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chapitre 7


De retour au Bar M, Rose composa le numéro d’Harlan et eut la chance de le trouver chez lui. Elle lui expliqua brièvement la découverte qu’elles avaient faite. Acceptait-il de l’aider ?
— Je selle mon cheval et j’arrive. Entre-temps, je veux que vous appeliez votre beau-frère et que vous lui disiez exactement la même chose qu’à moi.
Rose frissonna.
— Roy ? Pourquoi ?
— La clôture ne s’est pas coupée toute seule, Rose. Il s’agit d’un acte criminel.
Harlan avait raison, bien sûr. Mais l’idée que quelqu’un puisse délibérément causer des dégâts à son ranch lui répugnait tant qu’elle aurait préféré refuser d’y penser…
— Très bien. Je le ferai, puisque vous le croyez nécessaire. Emily et moi vous attendons ici.
— Laissez-moi vingt minutes.
— Nous serons aux écuries en train de seller des chevaux frais. Et… Harlan ?
— Oui ?
Elle crispa les doigts sur le récepteur.
— Merci.
— Rose, tout va s’arranger. Je vous le promets.
Elle lui savait gré, quoiqu’elle ne le crût pas, de tenter de la réconforter.
— A tout à l’heure, murmura-t-elle en un souffle.
Ils gagnèrent en voiture le lieu où la clôture avait été endommagée. Rose était assise entre Harlan et Emily qui, la tête penchée par la portière ouverte, cherchait à l’horizon la silhouette d’un taureau.
— Avez-vous parlé à votre beau-frère ?
Rose garda les yeux fixés sur la route. Elle n’était que trop consciente de la proximité d’Harlan, de sa cuisse pressée contre la sienne, de leurs épaules se frôlant au hasard des cahots.
— Il est parti à Albuquerque et ne sera pas de retour avant ce soir, répondit-elle. Il espère retrouver la mère des jumeaux…
— Partagez-vous cet espoir ?
Elle réfléchit un instant.
— Je ne peux pas m’imaginer la rencontrer. Si elle était en face de moi…, je ne sais pas ce que je lui dirais. Si elle a fait ce dont je la soupçonne, j’espère qu’elle en subira les conséquences. Quoi qu’il en soit, nous devons la retrouver. Sinon, nous vivrons dans la crainte qu’elle ne vienne un jour reprendre les enfants.
— Je ne peux pas croire qu’un juge les lui rendrait.
Rose pria silencieusement pour qu’il ait raison.
— Harlan… Avez-vous la conviction que le ranch est victime d’un acte criminel ?
— Dégâts matériels, mise en danger des automobilistes et du bétail… Bien sûr que c’est un acte criminel ! s’emporta-t-il.
— Nous y sommes bientôt, n’est-ce pas, Rose ? fit Emily en rentrant la tête à l’intérieur de la cabine. Je reconnais les prairies.
— Oui, je crois que c’est un peu plus haut, sur la gauche.
Elle se redressa afin d’avoir une meilleure vue par la portière d’Harlan. Après un bref coup d’œil aux terres du Bar M, son regard se posa… sur le visage de celui-ci. En dépit de toutes ses craintes et hésitations à son sujet, elle comprenait soudain que la présence de cet homme à ses côtés lui donnait un courage et une force qu’elle n’aurait jamais cru posséder.
— Rose, il ne faut pas craindre le pire, dit doucement Harlan, lisant le doute dans les beaux yeux gris de la jeune femme.
Il hasarda une main apaisante sur son genou, la sentit frémir…, et regretta que sa fille les ait accompagnés. Il aurait aimé s’arrêter sur le bord de la route et tenir Rose contre lui…
— Il a raison. Même si le taureau a disparu, ce ne sera pas la fin du monde, intervint Emily. Papa dit toujours qu’un homme qui ne possède rien est encore riche de sa santé !
— J’ignorais que ma fille se souvenait de mes pensées philosophiques ! ironisa Harlan. Il va falloir que je fasse plus attention à ce que je dis…
— Eh bien, poursuivit Emily, c’est la vérité. On peut toujours racheter plus tard les biens qu’on a perdus. Quand quelqu’un qu’on aime meurt, c’est différent…
Perdre sa mère à un si jeune âge avait évidemment marqué profondément la jeune fille, songea Rose, étonnée par sa maturité. Les yeux humides, elle se tourna vers Emily, et lui prit le visage entre les mains.
— Tu as raison, mon chou. Merci de me l’avoir rappelé.
— De rien, dit-elle avec un grand sourire, avant de se pencher et d’embrasser Rose sur la joue.
Bouleversée, celle-ci sourit en retour et lissa affectueusement les cheveux de l’adolescente. Pour la seconde fois de la journée, elle se sentait sur le point d’éclater en sanglots… Elle, qui ne pleurait presque jamais ! Son père disait souvent qu’elle était la plus forte de ses filles… Que lui arrivait-il ? Lorsque Harlan s’était montré gentil à son égard, elle avait eu les larmes aux yeux. Et maintenant qu’Emily l’avait embrassée, un nœud énorme s’était formé dans sa gorge. Harlan et sa fille étaient-ils en train de réchauffer son cœur glacé ?
— Rose, les gens d’ici savent-ils que ces terres appartiennent au Bar M ?
Ils se tenaient tous les trois à quelques mètres de la clôture abîmée. Un vent chaud soufflait du sud-ouest, et Rose avait l’impression d’avoir du coton dans la bouche. Si le taureau s’était enfui, il ne pourrait survivre longtemps par une telle chaleur — à moins de dénicher de l’eau.
— Très certainement. Mis à part vous deux, ceux qui vivent dans les alentours sont ici depuis bien avant ma naissance. Mais pas les gens de Ruidoso, cela va de soi.
— Y a-t-il un panneau indiquant le nom du ranch le long de la route ? demanda Harlan.
Il vit qu’Emily s’approchait de la clôture.
— N’avance pas plus près, ma chérie. Le shérif voudra examiner les traces.
Rose attendit qu’il se fût retourné vers elle pour répondre.
— Mmm… Il y a une autre entrée un peu plus loin, avec une sorte d’arche sur laquelle est gravé le nom du ranch. Elle est tout à fait visible de la route.
Harlan scruta l’horizon vers l’ouest. Ils étaient arrivés de cette direction, et n’avaient pas vu de bétail. Il se tourna vers l’est et fit quelques pas sur la piste, à la recherche de traces de sabots. Rose et Emily le suivaient de près.
— Regardez ! On dirait que notre fugitif est passé par là…
— Vous ne pensez pas que cette pauvre bête ait été volée ? s’alarma Rose.
Harlan s’arrêta au milieu de la route. Rose se tint à ses côtés, les mains sur les hanches, fouillant toujours les environs du regard.
— Non. A mon avis, il a trouvé la brèche et a décidé d’aller faire un tour.
— Pourquoi aurait-on coupé la clôture, sinon dans l’intention de s’en emparer ? s’interrogea Rose tout haut, tout en priant pour que Harlan ne se trompe pas et que le taureau n’ait pas causé d’accident.
Harlan haussa les épaules.
— Par méchanceté ? Par bêtise ? Qui sait ?… Allons un peu plus loin en voiture, nous finirons sûrement par le trouver.
Presque deux heures plus tard, ils aperçurent enfin l’animal. Il errait à quelques mètres de la route, dans un trou d’eau depuis longtemps à sec, à demi déshydraté.
Plus tard ce soir — là, une fois le taureau récupéré et ramené au ranch, Rose exprima sa gratitude à Harlan.
— Je sais que vous seriez offensé si j’offrais de vous payer, commença-t-elle, mais je tiens à vous remercier pour votre aide. Emily et vous êtes invités à dîner avec nous ce soir. Je ne sais pas ce que Kitty a préparé, mais c’est toujours délicieux !
— Merci, Rose, nous serons très heureux de rester. Toutefois, nous devons d’abord réparer cette clôture, sinon le troupeau entier risque de gambader sur les routes… Possédez-vous des panneaux amovibles ?
— Oui, dans la grange. Je vais vous montrer…
La main d’Harlan se posa sur son bras.
— Non. Dites-moi où ils sont. Je les trouverai.
Il faisait encore jour, et pourtant Rose eut subitement le sentiment d’être dans une chambre obscure. Elle ne voyait que lui, ne sentait que la chaleur de ses doigts sur sa chair.
— Mais…Vous aurez besoin d’aide pour les fixer. Et…
— Je me débrouillerai. Rentrez à la maison et reposez-vous.
Peut-être devrait-elle suivre son conseil plutôt que passer encore une heure ou deux seule avec lui ; elle avait cependant envie de l’accompagner…, et c’était dangereux.
— Je ne m’attends pas à ce que vous fassiez davantage.
Il fronça les sourcils.
— Je sais. Je le fais parce que j’en ai envie.
Elle faillit lui demander pourquoi, mais se ravisa. Peut-être ne voulait-elle pas connaître ses raisons. Et peut-être ne voudrait-il pas les lui confier.
Il la poussa gentiment vers la maison.
— Allez-y. A tout à l’heure.
Elle s’éloigna à pas lents, sachant pertinemment qu’il la suivait des yeux, et se faisant violence pour ne pas lui dédier un dernier regard.
Rose prit une douche rapide, puis, après un instant d’indécision, enfila une jupe longue et un débardeur assorti. Peu lui importait que Kitty et Chloé croient qu’elle devenait coquette à cause d’Harlan. Après tout, elle était une femme. Assez soucieuse de son apparence pour ne pas ressembler tout le temps à un cow-boy…
Kitty avait prévu de faire griller des entrecôtes. Pendant qu’Emily jouait avec les jumeaux, Rose aida sa tante à préparer une salade et un plat de pommes de terres au four.
Si le retour d’Harlan se fit à la nuit tombée, la température avait à peine baissé. A la vue de sa chemise trempée de sueur, Rose culpabilisa de ne pas lui avoir offert son aide avec plus d’insistance.
— Venez, dit-elle. Je vais vous montrer où vous pouvez vous rafraîchir.
Il l’accompagna dans le couloir, s’efforçant de ne pas regarder trop ostensiblement ses lèvres colorées d’un rose léger, ses cheveux bouclés retenus par un ruban écarlate. Un parfum subtil de chèvrefeuille émanait d’elle, et les plis de sa jupe ondulaient au rythme de ses hanches. C’était la première fois qu’il la voyait aussi féminine, et le contraste le troublait grandement.
— Le dîner est presque prêt, annonça-t-elle en poussant la porte de la salle de bains, avant de s’effacer pour le laisser entrer.
— Je ne serai pas long…
Elle referma la porte derrière lui et repartit vers la cuisine. A mi-chemin, elle se ravisa et entra dans la chambre de son père. Harlan apprécierait sans doute de pouvoir se changer… Elle choisit une chemise en coton blanc dans la commode, puis retourna à la salle de bains.
— Harlan ?
La porte s’ouvrit, et elle eut le souffle coupé. Il se tenait debout devant le lavabo, nu jusqu’à la taille. Une eau savonneuse dégoulinait sur son torse. Des poils bruns ombraient sa poitrine… Il semblait si fort, si viril, qu’elle en oublia la raison pour laquelle elle était venue.
— Vous vouliez me dire quelque chose ? s’enquit-t-il en se frottant la nuque.
— Je… Euh… J’ai pensé que vous aimeriez mettre une chemise propre, bredouilla-t-elle, se maudissant d’être restée là, bouche bée, telle une adolescente de quinze ans.
Elle s’approcha juste assez pour déposer la chemise sur le coin du placard. En un éclair, la main d’Harlan se referma sur son poignet. Le cœur battant à tout rompre, Rose leva sur lui un timide regard.
— Merci, Rose, fit-il d’une voix rauque. C’est gentil de votre part.
— Rien ne vous oblige à me tenir le poignet pour me remercier, observa-t-elle d’une voix tremblante.
Un léger sourire retroussa les coins de ses lèvres.
— Hum… Le désir, peut-être ?
— Non ! Harlan… ! s’écria-t-elle, affolée, en regardant autour d’elle. Pour l’amour du ciel, nous sommes dans la salle de bains !
Il tendit le bras et repoussa la porte.
— Ne me dites pas que vous n’avez jamais été seule dans une salle de bains avec un homme, dit Harlan d’une voix amusée.
— Je vis seule !
Les mots avaient jailli de sa bouche comme si ce fait excluait d’emblée tout contact avec un homme. Son innocence le surprit et le toucha en même temps.
— Ce qui signifie ?
— Que je ne suis pas une femme aux mœurs légères !
Il rit doucement tandis que sa main remontait jusqu’à l’épaule nue de Rose.
— Rose, vous êtes délicieuse !
Elle rougit violemment.
— Ne vous moquez pas de moi !
— Je ne me moque pas de vous, dit-il en passant une main dans les cheveux de Rose. Vous… vous êtes très belle, ce soir.
Rose aurait juré qu’ils avaient épuisé tout l’oxygène de la salle de bains.
— Ce matin, je ne l’étais pas ? rétorqua-t-elle.
Il lui caressa la joue en souriant.
— Vous m’avez très bien compris. Vous êtes belle, Rose.
Elle gémit et recula. Accompagnant son mouvement, il glissa les bras autour de sa taille. Chancelante, étourdie, Rose se rattrapa à ses épaules.
— Harlan…Vous avez promis d’être mon ami…
Il l’attira plus près, la pressa contre son torse nu, ses jambes puissantes.
— C’est vrai. Mais je n’ai pas promis de ne plus vous toucher. A quoi bon faire une promesse que je ne pourrais tenir ?
Le cœur de Rose battait si fort ! Harlan l’entendait probablement tambouriner contre sa poitrine…
— Vous savez que je ne veux pas…
Les lèvres d’Harlan étouffèrent la fin de sa phrase. La voix de la raison n’était plus qu’un faible écho dans l’esprit de Rose. Se dérober à son baiser ? Il le fallait. Encore faudrait-il qu’elle ne le désirât pas…
Comme elle le désirait, au contraire !
Les mains d’Harlan encadraient son visage, ses pouces soutenant fermement son menton. Rose enfonça ses doigts dans son cou et entrouvrit les lèvres en frissonnant de plaisir. Le goût de la bouche d’Harlan éveillait ses sens, répandait une onde de chaleur dans tout son corps. Elle n’avait pas peur de sa solidité, de sa force. A la fois ravie et terrifiée, elle savoura ses lèvres, l’invasion intime de sa langue.
— Je crois, soupira-t-il en relevant la tête, que ce n’est… ni le lieu ni le moment…
Comment pouvait-il s’attendre à ce qu’elle sorte, et fasse comme si de rien n’était ? songea-t-elle, abasourdie. Ses genoux se dérobaient sous elle, et elle savait sans avoir besoin de se regarder dans une glace que son visage était écarlate, et ses lèvres gonflées.
— Cela ne t’inquiétait pas, avant ! fit-elle d’une voix qui lui parut étrangement grave.
Souriant, il s’empara d’une serviette et entreprit de se sécher.
— Cela ne m’inquiète pas vraiment à présent.
Appuyée au placard, elle le regarda enfiler la chemise.
— Elle appartenait à ton père ?
— Oui. J’ai pensé qu’elle t’irait…
— Elle me va.
Il finit de boutonner le devant, puis abaissa la fermeture éclair de son jean pour rentrer la chemise à l’intérieur. Rose s’empressa de détourner les yeux, se concentrant sur les carreaux rose et blanc.
— Voilà. Je suis prêt. Allons-y.
Comme Rose ouvrait la porte du couloir, Harlan sur les talons, une voix s’éleva derrière eux.
— Oh ! Vous voici ! Kitty m’a envoyé vous chercher. Le dîner est servi.
Rose fit volte-face.
— Nous étions juste…
— Rose me montrait la salle de bains…
Le regard de Chloé alla du visage empourpré de sa sœur au sourire embarrassé d’Harlan.
— Vraiment ? Vous n’avez pas de salle de bains, M. Hamilton ?
Harlan éclata de rire.
— Appelez-moi Harlan. Si, j’ai une salle de bains, mais euh… J’envisage de faire quelques changements…
Chloé sourit, ne croyant visiblement pas un mot de son histoire.
— Eh bien, j’espère que ce que Rose vous a montré vous a plu…
Le sourire d’Harlan se fit plus large encore.
— Oh ! Croyez-moi, elle m’a aidé à prendre une décision. Je sais exactement ce que je veux à présent.
La clôture endommagée et la recherche du taureau furent les principaux sujets de conversation à table. Au prix d’efforts considérables, Rose parvint à participer, de temps à autres, à la discussion. Elle mangea même une quantité raisonnable de steak et de pommes de terre, bien qu’elle fût la proie d’un véritable tumulte d’émotions.
Elle avait décidément peine à croire qu’Harlan puisse la trouver attirante physiquement. Les rares hommes qu’elle avait essayé de fréquenter après Peter l’avaient jugée trop froide et trop mesurée. Et elle n’en avait guère éprouvé de regret. Elle avait détesté leurs sous-entendus, leurs efforts maladroits pour la convaincre de coucher avec eux. Pourquoi Harlan était-il différent ? Que voyait-il en elle de si particulier ? Et pourquoi se sentait-elle fondre dès qu’il la regardait ?
En l’honneur de leurs invités, Kitty servit le café et le dessert sur la terrasse. L’air du désert avait fini par se rafraîchir ; une agréable et légère brise nocturne soufflait par intermittences.
Pendant que tout le monde mangeait et bavardait, Rose s’assit un peu à l’écart dans un fauteuil de jardin et tenta de maîtriser son agitation. Tant d’événements s’étaient produits au cours de ces derniers mois et de ces dernières semaines qu’elle avait la sensation d’être prise au piège d’un tourbillon frénétique…
— Rose. Je voudrais te parler. Pouvons-nous gagner un endroit plus calme ?
Rose sursauta et vit que seuls Harlan et elle étaient encore sur la terrasse, les autres s’étant repliés à l’intérieur de la maison. Comment avait-elle pu ne rien remarquer ?
— Plus calme ? dit-elle d’une voix un peu trop aiguë. Nous sommes seuls…
— Oui, mais… Je ne veux pas que quelqu’un vienne interrompre ce que j’ai à dire.
Elle se leva et essuya ses paumes soudain moites contre sa jupe.
— Tu es sûr que tu veux… seulement parler ?
Sa question suscita le sourire d’Harlan.
— Oui. Seulement parler.
Devait-elle le croire ? A en juger par la lueur qui brillait dans ses yeux… Bah ! elle n’allait tout de même pas le fuir comme une petite fille !
— Il y a un banc là-bas, sous les pins, indiqua-t-elle.
— Bien. Je te suis…
Le clair de lune leur permettait de marcher sans courir le risque de déranger un crotale. Harlan avançait auprès de Rose, sa main effleurant le creux de son dos. Il ne portait plus de chapeau ; ses boucles brunes lui couvraient le front et la nuque. Irrésistible, avait dit Chloé. La description lui allait comme un gant, pensa la jeune femme…
Ils atteignirent le banc. Le cœur battant à tout rompre, elle prit place à côté de lui. Aussitôt, Harlan saisit sa main. Rose la lui abandonna…
— Je pense que tu as remarqué l’affection que te porte Emily, commença-t-il d’une voix incertaine.
— Oui. Je l’aime beaucoup, moi aussi, répondit Rose perplexe. Mais tu n’avais pas besoin de t’éloigner des autres pour me dire cela ?
— Donne-moi du temps, Rose. J’essaie de procéder par étapes !
— Je t’en prie, Harlan… n’y va pas par quatre chemins. Après tout ce que j’ai vécu récemment, je crois que tu peux te dispenser de prendre des gants.
— Je ne veux pas être brutal.
Elle retint son souffle.
— As-tu changé d’avis au sujet de l’argent que mon père t’a emprunté ? C’est cela, n’est-ce pas ? Tu penses que nous devrions vendre et te rembourser !
— Rose, je t’ai dit ce matin qu’il ne s’agissait pas d’argent. J’ai… j’ai réfléchi et je crois que toi et moi pouvons trouver un moyen de nous aider mutuellement.
Leurs yeux se rencontrèrent dans le clair de lune argenté.
— Comment ?
Il prit une profonde inspiration.
— Nous pouvons nous marier.
Le cœur de Rose cessa de battre. Paralysée par le choc, elle mit un instant à réagir.
— Tu… tu ne parles pas sérieusement !
— Si. On ne peut plus sérieusement.
Elle le dévisagea avec stupeur, complètement décontenancée.
— Mais tu n’éprouves rien pour moi. Tu me connais à peine !
Harlan fit une petite moue.
— Les gens ne se marient pas seulement par amour, Rose.
Gravement humiliée, elle sentit ses joues se colorer.
— Je ne parlais pas d’amour ! Mais quand deux personnes se marient, elles doivent au moins se connaître et avoir de l’affection l’une pour l’autre !
— Nous nous connaissons.
— Non ! Non, protesta-t-elle d’un rire incrédule. Tu ne me connais pas, Harlan. Sinon, tu ne me demanderais pas de t’épouser !
— Je sais tout ce que j’ai besoin de savoir. Emily t’adore. Elle serait ravie que tu sois sa belle-mère. Et moi aussi.
S’imaginait-il que cela devait lui suffire ? Elle brûlait d’indignation.
— C’est donc cela, Harlan ? Tu cherches une mère pour Emily ? Tu m’as dit le jour, la première fois que nous nous sommes vus, que tu étais déterminé à ne jamais te remarier ! Et maintenant, tu voudrais que je sois ta femme ? Je suis désolée, tout cela ne tient pas debout !
— Oublie que j’ai dit cela.
— Pourquoi le devrais-je ?
— Parce… parce que les choses ont changé.
— Que veux-tu dire ?
— Rose, j’admets que c’est un peu précipité. Mais… nous pourrions être heureux ensemble, j’en suis sûr.
— Qu’en sais-tu ?
— Emily a besoin d’une mère, le Flying H d’une femme, et toi d’un homme pour t’aider au ranch. C’est aussi simple que cela.
Elle crut que son cœur se brisait. Sa proposition toute pratique détruisait les quelques vestiges de fierté féminine que Peter lui avait laissée. Elle était une femme qu’aucun homme n’aimerait jamais vraiment. Il n’aurait pu s’exprimer plus nettement.
— Je vois… Tu cherches réellement une mère pour Emily.
Son visage était devenu de marbre, et Harlan comprit qu’il l’avait offensée.
— Rose, je t’en prie… Ne va pas croire que je suis une brute sans cœur. Mais… je ne vais pas te faire l’insulte de prétendre être tombé fou amoureux de toi aussi subitement. Nous savons tous les deux que ce serait aussi ridicule que si tu m’affirmais avoir eu le coup de foudre pour moi !

Et si elle était vraiment tombée amoureuse de lui ? C’était peut-être là l’explication de l’intensité de son chagrin et de son désarroi… Elle ne pourrait pas supporter d’être maltraitée par un autre homme. Pas à présent. Pas après tout le reste…
— Je présume que je devrais te remercier d’avoir été aussi franc avec moi.
Elle paraissait fâchée contre lui. S’il voulait la convaincre d’accepter son offre, il devait faire appel à sa raison. Rose était une femme raisonnable.
— Je comprends que cette demande n’est pas exactement romantique, mais…
Elle l’arrêta d’un regard.
— Tu sais, on m’a déjà demandée en mariage, une fois.
L’amertume qu’il lut sur ses traits le désarçonna.
— Je ne voulais pas suggérer le contraire… Ecoute-moi, Rose. J’ignore ce qui s’est passé, toutefois…
— Cela ne mérite pas qu’on en parle, coupa-t-elle sèchement.
C’était donc cela ! Si Rose n’aimait pas les hommes, ce n’était pas à cause de son père, mais d’un autre. Quelqu’un en qui elle avait eu confiance et qui l’avait trahie… Il ne tenterait pas de l’interroger afin d’en apprendre plus long sur son passé. Il n’était pas même certain de le vouloir. L’idée qu’un homme ait pu lui faire du mal le révoltait.
Il s’empara des mains de Rose et les pressa entre les siennes.
— Rose. Tu m’as dit que l’amour ne t’intéressait pas. Et après la mort de ma femme, je… je ne veux aimer personne d’autre de la même façon. Je ne savais pas si je voulais vivre ou mourir. S’il n’y avait pas eu Emily…
— Alors, pourquoi te remarier ?
Un sourire plein de tendresse éclaira le visage d’Harlan. Si ce sourire exprimait l’amour, se dit-elle, les larmes aux yeux, elle aurait été heureuse de se donner à lui. Hélas, ce n’était pas le cas. Il ne feignait pas même de la persuader qu’il l’aimait.
— Un mariage entre nous serait différent. Nous serions des amis. Et Emily aurait de nouveau une famille. Qu’en dis-tu, Rose ? Veux-tu m’épouser ?

 
 

 

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chapitre 8

Harlan voulait qu’elle soit sa femme ! Qu’allait-elle faire ? Que voulait-elle faire ?
Retirant ses mains, elle se leva et alla s’adosser à un pin tout proche, sans se soucier de la résine qui coulait le long du tronc.
— Rose ?
Elle l’entendit s’approcher, et inspira plusieurs fois de grandes goulées d’air. Lorsque les doigts d’Harlan se posèrent sur sa nuque, elle sentit ses forces l’abandonner.
— Je sais que tout cela est très soudain, murmura-t-il. Mais je t’en prie, ne refuse pas.
Elle déglutit péniblement.
— Et quelle sorte de mariage aurions-nous exactement ?
— Que veux-tu dire ?
Elle le regarda par-dessus son épaule. Il était si beau, si fort… Fait pour l’amour. Elle n’était pas la femme qu’il lui fallait. Harlan avait besoin d’une compagne et d’une amie, mais aussi d’une amante. S’il ne s’en rendait pas compte, elle ne pouvait l’ignorer…
— Je…
Gênée, elle s’interrompit brusquement, puis se tourna afin de lui faire face.
— Tu t’attends à ce que nous ayons aussi des relations sexuelles ?
Le baiser échangé dans la salle de bains l’avait sans doute persuadée qu’il le désirait, se dit Harlan. Et l’idée n’était pas sans le tenter. Il était certain que faire l’amour avec Rose serait une expérience délicieuse…, et qu’elle s’enfuirait comme une biche aux abois s’il insistait là-dessus.
— Rose, je ne peux pas prétendre que je ne te trouve pas attirante. N’importe quel homme sain de corps éprouverait la même chose que moi ! Mais je sais que tu n’es pas prête à franchir ce pas avec moi. Et peut-être ne le seras-tu jamais.
Elle le dévisagea, incrédule.
— Tu pourrais accepter cela ?
Il lui releva tendrement le menton.
— Il y a sept ans que je couche seul, Rose. Je peux continuer. Peut-être qu’après quelque temps, tu verras les choses sous un jour différent…
— Où vivrions-nous ? J’ai tant de travail ici.
— J’aimerais que nous vivions chez moi. Pour ce qui est de ton travail, ce n’est pas un problème : ne faisons-nous pas déjà l’aller-retour tous les jours ? Et j’ai l’intention de prendre en charge une bonne partie de tes tâches…
Qu’en diraient ses sœurs ? Seraient-elles soulagées qu’elle ait enfin trouvé un homme, ou qu’un homme veuille d’elle ? Ou penseraient-elles que le stress auquel elle était soumise avait eu raison de son bon sens ?
Elle se détourna.
— Je ne sais pas, Harlan. C’est si inattendu…
L’angoisse le saisit à l’idée qu’elle allait refuser. Sans qu’il sût pourquoi, c’était comme si toute sa vie dépendait de la décision de Rose. Il l’entoura doucement de ses bras.


— Si cela peut t’aider à prendre un parti, une fois que nous serons mariés, je renoncerai au remboursement du prêt que j’ai fait à ton père…
Abasourdie, elle fit volte-face, et il leva les mains en signe d’excuse.
— Rosie, je n’essaie pas de t’acheter, calme-toi…
Elle referma la bouche et croisa les bras. Elle aurait voulu être furieuse contre lui… Las, il l’avait appelée Rosie, et elle s’était sentie fondre. Personne ne l’avait jamais appelée ainsi. Son entourage l’estimait probablement trop sévère, trop froide pour un surnom aussi gai.
— Harlan, c’est l’impression que tu donnes. Et, franchement, il me semble que c’est toi qui es le perdant dans l’affaire.
Il sourit.
— Laisse-moi en être le juge. Et puis, ne serait-il pas stupide d’être le débiteur de sa propre femme ?
L’argument était raisonnable, dut-elle admettre in petto.
— Et j’aurais tout intérêt à laisser cet argent investi dans le Bar M, ne crois-tu pas ? poursuivit-il.
— Tu veux dire que si le ranch est prospère, tu le seras aussi ?
Il acquiesça dans un large sourire.
— Maintenant que nous avons réfléchi aux questions pratiques, vas-tu accepter ?
Elle n’avait pas même commencé à réfléchir ! faillit-elle s’écrier.
— Je… J’ai besoin de temps, Harlan. Je ne peux pas te donner une réponse ce soir.
— Quand ?
Combien de temps lui faudrait-il ? Une journée ? Une semaine ? Une année ? Peut-être en son for intérieur connaissait-elle déjà la réponse…
— Demain soir. Quand je ramènerai Emily. J’espère que tu ne lui as parlé de rien ?
— Non. Et je ne dirai rien tant que je ne serais pas fixé.
— Très bien… Rentrons, veux-tu ?
Harlan glissa son bras autour de la taille de Rose, et ils reprirent le chemin de la maison.
Le lendemain après-midi, après plusieurs heures passées à inspecter les prairies, Rose et Emily revinrent au ranch pour y trouver Justine, Chloé et Kitty assises sur la terrasse. Charlie et les jumeaux jouaient paisiblement à l’ombre, près du tas de sable.
Justine tendit la main à la jeune fille.
— Tu dois être la fille de M. Hamilton, Emily. J’ai déjà entendu chanter tes louanges.
Souriant timidement, Emily s’avança et serra la main de Justine.
— Je suis heureuse de faire votre connaissance, madame.
Justine éclata de rire.
— Appelle-moi Justine, je t’en prie ! Je ne suis pas si vieille !
Rose contempla les enfants avec affection.
— On dirait que Charlie s’occupe bien des jumeaux !
Kitty s’empressa de remplir deux verres de limonade bien fraîche pour les nouvelles venues.


— Justine apporte des nouvelles ! s’exclama Chloé, qui souriait aux anges.
— De bonnes nouvelles ? J’ai du mal à le croire ! lança Rose avec une moue dubitative.
— Roy et moi les trouvons bonnes, en tout cas, gloussa Justine.
— Roy a arrêté Belinda Waller à Albuquerque ?
Chloé leva les yeux au ciel.
— Et tu crois vraiment que cela me ferait sourire ?
Rose, épuisée par la longue chevauchée du retour, étendit les jambes. Elle avait passé une nuit blanche, les yeux grands ouverts, à ruminer la proposition d’Harlan — sans parvenir à prendre une décision.
— Certes… Roy aurait-il découvert l’identité de l’idiot qui a coupé la clôture ?
Justine secoua la tête.
— Il y travaille, Rose. Pour l’instant, il ne dispose que de maigres indices. Quelques traces de pas et peut-être des empreintes digitales sur le poteau en métal. Et il y a peu de chances pour que l’individu soit déjà fiché…
Les épaules de Rose s’affaissèrent. Emily s’approcha.
— Papa et moi avons un mauvais pressentiment à propos de cette clôture, dit-elle. Nous craignons que celui qui l’a fait ne tente un autre mauvais coup.
Justine hocha la tête.
— Roy est aussi de cet avis.
Le petit groupe redevint silencieux. Puis Chloé se leva et se resservit de la limonade glacée.
— Pour l’heure, n’y pensons pas. Dis-leur, Justine !
Radieuse, celle-ci regarda Rose.
— Roy et moi allons avoir un autre bébé.
— Ouah ! s’écria Emily. Il va y avoir des bébés partout !
Tout le monde éclata de rire, et Rose se jeta au cou de sa sœur.
— Félicitations, Justine ! C’est merveilleux.
— Merci. Je sais que cela paraît un peu fou de vouloir un enfant alors que tout va si mal, mais Roy et moi avons perdu tellement de temps ! Charlie a déjà cinq ans…
— Et il meurt d’envie d’avoir un petit frère ou une petite sœur, acheva Rose en souriant. Le bébé est prévu pour quand ?
— Fin mars.
— Et je présume que Roy est ravi ?
— Oui. Et il voudrait déjà que j’arrête de travailler ! J’attendrai pour cela le huitième mois. Un peu d’exercice me fera du bien…
Elles continuèrent à bavarder ainsi gaiement. Au bout d’un moment, Rose remarqua qu’Emily les avait quittées et s’était assise sur le sable, non loin de Charlie et des jumeaux. L’expression empreinte de tristesse de son regard émut la jeune femme, qui se dirigea vers elle.


— Emily, quelque chose ne va pas ?
Les yeux fermement rivés sur les enfants, l’adolescente fit non de la tête.
— Tout va bien.
— Ai-je dit quelque chose qui t’a blessée ? Si c’est le cas, je le regrette.
— Oh, non ! Je ne suis pas fâchée. J’ai juste eu envie de regarder les enfants jouer…
D’ordinaire, elle aurait joué avec eux au lieu de rester à l’écart, se dit Rose.
— Es-tu sûre que tu vas bien ?
L’adolescente baissa les yeux.
— Oui…
— As-tu été peinée d’apprendre que ma sœur va avoir un bébé ? hasarda Rose.
Levant la tête, Emily acquiesça, l’air coupable.
— Réaction idiote, n’est-ce pas ? C’est fantastique pour vous tous…
— Tu voudrais être à la place de Charlie, n’est-ce pas ? s’enquit Rose en caressant les cheveux blonds d’Emily.
— Vous devez penser que je suis terriblement égoïste, marmonna la jeune fille en se frottant les yeux.
— Non, repartit Rose, la gorge serrée. Pas du tout.
Elle ne pouvait confier à Emily qu’elle aussi avait eu des pensées égoïstes à l’annonce de la grossesse de Justine. Bien sûr, elle était heureuse pour sa sœur, très heureuse. Mais un peu jalouse également…
Harlan ne lui avait-il pas offert une chance d’avoir, elle aussi, un mari et un enfant à aimer ? lui souffla une petite voix au fond d’elle. Il voulait qu’elle devienne sa femme. Qu’elle soit la mère d’Emily.
Certes, il n’était pas question de passion, ni même d’un bébé à elle ; toutefois elle aurait une famille, sa famille. C’était plus qu’elle n’avait jamais osé espérer… Saurait-elle s’en *******er ?
— Je suis navrée d’avoir été si morose, fit Emily en se redressant. Je vais aller féliciter votre sœur.
Rose lui pressa le bras.
— Emily, tu es une fille adorable. Et j’aimerais que tu considères cette famille comme la tienne…
— Merci, Rose. Vous et moi, on forme une bonne équipe, pas vrai ?
— Oui. Une équipe du tonnerre !
Le marteau ripa, écrasant l’index d’Harlan contre le clou. Surpris par la douleur cuisante, il laissa échapper un juron. S’il avait été capable de se concentrer, il n’aurait jamais fait preuve d’une telle maladresse !
Car il ne pouvait chasser Rose de ses pensées.
Dans quelques minutes, elle ramènerait Emily et lui donnerait sa réponse. Si quelqu’un lui avait dit, une semaine plus tôt, qu’il allait demander une femme en mariage, il lui aurait ri au nez. Si on avait ajouté qu’il voudrait désespérément que cette femme y consente, il aurait accusé son interlocuteur d’être fou.


Et peut-être avait-il été trop impulsif, s’avoua-t-il. Il y avait sept ans qu’Emily et lui étaient seuls. Au début, il avait eu du mal à faire face à la perte de Karen, à son chagrin. Ensuite, la responsabilité d’élever seul une jeune enfant avait pesé lourdement sur ses épaules. Dieu sait comment, ils avaient survécu, et évolué ensemble… Pourquoi introduire Rose dans leur foyer ?
Parce qu’Emily grandissait, devenait une jeune femme. Elle avait besoin d’une présence féminine pour la guider, la conseiller. Et parce que la vie au ranch serait plus agréable avec Rose. Rien de plus.
Quelques minutes plus tard, Harlan entendit un bruit de moteur. Il sortit de la grange ; Rose se garait sous l’ombre d’un pin malingre. Emily sauta hors de la camionnette et se rua vers la maison ; Rose, elle, descendit sans se hâter puis mit une main en visière, scrutant dans sa direction.
Il lui fit signe. Elle agita la main en retour et s’avança vers lui. Lorsqu’elle atteignit la grange, le cœur d’Harlan tambourinait dans sa poitrine, et ses paumes étaient moites. Il ne se rappelait pas avoir été aussi tendu de toute sa vie.
— Bonsoir.
Elle lui sourit timidement, nerveusement.
— J’ai dit à Emily que j’avais à te parler…
— Tout s’est bien passé aujourd’hui ?
— Oui. Roy a examiné les lieux… Selon lui, les chances sont faibles d’appréhender le coupable.
La nouvelle ne le surprit pas. En l’absence d’un témoin, les indices étaient trop minces pour aboutir à grand-chose.
— L’essentiel est que rien d’autre ne soit arrivé…
Elle s’était douchée et changée. Les fines bretelles de sa robe bain de soleil jaune pâle exposaient ses frêles épaules, où perlaient quelques gouttes de sueur.
— Ma sœur Justine avait une nouvelle à nous annoncer.
— Entrons là. Il fait plus frais.
Ils pénétrèrent sous le hangar, et Harlan indiqua du doigt plusieurs bottes de foin empilées près de la sellerie. Rose s’assit sur l’une d’elles et attendit qu’il la rejoigne.
— Quelle sorte de nouvelle ? A propos de la maîtresse de ton père ?
Le mot fit frissonner Rose.
— Non. Personnelle. Roy et elle vont avoir un autre bébé.
— Oh ! fit-il en s’asseyant tout près d’elle. Je suppose que tout le monde était enchanté ?
— En effet. Cela dit… Emily en a été un peu triste aussi.
— Triste ? répéta Harlan, perplexe. Je ne comprends pas. Emily adore les enfants. Tu l’as vue avec les jumeaux… Et puis, elle connaît à peine ta sœur.
Rose soupira.
— Cela n’a rien à voir avec Justine. Emily était triste parce qu’elle pense qu’elle n’aura jamais de frères et sœurs. Et c’est son vœu le plus cher.
Il la considéra bouche bée.


— Tu plaisantes ?
Rose fronça les sourcils.
— Absolument pas.
Harlan demeura muet, les yeux dans le vague. Bientôt, Rose rompit le silence.
— Tu ne le savais pas ?
Il se tourna vers elle, les traits altérés par l’émotion.
— Non.
— T’a-t-elle dit combien elle désire une mère ?
— Non… Apparemment, elle te l’a révélé, fit-il, amer.
Peut-être aurait-elle dû se taire, songea Rose. Qu’Emily se soit livrée à elle plutôt qu’à lui le meurtrissait. Néanmoins, le bien-être de l’adolescente était la raison pour laquelle il souhaitait l’épouser. Comment aurait-elle pu lui cacher ce qu’elle avait appris ?
— Elle ne croit pas que t’en parler puisse changer quoi que ce soit, expliqua-t-elle.
Harlan grimaça.
— J’ai quand même senti qu’elle avait besoin d’une mère. Cela compte, non ?
— Bien sûr… Tu es un bon père, Harlan. Je ne te raconte pas tout cela pour t’humilier.
— Alors pourquoi me le dis-tu ?
L’estomac noué, Rose hésita.
— Parce que… tu voulais savoir si j’accepterais de t’épouser. Et je pensais m’être déterminée…
Les yeux d’Harlan étaient plongés dans les siens, lui intimant de poursuivre.
— Mais, à présent…
Gravement, il s’approcha d’elle.
— Es-tu en train de me dire que tu avais décidé de m’épouser, et qu’à présent tu as des doutes ?
Hochant la tête, elle détourna son regard. Il lui prit le menton et la contraignit à lui faire face.
— Pourquoi ? Dis-le moi, Rose. Nous ne pourrons rien résoudre si tu ne me parles pas.
Comment pouvaient-ils résoudre quoi que ce soit ? se dit-elle avec désespoir. Il désirait un mariage de raison. Et elle brûlait d’être aimée…
— N’est-ce pas évident ? Emily veut une vraie famille. Pas le genre de mariage que tu as en tête.
— Emily a besoin d’une mère plus qu’elle n’a besoin d’un frère ou d’une sœur. D’ailleurs, tu es jeune, Rose. Dans quelque temps, tu auras peut-être envie d’avoir un bébé…
Un bébé avec lui ! L’idée la fit trembler. Même si elle réussissait à puiser le courage de faire l’amour avec lui, elle savait qu’il serait déçu. Peut-être même dégoûté. Jamais elle ne pourrait survivre à une telle mortification. Pas devant lui. Pas devant Harlan.
— Je…je n’envisagerai jamais de mettre au monde un enfant sans amour. Et nous ne sommes que des amis.
Des amis… Le mot ne semblait pas correspondre aux sentiments qu’il éprouvait pour Rose. Il voulait la protéger, l’aider. La voir heureuse. Avant tout, il voulait vivre avec elle. Ne ressentait-elle donc rien pour lui ?


— Rose… il faut que tu saches que si je ne peux pas t’épouser, je n’épouserai personne d’autre.
— Je ne sais pas, Harlan. Aujourd’hui, quand j’ai vu la détresse d’Emily, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ce serait une erreur de t’épouser…Tu as besoin d’une femme qui t’aime et que tu pourras vraiment aimer.
— Je t’ai déjà dit que cela ne m’intéressait pas, Rose. Karen est morte depuis sept ans. Je n’ai pas cherché à tomber amoureux. Si tu me rejettes, je ne le ferai pas davantage.
Autrement dit, il n’était prêt à changer pour personne ! Ni pour elle, ni pour une autre. S’il se résignait à l’idée d’un mariage de raison dans l’intérêt d’Emily, il n’irait pas plus loin…
Rose se leva et gagna la porte. S’appuyant à l’encadrement, elle contempla le crépuscule qui enveloppait les collines, à l’horizon.
Des années auparavant, quand elle avait commencé à penser à son avenir, tout lui avait paru si simple. Elle se marierait, aurait des enfants, tout comme ses parents. Ce n’était pas trop exiger de la vie…
Elle s’en souvenait maintenant avec amertume. Ses parents n’avaient jamais formé le couple sincère, aimant qu’elle avait imaginé. Peut-être même était-il naïf de croire que de telles relations existaient.
Elle perçut les pas d’Harlan derrière elle, et ne put réprimer un tressaillement comme il entourait ses épaules de ses bras.
— A quoi penses-tu, Rose ? Je t’ai blessée ?
— Non…
Elle avait été blessée longtemps avant de le rencontrer.
— Mais tu crains que je ne le fasse.
C’était une constatation, pas une question. Comme s’il avait lu dans ses pensées.
— Je ne suis pas méchant, Rose. Je ne pourrais jamais être cruel envers toi.
Lentement, elle se tourna vers lui.
— Je n’ai pas peur de cela…
Le regard d’Harlan s’attarda sur son teint clair, ses yeux limpides, ses lèvres roses et délicates. Des ombres flottaient sur son visage… Pensait-elle à cette autre demande en mariage, des années plus tôt ?
— Tu as peur de quelque chose…
Comment pouvait-elle lui avouer qu’elle était terrifiée à l’idée qu’elle tomberait amoureuse de lui ? Ou qu’elle l’était déjà…
— Un mariage est si important…
Il sourit.
— Nous franchirons le pas ensemble.
Son expression pleine de tendresse et la douceur de sa voix eurent raison des réticences de Rose. Elle ne pouvait résister à son charme. La perspective de passer le reste de ses jours avec lui la tentait davantage encore qu’elle ne l’effrayait…
— Eh bien… ma réponse est oui. J’accepte de devenir ta femme, Harlan.
Une joie intense envahit ce dernier. Il s’empara de sa main et la porta à ses lèvres.
— Tu me rends très heureux, Rose.


Serait-il aussi heureux dans quelques jours ? Dans quelques semaines ? Il était trop tard pour revenir en arrière ; elle avait promis d’être sa femme. Et elle tenait toujours ses promesses — quoi qu’il lui en coûte.
— Tu vas faire quoi ?!
Passant une main lasse dans ses cheveux ébouriffés, Rose soutint le regard choqué de Chloé. Sa réaction n’était guère étonnante… Toute sa famille avait fini par se persuader qu’elle resterait célibataire toute sa vie. Au lieu de quoi, elle épousait un des hommes les plus séduisants du comté. Elle avait encore du mal à y croire elle-même…
— Tu m’as entendu, Chloé. Je vais épouser Harlan. Vendredi, en fait.
Kitty faillit s’étouffer avec son petit déjeuner.
— Vendredi ! Rose, tu as perdu la tête ! Tu connais à peine cet homme !
— Que t’a-t-il fait ? s’enquit Chloé en jetant sa fourchette sur la table.
Rose sentit la chaleur lui monter aux joues.
— Que veux-tu dire ? Il ne m’a rien fait !
— Si, il t’a fait quelque chose. Tu n’es plus capable de réfléchir clairement !
Dieu merci, Harlan et elle avaient arrêté qu’il serait préférable de raconter à leur famille respective qu’ils se mariaient par amour. Il aurait été humiliant d’avoir à admettre devant ses sœurs qu’il ne voulait en convolant que donner une mère à Emily.
— Je sais ce que je fais, Chloé, dit-elle sèchement, avant de prendre une bouchée de crêpe.
— Vraiment, ironisa celle-ci. Moi qui croyais que tu détestais les hommes !
— Tout le monde a le droit de changer d’avis, argua Rose. En outre, je n’ai jamais détesté les hommes, comme tu dis. Je me suis tenue à distance, c’est tout. Jusqu’à maintenant.
Chloé échangea un regard découragé avec Kitty. Le visage soucieux, celle-ci se tourna vers Rose.
— Ma chérie, cela ne te ressemble pas de te montrer si impulsive. Dis-moi, ce mariage n’aurait rien à voir avec l’argent que nous devons à Harlan ?
Rose céda à la frustration qui montait en elle.
— Vous pourriez me féliciter, me souhaiter d’être heureuse, mais non ! Ne pouvez-vous pas accepter qu’un homme veuille de moi ? Pourquoi faut-il que ce soit une froide affaire de calcul ? explosa-t-elle avant d’éclater en sanglots et de se ruer hors de la pièce.
Peu après, Chloé frappa à la porte entrebaîllée de Rose.
— Je peux entrer ?
— Si tu veux. C’est déjà à moitié fait, de toute façon, maugréa-t-elle en continuant à ranger des vêtements sans la regarder.
— Je suis désolée que tante Kitty et moi n’ayons pas été plus enthousiastes…


Rose fit volte-face.
— Je ne vous demande pas de faire semblant !
— Rose, qu’y a-t-il ? Tu ne te mets jamais en colère comme cela !
— Ce n’est pas tous les jours qu’on annonce son mariage à sa famille. Cela m’aurait fait plaisir qu’on me témoigne un peu d’affection et de soutien !
— Oh ! Rose, gémit Chloé, tu sais que nous t’aimons. C’est pourquoi nous voulons être sûres que tu ne fais pas une erreur. Reconnais que tout ceci est plutôt précipité… Et tu n’as jamais laissé entendre qu’il y avait quelque chose entre vous… Evidemment, je sais qu’il n’étudiait pas la salle de bains l’autre jour — mais j’ignorais que vous parliez mariage !
— Tout est arrivé très vite, fit Rose, les yeux baissés, s’évertuant à maîtriser son émotion. Et je conçois que cela puisse paraître étrange. Mais Harlan… Harlan tient à moi. Il va même annuler les remboursements de l’emprunt qu’il a fait à notre père.
Chloé retint une exclamation, puis secoua lentement la tête.
— Rose, je ne sais pas quoi dire ! Tu ne l’épouses pas pour l’argent, n’est-ce pas ? Pour sauver le ranch ? Je ne te laisserai pas te sacrifier !
— C’est vrai que je ferais presque n’importe quoi pour sauver le ranch. Mais je ne pourrais jamais utiliser quelqu’un de cette manière. Et encore moins Harlan.
Le tremblement de sa voix attira Chloé à ses côtés.
— On dirait que tu es vraiment amoureuse de lui…
— Je l’aime, Chloé, répondit Rose d’une voix brisée. Après Peter, je ne pensais pas que cela soit possible…
Les yeux embués, elle s’efforça de sourire à sa sœur.
— … mais Harlan est différent.
— Si tu l’aimes, c’est tout ce qui importe ! s’exclama Chloé, soulagée. Alors, que vas-tu porter ? Le mariage aura-t-il lieu à l’église ? Et ton bouquet ? Et le gâteau ?
Rose ne put se garder de rire.
— Je n’en sais rien ! Tu vas trop vite ! Et j’ai du travail à faire ce matin, dit-elle en saisissant son jean.
Chloé le lui retira des mains et l’abandonna sur le lit.
— Laisse tomber le travail pour le moment. Allons voir tante Kitty. Nous avons des noces à organiser !

 
 

 

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chapitre 9


Le vendredi suivant, Harlan et Rose furent mariés dans la petite église où cette dernière avait été autrefois baptisée. Chloé et Emily étaient ses demoiselles d’honneur, et Justine son témoin ; celui d’Harlan, un de ses amis d’enfance, avait fait pour l’occasion le voyage en avion du Texas.
Rose, que Roy conduisit à l’autel, portait une robe de princesse couleur ivoire qui lui arrivait aux chevilles. Des barrettes incrustées de perles retenaient son chignon, et les courbes exquises de son visage étaient mises en valeur par un collier de perles et des pendants d’oreille assortis.
L’église était pleine à craquer, et, à présent que la cérémonie et la brève réception étaient terminées, Rose avait du mal à se souvenir de tous les amis et connaissances venus lui présenter leurs félicitations. Elle contemplait, sur ses genoux, le traditionnel bouquet de roses, comme Harlan roulait vers Ruidoso…
— Ce n’était pas la peine de partir en week-end, dit-elle. Ce n’est pas comme si nous étions de romantiques jeunes mariés en lune de miel…
Il lui adressa un sourire moqueur.
— C’est drôle, moi, j’ai l’impression d’être un jeune marié.
Elle rougit légèrement.
— Tu sais ce que je veux dire.
Il soupira. Elle était si belle, si élégante — si différente de la jeune femme qui menait son bétail dans la chaleur et la poussière du Bar M…
— Rose, t’ai-je dit que tu étais très jolie aujourd’hui ?
Il ne l’avait pas fait, mais il l’avait embrassée assez souvent au cours de l’après-midi pour compenser… Ces démonstrations d’affection avaient-elles été vraiment sincères ou bien destinées à la famille ? Quoi qu’il en soit, Rose ne devait pas perdre de vue qu’il ne l’aimait pas. S’il la regardait tendrement, c’était pure gentillesse.
— Merci, Harlan. Tu es très beau aussi, répondit-elle en souriant.
A la vérité, il était irrésistible ainsi, rasé de près, les cheveux coupés plus courts, en costume sombre et cravate.
— J’espère que pendant ces deux jours tu pourras oublier ton ranch et le mien, ajouta-t-il après une pause. Tu ne considères peut-être pas ce week-end comme une lune de miel, mais il l’est. Tout au moins, une lune de miel loin de ton travail. Tu dois te détendre et t’amuser.
Se défendre ? La belle affaire ! Le simple fait d’être assise auprès de lui éveillait en elle un désir intense, affolant. Rose eut soudain peur de perdre le contrôle d’elle-même, de s’entendre le supplier de lui faire l’amour. Ce serait la fin de leur mariage. Au bout d’une seule journée !
— Je… je vais essayer.
— On croirait que je t’emmène aux galères !
— C’est seulement que…je suis plus à l’aise…
— … avec Pie qu’avec moi ! acheva-t-il à sa place.
Elle ouvrit la bouche pour protester, puis aperçut la lueur taquine de son regard. Il plaisantait… Elle respira plus librement et lui sourit.


— Harlan, je connais Pie depuis beaucoup plus longtemps que toi. Et il me laisse toujours le mener par le bout du nez !
— Eh bien, pour les deux jours à venir, je te promets de me plier à tous tes désirs, Rose…
Son mari dormait. Mais Rose ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Harlan avait eu la délicatesse de réserver une chambre à deux lits. Après s’être tournée et retournée dans le sien pendant plus d’une heure, elle avait renoncé et était sortie sur le petit balcon privé qui donnait sur la piscine.
La nuit était encore chaude, et, si la piscine était vide, les sons assourdis d’une route lui rappelaient que, tout près de là, des gens mangeaient, dansaient, riaient…
Au cours du dîner, Harlan avait tout fait pour l’attirer sur la piste de danse. En vain. Non pas parce qu’elle ne savait pas danser. Au contraire, Rose dansait bien et avec grâce. Mais… une fois dans ses bras, aurait-elle pu répondre d’elle-même ?
— Que fais-tu ici ?
Au son de sa voix, elle se retourna. Il se tenait sur le seuil, vêtu en tout et pour tout d’un caleçon blanc.
Le cœur de Rose se mit à battre follement tandis que son regard remontait le long de ses jambes, se posait sur son ventre plat, sa large torse, et finalement se rivait à ses yeux bruns.
— Je… je regarde la nuit.
Il s’approcha d’elle… Mon dieu ! Elle était presque nue. Le magnifique négligé de soie vert pâle que Chloé et Justine lui avaient offert comme cadeau de noces était si fin qu’il ne dissimulait presque rien de son anatomie. Pourquoi n’avait-elle pas songé à emporter son pyjama en coton ? Elle croisa les bras sur sa poitrine.
— Tu ne pouvais pas dormir ?
Elle secoua la tête.
— Moi non plus, avoua-t-il.
— Je pensais que tu dormais depuis longtemps.
Le regard d’Harlan frôla ses lèvres, sa gorge dénudée.
— J’ai fait semblant pour ne pas te déranger.
— Il ne fallait pas t’inquiéter pour moi. J’ai souvent du mal à dormir. Les soucis…
Harlan ne put se retenir plus longtemps. Il tendit la main et caressa les cheveux de Rose qui tombaient sur son épaule nue.
— Tu n’as pas de soucis maintenant, j’espère ?
— Je… je pensais à ma famille…, et à Emily.
La main d’Harlan s’attarda sur l’épaule de Rose. Sa peau était tiède et lisse comme un pétale de rose…
— Tu as une fille à présent. Cela te rend heureuse ?
— Très heureuse.
Elle ne mentait pas. Pendant des années, elle s’était résignée à l’idée qu’elle ne serait jamais une épouse, et encore moins une mère. Et voilà qu’elle était les deux. Certes, elle n’était pas une mère dans le sens strict du terme. Mais Emily l’aimait et avait besoin d’elle. Et cela comptait tant pour elle !


— Et moi ? Regrettes-tu de m’avoir épousé ?
Les doigts d’Harlan répandaient vague après vague de chaleur dans le corps de Rose. Elle aurait aimé qu’il s’éloigne et lui laisse le temps de se reprendre, de réfléchir. Et plus encore qu’il la prenne dans ses bras. Qu’il l’embrasse, la couvre de caresses, lui dise qu’il l’aime, qu’il l’aimerait toujours…
— Non. Et toi ?
— Non, murmura-t-il avec une fervente conviction. Je ne le regretterai jamais.
Le cœur de Rose se gonfla d’émotion. Ce n’était pas une déclaration d’amour, mais ses paroles la touchaient profondément.
— Il ne faut jamais dire jamais…
Sa voix n’était plus qu’un chuchotement rauque, et Harlan la devina au bord des larmes. Il l’attira à lui.
— Rose, fit-il avec douceur, pourquoi dis-tu une chose pareille ?
Les seins pressés contre sa poitrine solide, Rose se mit à trembler.
— Je ne suis pas une femme normale…
Il serra Rose plus fort.
— Non. Tu es bien mieux que cela…
Elle gémit et enfouit son visage dans le cou d’Harlan.
— Tu… tu ne sais pas. Oh, Harlan, je t’ai trahi. J’ai été malhonnête…
— De quoi parles-tu ? Tu es incapable de trahir qui que ce soit !
Ses larmes jaillirent tout à coup et se mirent à ruisseler sur ses joues. Horrifiée, elle releva la tête et s’empressa de les essuyer d’un revers de main.
— Je… je suis frigide, Harlan. Je ne peux pas faire l’amour à un homme. J’aurais dû te le dire avant mais… j’avais tellement honte… Je suis vierge.
Son aveu n’étonnait Harlan qu’à demi. N’avait-il pas eu, en l’embrassant, l’intuition de son innocence ? Mais elle se trompait. Elle n’était pas frigide, il en était certain.
— Rose…, il n’y a pas de honte à être vierge.
— Tu ne comprends pas, Harlan. Si tu voulais que je… que nous ayons un enfant, je ne pourrais pas…
Harlan mesura la souffrance qui la déchirait.
— Rose, pourquoi penses-tu être frigide ?
— Je… je le sais, c’est tout.
— Tu n’éprouves rien quand je t’embrasse ?
— Si ! C’est-à-dire… Harlan, ne me pose pas ces questions.
— Pourquoi ?
— Parce que ça ne servira à rien. Si tu veux annuler le mariage, je ne t’en voudrai pas…
La jambe nue d’Harlan vint se glisser entre les siennes, et elle sentit son membre raidi contre ses hanches.


— Je préfère te garder près de moi…
— Harlan…, tu as dit que tu ne voulais pas faire l’amour…
— J’ai dit cela ? Je devais être temporairement fou.
Il promena ses mains dans son dos, jusqu’à ses épaules, provoquant en elle une salve de frissons inédits et troublants.
— Ce ne serait pas une bonne idée de…, de faire l’amour ce soir…
« Ni ce soir, ni jamais », songea-elle, affolée.
— Je crois que c’est une excellente idée, au contraire…
Ses genoux se dérobaient sous elle ; elle se cramponna au cou d’Harlan.
— Nous nous sommes mariés pour des raisons pratiques…
— Tu ne veux pas d’une relation physique entre nous ?
Rose eut l’impression d’être au bord d’un précipice. Devait-elle reculer ou bien sauter dans l’inconnu ?
— Non. C’est-à-dire… Peut-être. Je…, balbutia-t-elle, avant de s’arracher à son étreinte et d’aller s’asseoir à l’extrême bord de son lit.
Elle se couvrit le visage de ses mains. Une nuit de noces n’était pas censée se dérouler ainsi…
— Rose ?
Il avait prononcé son nom avec une infinie tendresse. Elle retira ses mains et le vit debout devant elle. Le désir qu’elle lisait sur ses traits la terrifia.
— Harlan, ce n’est pas que je ne veuille pas… C’est…
Il s’établit près d’elle et lui prit les mains.
— Dis-moi. Que t’a-t-il fait ?
— Il ? Comment sais-tu… ? De… de qui parles-tu ?
— L’homme qui t’a fait mal. Celui qui t’a demandé de l’épouser. Avant.
Rose détourna la tête.
— Je ne veux pas parler de lui. Il n’en vaut pas la peine.
— Si en parler peut t’aider, cela en vaut la peine.
Elle n’avait jamais parlé de Peter à quiconque. Sauf à sa famille. Mais Harlan n’était-il pas sa famille à présent ?
— J’étais… j’étais très jeune. Je l’ai rencontré pendant ma deuxième année à l’université. Il était étudiant en médecine. Et je croyais être amoureuse de lui.
— Tu « croyais » ?
— Je ne savais pas ce qu’était l’amour à l’époque…
— Vous vous êtes fiancés ?
— Oui. Peter est devenu possessif, exigeant. Il voulait… Je n’étais pas prête. Ni physiquement, ni sur le plan émotionnel. Pour moi, nous devions attendre le mariage. Cela doit te paraître ridicule sans doute, mais c’était très important à mes yeux.


— Rose, si cet homme t’avait aimée, il aurait respecté tes valeurs.
— J’ai fini par le comprendre. Comme j’ai fini par comprendre qu’il n’avait aucune intention de m’épouser. Alors je lui ai rendu sa bague et je lui ai dit que tout était fini entre nous.
Son regard s’abaissa sur leurs mains enlacées.
— Il m’a accusée de l’avoir trompé, s’est mis à crier, à m’insulter. Il m’a traitée d’allumeuse. Je n’allais pas m’en tirer aussi facilement…
— Oh, Rose…
— Et puis il a commencé à me frapper… J’ai dû lutter de toutes mes forces pour lui échapper.
— Mon Dieu, Rose ! Il… il t’a violée ? C’est cela ?
— Non, grâce au ciel. Mais j’étais dans un triste état. J’avais deux côtes cassées, les lèvres fendues, le corps couvert de plaies et de contusions…
Harlan était bouleversé. Bien sûr, il savait que des femmes subissaient chaque jour des agressions semblables. Mais Rose, sa Rose ! Elle était si pure, si vulnérable. Comment un homme avait-il pu lever la main sur elle ? Epouvanté, il chassa de son esprit la vision de son corps tuméfié, de ses lèvres ensanglantées.
— Rose. Oh, Rose…Tu as dû tant souffrir…
— Je voulais le tuer, Harlan. Vraiment. Moi qui n’aurais jamais fait de mal à une mouche avant de le connaître ! Plus tard… quand je suis sortie avec d’autres hommes, je me figeais dès qu’ils me touchaient. Jusqu’à maintenant. Jusqu’à toi…
Ce fut comme si elle lui avait décoché une flèche en plein cœur. Après avoir été blessée, maltraitée, abusée de manière ignoble, elle lui avait donné sa confiance !
— Ma femme chérie…, fit-il au creux de son oreille. Pourquoi ne m’as-tu rien dit avant ? Tu n’as pas peur, au moins ? Tu ne penses pas que je sois capable…
Non, il ne lui ferait jamais de mal volontairement, pensa-t-elle. Mais il pouvait lui briser le cœur. Sans même s’en rendre compte.
— Si j’en doutais, je ne serais pas dans tes bras…
Elle avait cessé de trembler. Harlan s’avisa brusquement qu’elle avait posé les mains sur son torse, et que ses lèvres humides, entrouvertes, n’étaient qu’à quelques centimètres des siennes. Il se pencha et effleura sa bouche.
— Nous sommes mari et femme à présent. Nous avons le droit de faire l’amour. Si tu le veux.
A mesure qu’il rendait à son cou, son menton, ses joues, l’hommage d’ardents baisers, Rose sentait ses réticences disparaître.
— Je ne veux pas que tu sois déçu…
Harlan prit alors possession de ses lèvres. Elles avaient un parfum de miel, qu’il savoura avec délices…
Le sang aux tempes, les oreilles bourdonnantes, Rose avait passé les bras autour de son cou. Le baiser d’Harlan l’entraînait dans un tourbillon de plaisir…
Quand il releva enfin la tête, ils étaient tous les deux hors d’haleine.
— Comment pourrais-tu me décevoir ?
Elle lui lança un regard suppliant.


— J’ai peur…
Il plongea son regard dans le sien.
— Tu n’as pas peur de moi. Tu me l’as dit. Et c’est la seule chose qui compte, Rose. Notre désir est la seule chose qui compte.
Il reprit ses lèvres. Avec un gémissement d’abandon, Rose l’enlaça et se colla à lui. Il n’en fallut pas davantage à Harlan pour oublier qu’il avait jamais eu l’intention de ne pas partager le lit de sa nouvelle femme.
Il la désirait plus qu’il n’avait jamais rien désiré. Il était trop tard pour réfléchir. Trop tard pour…
Lentement, ils se laissèrent tomber sur le matelas. Il fit glisser le négligé le long de ses bras… Puis il prit appui sur un coude et la contempla, émerveillé.
— Tu es si belle, Rose.
Il posa une paume sur son ventre plat, traça en remontant un sillon brûlant sur sa peau… Sa main souligna le contour de son mamelon ; Rose, le souffle coupé, ferma les yeux et se mordit la lèvre pour ne pas crier. Jamais elle n’avait soupçonné pouvoir éprouver autant de plaisir. Tout son corps réclamait Harlan, follement, intensément.
Sa bouche enveloppa son mamelon tendu. Rose s’arqua contre lui, le cœur débordant d’amour.
— Je veux faire l’amour avec toi, Harlan… Je n’ai plus peur…
Il lui sourit.
— Je ne te ferai jamais souffrir, Rose. Jamais.
Un baiser fougueux scella cette promesse. Leurs mains, leurs lèvres se cherchèrent frénétiquement… Rose enroula ses jambes autour de celles d’Harlan, l’invitant à la pénétrer. Lorsqu’il entra en elle, ce fut comme un éblouissement — quelque rayon de soleil venu tout droit du paradis.

 
 

 

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chapitre 10


Rose était amoureuse de lui. Et ce n’était pas sa vanité qui lui jouait des tours. Lorsqu’elle lui souriait, il le voyait sur son visage. Chaque fois qu’elle l’embrassait, il le sentait sur ses lèvres. Et elle l’embrassait de plus en plus souvent.
Depuis leur nuit de noces, deux semaines auparavant, elle s’était transformée, et Harlan était de plus en plus préoccupé. Non pas qu’avoir une femme telle que Rose dans son lit soit pénible, au contraire. Il éprouvait plus de plaisir à lui faire l’amour qu’il n’en avait jamais ressenti. Et c’était précisément le nœud du problème. Chaque fois qu’il faisait l’amour avec Rose, il lui donnait un peu plus de lui-même.
Un jour, il avait lu quelque part que les femmes faisaient l’amour avec leur cœur tandis que, pour les hommes, il s’agissait d’une expérience purement physique. Quelle théorie idiote ! En tout cas, elle n’était certainement pas vraie en ce qui le concernait. Et, s’il n’y prenait pas garde, il allait se retrouver fou amoureux de sa femme…
Harlan était résolu à éviter cela. Jamais il n’avait envisagé d’être si profondément lié à elle. Il ne voulait pas qu’elle prenne tant d’importance dans sa vie. Que se passerait-il s’il la perdait ? S’il se réveillait un matin et devait affronter le fait qu’elle allait mourir, le laissant seul de nouveau ? Il ne survivrait pas. Pas cette fois. Pas sans Rose.
Il leva la tête de la selle qu’il était en train de graisser pour voir celle-ci garer le pick-up à l’ombre du pin. Elle se mettait toujours au même endroit. Tout comme elle venait toujours le retrouver chaque fois qu’elle s’était absentée, ne fût-ce que pour une heure.
Il reboucha la bouteille d’huile de lin, puis déposa la selle dans la sellerie. Cette fois, il n’attendrait pas que Rose vienne le rejoindre.
Quelques minutes plus tard, il entrait dans la cuisine. Entourées de sacs de provisions posés ici et là sur la table et les placards, Rose et Emily s’affairaient à ranger leurs achats.
— Ah ! Salut, papa !
Sa fille s’était épanouie au contact de Rose. Elle ne boudait plus, son appétit avait doublé, et elle prenait enfin un peu de poids. Rares étaient les moments qu’elle passait devant la télévision, et elle se montrait toujours pleine de bonne volonté pour aider Rose.
— Salut, vous deux.
Rose s’empressa de venir à sa rencontre.
— Salut, toi ! dit-elle avec un grand sourire, avant de se hisser sur la pointe des pieds pour l’embrasser.
Elle sentait bon le lilas, et son baiser parfumé eut raison de la résolution d’Harlan. Il la prit par la taille et la serra contre lui.
— Je vois que vous êtes bien rentrées.
— Et je t’ai acheté quelque chose de spécial.
— Nous sommes allés faire des courses avec les jumeaux, raconta Emily en riant. C’était une expérience, crois-moi ! D’abord, Adam a renversé une pile de rouleaux de papier toilette par terre, et, pour couronner le tout, la couche d’Anna a fui et a taché ma robe ! Ils sont adorables !
Harlan sourit à sa fille.
— Hum ! C’est le privilège des enfants de rester « adorables » tout en vous compissant…
Elle rit de nouveau.
— Tu peux le dire ! Ah ! Ce serait super si Rose et toi aviez des jumeaux !


Si Rose parut amusée, Harlan se figea intérieurement. Jusque-là, Rose et lui avaient fait l’amour sans utiliser de moyen de contraception. Peut-être portait-elle déjà son enfant… Si c’était le cas, il ne pourrait jamais garder ses distances. Où avait-il donc eu la tête ?
— Il serait plus facile de commencer par un seul, plaisanta Rose, avant de lever timidement les yeux vers lui. Qu’en penses-tu, Harlan ?
Il s’efforça d’avoir l’air aussi enthousiaste que sa fille et sa femme.
— Oh ! Je crois que tu as raison.
Se dégageant des bras de Rose, il alla jusqu’à la table et fit mine de jeter un coup d’œil dans les sacs.
— Vous avez acheté un dessert ?
Rose feignit d’être fâchée et lui retira le sac avant qu’il n’entreprenne de le fouiller.
— C’est une surprise ! Vaque à tes occupations, je t’appellerai quand nous aurons tout préparé, ordonna-t-elle en le poussant gentiment vers la porte.
Rose avait préparé un rôti à la cocotte accompagné de pommes de terre nouvelles, de pois à la crème et de salade de chou. Puis elle déposa avec fierté le dessert sur la table. Emily poussa une exclamation ravie à la vue de l’énorme gâteau aux fraises.
— Oh ! Rose, il a l’air délicieux ! Et c’est ton dessert préféré, n’est-ce pas, papa ?
Le regard d’Harlan alla du gâteau à Rose. Son visage exprimait tant d’amour qu’il en fut gêné.
— Oui, c’est mon dessert préféré. Merci, Rose.
Elle mit la main sur son bras.
— Il n’y a pas de quoi. J’espère seulement qu’il sera bon.
A en juger par les plats qu’elle lui avait confectionnés au cours de ces deux dernières semaines, il n’y avait aucun doute à ce sujet. Lorsqu’elle lui servit une part de gâteau, Harlan songea brusquement qu’il n’était pas digne de sa femme. Elle était trop douce, trop aimante pour être mariée à un homme qui avait peur de l’aimer. De l’aimer autant qu’elle le méritait.
— Oh ! Rose, tout ce que tu prépares est si bon ! se récria Emily. Tu sais, papa, Rose va m’apprendre à faire la cuisine. Elle dit que c’est facile, et que je vais apprendre très vite. C’est génial, non ?
Tout l’amour que Rose donnait à Emily ! Et qu’elle lui donnerait à l’avenir… Si rien ne changeait. Si rien ne l’arrachait à eux.
— C’est fantastique, ma chérie.
Plus tard ce soir-là, Harlan retira sa chemise et s’assit sur le lit. Rose prenait une douche. Elle fredonnait. Sa voix était mélodieuse… La voix d’une femme heureuse.
Elle ne tarda pas à sortir de la salle de bains, enveloppée d’une grande serviette blanche.
— Fatigué ?
— Non.
— Tant mieux, dit-elle en lui tendant un peigne. Tu peux démêler mes cheveux pour moi ?
Elle se blottit contre lui, et il passa doucement le peigne dans ses cheveux mouillés. Un subtil parfum de jasmin chatouilla ses narines…


Non, non, non ! Il devait cesser de la désirer ainsi.
— Y a-t-il du nouveau concernant la mère des jumeaux ?
— Apparemment, elle a quitté Albuquerque pour le Sud. J’aurais pensé qu’elle resterait loin d’ici… A moins qu’elle n’ait l’intention de kidnapper les bébés !
— Mmm…C’est peut-être elle qui a coupé la clôture et laissé sortir le taureau…
— Peuh ! Pourquoi Belinda Waller aurait-elle voulu faire une chose pareille ?
— Ecoute, Rose, si cette femme est assez folle pour abandonner deux bébés sur les marches d’une maison, elle est capable de tout. Quant à connaître ses raisons, nous n’en saurons sans doute rien avant que Roy ne l’arrête, observa Harlan, la peignant toujours.
Il n’y avait presque plus de nœuds à présent, mais il aimait accomplir ces gestes, lisser de la main sa chevelure soyeuse… Garder ses distances ? Le cas était désespéré !
— Bientôt, espérons-le, dit Rose. Savoir qu’elle est dans les parages me rend nerveuse.
Elle marqua une pause, puis se tourna vers lui.
— Emily et moi avons remarqué quelque chose d’étrange ce matin.
Harlan s’immobilisa net, le bras en suspens. Après l’incident du taureau, il avait été préoccupé par l’idée que Rose, Emily ou le Bar M puisse être la cible d’un malade. Toutefois, Rose avait déjà tant de soucis qu’il avait préféré garder ses pensées pour lui.
— Quoi ? Au ranch ?
— Oui. Le réservoir dans la prairie de l’ouest. Je suis certaine d’avoir arrêté la pompe la semaine dernière. Et ce matin, nous avons trouvé le réservoir qui débordait. La terre tout autour était gorgée d’eau. Je n’ai jamais été aussi négligente avant, Harlan. Enfin, j’ai dû oublier ou bien tourner la valve du mauvais côté. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller ainsi de précieuses réserves d’eau…
Un sourire charmeur aux lèvres, elle lui mit alors les bras autour du cou et le poussa doucement en arrière.
— Je crois qu’il est temps que je te remercie d’avoir démêlé mes cheveux…
— Rose, je… je veux te parler de quelque chose.
Sans cesser de sourire, Rose s’assit sur le lit.
— Si tu insistes… Je te remercierai tout à l’heure.
— C’es à propos de toi et moi, commença-t-il d’une voix hésitante.
Le sourire de Rose s’accentua comme elle se penchait pour lui caresser les cheveux.
— Tu me rends tellement heureuse, Harlan. Avant toi, j’ignorais tout du bonheur d’être avec un homme. De vivre avec un homme… Certes, j’ai encore des soucis au ranch, mais maintenant que je t’ai, ils ne semblent plus aussi graves.
— Je… Tant mieux, Rose. Je veux que tu sois heureuse, murmura-t-il, rongé par le remords.
Elle le regarda avec adoration.
— Oh ! Je le suis, Harlan ! Et je veux que tu sois heureux, toi aussi. Tu l’es, n’est-ce pas ?
— Tu es une femme merveilleuse, Rose. Mais je…


Il se tut, ne sachant comment poursuivre. Ni même s’il le voulait. Jamais il ne s’était senti aussi déchiré, aussi bouleversé qu’à cet instant.
— Harlan, quelque chose ne va pas ? Je t’ai fait de la peine sans le vouloir ?
Elle n’avait fait que l’aimer. Que ne se *******ait-il pas d’accepter ce qu’elle lui offrait et d’en être reconnaissant ?
— Non. C’est juste que j’ai réfléchi et… je pense qu’il vaudrait mieux que nous ne fassions plus l’amour. Enfin, pour le moment, se hâta-t-il d’ajouter.
Rose devint pâle comme la mort.
— Oh !
Elle se dégagea, tel un animal effrayé.
— Rose, gémit-il. Ne me regarde pas comme cela. Je ne veux pas te faire mal.
Il l’avait fait, pourtant ! Il l’avait poignardée en plein cœur.
— Je sais. Je…
Elle se leva ; Harlan voulut s’approcher ; elle recula aussitôt.
— Tu… tu n’as pas à te justifier. Après tout, nous ne sommes pas mariés par amour, balbutia-t-elle en enfilant sa robe de chambre par-dessus la serviette, comme si elle avait honte qu’il la voie nue. Je regrette, Harlan. Je crois m’être un peu emballée ces derniers jours. Mais c’est fini. Je… je ne t’ennuierai plus.
Seigneur, c’était donc ce qu’elle s’imaginait ? Que faire l’amour avec elle lui pesait ? Il ne pouvait pas la laisser croire une chose pareille.
— Rose, je…
Elle gagna lentement la salle de bains.
— Je… je ne sais pas où j’avais la tête. J’ai oublié de me brosser les dents, dit-elle, se forçant en vain à sourire.
— Rose !
Il fit un geste vers elle…, et elle se rua dans la salle de bains pour s’y claquemurer. Presque immédiatement, il entendit couler l’eau du robinet. Elle pleurait, cela le rendait malade. Mais il savait aussi que s’il entrait et la touchait, tout ce qu’il venait de dire serait réduit à néant.
Il était couché et la pièce plongée dans la pénombre quand Rose quitta enfin la salle de bains. Feignant de dormir, l’estomac noué, il tendit l’oreille comme elle s’approchait du lit à pas feutrés.
Il sentit bientôt quelque chose de mou contre son dos et ses jambes. Il se retourna pour la voir installer un traversin entre eux.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— C’est juste pour ne pas oublier, dit-elle calmement, avant de lui tourner le dos et de tirer le drap sur elle. Bonne nuit, Harlan.
— Bonne nuit.
Longtemps, il resta immobile, les yeux fixés sur son dos. Il avait fait davantage que de séparer leurs corps… Désormais, elle serait loin, très loin de lui.


Quelle folie s’était donc emparée de lui ?
*
* *
Le lendemain matin, lorsque Rose et Emily arrivèrent au Bar M pour travailler, rien ne les avait préparées au spectacle qui les attendait.
Roy et son adjoint, Randall, exploraient l’écurie et les environs. Les stalles étaient pleines de boue et d’eau, et les chevaux s’étaient dispersés dans la vallée.
Elles trouvèrent Chloé furieuse et en larmes, assise sur le seuil de la sellerie. Ses yeux lançaient des éclairs.
— Que s’est-il passé ?
— Quelqu’un est venu ici dans la nuit, a fait sortir les chevaux et a ouvert tous les robinets. Et une de mes meilleures selles a disparu.
— Mon Dieu ! s’écria Emily. L’eau est déjà si rare… Et c’est dangereux ! Un cheval de course se blesse si facilement. Il suffit d’une épine de cactus…
— Tu as raison, mon chou, soupira Chloé. Et je sais que je devrais être là-bas, en train d’essayer de les rassembler. Mais ça ne servirait à rien d’y aller seule. J’ai besoin d’aide.
Voyant Roy entrer dans l’écurie, Rose vint à sa rencontre.
— Bonjour, Roy. Tu as une idée de ce qui se passe ici ?
L’air soucieux, celui-ci referma un petit carnet qu’il fourra dans sa poche.
— Aucun doute, Rose. Quelqu’un essaie de nuire au ranch et, par conséquent, à notre famille.
Après ce que Harlan lui avait dit la veille, c’était la dernière chose qu’elle eût voulu entendre. Etonnamment, elle ne ressentait presque rien, comme incapable désormais de la moindre émotion.
— Harlan croit que Belinda Waller a pu couper la clôture. Qu’en dis-tu ?
Roy ôta son chapeau et passa une main dans ses cheveux blonds. Il semblait tendu, fatigué, et Rose comprit qu’il était aussi blessé par l’incident que ses sœurs ou elle. Il aimait Justine et sa famille, et probablement se reprochait-il de ne pas avoir réussi à appréhender Belinda.
— Je suis shérif, Rose. Je préfère me fier aux faits plutôt qu’aux intuitions. Mais, à toi, je puis dire que je suis d’accord avec Harlan. Soit elle l’a fait, soit elle a embauché quelqu’un pour le faire. Il n’y a pas de chien de garde ici, et Chloé et tante Kitty triment si dur qu’elles doivent dormir à poings fermés…
— J’aurais dû leur laisser Amos. Mais il n’obéit qu’à moi, et j’ai pensé qu’il valait mieux que je le garde…
— Amos est un chien de troupeau, pas un chien de garde. Du reste, celui ou celle qui a fait ça aurait pu lui donner un somnifère ou même l’empoisonner.
Roy fit signe à Rose de le suivre, et ils rejoignirent Chloé et Emily.
— Ecoutez… Je veux que vous soyez toutes très prudentes. Ouvrez l’œil et ne partez pas seules à cheval. Même à proximité du ranch.


— Tu ne crois pas que tu exagères ? dit Chloé. Tout ceci ne tient-il pas plus d’une farce de mauvais goût que d’une menace ?
Roy secoua la tête.
— Le coupable vous veut du mal. La prochaine fois, il ne se *******era peut-être pas d’endommager des biens matériels…
Chloé frissonna.
— Tu me fais peur…
— A moi aussi, renchérit Emily.
— Bien, fit Roy. La peur entretient la vigilance.
Il haussa un sourcil en direction de Rose.
— Toi aussi, Rose. Ne pars pas inspecter des troupeaux sans te munir d’un fusil.
Si Chloé et Emily poussèrent un cri d’effroi, Rose resta de marbre.
— Je le ferai, promit-elle.
Après le départ de Roy et de Randall, Chloé envoya Emily chercher des cordes pour aller rassembler les chevaux.
— Nous avons besoin que Harlan vienne nous aider, dit-elle à Rose. Veux-tu…
— Non, coupa sèchement Rose.
Chloé fronça les sourcils.
— Non ? Pourquoi, Rose ?
— Il a son propre travail à faire.
— Certes, mais il s’agit d’une urgence.
Rose gardait les yeux rivés sur les stalles vides.
— Nous nous en tirerons sans lui.
A partir de maintenant, elle se débrouillerait seule.
Chloé prit sa sœur par l’épaule.
— J’ignore quelle mouche t’a piquée, mais ce n’est pas le moment de te comporter comme une idiote ! Tu as entendu Roy. Quelqu’un veut nous nuire. Certains des chevaux sont peut-être déjà blessés. Nous avons besoin d’Harlan !
Rose avait eu besoin de lui. Corps et âme, elle avait eu besoin de lui. Il le savait — ne le lui avait-elle pas montré de mille façons ? Et malgré cela, il s’était détourné d’elle. Il l’avait rejetée.
Une fois de plus, elle avait été trompée par un homme. Et cette fois, la souffrance était incomparablement plus vive… Insoutenable.
Tout à coup, les larmes jaillirent des yeux de Rose, et coulèrent le long de ses joues.
— Je suis désolée, Chloé. Je sais que je ne devrais pas me conduire ainsi, mais…
Elle essuya rapidement ses larmes d’un revers de main et s’assura qu’Emily n’était pas à proximité.
— Qu’y a-t-il ? Tu t’es disputée avec Harlan ? s’enquit Chloé en la guidant vers une botte de luzerne et en la forçant à s’asseoir. Pourquoi ne me l’as-tu pas dit plus tôt ?
Rose émit un rire amer.


— Quand ? En débarquant ici, je suis tombée sur une autre catastrophe !
— Alors, qu’y a-t-il ? Vous vous êtes querellés ? Rose, je suis sûre que…
— Non. Ce n’est pas cela.
— Alors quoi ?
Rose baissa la tête.
— Je n’ai pas été complètement honnête avec toi au sujet de mon mariage avec Harlan. Avec moi-même non plus, d’ailleurs…
— Que veux-tu dire ? Tu m’as dit que tu l’aimais. C’est toujours le cas, non ?
— Je l’aime de toutes mes forces, répondit Rose d’une voix étranglée. Mais il ne m’aime pas. Il ne m’a épousée que pour donner une mère à Emily.
— Oh ! non, Rose. Cela ne peut pas être vrai.
Elle se redressa, les yeux toujours embués de larmes.
— C’est on ne peut plus vrai.
Chloé eut un geste de protestation.
— Tu peux dire tout ce que tu veux, je sais que Harlan t’adore. Il ferait n’importe quoi pour toi.
Mais il ne voulait pas lui faire l’amour… Elle était trop maladroite, trop inexpérimentée, trop inepte pour le satisfaire ! Bien sûr, elle avait redouté cela depuis le début. Stupidement, elle avait laissé ses sentiments prendre le pas sur sa raison. Elle s’était jetée dans ses bras et maintenant elle devait subir les conséquences de sa bêtise.
Tout était sa faute. Elle n’aurait jamais dû espérer.
Pourtant, quand Harlan l’avait embrassée, quand il lui avait fait l’amour, elle avait sincèrement cru qu’il l’aimait…
— Il fait semblant, Chloé, souffla-t-elle, serrant les dents contre la douleur.
Chloé ne put réprimer un juron.
— Rose, si Harlan jouait la comédie avec un tel talent, il pourrait faire carrière à Broadway ! Cela lui rapporterait beaucoup plus que d’élever du bétail !
Prenant Rose par le bras, elle l’entraîna vers la maison.
— Maintenant sèche tes yeux et appelle-le !
Rose se tamponna les yeux avec l’ourlet de sa chemise en vichy.
— Tu es dure, Chloé.
Celle-ci éclata de rire.
— Je ne sais pas. Mais je sais que j’ai raison à propos de vous deux. Il cherchait peut-être une mère pour Emily, mais il te voulait, toi, pour épouse !
Sa sœur ne comprendrait pas… Rose renonça à poursuivre la discussion. A quoi bon ? Elle avait consenti à un mariage de raison avec Harlan, et elle ferait bien de se résigner à la réalité

 
 

 

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chapitre 11
La nuit était encore chaude lorsque Harlan quitta le corral et se dirigea vers la maison. Son pas lourd était au diapason du rythme las de son cœur… Quelques jours plus tôt, il avait eu l’impression d’être heureux. Comment sa vie avait-elle pu basculer du bonheur à la souffrance en l’espace de quelques instants ?
Rose était sans doute sur le point de se coucher. Ils avaient tous travaillé dur pour rassembler les chevaux et nettoyer les stalles inondées. Ses yeux se fermeraient dès qu’elle poserait la tête sur l’oreiller. Mais lui resterait éveillé, dévoré par l’envie de la toucher, de l’attirer contre son épaule, de sentir sa main sur sa poitrine…
Certes, il avait été stupide de céder à la tentation de lui faire l’amour. Néanmoins, n’était-il pas plus stupide encore de se l’interdire ?
Il entra dans la cuisine. Rose était assise à table et buvait un verre de jus de fruits. Dès qu’elle l’aperçut, elle serra étroitement le col de sa robe de chambre, comme pour se protéger…
Pourrait-il jamais se détester davantage pour le mal qu’il lui avait fait ?
— Je pensais que tu serais couchée.
Elle secoua la tête, les yeux rivés sur son verre.
— Il a fait si chaud aujourd’hui que je n’arrive pas à me désaltérer.
Harlan tira la chaise qui se trouvait en face d’elle.
— Je regrette que tu doives travailler autant, Rose.
Elle grimaça.
— Je ne suis pas fragile, Harlan. J’ai beau m’appeler Rose, je suis aussi résistante qu’une mauvaise herbe !
— Tout de même, je préférerais qu’Emily et toi n’alliez pas inspecter les prairies demain. Si le troupeau de génisses t’inquiète, j’irai m’en occuper.
— Tu parles comme Roy. Il m’a fait promettre de porter un fusil.
— Tu vas le faire ?
Elle fit la moue.
— Oui…, sans illusion. Je ne pourrais même pas me résoudre à tirer sur un serpent à sonnettes !
— Tu aurais la ressource de bluffer pour te tirer d’un mauvais pas.
Leurs yeux se rencontrèrent, et Rose eut la sensation que rien n’avait changé entre eux, que si elle faisait le tour de la table et allait l’embrasser sur la joue, il ne la repousserait pas. Toutefois rien ne pourrait la convaincre de courir le risque d’être rejetée de nouveau par son mari. La douleur serait trop intolérable.
— Tu penses vraiment que nous allons avoir des ennuis ?
— D’autres ennuis, tu veux dire ? Oui. Je ne crois pas que cet individu en ait fini avec le Bar M. En fait, je suis persuadé qu’il ou elle ne sera satisfait que lorsque le ranch sera ruiné.
Un frisson d’angoisse parcourut Rose.
— Ce doit être la mère des jumeaux. Nous n’avons pas d’autres ennemis.
— Exactement. Il faut la neutraliser. Je vais suggérer à Roy de monter la garde au ranch pour les quelques nuits à venir. Je pourrais me cacher dans la grange et faire le guet.



Il aurait ainsi une bonne excuse pour ne pas coucher avec elle… Rose termina son jus de fruits et se leva.
— L’idée ne me plaît guère. Bah ! Tu feras ce que tu veux, de toute façon.
Elle fit mine de sortir ; malgré lui, Harlan, s’élança et la prit dans ses bras.
Rose leva sur lui des yeux froids et inquisiteurs ; il inspira profondément.
— A propos d’hier soir. Je…
Elle se raidit et se dégagea.
— Il n’y a rien à ajouter.
— Si. Tu ne comprends pas…
— Tu te trompes, Harlan. Je comprends parfaitement. Tu ne m’aimes pas. Et… ce n’est pas grave. L’amour n’a jamais fait partie de notre marché.
— Mais je…
— Tu as cru que tu voulais d’une relation physique entre nous. Et puis tu as changé d’avis. Ce n’est pas grave non plus. Ne prends pas cet air attristé. Je ne te déteste pas.
— Je t’ai fait mal…
— Je te l’ai dit, je suis une mauvaise herbe ! On a beau les piétiner, elles finissent toujours par survivre… Tout va bien. Tout va exactement comme tu le souhaitais.
Soit elle jouait la comédie à la perfection, soit il était parvenu à détruire l’amour qu’elle éprouvait pour lui. Et elle avait le droit de le haïr… Il aurait dû être soulagé. Pourquoi souffrait-il autant ?
— Bonne nuit, Harlan.
La tête haute, droite comme un i, elle se détourna avant qu’il puisse voir les larmes couler sur ses joues.
— Penses-tu qu’Emily ait besoin d’aller chez le médecin ? Il pourrait s’agir d’une insolation…, dit Harlan à Rose le lendemain matin, comme elle grimpait dans le pick-up.
— Non… Elle est fatiguée, c’est tout. Si elle ne se sent pas mieux ce soir, je prierai Justine de passer.
Elle ferma la portière. Harlan s’y accouda.
— Ça ne lui ressemble pas. Elle veut toujours tout faire avec toi. Crois-tu qu’elle ait peur d’aller au Bar M ?
— Oh ! Même si elle avait peur, elle viendrait avec moi. Elle ne manque pas de courage.
A la différence de son père, se dit Harlan. S’il avait vraiment du courage, il tirerait Rose de la cabine et lui montrerait combien il désirait lui faire l’amour. Et au diable la peur de la perdre !
Au diable ?
Comment oublier le déchirement qu’il avait ressenti à la mort de Karen, les semaines et les mois passés dans une sorte de brouillard sombre, à lutter désespérément pour reprendre le dessus ? Comment accepter d’aimer de nouveau avec autant de force, autant de passion ?
Rose partie, Harlan gagna la maison afin de s’assurer qu’Emily n’avait besoin de rien. Il la trouva debout, vêtue d’un jean et d’une chemise à manches longues, en train de chausser ses bottes.



— Que fais-tu, ma chérie ? Tu avais dit à Rose que tu ne voulais pas te lever…
— Je sais, repartit-elle d’un air coupable. J’ai… euh… menti. J’avais de bonnes raisons.
Elle s’empara d’une brosse et entreprit de se peigner. Harlan fit un pas vers elle.
— Emily, dit-il fermement, explique-moi ce qui se passe. Es-tu fâchée contre Rose ? Pourquoi n’es-tu pas partie avec elle ce matin ?
L’adolescente attacha ses cheveux avec un élastique, puis fit face à son père.
— Je voulais partir avec elle. Mais je voulais aussi te parler. Seul. Sans Rose. J’ai pensé que c’était le meilleur moyen.
— Il… il s’agit de Rose ?
Elle hocha la tête avec gravité, avant de se laisser tomber sur le lit.
— Je crois que je suis un peu perdue…
— Comment ça ?
Elle fronça les sourcils.
— Papa, tu m’aimes ?
— Eh ! Je te le dis assez souvent, non ?
— Oui. Mais…, m’aimes-tu assez pour faire presque n’importe quoi pour moi ? insista-t-elle, les sourcils toujours froncés.
Où Emily voulait-elle en venir ?
— Sans doute, si c’est raisonnable…
— Assez pour épouser Rose ?
Harlan se figea.
— Que veux-tu dire ? Quelqu’un t’a parlé ? Rose a…
— Personne ne m’a rien dit ! coupa-t-elle. Tout ce que je veux savoir, papa, c’est pourquoi tu as épousé Rose. Pour que j’aie une mère ?
A présent qu’Emily lui posait la question sans détour, la réponse parut subitement évidente à Harlan. Pourquoi ne s’en était-il pas rendu compte plus tôt ? Pourquoi s’était-il acharné à prétendre que son mariage avec Rose était autre chose que ce qu’il était en réalité — un mariage d’amour ?
Parce que la peur de la perdre l’avait rendu aveugle à ses propres sentiments.
Il était amoureux de Rose. Depuis le début.
— Cela ne doit pas être si difficile de répondre, papa, fit Emily.
Harlan s’assit à côté d’elle.
— Non, ma chérie… Mais d’abord, dis-moi… Pourquoi me poses-tu cette question ?
— Rose… Elle a pleuré hier, et je l’ai entendue dire à Chloé que tu ne l’aimais pas, que tu ne l’avais épousée que pour moi.
La douleur envahit Harlan.
— Je suis navré que tu aies entendu cela, ma chérie. Parce que ce n’est pas vrai.
— Rose n’est pas une menteuse !


— Non, dit Harlan en esquissant un sourire. Rose n’est pas une menteuse. Elle avait de la peine. Elle ne comprend pas que…, que je l’aime.
Emily soupira longuement, puis sourit à son père.
— C’est bien ce que je pensais. Alors, tu ferais mieux d’aller le lui faire comprendre. Je ne peux pas supporter de la voir malheureuse.
— Tu as raison, mon chou. Que dirais-tu de venir avec moi au Bar M pour que je puisse parler à ta nouvelle maman tout de suite ?
Emily sauta sur ses pieds et enfonça son chapeau sur sa tête.
— Je suis prête… Oh ! fit-elle, frappée par une pensée. Si on disait à Rose que je me suis sentie mieux tout de suite après son départ ?
— Ah ah ! D’accord. Mais ne fais plus semblant, hein ?
— Promis, juré !
Et il ne ferait plus semblant, lui non plus…
Ils furent bientôt au Bar M. Rose était déjà partie voir les génisses. Déterminé à ne pas perdre plus de temps, Harlan sella un cheval. Peut-être refuserait-elle de le croire. Peut-être l’avait-il tant fait souffrir qu’elle s’en moquait. Quoi qu’il en soit, il devait essayer de réparer le mal qu’il avait fait.
Trois quarts d’heure plus tard, il l’aperçut, assise sur un rocher à l’ombre d’un bouquet d’arbres rabougris. Elle le regarda mettre pied à terre d’un air interdit, comme s’il était la dernière personne au monde qu’elle s’attendait à voir.
— Que se passe-t-il ? Emily est malade ?
Harlan accrocha la bride de son cheval à une branche.
— Elle n’a rien. Rien qui ne puisse s’arranger. Tout au moins je l’espère.
Elle le dévisagea avec méfiance.
— Il s’est passé quelque chose !
Elle fit mine de se lever, Harlan fut plus rapide. Posant la main sur son épaule, il la contraignit à se rasseoir.
— Je suis venu parce que nous devons parler.
Seigneur, il n’allait pas recommencer ! Lui imposer une nouvelle humiliation ? Si telle était son intention, elle devait fuir, s’éloigner de lui à tout prix…
— Harlan, je t’en prie… Je ne veux pas reparler de notre mariage. Soit tu veux rester marié, soit tu ne veux pas. Décide-toi !
Les yeux brillants, il se mit à rire franchement — d’une manière si chaleureuse, si communicative, qu’elle fut presque tentée de sourire avec lui malgré le chagrin qui l’étreignait.
— Rosie, ma chérie ! Bien sûr que je veux rester ton mari.
« Bien sûr ». Comme si elle était l’amour, la lumière de sa vie. Qui s’imaginait-il tromper ? Stupéfaite, elle le vit s’asseoir près d’elle, chercher sa main et la porter à ses lèvres.
— Hier soir, tu as dit que tu ne me détestais pas. Est-ce vrai ?


Rose sentit s’accélérer les battements de son cœur.
— Oui. Comment pourrais-je te détester ? Tu as tant fait pour moi.
Il pressa de nouveau ses lèvres sur les doigts de Rose, qui frissonna malgré la chaleur écrasante.
— M’aimes-tu ?
Elle se tourna vers lui.
— T’aimer ?
— J’ai pensé que tu m’aimais, après notre mariage. M’aimes-tu encore ?
— Pourquoi me demandes-tu cela ?
Harlan la souleva alors du rocher et la cala sur ses genoux.
— Qu’est-ce que… ?
— J’essaye d’obtenir une réponse à ma question. Parle-moi sincèrement, Rose. C’est très important.
Elle ne pouvait pas lui mentir. Pas au creux de ses bras.
— Oui. Je t’aime, Harlan.
Il ferma les yeux et pressa Rose contre lui. Sidérée, elle se cramponna à lui et remercia silencieusement le ciel pour ces quelques instants où il voulait d’elle.
— Oh ! Rose, gémit-il, couvrant son visage de baisers. Rosie, je ne te mérite pas. Mais je suis si heureux…
Encore abasourdie par le changement radical qui s’était produit en lui, elle le considéra avec attention.
— Je ne comprends pas, Harlan. Je pensais que…
Il la fit taire d’un doigt sur ses lèvres.
— J’ai été stupide, Rose.
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Emily m’a ouvert les yeux. Elle voulait savoir pourquoi je t’ai épousée…
Le cœur de Rose cessa de battre.
— J’espère que tu ne lui as pas dit la vérité ! Elle en souffrirait. Elle croit que nous sommes une vraie famille.
— Je lui ai dit la vérité. Je lui ai dit que je t’aimais. Et c’est vrai. Je suis tombé amoureux de toi à la seconde où je t’ai vue…
Elle voulut se dégager ; il la retint d’une main ferme.
— Harlan, rien ne t’oblige à me dire cela. Je t’ai expliqué hier soir que je comprenais…
— Non, Rose, tu ne pouvais pas comprendre ! Jusqu’à ce matin, je ne comprenais rien moi-même. Pendant tout ce temps, je me suis obstiné à me répéter que je t’épousais parce qu’Emily avait besoin de toi, que le ranch avait besoin d’une femme, et que tu avais besoin de moi pour ton ranch. Mais ce n’est pas la vraie raison. Je voulais que tu sois ma femme parce que je t’aime. Et je veux que tu restes auprès de moi pour toujours.
Elle avait déjà commis l’erreur de penser qu’il l’aimait, songea-t-elle.
— Harlan, c’est très gentil, mais…
— Gentil ! Rose, ce n’est pas de la gentillesse que j’éprouve pour toi en ce moment…


Un fol espoir emplit Rose tandis qu’il mouchetait son cou de baisers impatients.
— Tu m’as dit que tu ne pourrais jamais aimer une autre femme…
— Mmm. Je me trompais, affirma-t-il en libérant ses cheveux du foulard qui les retenait. Comme un idiot, je croyais que je pouvais te faire l’amour et ne pas tomber amoureux…
— Tu m’as dit aussi que tu ne voulais plus faire l’amour avec moi… Mesures-tu combien tu m’as fait souffrir ?
— Tu ne peux pas concevoir à quel point je le regrette, Rose. Mais j’étais fou. J’avais trop peur. Chaque fois que nous faisions l’amour, je t’aimais un peu plus. Et je craignais tellement de t’aimer et de te perdre… comme j’ai perdu Karen.
Bien qu’elle fût bouleversée, Rose tenta de le rassurer.
— Oh ! Harlan, personne ne peut savoir ce que l’avenir nous réserve. C’est pourquoi il faut être reconnaissant pour le présent et s’aimer chaque jour sans penser au lendemain.
— Tu n’as pas toujours été de cet avis, observa-t-il. Tu redoutais de m’épouser…
Rose lui caressa la joue, toute à la joie de savoir que son mari l’aimait.
— Je ne jurerais pas n’avoir pas eu peur il y a dix minutes. Mais plus maintenant. Maintenant que je sais que tu m’aimes…
Il enfouit son visage dans les cheveux de Rose.
— Je ne pouvais pas supporter de te voir si distante avec moi. De ne plus te faire l’amour…, murmura-t-il en défaisant les premiers boutons de son chemisier.
Rose rit doucement comme ses lèvres effleuraient le creux de ses seins.
— Harlan ! Nous sommes au milieu de la prairie ! N’importe qui pourrait venir…
Il continua à déboutonner son chemisier en souriant.
— Emily et toi êtes les seules à venir dans ce soin depuis des mois. Et elle est au ranch en train de garder les jumeaux. Nous sommes complètement seuls. Et toi seule peux guérir ma fièvre…
Rose ne se fit pas prier. Jamais elle n’avait été aussi heureuse, jamais elle n’avait éprouvé tant d’amour… Avec un petit sourire taquin, elle retira son chapeau et le lança derrière elle.
— Eh bien, M. Hamilton, voyons si vos actes sont à l’aune de vos paroles !
Il la renversa sur le sol et se mit à genoux au-dessus d’elle.
— Dans quelques minutes, tu croiras être au paradis…
Rose le saisit par sa chemise et l’attira sur elle.
— Je te mets au défi de tenir ta promesse !
L’amour se lisait sur les traits d’Harlan lorsqu’il se pencha vers elle pour l’embrasser. Rose s’abandonna à ses lèvres passionnées, savourant son baiser avec tant d’oubli…
… qu’elle ne sentit pas immédiatement l’odeur de la fumée.
— Harlan ! Quelque chose brûle !
— Je pensais que c’était nous…


— Non ! Il y a le feu ! Tu ne sens rien ?
Il leva la tête et huma l’air, puis avisa le nuage gris-blanc qui s’élevait du sud.
— Tu as raison, dit-il en se redressant pour mieux voir, aussitôt imité par Rose.
— D’où part le feu ? s’enquit-elle en plissant les yeux.
— Il est sur les terres du Bar M, répondit-il gravement.
— Mon Dieu ! Ce n’est pas la maison, n’est-ce pas ? s’écria-t-elle, pétrifiée par l’angoisse.
— Non. La fumée est au sud de la maison… Allons voir ce qui se passe.
Ils chevauchèrent jusqu’à une petite hauteur où ils s’arrêtèrent. Devant eux, à une centaine de mètres à peine, s’étendait un mur de flammes de plus d’un kilomètre de long.
— Oh ! Harlan, c’est une mer de feu, geignit Rose. Qu’allons-nous faire ?
— Nous ne pouvons rien. Mieux vaut rentrer et appeler les pompiers. Espérons que Chloé aura vu la fumée et l’aura déjà fait !
Ils reprirent au galop la piste qu’ils venaient de suivre en sens inverse. Ils avaient couvert quelques centaines de mètres quand Harlan cria quelque chose à Rose, puis désigna sa gauche. Horrifiée, elle découvrit un autre mur de flammes qui venait à leur rencontre.
— Nous ne pourrons jamais aller assez vite ! Pas avec ce vent et cette chaleur !
Pie, déjà trempé de sueur, haletait. Elle n’allait tout de même pas tuer son cheval pour sauver sa peau !
— Viens ! fit Harlan. Si je me rappelle bien, il y a un arroyo à l’est d’ici. On se mettra au fond. Avec un peu de chance, le feu passera au-dessus de nous.
Rose le suivit, s’enjoignant de ne pas céder à la panique. Les flammes ne pourraient pas progresser aussi vite… Hélas, chaque fois qu’elle se retournait, l’incendie, attisé par le vent, avait gagné du terrain sur eux. La fumée les enveloppait peu à peu, et des flammèches voletaient de toutes parts.
— Nous y sommes presque ! hurla Harlan.
— Mais le feu est sur nous !
— Ça ira ! Fais-moi confiance !
Enfin, après ce qui parut une éternité à Rose, ils atteignirent l’arroyo et descendirent tout au fond. Harlan poussa Rose dans la première crevasse venue, puis retira son épaisse chemise en jean pour leur servir de couverture.
Rose se demanda si le vacarme qu’elle entendait était le rugissement des flammes ou les battements effrénés de son cœur.
— N’aie pas peur, ma Rosie. Je suis là pour te protéger, lui dit Harlan à l’oreille.
Rose, les mains crispées sur son épaule, le serrait si fort que ses doigts en étaient douloureux.
— C’est fou, non ? Tu décides enfin que tu m’aimes et nous allons mourir calcinés !
En dépit du danger qui les menaçait, Harlan ne put réprimer un éclat de rire.
— J’aime ton sens de l’humour, Rose !


La fumée avait déniché leur minuscule abri. Rose se mit à tousser. Le visage enfoui contre l’épaule d’Harlan, elle retint son souffle aussi longtemps qu’elle le put, priant pour qu’ils soient épargnés par le feu.
— Accroche-toi à moi, Rose… Il sera bientôt passé.
Il avait raison. En l’espace de quelques minutes, le vacarme et la chaleur intense s’étaient éloignés. Harlan repoussa la chemise et aida Rose à se relever. Chancelante, elle dut s’appuyer contre lui pour recouvrer son équilibre.
— S’il continue dans cette direction, il devrait être arrêté par la rivière, nota-t-il.
— Tout est noir ! s’exclama Rose d’une voix brisée, choquée à la vue du spectacle qui s’offrait à eux.
— Au moins, nous sommes sains et saufs.
Elle sourit devant son visage noirci par la fumée.
— Et nous sommes ensemble… Rien d’autre ne compte pour moi, Harlan.
— Pour moi aussi. Es-tu prête à remonter en selle ?
Elle acquiesça, et il la guida jusqu’aux chevaux, qui, mis à part des traces de suie aux jambes et à l’encolure, ne semblaient pas avoir souffert du passage du feu.
Une demi-heure plus tard, ils entraient dans la cour du ranch. Emily se précipita à leur rencontre et se jeta dans les bras de son père, puis dans ceux de Rose.
— Nous avons eu tellement peur !
— Tout va bien, ma chérie. Et ici ?
— Oui. Le feu n’est pas parvenu jusqu’ici, heureusement !
Roy et Chloé s’étaient joints à eux, et tout le monde parlait à la fois.
— Vous avez l’air de deux ramoneurs ! s’écria Chloé.
— Le feu est presque maîtrisé, dit Roy. Les pompiers luttent contre les derniers foyers au nord.
— J’espère seulement que nous n’aurons pas perdu trop de bétail, fit Harlan. Savez-vous où l’incendie s’est déclaré ?
Si Roy et Chloé échangèrent un regard empreint de gravité, Emily eut du mal à contenir son excitation.
— Roy a arrêté Belinda Waller ! Et en flagrant délit ! Il y avait de l’essence et des allumettes dans le coffre de sa voiture !
— Vraiment ? marmonna Rose, atterrée. C’est elle qui a mis le feu ?
— L’employé de la station-service où elle acheté l’essence nous a téléphoné. Sa conduite lui avait paru bizarre, et, comme la description qu’il nous a donnée correspondait à celle de Belinda, je me suis douté qu’elle mijotait quelque chose et je suis venu au ranch. Malheureusement, elle avait déjà mis le feu…
Les jambes flageolantes, Rose se raccrocha à Harlan.
— Mais comment…Pourquoi voulait-elle nous tuer ?
Roy secoua la tête.
— Je ne pense pas qu’elle ait voulu tuer qui que ce soit, ni qu’elle ait su que vous alliez vous trouver dans la voisinage des feux. Elle n’avait, si j’ose dire, que l’intention de détruire le ranch et de vous ruiner. Elle l’a admis.
— Pourquoi ? Que lui avons-nous fait ?


— Peut-être en saurons-nous davantage lorsque nous pourrons l’interroger plus longuement. Tout à l’heure, elle n’était pas en état de répondre… Elle répétait sans cesse que les filles de Thomas avaient tout tandis qu’elle ne possédait rien. Selon moi, elle voulait se venger, tout simplement.
— Tu dis qu’elle n’était pas en état de parler, intervint Harlan. Veux-tu dire qu’elle était ivre ou droguée ?
— Nous avons trouvé plusieurs ordonnances de tranquillisants dans son sac à main — toutes des faux, semble-t-il. Elle se drogue probablement depuis un certain temps.
Rose hocha la tête avec écœurement.
— Pire encore, commenta Chloé, elle n’a pas demandé de nouvelles de jumeaux.
— L’as-tu questionnée à leur sujet, Roy ? fit Rose.
— Elle les aurait laissés à Thomas parce c’était lui qui les voulait. Pas elle.
— Oh, mon Dieu ! Elle ignorait que papa est mort ?
— Elle nous a accusés de mentir quand nous le lui avons appris. Je ne suis même pas sûr qu’elle ait bien compris…
— Pourrait-elle échapper à la prison sous prétexte qu’elle est instable ?
Roy tranquillisa Chloé d’un geste.
— Ne t’inquiète pas. Elle a commis trop de délits pour être laissée en liberté. Si elle ne va pas en prison, elle sera placée dans une institution spécialisée.
Plus tard ce soir-là, de retour chez eux, Harlan et Rose s’installèrent sous la véranda, admirant les éclairs qui zébraient le ciel à l’ouest.
— Je te parie qu’il va pleuvoir, maintenant que la moitié du ranch a brûlé ! fit Rose, rêveuse, la tête contre l’épaule d’Harlan.
— Ce serait une merveilleuse ironie, repartit celui-ci. Avec un peu de pluie, l’herbe repoussera vite…
— A vrai dire, je bénis la sécheresse que nous avons connue.
— Rose, tu as perdu la tête ? Nous avons eu un été épouvantable !
Elle sourit de son indignation.
— Je sais. Ce n’en est pas moins la sécheresse qui nous a réunis. Sans elle, nous serions peut-être restés de simples voisins…
— Ne parle pas de malheur !
— Je sais que nous avons perdu quelques animaux dans l’incendie et que nous devrons travailler dur pour que le ranch soit enfin tiré d’affaire, mais je ne pourrai pas être plus heureuse qu’en ce moment. Sauf, peut-être, quand je saurai que Chloé a obtenu le droit d’adopter les jumeaux. Elle le désire tellement !
— Et ils ont besoin d’elle, approuva Harlan.
— Tu sais…, je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qu’a dit Roy. Quand il a parlé des jumeaux à Belinda, elle a dit que Thomas les voulait. A ton avis, qu’entendait-elle par là ?
Il soupira.
— Je l’ignore, Rosie. Mais je peux te garantir que ton père était quelqu’un de bien, même s’il avait un faible pour le jeu et le bourbon. Il aimait les enfants, et il a dû les désirer. Quand un homme sait qu’il est en train de perdre la femme qu’il aime, cela peut le rendre fou. Et je parle en connaissance de cause…
Sans rien dire, elle tourna la tête vers lui et déposa un baiser sur sa joue. Il prit sa main et la garda pressée contre son visage.
— Rose, tu sais…, les pilules contraceptives que tu es allée acheter l’autre jour…
— Oui ?
— Jette-les, veux-tu ?
— Oh ! Harlan… Tu es sûr que tu vas bien ?
Il éclata de rire.
— Oui, mon adorable Rose. Je veux que nous ayons un bébé.
— Un bébé ? Quand as-tu décidé cela ?
— A la seconde où tu as dit que nous devions vivre dans le présent.
Pour toute réponse, elle se jeta à son cou et le gratifia d’un baiser plein d’amour et de promesses. Le cœur débordant d’émotion, Harlan la souleva dans ses bras afin de la porter jusqu’à leur chambre…
Dehors, la pluie se mit à tomber.

 
 

 

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