminin. Personne ne te résiste…
L'image de Tony s'interposa malgré elle dans ses pensées. Cet homme, en si peu de temps, l'avait complètement
déroutée. Pourquoi pensait-elle à lui ? Il était si viril, si beau, si charmant, si...
- Elle rêve, entendit-elle soudainement.
- Ce n’est pas vrai, nia-t-elle.
- Pas à nous, nous te connaissons par coeur, dit Isabelle.
- Bon d'accord, je pensais à Tony. Y’a une part de mystère que je n’arrive pas à élucider. J’ai l’impression de le
connaître pourtant il m’est inconnu.
- Peut-être que c’est ton âme soeur et toi tu as fait l’idiote.
Christelle haussa des épaules.
- Arrête de dire des bêtises Isa... les filles, pour fêter l'événement, je vous invite demain soir à dîner. Marks est bien
sûr invité. Qu’en dites-vous ?
- Très bonne idée ! Mais il faudra coucher Magui, blagua Cindy.
Plusieurs visages souriant se retournèrent vers les trois jeunes femmes prisent par leur fou rire.
♦♦
7
Christelle pénétra chez elle. Elle rangea immédiatement ses clés dans son sac, de peur de ne plus les retrouver. Elle
retira ses chaussures à talons aiguilles car elle avait les pieds en compote. Après le déjeuner avec ses amies, elles avaient
flâné dans les magasins.
Elle déposa les paquets et son sac à main devant l’escalier au fond du couloir.
Elle se dirigea ensuite vers son répondeur dans le salon. Elle était dans l’attente d’une réponse pour sa future
carrière. Mais il n’y avait aucun message. Elle était si lasse d’attendre une réponse qui ne venait jamais.
Elle ramassa ses sacs et monta les escaliers. Elle ouvrit la deuxième porte à gauche du couloir et lâcha les sacs aux
pieds de son lit. Elle contourna celui-ci et entra dans la salle de bain.
Christelle jeta quelques pincées de sel de bain dans une baignoire et fit couler de l’eau pour se détendre. Le temps
de se déshabiller, la baignoire était à moitié remplie lorsqu’elle s’y glissa. En fermant les yeux, elle vit Tony. Cet homme
l’obsédait. Elle semblait l’avoir déjà vu ! Mais où ? Elle avait beau essayé de le chasser de son esprit en pensant à autre
chose mais chaque tentative la faisait irrévocablement dérivée sur cet homme. Qu’avait-il de si spécial ? Ses yeux
surtout ! Ses yeux l’obnubilaient.
Pourquoi était-il parti sans chercher à la revoir ? Il ne lui avait même pas demandée son numéro de téléphone.
N’était-ce pas normal lorsqu’un homme se retrouvait face à une femme qui avait un être imaginaire pour soeur ?
Son esprit vagabondait encore vers cette rencontre aussi inattendu que burlesque. Elle en riait encore et en rougissait
de honte. L’eau froide de son bain lui rappela qu’elle était restée trop longtemps dans sa baignoire.
Elle mit son peignoir et entra dans le salon sombre à cause des épais rideaux saumon qu'elle avait tirés le matin
même. En passant devant le téléphone, elle aperçut qu'il y avait deux messages.
Son coeur battait la chamade.
Elle appuya sur le bouton "message".
« Salut Chris ! C’est Ben ! Je ne dînerai pas à la maison ce soir, je reviendrai vers six heures du matin, ne m'attends
pas, Ciao ! ».
Elle eut un sourire en coin en entendant la voix de son frère.
Elle avait mis un point d’honneur avec lui afin qu’il l’avertisse de ses moindre sorties. Même si son frère avait la
tête sur les épaules à dix-sept ans, ses amis ne lui plaisaient guère.
Ensuite, elle perçut un message important.
« Bonjours Chris, c'est Tom, je veux te voir demain matin vers huit heures pour un test ».
Elle relâcha sa respiration et desserra les points.
Tout vient à point à qui sait attendre. Oui, cela faisait des jours qu'elle attendait. Enfin, demain ce serait du sérieux.
Elle ferait tout son possible pour qu'on l'accepte. Mais si c'était le contraire, qu'allait-elle faire ? Elle n'en savait encore
rien.
Après avoir avalé un sandwich, elle se coucha pour être en forme le lendemain. Il fallait être en pleine possession de
ses moyens physiques pour être la meilleure.
Avant de sombrer dans un profond sommeil, le visage d'Anthony apparut