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Salomé lut l’avertissement de Charlie sur « Sauvez Amy ». Elle le trouva très gentil
de la prévenir ainsi alors qu’il ne la connaissait pas. Elle le remercia en retour d’un petit
mail puis n’y pensa plus du reste de la journée. Ce soir-là, elle avait rendez-vous avec Leila
Kanou et cela occupait toutes ses pensées. Depuis le week-end précédent où elle avait fait
sa connaissance chez des amis communs à une soirée, cette fille l’attirait d’une façon
délicieusement troublante. Elle n’était pas seulement brillante quand elle parlait d’art, ou
drôle quand elle décrivait sa vie. Elle était aussi fabuleusement belle, ou plus précisément,
sensuelle dans ses moindres gestes, dans sa façon de regarder Salomé et même dans la
douceur soyeuse de sa voix qui, à elle seule, éveillait le désir. Quand, à la fin de la soirée,
Leila lui avait proposé un dîner à deux, entre filles, pour le jeudi suivant, Salomé avait
accepté immédiatement.
Le dîner se passa comme dans un rêve. Salomé raccompagna Leila chez elle. A peine
entrées dans son appartement à la fois moderne et chaleureux, Leila colla ses lèvres contre
celles de Salomé. Ce n’était pas la première fois que Salomé faisait une exception à son
hétérosexualité, même si cela ne lui était arrivé qu’assez rarement. Quant à Leila, elle était
exclusivement lesbienne et elle fit connaître à Salomé toute l’étendue de son expérience.
Qu’y a t’il de plus doux que deux femmes qui font l’amour… Sans parler de l’avantage
physique qu’elles ont sur n’importe quel homme, celui d’avoir autant d’orgasmes qu’elles
en ont envie.0
Entre deux de leurs multiples extases, elles se mirent à bavarder à voix basse. Salomé
raconta à Leila l’histoire de Batuuli et de sa descendance, jusqu’au jour où elle était née
dans un petit village près de Montluçon. Leila, quant à elle, avait des parents burkinabés
mais avait vu le jour au Togo, à Lomé.
« Lomé ? C’est drôle, comme coïncidence. Lomé, c’est comme mon prénom.
- Je ne crois pas aux coïncidences. D’ailleurs, ce n’en est pas une. C’est parce
qu’on m’a dit que tu t’appelais Salomé que j’ai voulu te connaître mieux. Et que j’ai eu très
envie que tu ne sois plus seulement Salomé, mais ma Lomé.
- Ta Lomé ? Ah oui ? Et si je t’avais dit non merci jamais avec une fille ? Et si tu
m’avais trouvée laide ? Tu m’aurais aussi entraînée chez toi ?
- Tu n’es pas laide et tu es ici avec moi.
- Oui, mais si tu m’av…
- Tu n’es pas laide et tu es ici avec moi. Ce « si » n’a pas de sens. Comment
pourrais-tu être laide ? Tu ne l’es pas. Tu es belle. Et tu as eu envie de moi tout de suite, je
l’ai vu dans tes yeux et dans tes gestes. Tu ne m’as pas repoussée. Tu ne m’as pas résistée.
Tu es ici dans mon lit. Tu es Salomé, je suis Leila, nous nous sommes rencontrées, nous
nous sommes plues et nous faisons l’amour. C’est ainsi.
- D’accord, d’accord, j’abandonne. Et je m’abandonne. Dis-moi, puisque je suis ta
Lomé, quel effet ça te fait d’être couchée nue sur moi comme le jour où tu es née, couchée
nue aussi au milieu de Lomé ?
- Tu veux que je te remontre quel effet ça me fait d’être au milieu de toi ? Et toi
quel effet ça te fait quand je te fais ça… et ça... et...
- Hmmmm, non, attends, on parle encore un peu d’abord.
- Ca t’embête tant que ça que je te caresse pendant qu’on parle ?
- Oui ! Ouh, mmmh, non ! Hmmm, là non plus, ça ne m’embête pas. Ouh, et ça,
mais alors là, ça ne m’embête pas du tout ! J’ai l’impression que tu connais mon corps
mieux que moi, je ne sais pas comment tu fais pour oooooohhh…. Mmmhhh, qu’est-ce que
je suis bien avec toi.
- Tu es à l’image de ton nom. Salomé, la paix…
- Et toi, que veut dire ton nom ?
- Leila, ça veut dire la nuit. J’adore la nuit. La nuit, c’est faire l’amour. Et faire
l’amour, c’est la paix. Leila c’est faire l’amour et faire l’amour c’est Salomé. Leila fait
l’amour avec Salomé. La nuit fait l’amour avec la paix.
- J’aime tes mots. Ca te va bien, comme nom, la nuit… Même ta peau est couleur
de nuit. La mienne est plus claire, c’est parce que je suis un peu métisse, à cause de
l’homme blanc qui a violé mon aïeule.
- Méfie-toi des hommes, ma Lomé, méfie-toi des hommes. Regarde comme on est
mieux sans eux. Nous, on fait l’amour. Eux, ils baisent les femmes. Eux, ils violent les
femmes. Eux, ils souillent les femmes. Ils crachent leur sperme gluant et ils oublient juste
après avec qui ils sont et ils s’endorment. Et ils sont prêts à prendre n’importe quelle autre
femme juste après. Méfie-toi des hommes.
- Oh, tu exagères, moi j’adore faire l’amour avec toi, mais j’adore aussi faire
l’amour avec les hommes. Ils ne sont pas tous comme tu dis. Il y en a quand même qui ne
sont pas si méchants que ça, qui sont tendres et aimants, qui donnent du plaisir avant de
penser au leur. Tiens, ce type, là, sympa comme tout, Charlie je ne sais plus quoi, qui nous
a écrit aujourd’hui pour nous dire de nous méfier du mail sur la petite fille malade, je suis
sûre que c’est quelqu’un de bien.
- Qu’est-ce que tu en sais ?
- Bon, tu as raison, je n’en sais rien mais tu vois, il ne nous connaît pas et son
réflexe le plus naturel, c’est de nous rendre un service, comme ça, pour le plaisir.
- Comme ça, pour le plaisir, vraiment ? Si ça se trouve, il est vieux et moche et il
ne sait parler de rien d’autre que de son boulot et il sent mauvais sous les bras...
- ...et il a des poils partout et il a des dents jaunes et tordues. »
Elles pouffèrent de rire. Salomé reprit :
« Mais ça m’étonnerait. Même avec le peu de mots qu’il a utilisé dans son mail, il
avait l’air chaleureux. Tu n’as pas trouvé ?
- Mouais. Peut-être. Et qu’est-ce qui te dit que ce n’est pas sa technique favorite de
drague, en essayant ensuite d’accrocher n’importe laquelle de nous qui aurait répondu,
comme ça, pour le plaisir ?
- Oh, tu vois le mal partout. Tu ne crois pas que tu en fais trop, là ?
- En tout cas, quand un mec que je ne connais pas m’envoie un mot sympa, ce n’est
pas pour ça que je vais lui proposer de coucher avec moi !0
- Non, bien sûr, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Mais n’empêche, tu peux bien
admettre qu’il y a aussi des mecs bien, ce ne sont quand même pas tous des machos tarés
ou des débiles moches.
- Ah bon ? Sérieux ? Mais on me cache des choses ! Ils sont où ?
- Arrête de te moquer de moi ! Parfaitement, il y en a ! Tu n’as pas dû rencontrer
les bons, c’est tout. Mais si ça t’arrive un jour, tu devrais essayer… ou plutôt une nuit
puisque tu préfères…
- Alors là, pas question ! Oublie l’idée de moi avec un homme. Oublie tous les
hommes, d’ailleurs, ne m’en parle plus tant qu’on est toutes les deux. Tiens, je vais te
raconter une petite histoire. Quand Dieu a créé le premier homme et la première femme, il
leur a dit : « Je voudrais offrir à chacun de vous quelque chose d’unique. Qui de vous deux
souhaite avoir un sexe de plusieurs centimètres de long qui permet d’uriner debout
n’importe où ? ». Adam répondit aussitôt en agitant les bras « Moi ! Moi, Dieu, je veux
ça » sans laisser une seule chance à sa compagne d’ouvrir la bouche pour dire si oui ou non
ce cadeau pouvait l’intéresser aussi ou pas. Dieu dota alors Adam d’un pénis, qu’il alla
immédiatement essayer, très ******* de son choix, en pissant un peu partout contre les
arbres ou sur les fleurs. La première femme, même pas surprise par le comportement
infantile d’Adam, le regarda avec condescendance, leva les yeux au ciel puis se tourna vers
Dieu et lui demanda : « Bon, et moi, Dieu ? Quel est le cadeau qu’Adam m’a laissé sans
même savoir ce que c’était ? Que reste t’il pour moi ? ». Alors Dieu lui répondit : « La
capacité d’avoir des orgasmes multiples ».
Salomé éclata de rire, suivie de Leila.
« Quel taré cet Adam, reprit Salomé. Merci, Eve, d’avoir choisi le deuxième cadeau !
Nous te devons beaucoup !
- Eve ? Eve n’a rien à voir avec cette histoire.
- Quoi, mais tu viens de le dire, c’est elle qui a choisi les orga…
- Je n’ai pas parlé d’Eve. J’ai parlé de la première femme.
- Ce n’est pas la même chose ?
- Non. Eve n’était pas la première femme. La première femme s’appelait Leila
comme moi.0
- Ah bon ? D’accord, mais oui, la première femme s’appelait comme toi, tout le
monde sait ça.
- Je suis sérieuse.
- Mais oui, mais oui, pas de problème. Adam et Leila, le premier homme et la
première femme, bien sûr.
- Peu importe que tu me croies ou pas, après tout. Ce qui compte, c’est qu’aucun
homme ne peut donner autant de plaisir à une femme que ce qu’une autre femme peut lui
donner. Oublie les hommes. Il n’y a que toi et moi. Tu luis comme le soleil et moi je suis ta
lune noire… La journée et la nuit sont deux soeurs et en même temps, chacune est la mère
de l’autre puisque chacune engendre l’autre. La journée donne vie à la nuit quand elle se
couche, la nuit donne la vie à la journée quand elle se couche.
- Comme nous deux maintenant…
- Oui. Tu me donnes la vie quand tu te couches pour moi, je te la donne quand je
me couche pour toi… Et quand on est couchées toutes les deux ensemble, nous nous
donnons la vie en même temps…
- Donne-moi encore un peu de vie, ma lune noire… ma lune noire…
- J’aime quand tu m’appelles ta lune noire, mon soleil... Ta lune noire va te faire
briller encore cent fois... Ta lune noire va te faire jouir encore cent fois avant que le jour se
lève … »
Cent fois, bien sûr, c’était une façon de parler. Jouir, par contre, c’était le mot exact.
_______________
Comme toutes les filles de sa lignée, Gabrielle Arfeuille était belle, rousse, aux yeux
verts, haineuse envers tout et tout le monde. Et sorcière. Elle allait avoir 17 ans dans deux
semaines et elle était déterminée à perpétuer la tradition en trouvant le mâle qui lui
donnerait sa fille, de gré ou de force.
Comme toutes les jeunes filles de son âge, elle regardait des sitcoms sur M6 ou Teva,
adorait s’habiller chez Cop’Copine ou KanaBeach, se teignait les ongles de couleurs vives,
portait souvent des tenues provocantes. Elle avait un piercing au nombril, ainsi qu’un
tatouage que seuls ses amants avaient pu voir en entier. Un serpent la tête en bas, allant en
ondulant de son nombril à son pubis soigneusement rasé, et dont les mâchoires étaient
dessinées sur ses grandes lèvres.
Comme toutes les ados modernes, elle disposait d’Internet à la maison. Quand, ce
matin-là, elle alla jeter un coup d’oeil aux messages de la nuit, elle tomba sur « Sauvez
Amy ». Puis sur la mise en garde de Charlie. Elle avait horreur de ce genre de mecs, qui
rendent service, comme ça, par condescendance, pour se montrer supérieurs, pour qu’on
les admire, qu’on se sente dépendant d’eux. Pas de doute, il était celui qu’elle cherchait. Il
ne restait plus qu’à l’attirer jusqu’à elle. Facile. Les mecs, hein...
Elle se rappela, avec un sourire rêveur, son dépucelage trois ans plus tôt. Elle avait
alors un prof de français, rigide et sévère, un catholique intégriste qui ne manquait jamais
une occasion de fustiger ses élèves pour un rien. Il n’arrivait pourtant pas à cacher qu’il
était franchement troublé par les formes émouvantes de Gabrielle en pleine explosion
pubertaire, d’autant plus mises en valeur que le printemps était radieux et qu’il
encourageait à une exposition plus généreuse des corps. Lorsqu’elle lui avait demandé s’il
accepterait de lui donner quelques cours particuliers pour améliorer ses notes, il n’avait pas
su dire non. Elle avait rajouté qu’elle préférait que les cours aient lieu chez lui sous
prétexte que chez elle, sa mère les dérangerait tout le temps. Elle sous-entendit, d’un air
gêné parfaitement joué, que maman était un peu folle et, comment dire, plutôt agressive
avec les hommes en général, vous comprenez, monsieur, je ne voudrais pas vous mettre
mal à l’aise. Il déglutit, remonta ses lunettes sur son nez et dit qu’il comprenait.
Elle vint au premier cours vêtue d’une mini-jupe très, très courte et d’un débardeur
échancré dont les bretelles ne tenaient jamais sur ses épaules. Bien entendu, sans soutiengorge
dessous. Le décor du pavillon du prof était aussi ringard que ce à quoi elle
s’attendait. Meubles en faux XVIIIème, napperons en dentelle brodée, murs surchargés
d’iconographie religieuse et de grandes assiettes en porcelaine représentant des scènes de
la Bible. Plusieurs crucifix de tailles et de styles divers. Odeur écoeurante de vanille
artificielle provenant d’un diffuseur de parfum industriel de bas de gamme.0
Le prof la conduisit dans le séjour et lui montra du bras la table ronde aux pieds
rococo, qui devait servir habituellement à prendre les repas familiaux, dans une ambiance
que Gabrielle préférait ne pas imaginer. Elle rapprocha sa chaise pour s’asseoir tout près de
lui. Pendant qu’il commençait son cours, elle n’arrêta pas de se pencher en avant pour qu’il
louche sur ses seins, de remettre sa bretelle de débardeur sur son épaule de façon à ce
qu’elle retombe aussitôt, de se croiser et de se décroiser les jambes en laissant deviner la
soie rouge de sa culotte, de le frôler de la cuisse et du bras. Et de surveiller au passage son
pantalon. Quand elle vit qu’il bandait, elle se colla franchement contre lui, attrapa son sexe
durci à pleine main à travers le pantalon et lui glissa sa langue dans l’oreille.
Il la baisa sur la table comme un fou furieux.
Quand il eut fini, elle remit sa petite culotte et lui demanda où étaient les toilettes. En
y allant, elle passa devant sa chambre. Il ne pouvait pas la voir, elle entra, s’approcha du
lit, souleva les oreillers, vit sous le premier un pyjama ridicule à rayures et sous le
deuxième une chemise de nuit austère. Elle retira sa culotte souillée par le mélange de
sperme et de sang qui avait commencé à s’écouler et la posa sous le coussin de la femme
du prof. Pour faire bonne mesure, elle glissa également sous les draps plusieurs de ses
cheveux roux. Puis, une fois le lit bien refait, elle continua jusqu’aux toilettes, s’essuya,
tira la chasse, s’arracha quelques cheveux de plus qu’elle laissa tomber par terre, ressortit,
revint vers le séjour.
Elle manqua éclater de rire. Le prof était là, allongé sur le carrelage de tout son long,
face contre terre, les bras en avant, les mains jointes, au pied d’un des crucifix accrochés
au mur, comme un pénitent faisant repentance. Ah ça, il devait avoir de quoi se sentir
plutôt torturé. Lui, le croyant rigoriste et puritain, le moraliste implacable et froid, il venait,
en quelques minutes, à la fois de tromper sa femme épousée devant Dieu, de faire l’amour
par pur désir animal, de sauter une de ses propres élèves, très largement mineure de
surcroît, et sous le toit conjugal pour couronner le tout. L’absolution n’allait pas être
évidente. Elle partit sans lui dire un mot.
Le lendemain, le prof ne se présenta pas au lycée. Ni les jours d’après.
Manifestement, la découverte par la femme du prof de la petite culotte tachée et des
cheveux roux avait fait son effet. Les élèves apprirent plus tard qu’il s’était pendu.
Gabrielle considéra cet épilogue comme un magnifique exploit, qui restait à ce jour son
plus beau souvenir.
La suite de sa scolarité fut émaillée de quelques autres coups d’éclat, certes moins
impressionnants, mais qu’elle n’en savoura pas moins. Elle se fit une spécialité de briseuse
de couples. Dès qu’un premier de la classe ou un frimeur prétentieux entamait un début de
relation suivie avec une jeune fille tendre et proprette, elle le draguait à mort, le
convainquait d’aller chez lui pour une partie de sexe endiablée et se débrouillait pour que
sa petite amie l’apprenne ou, mieux encore, débarque dans la chambre au moment le plus
chaud, prévenue par un gentil mot anonyme.
Elle avait bien aimé aussi les circonstances dans lesquelles elle venait de se faire
virer du lycée juste avant Noël, en raison de sa « cruauté barbare inqualifiable et
écoeurante », pour reprendre les mots exacts du proviseur. Elle s’était faite surprendre par
le prof de SVT un peu après 17h. Elle pensait qu’il était parti mais, manque de chance, il
avait oublié ses clés de voiture dans la salle de cours. Elle venait tout juste de planter deux
longues aiguilles dans les yeux de la tortue qui y séjournait dans un petit enclos. Le prof
ouvrit la porte au moment exact où elle allait fracasser la carapace de la tortue avec un pied
de chaise. Sans la moindre gêne, elle le fixa droit dans les yeux avec un grand sourire et
abattit la chaise sans hésiter, traversant la tortue de part en part, dans un bruit écoeurant
d’oeuf qui s’écrase. Il l’empêcha d’en faire plus. Dommage, elle commençait à bien se
marrer.
Ses pensées revinrent à Charlie. Elle répondit à son mail d’avertissement par un
autre, bourré de perches – dans le genre je suis une jeune fille seule, naïve, canon et
romantique, mais oh que ce monde est compliqué et méchant, comment peut-on piéger les
gens comme ça, heureusement qu’il y a des personnes sympa comme lui, comment se faitil
qu’il ait su que c’était une arnaque, est-ce qu’il pourrait lui apprendre d’autres trucs à
éviter, et ainsi de suite.
Voilà. L’appât était lancé. Il n’y avait plus qu’à attendre que sa proie morde à
l’hameçon.
Pour mettre toutes les chances de son côté, Gabrielle récita à voix basse l’incantation
à la Lune Noire.Lune Noire, Lilith, Sombre Soeur,
Dont les mains façonnent l’infernale fange,
Lorsque je suis faible, lorsque je suis forte,
Façonne-moi comme le feu façonne l’argile.
Lune Noire, Lilith, Reine de la Nuit,
Tu mets au monde tes petits.
A mon tour je dois donner la vie,
Prends ton envol, ramène-moi cet homme.
Lune Noire, Lilith, Mère Obscure,
Je suis ton adepte dévouée
Pousse vers moi celui que je désire
Goûte sa semence et laisse-le moi.
Lune Noire, Lilith, Leila la Strige,
J’aspirerai tout son fluide,
Je le viderai de sa vie,
Je te ferai l’offrande de son corps.Elle alla se coucher en se demandant ce que pouvait bien faire Lilith en ce moment
précis. Sûrement encore en train de s’envoyer en l’air avec un humain de passage avant de
jeter sa dépouille épuisée dans un fossé, se dit-elle avec un petit ricanement. Elle
s’endormit, le sourire aux lèvres, en imaginant une sitcom sur M6 dont Lilith serait
l’héroïne.
Nora avait du mal à trouver le sommeil. Sa vieille blessure, venue du fond de son
enfance, se rouvrait une fois de plus dans le noir de la nuit, comme tous les vingt huit
jours.
Elle n’avait que 6 ans quand toute sa vie s’était écroulée. Il y avait alors toutes ces
nuits, toujours pareilles. Elle était couchée dans sa chambre, avec sa petite veilleuse
allumée. Elle était censée dormir mais elle ne pouvait pas ne pas entendre les cris que
poussaient ses parents dans la chambre d’à côté. Des cris de colère. Des scènes
interminables dont elle ne comprenait pas les mots, ni les raisons. Des pleurs parfois. La
porte de leur chambre qui claquait, puis le silence, enfin.
Le lendemain, elle se levait, allait au salon et son père était déjà habillé, assis sur le
canapé, une couverture froissée à ses pieds, le visage pas rasé. Il avait souvent les yeux
rouges. Sa mère sortait de la chambre un peu plus tard et ses yeux étaient rouges aussi. Ils
essayaient tous les deux de sourire à Nora mais elle voyait bien qu’ils se forçaient. Et elle
voyait aussi qu’ils faisaient tout pour ne pas se regarder entre eux et pour ne pas se parler
non plus. Et elle sentait la tension étouffante, palpable, qui ne s’évanouissait que lorsque
l’un des deux quittait la pièce ou sortait carrément de la petite villa.
Une nuit sans lune, alors que Nora guettait dans son lit le moment où les cris allaient
à nouveau résonner à travers la cloison, il n’y eut que le bruit de la porte de ses parents.
Puis celui de la porte d’entrée. Puis le silence. Nora attendit quelques minutes, immobile
dans son lit, déconcertée par ce changement dans la triste routine des nuits précédentes.
Elle se leva et marcha jusqu’au salon.
La couverture était posée, pliée en quatre sur le canapé. Sa mère était assise à la table
de la cuisine, les yeux dans le vide, une cigarette allumée entre les doigts. Nora demanda
où est papa. Sa maman répondit je ne sais pas et se mit à pleurer. Nora la regarda en
sentant ses propres yeux se mettre à la piquer. Puis elle réalisa qu’elle était en train de faire
pipi sur le carrelage de la cuisine. Sa maman regarda en portant ses deux mains sur sa
bouche la flaque qui se formait aux pieds de sa fille. Nora lui dit c’est pas grave maman
j’ai pas de culotte sous ma chemise de nuit je me suis pas mouillée c’est tout tombé par
terre mais je peux essuyer si tu veux. Sa maman répéta c’est pas grave c’est pas grave. Puis
elle se leva, souleva la petite dans ses bras, la serra très fort, la ramena dans sa chambre, la
remit dans son lit et se coucha à côté d’elle. Nora dit maman pourquoi tu dors dans mon lit.
Sa maman répondit parce que papa n’est pas là. Nora dit et pourquoi il est pas là papa. Sa
maman répondit il est parti et elle se remit à pleurer. Nora n’osa pas poser d’autre question.
Elles finirent par s’endormir.
Le lendemain dans la matinée, son papa revint, l’air grave, la mâchoire crispée. Nora
ne savait pas trop si elle devait montrer à sa maman qu’elle était *******e de le revoir. Sans
dire un mot, il alla directement dans la chambre parentale, en ressortit quelques minutes
plus tard avec un sac de voyage plein et vint s’agenouiller devant Nora. Il lui dit je t’aime
très fort ce n’est pas ta faute tout ça c’est juste que maman et moi on ne s’aime plus je
m’en vais mais je reviendrai te voir. Nora répondit en fondant en larmes ne pars pas papa
ne pars pas. Il l’embrassa très fort et partit. Nora et sa maman pleurèrent toutes les deux
jusqu’à l’heure de manger. Et encore un peu pendant l’après-midi. Et le soir, chacune dans
leur chambre.
Des semaines sans fin passèrent, pendant lesquelles Nora ne vit plus son père une
seule fois. De temps en temps, elle entendait sa mère parler de façon très énervée au
téléphone et elle se disait que ce devait être avec son père. Elle lui parlait d’une autre
femme en disant ta pute à chiens. Nora lui demanda ce que ça voulait dire taputachien
parce que ça ressemblait quand même à un gros mot. Sa mère lui répondit d’aller dans sa
chambre.
Il revint un soir, à la lune noire suivante. Il avait l’air bien dans sa peau, sûr de lui,
exalté même, comme avant, quand tout allait bien. Sa maman n’allait pas bien du tout, par
contre. Elle avait maigri, elle avait les traits tirés, elle s’était remise à beaucoup fumer, elle
buvait souvent de l’alcool, à n’importe quelle heure, et ça ne la rendait pas joyeuse de
boire, comme avant, quand tout allait bien.
Nora fit un immense sourire à son papa. Il lui sourit aussi, la prit dans ses bras, lui dit
des mots gentils, lui dit qu’elle lui manquait. Puis il la posa sur le canapé et lui dit qu’il
fallait qu’il parle avec maman. Ils allèrent parler dans la chambre des parents. Il y eut
quelques cris. Au bout d’un long moment, ils ressortirent. Il dit au revoir Nora à bientôt
n’oublie jamais que je t’aime je vais revenir te voir très vite et je te montrerai où j’habite
maintenant.
Deux jours après, il fut retrouvé mort dans sa voiture qui était garée tout près de leur
villa, sur un chemin de terre à la sortie du grand bois qui longeait le lotissement. Les
médecins dirent qu’il avait eu un malaise cardiaque, sans doute quelques heures à peine
après avoir dit au revoir à Nora. Ca, elle ne l’apprit que bien plus tard. Ca lui fit presque
plaisir parce qu’elle avait cru, pendant d’interminables semaines, que son papa ne voulait
plus la revoir ou pire, l’avait oubliée.
Le temps passa. Ce n’est qu’à la puberté qu’elle s’épanouit enfin. Ses règles
tombaient le jour de la pleine lune. Elle vit un signe dans cette symétrie parfaite : la nuit
maudite où son père avait disparu était celle de la nouvelle lune. Alors, elle se mit en tête
que son malheur s’écoulait hors d’elle avec ses règles. A l’inverse de toutes ses copines et
de la plupart des femmes, elle attendait presque ce moment avec impatience. Elle avait
l’impression que le flux menstruel la purifiait, la vidait des scories de son passé, l’éloignait
des heures sombres. A chaque fois qu’elle saignait, c’était encore un peu du cauchemar
qu’elle avait vécu qui partait. Le moral de Nora se calquait sur le cycle de la lune : plus elle
était ronde, plus Nora rayonnait. Quand elle devenait noire, son humeur aussi.
Elle devint gaie, vive, volubile. Et très belle. Une cour permanente de soupirants
l’entourait au lycée. Elle en choisissait un de temps en temps, acceptait quelques bisous,
quelques fleurs, quelques poèmes. Un peu plus avec les plus doux. Beaucoup plus avec les
plus doués.
Elle eut quelques liaisons prolongées quand elle devint adulte. Toujours avec des
hommes bien plus âgés qu’elle.
Toujours avec des hommes mariés.
Ca la rassurait de sentir qu’elle pouvait décider à tout moment de tout arrêter.
C’était elle qui avait le contrôle.
Bien sûr, qu’ils ressemblaient tous à son père.
Bien sûr.
Elle ne s’attacha à aucun. Elle se sentait libre et, à sa façon, heureuse.
Même si, à chaque lune noire, elle avait du mal à s’endormir si elle se retrouvait
seule.
Comme ce soir.
_______________
Il y eut un soir, il y eut un matin. Ce fut le premier jour.0

 
 

 

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Chapitre 4
Salomé pleure
Il n’y a qu’une chose qui puisse rendre un rêve
impossible, c’est la peur d’échouer.
Paulo Coelho

 
 

 

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Salomé pleure. Elle pleure comme elle a toujours vécu, avec douceur, sans heurt. Les
larmes coulent simplement de ses yeux sans à coup, comme deux petits ruisseaux au tout
début de leur source, un mince filet d’eau presque immobile. Salomé ne sanglote pas, elle
respire lentement, elle a les yeux mi-clos, la tête légèrement baissée et elle pleure. Elle a
revêtu une robe traditionnelle, elle est agenouillée dans la grande pièce sombre, les fesses
posées sur ses talons, le dos droit, les bras posés sur ses cuisses. Devant elle se trouve un
bol, rempli d’une poudre grise très fine. Ce sont les cendres de l’amour infini qui l’a
envahie. Et quand elle respire, les particules volent dans l’air en une poussière légère et
impalpable. Salomé inhale à chaque inspiration un peu de cette brume, un peu de ce qui
subsiste de cet amour. Elle sent pénétrer en elle le goût amer de ce qui reste de l’âme de cet
amour insaisissable. Et Salomé, malgré son immobilité et sa respiration lente, sent son
ventre qui se tord et sa peau qui la brûle, parce qu’il est parti et qu’elle ne sait pas s’il
reviendra.
Salomé a 30 ans. Elle tient une galerie d’art, dans une petite rue qui donne sur le
quartier Saint-Paul. Elle a fait les Beaux-Arts. Elle adore lire, dessiner, sortir, rire et aussi
faire l’amour. Son peintre favori est Dali. Lorsqu’elle avait 10 ans, elle est allée voir avec
sa tante l’immense exposition qui lui était consacrée à Beaubourg et elle n’arrivait plus à
quitter le musée. Devenue adulte, elle a fait plusieurs fois le voyage jusqu’à Figueras et
bien sûr, Port-Lligat. Son autre grande passion est la photographie. Elle a plusieurs
appareils, une panoplie d’objectifs et tout le matériel pour faire ses développements ellemême
dans un grand débarras de son appartement, qu’elle a recyclé en chambre noire.
Parce qu’elle aime les explosions de couleurs, elle porte des vêtements aux tonalités
acidulées et elle se teint les cheveux de nuances improbables. En ce moment, ils sont d’un
vert lumineux. Mais sur elle, rien ne semble artificiel.
Sa beauté est lumineuse. Quand elle est quelque part, elle a ce rayonnement qui fait
qu’on ne voit plus qu’elle. Les hommes ne peuvent s’empêcher d’avoir une pensée de désir
et les femmes de ressentir une bouffée d’envie – et parfois de désir aussi. Salomé est
douce, elle n’essaie pas d’écraser les autres, elle ne se sent pas supérieure ou unique, elle
ne cherche pas à séduire. Elle est simplement divine de naturel et de grâce. Sa voix seule
peut faire fondre le coeur le plus glacé. Parce qu’elle aime donner du plaisir à son corps,
elle a eu beaucoup d’amants d’une nuit, quelques amantes aussi et un grand amour.
Comme souvent, il a été destructeur. Il lui a fallu deux ans pour se reconstruire, pour se
remettre à être la Salomé qui aime la vie, qui est la vie.
Et puis, elle a rencontré Charlie. C’était il y a trois semaines, quelques jours après ce
fameux réveillon de l’an 2000. Quand elle y repense, elle a l’impression qu’il s’est écoulé
des années, qu’elle le connaît depuis toujours, que le temps d’avant lui n’est qu’un vague
souvenir. Trois semaines...
Salomé se rappelle. Tout a commencé le jour où elle a reçu le mail « Sauvez Amy »,
suivi de la mise en garde de Charlie. Salomé lui avait alors répondu par un petit mot de
remerciement. Puis elle avait passé une nuit de rêve avec Leila, tout en pensant à lui. Sans
savoir que, la veille, Charlie et Tess s’étaient déchirés en une scène destructrice.
C’est sans doute pour cela que Charlie a continué son amorce de conversation avec
Salomé. Très vite, il lui a demandé de lui dire ce qu’elle aimait et d’où elle venait. Parce
que Salomé le trouvait gentil de s’intéresser à elle alors qu’ils ne s’étaient jamais vus, elle
lui a raconté – son amour de l’art, son plaisir de vivre, ses origines mouvementées de
descendante d’esclave, rien de très intime si ce n’est un détail qui va tout faire basculer :
elle lui écrit aussi, en toute candeur, peut-être aussi un petit peu par jeu, qu’elle aime faire
l’amour et qu’en ce moment elle se sent seule. En retour, elle lui a demandé de lui dire ce
qu’il aimait et ce qu’avait été sa vie.
Il lui a répondu par un long message où il a décrit son enfance, elle aussi africaine
puisqu’il est né à Essaouira, au Maroc, au bord de l’océan, son arrivée à Toulouse quelques
années plus tard où il a découvert pour la première fois la télévision et la neige, ses études
qui l’ont mené vers l’informatique, sa passion pour toutes les formes de création depuis la
littérature jusqu’au cinéma en passant par les arts plastiques et la musique, les musées qu’il
a visités, son passé de musicien, sa vie sentimentale remplie de bouleversements et de
moments de magie à commencer par le bonheur que lui a donné Tess, son a priori de
confiance envers les gens, le poids qu’il donne à l’amitié, la douleur qu’il ressent quand il
aime quelqu’un qui ne l’aime pas, son goût pour les voyages et la découverte des gens et
des cultures, sa sensibilité souvent à fleur de peau et pour finir des mots qui rebondissent
sur la confidence trop intime de Salomé et qui vont finir de nouer leur destin. Il écrit : « Je
suis affamé de vie, d'amour, d'émotions, de plaisir. Et donc, bien sûr, j'aime faire l’amour
parce que quand on fait l'amour, il y a tout ça à la fois ».
A partir de là, tout s’est accéléré. Ils se sont mis à aller plus profond dans leur
découverte l’un de l’autre, échangeant jusqu’à vingt messages par jour. Il est vrai qu’entre
temps, la situation entre Tess et Charlie s’est aggravée mais Charlie n’en dit rien à Salomé.
Au bout du troisième jour, Salomé lui écrit qu’elle en a le vertige, qu’elle ne comprend pas
ce qui lui arrive, qu’elle se sent hypnotisée par son écran, guettant le mail suivant de
Charlie, trouvant le temps interminable quand il n’arrive pas assez vite.
Alors, elle lui dit : « C'est fou, mes doigts sont irrésistiblement attirés par le clavier,
l'envie de communiquer avec toi me démange et me dérange aussi ! J'ai envie de te voir, de
t'entendre et en même temps j'aimerais que ça reste tout le temps comme ça, et puis j'ai un
espèce de sentiment de culpabilité naissant, je ne veux pas perturber ton existence, tu n’es
pas seul... au secours, je tombe... ».
Les mots qu’il lui répond finissent de la faire basculer.
> j'ai envie de te voir, de t'entendre et en même temps
> j'aimerais que ça reste tout le temps comme ça,
ce sera comme tu voudras que ce soit, je ne veux te forcer à rien, je veux juste que
tout soit bien entre nous deux... mais moi aussi je meurs d'envie de te voir et de
t'avoir tout près de moi pour continuer à nous parler et à nous caresser nos âmes
autant que nos corps...
> et puis j'ai un espèce de sentiment de culpabilité
> naissant, je ne veux pas perturber ton existence, tu n’es pas seul...
c'est ta vie et la mienne, ton coeur et le mien, ça ne concerne personne d'autre...
> au secours, je tombe...
tombe avec moi, nous allons voler plus haut que les anges...
Elle reste en arrêt devant ces mots, un sourire rêveur éclairant son visage noble et
beau. Elle lui répond qu’elle adore tout ce qu’il lui a écrit depuis trois jours, qu’elle n’a
jamais ressenti une émotion aussi particulière, que ses mots sont magnifiques, doux et
magiques, qu’elle se demande si elle n’est pas en train de rêver. Il lui dit que la magie vient
d’elle. C’est déjà le soir, elle s’apprête à quitter son travail, elle lui envoie un dernier mot.
Je vais partir dans 5 minutes, trajet en voiture, environ 45 min avant d'arriver chez
moi (bouchons!!!). En voiture, j'écoute FIP, il y a toujours de bonnes musiques et
les animatrices ont une voix tellement douce. Je fais 2 ou 3 courses, je monte à
mon appart, 1 thé, 1 yaourt (j'adore les yaourts!!) et je ressors, vite la gym, je vais
rater mon super cours de body fitness perfect!
2 heures plus tard, je rentre, il fait nuit et froid...
une douche, une soupe ou une salade... (la cuisine et moi, ça fait deux !)
alors, télé ou lecture?
ce soir ce sera « blow out » de brian de palma sur canal, puis lecture, en ce
moment « le parfum » de patrick süskind que j’adore, j’ai aussi lu un autre livre de
lui, « la contrebasse »...
Quoi, une heure du mat’, déjà! Extinction des feux, je m'endors paisiblement dans
ma jolie chambre pleine de couleurs...
à demain bisou
Salomé
Charlie reste pensif, dans la calme solitude de son bureau déserté. Il sait au fond de
son coeur que tout est fini avec Tess. La nuit est déjà tombée depuis une heure. Il ferme les
yeux, il revisualise tout ce que Salomé vient de lui raconter. Il s’imagine être elle, il voit sa
vie de l’intérieur, il sent ce qu’elle ressent. Il se met à lui écrire lui aussi un dernier mot
avant de rentrer chez lui.
Je sais que tu es déjà partie mais je te réponds quand même tout de suite, tant
que je suis encore dans l'ambiance de tout ce que nous nous sommes dit
aujourd'hui...
Ce que tu me dis de ton quotidien, c'est exactement ce que j'ai imaginé que tu
vivais, ça me fait mal pour toi, je trouve que c'est inhumain et ce n'est pas une
consolation de se dire que c'est aussi le quotidien de millions d'autres personnes
parce que là, c'est à toi que je rêve et à toi que je parle...
Je sais depuis le début de notre basculement dans une vraie intimité toi et moi
(c'était quand... il y a à peine quelques jours, on dirait une éternité), que si tu m'as
ouvert tes portes aussi grandes, c'est parce qu'il y a ce vide froid qui t'entoure alors
que tu es une femme pleine de chaleur, de générosité et d'amour et que tu mérites
tellement d'être heureuse et d'avoir une vie plus belle. Oui, dès le début, j'ai
entendu ta soif d'amour comme si tu me l'avais criée aux oreilles.
La première fois que tu m’as écrit un mot, j'ai senti que quelque chose comme ça
allait se passer, je l'ai senti et je me suis dit que je devais m'imaginer des choses
mais c'est comme ça, je suis sûr que tu es pareille que moi et que tu vois des
signes partout, des traces de ce qui va arriver, des clés, en tout cas moi j'en vois
tout le temps et bien sûr, des fois, ce sont des leurres qui ne mènent nulle part et
puis des fois, ces signes sont aussi clairs que si je lisais ce qui allait se passer
dans un livre... Et alors que j'aurais pu me dire "oui bon sympa, et alors ?", j'ai senti
cette vibration qui voulait dire "je veux entrer dans son coeur et elle veut entrer
dans le mien" et c'est bien ce qui est arrivé: je suis rentré dans ton coeur et tu es
rentré dans le mien, quoi que cela devienne (parce que ça, il n'y a que l'avenir qui
le dira)...
Alors voilà, je ne sais pas ce que va devenir notre relation, quels que soient les
fantasmes les plus brûlants ou les mots les plus romantiques qu'on échange tous
les deux depuis quelques jours, mais s'il y a au moins une chose que je veux faire
pour toi, c'est de tenter de combler un peu ce vide et de te donner un peu de ma
chaleur pour que tu te sentes un peu plus heureuse et un peu moins seule quand
tu pars dans les bouchons, que tu traverses des kilomètres de béton, de froideur et
d'indifférence, que tu speedes pour tes courses, que tu speedes pour ta gym et
que tu te retrouves seule face à ta télé ou à ton livre, pas par choix mais parce que
personne n'a su t'aimer comme tu devrais l'être. Et tu mérites tellement d'être
aimée, ma douce amie, ma perle précieuse...
Alors, à distance, sans te voir, sans t'entendre, j'envoie ce que je peux de mon
âme caresser la tienne, lécher tes blessures, réchauffer ton coeur, et te serrer
contre moi au plus profond de tes rêves... dans ta jolie chambre pleine de couleurs,
je te regarde avec douceur t'endormir un sourire aux lèvres et je me sens heureux
parce que depuis quelques jours ce sourire est pour moi...
tendrement,
Charlie
Au matin suivant, quand elle arrive à son travail et qu’elle lit ces lignes, Salomé est
bouleversée, transpercée. Charlie l’a décrite mieux qu’elle n’aurait su le faire elle-même, il
a cristallisé tout ce dont elle n’a jamais été vraiment consciente, il a lu dans son coeur et vu
la dérive de sa vie et le malaise de sa solitude. Et surtout, elle sent dans ses mots une
chaleur et un réconfort que personne ne lui a jamais montrés auparavant, même aux
meilleurs moments de sa vie avec les hommes qu’elle a aimés. Elle lui envoie un court
message plein d’émotion. Charlie, en le lisant, se sent simplement heureux d’exister.
Les jours suivants, leurs échanges se font de plus en plus passionnés, les dernières
digues sont rompues et alors qu’ils ne se sont jamais rencontrés de leur vie autrement
qu’au travers de leurs mails, ils se parlent désormais de coeur à coeur, d’âme à âme. Ils ont
presque les mêmes mots pour décrire leur émotion commune, ce mélange de bonheur
auquel ils n’osent pas complètement croire et de trouble dû à la soudaineté du changement
de leur vie intérieure. Ils échangent des photos d’eux, découvrent leur visage, aiment ce
qu’ils voient. Charlie est tellement émerveillé par la beauté de Salomé qu’il lui dit à quel
point il est heureux de l’avoir connu et plu sans la voir, parce que s’il avait su qu’elle était
si belle, il n’aurait jamais osé lui adresser la parole. Salomé lui répond que c’est elle qui est
intimidée de plaire à quelqu’un d’aussi intensément doux et aimant que Charlie.
L’un et l’autre ont désormais une envie irrépressible de se rencontrer en chair et en
os, de se toucher, de se serrer dans les bras l’un de l’autre, de se caresser, de faire l’amour.
Parce que Charlie ne vit pas seul, même s’il ne sait plus il en est, il se sent perdu et ne sait
pas ce que tout cet amour inattendu va devenir. Salomé comprend, elle ne veut rien faire
non plus pour chambouler les choses. Alors, pendant des jours et des jours, ils continuent à
ne s’aimer que dans cet univers virtuel, ce cyberespace où tout est possible, où la distance
n’existe pas, où le temps ne compte pas, où les autres n’existent pas.
Le onzième jour après leur tout premier contact, Salomé se sent prise d’une angoisse
soudaine et inexplicable. Elle ne voit plus que les obstacles, réels ou imaginaires, qui
rendent son rêve de bonheur impossible. Elle ne se sent plus la force d’espérer quoi que ce
soit de cette liaison tellement immatérielle. Elle ne croit plus que tout ce chemin les amène
vers un paradis définitif. Tout va s’écrouler tôt ou tard, elle en est certaine, alors autant
qu’elle arrête tout, tout de suite, plutôt que de souffrir encore plus, plus tard. Désemparée,
elle écrit à Charlie qu’il ne doit plus vouloir la rejoindre pour toujours et qu’il faut qu’ils
deviennent de simples amis.
Charlie est stupéfait, anéanti, assommé. Il est écrasé par ses mots, il a l’impression
d’avoir été poignardé, lacéré par la personne qu’il aime le plus au monde, il ne comprend
pas.
Il s’enferme dans le silence.
Le douzième jour passe.
Puis le treizième.
Pas un mot de Charlie.
Elle n’y tient plus, elle aimerait qu’il lui dise quelque chose, n’importe quoi, tout
plutôt que ce silence qui lui enlève toute existence. Alors, juste avant de rentrer chez elle,
elle lui écrit à nouveau pour tenter de mieux expliquer ce qu’elle ressent, à quel point sa
décision la déchire elle-même.
Le soleil laisse la place aux ténèbres pour la treizième fois depuis la connexion.
La treizième nuit.
Que peut bien faire Charlie en ce moment précis ? Elle essaie de l’imaginer. Est-ce
qu’il pense à elle ? Est-ce qu’il a mal comme elle ? Est-ce qu’il est seul comme elle ? Estce
qu’il l’aime comme elle ?
Elle sent une appréhension suffocante l’envahir. Son sommeil est secoué de
cauchemars horribles, peuplés de démons grimaçants qui torturent de mille façons les âmes
des humains tombés en Enfer. Ils la voient, la saisissent dans leurs griffes, l’écartèlent, la
démembrent, la dévorent, elle crie, elle crie, elle crie. Elle se réveille en sursaut, épuisée,
couverte de sueur, elle a mal partout. Il y a du sang sur son drap, elle s’est écorchée le haut
des cuisses en s’agitant pendant son sommeil. Elle fond en larmes.
Charlie ne voit son mail que le lendemain matin. Il est lui aussi à bout de force, il n’a
pas dormi depuis trente heures, il sent les larmes venir lui piquer les yeux, il n’a plus la
force de supporter ce qu’elle lui dit, il a l’impression d’être broyé par une immense serre
de rapace. Il lui écrit un mail très court et plein de douleur, lui demandant de ne plus jamais
lui parler parce que lire ses mots lui fait encore plus mal que rester dans le silence. Si un
mail peut hurler à la mort, c’est celui-là.
Salomé est en larmes, elle lui répond en lui demandant de lui pardonner, qu’elle a eu
tort d’écrire ces mots, qu’elle veut qu’ils s’aiment quelles qu’en soient les conséquences.
Le lendemain, submergé par l’émotion des jours qu’il vient de passer, il dit d’accord. Elle
crie de joie dans son bureau, ses collègues se retournent vers elle, le regard interrogateur.
Elle les regarde sans les voir, un sourire béat illuminant son visage. Leur première querelle,
leur première réconciliation. Un peu plus tard, elle lui écrit ces mots :
Mon ange,
c'est drôle, c'est même extraordinaire, tu réalises que l'on ne s'est jamais vu et
pourtant on a déjà une véritable histoire: on s'est connus, on s'est aimés, on s'est
séparés, déchirés, on a pleuré, on s'est réconciliés, on s'est liés...
Tout cela sans se toucher, sans faire l'amour, sans s'embrasser, sans s'enlacer...
Tu imagines si on se voyait!!!
c'est incroyable!
Il répond, en flottant enfin à nouveau dans une douce sérénité.
Ma divine,
Je me rappelle de John Lennon qui avait quitté puis retrouvé Yoko Ono, sa
compagne. A un journaliste qui l’interrogeait là dessus, il a répondu: "notre
séparation a été un échec". J'adorais cette phrase avant de te connaître, je l'aime
encore plus maintenant.
Tu as raison, c'est extraordinaire, nous sommes unis tous les deux comme peu de
gens le sont, Salomé... et je me demande comme toi ce qui va passer entre nous
le jour où nous nous verrons...
Peut-être que la réincarnation existe et que nous avons déjà été amants des
centaines de fois dans des vies antérieures et qu'à chaque fois que nos routes se
croisent à nouveau, l'amour est là comme une évidence, ancré au fond de nos
coeurs pour toujours...
Ton ange
Cette fois, ils sont certains tous les deux que leur rencontre physique est imminente.
Quel qu’en soit le prix à payer.
Charlie organise, sans prévenir Salomé, un rendez-vous de travail avec une de ses
relations à Paris. Quand il a enfin fixé la date, il envoie ce mail très court : « Je serai avec
toi lundi à 19h. Je resterai toute la nuit ». Elle explose de joie.
Les derniers jours, les dernières heures qui les séparent de leur rencontre sont
interminables et délicieux. Ils partagent les mêmes sentiments mêlés pendant le compte à
rebours, entre l’excitation de l’événement à venir et la peur panique de ce qui va se passer.
Ils se sentent comme deux adolescents qui vont faire l’amour pour la première fois, ils ont
peur tous les deux que ce soit raté, ils se rassurent tous les deux en se disant que peu

 
 

 

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importe ce qui se passera vraiment, la seule chose qui compte ce sera la chaleur d’être
ensemble.
Salomé vient l’attendre à la descente du train. Vingt jours à peine se sont écoulés
depuis le premier mail. Ils sont tellement émus qu’ils restent face à face une minute entière
à simplement se regarder au fond des yeux avec une intensité qu’ils n’ont jamais connue
avant. Puis, comme dans un rêve, ils se retrouvent dans les bras l’un de l’autre, se
caressent, s’embrassent, collent leurs lèvres l’un à l’autre, maladroitement puis
passionnément, murmurent des mots inaudibles, pleurent et rient à la fois. Au bout d’un
long moment, ils parviennent enfin à se décoller l’un de l’autre pour rejoindre la voiture de
Salomé. Pendant qu’elle roule vers son appartement, il la regarde tout le temps, hypnotisé.
De temps en temps, il caresse avec émerveillement ses cheveux vert acide, crépus et doux.
Elle n’ose pas se tourner vers lui de peur d’avoir un accident, elle n’a qu’un seul but :
arriver enfin chez elle avec lui.
Chez elle avec lui. Elle avec lui.
A peine dans l’appartement simple et beau de Salomé, ils se jettent à nouveau l’un
sur l’autre. Très vite, ils se retrouvent sur le lit, nus, se caressant, se couvrant de baisers. Ils
font l’amour avec autant de sensualité que de douceur, longtemps, plusieurs fois,
insatiables.
Vers une heure du matin, alors qu’ils viennent de connaître une extase de plus, ils se
lèvent, épuisés mais heureux comme des enfants et surtout affamés. Charlie va à la cuisine,
fouille dans le frigo, prépare une omelette aux herbes et une salade. Salomé ouvre une
bouteille de vin. Ils se régalent de ce repas simple, ils boivent plusieurs verres, ils sont un
peu ivres, ils se disent des mots tendres, ils parlent d’art et de création. Charlie lui dit que
pour lui, les mots sont le moyen le plus accessible à n’importe qui de créer, pourvu d’être à
la fois sincère et sensible. Les mots peuvent tout. Ce sont grâce à de simples mots qu’ils
sont tombés amoureux sans se voir. La création est le cri de l’âme.0
Salomé boit ses paroles, lui caresse la bouche du bout des doigts pendant qu’il parle,
puis embrasse ses lèvres avec douceur. Charlie voit un des appareils photo de Salomé, le
prend, la cadre en gros plan, déclenche. Le flash éclabousse le visage de Salomé, elle rit,
lui dit « je vais avoir les yeux rouges, il faut la refaire ». Elle lui reprend l’appareil des
mains, fait les réglages nécessaires, lui rend le boîtier. Charlie la photographie à nouveau,
cette fois sans flash. Il en fait une autre, puis une autre, puis une autre, alors que Salomé
recule en riant vers la chambre. Charlie pose l’appareil.
Ils s’allongent. Salomé s’endort contre lui presque immédiatement, un sourire
merveilleux aux lèvres. Il la regarde dormir, il ne peut pas se résoudre à fermer les yeux
tellement le spectacle de son visage lisse et beau comme celui d’un enfant, à quelques
centimètres du sien, le fascine. Il finit par s’endormir aussi, sans même s’en rendre compte.
Vers 4 heures du matin, ils ouvrent tous les deux les yeux en même temps, se
sourient, recommencent leurs caresses, font à nouveau l’amour, parlent, parlent, parlent,
lèvres contre lèvres, jusqu’à ce que la fatigue les endorme à nouveau. A 7 heures, le réveil
sonne. Ils reprennent leurs mots d’amour là où ils se sont arrêtés, ils sont tellement,
tellement bien.
Salomé se lève au bout d’une heure pour préparer du thé et quelques toasts. Ils
prennent leur petit déjeuner sur le lit. Ils vont se doucher ensemble, chacun lavant le corps
de l’autre en étalant sensuellement le gel douche en une longue caresse de plus. Ils
s’habillent, sortent de l’immeuble, se disent au revoir.
Salomé reprend sa voiture, Charlie va vers le métro pour son rendez-vous. Ils sont
chacun encore sur leur nuage mais, en même temps, déjà nostalgiques de la nuit qu’ils
viennent de passer.
Salomé passe une journée interminable à son travail, le manque de sommeil la rend
irritable. Elle est ailleurs. La réalité la rattrape : Charlie est parti, Charlie ne vit pas avec
elle, Charlie n’est plus là, Charlie lui manque. En fin d’après-midi, elle reçoit un mail de
lui. Il est rentré à Londres. Il lui écrit depuis son appartement.
Ma divine,
Depuis hier soir je sais pourquoi j’ai vécu jusqu’à maintenant. Pendant une nuit
entière, nous avons été la première femme et le premier homme, la fille et le fils de
l’Afrique qui se retrouvent après avoir été séparés pendant des millions d’années et
qui redonnent un sens au monde. Nous avons connu une bulle de bonheur que
beaucoup de gens passent toute une vie sans connaître.
Je ne sais pas lire l’avenir mais ce moment que nous avons partagé ne disparaîtra
jamais de nos coeurs.
Ton ange.
Le retour chez elle le soir est terrible. Elle revoit toute leur nuit, elle a presque envie
de mourir tellement il lui manque, elle trouve insupportable de devoir attendre pendant
peut-être des semaines avant de le revoir. Elle se couche sur le lit, sent l’odeur de Charlie
partout sur les draps, se recroqueville en position foetale, pleure doucement. Elle repense à
sa vie chaotique, elle ne voit que le côté noir des choses, elle se dit qu’elle n’a rien, qu’elle
n’est rien.
Alors, venu du fond de sa mémoire, le vieux rite vaudou que lui a montré un jour sa
grand-mère ressurgit. Salomé avait 5 ans, elle était amoureuse d’un petit garçon qu’elle
avait croisé sur la plage, à Basse-Terre. Elle en avait parlé à sa grand-mère, qui lui avait dit
qu’elle pouvait faire chavirer le coeur du petit garçon pour elle. Elle avait alors demandé à
Salomé de lui ramener quelque chose appartenant au garçon. Le lendemain, Salomé
rassemblant tout son courage avait abordé le garçon et l’avait mis au défi de ne pas crier si
elle lui arrachait un cheveu. Il l’avait regardée, interloqué, mais devant la détermination de
Salomé, il avait accepté qu’elle le fasse. Il avait même réussi à ne pas crier.
Salomé avait ensuite ramené le cheveu à sa grand-mère, le tenant dans sa petite main
comme un trophée. A la nuit tombée, la vieille dame avait alors pratiqué devant Salomé le
rituel magique. Elle avait mis le cheveu dans une coupelle et demandé à Salomé d’y
rajouter l’un des siens. Puis, elle avait fait écrire à Salomé sur un bout de papier les mots
« que le feu de l’amour enflamme celui que j’aime comme il va enflammer ces cheveux ».
Elle avait fait une boulette de la feuille de papier, l’avait rajoutée à la coupelle, craqué une
allumette et avait brûlé le tout. Ensuite, elle avait dit à Salomé de respirer doucement au
dessus des cendres pour en inhaler quelques fragments, tout en pensant très fort au petit
garçon et en se retenant de tousser.
Et le lendemain, pour le plus grand émerveillement de Salomé, le petit garçon était
venu la voir pour lui proposer d’aller jouer avec elle sur la plage.
Elle avait par la suite toujours voulu croire que c’était grâce au rite et non parce que
le fait qu’elle lui eût arraché un cheveu la veille l’avait intrigué au point de vouloir mieux
connaître cette étrange – et très mignonne – petite fille.
Salomé se relève de son lit, court à la salle de bain, ouvre la petite poubelle, récupère
un peu des poils de barbe que Charlie a jetés après s’être rasé le matin même. Elle les
dépose dans un bol, se coupe quelques cheveux et les rajoute. Elle écrit sur une feuille les
mots magiques, en fait une boule, la met dans le bol. Elle pousse la petite table basse de
son séjour, pose le bol par terre, se trouve un peu bête. Oh, et puis tant pis, personne ne la
voit et pourquoi pas après tout, on ne sait jamais. Pour y croire plus, pour matérialiser un
peu de ses racines, elle revient dans sa chambre, prend dans la penderie la jolie robe
traditionnelle multicolore que sa grand-mère a faite pour elle lorsqu’elle a eu 18 ans,
l’enfile, revient au séjour.
Elle a mal partout de ne pas avoir Charlie à ses côtés, elle recommence à pleurer
silencieusement. Le regard brouillé par les larmes, elle enflamme avec un briquet le
contenu du bol, s’agenouille en le regardant se consumer. Quand il ne reste plus de
rougeoiement visible, elle broie la cendre avec une cuillère puis agite un peu la main, tout
près du bol, pour faire voler la cendre.
Elle inhale le nuage gris, parvient à ne pas tousser, pense très fort à Charlie. Ses
larmes forment deux petits ruisseaux presque immobiles le long de ses joues. En rêvant
que demain Charlie reviendra pour toujours, Salomé pleure.0

 
 

 

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Chapitre 5
La treizième nuit
Please to meet you
Hope you guess my name
But what’s puzzling you
Is the nature of my game
Mick Jagger
(Sympathy for the devil)
Elle est si mauvaise et si perverse
que jamais son envie ne s‘apaise.
Et quand elle est repue, elle a plus faim qu’avant.
Dante Alighieri

 
 

 

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