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Mariage d’amour ou de raison

Mariage d’amour ou de raison un roman HORIZON de Stella Bagwell Rose Mendock doit travailler dur au ranch familial pour subvenir aux besoins de sa famille, depuis

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Shakehands Mariage d’amour ou de raison

 

Mariage d’amour ou de raison
un roman HORIZON
de Stella Bagwell


Rose Mendock doit travailler dur au ranch familial pour subvenir aux besoins de sa famille, depuis que son père est décédé. Mais elle apprend bientôt qu'il avait contracté une lourde dette auprès de son voisin, Harlan Hamilton, qui élève seul sa fille adolescente. Pour Rose, ça va de mal en pis... jusqu'à ce que Harlan lui fasse une étonnante proposition : un Mariage règlerait le problème des dettes, et apporterait à sa fille la stabilité d'un foyer... Un arrangement qui est loin de convenir à Rose, qui en réalité espère bien plus du séduisant rancher qu'un simple Mariage de raison...

Mariage d’amour raison

 
 

 

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chapitre 1



Rose Murdock tira sur les rênes de l’alezan et stoppa devant la clôture ; le spectacle qui s’offrait à elle, en cette fin d’après-midi, la consterna. Chacun des six fils barbelés avait été cisaillé, puis rattaché avec soin au moyen d’une torsade.
Rose se hâta de descendre de cheval, et se mit en devoir d’examiner le sol de part et d’autre de la clôture. Si la sécheresse avait craquelé la terre, la jeune femme parvint cependant à distinguer des traces de sabots. Elles étaient même trop nombreuses pour qu’elle pût les compter !
Tirant Pie par la bride, elle les suivit, le long d’une pente douce, jusqu’à la rivière. Elles s’arrêtaient au bord de l’eau, puis repartaient en sens inverse dans la direction des barbelés.
Quelqu’un avait coupé la clôture pour venir abreuver son bétail sur les terres du Bar M, son ranch ! Qui avait pu faire cela ? De toute évidence, le troupeau ne se trouvait plus sur son domaine. Elle venait de le traverser sans apercevoir un seul animal égaré.
Rose repoussa son chapeau de cow-boy en soupirant. Son visage aux traits délicats était tout luisant de sueur. Elle l’essuya d’un revers de manche, avant de scruter l’horizon vers l’ouest.
De l’autre côté du barbelé s’étendait le ranch d’Harlan Hamilton, le Flying H. Et tout la portait à croire qu’il était l’auteur du forfait. Rose ne pouvait toutefois concevoir qu’il ait osé entrer sur ses prairies sans en avertir une de ses sœurs, ou elle-même. Il y avait bien longtemps que de telles pratiques avaient disparu au Nouveau-Mexique. Introduire son bétail chez un autre rancher sans en demander la permission était considéré comme un grave manque de respect et de civilité.
Cela dit, elle ne connaissait pas Harlan Hamilton. Tout au moins, pas personnellement. Certes, elle l’avait vu deux ou trois fois, et la dernière de ces occasions avait eu lieu près d’un an auparavant, lorsqu’il était venu rendre visite à Thomas, le père de Rose, décédé depuis.
Thomas et Harlan avaient été amis, et son père avait parlé de lui en termes chaleureux. Pourtant Rose n’avait jamais échangé avec lui autre chose qu’un salut. Non qu’elle eût un grief contre lui. Seulement, ses rapports avec les hommes, quels qu’ils soient, n’allaient jamais au-delà d’un simple bonjour.
Mais aujourd’hui, hélas ! il était temps d’avoir une petite conversation avec lui… Rose se remit en selle et prit la direction du nord. Après avoir parcouru quelques miles le long de la clôture, elle finit par atteindre une barrière en métal flanquée de deux piliers de pierre. Sur l’un d’eux se détachait, en lettres de fer forgé, le nom du ranch.
La barrière n’étant pas fermée à clé, Rose la franchit sans autre forme de procès et suivit le chemin de terre battue qui serpentait à travers les collines désertiques, à l’est de la rivière Hondo. Des buissons de sauge et des pins rabougris bordaient la piste. Ici et là, elle apercevait un choysia en fleur, que la sécheresse sévissant depuis plus de deux mois avait épargné.
A mesure qu’elle se rapprochait de sa destination, Rose sentait grandir sa nervosité. Ses mains étaient devenues moites, et sa bouche aussi sèche que la fine poussière remuée par les sabots du cheval.
La perspective d’échanger des mots avec Harlan Hamilton la préoccupait. Oui, elle avait des rapports difficiles avec le sexe masculin — à la différence de ses sœurs. Justine, l’aînée, venait d’épouser le shérif local ; Chloé, la plus jeune, ne rechignait pas à dire ses quatre vérités à un homme. Malheureusement, Justine n’était pas là pour parler à sa place, et Chloé avait bien assez à faire au ranch, entre les chevaux et les jumeaux.
Non, décidément, c’était à elle que revenait cette corvée, se répéta-t-elle en serrant les lèvres. Depuis que la mort de leur père les avait laissées dans une situation financière précaire, Rose avait pris la responsabilité du bétail. Il lui appartenait donc de faire face aux intrus, d’où qu’ils viennent…
Deux miles plus loin, elle distingua enfin la maison. Construite en stuc, tout comme la sienne, elle se dressait entre une rangée de peupliers et un bosquet de pins. La bâtisse n’était ni vaste, ni particulièrement bien entretenue. Les fenêtres avaient bien besoin d’une couche de peinture, et, hormis les arbres malingres qui jetaient çà et là une ombre fragile, il n’y avait ni fleurs, ni pelouse, ni clôture séparant la cour de la prairie.
Laissant Pie à quelques mètres de la maison, elle se dirigea lentement vers la véranda. Elle entendit le son d’une télévision…
Elle grimpait les marches, lorsqu’une adolescente de douze ou treize ans fit son apparition sur le seuil. Ses cheveux blonds étaient tirés en arrière, et coiffés à la va-vite en queue-de-cheval. Un jean coupé couvrait une partie de ses longues jambes minces ; le reste de sa silhouette gracile se cachait sous un T-shirt trop grand pour elle. Elle dévisagea Rose d’un air stupéfait, comme si elle n’avait pas l’habitude de recevoir des visiteurs.
— Bonsoir. M. Hamilton est à la maison ?
— Papa est dans l’écurie.
— Je peux aller le voir ?
— Si vous voulez, dit la jeune fille en haussant les épaules.
Rose fit mine de redescendre les marches, puis, frappée par une pensée, se retourna vers l’adolescente boudeuse.
— Si ta mère est ici, elle pourra peut-être m’aider…
— Je n’ai pas de mère, répliqua-t-elle sèchement, avant de tourner les talons et de rentrer à l’intérieur.
Rose n’avait pas eu le temps de répondre. Comme cette enfant était triste ! songea-t-elle. Elle ignorait qu’Harlan Hamilton vivait seul avec sa fille et se demanda vaguement depuis combien de temps celle-ci n’avait plus de maman…
Rose s’approcha de l’écurie. Le propriétaire du Flying H était aux prises avec un poulain récalcitrant. Chaque fois que l’homme tirait sur la longe, le jeune animal se raidissait, relevant la tête en signe de refus.
Rose avança discrètement jusqu’au corral et observa la scène. Son voisin ne l’avait pas remarquée. Il était grand, plus d’un mètre quatre-vingt, d’une carrure imposante. Un jean délavé collait à ses longues jambes musclées et ses épaules larges tendaient le tissu de sa chemise en coton gris. Sa taille était svelte, ses bras puissants. Des boucles foncées, presque noires, s’échappaient du chapeau de cow-boy qu’il portait.
D’ordinaire, Rose ne prêtait pas attention au physique des hommes. Il y avait belle lurette qu’elle avait perdu tout intérêt pour l’amour ou le sexe, et l’aspect d’un homme lui importait peu. Quelque chose chez cet homme, cependant, la poussait à lui accorder plus d’attention qu’à un autre…
Il s’avisa de sa présence, laissa tomber la corde et marcha à pas lents jusqu’à la clôture.
— Bonsoir.
Elle tendit la main.
— Bonsoir, M. Hamilton. Je suis Rose Murdock, votre voisine.
Harlan se souvint brusquement d’elle tandis que son regard se promenait sur la longue tresse auburn qui recouvrait son sein droit, sa peau claire mouchetée de taches de rousseur, ses yeux gris et limpides. Il l’avait vue un jour qu’il avait rendu visite à Thomas. Elle lui avait à peine parlé, et il ne lui en avait pas voulu de sa froideur. Elle avait dû le prendre pour un cow-boy en quête de travail… A l’époque, aucune des trois filles Murdock n’était mariée. Un jour, une connaissance lui avait dit en plaisantant qu’une de ces jolies rousses ferait une parfaite épouse ; Harlan n’avait pas pris la suggestion au sérieux. Il ne voulait pas d’une jolie rousse, ni d’une autre. Jamais il ne se marierait de nouveau.
— Eh bien, miss Murdock, est-ce une visite de courtoisie, ou puis-je faire quelque chose pour vous ?
Rose rougit violemment.
— Je suis venue pour vous parler de quelque chose que j’ai constaté sur mes terres.
Harlan se rendit compte qu’il tenait toujours sa main. Il la lâcha et désigna un pin tout près.
— Mettons-nous à l’ombre.
Le cœur tambourinant dans sa poitrine, Rose le suivit jusqu’à la petite flaque d’ombre.
— Je suis désolée d’interrompre votre travail, M. Hamilton, mais je…
— Appelez-moi Harlan.
Rose hésita. Elle aurait préféré éviter ce genre de familiarité. Mais elle ne voulait pas l’offenser… Son voisin pourrait lui rendre la vie dure si l’envie lui en prenait.
Elle s’éclaircit la gorge et leva les yeux vers lui. De près, elle fut frappée par la sévérité de ses traits, ses yeux bruns aux paupières tombantes. Une barbe naissante assombrissait son menton et ses joues, et la sueur perlait à ses tempes.
— Eh bien, Harlan, parvient-elle enfin à dire, il s’agit de la clôture qui divise nos deux propriétés. Elle a été sectionnée, et quelqu’un a amené du bétail dans ma prairie. Etes-vous au courant ?
Il resta silencieux un long moment. Rose sentit son regard peser sur elle, sur son visage, ses lèvres, sa poitrine. Elle ne se croyait pas jolie, et l’attention appuyée d’Harlan la mettait mal à l’aise.
— J’imagine que j’aurais dû vous en toucher un mot… Je ne pensais pas que vous vous aventuriez aussi loin de votre ranch.
Rose écarquilla les yeux.
— Je fais le tour de mes terres régulièrement, M. Hamilton, tout comme vous. Et le fait que vous considériez qu’une certaine partie de la clôture puisse être ignorée est… insultant !
— Je vous ai dit de m’appeler Harlan, dit-il avec une force soudaine. Et, pour ce qui est de la clôture, je vous rappelle que votre père et moi avons partagé les frais d’installation.
Surprise et embarrassée, Rose détourna les yeux. Elle avait supposé que son père avait pris les travaux entièrement à sa charge.
— Je n’en savais rien. Je me suis inquiétée… Je ne pouvais pas deviner que c’était vous.
Il fit une grimace.
— Croyez-moi, miss Murdock, je n’ai pris aucun plaisir à le faire… Je n’avais pas le choix. J’ai besoin d’eau, et, avant sa mort, votre père m’a donné la permission d’utiliser votre rivière.
— Je sais que tout est sec, mais…
— Sec ! Nous vivons un véritable enfer depuis deux mois ! L’eau manque partout. Peu de gens ont votre chance, miss Murdock.
De la chance, en effet ! se dit Rose, agacée. Leur père leur avait légué une montagne de dettes, et elles avaient découvert que les jumeaux abandonnés sur le seuil de leur maison n’étaient autres que leurs frère et sœur. Apparemment, Thomas avait eu une liaison avec une femme de Las Cruces pendant l’agonie de leur mère. Et, pour couronner le tout, il avait envoyé chaque mois à sa maîtresse une somme d’argent exorbitante. Le manque de moralité et de bon sens de Thomas avait laissé Rose et ses sœurs dans une situation désespérée… Mais cet homme ne s’en doutait pas.
— Nous n’avons pas vraiment assez d’eau pour nos propres bêtes, M. euh… Harlan. La rivière est très basse.
— Il y a encore de l’eau.
— Oui…
— En ce cas, il me semble que le moins que vous puissiez faire est de partager.
Rose fronça les sourcils.
— Partager ?
— Qu’y a-t-il de si étonnant à cela ? Après tout, un an s’est écoulé, et je n’ai toujours pas reçu un sou de votre part. La mort de Thomas n’efface pas ses dettes.
— Des dettes ? répéta Rose, interloquée.
Harlan comprit qu’elle était sincère.
— Je…
Il s’interrompit, et jeta un coup d’œil au poulain qui trottait dans le corral.
— Excusez-moi un instant. Je vais lâcher le poulain et nous irons discuter à l’intérieur…
— Ne pouvez-vous pas vous expliquer maintenant ? Je suis venue à cheval, et il va me falloir un bon moment pour rentrer.
— Quoi ? Vous êtes venue à cheval ?
— Pourquoi pas ? Vos chevaux sont en quarantaine ?
Il secoua la tête.
— Non, pas du tout… Mais je peux vous ramener au ranch en voiture, assura-t-il, sans ajouter qu’elle lui paraissait trop fragile et trop féminine pour avoir parcouru une telle distance par cette chaleur.
Elle se redressa.
— Cela ne sera pas nécessaire.
— Nous verrons, répondit-il, tout en s’éloignant pour s’occuper du poulain.
Quand il eut fini, ils retournèrent ensemble vers la maison et franchirent la porte de derrière, qui ouvrait directement sur une petite cuisine. De la vaisselle sale s’empilait dans l’évier et les vestiges d’un repas encombraient encore la cuisinière, mais la table en formica placée au milieu de la pièce avait été débarrassée et essuyée.
Harlan fit signe à Rose de s’asseoir.
— Voulez-vous du thé glacé ou un jus de fruits ?
Sur le point de décliner son offre, Rose se ravisa. Elle avait passé plusieurs heures en plein soleil, et n’avait sans doute pas bu assez. Il ne manquerait plus qu’elle succombe à un malaise…
— Je boirais bien un thé glacé.
Il remplit deux verres, lui en donna un et posa le second sur la table.
— Je reviens tout de suite.
Il sortit de la pièce. La télévision était toujours allumée quelque part dans la maison. Rose présuma que la fille d’Harlan la regardait. L’adolescente était-elle aussi rétive que le poulain qu’elle avait vu plus tôt dans le corral ?
Elle avait commencé à siroter son thé lorsque Harlan revint, un document plié à la main.
— Vous devriez lire ceci.
Le cœur de Rose se mit à battre à toute allure, sans qu’elle sût si son émoi subit était dû à la présence de son voisin ou au contenu du document. S’efforçant de ne pas trembler, elle s’empara du papier. Sa lecture rapide noua son estomac et fit pâlir son front.
— C’est… impossible ! marmonna-t-elle d’une voix à peine audible.
— Croyez-moi, miss Murdock, c’est un acte tout à fait légal.
— Je n’en doute pas. Je voulais parler de mon père…
Elle se mordit la lèvre. Comment Thomas avait-il pu porter un tel coup à sa famille ? Elle était écœurée. D’abord cette femme, sa maîtresse, dont ils n’avaient pas retrouvé la trace, et qui était susceptible de venir à tout moment exiger de l’argent, ou, pire encore, reprendre ses jumeaux. Et à présent, cela !
— Je dois vous dire, M… Harlan, que mes sœurs et moi ignorions tout de cet arrangement. Notre père nous avait caché bien des choses de son vivant. Mais cela !
Elle était clairement bouleversée d’apprendre que son père avait emprunté de l’argent en donnant le ranch comme garantie. Harlan se dit qu’à sa place il l’aurait été tout autant. Il aurait même eu des envies de meurtre !
— Vous a-t-il dit pourquoi il voulait cet argent ? s’enquit Rose. Et pourquoi il s’est adressé à vous plutôt qu’à la banque ?
Le chagrin qui se lisait dans ses yeux gris émut Harlan. Il caressa inconsciemment les parois de son verre…
— Il ne m’a pas rien dit des raisons de cet emprunt, et je ne lui ai pas posé de questions. Thomas était mon ami. A mon arrivée ici, il m’a aidé. J’étais heureux de pouvoir lui rendre la pareille. Quant à savoir pourquoi il n’est pas allé à la banque, eh bien… Il était peut-être déjà endetté jusqu’au cou.
— Je… Mon père avait une assurance-vie. C’est grâce à cela que nous avons pu régler ses dettes. Celles dont nous avions connaissance. Allez-vous exiger le remboursement immédiat de ce prêt ?
Harlan lui décocha un regard aigu. Elle semblait s’attendre au pire de sa part. Etait-elle toujours aussi pessimiste ? Ou se méfiait-elle seulement de lui ?
— Non. Je ne vais pas faire cela.
— J’ai peine à le croire, murmura-t-elle, visiblement mal convaincue.
Ses yeux s’embuaient de larmes. Elle battit des paupières plusieurs fois, le regard rivé sur le texte qu’elle tenait à la main. Sans savoir pourquoi, Harlan eut tout à coup l’impression d’être un monstre. Il avait prêté de l’argent à Thomas pour lui venir en aide, pas pour mettre en danger le ranch ou la famille de celui-ci.
— Je ne suis pas un usurier…
— C’est patent. Le remboursement est en retard et vous ne nous avez pas contactées. Pourquoi ?
Il n’en savait rien lui-même. Non qu’il fût riche, au contraire. Depuis que la sécheresse frappait, il aurait eu bien besoin des quelques milliers de dollars qu’il avait prêtés à Thomas pour faire creuser des puits sur ses terres. Mais il avait eu réticence à réclamer son dû.
— Après la mort de Thomas, je me suis dit que vos sœurs et vous aviez assez de soucis sans cela.
Rose n’avait jamais eu une haute estime des hommes, et les infidélités de son père l’avaient confortée dans son opinion. L’idée que cet inconnu avait sacrifié son propre intérêt pour respecter la douleur de sa famille la déroutait.
— Je dois vous dire que…, à l’heure actuelle, nous n’avons pas de quoi vous rembourser. Même si nous vendions jusqu’à la dernière tête de bétail, nous ne pourrions pas réunir une telle somme.
Elle disait la vérité, Harlan le savait. Il devinait aussi que Rose Murdock était loin d’être une écervelée. Elle était franche et directe. Ce qui le déconcertait, en revanche, c’était d’apprendre que le Bar M était en proie à de telles difficultés.
Lorsque Harlan s’était installé dans la région, sept ans auparavant, ses voisins possédaient le ranch le plus vaste du comté — voire l’un des plus grands de tout le Nouveau-Mexique. Ils élevaient du bétail réputé et des chevaux remarquables. Il disposaient d’une abondance de prairies verdoyantes le long de la rivière Hondo, et employaient des cow-boys expérimentés. Mais ce que Rose venait de lui confier, et le fait qu’elle sillonnait elle-même le ranch à cheval signifiaient que la situation du Bar M avait radicalement changé. S’il avait du mal à le croire, le choc avait dû être incomparablement plus pénible pour Rose Murdock…
— Je ne vous demande pas de me rembourser maintenant.
— Vous en avez le droit.
— J’ai besoin d’eau plus que je n’ai besoin d’argent.
Il retira son vieux chapeau de paille et passa une main dans ses cheveux noirs. Sa chemise, nota Rose, était tachée de sueur au niveau de sa poitrine… Il ressemblait à un de ces pionniers qui avaient travaillé sur ce territoire, à l’époque où il était encore sauvage et dangereux. Un homme rude, décidé, courageux.
— Je ne vous comprends pas, dit-elle. Vous avez là, noir sur blanc, le pouvoir de devenir le propriétaire légal du Bar M.
— Je ne veux pas vous prendre votre ranch.
C’en fut trop pour Rose. Elle ferma les yeux et eut un long soupir de lassitude.
— Je suis venue ici, commença-t-elle, à propos d’une simple clôture endommagée. Et j’apprends que le Bar M vous doit plusieurs milliers de dollars !
Elle ouvrit les yeux et lui lança un regard à la fois vaincu et accusateur.
— Vous auriez au moins pu nous avertir !
Harlan aurait voulu pouvoir la réconforter… Hélas, il ne pouvait pas annuler la dette contractée par Thomas. Cet argent représentait une bonne partie de ses économies, une somme qu’il avait mis des années à économiser à la sueur de son front. Il lui était impossible d’y renoncer, malgré la compassion que lui inspirait cette femme.
Il but une autre gorgée de thé, puis se leva et gagna l’autre bout de la pièce. C’était la première fois qu’il avait une femme dans sa cuisine. Son épouse était morte avant qu’ils ne viennent au Nouveau-Mexique. La vue de Rose Murdock, assise à table, les boucles de ses cheveux roux encadrant son visage, ses petits seins pointant sous sa chemise en jean, suscitait chez lui un trouble certain…
— Je suis sûr que c’était la dernière chose que vous aviez envie d’entendre, dit-il en se dirigeant vers l’évier. Et je regrette que votre père m’ait emprunté cet argent.
Il ouvrit le robinet et entreprit de faire la vaisselle.
— Mais il l’a fait, répondit Rose doucement. Quand voulez-vous le premier versement ?
— Il n’est pas nécessaire de parler d’argent maintenant. Je préfère parler d’eau.
Cet homme tenait entre ses mains le sort du Bar M, pensa Rose, et pourtant, il ne semblait pas vouloir profiter de son avantage. Elle ne pouvait pas admettre qu’il soit aussi généreux. A quoi jouait-il ? Attendait-il patiemment, tel un aigle, que sa proie faiblisse ?0
— Et comment pouvons-nous vous aider ?0
— En me donnant libre accès à une partie de vos terres, repartit-il, le dos tourné.

 
 

 

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chapitre 2


Des trois sœurs Murdock, Rose avait toujours été la plus pondérée, la plus raisonnable. D’un caractère facile, elle montrait rarement ses émotions. Mais le choc provoqué par les paroles d’Harlan eut raison de sa réserve. Elle se leva d’un bond.
— L’accès à nos terres ?
Harlan lui jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Sa poitrine se soulevait d’indignation, ses mains tremblaient. Elle s’efforçait visiblement de recouvrer son calme ; les éclairs que lançaient ses yeux gris et le vibrato de sa voix prouvaient qu’elle n’y parvenait pas.
—Quand je vivais au Texas, mes amis m’ont dit que j’étais fou de m’établir ici, en plein désert du Nouveau-Mexique. Je n’en suis pas moins venu à adorer cet endroit, et je ne veux pas perdre mon ranch, ni mon bétail, exposa-t-il en se tournant vers elle. Ne préférez-vous pas me laisser utiliser une prairie au bord de la rivière plutôt que vous plier au contrat passé par votre père ?
Rose marcha vers lui avec une audace qui la surprit elle-même.
— Me menaceriez-vous ? C’est du chantage, n’est-ce pas ?
— Ecoutez, Rose, si j’avais voulu vous prendre le ranch, j’aurais pu le faire en toute légalité il y a des mois ! Je ne suis pas un vautour. Seulement un homme qui essaie de gagner sa vie. Tout ce que je demande, c’est un peu d’aide de votre part. Etant donné les circonstances, je ne pense pas que ça soit extravagant.
Il disait vrai. Rose savait qu’elle aurait dû remercier Dieu à genoux qu’Harlan Hamilton ne se montre pas plus exigeant. Cependant, l’idée d’ouvrir le ranch à un étranger lui paraissait aussi incongrue que montrer sa chambre à un inconnu. Le Bar M appartenait aux Murdock depuis plus de quarante ans. Personne n’en avait jamais loué la moindre parcelle, personne n’y avait même pénétré. Chaque section de prairie était telle une pièce de la maison. Et elle ne voulait pas d’intrus chez elle !
Elle secoua la tête avec résignation.
— Non, ce n’est pas extravagant. Mais nous sommes dans la même situation que vous, Harlan. Et j’ai besoin du peu d’herbe qui me reste pour mon propre bétail.
Si Harlan n’était pas homme à profiter de qui que ce soit, et encore moins d’une jolie femme, il n’avait pas le choix.
— Je le conçois. Or il me faut faire creuser des puits, me doter de pompes. Cela coûte cher. Et j’ai prêté mon argent à Thomas. Je n’ai nullement l’intention de m’endetter, et je ne compte pas vendre mes bêtes. Considérez l’accès à l’eau comme votre premier remboursement sur le prêt.
Rose était acculée. Elle n’avait plus qu’à espérer qu’il n’en revendiquerait pas davantage… Elle se redressa, remit son chapeau, en tira le bord sur son front.
— Je ne suis pas une femme difficile, Harlan, et je ne suis pas stupide non plus. Je vous retrouverai demain à la clôture et nous aviserons. Maintenant, il faut que je parte…
— Même au galop, vous n’arriverez pas au Bar M avant la nuit. Je vais vous ramener.
— Mon cheval…
— J’ai une remorque. Ce n’est pas un problème.
N’eût été la crainte que Pie ne pose un sabot sur un crotale dans l’obscurité, elle aurait insisté pour rentrer seule. Elle ne voulait pas monter dans un véhicule avec cet homme. Pire, si elle ne s’éloignait pas de lui très bientôt, elle avait peur de ne jamais plus pouvoir respirer normalement !
— Très bien, concéda-t-elle.
Harlan s’avança vers la porte qui menait au reste de la maison.
— Emily ?
Quelques secondes s’écoulèrent avant que l’adolescente apparaisse.
— Tu m’as appelée ?
Harlan procéda aux présentations avant d’expliquer qu’il ramenait Rose chez elle.
— Veux-tu venir avec nous ?
— Non, répondit-elle après avoir lancé à Rose un regard défiant.
Harlan soupira.
— Il y a une éternité que tu n’es pas sortie d’ici. Cela te ferait du bien, Emily.
Les cinq années que Rose avait passées à enseigner lui avaient appris à déceler le besoin d’amour et d’attention qui se cache souvent sous une apparente insolence. Et Emily avait un air triste et déprimé qui faisait peine à voir…
— Je sais à quoi ressemble la maison des Murdock.
— Bien. Dans ce cas, je m’attends à ce que cette cuisine soit en ordre à mon retour, fit Harlan.
L’ennui qui se lisait dans le regard de la jeune fille céda soudain la place à une expression outrée.
— Mais, papa, protesta-t-elle, je vais manquer mon émission et…
— Il n’y a pas de « mais ». Puisque tu ne veux pas venir, rends-toi utile. Et fais-moi le plaisir d’éteindre la télévision. Si elle est encore allumée à mon retour, tu en seras privée pendant une semaine.
Il se tourna vers Rose et indiqua la porte de derrière.
— Si vous êtes prête, allons-y.
Rose interpella l’adolescente.
— Au revoir, Emily. J’espère que nous nous reverrons bientôt.
L’espace d’un instant, Rose crut que la fille d’Harlan allait l’ignorer, mais un faible sourire finit par éclairer son visage.
— Au revoir, Rose.
Une fois dehors, Harlan s’excusa.
— J’espère que vous n’en voudrez pas à Emily. Elle n’est pas très facile à vivre…
— Ne vous inquiétez pas. J’ai été professeur, j’ai l’habitude.
Ils contournèrent la maison. Pie ne s’était pas éloigné. Comme Rose faisait mine de prendre les rênes du cheval, Harlan s’en empara, et elle le suivit tandis qu’il menait l’animal vers la grange. Le soleil se couchait déjà, et les ombres s’allongeaient sur la terre craquelée.
— Vous dites que vous êtes professeur. Cela signifie-t-il que vous reprendrez l’école à la rentrée ?
— Le ranch a besoin de moi, à présent, repartit-elle sans détour.
Harlan lorgna Rose, qui gardait les yeux baissés sur ses chaussures. La situation au Bar M était manifestement plus grave qu’il ne l’avait soupçonné…
Quelques minutes plus tard, ils roulaient vers l’ouest. La fraîcheur du soir s’installait peu à peu, et Rose retira son chapeau, laissant la brise soulever ses cheveux. La fille d’Harlan rangeait-elle la cuisine ou regardait-elle la télévision ? Si son père la gâtait, l’écoutait, l’aimait…
— Emily doit s’ennuyer en été. A-t-elle des amis de son âge ?
— Oui, elle les voit de temps en temps. Hélas, il n’est pas très facile pour moi de l’emmener à Ruidoso.
— Je comprends.
Elle était assise tout près de la portière, les mains croisées sur les genoux, et regardait droit devant elle, nota Harlan. Elle paraissait aussi raide que lorsqu’ils avaient quitté la maison…
— Je ne crois pas qu’il s’agisse simplement d’ennui. Elle est ainsi depuis presque un an. Au début, j’ai pensé que c’était son âge. Maintenant, je ne sais plus.
Rose se méfiait d’une conversation avec un célibataire, redoutant les situations gênantes, l’évocation de problèmes personnels. Mais elle ne pouvait rester indifférente à Harlan. Elle avait une conscience aiguë de sa présence, de la proximité de son corps mince et musclé, de son odeur masculine flottant autour d’elle.
— Depuis combien de temps n’a-t-elle plus sa mère ?
Harlan grimaça.
— Vous êtes au courant ?
— Quand je suis arrivée chez vous, j’ai demandé à Emily si je pouvais parler avec vous ou avec sa mère. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas de mère.
— Elle peut être un peu brutale parfois.
Harlan ralentit au croisement du chemin avec la route principale.
— Karen est morte quand Emily avait sept ans. Elle en a treize à présent, expliqua-t-il en tournant à droite.
— C’est long pour un enfant, commenta Rose.
Un grognement échappa à Harlan
— Ce n’est pas moi qui en ai décidé ainsi, figurez-vous !
Le ton sec de sa voix alerta de Rose. Le visage d’Harlan était fermé, impassible. De toute évidence, il souffrait toujours de la perte de sa femme…
Néanmoins, ses problèmes ne la concernaient pas. Ni les siens, ni ceux de sa fille maussade. Le Bar M croulait sous les dettes, et, si l’envie lui en prenait, l’individu assis à ses côtés pourrait la pousser à la faillite. Elle eut le cœur serré en pensant à la nouvelle qu’il lui fallait annoncer à ses sœurs et à sa tante Kitty, qui vivait avec elles au ranch.
— Je suis navré de vous avoir blessé, dit-elle doucement.
Harlan se passa la main sur le visage.
— Il y a des gens qui me reprochent de ne pas me remarier. Ce serait cruel envers Emily… Etes-vous de leur avis ?
Rose en croyait à peine ses oreilles. Elle ne le connaissait ni d’Eve, ni d’Adam ! Elle ne voulait pas le connaître. Las, chaque minute qui s’écoulait semblait lui livrer un peu de sa personnalité… Elle fronça légèrement les sourcils.
— Je n’ai pas la prétention de vous donner des conseils quant à votre vie privée, M… euh, Harlan.
Ses lèvres prirent un petit pli railleur.
— Je n’attends pas de vous un conseil. Plutôt une opinion.
— Pourquoi ?
— Je vous demande pardon ?
Il avait prononcé ces mots avec un léger accent du Texas, qu’elle ne put s’empêcher de trouver agréable.
— Pourquoi voulez-vous savoir ce que je pense ? Vous ne me connaissez même pas !
Il haussa les épaules, les yeux rivés sur la route plongée dans la pénombre.
— Il y a longtemps que je n’ai pas parlé à une femme. Emily est une fille et… je crains quelquefois de passer à côté de certaines choses.
— Avez-vous rencontré une femme que vous voudriez épouser ?
Il lui lança un regard narquois, puis se mit à rire.
— Rose, il n’y a pas une seule femme sur terre que je veuille épouser.
Son attitude moqueuse froissa Rose. Il n’y avait pas un seul homme sur terre qu’elle souhaitât épouser, elle non plus, et elle ne le criait pas sur les toits. Même si elle n’aimait pas les hommes, elle s’abstenait de les offenser.
— Alors je pense que vous devez rester célibataire, et oublier ce qu’en disent vos amis.
Le petit sourire qu’il lui adressa confirma à Rose que sa réponse lui avait donné toute satisfaction.
— Vous savez, Rose, je sens que nous allons nous entendre, tous les deux !
Rose était de retour au ranch et dessellait Pie dans l’écurie obscure. Les paroles d’Harlan résonnaient toujours à ses oreilles.
Nous allons nous entendre !
Elle avait eu envie de le gifler. Elle qui hésitait à écraser un scorpion, avait eu envie de commettre un acte de violence envers un autre être humain ! Que lui arrivait-il ?
Elle hissa la selle sur l’étagère supérieure du box vide et posa la bride en travers.
— Rose ?
Elle fit volte-face : Chloé venait à sa rencontre. Comme ses sœurs, elle avait les cheveux roux, quoique d’une nuance plus foncée. Et, au contraire de Rose et de Justine, Chloé était toute petite. Son tempérament et sa force compensaient toutefois largement sa taille. Elle avait l’air inquiet…
— Quelque chose ne va pas ?
Rose prit une profonde inspiration. Elle ne voulait pour rien au monde donner l’impression à Chloé qu’elle était subjuguée par un homme.
— J’ai chaud et je suis épuisée.
Chloé s’approcha, observant le visage empourpré de sa sœur avec attention.
— Tu as chaud et tu es épuisée les autres jours, mais là, on dirait que tu as eu du fil à retordre avec un taureau !
Un taureau ? Eh ! Le caractère d’Harlan présentait quelques ressemblances avec l’animal…
— As-tu terminé, ici ? demanda-t-elle à sa sœur en désignant les stalles. Il faut que nous parlions.
— Parler ? Que se passe-t-il encore ?
Un an plus tôt, Chloé n’aurait jamais réagi de manière aussi négative. Leur père vivait toujours, le ranch était prospère, ou tout au moins les trois sœurs le croyaient-elles, et des pluies abondantes avaient permis à l’herbe de pousser jusqu’à l’époque des premières gelées.
Cet été-ci, en revanche, tout allait de mal en pis. L’optimisme habituel de Chloé menaçait de s’effondrer face aux problèmes qui les assaillaient… Rose se sentait comme engourdie, assommée par le fardeau qui pesait sur ses épaules.
— Allons voir tante Kitty, dit-elle en prenant Chloé par le bras, je ne veux pas avoir à raconter cette histoire plus d’une fois.
Les sœurs entrèrent dans la cuisine, où Kitty, une femme d’une soixante d’années, toute menue, était en train de mettre la table.
— Ah ! C’est presque prêt, les filles. Allez chercher les jumeaux dans leur parc.
Bientôt, toute la famille était rassemblée autour de la table. Chloé donnait à manger à Anna, tandis que Rose s’occupait d’Adam. Les jumeaux avaient huit mois et commençaient à sortir leurs dents. Heureusement, ce soir-là, ils ne pleuraient pas — au grand soulagement de Rose qui les adorait.
— Eh bien, Rose, dis-nous ce qui s’est passé aujourd’hui, fit Chloé en offrant une cuillère de purée de haricots verts à Anna. Tu as trouvé une autre vache morte en vérifiant la clôture ?
— Pour l’amour du ciel, ne me dis pas qu’il y a autre chose ! s’exclama Kitty.
Mieux valait ne pas tourner autour du pot, décida Rose.
— La clôture qui sépare nos terres du Flying H a été coupée, et du bétail a été introduit chez nous.
— Quoi ? s’écria Chloé, stupéfaite.
— Qui aurait pu faire une chose pareille ? s’enquit Kitty.
— Je suis allée au Flying H et j’ai parlé à Harlan Hamilton, reprit Rose. Il a avoué que c’était lui.
Les deux femmes, bouche bée, la fixaient.
— Ne me regardez pas comme cela ! s’énerva Rose.
— Comme quoi ? fit Kitty.
— Comme si vous vous ébahissiez qu’une vieille fille timide ait eu le courage d’aller voir un homme !
— Rose ! Personne ne te considère comme une vieille fille timide, s’indigna Chloé. Tu te l’imagines, c’est tout.
— Je…, je suis désolée. Je ne me suis pas encore vraiment calmée.
Chloé et Kitty échangèrent un regard soucieux. Rose ne se montrait jamais irritable, ne se fâchait jamais.
— Pourquoi ? Que s’est-il passé entre lui et toi ?
— Comme je vous l’ai dit, je suis allée le voir. Je n’en avais aucune envie, mais je me suis forcée à le faire, dit Rose en donnant à Adam une autre cuillerée de poulet haché. Et il s’avère que c’est une bonne chose, parce que sinon…
— Quoi ? s’impatienta Kitty.
— Si je vous dis ce qu’il m’a montré, vous n’allez pas me croire !
— Son torse nu ? fit Chloé, impassible.
Rose décocha un coup d’œil réprobateur à sa sœur.
— Son ranch manque d’eau.
— Il n’est pas le seul, intervint Kitty. Vida me disait hier qu’ils devaient aller chercher leur eau potable à Ruidoso.
— Est-ce la raison pour laquelle M.Hamilton a introduit ses bêtes sur nos terres ? Pour les désaltérer ? s’étonna Chloé. Je ne vois pas comment cela peut résoudre son problème. Le bétail doit boire chaque jour. A moins que… Il n’a tout de même pas laissé son troupeau chez nous ?
— Non. Mais il veut que nous…
Elle s’interrompit, la gorge nouée par l’émotion, et déglutit péniblement.
— Il veut que nous lui donnions accès à certaines de nos terres pour que son bétail puisse s’abreuver à la rivière.
Les deux femmes regardèrent Rose avec effarement. Finalement Chloé éclata de rire.
— Je saisis pourquoi cet homme est célibataire. S’il est beau comme un dieu, il ne brille pas par l’intelligence !
— Attends, Chloé, je n’ai pas fini, marmonna Rose. Il y a quelques mois, un an pour être précis…, notre père a emprunté de l’argent à Harlan Hamilton.
— Non !
— Combien ? questionna Chloé, redevenue sérieuse.
Rose leur révéla le montant du prêt. Toutes deux parurent consternées.
— Et le pire, acheva Rose, c’est que papa a offert le Bar M en garantie.
Chloé se leva d’un bond.
— C’est impossible ! Il n’a pas pu faire cela !
— Si, confirma Rose, le visage sévère. Harlan possède une copie du document. Et c’est tout ce qu’il y a de plus légal.
— Veux-tu dire que si nous ne pouvons rembourser M. Hamilton, le ranch pourrait lui appartenir ? s’affola Kitty.
— C’est exact, j’en ai peur.
— Mon Dieu ! Qu’allons-nous faire ? gémit Chloé. Même en vendant le bétail, nous ne réunirons pas une somme suffisante !
— Nous allons offrir à M. Hamilton l’accès à nos terres en espérant qu’il se montrera patient en ce qui concerne le prêt. Pour le moment, il dit qu’il ne veut rien d’autre que de l’eau.
Chloé se laissa retomber lourdement sur sa chaise.
— Oh ! Rose, tu es si naïve quand il s’agit des hommes. Ils sont capables de dire n’importe quoi pour obtenir ce qu’ils veulent. Peu importe que ce soit un tissu de mensonges !
Rose darda sur sa sœur un œil sombre.
— J’ai appris à connaître les hommes il y a longtemps, Chloé. C’est pourquoi je garde mes distances avec eux. Mais en ce qui concerne Harlan…, nous n’avons pas le choix. Nous devons lui faire confiance. Il a toutes les cartes en main.
— Que penses-tu de lui, Rose ? fit Kitty. As-tu le sentiment qu’il soit digne de confiance ?
Depuis l’épreuve qu’elle avait subie avec Peter plus de huit ans auparavant, Rose n’avait jamais eu confiance en aucun homme, hormis son père. Et même cette unique exception s’avérait avoir été une erreur. Il aurait fallu être idiote pour croire Harlan sincère, et pourtant son instinct lui soufflait qu’il était différent des autres. Peut-être faisait-il partie de ces perles rares qu’étaient les hommes honnêtes et généreux, tout comme Roy Pardee, le mari de sa sœur…
— Je n’en sais trop rien, tante Kitty. Il est veuf et il a une fille de treize ans. Il paraît être un homme et un père responsable, mais… Ne pensions-nous pas que papa était ainsi ?
— Thomas devait être très perturbé pour faire ce qu’il a fait. D’abord, sa liaison avec cette femme, tout l’argent qu’il lui a versé, et maintenant cela ! Je remercie Dieu que ma sœur Lola ne soit plus là pour voir ce gâchis, soupira tristement la tante.
Jamais Rose n’avait ressenti une telle fatigue. Et l’idée d’affronter Harlan le lendemain lui parut soudain presque insupportable.
— Demain matin, je retrouve Harlan à la clôture, et nous conviendrons d’un arrangement pour son bétail. Quant à l’argent, nous savons toutes les trois que nous ne l’avons pas, et que nous ne pourrons pas l’avoir avant très longtemps. Harlan dit que l’accès à l’eau tiendra lieu de premier remboursement. J’ignore quelle somme il a en tête…, nous en discuterons.
Le silence s’installa dans la cuisine ; seuls le troublaient les petits cris des jumeaux.
Rose termina son dîner, puis prit Adam dans ses bras. Le bébé se blottit contre elle et elle savoura le plaisir que lui procurait son affection. Les jumeaux étaient leur seule consolation dans toute cette malheureuse affaire. Que leur mère se manifeste ou non, la famille Murdock se battrait pour les garder…
— Je vais donner un bain à Adam et puis j’irai me coucher. Pouvez-vous téléphoner à Justine et lui apprendre les nouvelles ?
Kitty hocha solennellement la tête.
— Je m’en charge. Peut-être Roy aura-t-il une idée pour nous sortir de ce pétrin ?
— Roy est un bon shérif, mais je doute qu’il puisse faire quoi ce que soit en l’occurrence lâcha Rose, en s’apprêtant à quitter de la cuisine.
— Rose…
Celle-ci se retourna pour faire face à sa sœur.
— Préfères-tu que ce soit moi qui aille voir M. Hamilton demain matin ?
Chloé et elle avaient toujours été de parfaits contraires. Chloé respirait la gaieté et la confiance en elle, sans rien de la réserve de Rose. Cela ne les empêchait pas de s’aimer profondément.
— Merci de me le proposer, Chloé, mais… je dois faire cela moi-même. A la mort de papa, nous avons résolu que tu t’occuperais des chevaux et moi du bétail. Je ne vais pas fuir mes responsabilités simplement parce que je n’aime pas avoir affaire à un homme.
— Nous n’avons jamais dit que nous ne pouvions pas nous rendre service mutuellement, si l’une d’entre nous en avait besoin…
Un faible sourire se dessina sur les lèvres de Rose.
— Je sais… Curieusement, Harlan Hamilton ne me fait pas peur. C’est juste que… quelque chose chez lui me désarçonne. Je peux néanmoins le supporter le temps qu’il faudra pour remettre ce ranch sur les rails. Car j’en fais la promesse : Harlan Hamilton ne deviendra pas propriétaire du Bar M !

 
 

 

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