chapitre 10
Jared appela juste avant 8 heures, alors qu’elle finissait sa deuxième tasse de thé.0
— Comment était-ce, ce matin ?0
— Comme hier…
Tasha se concentra sur la conversation pour dissiper l’effet qu’avait sur elle la voix grave et profonde de Jared.
— A ce point-là ?
Elle faillit répondre « Oui, et c’est ta faute ! ». Mais ç’aurait été idiot…0
— Je survivrai, dit-elle laconiquement.
Survivre… bien sûr. Cela aurait été tellement plus simple s’ils avaient été deux à partager ces instants !
— Je t’appellerai ce soir, promit-elle avant de raccrocher et de filer prendre sa douche.
Une journée difficile l’attendait. A la vérité, des semaines difficiles l’attendaient.
Et les jours suivants ne se déroulèrent pas plus confortablement. Chaque soir, Tasha ramenait de quoi travailler jusqu’à une heure avancée. Le lendemain, elle partait de bonne heure et tout recommençait.
Jared était aussi très pris par sa plaidoirie. Mais tous les matins, il téléphonait à Tasha de son bureau, alors qu’elle n’avait pas même quitté son appartement.
Lorsqu’il appela le mercredi matin, elle mettait la dernière touche à son maquillage. La voix de Jared ne la surprit pas.
— J’allais filer, dit-elle sans autre forme de politesse.
— Ce qui veut dire, « dépêche-toi » ?
— S’il te plaît.
— Je dois prendre l’avion pour Melbourne demain matin. Une médiation y est prévue entre les deux parties.
— Soleil part avec toi ?
— Oui.
— Parfait, dit-elle d’un ton aussi détaché que possible. Amusez-vous bien.
La réponse de Jared laissa percer une certaine exaspération.
— Ce n’est pas le but. Je t’appelle dès mon retour.
— Si tu as le temps.
Ce n’était pas ce qu’elle voulait dire. Mais les souhaits de bon voyage n’avaient pu passer ses lèvres. La contrariété l’en avait empêchée. Soleil avait toujours cet effet-là sur elle. Et savoir qu’il ne partait pas seul…
— A bientôt, conclut-elle brièvement, sentant la colère la gagner.
Elle était furieuse, oui, mais contre elle-même bien plus que contre lui…
La journée fut aussi chargée que les précédentes, et Tasha eut du mal à se concentrer. L’image de Jared passait et repassait sans fin devant ses yeux. Malgré elle, elle s’interrogeait. Ces dernières semaines, Jared s’était comporté comme s’il voulait à toute force la regagner. Rien ne le dissuadait. S’il y avait un frein à leur relation, c’était elle qui le mettait…
Pouvait-elle encore douter de ses sentiments pour elle ? Et combien de temps supporterait-il la séparation qu’elle lui imposait ? Peut-être finirait-il par se résigner : il deviendrait un père à mi-temps comme tant d’autres…
S’écoulerait-il longtemps avant qu’il ne la remplace ? Bien des femmes le convoitaient. Soleil, bien sûr, mais elle n’était que la plus entreprenante.
A l’idée de le perdre, Tasha sentit son cœur se contracter. Soudain, elle eut peur. Il fallait qu’elle se décide à rappeler Jared. Peut-être pourraient-ils essayer à nouveau… ensemble. Pour elle en tout cas, il n’y avait pas d’autre issue, elle s’en rendait bien compte. Pourvu qu’il en fût de même pour lui…
Le soir, quand elle rentra, elle avait travaillé jusqu’à l’épuisement. Mais les rendez-vous de la journée n’étaient pas seuls en cause…
Rapidement, elle se prépara une salade de poulet, qu’elle picora sans grand appétit, en lisant les journaux. Puis, ayant lavé la vaisselle, elle s’installa au salon et se lova sur le canapé. Elle se sentait trop fatiguée pour lire. Prenant sa télécommande, elle alluma la télévision.
C’était l’heure du bulletin d’informations, et Tasha suivit avec attention les reportages sur la situation au Moyen-Orient. Mais les images s’interrompirent alors que le présentateur annonçait un flash de dernière minute. Une bande le résumait en boucle au bas de l’écran :
« Explosion d’une bombe à l’aéroport de Melbourne. Sept morts, de nombreux blessés. Le terminal a été évacué, et tous les vols sont annulés jusqu’à nouvel ordre. »
Un cœur pouvait-il s’arrêter de battre ? Tasha en eut l’impression à cet instant.
Jared. Oh, Seigneur… Jared ! Luttant contre la panique qui s’emparait d’elle, elle se précipita vers son portable.
S’il ne lui était rien arrivé, n’aurait-il pas déjà appelé ? Tasha sentit son pouls s’affoler. Une terreur incontrôlable la gagna.
Heureusement, le numéro de Jared était enregistré en touche de raccourci sur le clavier de son portable… Elle tremblait tellement qu’elle aurait été incapable de le composer.
Pour tout contact, elle n’obtint que la tonalité du hors-zone : l’appel avait échoué. Rapidement, elle envoya un SMS. Sans succès.
Les autorités avaient dû mettre un numéro d’urgence à la disposition du public. Fébrilement, elle chercha une chaîne d’information, zappant de l’une à l’autre jusqu’à trouver le renseignement espéré.
Cette fois, au bout du fil, la réponse fut presque immédiate mais il sembla à Tasha que l’attente prenait des heures.
— Nous n’avons personne qui corresponde à votre signalement sur la liste des blessés, dit enfin l’opérateur. Rappelez d’ici une heure.
Tasha crut devenir folle. Une heure ? Un siècle pour elle ! Une éternité ! Sans rien d’autre à faire que d’entendre les informations qui ne lui apprenaient rien de nouveau…
Il fallait que Jared soit en vie. Il le fallait !
Les mots se répétaient dans sa tête, martelés par son désespoir comme une incantation. Sans s’en rendre compte, elle se mit à prier.
Une seule réalité émergeait clairement de son esprit en feu : la vie sans Jared ne valait pas d’être vécue.
Ce n’était pas une découverte… Elle l’avait toujours su, mais avait refusé de l’admettre pour s’accrocher à des principes. Principes qui, désormais, ne signifiaient plus rien.
Face à l’écran, elle regardait, hypnotisée, un défilé d’images qu’elle ne voyait même pas. Le lieu de l’explosion offrait un tableau chaotique et les secours travaillaient sans relâche au milieu des débris. Soudain, Tasha s’aperçut que l’heure était presque écoulée. A nouveau, elle composa le numéro d’urgence.
Cette fois, il lui fallut attendre d’interminables minutes avant d’être prise en charge par un opérateur. Celui-ci lui confirma l’absence du nom de Jared sur leur liste de blessés.
Elle raccrocha. Que faire ? Elle eut brusquement l’idée de prendre le premier vol pour Melbourne. Même si elle ne pouvait rien faire de plus, au moins, elle serait sur place et chercherait Jared !
Oh, Seigneur !… Si quoi que ce soit lui était arrivé, elle en mourrait.
La sonnerie de son portable la déconcerta tellement que son cerveau mit un millième de seconde à l’enregistrer. Elle bondit sur l’appareil.
— Tasha !
La voix de Jared lui procura un tel bonheur qu’elle crut défaillir. Sa main se crispa sur l’appareil.
— Tu… tu es blessé ? hoqueta-t elle.
Elle reconnaissait à peine sa propre voix, habitée par la terreur, entrecoupée !
— Quelques coupures, rien de sérieux. Des projections de débris…
Jamais il ne lui dirait ce qu’il avait frôlé. Autour de lui, les blessures s’avéraient beaucoup plus graves. La chance avait joué en sa faveur.
— L’équipe médicale a insisté pour que nous soyons immédiatement transférés et examinés à l’hôpital. Comme mon portable n’a pas résisté au choc, je n’ai pas pu t’appeler plus tôt. Ils vont nous trouver un hébergement pour la nuit, et les vols reprendront normalement demain. Je te rappelle dès que j’en saurai plus.
Il observa une très courte pause et ajouta :
— Je t’aime.
La gorge serrée, Tasha entendit raccrocher. Elle en aurait pleuré.
Comment pouvait-il couper après lui avoir dit cela ? La laisser tremblante, à chercher sa respiration, alors qu’elle venait de passer les heures les plus terribles de son existence ? Seigneur, elle s’était demandé s’il était encore vivant !
Fébrile, incapable de tenir en place, elle tenta de calmer son agitation en se consacrant au ménage. Il avait déjà été fait, mais c’était une façon comme une autre d’évacuer sa tension.
Enfin, épuisée, Tasha se décida à se coucher. Avec le décalage de l’horaire d’été, qui mettait Melbourne en avance d’une heure sur Brisbane, il y avait peu de chance que Jared rappelât le soir même.
Pourtant, son cerveau se refusait à se laisser aller au sommeil… Etre allongée était un supplice. Elle se tournait en tous sens, bourrait son oreiller de coups de poing. Rien à faire. Le sommeil la fuyait.
Jusqu’aux petites heures, elle resta donc au salon, à regarder les programmes de la nuit. A l’aube, enfin, elle sentit qu’elle pourrait prendre un peu de repos. Elle regagna son lit et s’effondra.
Le réveil sonna longuement avant qu’elle ne s’éveille. Sa première réaction fut de vérifier son portable mais il n’y avait aucun message. Alors elle déjeuna, de céréales et de fruits, puis elle prit sa douche et partit au bureau.
La journée commença comme à l’habitude… mais rien n’était pareil. Tasha passait par différents états d’esprit, tantôt pleine d’excitation, tantôt abattue. Plus la matinée s’avançait, plus elle se sentait fébrile. Sa concentration s’en resentit.
Enfin, à 10 heures, le bourdonnement de son portable lui signala un message :
« Je rentre par le vol de fin d’après-midi. Sois prête à 19 heures. Nous dînerons dehors. »
Tasha pianota un bref « D’accord » sur son clavier avant de consentir à respirer normalement. Un soulagement intense inonda son corps jusqu’à ses terminaisons nerveuses. Le soulagement, enfin…
Ce ne fut qu’à force de volonté qu’elle parvint à honorer ses rendez-vous de l’après-midi.
A 17 heures, sans attendre une minute de plus, elle referma son ordinateur et quitta le bureau. A cette heure de pointe, elle mettrait bien une demi-heure à rentrer. D’autant plus qu’elle comptait s’arrêter chez un fleuriste.
Ce qu’elle fit, pour acheter une simple rose, très belle, blanche et épanouie.
Une fois à son appartement, elle se détendit quelques instants dans sa cabine de douche, sous le jet tiède, et se lava les cheveux. Puis elle s’habilla avec soin, choisissant une robe de cocktail bleu pastel, aux manches à mi-longueur, qui s’arrêtait au-dessus du genou. Le décolleté était moins sage et elle le mit en valeur par un pendentif, une belle perle noire offerte par Jared. Elle opta pour un maquillage lumineux et, enfin prête, prit une pochette assortie à la robe, chaussa des escarpins légers et sortit sans oublier sa rose.
L’image de Jared ne la quittait pas et elle sentit l’excitation monter alors qu’elle s’apprêtait à le rejoindre au bas de l’immeuble.
Il était 19 heures pile quand elle déboucha dans le hall et qu’elle le vit, debout à côté de sa voiture. Il l’attendait.
Elle se jeta dans ses bras, cherchant sur son visage la moindre trace de blessure.
— Où as-tu mal ?
C’était la question la plus importante, bien plus essentielle que de dire bonjour !
Jared s’empara de son visage, glissa les doigts dans ses cheveux et prit sa bouche. Son baiser était urgent, brûlant… D’une impatience à peine contenue. Lorsqu’il s’écarta, ce fut pour mieux reprendre ses lèvres mais avec tendresse, cette fois, avec une douceur qui fit fondre Tasha.
Elle se colla contre lui ; il fallait qu’elle le touche, qu’elle le sente contre elle, de chair et de sang, vivant !
— Tu es sûr que tout va bien ?
Les lèvres de Jared effleurèrent ses cheveux, puis se posèrent au coin de sa bouche.
— Certain. Je n’ai que quelques ecchymoses, des coupures, rien de méchant. J’ai fait partie des plus chanceux.
— Merci, Seigneur, fit-elle avec une ferveur qui ne lui était pas habituelle. Tu es toujours là, avec moi !
Jared eut un sourire presque intrigué.
— C’est au mot près ce que je me suis dit.
— Et Soleil ?
Tasha ne pouvait faire autrement que de s’enquérir d’elle.
— Un bras cassé, quelques côtes fracturées. Ils la gardent à Melbourne jusqu’à ce qu’elle puisse voyager sans inconfort.
Tasha promena les doigts sur son visage, comme si elle cherchait à se rassurer. Jared saisit sa main, et embrassa longuement sa paume.
— Si nous allions manger ?
— Je meurs de faim, répondit-elle sincèrement.
Elle n’avait rien pu avaler depuis l’explosion. Mais elle n’avait pas faim que de cela… Le reste pouvait attendre, néanmoins. Patienter un peu avait aussi de bons côtés. Cela servirait à aiguiser ses sens…
Jared avait choisi un petit restaurant calme et élégant, à l’écart du centre ville. Loin de la foule et de l’agitation… Pourtant Tasha sentit croître sa nervosité alors que le maître d’hôtel les mena jusqu’à une table retirée, doucement éclairée par le halo d’une lampe. L’abat-jour rose et la nappe, dont les longs plis retombaient à terre, s’accordaient à la perfection.
Tasha s’installa et posa sa rose sur la nappe, à côté d’elle.
Jared s’apercevait-il que son coeur tambourinait dans sa poitrine ? Avec un regard tendre, il désigna le délicat bouton floral.
— Je présume que ceci a une signification ?
— Oui, dit-elle sans rien ajouter de plus.
Elle se saisit du menu, d’une main qui tremblait encore un peu. Sereine, posée, voilà ce qu’elle s’était promis d’être. Mais intérieurement, elle piaffait. La sensation de faim s’estompait déjà, battue en brèche par sa nervosité. Elle se *******a d’une salade de crustacés.
— La médiation s’est passée correctement ? dit-elle pour entamer la conversation.
Jared lui décocha un regard étonné. D’où venait ce subit empressement à parler affaires ?
— On ne peut mieux, dit-il laconiquement.
Tasha se troubla. Il avait compris qu’elle n’était pas dans son état normal. Tout à l’heure, elle se sentait assez sûre d’elle mais à l’instant de parler, sa belle assurance la fuyait. Pourtant, il fallait qu’elle ose… L’entêtement qui l’avait poussée à le quitter l’obligeait à présent à aller jusqu’au bout.
Une question devait être posée et quelle que fût la réponse de Jared, elle ne devait pas l’esquiver.
« Maintenant », lui ordonna une voix intérieure. « Maintenant ou jamais. »
Tasha prit sa respiration… Il ne lui fallut qu’une seconde pour sortir de sa pochette le petit mot qu’elle avait préparé. Elle le posa à côté de Jared et poussa la rose vers lui.
— Cadeau…
Pour lui, rien que pour lui. Elle s’offrait, avec leur enfant à naître.
Accepterait-il ? La seule supposition d’un rejet lui serrait le cœur comme un étau de glace.
L’expression de Jared restait indéchiffrable. Combien de temps pouvait-on mettre à lire une simple ligne ? Tasha en connaissait les mots par coeur :
« Tu es l’amour de ma vie. Veux-tu toujours de moi pour femme ? »
Il sembla à Tasha qu’une éternité s’écoulait avant que Jared ne consente à relever la tête. Il plongea son regard dans le sien, en une interrogation muette qu’elle ne pouvait laisser sans réponse.
— Je suis à toi, dit Tasha, la gorge serrée. Pas à cause de l’enfant. C’est de toi dont j’ai besoin. Cette séparation, c’était pour ne pas te contraindre à… Je redoutais que tu ne m’épouses que pour…
Elle s’arrêta. Ses mains tremblaient.
— Tu ne crains plus que je me sente obligé ?
Oh, non, elle ne le craignait plus. Plus après la façon dont il lui avait fait l’amour, plus après son infinie patience.
— Plus maintenant.
Ce n’étaient que deux mots, tout simples, mais imaginait-elle un seul instant ce qu’ils représentaient pour lui ? Comme il avait souffert ces dernières semaines, comme elle lui avait manqué ? Comme il avait eu mal de son absence, craignant de ne jamais la retrouver ?
Il n’avait pas dormi une seule nuit correctement, depuis son départ. Le monde était devenu un lieu hostile, vide de sens, qu’il ne voulait plus habiter sans elle à ses côtés.
Il la regarda, vit la femme qu’elle était, ce qu’elle était devenue. Sa force, sa valeur, son intégrité. Et il sut que jamais, au grand jamais, il ne considérerait leur union comme acquise. Il lui faudrait la mériter, toujours. L’amour de Tasha était un cadeau renouvelé, venu droit du cœur. Il lui incombait d’entretenir cette flamme.
— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis, ma chérie ?
— Tu aurais pu partir, tu ne l’as pas fait, dit-elle avec simplicité. Tu ne m’as pas laissée seule et pourtant, tu m’as laissée libre.
Le regard de Jared s’était allumé d’un éclair sombre.
— A l’exception d’une nuit…
Un sourire flotta sur les lèvres de Tasha. Elle ne se souvenait que de leur passion, de l’intensité de son amour.
Mais il n’avait toujours pas répondu… Quelle en était la raison ? Retardait-il le moment de s’excuser, de lui dire qu’il ne pouvait accepter ?
Dieu du ciel… Il n’allait pas… Non ! Ce fut comme un cri silencieux jailli du plus profond d’elle-même, un avant-goût du désespoir qui l’attendait si jamais…
— Je t’aime, dit-elle d’une voix étranglée.
La bouche de Tasha s’était mise à trembler. Elle lutta pour se contrôler.
— Tu es l’homme de ma vie, le seul. Quand j’ai entendu les informations, quand j’ai compris qu’il s’agissait d’une bombe… à l’idée que tu puisses être tué…
Trop troublée pour poursuivre, elle prit une profonde inspiration. Jared la dévisageait intensément.
— Ma vie n’aurait plus aucun sens sans toi, dit-elle enfin.
Jared sentit quelque chose bouger au tréfonds de lui, comme si pour la première fois les pièces de son existence se mettaient en place. Une émotion poignante l’étreignait.
Il avait failli la perdre. Cru qu’il ne pourrait jamais la regagner. Rien n’était garanti en ce bas monde, et surtout pas l’amour…
Le plus précieux des cadeaux. Celui que rien ne pouvait acheter.
Il se pencha, et suivit d’un doigt tendre le contour de sa joue.
— Oui.
Oui ? Cela signifiait-il qu’il…
— J’accepte ton offre.
Soulagement et bonheur inondèrent Tasha d’un flot de douceur. Son visage expressif s’illumina d’une joie si intense que Jared en fut bouleversé.
— Nous allons nous marier. Le plus vite possible.
Un serveur s’approcha de la table, une rose à la main.
— Pour vous, madame, dit-il en souriant. De la part de monsieur…
Tasha prit la fleur. Elle avait du mal à retenir ses larmes. Les pétales de velours, d’un parfait carmin, se resserraient sur un parfum capiteux, envoûtant.
— Tu vois, dit Jared en indiquant la tendre rose qu’elle lui avait apportée. Nous avons les mêmes idées, nous sommes à l’unisson…
— Elle est magnifique, Jared.
— Rentrons, veux-tu ?
Il ne pouvait plus résister au besoin de l’enlacer. Et Tasha, dans son regard, lut ce qu’elle cherchait depuis toujours.
Jared régla la note. Puis, serrés l’un contre l’autre, ils retournèrent à la voiture. Il lui ouvrit la portière.
— Chez toi ou chez moi ? demanda-t-il d’un ton très doux.
— Choisis.
— Chez nous, dit Jared en prenant la direction de leur appartement.
Le lieu qu’élirait Tasha serait toujours chez nous, du moment qu’elle accepte de le partager avec lui. De dormir dans son lit… Jared s’astreignit à une prudence redoublée car l’image de Tasha venait danser devant ses yeux. Nue, étendue sous lui, moite, le regard chaviré quand il la menait au comble de la jouissance…
Quand enfin il entendit le revêtement du parking crisser sous ses pneus, il sut qu’ils étaient arrivés. Ils quittèrent la voiture d’un même mouvement et leurs mains se joignirent. Jared buvait le regard de Tasha, le désir liquide qui le noyait… Et sa bouche… Dès qu’ils auraient franchi le seuil, il prendrait sa bouche. L’ascenseur les entraîna sans qu’ils aient conscience de l’avoir pris.
Il leur sembla qu’ils n’arriveraient jamais à l’appartement. Tasha avait glissé ses mains contre la poitrine de Jared et dès qu’il eut ouvert la porte, elle repoussa sa veste. Elle voulait sentir sa peau contre la sienne, sentir battre son cœur, et elle le voulait maintenant.
Impatients, ses doigts arrachèrent les boutons de sa chemise, en dégagèrent les pans, défirent la ceinture de son pantalon.
L’odeur musquée de Jared enivrait ses sens, lui tournant la tête comme le plus puissant des alcools. Tasha scella ses lèvres à son torse, le goûta de la langue, joua avec sa toison bouclée. Déjà, elle laissait descendre sa bouche, mais Jared la releva.
Il la hissa contre lui et elle noua les jambes autour de sa taille tandis qu’il l’étreignait. Il l’embrassa, sauvagement, comme s’il cherchait à étancher une soif inextinguible.
Et ce fut à son tour de la déshabiller, de ses gestes rapides, précis, avant de refermer les lèvres sur ses seins, léchant leurs pointes dressées.
Plaqués l’un à l’autre, ils titubèrent jusqu’à la chambre et roulèrent sur le lit.
Leurs derniers vêtements tombèrent à terre et les doigts de Jared cherchèrent l’écrin intime de Tasha, pénétrant, remontant au cœur de sa moiteur. Il sentit son plaisir déferler alors qu’elle gémissait son nom.
— Jared, mon amour… Viens… maintenant, supplia Tasha.
Il se glissa en elle et retrouva son enivrante chaleur. Elle l’accueillit en le serrant tellement fort que Jared en eut le souffle coupé. S’accordant à son rythme, elle le suivit, frénétique quand il le voulait, et plus douce au fur et à mesure que, consciemment, il se contrôlait et ralentissait.
C’était délicieux… mieux que cela, indescriptible.
A dessein, il se dégagea d’elle et posa de petits baisers sur son visage, s’arrêtant au coin de sa bouche, en dessinant les contours du bout de la langue pour finir par un baiser si lent, si érotique qu’elle fut soudain au bord des larmes.
— Tu ne joues pas franc-jeu, murmura-t elle en le repoussant sur les draps.
— Alors tu veux me rendre la pareille, c’est cela ? dit-il d’une voix rauque.
Une lueur indéfinissable dansait dans les yeux noisette de Tasha.
— Exactement.
Elle l’enjamba et sa bouche descendit le long de son torse, avec une lenteur délibérée, retardant sciemment l’instant de le savourer. Car ce qu’elle voulait, c’était tout de lui, absorber son essence, le rendre fou, éperdu de désir et de passion pour elle.
Les gémissements qui échappaient à Jared, sa respiration saccadée témoignaient assez de sa réussite.
C’était une euphorie, une magnifique exploration de l’empire qu’une femme pouvait avoir sur un homme. Il suffisait de vouloir le combler, de le mener à l’extase, dans une nouvelle dimension où il perdait tout contrôle.
Rendu à sa merci. Vulnérable, comme jamais. Totalement confiant.
Elle adorait voir se crisper les muscles de son ventre, son frémissement intime alors que ses lèvres lui infligeaient le plus doux des plaisirs, jusqu’à la jouissance.
Ce fut, pour elle comme pour lui, une fête glorieuse des sens dont ils émergèrent heureux, pantelants et comblés. Emotionnellement épuisés…
Ils dormirent un moment, se réveillèrent au beau milieu de la nuit pour se chercher et se prendre. Encore et encore.
Ce n’était pas assez, ce ne serait jamais assez et quand le soleil se leva sur l’horizon, Jared porta Tasha dans la baignoire, fit couler l’eau du bain tout en la caressant. Tasha ferma les yeux, se laissa aller au plaisir de ses mains sur elle. Elles glissaient avec la mousse sur sa peau, indiscrètes, à la recherche de toutes les sensations qu’elles pouvaient procurer.
Jared la rejoignit dans l’eau et ce fut à elle de prendre l’initiative, effleurant tour à tour chaque parcelle de son corps, attentive à ne pas réveiller la douleur des hématomes qu’elle découvrait, dans la lueur pâle du petit matin.
— Jared, tu aurais dû me dire de faire plus attention, cette nuit !
— Je n’ai rien senti ! J’adore quand tu t’empares de mon corps, dit-il avec une note d’humour dans la voix. J’en oublie tout…
Elle posa de légers baisers sur chacune de ses ecchymoses et Jared s’abandonna à sa douceur. Quand elle eut fini, il la serra contre lui avec une infinie tendresse. Ils sortirent de l’eau, se séchèrent mutuellement et Jared la porta à nouveau dans la chambre, lovée dans ses bras.
Ils s’allongèrent, puis se blottirent l’un contre l’autre, et Jared tira les draps sur eux.