chapitre 9
The Tattler — Samedi 23 novembre
Les potins de Mary Lynn
Un gros poisson dans les filets de Kit
Rappelez-vous, cher lecteur, nous vous en parlions dans ces colonnes hier. Deux jours seulement après avoir agressé son fiancé, Blaine Rourke, à grand renfort de béarnaise, la belle Kit O’Brien était surprise embrassant à pleine bouche le sublime Joshua Parker. Notre riche héritière n’en est cependant pas restée là et l’on sait qu’elle a passé la nuit dans la cabine du créateur de la célèbre série télé. Tous les fans embarqués à bord de l’
IslandVoyager suivent avec passion l’idylle du couple qui, après une brève apparition à la soirée de fête de La dernière frontière, s’est discrètement éclipsé pour ne plus réapparaître. Hmm. Un nouvel amant, un nouveau poisson dans les filets de Kit. Mais que va donc penser papa ?
Il ne pouvait pas le croire. Non, il ne pouvait pas croire qu’elle ait osé faire ça. Dégoûté, Michael O’Brien laissa tomber le Tattler. Il se serait bien passé, en ce samedi matin de voir placardée à la une la photo de sa fille embrassant Joshua Parker. Sans parler de ce ramassis d’inepties signé Mary Lynn.
— Mais qu’ai-je fait pour mériter ça ? se lamenta-t?il, attirant l’attention de son fils.
— Que dites-vous, père ? s’enquit Cameron, qui s’était joint à lui pour le petit déjeuner.
— Le journal que tu m’as apporté. Oui, je me demande ce que j’ai fait pour mériter cela. Carlton va en faire une attaque, affirma Michael en songeant à son meilleur ami, le père de Blaine. Kit m’avait promis de ne plus fréquenter ce garçon. Et aujourd’hui, elle me nargue !
— Mais non, tu te fais des idées, lança Blaine, manifestement peu concerné.
— Tu ne te rends pas compte de la gravité de la situation, mon fils.
— C’est juste, admit Cameron en riant. Mais qu’y puis-je, moi, si je suis d’un naturel optimiste ? Pourquoi ne vois-tu pas le bon côté des choses, père ? Elle est peut-être amoureuse de ce garçon. Et comme il semble que ce soit un parti intéressant… Tout cela pourrait finir par un mariage, qui sait ?
Cameron se tut et observa son père, que cette idée plongeait manifestement dans la perplexité.
— Pas question ! s’exclama soudain Michael O’Brien. Kit me fait un caprice, voilà tout. Oui, elle me provoque. Dès son retour, elle aura de mes nouvelles !
— Bien sûr, répondit Cameron, satisfait.
Pour une fois que son père paraissait préoccupé par autre chose que l’obsession de caser son fils…
— Comme c’est excitant ! s’exclama Paula.
Derrière ses lunettes de soleil, Kit fronça les sourcils, tendue, alors qu’elle faisait la queue pour embarquer à bord du ferry qui devait acheminer les passagers vers la petite île.
— Tu te rends compte ? reprit Paula. J’ai gagné ! Moi ! Je vais pouvoir déjeuner avec les acteurs. Quelle chance !
Kit hocha la tête, lointaine. La seule chance qu’elle avait eu pour sa part était que ses co-locataires endormies ne l’aient pas entendue rentrer à l’aube. Par la suite, aucune ne s’était avisée de la questionner sur sa soirée. En revanche, si cela n’avait tenu qu’à elle, elle serait volontiers restée à bord de l’Island Voyager. Pour une visite à l’institut de beauté ou une séance thalasso, peut-être, ou même une heure d’haltères. Quelque chose qui lui occuperait l’esprit et l’empêcherait de courir le rejoindre. Joshua.
La journée était ensoleillée et les jeunes femmes décidèrent de s’asseoir sur les sièges du pont supérieur. Kit apercevait la petite île au loin. Enfin, le ferry s’ébranla et commença la courte traversée sur les eaux coralliennes.
— Quelle heure est-il ? demanda Paula.
— Bientôt 9 heures, répondit Becca. A quelle heure est ton déjeuner ?
— 12 h 15, au restaurant de la plage, dit Paula tout en consultant une carte de l’île qu’elles s’apprêtaient à accoster.
Kit cessa d’écouter ses camarades. Et Joshua, était-il déjà arrivé sur l’île ? ne cessait-elle de s’interroger. Lorsque le ferry s’apprêta à les débarquer, elle fut tirée de ses pensées par le décor qui s’offrait à elle. Le village consistait en une série de bâtiments façon huttes dans l’esprit de Robinson Crusoé. Quelques boutiques de souvenirs proposaient des articles divers et des produits artisanaux. Un espace en plein air avait été aménagé en piste de danse et en restaurant. On proposait également aux visiteurs des sorties en mer ou, plus simplement, ceux-ci pouvaient se promener dans l’île pour découvrir sa faune et sa flore.
— Tiens, voilà ton restaurant, dit Georgia en indiquant l’espace de plein air.
— C’est adorable ! s’exclama Paula.
— Oh oui, renchérit Becca. On se baigne ?
— J’ai encore un peu de temps devant moi. Allons voir la plage ! répondit Paula.
Kit emboîta le pas à ses co-locataires. La plage était superbe. Au pied d’une végétation tropicale luxuriante, des parasols bleus ponctuaient le sable blanc à perte de vue. Certains passagers n’avaient pas attendu pour se baigner, d’autres avaient entamé une partie de beach volley.
Comme l’heure de son rendez-vous allait bientôt sonner, Paula rebroussa chemin en direction du village, accompagnée de Georgia. Becca se tourna alors vers Kit :
— Tu veux jouer au volley ?
Derrière ses lunettes de soleil, Kit observa attentivement la plage avant de répondre :
— Oh non. Pourquoi ne rejoins-tu pas Georgia ? Je crois que je vais m’installer sous un parasol avec un bouquin.
— Tu es sûre ?
— Certaine. Va rejoindre les autres.
— D’accord.
Becca ne se fit pas prier et disparut aussitôt. Kit parcourut la plage en quête d’un coin de parasol isolé. Ayant enfin trouvé son bonheur, elle étala sa serviette et s’allongea, avant de sortir de son cabas le roman qu’elle avait emporté avec elle.
— Pourquoi ma vie est-elle si compliquée ? s’interrogea-t?elle à voix haute. Pourquoi est-ce que je ne peux pas dire simplement : Joshua, je ne ressemble pas à Marilyn Roth. Vous comptez énormément pour moi, mais pour que mon père accepte de me considérer comme une journaliste digne de ce nom, j’avais absolument besoin de vous interviewer. Aujourd’hui, j’ai changé d’avis. Aujourd’hui, je n’ai qu’une envie, c’est vous… Bah, jamais il ne me croira, marmonna-t?elle. Non, je ne peux pas lui parler ainsi.
En soupirant, elle roula sur le ventre, planta ses orteils dans le sable et se plongea dans son roman, ignorant les allées et venues des touristes. Un peu plus tard dans l’après-midi, elle s’assoupit. En s’éveillant, elle constata avec soulagement que son écran total avait fonctionné. Pas de coups de soleil, aucune rougeur. Attrapant le drap de bain, elle décida de marcher un peu sur la plage. Elle parvint bientôt au niveau de la dernière cabine, en réalité une toile de tente rayée de vert et de blanc, qui se révéla vide. Elle résolut de s’y abriter du soleil, qui devenait de plus en plus virulent. Laissant tomber son drap de bain sur le sable, elle s’installa confortablement et reprit sa lecture avec un soupir.
L’attention de Joshua fut attirée par une silhouette qui marchait un peu plus loin, le long de la plage. Tout de suite, il sut qu’il s’agissait de Kit. Un bref instant, il espéra qu’elle allait venir le rejoindre, mais il se raisonna. Elle n’en ferait rien. Et il devrait ronger son frein.
Kit l’obsédait. Il ne se passait pas une minute sans qu’il pensât à elle. Elle n’attendait rien de lui, ne voulait rien de lui que lui. C’était proprement miraculeux. Toute sa vie il avait espéré rencontrer une femme comme elle. Oui, il l’avait bel et bien dans la peau.
— Vous comptez me fuir ainsi jusqu’à la fin de la croisière ?
La voix familière de Joshua la fit sursauter. Levant la tête, elle l’aperçut sur le seuil de la tente. Kit se sentit fondre sous son regard souriant.
— Je vous ai aperçue et me voilà ! dit-il en s’asseyant à ses pieds. Electrisée, Kit faillit bondir à son contact.
— Vous me manquez depuis l’aube, chuchota-t?il en rampant vers elle.
— Je…
Elle n’alla pas plus loin : Joshua avait pris son visage entre ses mains.
— Chut, l’interrompit-il en approchant sa bouche. Je crois comprendre pourquoi vous avez fui, reprit-il. N’empêche que je me suis senti bien seul sous la douche.
Ses lèvres n’étaient plus qu’à un centimètre de celles, avides et tremblantes, de Kit. Enfin, il l’embrassa avec fièvre et contre lui, le corps féminin se tendit.
En soupirant, abandonnée entre ses bras, la jeune femme tressaillit soudain à l’idée que Joshua découvrirait bientôt son secret. Sitôt qu’il connaîtrait les raisons de sa présence sur l’Island Voyager, il ne lui adresserait même plus la parole. Oh non, elle avait trop envie de lui pour lui avouer la vérité. Il devait tout ignorer. Toujours.
Elle l’embrassa avec plus d’ardeur et Joshua répondit avec la même fougue. Lorsqu’il finit par s’écarter, le souffle court, il la regarda dans les yeux.
— L’endroit me semble un peu trop fréquenté pour aller plus loin, chuchota-t?il, visiblement frustré, en lui caressant le bras.
Sans la quitter du regard, il passa l’index sur les lèvres de Kit, qui embrassa son doigt et commença à le mordiller doucement, avec sensualité.
— Et alors ? rétorqua-t?elle, provocante, le corps brûlant de désir. Pourquoi ne rabattez-vous pas les pans de cette tente ?
— Vous êtes la tentation incarnée, Kit, commenta Joshua en l’embrassant sur le bout du nez. Oui, j’ai fait de vous une femme corrompue. Ah, où est passée la jeune femme pure et innocente d’hier soir ?
— J’adore être corrompue. Surtout par vous, chuchota-t?elle en l’enlaçant.
— Kit, allons ! fit-il mine de la sermonner. Soyez sage, je vous en prie…
— Aussi sage qu’un ange, assura-t?elle en se pressant contre lui, démoniaque.
Joshua recula avec un grognement et se releva. Kit l’observait, la fièvre au corps. Elle avait envie de lui. Maintenant. Envers et contre tout. Dans le secret de cette tente, sur cette plage. Elle se leva à son tour.
— Joshua, gémit-elle en venant se placer contre son dos.
— Oui, murmura-t?il en la prenant entre ses bras. Est-ce vraiment ce que vous voulez ?
— Oh oui…
Elle tressaillit lorsqu’il glissa les mains sous son chemisier. Dégrafant prestement le soutien-gorge, il commença à lui caresser les seins, qu’elle sentit se dresser au contact de ses doigts. Elle se cambra et Joshua prit ses lèvres.
Avec des gestes fébriles, il l’aida ensuite à retirer son chemisier. Il referma aussitôt la bouche sur le sein droit, puis s’attarda sur le gauche, caressant et sauvage à la fois. Elle se retint de crier, attentive aux ondes de plaisir qui l’envahissaient. Haletant, Joshua murmura son nom à plusieurs reprises, puis sa main descendit jusqu’aux reins de la jeune femme, faisant sauter le bouton du bermuda au passage. Kit se raidit lorsque les doigts de Joshua la pénétrèrent. Elle s’abandonna à cette caresse, goûtant chaque instant du plaisir qu’il lui donnait tandis que, de son autre main, il recouvrait sa bouche pour étouffer les cris qu’elle ne pouvait plus réprimer.
N’y tenant plus, elle l’attira et tomba avec lui sur le drap de bain. Leurs deux corps étaient aussi impatients et avides l’un que l’autre. En quelques gestes maladroits, Joshua retira son pantalon et s’allongea sur elle pour la pénétrer aussitôt, de toute la puissance de son désir, du plus profond de son être. Kit fut tout de suite agitée des spasmes de la jouissance. Elle connut ainsi, sous cette tente, sur cette île perdue au beau milieu de l’océan, une extase dont elle n’eût jamais soupçonné l’existence.
Quelques instants plus tard, enlacés, repus et harassés, ils se regardèrent, comme les premiers amants du premier jour du monde, inconscients du va-et-vient des touristes devant la tente. Puis Joshua se leva et se rhabilla devant elle, qui ne perdit pas un de ses gestes, fascinée par la puissance de ce corps.
— Vous êtes seule fautive de ce qui vient d’arriver, dit-il en revenant s’asseoir auprès d’elle. Mais je ne regrette rien. Je suis bien avec vous, Kit.
Oui, réalisa-t?elle, elle était seule responsable d’avoir pris le risque inouï de faire l’amour dans un lieu public, tout juste protégée par la toile d’une tente. Un risque qu’elle n’aurait jamais pris auparavant. Elle qui n’avait jamais fait l’amour que dans un lit — et avec Joshua — avait su séduire un homme, le pousser à bout de désir, là, sur le sable.
— Il faut que je vous parle, mais je n’ai plus le temps. Je dois rejoindre Bill. Je crois qu’il est préférable pour votre réputation que je sorte de cette tente le premier. Je ne vais pas cesser de penser à vous, Kit.
— Oui…, se *******a-t?elle de répondre.
— Un peu plus tard, vous pourrez me retrouver au bungalow principal. En tout cas, j’exige de dîner avec vous. Rendez-vous dans ma cabine, à 17 heures. Nous parlerons. Je dois vous dire certaines choses, absolument. D’accord ?
Kit opina, sa sérénité soudain entachée par une vague inquiétude. Quelles étaient ces « choses » que Joshua tenait tant à lui confier ?
— D’accord, acquiesça-t?elle. Rendez-vous à 17 heures.
Elle tendit les lèvres pour un dernier baiser, qu’il lui accorda. Instantanément, elle sentit le désir s’emparer de nouveau d’elle. Elle chercha alors à forcer Joshua à se rapprocher. En vain.
— Non, Kit…
Il la contempla avec intensité et un instant, elle crut qu’il allait changer d’avis. Il n’en fit rien toutefois. Au contraire, il se leva et s’éloigna, l’abandonnant dans la tente, seule avec son désespoir. A quel moment était-elle tombée amoureuse de lui ? se demanda-t?elle, au bord des larmes. Comment s’était-elle débrouillée pour se mettre dans une telle situation ? Ils n’avaient aucun avenir ensemble. Lui cherchait une existence sereine et proche de la nature, elle voulait conquérir la presse. Et puis, il y avait son père. Comment réagirait-il si elle lui présentait Joshua ?
De retour sur le paquebot, Kit parvenait tout juste à sa cabine lorsqu’elle entendit le téléphone sonner.
— J’arrive, pesta-t?elle en bataillant avec sa carte pour débloquer la serrure, redoutant par-dessus tout de manquer un appel de Joshua.
Une fois à l’intérieur, elle se précipita sur le combiné, le cœur battant.
— Joshua ?
— Absolument pas, Katherine Eleanor. J’ai essayé de te joindre toute la journée !
— Bonjour, père.
Déçue, Kit se laissa tomber sur un siège et attendit le début du sermon.
— Alors, lança la grosse voix masculine, comment se déroule cette interview ? Tu arrives à prendre quelques notes, entre deux baisers ?
— Père, protesta Kit sans plus de conviction, je vous en prie.
— Tu me pries de quoi, Katherine Eleanor ? ! s’exclama Michael O’Brien à l’autre bout du fil. Tu es incorrigible. Il faut toujours que tu te fasses remarquer. Je frémis rien qu’à penser à ta mère si, de là-haut, elle a lu le Tattler de ce matin. Faut-il que tu détestes Blaine pour agir ainsi…
— Je ne déteste pas Blaine, père, protesta Kit, sincère.
Elle avait toujours considéré le jeune homme comme un frère, et comment cela pourrait-il changer, maintenant qu’elle avait rencontré Joshua ?
— Alors, fais tes valises et rentre !
— Non !
— Je me moque de cette interview, Katherine. De toutes manières, j’interdirai sa publication. Fais tes valises. Nous terminerons cette discussion une fois que tu seras rentrée.
Qu’est-ce qui comptait le plus pour son père : la réputation de sa fille ou la sienne, irréprochable ?
— Je ne rentrerai pas, père. Pas avant demain. Le vol de retour est prévu à 10 heures du matin.
Elle écarta vivement le combiné de son oreille, prête à entendre son père laisser exploser sa rage. Il n’en fit rien.
— Katherine, dit-il d’une voix sourde, j’exige que tu rentres à New York tout de suite. Quitte immédiatement ce bateau. Tu m’entends ? Immédiatement !
Il était clair qu’il était à bout. Kit laissa le silence s’installer, indécise, puis résolut soudain de ne pas céder à l’autorité.
— Cela m’est impossible, père, finit-elle par répondre. Nous nous trouvons sur une île et aucun vol pour New York n’est prévu aujourd’hui. Nous nous verrons donc demain, d’accord ?
— Non, pas d’accord ! Je suis parfaitement au courant. Oui, je sais que tu sors avec ce… avec ce type que tu dois interviewer.
— Je ne l’interviewe pas.
Elle avait dit cela sans réfléchir, mais une fois les mots sortis de sa bouche, elle comprit qu’il y avait quelque chose d’irréversible dans ces paroles. Non, elle ne ferait pas l’interview de Joshua, elle ne se servirait pas de lui pour gagner l’estime de son père. Elle ne tromperait pas la confiance de Joshua, et tant pis si elle devait pour cela prendre des décisions qui lui brisaient le cœur. Au moins, elle conserverait sa dignité. Elle n’était pas Marilyn Roth, mais Kit O’Brien.
— Ecoutez, père, je ne rédigerai pas cet article, soyez tranquille sur ce point. Pour tout dire, votre menace de ne pas le publier n’y change pas grand-chose. Au contraire, je devrais même vous remercier de me rendre les choses plus faciles. Je peux ainsi fréquenter Joshua sans duplicité et n’avoir besoin de lui que pour lui-même.
Elle entendit son père s’étouffer à l’autre bout du fil. Michael O’Brien devrait désormais respecter la femme en elle, une femme libre, apte à faire ses choix.
— Et puis, père, en quoi le fait que je sorte avec lui vous regarde-t?il ? Je suis très attachée à lui. Vous semblez oublier que je viens d’avoir 28 ans.
— Katherine Eléanor ! rugit la voix masculine. Ce que tu dis là est inacceptable ! Tu dois rentrer et arranger les choses avec Blaine ! Il s’est montré patient et tu sais que ta mère a toujours souhaité vous voir mariés, tous les deux. Je dirai à Blaine que nous l’attendons pour le dîner, vous pourrez ainsi vous réconcilier. C’est un excellent parti pour toi, Kit. Et je veux que…
Kit pressa au hasard un bouton sur le combiné et aussitôt une tonalité retentit.
— Père, j’ai quelqu’un d’autre en ligne, mentit-elle. Je vous adore ! A demain !
Puis elle raccrocha sans laisser à son interlocuteur la possibilité de rajouter le moindre mot.
Une fois calmée, elle se laissa tomber sur son lit et se massa délicatement les tempes. Parfait. Son père prévoyait un dîner en compagnie de Blaine dès demain. Satané Blaine, qui persistait à vouloir l’épouser ! Pourquoi ? Pour réunir les noms de deux familles comptant parmi les plus influentes de l’Etat ! Eh bien, elle profiterait de ce dîner pour mettre les choses au clair. Si un jour elle se mariait, ce serait par amour.
Un instant, elle s’imagina entrer dans la cathédrale Saint-Jean, où un homme la regardait s’avancer vers l’autel. Joshua. Haussant les épaules, elle rit et s’assit sur le lit. Cesse de rêver ! s’ordonna-t?elle. Elle avait une foule de choses à faire et, entre autres, devait penser à préparer ses valises pour le lendemain.
Moins de deux minutes plus tard, elle s’arrêtait devant la cabine 9134 et frappait doucement à la porte, qui s’ouvrit instantanément.
Il n’arrivait pas à le croire. Il l’avait attendue, nerveux, faisant les cent pas dans sa suite comme un jeune adolescent avant son premier rendez-vous. Sans pouvoir penser à rien d’autre qu’à elle. N’espérant rien d’autre qu’elle, surtout ce soir, leur dernière nuit sur ce bateau.
— Juste à l’heure ! Entrez, dit Joshua en tenant la porte.
Kit pénétra dans la cabine. Un superbe bouquet de roses trônait sur la table.
— C’est pour vous, expliqua-t?il.
— Pour moi ? s’exclama-t?elle, surprise. Comment vous êtes-vous débrouillé pour avoir des roses ?
— Si vous saviez tout ce que je peux faire ! répondit-il, le cœur battant, heureux de la voir touchée par cette attention. J’ai commandé un dîner pour 19 heures. J’ai pensé que cela nous laisserait le temps de discuter.
— D’accord, opina Kit en venant vers lui comme si elle voulait l’embrasser.
Joshua lui sourit, mais l’évita, résolu à ne pas céder à son invite.
— Non, dit-il, pas encore. J’ai établi tout un programme pour la soirée. Laissez-vous guider et faites-moi confiance.
— Je vous fais confiance, répliqua-t?elle, l’air néanmoins intrigué. Je sais que vous ne me ferez jamais de mal intentionnellement.
Joshua sentit sa gorge se serrer. Elle semblait si sincère, si innocente, si dénuée de tout esprit pervers ou manipulateur. Oui, elle lui faisait confiance. Ces paroles retentirent dans sa tête comme le plus précieux des cadeaux. Et il se jura bien de ne jamais la décevoir. D’essayer, en tout cas.
Malgré tout, ils restaient si différents l’un de l’autre, aussi incompatibles que l’eau et le feu.
Le cœur serré, il s’approcha d’elle à son tour et la prit dans ses bras. Kit l’enlaça et chercha fébrilement sa bouche. Il lui donna un baiser ardent, plein de désir. De ce désir inextinguible qui l’habitait depuis leur première rencontre.
Elle ne cessait de le hanter et à la vérité, il se surprenait maintenant à penser à elle comme la femme de ses rêves, celle qu’il attendait depuis toujours. Amoureux, lui ? Si vite ? Et pourquoi pas ? Son demi-frère, Mark, avait un jour rencontré une femme, qu’il avait épousée dès le lendemain. Donna et lui étaient mariés depuis dix ans. Mark racontait toujours qu’en apercevant Donna pour la première fois, il avait eu l’impression de recevoir une flèche en plein cœur.
Joshua restait cependant sur ses gardes. Bien sûr, il avait encore envie et besoin de Kit. Le feu ne s’était pas consumé entre eux et il la désirait toujours autant. Il couvrit de baisers son cou tandis qu’elle glissait une main dans ses cheveux et l’autre sous son T-shirt.
A cet instant, il sentit sa décision de parler avec elle s’évanouir. Après tout, cette conversation pouvait attendre. Le désir, non. Avec un grognement, il la souleva du sol et l’emporta jusqu’au lit.
Plus tard, Kit souriait aux anges en repensant au parfum musqué du corps puissant sous ses lèvres. Sans tabou ni pudeur, elle avait aimé chaque centimètre de sa peau, goûté les secrets de cet homme, qui lui révélait des plaisirs chaque fois plus intenses. Il dormait paisiblement à présent et elle se blottit contre lui, fascinée par le battement régulier de son cœur. Sereine, comblée, elle s’assoupit à son tour.
Il s’éveilla en sursaut lorsque le téléphone sonna. S’emparant du combiné, il grommela un oui lorsque le steward l’avertit que le dîner arrivait, puis bondit hors du lit, se rhabilla promptement et sourit en observant Kit encore engourdie de sommeil.
Attendri, il la regarda s’étirer tel un chat. Oui, elle était fabuleusement sensuelle. Il lui semblait qu’il ne pourrait jamais se rassasier d’elle. Sentant son désir s’enflammer, il se sermonna et tenta de reboutonner sa chemise sans trembler.
Un coup discret frappé à la porte vint heureusement distraire son attention.
— Le garçon ! lança-t?il à Kit.
— Attendez ! s’exclama celle-ci en s’enveloppant du drap. Je dois m’habiller. Sinon, nous ne passerons jamais à table.
Elle attrapa ses vêtements et fila dans la salle de bains alors que le garçon frappait de nouveau à la porte.
Déjà Joshua avait pris place à la petite table lorsqu’elle vint le rejoindre.
— Hmm, ça a l’air bon, s’exclama-t?elle en s’asseyant face à lui.
Ce fut un moment d’intimité et de complicité comme il n’en avait jamais vécu. Il brûlait pour cette femme — sa femme, se corrigea-t?il mentalement — d’une passion qui, au lieu de s’essouffler, semblait grandir de minute en minute.
Ils parlèrent de choses et d’autres, Joshua ne cessant d’interrompre le repas par des caresses et des baisers. Jusqu’à ce que Kit le sermonne gentiment :
— Je dois absolument me nourrir, sinon, je risque de manquer de forces.
Il décida de se montrer sage quelques minutes au moins, ne pouvant malgré tout s’empêcher de la dévorer des yeux. Il avait envie d’elle. Et ils auraient toute la nuit pour faire l’amour. Mais le sexe était une chose. Il voulait également profiter de ces dernières heures ensemble pour apprendre à connaître la véritable Kit O’Brien.
La nuit commençait à tomber quand ils se retirèrent sur la terrasse. L’Island Voyager, toutes voiles dehors, voguait en direction de Miami.
— J’ai une proposition à vous faire, commença alors Joshua, redoutant la réaction de Kit.
Il refusait d’interrompre ici leur relation. Quelque chose était passé entre eux, quelque chose d’inestimable qu’il ne pouvait se résoudre à laisser filer. Pour la première fois de sa vie, il se prenait à espérer.
— Je suis tout ouïe, répondit Kit avec un sourire.
Elle lui faisait confiance. N’était-ce pas merveilleux ? Car cette confiance était réciproque et c’était la raison pour laquelle il s’apprêtait à lui faire une proposition qu’il n’avait jamais faite à aucune autre.
— Je dispose encore de quelques jours avant de devoir retourner à New York, reprit-il. Si vous êtes libre, ce que j’espère, j’aimerais que vous m’accompagniez dans la région des lacs. Je voudrais vous faire découvrir ma ferme.
— Moi ? s’exclama Kit en manquant s’étouffer.
— Vous, répondit-il en souriant. Je n’ai jamais invité personne là-bas, Kit. Bien sûr, vous êtes libre de décider. Mais je refuse que nous nous séparions comme ça après ce que nous avons vécu ensemble. Oui, allons passer quelques jours dans ma ferme avant de rentrer à New York et de retrouver nos obligations.
Voilà. C’était dit. Pourquoi se sentait-il si nerveux ? Il avait l’habitude d’être rejeté, son père l’y avait habitué. Kit n’attendait rien de lui, elle avait tout ce que l’on pouvait souhaiter. Comme il guettait sa réponse, il lui sembla que le temps était suspendu.
— Cette idée me plaît. Oui, je serais heureuse de vous accompagner, murmura-t?elle enfin en lui prenant la main.
En un instant, l’appréhension mêlée de tension qui pesait sur les épaules de Joshua s’évanouit.
— Formidable ! s’exclama-t?il, balayant d’un rire la sourde angoisse qui pesait sur sa poitrine.
Kit fourra ses dernières affaires dans sa valise. Elle allait passer le reste de la nuit avec Joshua, dans sa suite. Et demain, demain, elle partirait avec lui pour la région des grands lacs.
S’était-elle jamais sentie aussi heureuse, aussi pleine d’espoir ? Non. Oh, elle ne savait pas si elle l’aimait et si lui l’aimait, mais elle était certaine qu’ils ressentaient au moins quelque chose l’un pour l’autre. Jamais il ne lui aurait proposé de l’emmener chez lui s’il n’avait rien éprouvé pour elle.
Le regard de Kit s’arrêta soudain sur l’enveloppe express qu’elle avait abandonnée dans sa valise. Mon Dieu, qu’allait-elle pouvoir en faire ? L’abandonner dans la poubelle de la cabine ? Certainement pas. N’importe qui pourrait en effet exploiter son contenu. D’autant qu’avec Marilyn Roth dans les parages, on pouvait craindre le pire. Mieux valait emporter le tout et attendre l’occasion de s’en débarrasser.
Enfouissant l’enveloppe sous ses vêtements, elle ferma la valise. Oui, elle trouverait le moyen de ranger l’enveloppe en lieu sûr. Joshua n’avait pas besoin d’apprendre qu’elle devait à l’origine l’interviewer.
Pour une fois, elle se tairait, mentirait par omission, se dit-elle en pensant à son père qui, maintes fois, l’avait sermonnée en lui reprochant de ne pas savoir tenir sa langue. Comme on frappait à la porte, elle courut ouvrir. Joshua lui sourit.
— Prête ? demanda-t?il en prenant la valise.
Il se pencha pour déposer un baiser sur le bout de son nez.
— Bien sûr.
chapitre 10
The Tattler — Dimanche 24 novembre
Les potins de Mary Lynn
Le dernier défi de Kit
Je ne le croirais pas si je ne l’avais vu de mes propres yeux ! Au lieu de rentrer comme prévu dans le somptueux appartement new-yorkais qu’elle partage avec son père, Kit O’Brien a préféré s’envoler au bras de Joshua Parker. Le steward de l’
Island Voyager a pu me confirmer que la jeune héritière avait passé la nuit dans la suite du fougueux scénariste et j’ai d’ailleurs aperçu moi-même les deux tourtereaux main dans la main et échangeant de tendres baisers, tandis qu’ils attendaient leur taxi pour l’aéroport. J’ai ensuite découvert que notre adorable Kit avait pris un billet pour un coin perdu de la région des grands lacs, là même où Joshua possède une propriété. Je ne crois pas trop m’avancer si j’en déduis que ces deux-là ont la ferme intention de poursuivre la liaison entamée au début de la croisière de La dernière frontière. Je verse une larme en pensant à ce pauvre Blaine Rourke ! Et je m’interroge sur la réaction de Michael O’Brien…
*
* *
Lorsque le dimanche soir, Joshua engagea la Chevrolet dans l’allée, Kit, le nez collé à la vitre, tentait de distinguer la bâtisse derrière le rideau de neige fine qui tombait depuis une heure, tapissant le paysage d’un voile blanc.
Instantanément, elle sut qu’elle aimerait ce lieu sauvage et s’imagina même vivre ici le restant de ses jours.
— C’est magnifique, murmura-t?elle en admirant la bâtisse principale, blanchie à la chaux, et les annexes en briques rouges. Tout cela vous appartient ?
— Nous sommes sur ma propriété depuis plus de dix minutes déjà, répondit Joshua en garant la Chevrolet devant un immense porche.
— Je dois vous prévenir, continua-t?il en sortant de la voiture, certaines pièces sont encore en rénovation. Mais la plupart sont habitables.
— Oh, j’en suis certaine, dit-elle en descendant à son tour de voiture.
Elle était impatiente de découvrir les lieux. Kit réalisait qu’en lui ouvrant les portes de la ferme, Joshua avait suffisamment confiance en elle pour lui révéler son jardin secret.
Elle le suivit tandis qu’il ouvrait la marche dans l’allée qui menait à une lourde porte de chêne. Elle pénétra à sa suite dans la maison et fut aussitôt séduite par l’aspect grandiose de la demeure. Une voûte immense soutenue par de puissantes colonnes surmontait tout le rez-de-chaussée et une cheminée en pierre brute se dressait avec majesté dans le salon, où Joshua l’invita à s’asseoir.
— Je vous ferai visiter une fois que je me serai occupé de nos bagages, lui dit-il. Mais d’abord, je vais allumer un feu.
Quelques heures plus tard, ils étaient toujours assis là, au pied de la cheminée, en train de savourer un verre de cidre.
— Les pommes viennent de mon verger, dit Joshua. S’il fait beau demain, je vous montrerai mes terres.
— Je suis fascinée par la beauté du paysage, lança Kit, le regard perdu au-delà de la baie vitrée sur les collines avoisinantes. On voit à des kilomètres à la ronde. C’est étonnant pour quelqu’un comme moi, habitué à un environnement clos de béton et d’acier.
— C’est malgré tout chez vous.
— Je ne sais pas, répondit-elle en se lovant entre les bras de Joshua, rêveuse. Ici, j’ai le sentiment d’un foyer chaleureux et accueillant. Et je m’aperçois tout à coup qu’à New York, je ne me suis jamais sentie complètement chez moi. Je regrette souvent la douceur de vivre de notre maison de Long Island, au temps où maman était encore parmi nous, soupira-t?elle, nostalgique.
— J’espère voir un jour cette maison, murmura Joshua en la serrant contre lui.
Quel moment merveilleux ils partageaient, assis là simplement, tendrement, à bavarder. Kit ne se souvenait pas avoir vécu instants si sereins. Oh oui, comprit?elle, elle s’adapterait sans aucun problème à ce mode de vie, saurait se passer des soirées de gala, de la presse mondaine… Elle ferma les yeux, paisible, sentant sur son visage la chaleur réconfortante de la flambée. Ici, la nature était reine et les artifices bannis. Quel endroit charmant et magique ! Un endroit où elle pourrait passer sa vie, toute sa vie.
Elle s’étira et bâilla, emplie d’un sentiment de plénitude et confiante en l’avenir.
— Oh, s’esclaffa Joshua, je crois qu’il est temps de vous reposer. Laissez-moi vous conduire dans la chambre. Attention, pour dormir, la prévint-il en agitant son index sous le nez de la jeune femme. Oui, je veux simplement dormir contre vous.
Il l’enlaça et l’emporta dans ses bras jusqu’à l’étage, dans une chambre immense. Là, il la déposa sur un vaste lit douillet, que recouvrait une couette épaisse sur laquelle Kit eut l’agréable sensation de flotter.
Joshua alluma un feu dans la cheminée, puis, dans un demi-sommeil, Kit sentit vaguement qu’il se glissait contre elle et l’enlaçait de ses bras avant de sombrer dans un sommeil profond.
— J’ai dormi tout habillée !
— Trop de fatigue, répondit Joshua avec un sourire, alors que les premiers rayons du soleil matinal inondaient la chambre.
Kit lui rendit son sourire et lui caressa la joue. Soudain, elle l’observa et fronça les sourcils.
— Vous vous êtes changé, l’accusa-t?elle en réalisant qu’il portait des vêtements différents de ceux de la veille.
— Et je suis même sorti, renchérit-il, rieur. J’ai un certain nombre de choses à régler. Ensuite, nous irons en ville vous acheter des vêtements chauds.
— A vos ordres !
Kit le regarda sortir de la pièce et s’assit confortablement sur le lit, la tête contre l’oreiller. A l’image du reste de la maison, la chambre était meublée de meubles anciens. Les rideaux étaient tirés et elle bondit hors du lit pour les ouvrir. La baie vitrée donnait sur des vergers qui s’étiraient à perte de vue. Regardant en contrebas, elle aperçut Joshua en pleine discussion avec un homme, certainement Greg, présuma-t?elle. Joshua et l’inconnu portaient d’épais anoraks qui les faisaient ressembler à de sauvages et rudes bûcherons.
Un moment plus tard, Greg s’éloigna au volant de son pick-up, tandis que Joshua se dirigeait vers l’une des écuries. Kit pensa brusquement qu’elle aurait volontiers rédigé les réflexions que lui inspirait ce lieu. Voilà plusieurs jours déjà qu’elle négligeait son journal intime. Plus exactement, depuis qu’elle avait décidé de ne pas procéder à l’interview. Bah, peut-être consacrerait-elle quelques minutes à son cher journal après une bonne douche brûlante, se dit-elle.
Jamais elle n’avait connu journée aussi idyllique. Joshua l’amena en ville et elle s’acheta des vêtements chauds, une paire de bottes et un anorak. Puis il lui fit faire le tour du domaine et l’entraîna même dans l’une des écuries pour lui montrer le poulain né trois nuits auparavant.
— La ferme me procure un sens des responsabilités qui me faisait défaut jusqu’alors. La nature est un perpétuel défi. Oui, j’ai le sentiment de gagner en maturité ici, se confia Joshua en pénétrant dans la demeure par une porte de service.
— Je vous crois, répondit Kit en retirant ses bottes maculées de neige.
Joshua pressa l’interrupteur du salon. Il était 17 heures à peine et déjà le soleil avait disparu, alors que l’arrivée de nuages annonçait l’imminence de nouvelles chutes de neige.
Joshua roula sur le lit en s’étirant, tandis que dehors, la neige tombait sans discontinuer.
— D’où vient cette cicatrice ? demanda soudain Kit en caressant une balafre creusée dans le bas de son dos.
— Oh, c’est une longue histoire, bougonna-t?il en se renfrognant.
Mais sa mauvaise humeur fut de courte durée. Après tout, il était avec Kit. Kit en laquelle il avait toute confiance. Il l’avait amenée ici, dans sa ferme, et elle semblait fabuleusement heureuse de se trouver loin de New York, de ses soirées chic et de ses cocktails. Avec lui. Oui, il pouvait lui faire confiance.
— Une longue histoire, répéta-t?il alors qu’elle l’interrogeait du regard. Qui commence par une leçon.
— Vraiment ? dit-elle, l’air intrigué.
— Cela concerne mon père, répondit Joshua en déposant un baiser sur le bout de son nez.
— Oh, répondit Kit en baissant les yeux, cela ne me regarde certainement pas.
— Mais si ! Vous savez, Kit, c’est moi qui suis responsable de l’échec politique de mon père. Mes bêtises d’enfant gâté ont ruiné sa carrière. Depuis, mon père a rompu tout contact avec moi et il refuse de me voir.
— Oh, Joshua…, soupira Kit, horrifiée.
— Oui. Par la suite, les articles de la presse à sensation relatant certains de mes exploits ont de nouveau mis un terme à ses espoirs de briguer le poste de sénateur. L’argument de ses détracteurs était : si cet homme ne sait pas tenir son fils, comment parviendra-t?il à veiller aux destinées de la nation ?
Joshua s’interrompit et prit la main de Kit dans la sienne avant de poursuivre :
— Ensuite, mon père a eu ce problème de rein. L’ablation et la greffe ont été décidées.
Kit frémit, émue, et vint se blottir dans les bras de Joshua.
— Les drames rapprochent parfois les gens, poursuivit-il. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai quitté New York en urgence. Depuis, mon père et moi tentons de nous réapprivoiser et d’apprendre à mieux nous connaître.
— Mais a-t il reçu un rein ?
— Oui, le mien, répondit Joshua.
Kit le regarda longuement, émue, puis elle l’embrassa et de nouveau, ils firent l’amour.
Oh, pourquoi ne pas remettre à plus tard le retour à New York ? se demanda Joshua en s’éveillant le lendemain matin. Il avait eu raison d’amener la jeune femme ici. Et il pourrait s’éveiller ainsi à ses côtés chaque matin de son existence. Il regarda Kit encore endormie et écarta une mèche de cheveux de son front. Elle était belle, innocente, vulnérable. A l’opposé de la Kit O’Brien des tabloïds. Et pour la première fois depuis leur rencontre, elle semblait en paix.
Il se leva sans faire de bruit. Il aurait volontiers passé la journée entière au lit avec elle, mais il devait retrouver son contremaître à l’écurie d’ici une demi-heure. Déjà le soleil brillait et il avait juste le temps de s’habiller et d’avaler un café.
Vingt minutes plus tard, il décida de prendre sa parka la plus chaude, rangée dans le placard du vestibule, car le temps s’était refroidi. Ecartant les autres vêtements, il tendit le bras lorsque les bagages que Kit et lui avaient entassés là au retour de la croisière s’effondrèrent à ses pieds.
Il se baissa alors pour saisir sa valise et celle de Kit avec l’intention de faire un peu de rangement, lorsque son pied se prit dans le sac de voyage de Kit. Comme il soulevait celui-ci, un tube de rouge à lèvres s’en échappa.
— Enfin, Kit ! marmonna-t?il en souriant. Vous auriez pu fermer votre sac convenablement.
Il se pencha et constata alors qu’une grosse enveloppe obstruait la fermeture du bagage. Il s’en empara et voulut la rouler afin de fermer le sac lorsqu’il lut son nom sur le papier kraft.
Fronçant les sourcils, il déplia l’enveloppe et découvrit le nom de l’expéditeur, les Editions O’Brien, surmontant l’adresse de Kit sur l’Island Voyager. Avec un mauvais pressentiment, l’enveloppe n’étant pas cachetée, il en sortit le contenu, la gorge nouée.
Brusquement, tout lui apparut clairement. A travers les différentes coupures de presse, tout son passé défila sous ses yeux. Ces articles, certains mensongers, d’autres sordides, relataient sa vie en détail. Sur l’un d’eux, quelqu’un avait gribouillé à la main avec un feutre rouge « Creuse du côté de la famille ! »
Joshua lut et relut les coupures, revivant la rupture avec son père, cet homme qu’il adorait et qui l’avait renié pour ses erreurs de jeunesse.
Il avait été si près de se libérer du poids de son passé, si près de renoncer à ses ambitions de star, à cette existence superficielle. Si près de ressusciter…
Il remit les coupures de presse dans l’enveloppe, qu’il enfouit dans le sac, effleurant à ce moment la couverture de cuir vieilli d’un cahier. Un journal. Son journal intime, se dit-il en le saisissant. Il l’ouvrit et lut les notes rédigées par Kit. Des notes qui évoquaient leurs premières heures passées ensemble. Et ces secrets partagés avec elle.
Il referma le journal et le jeta dans le sac de voyage de Kit. Kit, cette femme à laquelle il avait accordé sa confiance !
Quel idiot !
Pauvre fou ! se sermonna-t?il. Il lui avait révélé des choses qu’il n’avait jamais dites à personne. Joshua ricana. Elle, différente ? Quel sot il faisait ! Kit était comme les autres, comme Marilyn, peut-être même pire. Car Marilyn ne s’était jamais préoccupée de lui manifester de la tendresse.
Claquant la porte du placard, Joshua se maudit. Il lui avait livré son cœur. Mais quelle idée lui était donc passée par la tête ! Pourquoi lui avait-il fait confiance ? Il ne l’aimait pas. Il avait voulu voir où menait leur relation ? Eh bien, il était servi maintenant !
Kit lui avait menti. Elle l’avait trahi. Elle ne le voulait pas pour ce qu’il était, mais pour pouvoir rédiger l’un de ces satanés articles !
Oui, un fou, voilà ce qu’il était !
En soupirant d’aise, Kit roula hors du lit. Elle était décidée. Aujourd’hui, elle parlerait à Joshua de Thanksgiving. Elle avait toujours passé les fêtes en famille et espérait qu’il accepterait cette année de l’accompagner, car elle ne s’imaginait pas repartir sans lui.
Elle n’avait pas rappelé son père, mais elle savait qu’il l’attendait le soir même, pour le dîner. Si elle amenait Joshua à la maison, peut-être Michael O’Brien finirait-il par comprendre qu’il était l’homme de sa vie, celui qu’elle aimait, et il cesserait alors de l’importuner à propos de Blaine.
Elle aimait Joshua, oui, se répéta-t?elle en rougissant. Elle l’aimait de tout son cœur, c’était ainsi. Vérité aussi implacable et miraculeuse que cette neige qui tombait et tomberait encore sur ce paysage jusqu’à la fin des temps.
Voir Joshua si attentif à la nature, si soucieux de ses bêtes, avait agi sur elle comme un catalyseur de sentiments. Tout aussi déterminante avait été sa manière de s’ouvrir à elle sur des secrets de son passé. Plus encore décisif était certainement le sentiment de plénitude qu’elle éprouvait auprès de lui.
Quelle que fût la raison de l’amour qu’il lui inspirait, elle savait maintenant que Joshua tenait une place primordiale dans son cœur. Et elle brûlait d’impatience de lui révéler ses sentiments. Comme de lui demander de l’accompagner à la maison pour Thanksgiving.
Submergée par un espoir fou, elle fila sous la douche, puis s’habilla, impatiente de rejoindre Joshua, qu’elle savait occupé à l’écurie pour une grande partie de la matinée.
Elle fut de ce fait plutôt surprise de le découvrir en train d’allumer un feu dans la cheminée du salon. Un feu, quelle bonne idée, si romantique ! Elle se hâta vers lui, mais se figea brusquement. Quelque chose n’allait pas. Elle le voyait, le sentait, bien qu’il lui tournât le dos. Et lorsque Joshua lui fit face, en dépit de son expression impassible, elle sut qu’une catastrophe était arrivée.
— Joshua ? lança-t?elle, sur ses gardes. Je vous croyais à l’écurie…
— J’ai eu un problème, répondit-il, en lui tournant de nouveau le dos.
Il resta un long moment à fixer les flammes dans un silence pesant. Une profonde angoisse s’empara alors de Kit. Un de ses proches était peut-être décédé ? Un animal blessé ?
— Quelque chose ne va pas ? demanda-t?elle du bout des lèvres.
— Si, tout va bien, répliqua-t?il, glacial. Vous devriez faire vos bagages, nous devons partir avant le mauvais temps. Je voudrais vous raccompagner avant qu’il ne soit trop tard.
D’abord pétrifiée, Kit trouva enfin le courage de répondre :
— Je ne comprends pas.
Elle se traîna jusqu’au canapé et s’y laissa tomber pour s’y recroqueviller.
— Je suis certain que votre père vous attend pour Thanksgiving.
Pourquoi ce ton hostile ? s’interrogea-t?elle. Où était la chaleur qui les enveloppait tous les deux depuis tous ces jours ?
— Oui, bien sûr. Mais j’espérais que vous m’accompagneriez. J’avais prévu de vous inviter. De vous présenter à ma famille.
Il ne parut pas se réjouir de sa proposition et Kit sentit son cœur s’arrêter.
— Toujours en train de chercher à provoquer papa, n’est-ce pas, Kit ? On ramène l’amant à la maison avant d’épouser le bon parti, c’est cela ?
— Qu’est-ce que vous racontez ?
Sans réellement comprendre ce qui se passait, Kit s’aperçut qu’elle jouait à ce moment la bataille de sa vie. Et elle décida alors de se battre. Peu importait quel ennemi elle devait combattre.
— Que se passe-t?il, Joshua ? demanda-t?elle d’une voix ferme.
— Ce qui se passe ? s’exclama Joshua en rivant sur elle son regard noir.
— Je sais qu’il s’est passé quelque chose et je voudrais savoir quoi, répéta-t?elle, imperturbable en dépit de la terreur qui lui nouait la gorge.
— Quel aplomb ! ricana-t?il alors. Après tous ces mensonges…
— Ces mensonges ? Quels mensonges ?
— Vous vous êtes servie de moi ! J’espère au moins que je me suis montré à la hauteur, au lit ! Au moins, votre fiancé n’aura pas à vous initier…
Serrant les poings, Kit encaissa le coup. En moins de deux minutes, Joshua avait sali tout ce qui les avait réunis. Blessée au plus profond de son cœur, elle bondit sur ses pieds.
— Je ne me suis pas servie de vous !
— Tiens donc ! rétorqua Joshua avec un sourire mauvais. Je ne vous crois pas. Vous êtes comme les autres femmes, Kit. Intéressée.
— Tout ce qui m’intéresse, c’est d’être près de vous.
— Même une fois que vous aurez rédigé votre article ? Mon aventure avec Joshua Parker et notre escapade dans sa ferme… Quel titre avez-vous choisi ? Avec des détails sur ma vie privée, comme l’exige votre directrice éditoriale !
Kit se laissa mollement tomber sur le canapé, incapable d’articuler un mot. Comme dans le pire de ses cauchemars, elle vit alors Joshua attraper sur une étagère de la bibliothèque l’enveloppe kraft et son carnet de notes.
La bataille serait rude, mais il fallait tout faire pour la gagner, se dit-elle.
— Comment avez-vous eu ça ? demanda-t?elle.
— J’ai cogné contre nos valises en cherchant mon manteau. Un tube de rouge à lèvres a glissé et lorsque j’ai voulu le remettre à sa place, je suis tombé sur ceci.
Rageur, il jeta l’enveloppe sur le canapé, tout près de Kit. Des documents s’en échappèrent et le carnet de notes s’ouvrit sans qu’elle fît le moindre geste pour les récupérer. Au lieu de cela, elle fixa Joshua, qui alla s’adosser contre le mur, le visage crispé.
— Alors ? l’interpella-t?il bientôt. Votre explication ?
— Ce n’est pas ce que vous croyez.
— C’est tout ce que vous trouvez à dire, rétorqua-t?il, grinçant, avec un rire narquois. Il faut peut-être que je vous aide ! Alors ? Avouez que vous avez été envoyée sur ce maudit bateau pour m’interviewer !
— Oui. J’ai accepté ce travail pour fuir mon père, qui était furieux contre moi après ce que j’avais fait à son filleul.
— Votre fiancé.
— C’est ce qu’il prétend.
Dans l’esprit de Blaine, elle lui était promise. Son père en avait décidé ainsi et Kit n’avait qu’à se soumettre à la décision du patriarche. Elle n’aimait pas Blaine, qui ne l’aimait guère plus.
— J’ignorais qui vous étiez dans l’avion, reprit-elle. Je ne l’ai appris que le lendemain, sur le bateau.
— Bien sûr, marmonna Joshua en allant s’asseoir sur un fauteuil, face à elle. Et vous avez décidé de frapper un grand coup, d’écrire le scoop du siècle… Quitte à passer la nuit avec moi…
— C’est faux, protesta-t?elle, furieuse. Je n’ai pas fait l’amour avec vous par intérêt ! J’ai fait l’amour avec vous parce que…
Elle s’interrompit. Non, elle ne lui dirait pas qu’elle l’aimait, qu’elle n’aurait jamais écrit cet article après ce qui était arrivé entre eux. Non, elle n’allait pas s’abaisser à lui avouer ses sentiments…
— Parce que vous aviez besoin de tout savoir sur moi, conclut-il à sa place, implacable. Cela vous a été facile. Et puis, c’est vrai, cela a bien fonctionné entre nous, n’est-ce pas ?
— Je ne m’appelle pas Marilyn Roth ! Je ne couche pas avec quelqu’un pour lui soutirer des informations !
— Je n’ai jamais couché avec Marilyn, répliqua Joshua. Je ne flirte pas avec les journalistes, c’est un principe. Mais vous m’avez piégé, Carol Jones. C’est bien ainsi que vous signez vos papiers ?
— C’est une exigence de mon père. Mais non, Joshua, je n’ai jamais cherché à vous piéger. Et si je suis ici, c’est parce que je ne veux pas que notre histoire se termine.
— Oui, mais c’est trop tard. Cette relation n’ira pas plus loin, trancha-t?il d’un ton sans appel.
Kit ferma les yeux. Elle devait se battre, lutter de toutes ses forces pour cet homme. Cet homme qu’elle aimait de tout son cœur.
— Non, Joshua. Rien n’est terminé entre nous. Je ne l’admets pas. De même que je refuse que vous me considériez comme une garce.
— Vous êtes en tout cas une enfant gâtée capricieuse qui agit sans se soucier d’autrui. Mais papa vous pardonne toujours. Oui, papa est toujours derrière sa petite fille pour l’absoudre et la protéger.
Serrant les poings, Kit s’interdit de relever, sachant que l’amertume de Joshua était justifiée par ses relations conflictuelles avec son propre père.
— Mon père refuse de m’accepter telle que je suis, expliqua-t?elle d’une voix calme, et je dois lutter en permanence pour m’affirmer. Joshua, dès notre première rencontre, j’ai su que je ne ferais pas cette interview. Que je n’en avais pas le droit.
— Et pourquoi ne pas m’avoir avoué la vérité tout de suite ? Vous avez fait l’amour avec moi, Kit, et vous m’avez trompé.
Kit lutta pour retenir ses larmes. Chaque parole de Joshua lui brisait le cœur.
— Je suis désolée. J’ai eu tort. J’aurais dû vous parler dès le début.
Il l’observait et son regard brillait d’un désespoir intense. Elle se demanda s’il pourrait jamais lui pardonner. Elle n’imaginait pas que leur belle histoire se conclue ainsi. Elle ne le permettrait pas.
— Je n’ai jamais reconnu mes erreurs avant aujourd’hui, Joshua. Oui, je suis désolée, je regrette. Je voulais tout vous avouer, mais j’ignorais comment m’y prendre. Alors, j’ai préféré faire l’autruche.
L’atmosphère du salon était lourde et oppressante. Kit observa Joshua, qui semblait moins nerveux. Il avait entendu ses excuses. Lorsqu’il reprit la parole, la colère avait fait place à une immense tristesse.
— Avec ses articles, Marilyn a achevé de saccager mes relations avec mon père autrefois. Des relations que je m’efforce de renouer depuis des années. Mais vous ne pouvez pas comprendre que l’on puisse avoir des relations si difficiles avec son père, soupira-t?il. Bah, mais pourquoi est-ce que je m’obstine ? Inutile de ressasser tout ça ! Faites vos bagages, nous partons.
Et sans rien ajouter, il sortit du salon, claquant la porte derrière lui. Immobile, Kit laissa ses larmes couler sur ses joues. Elle avait tout gâché. Pour la première fois de sa vie, elle avait trouvé ce dont elle n’osait même pas rêver et elle avait tout gâché ! Lentement, elle se tourna vers l’enveloppe qui gisait à ses côtés.
Mais pourquoi n’avait-elle pas pris le temps de détruire ces documents à bord de l’Island Voyager ?
Soudain, elle rassembla son carnet de notes et les coupures de presse et se dirigea vers la cheminée. Elle éprouva un certain soulagement à voir les flammes anéantir ces documents qui avaient causé sa perte. Cependant, cela ne résolvait rien.
Désemparée, elle tressaillit et se dirigea vers la baie vitrée. Dehors, Joshua caressait un cheval en lui murmurant quelque chose à l’oreille. Une brise légère jouait avec ses cheveux… Entre frustration et désespoir, Kit se détourna et monta dans la chambre faire ses bagages.
*
* *
Lorsque Joshua fut de retour, il trouva les affaires de Kit prêtes dans le hall d’entrée. Le froid était mordant au-dehors et il frissonna. Au moins, elle avait la délicatesse de ne pas se montrer. Il sursauta quand on sonna à la porte. Greg, sans doute, auquel il avait demandé de passer.
— Tu as oublié tes clés ou tu es devenu timide ? lança Joshua en ouvrant la porte, avant de se figer devant l’inconnu qui se tenait sur le seuil.
— Joshua Parker ? demanda l’homme d’une voix neutre.
— Oui, répondit Joshua en observant son interlocuteur, revêtu d’un pardessus élégant tel qu’en portent les jeunes cracks de la finance à Wall Street. Puis-je faire quelque chose pour vous ?
— Blaine Rourke. Et oui, vous pouvez. Cameron O’Brien prétend que sa sœur est ici. Je viens chercher Kit pour la ramener à la maison.
— Vous… quoi ? s’exclama Joshua en reconnaissant soudain l’homme à la béarnaise.
Blaine le bouscula presque et pénétra dans la maison.
— Si cela ne vous ennuie pas, je préfère discuter à l’intérieur. Il fait froid.
Au prix d’un immense effort, Joshua garda son calme et referma la porte derrière le jeune homme. Blaine n’avait aucun besoin d’apprendre ce qui était arrivé entre Kit et lui. Pas question de lui donner cette satisfaction.
— Dites ce que vous avez à dire. Je vous donne deux minutes, déclara-t?il.
— Parfait, répliqua Blaine en se dirigeant vers le salon.
A cet instant, il dut reconnaître les bagages de Kit, car il se tourna vers Joshua, déclarant sur un ton supérieur et méprisant :
— Je vais vous parler sans détours, Parker. Kit doit rentrer immédiatement chez elle. Son père a été victime d’un infarctus. Le récit de votre croisière dans la presse l’a mené droit aux urgences.
Joshua serra les poings. Il n’admettrait pas que Blaine accuse Kit de jouer avec la santé de son père.
— Allons donc ! La presse n’a jamais provoqué de crises cardiaques, rétorqua-t?il.
— Sans doute, mais ces articles l’ont fortement contrarié. Ecoutez, je n’ai pas de temps à perdre. Kit m’est très chère, nous nous connaissons depuis l’enfance. Peu importent ses fantaisies, je lui pardonne et lui pardonnerai toujours.
Blaine se tut et regarda autour de lui, avant de poursuivre :
— Sachez que depuis toujours, nos deux familles veulent nous voir mariés. C’est comme ça, je n’y peux rien. Je suis donc venu récupérer ma fiancée pour la ramener à la maison. Et vous êtes prié de ne pas vous joindre à elle.
Sous l’effet de la colère, Joshua sentit sa gorge se serrer. Lui, généralement d’un naturel pacifique, aurait volontiers en cette seconde envoyé ce petit prétentieux au tapis. Le père de Kit avait eu une attaque. L’histoire se répétait. Un sentiment d’amertume submergea Joshua. Il aurait pu la soutenir dans cette épreuve. La consoler, être auprès d’elle.
Mais à vrai dire, avait-elle besoin de soutien ? Certainement pas. Seule l’intéressait la possibilité de tenir un scoop !
Joshua fixa Blaine. N’était-ce pas lui le responsable de la trahison de Kit ? L’unique raison qui l’empêcha de sauter sur Blaine fut l’arrivée soudaine de Greg, surgi de la cuisine.
— Patron, Cindy vous envoie des muffins pour le voyage de retour. Elle a également préparé un Thermos de café…
Le gardien s’interrompit, pour s’excuser aussitôt en découvrant les deux hommes.
— Oh, je suis désolé, patron. J’ignorais que vous aviez de la compagnie.
— Blaine Rourke.
L’air gêné, Greg salua d’un signe de tête l’importun lorsqu’un bruit de pas dans l’escalier les fit lever la tête. Kit.
— Je suis prête. Où êtes-vous ?
Avec un tressaillement, Joshua entendit les pas de la jeune femme se rapprocher.
— Joshua ?
Le regard de Kit croisa d’abord le sien, puis elle se tourna vers Blaine.
— Blaine ? Que fais-tu ici ?
Allez, le fiancé, cours dire à ta belle ce que tu es venu faire !
songea Joshua en regardant Blaine se diriger vers Kit, les bras tendus.
— Blaine, répéta Kit. Oui, bien sûr, tu es venu à cause de ces articles du Tattler. J’aurais dû m’en douter et…
— Une voiture nous attend et le jet de ton père également. Nous devons nous dépêcher, la météo annonce une tempête de neige.
— Blaine, tu es ridicule. Je suis désolée pour l’incident de la béarnaise, mais tu n’avais pas à annoncer nos fiançailles sans mon consentement !
— Kit, dit Blaine. Ne perdons pas de temps. Nous devons rentrer au plus vite…
— Je sais que vous avez dû bondir, à New York, en lisant la presse à sensation, coupa-t?elle, refusant de le laisser parler. Papa t’a ordonné de venir me chercher, c’est ça ? Quand je pense aux frasques de mon frère Cameron, papa fait bien moins d’histoires à son sujet.
— Kit, les tabloïds sont le dernier de mes soucis à cette heure. Ces articles avec, euh…
Blaine fit un signe de tête en direction de Joshua, puis il reprit :
— Je t’expliquerai les raisons de ma présence une fois en route.
— Qu’essaies-tu de faire ? De sauver ta réputation de futur époux ? s’exclama Kit, manifestement hors d’elle. Je t’ai répété cent fois que je ne t’épouserais pas !
Un sentiment de soulagement envahit Joshua. Elle n’épouserait pas Blaine, au moins ne lui avait-elle pas menti à ce sujet. Mais elle avait menti quand même. Et l’avait utilisé. A présent, elle devait rentrer à New York. Son père avait besoin d’elle. Elle n’était plus une enfant, comme semblait le croire cet idiot de Blaine. Kit avait parfaitement le droit d’apprendre l’accident de son père tout de suite.
— Kit, intervint-il alors.
La douceur de sa voix alluma aussitôt dans les yeux de Kit une lueur d’espoir. Joshua hésita, puis se résolut à lui apprendre la terrible nouvelle :
— Kit, vous devez rentrer. Votre père a eu un infarctus.
— Mon père ? Un infarctus ?
Elle fronça les sourcils et se mordilla la lèvre. Joshua et Blaine opinèrent alors d’un même mouvement de tête. L’instant d’après, elle courut, horrifiée, se jeter dans les bras de Blaine.
— Oh non ! Papa ?
— Ne tardons plus, Kit, dit le jeune homme. Nous avons assez perdu de temps. Cameron se trouve à l’hôpital depuis la nuit dernière. J’ai été retardé par le mauvais temps.
— Depuis la nuit dernière ? s’exclama Kit, rongée par la culpabilité.
Elle aurait dû rentrer, comme cela avait été convenu avec son père. Mon Dieu, qu’avait-elle fait ? Des larmes se mirent à rouler sur ses joues.
— Partons, maintenant, dit Blaine en resserrant les bras autour de ses épaules.
Il l’entraîna vers la porte et lorsque Kit, manifestement accablée, voulut se tourner vers Joshua, Blaine l’en empêcha. Sans un mot, tous deux passèrent le seuil et disparurent.
chapitre 11
The Tattler — Vendredi 29 novembre
Les potins de Mary Lynn
La fille prodigue a dit oui !
Comme je vous l’apprenais hier, Blaine Rourke a mis fin à l’escapade de sa promise avec le sémillant Joshua Parker. La jeune écervelée a passé Thanksgiving au chevet de son père, hospitalisé après un infarctus sans gravité.
Rourke lui-même m’a appris sa réconciliation avec la belle et tous deux sont apparus main dans la main à la conférence de presse tenue au siège des Editions O’Brien.
Interrogée sur la date de leur mariage, Kit a répondu que le jour des noces serait arrêté une fois son père en convalescence. Ainsi, cher lecteur, il semble bien que le père devrait voir son vœu exaucé. On peut regretter qu’il ait fallu une crise cardiaque pour que Kit se rende à la raison, mais personne n’est parfait, n’est-ce pas ?
Ecœuré, Joshua écarta le journal et frappa du poing sur la table de la cuisine.
— Hé, ne fais pas de mal à la table. Elle est innocente.
Joshua considéra Donna, sa belle-sœur, emmitouflée dans un peignoir rose pâle.
— Je vais préparer du café. Tu en veux ?
Un whisky bien tassé eût été plus efficace à lui faire oublier le cauchemar dans lequel il vivait, mais Joshua chassa cette idée.
— Va pour un café.
Mark surgit à cet instant et vint se planter devant lui, l’air inquisiteur.
— Je ne vois pas d’amélioration, remarqua alors Donna à l’intention de son mari.
— Mais si, protesta Joshua, ça va.
— Oui, bien sûr, renchérit son demi-frère. Tu vas bien. C’est pourquoi tu n’es pas rentré chez toi hier soir comme le reste de la famille…
— La neige a grillé la batterie de ma voiture, répondit Joshua.
Il soupira en saisissant la tasse de café brûlant que lui tendait sa belle-sœur, qui s’assit en face de lui.
— Tu achètes ce genre de torchon ? s’étonna-t?elle en désignant le journal.
— Je voulais voir ce que Mary Lynn avait à dire.
— Hmm, marmonna Donna en parcourant hâtivement l’article, avant de jeter le journal dans la poubelle derrière elle. Ne me dis pas que tu crois à ces mensonges !
— Ce ne sont pas toujours des mensonges, malheureusement.
— Oh, je t’en prie ! Tu ne crois tout de même pas que Kit va réellement épouser ce type ?
— J’ai pu voir comme ils étaient proches l’un de l’autre.
— Tu les as vus au moment où il lui a annoncé l’infarctus de son père, répliqua fermement Donna. A situation exceptionnelle, comportement exceptionnel.
— Tu oublies qu’elle m’a trahi, protesta Joshua en se levant pour arpenter la cuisine. Je t’ai tout raconté. Oui, elle s’est servie de moi.
— Que les hommes sont donc tragiques ! s’exclama Donna en levant les yeux au ciel. Ecoute, Joshua, reprit-elle, tu dois faire le point sur tes sentiments envers elle. Car tu éprouves des sentiments pour elle, c’est évident. Et tu devrais à cette heure te trouver dans ton appartement, pas ici !
Ce n’était pas faux. Pourtant, même dans son appartement new-yorkais où Kit n’avait jamais mis les pieds, il ne voyait qu’elle, pouvait même sentir son parfum, la douceur de sa peau. Oui, il devenait fou loin d’elle. Il détestait ces nuits sans elle et ces matins encore plus, lorsqu’il s’éveillait, seul, loin de la femme qu’il aimait.
— Alors ? s’enquit Donna avec un sourire entendu. Sais-tu au moins où tu en es avec elle ?
Joshua soupira et continua de arpenter la cuisine en long et en large d’un pas rageur.
— Je l’aime, finit-il par admettre. Et ça fait mal.
— Bien, dit Donna, visiblement satisfaite, nous progressons. Sois honnête avec toi-même, Joshua. Ta fierté en a pris un coup, manifestement. Mais à part ça, comment te sens-tu ?
— Je n’en sais rien, marmonna-t?il.
A quel moment était-il tombé amoureux de Kit O’Brien ? Cette femme qui l’avait trahi ? Et cette trahison, que pesait-elle en regard de l’amour qu’il lui portait ? Car il souffrait mille fois plus de son absence que de sa trahison.
— Il faut que tu saches de quoi il retourne exactement, affirma Donna, implacable.
— Mais comment faire ? s’exclama-t?il, excédé par son impuissance. Je lui téléphone et je lui dis : « Salut, Kit. On se remet ensemble ? » Allons, Donna ! Elle est sur le point de se marier ! Il n’y a plus rien à faire !
Donna but une gorgée de café, puis leva les yeux vers Joshua en souriant.
— Je n’ai pas dit que tu devais faire quelque chose.
Joshua fronça les sourcils et Mark interrogea sa femme du regard.
— Quoi ? lui demanda-t?il, l’air inquiet soudain.
— C’est toi, mon cher époux, qui va sauver le cœur de notre pauvre Joshua. Tu connais Cameron, non ?
— Eh bien, je l’ai rencontré pour affaires, oui, répondit Mark, méfiant.
— Parfait, répondit Donna. Alors, téléphone-lui. Ainsi, nous saurons à quoi nous en tenir et nous agirons en conséquence.
— Mais…, protesta Mark.
— Pas de mais ! Ce sera notre cadeau de Noël à Joshua. Et pense au bonheur de ta mère si ton frère venait à se marier…
— Mais je ne veux pas me marier ! s’interposa Joshua.
Donna le fusilla du regard et il résolut de se taire. Après tout, qu’avait-il à perdre à confier son sort à sa belle-sœur ?
— Je doute qu’il se trouve à son bureau. C’est un jour férié aujourd’hui, dit alors Mark.
— Je suis certaine que tu as son numéro de téléphone privé, non ? le reprit Donna en lui faisant les yeux doux.
Mark hocha lentement la tête et leva les bras en signe de reddition.
— D’accord, chérie. Mais tu me revaudras ça…
Mark sourit, puis il embrassa sa femme sur le bout du nez avant de se lever pour quitter la pièce. Donna se tourna alors vers Joshua :
— Tu es sûr d’aimer cette fille, Joshua ?
— Oui.
— Bien. A présent, rentre chez toi, prends une douche et calme-toi. Je t’appelle dès que j’ai du nouveau.