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ÇáÊÓÌíá: Apr 2008
ÇáÚÖæíÉ: 71788
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 417
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Chapitres : 4


Trop souvent rejetée dans sa vie, Sophie savait la souffrance qu’il en découlait, et elle avait horreur de rompre. Mais en mentant à John Landry, elle risquait de le blesser plus encore. C’est du moins ce qu’elle s’était raconté en cherchant à l’éviter pendant les deux heures qui avaient suivi son aparté avec Mac. Mais, même en cet instant, alors qu’elle dansait avec lui, elle ne pouvait s’empêcher de reculer le moment.
— Sophie ?
— Hum ?
Il était clair que sentir le regard de Tracker sur sa nuque n’arrangeait rien. Elle ne l’avait pas revu depuis que Mac était venue la chercher, mais la tension qui s’emparait immanquablement d’elle lorsqu’il se trouvait dans les parages était de retour. Il la regardait danser avec John, et elle eut un instant la tentation de lui en donner pour son argent. Mais non, elle ne pouvait pas flirter avec John, ni l’embrasser, et ensuite le quitter.
Et puis, il n’y avait qu’une personne qu’elle rêvait d’embrasser, et c’était justement Tracker. Il fallait qu’elle sache si la foudre pouvait tomber deux fois au même endroit. Sans compter que… le simple fait de penser aux joujoux érotiques que lui avait offerts Mac lui donnait chaud partout.
D’abord, concocter un plan pour l’avoir à distance utile. Et il faudrait qu’il soit vraiment très près pour pouvoir utiliser ce ruban noir.
— Sophie ?
— Hum ?
Elle leva les yeux vers la mine maussade de John. Venait-il de lui parler ?
— Sophie, votre corps est ici, il danse avec moi, mais votre esprit est à des milliers de kilomètres.
Non, pas des milliers. Il devait y avoir trente mètres entre elle et la porte-fenêtre d’où Tracker la regardait. Et elle n’était pas honnête envers John.
— Sophie, je voudrais que vous m’accompagniez à mon hôtel, murmura-t-il. Je vous ramènerai demain pour récupérer votre voiture.
Ça y était. L’instant fatidique.
— Je suis désolée, je ne peux pas.
— Alors je vous suivrai. J’ai envie de passer du temps avec vous. Seuls.
— John, dit-elle en lui prenant la main pour l’entraîner vers l’intimité d’un bosquet, non loin. Je suis navrée, mais je ne vais pas passer du temps seule avec vous, du moins comme vous l’entendez. Je…
L’espace d’un éclair, elle crut déceler un éclat de colère dans son regard, mais il fut si vite masqué qu’elle s’était peut-être trompée.
— Loin de moi l’idée de vous presser, dit-il.
— Ce n’est pas cela. Je pense que vous avez été très patient, mais je ne crois pas que le temps me fera changer d’avis. Je suis navrée de vous avoir donné des espérances, car vous êtes un homme bien, et je vous apprécie infiniment en tant qu’ami et collègue de travail.
Elle s’interrompit, sentant soudain un frisson la parcourir. Tracker était tout près, il écoutait tout ce qu’elle disait.
— Eh bien, répondit John avant de s’éclaircir la voix. Je ne vous dirai pas que je suis ravi, mais j’accorde aussi beaucoup de valeur à votre amitié, et je ne veux pas la mettre en péril en vous poussant plus loin que vous ne voulez aller. En revanche, je tiens à vous revoir dans un cadre strictement professionnel. Vous avez aiguisé ma curiosité à propos de cette livraison de demain.
Elle lui sourit.
— Soyez à la boutique de bonne heure et de bonne humeur. Et je vous verrai au déchargement.
— Bien, dit-il en lui pressant les mains. A demain, donc.
Alors qu’il tournait les talons et se dirigeait vers l’avant de la maison, elle fit un pas vers lui et voulut dire quelque chose.
— A votre place, je n’en ferais rien, prononça alors une voix grave, tout près d’elle. Si près qu’elle sursauta. Une cassure nette est toujours préférable.
Elle pivota à temps pour voir Tracker émerger de l’ombre des arbres.
— C’est impoli d’écouter aux portes.
Il se rapprocha d’elle au point qu’elle dut lutter pour ne pas reculer, tant sa proximité l’électrisait.
— Pour avoir un entretien privé, mieux vaut ne pas l’avoir dans un jardin, rétorqua-t-il. De plus, quand on rompt avec un homme, il vaut mieux avoir quelqu’un à portée de main. Ils y réfléchissent toujours à deux fois avant de devenir violents.
— John Landry est quelqu’un de bien, il ne ferait jamais preuve de violence, se rebiffa-t-elle, songeant à la colère qu’elle avait décelée dans son regard.
— Croyez-moi sur parole, il était furax, répondit Tracker en lui souriant. Vous avez de la chance qu’il soit un mec bien.
Sophie se rembrunit.
— Mais la gentillesse n’a pas apporté à Landry ce qu’il voulait, poursuivit-il.
— Et que lui auriez-vous suggéré, en ce cas ?
Il prit une mine grave et planta ses yeux dans les siens.
— S’il vous veut, il n’a qu’à tendre la main et vous prendre.
Ces mots, l’expression de son regard, tout lui donna des frissons. Elle leva le menton.
— Et vous, que voulez-vous ?
L’espace d’un instant, il ne dit rien. Puis il sourit lentement et elle crut que ses genoux se dérobaient.
— Moi ? Je compte juste faire mon travail et vous suivre jusque chez vous.
La colère s’empara d’elle.
— Je n’ai pas besoin d’escorte.
— Ecoutez, princesse, il est tard. Vos deux chevaliers servants sont rentrés par leurs propres moyens, et Lucas ne veut pas que vous rentriez seule, dit-il avant de marquer une légère pause. Et vous perdriez votre temps à essayer de me semer. Ne comptez pas rejouer à ça et gagner encore.
Même si cela lui coûta, elle ne dit rien. Cinq années d’expérience professionnelle lui avaient appris que la maîtrise de soi était primordiale si elle voulait imposer son point de vue à un client. Et son point de vue, jusqu’à ce qu’il l’enquiquine en lui rappelant son rôle d’ange gardien, était d’avoir Tracker à portée de main. S’il la suivait jusque chez elle, il n’y aurait plus qu’à le faire entrer…

— Du calme, Tracker. Je n’ai pas l’intention de filer, le jeu ne m’amuse plus. Je préférerais de loin poursuivre celui que nous avons commencé en dansant.
Les sourcils froncés, méfiant, il ne répondit rien.
— Pourquoi ne pas laisser le sort décider ? suggéra-t-elle en sortant la pièce de Mac de sa poche. Pile, vous me suivez jusqu’à la maison et vous vous fondez ensuite dans vos ombres chéries. Face, vous rentrez avec moi et nous continuons le jeu des vingt questions. Partant ?
Il l’étudia un instant.
— Allez-y. Lancez-la.
Elle la lança, la rattrapa et la plaqua sur le dos de sa main.
— Face. Et comme c’est mon tour de vous poser une question, je vais vous la dire afin que vous ayez le temps d’y réfléchir. Je veux savoir quel est votre véritable nom.
Puis elle tourna les talons, remit la pièce dans sa poche et s’en fut vers sa voiture. Qu’il rumine un peu en la suivant.
Bon sang, à quel jeu jouait-elle ? La question le taraudait depuis que la princesse avait lancé la pièce. Une fois sur la rocade, il leva le pied et laissa lentement croître la distance entre leurs deux voitures. La dernière chose à faire était de la bousculer, or elle l’avait déjà surpris trois fois ce soir. D’abord, en l’embrassant, puis en larguant Landry et, maintenant, elle l’invitait chez elle pour continuer le jeu des questions. Il n’aimait pas trop les surprises tant que la princesse était concernée. Les enjeux étaient bien trop élevés.
Et comme il ignorait à quelle sorte de jeu elle jouait, il allait faire en sorte de mettre toutes les chances de son côté.
Elle ralentit et mit son clignotant. Il fit de même.
Jamais il n’aurait dû l’embrasser, ce soir. Il avait été incapable de lui résister. Et ce baiser n’avait fait que confirmer le pire de ses soupçons : un seul ne serait pas suffisant avec Sophie Wainright. Tout ce qu’il avait pu imaginer dans ses fantasmes était loin de la réalité. Au premier contact, son sang-froid l’avait abandonné, et l’attraction entre eux était si puissante qu’avant d’avoir trouvé la force de la repousser, il avait perdu quelque chose de lui-même.
Il la voulait, et il commençait à comprendre qu’il allait l’avoir. Il se pourrait bien que le besoin qu’il avait d’elle ne lui laisse guère le choix, et ce fut une pensée qui lui fit simultanément froid dans le dos et palpiter le cœur. Mais pour l’instant, ce soir et les jours à venir, il avait un travail à accomplir. Et il s’en acquitterait bien mieux en gardant ses distances.
D’un coup d’accélérateur, il réduisit l’écart entre les voitures. L’heure du plan A avait sonné. Débouchant la flasque qu’il venait de sortir de sa poche, il but une bonne lampée. D’ici cinq minutes, le liquide aurait fait son effet sur son estomac.
Il avait prévu de passer la nuit chez Sophie, mais pas dans son lit. Ce soir, il n’avait pas l’intention de prendre de risques. Il n’avait pas étroitement surveillé la princesse pendant deux ans sans comprendre où étaient ses faiblesses, et elle ne savait pas résister à un chien errant.
A la première crampe d’estomac, il réduisit encore la distance entre les voitures et fit partir la sienne vers le bas-côté. Puis il appuya sur le frein en veillant à ce que les roues fassent un maximum de bruit en dérapant sur le gravier avant de s’immobiliser. Alors, il sortit en titubant et vomit sur le talus.
S’il connaissait bien la princesse, faire simplement semblant d’être malade ne suffirait pas. Il allait lui falloir des preuves, et il y en avait. Il avait appris les vertus de l’ipéca de l’une de ses mères adoptives, médecin. Et il en avait toujours une fiole dans sa « trousse à outils ».
Appuyé à la clôture, plus faible qu’il ne l’avait prévu, il regarda Sophie enclencher la marche arrière, suivre l’accotement et s’arrêter dans un crissement de pneus à quelques mètres de lui. Elle sortit de la voiture et se précipita vers lui avec une telle hâte que le simple fait de la voir s’agiter provoqua une autre nausée. Il se pressa une main contre l’estomac.
— Que s’est-il passé ? Vous allez bien ?
L’inquiétude dans ses yeux combla toutes ses attentes. Le plan A allait fonctionner comme sur des roulettes.
— Ce doit être un truc que j’ai mangé.
Elle regarda le talus derrière lui, et il s’efforça de lui bloquer la vue, une fois certain qu’elle avait aperçu la preuve.
— Vous êtes soûl ? demanda-t-elle, soupçonneuse.
Un autre haut-le-cœur le prit quand il secoua la tête. Celui-ci le fit se plier en deux et il ne fut pas loin d’asperger ses sandales. Il avait peut-être un peu forcé la dose.
— Allons, venez, je vais conduire. Vous n’êtes plus en état de le faire. Vous n’aurez qu’à faire prendre votre voiture par un de vos hommes.
— Je n’ai pas trop bu. C’était la nourriture, protesta-t-il alors qu’elle le poussait sur le siège passager.
Sans dire un mot, elle referma la portière et s’en fut reprendre sa place au volant. Le plan A avait peut-être quelques petits inconvénients, mais il se dit qu’il était déjà à mi-parcours quand elle démarra.
— Désolé, vraiment. Je crois que je vais avoir besoin de dormir, dit-il alors qu’ils prenaient de la vitesse.
Cela faisait plus de vingt ans que sa mère lui avait administré le médicament, et il ne se souvenait pas avoir été aussi somnolent par la suite. Pas plus qu’il ne se souvenait avoir eu la tête aussi lourde. Il s’efforça de s’éclaircir les idées.
— T. J.
— Pardon ?
— Mon nom est T. J. A mon tour de vous poser une question.

— Jamais de la vie, s’insurgea Sophie. Des initiales, ça ne compte pas. Je veux votre vrai nom, sinon vous aurez un gage. Mais d’abord, il faut vous remettre sur pied.
Faire semblant de s’endormir ne serait pas plus mal, décida-t-il. Cela devrait suffire pour que la princesse le ramène chez elle pour la nuit.
*
* *
Tracker se rendit compte qu’on lui secouait l’épaule.
— Réveillez-vous.
— Hein ? Où sommes-nous ? balbutia-t-il en ouvrant un œil et en le refermant, blessé par la lumière crue.
— A l’hôpital.
Soudain bien réveillé, il put constater qu’elle avait effectivement arrêté la voiture près de l’entrée des urgences, sous les néons.
— Je ne vais pas là-dedans.
— Peur des hôpitaux, peut-être ?
— Non. Je n’en ai pas besoin.
— Du calme, dit-elle en sortant de la voiture pour en faire le tour. Ne vous préoccupez de rien.
Bon sang, il avait sous-estimé son côté mère poule, qui le plaçait entre le marteau et l’enclume. S’il lui avouait qu’il n’était pas vraiment malade, fini le plan A. Alors qu’il cherchait une échappatoire, elle ouvrit grand sa portière.
— Je vous ai dit que tout va bien, bougonna-t-il.
— Allons, venez. Je vous tiendrai la main pendant qu’ils vous examineront, promit-elle en l’aidant à sortir.
Nom de nom ! A l’heure où il sortirait d’ici, il vaudrait mieux qu’il ait trouvé un plan B.
— Rapport, dit l’homme en pressant la touche d’amplification, avant de se pencher sur l’échiquier pour déplacer un de ses cavaliers.
— Tout se déroule comme prévu.
— Pas tout à fait, rétorqua l’homme.
Il y eut un silence. Il le laissa s’étirer un instant.
— Le plan était que vous deveniez son amant, afin d’être intime avec elle quand arriverait le chargement. Elle a quitté la réception avec un autre homme.
— Je serai à la boutique quand la pièce arrivera, demain.
— Mais vous ne serez pas seul. Il est chez elle en ce moment, peut-être même dans son lit, alors que c’était vous qui étiez censé y être.
— Je vais me débrouiller.
— Vous connaissez la sentence en cas d’échec.
Après avoir replacé le combiné, l’homme se cala dans son fauteuil et observa son vis-à-vis.
— Je peux m’en débarrasser. Un seul mot de vous, et il ne vous encombrera plus.
— Quelle nature impitoyable, l’admonesta l’homme. Patience, très cher. Cette marionnette-là peut encore nous être utile. De plus, la déplacer maintenant pourrait attirer un peu trop l’attention sur le magasin de Mme Wainright, et nous ne sommes pas encore en possession de la pièce.
L’homme qu’on appelait le Maître des Marionnettes avait d’autres pantins en place. N’importe lequel d’entre eux pourrait récupérer la pièce, demain, et son vis-à-vis lui servirait plus tard. Le succès à long terme reposait sur la science du jeu et de ses règles.
Il allait attendre, pour le moment. La pièce serait là demain, et il aurait enfin les trois.
— A vous de jouer, dit-il en souriant et en désignant l’échiquier.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ princesse.samara   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
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Chapitres : 5


Tracker se réveilla avec un chat tigré plutôt imposant endormi sur le torse. Le temps de déplacer l’animal et de le poser par terre, il avait l’esprit clair et envahi par les souvenirs de la veille.
L’escapade aux urgences s’était mieux passée qu’il ne l’avait craint. Au bout d’une attente de deux heures, ils avaient été introduits dans une cabine d’examen, où un médecin manifestement épuisé avait diagnostiqué une légère intoxication alimentaire. Comme il avait totalement récupéré à ce moment-là, il avait même incité, à force de charme, une des infirmières à recommander à Sophie de le garder à l’œil pendant encore quarante-huit heures.
Moralité : le plan avait fonctionné à merveille. Il était exactement là où il avait décidé d’être, en convalescence dans l’appartement de la princesse.
Il balança ses pieds par terre, s’assit, et contempla le petit living-room qui n’avait pas manqué de le surprendre. Sophie avait grandi dans un hôtel particulier, et elle avait choisi de vivre dans un lieu à peine plus grand qu’un placard. D’accord, c’était pratique pour elle de vivre à côté de la boutique, mais ce n’était définitivement pas un endroit pour une princesse.
Le plus incroyable, c’était que la pièce n’avait même pas l’air exguë. Elle était… confortable. Son parquet couleur miel n’était encombré d’aucun tapis. Et à l’exception du canapé rembourré sur lequel il avait dormi et de la statuette à tête d’angelot qui montait la garde à la porte, elle était meublée de façon plutôt monacale. Cependant, l’explosion de couleurs des toiles accrochées au mur conférait une ambiance chaleureuse à l’endroit. Celle qui était sur le mur d’en face attira plus particulièrement son attention. Des pensées de tous les rouges possibles et imaginables recouvraient la toile. Elles évoquaient pour lui la passion, ardente, insouciante, et il songea aussitôt à Sophie.
Tout en arrachant ses yeux de la peinture, il les tourna vers le mur derrière lui et découvrit une collection de chevaux. Il ne les avait pas remarqués, la veille. Il devait bien y en avoir une cinquantaine sur les étagères, en terre cuite, bois ou marbre.
Alors comme ça, la princesse aimait les chevaux. Intéressant.
— Mmmrph.
En baissant les yeux, il découvrit que le chat avait réintégré le canapé.
— C’est toi, Chester, pas vrai ?
Le chat cligna de l’œil.
Sophie les avait présentés en arrivant, puis elle lui avait fait faire un rapide tour du propriétaire et lui avait montré où se trouvait la salle de bains, qui faisait en gros la moitié du living-room. Elle donnait dans le salon et dans la chambre.
Elle ne lui avait pas fait voir sa chambre. Si elle l’avait fait, il serait peut-être bien dans son lit en ce moment. Pas question de se raconter d’histoires, s’en tenir au plan initial allait relever du tour de force. Surtout que la princesse avait peut-être ses propres projets. Il allait devoir rester vigilant.
Le simple fait de penser à elle le fit sourire. Il ne s’était jamais senti aussi vivant que l’an dernier, quand il lui avait couru après dans tout le pays. N’avait-il pas attendu tout ce temps pour qu’elle le provoque encore une fois ?
— Mmmrph.
— Tu as faim ? demanda-t-il au chat.
En réponse, minet grimpa sur ses genoux.
Il le prit dans ses bras, gagna la cuisine, repéra la boîte de croquettes et en emplit un des bols de Chester, avant de remplir l’autre d’eau fraîche. Le chat ne se le fit pas dire deux fois.
Satisfaire sa propre faim allait se révéler plus problématique. Oh, il y avait tout le nécessaire dans le placard et le réfrigérateur. Il avait trouvé des œufs et du beurre, du lard et du café, et il aurait pu préparer un petit déjeuner au lit pour la princesse s’il n’y avait pas eu deux petits détails gênants.
Un, il était censé se remettre d’une intoxication alimentaire. Deux, pénétrer sous quelque prétexte que ce soit dans la chambre de Sophie risquait de provoquer une toute autre sorte de fringale.
Fondamentale était le qualificatif qui lui paraissait le plus approprié. Car il commençait à penser que posséder la princesse lui devenait aussi indispensable que respirer. Depuis ce premier jour, dans le bureau de Lucas, quand il l’avait tenue dans ses bras, il n’avait pas été capable de se libérer de l’emprise qu’elle avait sur lui.
Au milieu de la nuit dernière, elle était venue voir s’il allait bien, et il avait dû faire appel à tout son sang-froid pour faire semblant de dormir. Ensuite, il avait passé le reste de la nuit à imaginer ce que ça aurait été, de l’avoir sous lui dans ce canapé.
Il avait un travail à faire, se morigéna-t-il. Et il avait besoin d’avoir les idées claires pour le faire.
Quand Chester sauta sur le comptoir, il le gratta sous le menton.
— Je ne vais peut-être pas réussir à préparer un petit déjeuner, mais faire du café me paraît une bonne idée. Ensuite, je prendrai une bonne douche froide. Qu’en penses-tu, le chat ?
Ce dernier poussa un grognement.
Café. L’arôme tira Sophie de son sommeil. Ce devait être un rêve, se dit-elle en s’asseyant dans son lit et en repoussant ses cheveux. Elle n’avait jamais assez de sens pratique pour préparer la cafetière et la programmer avant d’aller au lit.
Une deuxième inspiration confirma qu’elle ne rêvait pas. Et la mémoire lui revint. Tracker. Tracker McGuire avait passé la nuit chez elle. C’était lui qui avait dû faire le café.
Bon, d’accord, il n’était pas encore dans son lit, mais il y avait du progrès. Elle avait presque embrassé l’infirmière qui lui avait fortement recommandé de garder Tracker sous surveillance un jour, si possible, et de préférence deux. De surcroît, les deux heures d’attente lui avaient permis d’analyser la situation et de tirer des plans sur la comète.

Elle fit bouffer les oreillers derrière elle et pressa une main sur son ventre. Allons, pas besoin d’être aussi nerveuse. Après tout, n’avait-elle pas la pièce ? Un rapide coup d’œil à la table de nuit confirma qu’elle était bien là où elle l’avait posée la veille, et le petit sac de Mac attendait près du lit.
Elle s’en empara et en sortit le ruban noir. Il allait lui falloir un fichu cran pour utiliser un machin pareil. A dire vrai, son assurance avec les hommes était totalement simulée. Les amants qu’elle avait eus se comptaient sur les doigts d’une seule main, et la plupart manquaient totalement d’imagination. A moins que ce soit venu d’elle.
Bon, avec l’aide des joujoux de Mac, elle était sur le point de devenir une nouvelle femme.
En entendant la douche se mettre en marche, elle sentit la panique s’emparer d’elle. Elle ferait peut-être mieux de se dépêcher de revoir son plan, car elle risquait de devoir le mettre en œuvre très bientôt. Tout en glissant au bas du lit, elle attrapa sa robe de chambre et mit la pièce dans la poche.
La clé pour une bonne affaire, c’était d’offrir à l’autre exactement ce qu’il voulait. Tracker et elle se voulaient l’un l’autre, aussi allait-elle lui proposer une simple aventure, sans engagement. Que pouvait-il y avoir de plus simple, de plus fondamental que cela ?
Oui, mais elle allait devoir faire le premier pas, songea-t-elle en arpentant sa chambre de long en large. Car malgré le baiser, il n’avait jamais fait mine de vouloir la toucher depuis qu’ils étaient arrivés chez elle.
A la boutique, l’effet de surprise était essentiel. Si elle parvenait à le prendre au dépourvu, elle aurait l’avantage.
Elle soulevait le sac de Mac quand la douche s’arrêta, et l’image de Tracker sortant de la cabine, ruisselant, s’imposa à son esprit. Le feu aux joues et le sang en ébullition, elle imagina sans peine le long corps musclé, la peau luisante. Le sac lui échappa des mains, et elle se dirigea vers la porte de la salle de bains. Effet de surprise.
La main refermée sur la poignée, elle la tourna. Verrouillée ! Non. Oh non ! Elle cogna à la porte.
— Tracker ?
Le verrou cliqueta, la porte s’ouvrit et elle le vit. Son odeur l’assaillit, sa chaleur l’enveloppa. Toute idée d’effet de surprise déserta son cerveau, déjà passé au stade sensoriel. Elle était si consciente de sa présence, de lui, qu’elle en fut paralysée. Il avait la peau lisse, humide, à peine couverte par la serviette. Un éclair de désir, violent, irrépressible, s’empara alors d’elle. Il fallait qu’elle le touche, qu’elle fasse courir ses mains sur cette peau.
Et elle le ferait, aussitôt qu’elle aurait retrouvé l’usage de ses bras.
L’espace d’un instant, Tracker demeura parfaitement immobile, paralysé par un afflux d’émotions. Quand elle l’avait appelé, il avait aussitôt été pris de panique, et il ne lui avait pas fallu plus de trois secondes pour ouvrir la porte en grand. Il n’avait pas vérifié sa chambre, la veille. N’importe qui aurait pu s’y introduire.
Sans jamais la lâcher des yeux, il enregistra la commode haute, le miroir en pied ovale, le lit. La porte entrouverte du placard.
Elle était seule dans la pièce. En sécurité.
Il eut à peu près une seconde pour profiter de son soulagement avant d’être traversé par un éclair de désir.
En la voyant drapée dans cette robe de chambre de soie et dentelle, on ne pouvait que se demander si elle portait quelque chose en dessous. L’idée de la toucher et de le découvrir lui fit immédiatement bouillir le sang.
Il lui fallut faire appel à toutes ses facultés pour ne pas la renverser sur le lit. Car il pourrait la posséder aussi vite que cela, et mettre enfin un terme au désir qui lui rongeait les entrailles.
— Est-ce que vous allez bien ? lui demanda-t-il.
— Je croyais que vous étiez parti.
C’était ce qu’il devrait faire, d’ailleurs. Partir. Reculer dans la salle de bains et refermer la porte au verrou. Elle allait bien, ce n’était qu’une fausse alerte. Et s’il ne reprenait pas le contrôle de la situation, il ne serait jamais prêt en cas d’alerte bien réelle. Il s’ordonna donc de réintégrer illico la salle de bains. Mais il ne bougea pas. Et il n’allait pas le faire. Ses pieds avaient cessé d’obéir à son cerveau.
— Je ne vais nulle part.
— Bien, dit-elle, marquant soudain un temps d’hésitation. Je ne veux pas que vous partiez. Je voudrais parler.
Parler ? Cette femme allait le tuer.
Parler ? Mais que disait-elle ? Elle qui rêvait de lui sauter dessus, elle n’arrivait plus à faire obéir son corps. Déjà qu’elle n’avait plus la moindre idée du petit discours qu’elle avait pourtant répété avant de faire irruption dans la salle de bains. Le désir sauvage qu’elle lisait dans ses yeux lui avait fait fondre le cerveau. Serait-elle, d’ailleurs, jamais capable de recouvrer l’usage de la parole ?
On pouvait quand même essayer.
— Je veux faire l’amour avec vous.
Puis elle faillit se retourner pour savoir qui avait dit cela, et elle l’aurait fait si elle avait pu détacher ses yeux de Tracker. La bonne nouvelle, c’était qu’il avait le regard encore assez incandescent pour lui brûler la peau. La mauvaise, c’était qu’il ne faisait pas un geste.
Tu peux y arriver, Sophie. Tu as servi de modèle à Mac.
— Tout de suite ne serait pas pour me déplaire. Vous êtes partant ?
Il y eut un silence durant lequel il ne la lâcha pas des yeux. Elle le vit contracter la mâchoire, serrer les dents.

— Ce n’est pas que je ne veuille pas.
Mais… Le mot risquait à tout moment d’ériger un mur infranchissable entre eux. La panique s’emparait d’elle quand sa main se referma sur la pièce, dans sa poche. Dieu merci, les doigts fonctionnaient encore. Hésitante, elle fit un pas vers lui. Elle pouvait bouger. Donc, elle pouvait le faire.
— Il y a plusieurs possibilités : soit on entame un débat à propos des arguments pour et contre, soit on coupe au plus court et on le fait à pile ou face.
Elle sortit la pièce et la jeta en l’air.
— Face, on fait l’amour, pile, on…
Tracker regarda la pièce s’envoler. Le côté sur lequel elle retomberait n’avait aucune importance puisqu’ils allaient faire l’amour. Il avait définitivement perdu le combat contre lui-même au moment où elle avait dit : « Je veux faire l’amour avec vous. »
C’était une situation qu’il n’avait pas prévue, contre laquelle il n’avait envisagé aucune défense. Jamais il n’aurait cru que c’était la seule chose qu’il avait rêvé de l’entendre dire. Depuis qu’elle l’avait fait, il n’avait plus qu’une idée en tête : l’allonger sur ce lit, sous lui, et il ignorait combien de temps il pourrait encore attendre.
— Face, dit-elle en baissant les yeux vers la pièce. Bien, c’est décidé.
Alors, la peur le saisit. Il allait la toucher dans moins d’une seconde, et il fallait absolument qu’il conserve son sang-froid. Il paierait le prix pour lui avoir fait l’amour, mais il était hors de question qu’elle ait aussi à payer. Son besoin de la posséder vite était tellement pressant, pourtant il se refusait à lui faire mal.
— A moins que vous ne préfériez… discuter ? Etablir d’abord quelques règles de base ? bafouilla-t-elle, remettant la pièce dans sa poche.
Pour la première fois, il remarqua le tremblement de ses mains.
Les nerfs. Il l’avait toujours considérée comme la princesse, si sûre d’elle et si courageuse. Le fait qu’elle soit nerveuse à cause de lui l’émerveilla au plus haut point. Et il ne se rendit compte qu’il avait franchi la distance qui les séparait encore qu’en la sentant soudain frissonner lorsqu’il posa les mains sur ses épaules.
— Tout doux, murmura-t-il en lui caressant les bras de haut en bas, un peu comme lorsqu’il apaisait l’un de ses chevaux.
Puis il prit sa main et en embrassa la paume.
— On discutera plus tard. Pour l’instant, je vais te faire l’amour.
Elle porta les mains à la ceinture de son peignoir.
— Non, dit-il, les immobilisant. Laisse-moi faire.
Il l’avait fait mille fois dans ses fantasmes, mais jamais il n’avait imaginé le frisson qui parcourut la peau de Sophie, ni son hoquet quand il repoussa le vêtement de ses épaules. Pas plus que son imagination n’avait décrit la douceur soyeuse de sa peau. Il laissa échapper le souffle qu’il avait retenu.
— Tu ne portes rien. Je m’étais posé la question.
Un frein, vite, à son besoin de la toucher, de la posséder. Quand il voulut dénouer la serviette qu’il avait autour des reins, elle posa ses mains sur les siennes.
— Non. Laisse-moi faire.
Cette fois, ce fut sa peau qui fut parcourue d’un frisson quand la serviette tomba au sol et qu’elle fit courir ses doigts sur la longueur de son pénis érigé.
— Je te veux.
Qui avait dit cela ? Sophie n’en fut pas certaine. La seule réalité tangible à ses yeux était qu’il l’embrassait de nouveau. Enfin, presque. Il lui butinait les lèvres, il les goûtait, comme si elle était un plat qu’il voulait savourer peu à peu. De sa langue, il suivit le contour de sa lèvre inférieure, puis il effleura le coin de sa bouche. Dans le recoin de son esprit encore capable de réfléchir, elle se demanda comment un baiser aussi léger pouvait l’affoler ainsi, lui donner l’envie qu’il ne cesse jamais.
Elle posa les mains sur ses épaules, les fit courir sur les muscles déliés et les referma sur sa nuque. Puis elle se haussa sur la pointe des pieds et tenta de se coller à lui.
Alors il l’embrassa vraiment, plongeant sa langue en elle. Cet homme avait un goût d’interdit, celui du miel sauvage qu’elle avait un jour trouvé dans une ruche, et dont elle avait eu un mal fou à se rassasier. Sa saveur enivrante lui avait presque fait oublier les piqûres dont elle avait souffert par la suite.
Il fit passer ses mains de ses épaules à sa taille, mais au lieu de l’attirer plus près de lui, elles l’écartèrent.
— Tout doux, princesse.
Elle leva les yeux vers lui et tenta de déchiffrer l’expression de son regard. Le bleu-vert de ses iris avait pris la teinte de la mer déchaînée. Ce n’était pas du doux qu’il voulait, et elle non plus, d’ailleurs. Mais le baiser l’avait affaiblie, et elle ne paraissait plus capable de… Alors, il referma les doigts sur sa taille et la fit pivoter afin qu’elle les vît tous deux dans le miroir ovale, près du lit. La femme qu’elle y vit reflétée était complètement encadrée par l’homme. Un homme à l’aspect dangereux, devant lequel elle paraissait pâle, presque fragile. Un tel contraste fit remonter un frisson le long de sa colonne vertébrale. Pourrait-elle jamais regarder encore dans ce miroir sans y voir cette image ?
— Je vais te caresser, murmura-t-il d’une voix rauque qui lui fit l’effet d’un papier de verre sur sa peau, l’embrasant de la même manière.
Il posa une main à plat sur son ventre et la fit reculer jusqu’à ce qu’elle ait les fesses bien calées contre ses cuisses, qu’elle perçoive les pulsations de son sexe chaud et dur contre ses reins.

— Regarde, laisse-toi aller.
Elle ne l’entendait plus, tant son cœur cognait dans sa poitrine. Et ses jambes… étaient-elles vraiment en train de fondre ?
Un gémissement lui échappa quand son autre main vint se refermer sur un sein, et elle laissa retomber sa tête contre son torse. S’il ne la tenait pas, elle allait glisser, tomber sur le sol. Puis une pensée atroce la frappa de plein fouet. Elle plissa les yeux et examina le reflet dans le miroir.
— Je ne suis pas en train de rêver ? Dis-moi que je ne rêve pas.
— Tu ne rêves pas, princesse. Et moi non plus. Dis-moi ce que tu veux, princesse. Ceci ?
Il déplaça sa main sur son ventre, vers le bas, et elle se mit à trembler.
— Plus bas ?
— Oui.
Quand ses doigts frôlèrent ses boucles, le triangle entre ses cuisses, elle ne put s’empêcher de gémir :
— Je veux…
Elle essaya bien de s’arquer contre ses doigts, mais il la tenait prisonnière, pressée contre lui. Il se pencha et effleura sa gorge d’une pluie de baisers.
— Regarde-moi.
Elle croisa son regard dans le miroir.
— Je veux voir ce que tu éprouves, à quel point tu me veux.
Puis il glissa un doigt en elle.
— Encore ?
— S’il te plaît.
Il glissa deux doigts, cette fois.
L’orgasme commença si brutalement, il la traversa avec une telle violence qu’elle cria.
Tracker l’allongea sur le lit avant de s’étendre près d’elle. Sophie avait encore le corps parcouru de frissons. Le sien vibrait du besoin de la prendre. Maintenant.
A force de volonté, il mit cependant un frein à son désir. Qu’importe le nombre de fois où il s’était imaginé en train de la caresser, de lui donner du plaisir, jamais il ne s’était approché de la réalité. Jamais il n’aurait imaginé l’effet que pourrait lui faire le fait de voir le plaisir qu’il lui donnait.
Tant qu’elle était encore sous l’effet de ce plaisir, il allait l’aimer encore, et il garderait une allure lente. Il leva la main, la posa délicatement sur son flanc, sur sa hanche, sa cuisse et entreprit de dessiner des arabesques.
— Non, murmura-t-elle en ouvrant les yeux. Arrête.
— Arrêter ? s’étonna-t-il, immobilisant sa main. Je t’ai fait mal ?
— Bien sûr que non.
— Est-ce que je fais quelque chose de travers ?
— Oh non. Ce n’était pas cela que je voulais dire, affirma-t-elle, se débarrassant gentiment de la main qui reposait sur sa cuisse.
— Tu veux que j’arrête ?
— Bonté divine, non ! Tu es fou ? Personne ne m’a jamais caressée comme tu viens de le faire. Mais tu n’as pas… je veux dire, je n’ai pas…, bafouilla-t-elle en se mettant à genoux.
Quand il voulut poser une main sur sa poitrine, elle saisit son poignet.
— Non, ne fais pas ça. C’est à mon tour de te faire l’amour. Laisse-moi juste une seconde, parce que je crois bien avoir des synapses en court-circuit.
Elle en était même certaine, mais au moins n’était-elle pas paralysée. Elle pressa une main contre son épaule et poussa, roula, tortilla jusqu’à ce qu’il fût allongé sous elle. Elle n’avait peut-être pas l’expérience qu’elle aurait voulue, mais elle avait lu Cosmo. Elle connaissait donc l’avantage d’être au-dessus.
— Princesse, laisse-moi…
Quand il agrippa ses épaules, elle se mit à califourchon sur lui.
— Laisse-moi faire, l’interrompit-elle en le regardant dans les yeux. On ne t’a jamais dit que « chacun son tour » existe ?
— Et si je te disais… que je n’ai pas encore fini mon tour, protesta-t-il après l’avoir étudiée un instant.
— Ça compterait.
Elle se pencha, effleura ses lèvres des siennes et se redressa. Si jamais elle le laissait intensifier le baiser, elle serait perdue, encore une fois. Et elle avait d’abord un truc à faire.
— Comment pourrais-je ne pas considérer cet aspect des choses ? reprit-elle. Mais je veux juste que tu fasses une petite pause. Je serai plus en forme pour le deuxième round si tu me laisses un peu de temps.
— Qu’as-tu en tête ?
— Tu ne me fais pas confiance, n’est-ce pas ?
Il avait dans les yeux un mélange de désir intense et de méfiance, et elle se sentit forte, confiante.
— Je sais quand tu as une idée derrière la tête, princesse.
— Moi ? Mais non.
Enfin si, elle en avait bien une petite, mais l’inexpérience l’obligerait surtout à improviser. Lentement, elle fit courir un doigt de la gorge de Tracker jusqu’à son torse, puis plus bas, et son sursaut l’émerveilla.
— Je serais peut-être plus digne de confiance si je savais ton vrai nom. Vas-tu me le dire, ou préfères-tu un gage ?
— Quel gage ?
— Je veux juste te caresser, dit-elle sans répondre. Tu m’as caressée, il est juste que ce soit mon tour. Et puis tu pourras aussi participer, mais seulement quand je le dirai. Mais d’abord, il faut que tu tiennes les montants du lit.
Elle lui prit les mains et les leva au-dessus de sa tête. Il les retourna et mêla ses doigts aux siens.
— Avant d’aller plus loin, il faudrait songer protection.
— Je prends la pilule, répondit-elle, lui effleurant la bouche des lèvres, incroyablement touchée de cette attention.
En réponse, il lâcha ses mains et enroula les doigts autour des montants du lit.
Le jeu avait commencé, songea Sophie, presque euphorique. Elle allait commencer bientôt, mais d’abord il lui fallait le goûter encore une fois. Penchée en avant, elle posa sa bouche contre la sienne et y infiltra sa langue. Une fois, deux fois, puis elle lui mordilla la lèvre inférieure et l’aspira lentement. Le petit bruit de gorge qu’il émit parut se répercuter directement en elle.

Elle avait prévu de s’interrompre le temps de lui demander ce qu’il aimait, mais déjà sa bouche longeait sa mâchoire en direction de son oreille. Il avait un goût si masculin, si différent. Si érotique. Alors qu’elle déplaçait ses lèvres sur sa gorge et son torse, elle se dit qu’elle n’arriverait jamais à s’en rassasier. Et quand elle ne put descendre plus loin, elle se haussa au-dessus de lui et se rassit sur ses hanches.
Soudain, elle perçut la dureté de son érection sous elle et, d’instinct, elle commença à onduler sur ce sexe palpitant. Pour elle.
Il avait les yeux mi-clos, mais elle percevait leur brûlure sur sa peau, sur ses seins. Il avait le souffle court, les articulations blanchies autour des montants du lit.
— Mon tour n’est pas terminé.
— Alors caresse-toi, ordonna-t-il d’une voix râpeuse. Caresse-toi les seins.
Elle hésita juste un peu, puis elle posa les mains sur sa poitrine et les laissa descendre vers sa taille. Il se mit à haleter, mais était-ce lui, ou elle ? Elle n’en savait plus rien.
— Plus bas. Descends encore.
Mais ses mains descendaient déjà toutes seules, elles atteignaient son sexe. Et, soudain, elle comprit qu’elle n’était plus maîtresse du jeu.
— Caresse-toi pour moi, princesse.
Elle le fit, puis :
— C’est ton tour, maintenant. Je veux que tu me fasses l’amour, Tracker.
Par la suite, Tracker se souvint qu’il avait alors senti quelque chose claquer en lui. L’attrapant par la taille, il l’avait fait rouler sous lui et avait aussitôt plongé en elle. Oh, c’était si bon qu’il avait voulu aller lentement, savourer, mais cela avait été impossible. Se retirant, il l’avait de nouveau pénétrée. Plus fort. Encore, et encore.
Elle referma bras et jambes sur lui et accorda son rythme au sien, comme s’ils ne faisaient plus qu’un. Alors que les derniers vestiges de sa volonté l’abandonnaient, il trouva encore la force de dire :
— Jouis avec moi, Sophie. Maintenant.
Et elle le fit, alors qu’il les emmenait tous deux de plus en plus haut, de plus en plus vite. Il eut à peine le temps de la sentir commencer à se convulser qu’un orgasme éblouissant l’emportait sur les cimes avec elle.
Il reprit peu à peu pied dans la réalité, le souffle court, incapable du moindre mouvement. Alors, la culpabilité le transperça, et il releva la tête pour la regarder, certain qu’il lui avait fait mal. C’était inévitable, puisqu’il n’arrivait pas à se souvenir d’avoir un jour possédé aussi brutalement une femme. Cela devait tenir à la manière dont elle lui avait dit de lui faire l’amour.
Il prit son visage entre ses mains.
— Sophie, est-ce que ça va ?
Elle ouvrit alors les yeux, mais ce ne fut pas de la douleur qu’il y lut. Elle incurva les lèvres.
— Merveilleusement bien, à part un autre contingent de synapses grillés. Et toi ?
— Je ne t’ai pas fait mal ?
— Mais non. Comment aurais-tu pu me faire mal ?
Un peu rassuré, il se laissa glisser près d’elle. A sa grande surprise, elle roula aussitôt sur le côté et se pelotonna contre lui, la joue sur sa poitrine. Une telle douceur l’émut, et repoussa définitivement au loin les derniers vestiges de sa peur et de sa culpabilité. Il resserra son bras autour d’elle. Il fallait qu’il réfléchisse. Il avait eu raison, la veille : jamais il n’aurait dû ouvrir la porte de sa chambre. Un seul regard sur elle lui avait fait exploser son plan de protection à la figure.
Mais bon, ce n’était pas comme s’il n’avait jamais dû changer de tactique auparavant. Adieu le malade victime d’intoxication alimentaire, bonjour l’amant. Il allait avoir du mal à le regretter, et il avait toujours eu des dons d’improvisation. Mais il n’était pas facile de réfléchir clairement avec Sophie enroulée autour de lui. Elle lui embrouillait l’esprit, elle l’enivrait de son odeur, de sa chaleur. Plus il resterait allongé là, avec elle dans les bras, plus il aurait du mal à ne pas la faire rouler sur le dos pour la posséder encore. Et encore.
Une bouffée de pure panique le fit se dégager et se redresser. Café. De la caféine et un grand bol d’air qui n’ait pas son odeur, et il serait peut-être capable de réfléchir un peu plus sainement.
Il avait réussi à balancer ses pieds hors du lit quand une main se referma sur son poignet.
— Stop. Tu ne vas nulle part.

 
 

 

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Chapitres : - 6 -


— Je ne vais nulle part, dit Tracker.
— Tu l’as dit, énonça-t-elle, resserrant sa prise sur son poignet. Tu ne mettras pas le pied hors de cet appartement avant qu’on ait parlé.
Il se rembrunit.
— Qu’est-ce qui te fait croire que je veux partir ?
— Parce que c’est toujours ce que tu fais. Tu retournes te glisser dans ces ombres que tu aimes tant. Et je ne le tolérerai pas. Il est hors de question que ce soit l’histoire d’une nuit… ou d’une matinée, si tu préfères. Ce n’est pas mon truc. Et je voulais te l’expliquer avant. Je pense qu’il faudrait établir certaines règles de base.
Il s’efforça de s’éclaircir les idées.
— D’accord. Tu as juste un peu d’avance sur moi.
Et c’était ça le problème. Elle avait souvent une longueur d’avance sur lui.
— Tu veux donc plus qu’une nuit, reprit-il.
— Je veux une liaison.
Une foule de pensées se bouscula en lui. Il s’efforça de les trier, de les évaluer. En tant que son amant, il pourrait rester près d’elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Mais s’ils étaient amants, il se pourrait bien qu’il n’ait plus la tête assez claire pour assurer efficacement sa protection. Le problème c’était…
— Il ne faut pas autant de temps au Congrès pour voter une loi.
Il ne put réprimer un sourire. Il l’aimait presque autant à cran qu’éperdue de désir pour lui.
— Je crois que je pourrais me laisser embarquer dans une liaison.
— Tu crois ? Embarquer ?
Non seulement elle le lâcha, mais elle lui flanqua une bourrade qui faillit l’envoyer par terre. Elle allait lui sauter dessus quand il leva les mains en signe de reddition.
— Pouce. Je demande une trêve. C’était toi qui voulais parler et établir des règles, princesse.
Il fallait qu’il sorte de ce lit, qu’il s’éloigne de son parfum et de ses mains. Si elle lui plongeait dessus encore une fois, il lui referait l’amour.
— Pourquoi n’y réfléchirais-tu pas pendant que je vais nous chercher du café ?
Et peut-être aurait-il aussi le temps de prendre une douche vraiment très froide.
Il gagnait la porte lorsqu’il buta contre un objet, par terre, qui glissa sur le parquet ciré et alla s’écraser contre le mur.
— Merde !
— Que se passe-t-il ? s’enquit Sophie.
— Que se passe-t-il, en effet ? demanda-t-il, englobant d’un regard les divers objets éparpillés sur le sol.
Il s’accroupit afin de les examiner de plus près : un long ruban noir, une paire d’énormes dés très légers et ce qui ressemblait à un jeu de cartes. Ce furent les mots inscrits sur les dés qui lui firent entrevoir la lumière. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Sophie fixait elle aussi les objets, les joues plus colorées qu’avant.
— Des jouets érotiques ?
— Chapeau, Rouletabille !
Encore une surprise. Et il avait comme la désagréable impression qu’il allait y en avoir d’autres. Il remarqua quand même qu’elle avait nettement rougi, mais elle avait relevé le menton et le regardait dans les yeux. Eperdu d’admiration, il n’en ressentit pas moins un besoin pressant de la taquiner encore un peu. Il ramassa donc le jeu de cartes afin de l’examiner de plus près. Tiens, c’étaient des coupons, en réalité.
— Cette carte donne droit à une récré-sexe à la demande, commenta-t-il.
Bon, il la taquinait peut-être, mais il avait déjà le sexe qui réagissait. En levant les yeux, il vit que Sophie s’en était aperçue.
— Intéressant. Comment est-ce que ça fonctionne, exactement ?
— Tu la donnes à ton ou ta partenaire, et elle lui donne droit à ce qui est marqué, à la demande. C’est à lui ou elle de décider de l’heure et de l’endroit.
Nom de nom, il avait déjà envie de la lui tendre. Mais d’abord il avait besoin de réfléchir. Et ils avaient besoin de parler. Café. Douche froide. Il remit la carte dans la boîte et reporta les yeux sur les autres objets.
— Tu t’en sers souvent ?
Elle s’humecta les lèvres.
— Je ne les ai encore jamais utilisés. Mac me les a donnés hier soir. Une sorte de cadeau de premier anniversaire de mariage à sa demoiselle d’honneur. Elle voudrait que je sois aussi heureuse qu’elle l’est.
Avec Landry. L’accès de jalousie arriva avec une telle force qu’il fut incapable de respirer. Mac devait savoir que Sophie sortait avec Landry, et elle avait manifestement voulu encourager cette relation. Ce type était parfait pour elle. D’ailleurs, ne l’avait-il pas dit lui-même à Lucas ?
Seulement voilà, Sophie avait quitté ce Landry la veille. Et lui, il devait se raccrocher à cette idée. Ce n’était pas avec Landry qu’elle s’en servirait. Il remit les cartes dans le sac, ramassa les dés et les lança. Ils rebondirent contre la table de nuit et revinrent vers lui.
— Caresse. Pénis, lut-il avant de lui lancer un regard interrogateur.
— Il faut faire ce qu’ils disent.
— Ça, l’enquêteur aguerri que je suis l’avait compris, rétorqua-t-il en souriant. Mais je me demandais qui doit s’y mettre en premier, celui qui a lancé les dés ou celui qui regarde ? Toi, ou moi, princesse ?
La bouche soudain sèche, Sophie eut une vision de lui en train de se caresser. Elle n’avait jamais vu un homme faire cela, et en eut brutalement envie, presque autant qu’elle eut envie de le faire elle-même.
Le fait qu’il eût planté son regard dans le sien, la mettant ainsi au défi de répondre ou de faire le premier pas, lui mit le corps en feu. Non. Elle redressa aussitôt l’échine. Pas question qu’il la transforme en chiffe molle encore une fois. Pas avant qu’ils n’aient mis quelques petites choses au point.
— A propos de la liaison…
— Tu veux commencer tout de suite ?
Elle voulait. Presque autant qu’elle voulait retrouver son souffle.
— Il faut d’abord qu’on discute.
Il s’assit par terre.
— D’accord, vas-y.
Il se régalait, comprit-elle. Après l’avoir transformée en une boule de désir, il s’était tranquillement assis là où il était en lui souriant, en la défiant du regard… Et il n’avait même pas dit oui pour la liaison. Cet homme était si prudent, si soupçonneux qu’il pourrait bien se *******er d’atermoyer jusqu’à ce qu’il trouve le moyen de filer.
Tous ceux qu’elle avait aimés l’avaient abandonnée : ses parents, et même Lucas, quand il avait terminé ses études et s’était engagé. Mais elle ne laisserait pas Tracker s’échapper. Elle tendit la main vers la pièce, sur la table de nuit.
— Inutile de pinailler sur des détails tant qu’on n’a pas pris de décision. Est-ce qu’on a une liaison, ou pas ? Pourquoi ne pas faire ça à pile ou face ? Pile, tu sors d’ici et on ne se revoit pas avant le prochain anniversaire de mariage de Mac et de Lucas. Face, on a une liaison sans condition. Tu es partant ?
Tracker ne répondit rien pendant une minute. Son plan café et douche froide avait manifestement vécu. Et maintenant, tout allait se décider sur le lancer d’une pièce de monnaie. Le destin. Peut-être valait-il mieux le laisser décider.
— Vas-y.
Elle le fit, et brandit la pièce.
— Face. Maintenant, on peut pinailler sur les détails.
— Excellent. Une question, d’abord. Qu’est-ce qui se passe quand la liaison se termine ?
Parce qu’elle se terminerait un jour. Forcément. Sophie et lui étaient trop différents, et ce qui brûlait entre eux finirait bien par mourir un jour. Il s’arrangerait juste pour que cela ne meure pas avant qu’elle ne soit en sécurité et le Maître des Marionnettes derrière les barreaux.
— On reprend chacun notre chemin. Pas de regrets ni de récriminations. Et tant qu’elle dure, on est partenaires à égalité.
— A égalité ? s’écria-t-il. Alors ça, ça ouvre des horizons. En tant que partenaire à égalité, je désire ajouter deux ou trois choses à notre accord.
— Qui sont ?
— L’exclusivité. Aucun de nous ne sort avec un ou une autre personne tant qu’on est ensemble.
— D’accord.
— Et faisons-en une liaison où tous les coups sont permis. Partante, princesse ?
L’espace d’un instant, Sophie crut qu’elle allait avoir un autre orgasme, tant le coup qu’elle ressentit dans le ventre fut violent. Luttant pour reprendre son sang-froid, elle s’efforça de s’éclaircir les idées et de soupeser sa proposition. Impossible. Comment y arriver, alors que tout ce à quoi elle pouvait penser, c’était le défi qu’il lui proposait ?
— Marché conclu, ou pas, Sophie ?
Il recommençait à la transformer en chiffe molle, et il le savait. Elle leva le menton.
— Tous les coups sont permis. Est-ce que cela implique que tu entends te servir de ces jouets érotiques ?
Il lui sourit.
— J’en rêve déjà.
Elle se pencha et ramassa le ruban noir.
— Et celui-ci ? Lis l’étiquette.
Il le fit, puis leva les yeux vers elle.
— Je crois qu’on pourrait y arriver.
Non, elle n’allait pas rougir. Grace Kelly ne l’avait jamais fait, et elle était le modèle de référence de Mac. En plus, elle venait tout juste de négocier une liaison sans conditions, où tous les coups étaient permis, quand même.
— Marché conclu.
Ils tendirent la main au même moment, et se la serrèrent vigoureusement. Puis elle pensa, et elle fut presque certaine qu’il pensait aussi, à ce qu’avaient exigé les dés. Ce fut alors que le téléphone sonna sur sa table de nuit.
Sans lâcher sa main, Tracker décrocha et lui tendit le combiné.
— Sophie ? dit une voix familière.
Noah Danforth, l’étudiant qui travaillait à mi-temps pour elle. Pourvu qu’il n’appelle pas pour dire qu’il était malade, la journée s’annonçait chargée.
— Où es-tu, Noah ? s’enquit-elle avant de tourner les yeux vers son réveil.
Seigneur ! Il était 10 h 15, et elle ouvrait généralement la boutique à 10 heures !
— Je suis en bas, au magasin.
— Je… j’ai eu une panne d’oreiller. J’arrive.
— Est-ce que ça va ? Je me suis un peu inquiété en arrivant et en constatant que tu n’étais pas encore là.
— Non, non, tout va bien. Pas de clients, encore ?
— Non, mais j’aperçois Mme Langford-Hughes à travers la vitrine, accompagnée de Chris Chandler et d’un autre personnage. Ils savent que nous attendons une livraison.
— Tiens-leur compagnie jusqu’à ce que je descende.
Tracker lui lâcha la main au moment où elle raccrocha.
— Il faut que j’y aille.
— Je sais, répondit-il en lui souriant, avant de baisser les yeux sur les dés. Je crois que je saurai me souvenir de là où nous nous sommes interrompus. On pourra reprendre ce soir.
Il avait, dans les yeux, de l’amusement et quelque chose de bien plus dangereux quand il les planta dans les siens.
— Penses-y pendant que tu prends ta douche, que tu t’habilles et que tu passes une longue journée dans ton magasin. L’attente a toujours le pouvoir d’accroître le plaisir.
Son sourire fut malicieux, prometteur.
— Toi aussi, penses-y.
Sur le coup d’une impulsion, elle se pencha et effleura sa bouche de la sienne. Une pensée soudaine lui traversa alors l’esprit.
— Je ne peux pas, ce soir. Je suis prise.
— Un rendez-vous galant ?
— Non, d’affaires. Après le travail, je suis invitée à une réception chez Millie Langford-Hughes, une cliente très importante.
— Pas de problème.

Elle l’observa un moment, bien incapable de déchiffrer son expression. Elle devrait se détendre, maintenant qu’il avait accepté le marché, mais elle avait encore peur qu’il disparaisse quand même à tout moment. Et quand, moyennant une somme astronomique, elle était allée s’épancher chez un thérapeute, elle avait finalement « découvert » ce qu’elle savait déjà : elle souffrait du syndrome de l’abandon.
Et elle tenait toujours la main de Tracker…
— Aimerais-tu m’accompagner ?
Fut-ce un éclair de surprise, qui traversa son regard ?
— Tes désirs sont des ordres, princesse. Je pourrais aussi te donner un coup de main, à la boutique, si cela te rend service.
— La boutique. Il faut que je descende.
Elle repoussa ses cheveux et fila vers la salle de bains, avant de se figer à la porte.
— Merci. Sers-toi de café, de ce que tu veux.
Puis elle disparut.
Cinq secondes, Tracker envisagea de la suivre. La princesse avait pris le contrôle de sa tête et d’une partie bien moins disciplinée de son anatomie. Le fait qu’il ait pu s’empêcher, de lui-même, de s’offrir un deuxième round avec elle ne laissait d’ailleurs pas de l’étonner. Surtout après qu’elle lui ait demandé s’il croyait possible la petite manœuvre avec le ruban. Il ne songeait plus qu’à la prendre comme cela.
A vrai dire, il comptait bien la prendre dans toutes les positions possibles et imaginables chaque fois qu’elle lui en donnerait l’occasion. Il avait les hormones en surrégime, ce qui était dangereux, et ça n’allait pas être une mince affaire que de garder sa libido et sa liaison sous un tant soit peu de contrôle tant qu’il avait un travail à faire.
Travail. Il rassembla ses vêtements, les enfila et s’en fut vers la cuisine. Inutile de se raconter des histoires. Il avait, pour une bonne part, accepté cette liaison parce qu’il n’avait pas pu s’en empêcher. Et peu importait la face sur laquelle serait retombée la pièce.
Après avoir versé du café dans deux tasses, il en porta une à ses lèvres et but une longue gorgée du liquide brûlant. En espérant ne pas avoir fait la plus grosse boulette de son existence. Quand la vérité était de sortie, il y avait forcément quelqu’un de blessé. Sophie. Car comment réagirait-elle en apprenant que leur liaison était l’excuse rêvée pour lui servir de garde du corps pendant les jours à venir ?
— Prêt ? lança-t-elle en émergeant de la salle de bains.
Il l’avait déjà vue plus élégamment habillée, alors bon sang, pourquoi le fait de la voir ainsi, en pantalon rouge vif et chemisier de soie abondamment fleuri lui avait-il donné un tel coup dans l’estomac ? Elle avait rassemblé ses cheveux en un chignon lâche sur le dessus de sa tête, ne laissant s’échapper que quelques petites mèches savamment rebelles. Aux pieds, elle portait une paire de sandalettes noires très seyantes. Le simple fait de la regarder lui mit l’eau à la bouche.
—Du café ! Tu me sauves la vie, s’écria-t-elle, avalant vite fait deux gorgées.
Ce n’était pas tout à fait assez, mais tant pis.
Puis elle cavala vers la porte, et était déjà hors de vue quand il parvint dans l’entrée. C’était lui qui avait installé le système de surveillance de la boutique, ce qui lui avait permis de bien connaître les lieux, mais il préféra se les remettre à la mémoire alors qu’il la suivait. La porte au pied de l’escalier donnait sur une petite cour. De l’autre côté du treillis couvert de roses se trouvait l’allée dans laquelle se garaient généralement les camions de livraison.
L’autre porte menait à l’arrière-boutique. Il y pénétra, passa devant les tables à emballer et au travers des portes battantes et trouva Sophie près de la caisse, déjà en grande conversation avec Noah Danforth. Grand et blond, pourvu de lunettes à monture sombre, il était manifestement vêtu à la dernière mode.
Derrière eux, trois clients étudiaient un saladier bleu comme s’ils espéraient y découvrir le secret de l’univers. La femme était grande et portait un tailleur bleu vif surmonté d’un chapeau blanc à large bord. Le jeune homme, petit et râblé, avait rassemblé ses cheveux longs en catogan. Un diamant étincelait à son petit doigt. Le troisième personnage, plus âgé et plus corpulent, avait un faciès jovial et bonhomme. Avec la barbe plus longue, il lui aurait fait penser à un mélange de Père Noël et d’Ernest Hemingway.
Alors que Sophie les rejoignait et se laissait emporter dans une ronde de bises et de poignées de main, il en profita pour aller tendre la main au jeune homme près de la caisse.
— Bonjour, je suis Tracker McGuire, un ami du frère de Sophie. Elle a fait mention d’une grosse livraison aujourd’hui, et je me suis proposé d’aider au déchargement.
— Noah Danforth, répondit l’autre en lui serrant la main. Un coup de main ne sera pas de trop. Un de ces jours, elle va finir par se blesser en essayant de déplacer certaines des grosses pièces dans l’arrière-boutique.
— Des clients importants ? demanda-t-il, mine de rien.
Il pensait bien reconnaître ces trois personnes d’après les descriptions de Chance, mais cela ne coûtait rien de se faire confirmer une intuition.
— La femme est Millie Langford-Hughes, chuchota Noah, et le jeune homme est Chris Chandler, le décorateur le plus en vogue sur Capitol Hill, en ce moment. Il adore se fournir ici.
Ce qu’il n’ajouta pas, mais que Chance lui avait appris, c’était que Millie Langford-Hughes était l’hôtesse la plus en vue de la capitale, et que c’était principalement à elle que Chris Chandler devait sa notoriété. Toujours selon Chance, Chandler était parfaitement placé pour servir d’acheteur au Maître des Marionnettes.

— Et je crois, poursuivit Noah sur le même ton, que le barbu est Sir Winston Hughes, le mari de Millie depuis trois mois. Ils rentrent tout juste de lune de miel à l’étranger, et c’est sa première visite à la boutique.
L’accent cultivé et le ton de confidence de Noah lui donnèrent l’impression d’accéder à des secrets d’Etat. Sir Winston et sa nouvelle épouse étaient également sur la liste de Chance à cause des très fréquentes visites de Millie au magasin, se souvint-il.
Durant ces quelques minutes de conversation, il décida que Noah Danforth, avec son style paisible et contenu, était le faire-valoir idéal du charme plus déluré de Sophie.
La sonnette tinta, et la porte s’ouvrit devant un homme d’une cinquantaine d’années, aux cheveux, costume et cravate uniformément gris.
— Je vous prie de m’excuser, dit Noah à mi-voix en sortant de derrière la caisse. Un de nos habitués, membre du Congrès. Monsieur Blaisdell, que puis-je pour vous ?
Resté seul, Tracker s’accouda au comptoir et embrassa la boutique du regard. A première vue, et malgré ses grandes dimensions, il paraissait y régner un incroyable fouillis. Mais, en y regardant de plus près, ce chaos était manifestement artistiquement ordonné.
Meubles de rangement, vitrines et tables étaient intelligemment disposés afin d’attirer l’attention du chaland et permettre la circulation. Vases, peintures et petit mobilier étaient tous agencés avec un sens certain de la décoration. En face de lui se dressait une armoire d’acajou étincelant dont les portes ouvertes révélaient des châles et des robes d’époque aux dentelles jaunies. Non loin, une table de même facture était entourée de chaises et dressée pour huit personnes, avec vaisselle de porcelaine, argenterie et verres de cristal.
Il se souvint qu’il y avait deux autres pièces, plus petites, au premier étage, et il s’en fut d’un pas nonchalant vers l’escalier.
— Ceci est splendide, tout bonnement splendide, commentait Chris Chandler en se frottant les mains devant le saladier de céramique qu’il étudiait. Cette nuance bleu-vert s’harmonisera tout à fait avec le vestibule de Millie. Comment l’avez-vous déniché, Sophie ?
— Il provient de cette boutique que j’ai trouvée sur la côte Ouest de l’Angleterre. Le propriétaire expose des artistes locaux, et il ouvre l’œil pour moi. Je vous mets une option sur ce saladier, mais avant de prendre une décision, attendez de voir les autres pièces dans le chargement qui arrive aujourd’hui.
— Quand cela ? s’enquit Millie.
— Il ne devrait plus tarder, répondit Sophie en regardant sa montre.
Et, comme si elle n’attendait que cela, la clochette de la porte de service retentit.
— Quand on parle du loup, s’écria Sophie, jetant un coup d’œil par-dessus son épaule.
— Ne vous gênez pas pour nous, très chère, dit Millie. Je tenais seulement à m’assurer que vous viendrez ce soir. Je présente Sir Winston à la bonne société de Washington. Tout le monde sera là.
— Je m’en voudrais de manquer cela, et je ne viendrai pas seule.
— Vraiment ?
Sur un geste de Sophie, Tracker rejoignit le petit groupe et serra des mains pendant qu’elle faisait les présentations.
— A ce soir, donc, lança Millie alors que Chris et son mari l’entraînaient vers la porte.
— Je repasserai après déjeuner pour inspecter le chargement. Merci, dit Chris.
Dès que Sophie disparut en direction de l’arrière-boutique, Tracker gravit l’escalier deux à deux afin d’inspecter le premier étage. Il avait dessiné le système de sécurité en se basant sur les plans, et il vérifiait maintenant le travail effectué par ses hommes en déambulant dans deux chambres à coucher élégamment décorées et pleines à ras bord d’objets haut de gamme. Un cambrioleur futé pourrait passer à travers la première ligne de défense, mais la deuxième strate du système qu’il avait inventé bernerait même un expert.
Satisfait de la sécurisation du magasin, il regarda par une imposte dans la cour arrière et vit Sophie recevoir une liste de l’un des livreurs. Puis elle fit un signe à un autre homme quand il sortit la tête du camion.
Ce n’était pas uniquement la Sophie Wainright au joli minois qu’il avait sous les yeux, ce matin, mais la femme d’affaires avisée qui, en cinq ans, avait réussi à attirer dans sa boutique beaucoup de personnages influents de Washington.
Ce qui ne devrait pas le surprendre. La première fois qu’il l’avait vue, elle était passée devant lui pour aller coller un direct du droit à son frère. Elle avait désapprouvé le fait que Lucas l’ait embauché pour espionner son fiancé. Et maintenant, c’étaient non seulement elle, mais ses clients, qu’il espionnait. Et en plus, il couchait avec elle.
Regarde la vérité en face, McGuire. Tu as eu envie de lui faire l’amour dès l’instant où tu l’as arrachée à Lucas, ce jour-là, et où elle a pleuré dans tes bras. Force était de reconnaître que son attirance datait de ce jour précis et l’avait mené là où il était à présent. Coincé entre le marteau et l’enclume.
En bas, la clochette tinta, des voix résonnèrent. Il ne lâcha pas Sophie des yeux alors qu’elle gravissait la rampe menant au camion.
Il n’était pas trop tard pour lui dire la vérité. Il pourrait descendre tout de suite et lui dire la véritable raison de sa présence. Oui, mais ensuite, il faudrait faire avec sa réaction. Elle pourrait très bien lui ordonner de déguerpir. Et c’était impossible. Elle l’avait déjà berné une fois, l’an dernier, en se faisant passer pour Mac, et en finissant kidnappée à la place de son amie, justement. Elle n’avait pas été loin d’y laisser la vie. Cette fois, il ferait tout pour la protéger.

Les deux livreurs entreprenaient de descendre une caisse le long de la rampe quand un autre personnage sortit par la porte de derrière et arriva dans la cour. John Landry. Tout en jurant dans sa barbe, Tracker se détourna de la fenêtre et courut vers l’escalier.
S’il voulait protéger Sophie, il ferait peut-être mieux de garder le travail à l’esprit.
— Posez-la dans l’arrière-boutique, dit Sophie. Noah s’occupera de la déballer.
Alors que les débardeurs mettaient pied à terre avec la caisse, John Landry mit le pied dans la cour.
— Vous arrivez juste à temps pour nous aider, s’exclama Sophie.
En souriant, il la rejoignit sur le camion.
— C’est pour cela que je suis venu. Que puis-je faire ?
Elle jeta un coup d’œil à sa liste, puis vérifia le numéro d’une caisse plus petite et posa le doigt dessus.
— Ceci doit être une écritoire Louis XIV. Deux de mes clients vont faire monter son prix en enchérissant l’un sur l’autre pour l’avoir. Vous pensez pouvoir la porter seul ?
— Je vais lui donner un coup de main, dit Tracker en les rejoignant. Mais permettez que je me présente. Tracker McGuire.
— John Landry.
En voyant que ni l’un ni l’autre ne tendaient la main, Sophie se crut tenue d’intervenir :
— Tracker est un ami de mon frère, et il a proposé de m’aider aujourd’hui.
Ni l’un ni l’autre ne fit mine de l’avoir entendue, et le silence s’éternisa.
— Je prends ce côté, finit par dire Tracker. Vous y êtes ?
— Oui, répondit Landry en soulevant l’autre extrémité de la caisse.
Sophie les regarda faire, renfrognée, jusqu’à ce qu’ils arrivent à descendre la rampe. Alors, l’espace d’un instant, elle eut l’impression qu’ils allaient en venir aux mains. Mais la caisse arriva sans encombre dans l’arrière-boutique. Elle reporta son attention sur sa liste de caisses numérotées.
Quatre d’entre elles venaient de l’échoppe dont elle avait parlé à Chris et Millie. Elle s’y était arrêtée deux fois, lors de son dernier voyage en Angleterre. Enfin, elle localisa la caisse qu’elle cherchait. Celle qui, d’après la liste, contenait le cheval de céramique qu’elle cherchait depuis des siècles.
Elle empoigna la caisse et descendit la rampe en trombe. S’il lui plaisait vraiment, elle le garderait pour sa collection. Et ce fut l’âme en fête qu’elle escalada en courant l’escalier menant à son appartement.
Décharger le camion et disposer les objets dans la boutique nécessita plus de deux heures de manutention. Tout en aidant à vider les caisses et à vérifier que rien n’avait souffert du transport, Tracker eut largement le temps de chercher des tiroirs secrets, des doubles-fonds ou des fausses façades. L’ennui, c’est qu’il en alla de même pour Landry, pour Noah, et même pour Chance, qui s’était joint à eux une heure avant de devoir ouvrir sa galerie. Pour autant que le sût Tracker, aucun n’avait rien trouvé.
Et puis, il fallut disposer et étiqueter le nouveau stock. En travaillant, il eut tout loisir d’observer la manière dont Sophie se comportait avec les trois hommes.
Elle traitait Noah en petit frère, alternant taquineries et louanges. Avec Chance, elle paraissait avoir le même genre de relation qu’avec Noah. Ce n’était qu’avec Landry qu’elle était différente. Elle ne le taquinait pas, ne le touchait pas aussi facilement que les deux autres. Elle était… réservée, en quelque sorte. Oh, il y avait du désir chez Landry, il l’avait vu dans ses yeux, la veille au soir, et aussi quand il les avait rejoints dans le camion. Mais, dans la manière d’être de Sophie vis-à-vis de Landry, tout ce qu’il pouvait percevoir, c’était… du regret ?
Il dut faire un effort pour écarter cette idée. Landry était peut-être partie prenante dans cette opération de contrebande. C’était là-dessus qu’il devrait se concentrer, et non sur la relation du personnage avec Sophie.
Ils avaient tous travaillé dur. Même Landry avait fourni sa part d’effort. Mais ce fut Sophie qui le surprit le plus. Loin de se *******er de son rôle de princesse du lieu, et de distribuer des ordres, il la vit plus souvent qu’à son tour s’efforcer de déplacer des meubles trop lourds pour elle. Par deux fois, il la surprit à trimbaler des objets très pesants et dut les lui prendre des mains.
Finalement satisfaite de la disposition du magasin, elle les poussa tous dans l’arrière-boutique et sortit un pack de bières du réfrigérateur.
— A votre santé, dit-elle en le posant sur la table, avant d’être rappelée dans le magasin par le tintement de la clochette.
— Ce sera pour une autre fois, dit Chance en enfilant sa veste. La galerie m’appelle.
— Est-ce que vous recevez souvent de telles livraisons ? s’enquit Tracker en acceptant la canette décapsulée que lui tendait Noah.
— Deux ou trois fois par mois, répondit ce dernier. Sophie a deux contacts en Angleterre, un à Londres et un sur la côte Ouest. Les affaires marchent bien, et il faut régulièrement renouveler le stock.
— Etes-vous un de ces contacts ? demanda-t-il alors à Landry.
— Je l’ai aidée à dénicher une ou deux pièces. Je dispose d’un vaste réseau de fournisseurs, et je m’efforce de la convaincre de faire plus souvent appel à moi quand elle recherche des pièces qu’on lui a commandées spécialement.
Ces commandes spéciales, allaient-elles jusqu’à des bijoux ou des objets d’art frauduleusement importés ? Chance pensait peut-être que ce type était au-dessus de tout soupçon, mais lui-même n’en était pas persuadé. Il l’avait vu témoigner un intérêt un peu trop appuyé au moindre objet sortant des caisses.
— Elle va bientôt chercher un bureau Reine Anne, intervint Noah. M. Blaisdell lui en a demandé un, ce matin.
— Sauriez-vous quelles autres pièces je pourrais éventuellement rechercher pour elle ? demanda Landry.
Les laissant discuter, Tracker gagna la porte menant au magasin. Une jeune femme attendait, et Sophie, montée sur un escabeau tentait d’atteindre quelque chose dans la vitrine. Elle faillit perdre l’équilibre sous ses yeux. Il la rejoignit en trois enjambées.
— Laisse-moi faire, intervint-il, posant les mains autour de sa taille. Que veux-tu attraper ?
— La poupée de porcelaine, là, sur le cheval à bascule.
Au moment où il la lui tendit, elle décolla prestement l’étiquette et la fourra dans sa poche. Puis elle la confia à la jeune femme. Celle-ci la tourna et la retourna dans ses mains, lissa le col de dentelle.
— Melly va l’adorer. Je travaille chez le glacier, de l’autre côté de la rue, et chaque fois que nous passons devant votre vitrine, elle s’arrête pour la regarder.
— Je crois qu’elles vont bien aller ensemble, dit Sophie. Quel âge à Melly ?
— Elle aura six ans le 4 juillet, répondit la jeune femme avant de poser la poupée sur le comptoir. Combien vous dois-je ?
Sophie ramassa la poupée et l’examina, pensive.
— L’étiquette a dû tomber, dit-elle en plissant les yeux. Vingt-cinq dollars.
La femme la fixa, ahurie.
— Je croyais qu’il avait dit… le jeune homme à qui j’ai demandé… il m’avait dit qu’elle coûtait plus de cent dollars, bafouilla-t-elle, tendant la main vers sa poche. J’ai l’argent.
— Vous avez dû parler avec Noah, mon assistant.
— Oui. Et je suis sûre qu’il a dit…
Sophie se pencha vers elle, complice.
— Les hommes ! Ils ne connaissent absolument rien aux poupées. Demandez-lui le prix du secrétaire Louis XV, là-bas, et il vous le dira sans même regarder. Mais il se trompe toujours pour les poupées. Celle-ci coûte vingt-cinq dollars. A prendre ou à laisser.
La femme ouvrit la bouche, la referma. Dans son regard, Tracker vit la fierté le disputer à l’envie d’offrir le jouet de ses rêves à sa fille.
— Je prends.
— Bien. Je vais vous faire un paquet, dit Sophie en emportant la poupée dans l’arrière-boutique.
Ainsi, la princesse avait du cœur. S’il ne l’avait pas déjà appréciée, ce serait fait à l’heure qu’il était.
— Nous nous verrons donc ce soir ? entendit-il dire Landry alors qu’il regagnait lui aussi l’arrière-boutique.
Il se rembrunit. Le gaillard ne lâchait pas facilement prise.
Il poussait la porte quand Sophie répondit :
— Bien sûr.
Noah avait disparu, et il vit Landry effleurer la joue de Sophie d’un baiser.
— Voulez-vous que je passe vous chercher ? demanda-t-il.
— Je dérange ? fit Tracker en entrant.
Sophie lui jeta un regard en coin.
— John doit partir, mais il assistera à la réception de Millie Langford-Hughes, ce soir, expliqua-t-elle avant de se tourner vers Landry. Tracker sera également là.
— Nous y allons ensemble, précisa l’intéressé.
— Je vois.
Eh bien oui, c’est comme ça, songea Tracker, gardant Landry à l’œil tant qu’il n’eut pas franchi la porte.
— Tu as volontairement essayé de l’intimider, dit Sophie.
Tracker reporta son regard sur elle et lui sourit.
— Je n’ai pas fait qu’essayer.
— Déjà, dans le camion, tu as fait la même chose. Pourquoi ?
— Il te veut, et…
Il s’interrompit avant que les mots ne lui échappent. Avant de dire « tu m’appartiens ». Au lieu de cela, il réussit à sourire.
— Et nous avons passé un accord, princesse.
— Exact, répondit-elle en venant à lui, l’œil scrutateur. Et je ne crois pas que tu me dises l’entière vérité. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer ta manière de l’observer pendant que nous déballions les caisses. Tu observais tout le monde, à propos. Pourquoi ?
Elle était intelligente, et s’il n’y prenait pas garde, la princesse n’allait pas tarder à en comprendre nettement trop pour son bien. Il se maudit intérieurement et se rapprocha d’elle.
— C’est à cause des dés.
— Les dés ? s’étonna-t-elle en ouvrant de grands yeux alors qu’il la coinçait contre le comptoir.
— Je ne veux pas que tu t’en serves avec un autre homme. Seulement avec moi.
Et il comprit alors que c’était la vérité. Qu’il proférait dans le même temps la vérité la plus absolue et le pire des mensonges. Mais il ne pouvait la laisser soupçonner la véritable raison de sa présence chez elle et dans son lit. Des années à vivre dans la rue lui avaient donné le talent de mentir de façon très convaincante.
— Tu es jaloux ?
— Ça se pourrait. Il est beau, je ne le suis pas.
Il se rapprocha encore et vit son reflet dans ses yeux qui s’assombrissaient. Non, il n’était pas beau. Il assurerait sa sécurité par tous les moyens possibles. Y compris en couchant avec elle. Il baissa la tête et fit courir sa bouche sur sa mâchoire. Puis il lui murmura à l’oreille :
— Te souviens-tu de ce que disaient les dés, princesse ?
— Oui, répondit-elle, le souffle court.
— Dis-le-moi.
— Non.
— Non ?
Surpris, il s’écarta pour la regarder. Elle avait dans les yeux un mélange de désir et d’espièglerie.
— Tu ne préfères pas que je te montre ? dit-elle.
Une main se posa alors sur lui, puis se déplaça tout le long de sa braguette. Il tressaillit et ravala un gémissement.
— Sophie…
Il agrippa le bord du comptoir derrière elle, très fort, en n’imaginant que trop ce que cela ferait, d’avoir ses mains sur lui sans la barrière des vêtements. L’espace d’un instant, il se laissa aller à imaginer qu’il l’extrayait de ce pantalon rouge, qu’il la juchait sur le comptoir et qu’il s’enfouissait en elle. Oh, juste l’espace d’un instant. Puis il chuchota :
— Dans trois secondes, la maman de Melly pourrait bien avoir le choc de sa vie.
Lentement, elle écarta la main. Puis elle croisa son regard.
— Nous finirons cela plus tard.
— A ta disposition, princesse.
Il lâcha sa prise sur le comptoir et s’écarta, puis la regarda ramasser le paquet et gagner la porte de la boutique. Alors, il prit une profonde inspiration, et expira lentement.
Avant de pousser le battant, elle se retourna.
— Et puis ensuite, ce sera à mon tour de lancer les dés.
Et il crut recevoir un uppercut à l’estomac. Se servir du sexe pour distraire Sophie allait peut-être se révéler une arme à double tranchant.
Le Maître des Marionnettes sourit à son vis-à-vis en pianotant un numéro sur son téléphone. La partie d’échecs se déroulait impeccablement bien. D’ici très peu de temps, il serait en possession de la dernière pièce.
— Rapport, dit-il dès qu’on décrocha à l’autre bout de la ligne.
— Je ne l’ai pas.
Le sourire s’évanouit.
— Vous m’avez trahi ?
— Non. Je vous jure qu’elle ne se trouve pas à la boutique.
D’une main, il balaya les pièces de l’échiquier.
— Elle a été envoyée. Je dispose d’une copie du manifeste d’expédition sous les yeux. Vous m’avez trahi.
— Non. Je vais mettre la main dessus. Je crois savoir ce qui a pu se passer.
— Ce qui a pu se passer ?
— Vous l’aurez bientôt. Je vous l’apporterai en personne.
— Vous avez jusqu’à minuit.
Il coupa la communication et s’obligea à sourire à son vis-à-vis.
— Toutes mes excuses. Nous allons devoir recommencer une partie.

 
 

 

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ÇáÊÓÌíá: Apr 2008
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désole pour le retard, et je vous souhaite bonne lecture

 
 

 

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ÞÏíã 21-12-09, 05:18 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 15
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ÇáÊÓÌíá: Feb 2008
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