Chapitre 1
Le sperme des démons
Gabrielle Arfeuille se réveilla ce matin-là de très mauvaise humeur. Elle avait encore
fait le Rêve. Celui où Marie Filastre, sa lointaine aïeule, lui apparaissait, hurlant sa haine
infinie et sa douleur atroce sur le bûcher qui l’envoyait en enfer.
Le bûcher... A cette époque, la justice des hommes n’y allait pas de main morte. Une
femme belle qui vivait seule dans une cabane isolée sentait le soufre. Surtout si elle avait
des cheveux couleur de feu et des yeux verts de chat. Surtout si elle était vue en train de
danser nue, les nuits de pleine lune, au milieu de la forêt, près d’un grand feu de bois, en
psalmodiant des mélopées étranges. Et que des hommes habillés de noir l’entouraient,
surexcités, en bramant comme des fous. Et qu’ensuite, un par un, ils venaient la prendre et
jouissaient en elle de toutes les façons possibles. Qui aurait reconnu qu’elle n’était qu’une
pauvre femme, coupable d’être trop belle mais trop seule ? Qui aurait avoué, parmi eux,
qu’ils la droguaient, à chaque nuit de pleine lune depuis des mois, avec de l’ergot de seigle
macéré dans de l’alcool de sureau, pour pouvoir la violer tour à tour en toute impunité ?
Qui aurait pris sa défense, quand elle fut accusée de s’être présentée chez Mademoiselle de
Fontanges, la nouvelle jeune favorite du roi, pour l’empoisonner sur l’ordre de sa rivale
vieillissante et jalouse, Madame de Montespan ? Qui aurait témoigné qu’elle ne faisait, en
réalité, qu’essayer de fuir enfin ses violeurs ? Qui aurait dit à voix haute ce que tous
savaient – que Mathurin Bedeau, le chef occulte des hommes en noir, l’avait accusée de
sorcellerie parce qu’il était furieux de la voir lui échapper à nouveau ?0
Mathurin Bedeau... Du jour où Marie avait croisé la route de cet homme, cinq ans
plus tôt, sa vie n’avait fait que s’enliser toujours plus profondément dans la misère et la
souffrance. Elle habitait alors dans une masure à quelques kilomètres à l’ouest de
Montluçon. Elle n’était qu’une jeune fille miséreuse, rejetée de tous et orpheline. Elle avait
17 ans. L’âge qu’avait Gabarelle, sa mère, lorsqu’elle la mit au monde.
Gabarelle avait nommé sa fille Marie en hommage à sa seule amie, Marie Mélane,
une femme étrange au charme dérangeant, qui inspirait l’effroi partout où elle passait.
Avant de la rencontrer, Gabarelle était une jeune fille plutôt sage et pieuse, qui envisageait
même de se destiner au noviciat. C’est alors qu’elle croisa la route de Marie Mélane et que
sa vie bascula. Les deux femmes devinrent inséparables, le bruit courut qu’elles étaient
même amantes. Une nuit sans lune, Marie entraîna Gabarelle à une cérémonie obscure, en
pleine forêt. Un sabbat. Gabarelle en revint transfigurée – et enceinte. Marie Mélane l’aida
à accoucher, puis elle quitta la région. On la dit morte.
Quelques années plus tard, alors que sa fille venait d’atteindre l’adolescence,
Gabarelle fut emportée par une fièvre maligne, vite qualifiée de diabolique par ceux qui la
virent agoniser, la mourante ayant déliré pendant des jours en hurlant des paroles
incohérentes, donc forcément dictées par Satan en personne. Depuis, les habitants du bourg
voisin n’osaient plus approcher la jeune Marie Filastre. Ils disaient qu’elle était une
sorcière, comme sa mère et comme la Mélane. Seuls les plus braves, ou les plus
désespérés, venaient parfois lui demander, la peur au ventre, un philtre pour gagner le coeur
d’une jeune beauté inaccessible ou un sort pour repousser un voisin trop pénible.
Gabarelle avait enseigné à sa fille toutes sortes de mélanges d’herbes, des décoctions,
des paroles magiques. Elle lui avait appris à lire dans un grimoire mystérieux et interdit,
nommé « Alberti Magni de Secretis Mulierum Libellum », le Petit Livre du Grand Albert
sur les Secrets des Femmes, que tout le monde appelait plus simplement le Grand Albert.
La jeune fille, devenue orpheline, avait réalisé que ce savoir pouvait lui permettre de vivre
de la crédulité des autres, même si elle-même n’y croyait pas entièrement. Elle avait, en
effet, essayé sans succès plusieurs des recettes du livre pour satisfaire ses propres envies et
avait vite compris qu’aucune ou presque ne marchait, en dehors des poisons ou des
narcotiques – rien de magique à ça.
Un soir d’automne où il pleuvait dru, elle entendit un cheval s’approcher de son
cabanon isolé et les pas lourds d’un homme qui sautait à terre. Il ouvrit la porte grossière et
la regarda d’un air surpris. Il s’attendait à voir une vieille femme laide, pas une jeune fille
sensuelle et belle malgré la crasse, dont la peau luisait comme une invite à la lueur orangée
du feu de cheminée. Il lui dit qu’il s’appelait Mathurin Bedeau, notaire depuis peu à
Cusset. Il avait fait une longue route pour la rencontrer. Il était gras et couperosé, ses joues
ravagées par la vérole. Trempé par la pluie, il puait la vieille sueur et l’odeur forte de son
cheval mouillé. Venait-il pour lui demander un sortilège ? La jeune Marie ne le sut jamais.
Elle vit la lueur de désir dans son regard mais n’eut pas le temps de faire un geste. Il arrêta
tout à coup de parler, se jeta sur elle avec une souplesse et une rapidité étonnantes par
rapport à sa corpulence. Il l’écrasa au sol, la plaquant de tout le poids de ses 120 kilos. Elle
sentit son haleine horrible, ses mains mouillées qui lui arrachaient fébrilement le haillon
qui lui tenait lieu de robe, son sexe dur contre son ventre.
Il se mit à l’étrangler en soufflant frénétiquement. Elle perdit connaissance pendant
une dizaine de secondes. Quand elle revint à elle, il l’avait déjà pénétrée et il ahanait à
chaque mouvement du bassin en lui écrasant les bras de toutes ses forces. Elle eut beau
crier et essayer de se débattre, elle ne put rien faire pour le repousser. Dans un dernier râle
bestial, il éjacula avec un regard exorbité, la bouche grande ouverte, en se raidissant de tout
son long, son bassin poussé à fond contre celui de Marie. Puis, il se dégagea rapidement,
courut hors de la cabane, enfourcha son cheval hennissant, s’enfuit du plus vite qu’il put.
Recroquevillée sur le sol en terre, ses mains crispées sur son pubis souillé et douloureux,
Marie hurla, en sanglotant, des malédictions inutiles. Trois mois plus tard, son ventre
s’arrondissait. Elle donna naissance au début de l’été à une fille, qu’elle appela Gabrielle,
en souvenir de sa mère.
Quatre ans passèrent. Au hasard de leurs errances, Marie et la petite Gabrielle se
retrouvèrent sans le savoir près de Cusset. Mathurin Bedeau, malheureusement, habitait
toujours là. Il la reconnut sans peine le premier jour où elle se rendit sur le marché pour
vendre ses potions et ses philtres. Pour ne rien arranger, il n’avait même plus
d’appréhension vis à vis des supposés pouvoirs de sorcière de la jeune femme : depuis
qu’il l’avait violée, rien de fâcheux ne lui était arrivé, ni sortilège, ni maladie, ni même un
seul cauchemar. Au contraire, sa situation avait plutôt prospéré. A la pleine lune suivante,
il vint forcer sa porte, accompagné de huit comparses, tous habillés de noir. Le cauchemar
recommença, en pire, et se répéta à chaque pleine lune pendant des mois.
Aussi, quand Marie entendit parler de ce travail chez Mademoiselle de Fontanges,
elle prit immédiatement la route de Paris. Mais l’un de ses violeurs, qui n’était autre que le
chef de la police, en fut informé et le répéta à Mathurin.
A peine arrivée chez la jeune favorite, Marie fut arrêtée, enchaînée, jetée dans une
geôle pouilleuse, accusée de sorcellerie, torturée pendant des jours. Ses mains et ses pieds
furent broyés dans de grosses presses en bois, un de ses yeux arraché avec une pince, ses
seins tailladés et arrosés d’huile bouillante, son anus sodomisé avec un pieu puis pénétré
par un rat vivant, son vagin rempli de plomb fondu. A bout de forces, elle finit par dire tout
ce que ses bourreaux voulaient qu’elle dise. Ils la brûlèrent vive comme sorcière en place
de Grève, sous les cris de joie de la foule ravie du spectacle.
Elle mourut sans jamais avoir revu sa fille de 4 ans, qui s’était cachée non loin de sa
cabane quand les hommes en noir repassèrent voir s’ils pouvaient encore y piller quelque
chose. Ils ne trouvèrent d’intéressant que le chat, à qui ils coupèrent les quatre pattes,
comme ça, par jeu. Ils le regardèrent agoniser jusqu’à la fin, en buvant du vin et en
chantant des chansons paillardes pendant que la nuit tombait.
La petite Gabrielle vit tout. Entendit tout. Mathurin avait raconté avec force détails le
long martyre de sa mère. Il jubilait, ses comparses riaient. A un moment, il partit en
titubant vers le buisson où se cachait la gamine, pour soulager sa vessie. Elle resta
dissimulée sous les feuilles quand elle fut arrosée par son urine, immobile et muette malgré
sa rage et sa honte.0
Elle n’oublia aucun des neufs visages. Elle resta seule, cachée dans le buisson,
pendant deux jours et deux nuits. Le matin suivant, une vieille femme à l’allure de
paysanne s’approcha de la masure, puis se dirigea sans hésiter vers le buisson où se cachait
Gabrielle. Elle la recueillit sans que personne ne le sût. Elle n’était pas venue par hasard,
mais parce qu’elle avait appris ce qui était arrivé à Marie Filastre. La prétendue paysanne
était Marie Mélane, l’amie de Gabarelle. Elle était devenue une sorcière de très haut rang.
Une grande prêtresse du culte sombre de Lilith.
Lilith, la première femme, l’insoumise devenue reine des démons. Lilith, la Lune
Noire, la Mère Obscure.
Depuis quelques années, à la suite d’un nouveau rite initiatique, la Mélane avait pris
le nom de Samaëlle, en hommage au démon devenu le compagnon de Lilith après qu’elle
eut quitté Adam.
Avant de repartir avec la fillette, Samaëlle alla prendre dans la cabane le seul héritage
qu’eut Gabrielle de sa mère : le grimoire manuscrit du Grand Albert. La gamine savait où
il était caché, sous le plancher de la masure où elle avait vécu avec sa mère. Comme sa
mère avant elle, Gabrielle apprit à lire avec ce livre. Samaëlle l’éleva comme si elle était
son enfant, dans un mélange paradoxal d’amour pour le peuple des sorciers et de haine
pour le reste de l’humanité. Elle devint à la fois sa grand-mère adoptive et son initiatrice
aux rituels les plus terrifiants. Pour accélérer ses progrès, elle la fit rapidement participer
aux sabbats et aux messes noires.
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Gabrielle connut son premier Grand Sabbat alors qu’elle n’avait pas 7 ans. Des
dizaines de sorcières et de sorciers s’étaient rassemblés dans une clairière en pleine nuit.
Tous se prosternèrent avec respect devant Samaëlle quand elle arriva avec Gabrielle, qui se
sentit très fière de cet accueil.0
Elle vit alors l’être hideux qu’ils entouraient. Il lui sembla immense, velu comme une
bête. Il portait une ample cape noire. Il puait le musc et la chair en décomposition. La peau
de son visage était couverte de verrues et de furoncles. Ses cheveux luisants de graisse
grouillaient de poux et d’autres vermines. Ses ongles, longs et pointus, ressemblaient à des
griffes.
Samaëlle chuchota à l’oreille de Gabrielle :
« Regarde, admire, prosterne-toi devant lui. C’est l’Adversaire.
- L’adversaire de qui ?
- L’Adversaire, Ham Shatan ! Lucifer, celui qui apporte la Lumière ! »
Chacun des sorciers vint déposer aux pieds de Shatan son herbe de sabbat, un
mélange de plantes toxiques. Quand ils eurent terminé, il ouvrit les pans de sa cape, en
extraya sans aucune gêne son pénis brunâtre et flacide. Il arrosa le tas d’offrandes de son
urine, qui empestait comme du compost pourri. Il se baissa, ramassa une grosse poignée
des herbes qu’il venait de tremper et les secoua pour asperger l’assistance dans un
simulacre de bénédiction. En poussant un grognement, il désigna ensuite Samaëlle du
doigt.
« Samaëlle, disciple d’Hécate, viens à moi.
- Ham Shatan, je viens à toi. Je suis Ardat Lili, la servante de Lilith mère
d’Asmodée. Je suis la descendante de Baal Zebub le Dragon Roux. Je me prosterne devant
toi. Je suis la fille de la fortitude, je suis la compréhension, et la science m’habite. J’ai la
connaissance de toutes choses. Les hommes me convoitent et me désirent, ils ont de moi
une faim sans limite. Mes pieds sont plus rapides que les vents, et mes mains plus douces
que la rosée du matin. Je suis déflorée et pourtant toujours vierge. Heureux celui qui
m’étreint, car je suis douce et je comble de jouissance. Mes lèvres sont plus délicieuses que
la vie. Je suis la prostituée de qui me ravit, et la vierge de ceux qui ne me connaissent pas.
- Adorez Lilith, vous mes fidèles ! Elle est sombre, mais lumineuse. Ses ailes sont
noires. Ses lèvres sont rouges comme la rose, embrasant tout l’univers. Elle est Lilith, celle
qui mène les hordes de l’abîme et conduit les hommes à la ruine. Elle est l’irrésistible qui
comble tout appétit charnel, prophétesse du désir. Elle est la première de toutes les
femmes, Lilith - et non Eve ! Elle est l’insoumise qui impose la véritable liberté. Elle est
Kisikil Lilaké, Reine du Cercle Magique. Contemplez sa luxure et son désespoir. »
Tous les participants se mirent à répéter en choeur :
« Lilith, Lilith, Lilith ! Lilith, Lilith, Lilith ! »
Shatan cria alors :
- La lune est noire, la nuit est nôtre ! Que le sabbat commence ! »
Samaëlle s’approcha d’un chaudron, posé sur un tas de bois qu’elle enflamma à
l’aide d’une torche. Shatan jeta dedans toutes les offrandes, les sorcières y rajoutèrent des
crapauds et des serpents morts qu’elles avaient emmenés avec elles dans des sacs de toile
grossière, ainsi que des morceaux de chair putréfiée. Gabrielle crut reconnaître des
membres d’enfants mais n’osa pas poser la question à qui que ce soit. Le mélange infect se
mit rapidement à bouillir dans une puanteur indescriptible, pendant que les sorcières et les
sorciers se dénudaient en chantant et en dansant une volte désordonnée. A l’aide d’une
grande louche en bois, Shatan fit boire un petit peu de la mixture infâme à chaque
participant, tout en psalmodiant des mots incompréhensibles.
Puis il leva les bras verticalement, se retrouvant entièrement nu en faisant tomber sa
cape au sol. Sa verge, boursouflée et turgescente, était désormais en pleine érection, elle
faisait plus de trente centimètres de long. L’assemblée s’immobilisa et se tut. D’une voix
qui ressemblait à un grondement, Shatan dit :
« L’heure de la fornication est venue ! Qu’on m’apporte la pucelle ! »
Dans les vivats de l’assemblée survoltée, trois hommes s’approchèrent en poussant
devant eux une adolescente d’une quinzaine d’années. Elle portait une tenue de religieuse,
elle avait été enlevée quelques jours auparavant aux abords d’un couvent où elle venait
d’arriver comme novice. Elle était visiblement droguée, ses yeux étaient mi-clos, elle tenait
à peine debout. Ils la dénudèrent, face à Shatan. Elle ne portait plus que son crucifix autour
du cou. Un des hommes se mit derrière elle et passa les bras sous les aisselles de la jeune
fille. Les deux autres la soulevèrent en attrapant chacun une de ses cuisses, qu’ils
écartèrent pour présenter son pubis à Shatan.0
Il cracha sur le crucifix puis, agrippant fermement le bassin de la jeune fille de ses
doigts crochus, il la pénétra avec un râle bestial. Elle poussa un long cri suraigu, semblant
ne réaliser qu’à cet instant ce qui était en train de lui arriver. Pendant tout le coït,
indifférent à ses contorsions désespérées et à ses hurlements de terreur et de douleur,
Shatan la griffa sur tout le corps, labourant de ses ongles sa peau blanche et douce, jusqu’à
ce qu’elle soit entièrement couverte de zébrures sanguinolentes. Les sorcières et les
sorciers criaient son nom au rythme des mouvements obscènes de son bassin. Lorsque
enfin il se retira, les trois hommes qui tenaient le corps supplicié de la novice la laissèrent
tomber au sol et se mirent à la prendre sauvagement tour à tour.
Ce fut le signal de l’orgie la plus effrénée, les accouplements se multipliant sans
préférence d’âge ou de sexe. Même Gabrielle, prise dans la mêlée, se faisait caresser et
lécher par les hommes et les femmes qui se retrouvaient près d’elle, à portée de main ou de
bouche. Elle ne dût qu’à la protection de Samaëlle de ne pas connaître pire. Quant à la
malheureuse jeune religieuse offerte à Shatan, elle fut encore violée de multiples fois, y
compris bien après qu’elle ait succombé à ses tortures.
Les ébats continuèrent jusqu’au chant du coq. Alors, tous se dispersèrent, aussi
furtivement qu’ils étaient venus, ne laissant derrière eux que le cadavre exsangue,
désarticulé et à moitié dévoré de la novice.
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Gabrielle vécut avec sa protectrice jusqu’au jour où elle eut ses premières règles, à
l’âge de 11 ans. Samaëlle y vit le signe du temps de la vengeance. Le sang appelait le sang.
Gabrielle remercia avec émotion celle qui lui avait sauvé la vie et tant appris. Elle partit
avec le grimoire de sa mère glissé sous ses haillons.0
Dans les quatre années qui suivirent, elle retrouva huit des neuf hommes en noir et
les tua un par un. Qui se méfie d’une gamine miséreuse qui demande à faire un peu de
ménage en échange d’un quignon quotidien de pain rassis ?
Le premier, elle l’égorgea dans son sommeil, la nuit même de son embauche. Elle fut
déçue par cette fin trop rapide.
Pour les suivants, elle fit durer le plaisir, les torturant avec un raffinement croissant,
découvrant les meilleures façons de rendre leur agonie aussi lente et douloureuse que
possible. Au cours de ces longues années, plusieurs de ses employeurs eurent le temps de
la violer avant que ne vienne le jour de leur exécution. Elle avait beau n’être qu’une
tâcheronne à peine pubère, son corps était très vite devenu celui d’une femme. Sa beauté
sulfureuse, rehaussée par ses longs cheveux roux frisés, ne pouvait que faire chavirer les
pourceaux sans scrupules qui avaient autrefois abusé de sa mère. En ces temps obscurs,
aucune loi ni aucune morale ne les en empêchait. Surtout quand le violeur était un
bourgeois riche et que sa victime était une servante pauvre.
Elle fut forcée et dépucelée par le deuxième des hommes en noir alors qu’elle avait à
peine plus de 12 ans. Dans les trois ans qui suivirent, elle tomba trois fois enceinte. Ses
grossesses aboutirent à deux fausses couches et une naissance, un bébé mâle né deux mois
avant terme, qui ne survécut que quelques minutes. Elle offrit son corps minuscule à Lilith,
en suivant le rituel effrayant que lui avait appris sa grand-mère adoptive. Elle ne l’aurait
pas laissé vivre, de toutes façons. Elle voulait une fille.
Elle célébra l’anniversaire de ses 15 ans sur le corps agonisant de Barnabé Malveson,
le huitième et avant-dernier des hommes en noir, le chef de la police qui avait fait échouer
la tentative de fuite de sa mère. Après l’avoir drogué et ligoté, elle l’avait torturé pendant
des heures avec un rat affamé qu’elle tenait par la peau du dos et qui déchiqueta tout ce
qu’il put mordre du supplicié – son nez, ses oreilles, ses joues, sa langue, ses doigts, ses
tétons, son sexe. Ensuite, elle avait ouvert le ventre de sa victime toujours vivante avec un
couteau de cuisine, sorti ses viscères à pleines mains, glissé le rat à l’intérieur. Pendant que
le rongeur déchaîné dévorait le foie de Barnabé, elle avait regardé ses derniers soubresauts.0