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Un mariage plein de surprises de LYNNE GRAHAM

Un mariage plein de surprises (résumé) Quatre ans après avoir épousé Roel Sabatino, Hilary est bouleversée quand on lui demande de se rendre au chevet de ce dernier, victime

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ÇáÊÓÌíá: Mar 2008
ÇáÚÖæíÉ: 68801
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 4
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Proud Un mariage plein de surprises de LYNNE GRAHAM

 


Un mariage plein de surprises (résumé)
Quatre ans après avoir épousé Roel Sabatino, Hilary
est bouleversée quand on lui demande de se rendre au chevet de ce dernier, victime d'un accident de voiture.
Une fois à l'hôpital, elle apprend que Roel a perdu le
souvenir des cinq dernières années... Désemparée, la
jeune femme comprend alors qu'il ne se souvient pas
qu'ils ne se sont jamais revus depuis la signature de leur
contrat de mariage. Un mariage arrangé et qui était censé
se conclure par un divorce.
Pour ne pas compromettre le rétablissement de celui
qu'elle aime en secret et qui est encore son époux,
Hilary va devoir se comporter comme s'ils menaient
ensemble une vie conjugale heureuse et sans nuages.
Pourtant, elle le sait, la mémoire ne tardera pas à revenir
à Roel. Ce jour-là, ne risque-t-elle pas de perdre pour
toujours l'homme qu'elle a aimé dès le premier regard ?






1.






— Evidemment, vous ne reconduirez pas son contrat :
il n'y a pas de place pour les mauvais administrateurs
de biens au sein de la Banque Sabatino.
Roel Sabatino fronçait les sourcils sous l'effet de la
contrariété. Banquier d'affaires réputé, il n'avait pas
de temps à perdre en conversations inutiles et c'était
précisément l'impression qu'il avait en cet instant.
A l'autre bout du fil, Stefan Weber, le directeur des
ressources humaines de la banque Sabatino, s'éclaircit
la gorge.
— Je pensais que... Peut-être qu'un entretien avec
Rawlinson suffirait à le remettre sur les rails...
— Je ne crois pas en ce genre d'entretien et il n'est
pas dans mes habitudes d'accorder une deuxième
chance, répondit Roel d'un ton glacial. Nos clients
sont aussi exigeants que moi, soit dit en passant. La
réputation de notre banque repose précisément sur nos
résultats financiers.
Stefan Weber s'abstint de tout commentaire. La
réputation de la banque Sabatino reposait aussi, voire
surtout, sur la renommée internationale de Roel Sabatino

en tant que financier éclairé et expert incontesté en
gestion des patrimoines privés.
Multimillionnaire suisse, Roel était le descendant
de neuf générations de banquiers d'affaires, et certai-
nement le plus brillant de tous. D'une intelligence
aiguë, il faisait une brillante carrière dans le milieu
de la finance. Revers de la médaille : il ne témoignait
aucune compassion envers les employés qui avaient le
malheur de rencontrer des problèmes d'ordre privé.
A la vérité, son absence totale d'états d'âme était
autant redoutée qu'admirée par ses pairs.
Malgré tout, Stefan fit une dernière tentative.
— A la décharge de Rawlinson, sa femme l'a plaqué
le mois dernier...
— Je suis son patron, pas son conseiller conjugal,
trancha Roel.
Pour lui, le sujet était clos.
— Sa vie privée ne m'intéresse pas, conclut-il.
Après avoir pris congé de son directeur des ressources
humaines, Roel quitta ensuite son bureau aux allures
de palais, et s'engouffra dans l'ascenseur privé qui le
conduisit directement au parking souterrain. Là, il se
glissa au volant de sa Ferrari, une moue dédaigneuse
aux lèvres. Comment un homme pouvait-il jeter aux
orties une carrière prometteuse à cause d'une femme ?
Fallait-il donc manquer de force de caractère et d'auto-
discipline ! songea-t-il en secouant la tête d'un air
sombre.
La vie n'était pas une partie plaisir, il l'avait appris
dès son plus jeune âge, lorsque sa mère avait abandonné
sans scrupule le domicile conjugal, le privant du même

coup de l'amour maternel dont il avait besoin, comme
tous les enfants du reste. Placé en pensionnat dès l'âge
de cinq ans, il rentrait chez lui uniquement pour les
vacances, si ses résultats scolaires correspondaient
aux exigences inflexibles de son père.
Ainsi élevé dans le déni de ses propres émotions,
Roel avait appris très jeune à ne compter que sur lui-
même.
Son téléphone de voiture sonna alors qu'il était coincé
dans les embouteillages genevois de la mi-journée.
L'espace d'un instant, il regretta de ne pas avoir pris
sa limousine avec chauffeur.
Il décrocha et la voix claire de Paul Correro, son
avocat, résonna dans l'habitacle.
— Bonjour Roel !
— Bonjour Paul. Que me vaut l'honneur de ton
appel ? répondit-il sur un ton amusé.
Son ami eut un petit rire.
— Eh bien, commença-t-il, en tant que conseiller
juridique, il est de mon devoir de te rappeler qu'il serait
peut-être temps de mettre un terme à une certaine
relation.
Roel et Paul s'étaient rencontrés alors qu'ils étaient
tous les deux étudiants et des liens d'amitié s'étaient
vite noués entre les deux jeunes gens. En temps normal,
Roel appréciait le sens de l'humour et le côté bon
enfant de l'avocat qui était une des rares personnes à
pouvoir se vanter d'avoir atteint un certain degré de
familiarité avec lui.
Ce jour-là toutefois, il ne se sentait pas d'humeur à
jouer aux devinettes.

— Va droit au but, Paul.
— Cela fait déjà un petit bout de temps que j'y pense,
figure-toi, reprit son ami d'un ton hésitant, ce qui ne
lui ressemblait guère. A dire vrai, j'attendais que tu
soulèves la question le premier. Quatre années se sont
presque écoulées... Le moment n'est-il pas venu de
mettre un terme à ton mariage de convenance ?
Pris de court alors que les voitures qui le précédaient
recommençaient à avancer, Roel lâcha brusquement la
pédale d'embrayage. La Ferrari fit un bond en avant puis
cala pitoyablement, déclenchant un concert de Klaxon
impatients qui heurtèrent la fierté toute masculine de
son conducteur.
Diffusée par les haut-parleurs de la voiture, la voix
profonde de Paul poursuivit :
— J'aurais aimé te voir cette semaine si tu as un
moment à m'accorder, parce que je pars en vacances
lundi prochain.
— Impossible, répondit Roel. Je n'ai pas une minute
à moi cette semaine.
— J'espère que je ne t'ai pas vexé en abordant la
question, au moins...
— Dio mio ! Pour être tout à fait franc avec toi,
j'avais complètement oublié cette histoire. Tu me prends
au dépourvu, si tu veux tout savoir ! conclut Roel en
laissant échapper un rire rauque.
— Je n'aurais jamais cru que cela fût possible,
répliqua Paul, ironique.
— Ecoute, je te rappellerai un peu plus tard...
la circulation est infernale, expliqua Roel avant de
raccrocher.

Sitôt qu'il eut raccroché, sa bouche aux contours
sensuels prit un pli dur. Paul avait eu raison d'attirer
son attention sur le mariage qu'il avait été obligé de
contracter quatre ans plus tôt. Comment avait-il pu
oublier de dissoudre légalement ce lien, si ténu fût-il,
en entamant une procédure de divorce ? Mais le temps
passait tellement vite, il n'avait jamais un moment à
lui.
Inévitablement, ses pensées se tournèrent vers les
circonstances qui l'avaient poussé à prendre une épouse,
dans le simple but de contourner les clauses pour le moins
extravagantes du testament de son grand-père.
Clémente Sabatino avait consacré toute sa vie et
son énergie au développement de la banque familiale ;
implacable en affaires, c'était un homme intègre et
droit qui ne s'était jamais écarté de la ligne de conduite
qu'il s'était fixée.
Mais peu de temps après son départ à la retraite,
Clémente s'était amouraché d'une très jeune femme qui
avait réussi l'exploit de chambouler complètement sa
conception quelque peu rigide de la vie. Libéré de tous
les interdits qu'il s'était imposés jusqu'alors, Clémente
était devenu un fervent adepte de la philosophie New
Age et avait même épousé — brièvement, certes — la
jeune croqueuse d'héritage.
Son soudain changement de comportement l'avait
éloigné de son fils pendant plusieurs années. Mais
si le père de Roel, très à cheval sur les convenances,
avait rompu tout lien avec le vieil homme, Roel, pour
sa part, n'avait jamais cessé de donner des nouvelles à
ce grand-père qu'il affectionnait particulièrement.

Clémente Sabatino était décédé quatre ans plus tôt.
A la lecture de son testament, Roel était tombé des
nues... Car son grand-père avait stipulé que le Castello
Sabatino, la majestueuse demeure familiale, transmise
de génération en génération depuis plusieurs siècles,
deviendrait propriété de l'Etat si son petit-fils ne se
mariait pas avant une date fixée par ses soins.
Bien que Roel ait été élevé dans un environnement
affectif très limité, il chérissait néanmoins les souve-
nirs des séjours qu'il avait faits, enfant, au castello
Sabatino.
Certes, sa fortune lui aurait permis d'acquérir cent
châteaux du même genre, s'il l'avait souhaité, mais
celui-ci occupait une place spéciale dans son cœur,
même s'il répugnait à l'admettre. Depuis des siècles,
les Sabatino occupaient ce splendide château, perché
au sommet d'une colline et surplombant une vallée
verdoyante : la simple idée qu'il puisse quitter le
patrimoine familial avait horrifié Roel.
Quelques mois après la lecture du testament, alors
qu'il se trouvait à Londres pour affaires, Roel avait
profité d'une pause chez le coiffeur pour évoquer le
problème au téléphone avec son ami Paul. Il s'expri-
mait en italien et, certain que personne autour de lui
ne comprenait un traître mot de ce qu'il disait, il se
sentait aussi à l'aise que s'il s'était trouvé dans l'intimité
de son bureau. Aussi avait-il été très surpris lorsque la
jeune coiffeuse qui s'occupait de lui avait proposé de
tenir le rôle de « fausse épouse » dont il avait besoin
pour conserver le château auquel il tenait tant...

Et voilà comment Hilary Ross lui avait vendu sa
main, en vertu d'un contrat en bonne et due forme.
Quel âge pouvait-elle bien avoir, à présent ? Vingt-trois ans, lui répondit sans hésiter une petite voix moqueuse, elle avait sans nul doute conservé son allure juvénile.
A l'époque, c'était une ravissante jeune femme, toute
en courbes délicieusement féminines, toujours vêtue
de noir et un peu trop maquillée, se souvint Roel en
esquissant un sourire indulgent. Et surtout, elle était
incroyablement sexy...
Avant que le feu passe au vert, Roel ouvrit son porte-
feuille et, d'un geste adroit, extirpa la photo qu'Hilary
lui avait donnée quelques années plus tôt.
Au dos du cliché, elle avait écrit par espièglerie : « Ta
femme, Hilary ». Suivait son numéro de téléphone.
— Comme ça, vous ne m'oublierez pas, avait-elle
murmuré d'un ton léger alors même qu'elle savait
pertinemment qu'il ne chercherait pas à la contacter,
sauf en cas de nécessité absolue.
« Embrassez-moi » avaient silencieusement imploré
ses grands yeux gris. Armé d'une volonté de fer, Roel
avait résisté à la tentation. Le contrat qu'ils avaient
conclu était d'une clarté limpide, il était hors de
question qu'il se passe quelque chose entre eux. Paul
l'avait averti : le moindre dérapage pouvait lui coûter
une petite fortune.
Comment avait-il pu se sentir attiré par cette fille ?
songea Roel en exhalant un soupir irrité. Issue d'un
milieu plus que modeste, elle avait quitté l'école à seize
ans pour suivre une formation de coiffeuse.
Dio mio... Une coiffeuse ! Une jeune femme qui,

du haut de son mètre soixante, portait sur le monde
un regard diamétralement opposé au sien.
Roel s'autorisa enfin à baisser les yeux sur le cliché
qui sommeillait depuis si longtemps dans son porte-
feuille. Il se sentait exaspéré par le tour que prenaient
ses pensées. Car il ne pouvait nier que le visage rieur
d'Hilary, éclairé en permanence d'un regard espiègle
et d'un sourire éclatant, continuait à le fasciner.
« Quand j'étais apprentie, je dépensais tout mon
argent dans les chaussures », lui avait-elle confié un
jour sans qu'il ait rien demandé. D'autres anecdotes
avaient suivi, d'autres confessions qui avaient renforcé
sa première impression : Hilary et lui vivaient sur deux
planètes différentes.
« Quand ma grand-mère a rencontré mon grand-père,
elle a tout de suite su que c'était l'homme de sa vie,
avant même de lui adresser la parole... D'ailleurs, ils
n'auraient pas pu se comprendre ! Elle ne parlait pas
l'anglais et lui pas un traître mot d'italien. C'est fou ce
que c'est romantique, vous ne trouvez pas ? »
Roel n'avait pas répondu.
A la vérité, il avait tout fait pour repousser les
tentatives de rapprochement faites par Hilary. Certes
il était certainement passé pour le pire des snobs à ses
yeux, mais à quoi bon se voiler la face ? Ils n'avaient
rien en commun, tous les deux, absolument rien. Et
puis, les mésaventures conjugales de son père et de son grand-père lui avaient appris à se méfier des créatures intéressées par l'argent. Non, vraiment, Hilary Ross
n'était pas une femme pour lui.
Pourtant, il ne pouvait oublier sa dernière entrevue


avec son épouse de convenance, le jour où ils avaient
signé leur contrat de mariage. Elle lui avait dit au
revoir d'un petit signe de la main, alors même que la
mélancolie voilait son beau regard gris.
Avait-elle rencontré un homme ? se demanda-t-il
soudain. Etait-ce elle qui, pour cette raison, avait
contacté Paul pour demander le divorce ?
Plongé dans ses pensées, Roel aborda un virage
serré.
Lorsqu'une fillette déboula sur la chaussée à la
poursuite de son ballon, il dut freiner de toutes ses
forces en braquant le volant pour l'éviter. La Ferrari
alla s'écraser contre un mur dans un horrible fracas
métallique.
Peut-être s'en serait-il sorti indemne si une autre
voiture n'avait pas, ensuite, percuté de plein fouet la
Ferrari accidentée. Aussitôt, une douleur fulgurante
traversa la nuque de Roel, qui perdit aussitôt connais-
sance.
Ses doigts étaient encore crispés sur la photo d'Hilary
lorsqu'on le transporta d'urgence à l'hôpital.

Sa tante Bautista fut appelée à son chevet. Cette
belle femme brune au tempérament de feu, âgée de
soixante ans —mais qui s'efforçait d'en paraître vingt
de moins — se sentait très contrariée par ce changement
de programme inopiné.
Elle était sûre que Roel allait s'en sortir. Il était invin-
cible, à l'instar de tous les hommes du clan Sabatino.
Mis à part le choc violent qu'il avait reçu à la tête, ses

autres blessures étaient superficielles. Alors, pourquoi
lui avait-on demandé de venir à l'hôpital ?
Demain, elle devait partir pour Milan où elle
était conviée à l'inauguration d'une galerie d'art en
compagnie de son fiancé, Dieter, un jeune et séduisant
sculpteur. Et elle n'avait aucune intention de modifier
son emploi du temps.
Dix jours plus tôt, Roel l'avait d'ailleurs profon-
dément offensée en lui annonçant que Dieter, qu'elle
projetait d'épouser, avait derrière lui un beau passé
de gigolo. Son neveu avait fait preuve d'une indéli-
catesse inadmissible ! Et puis, il se trompait : Dieter
l'aimait pour ce qu'elle était, à savoir une femme mûre
et épanouie, encore très séduisante, qui possédait de
surcroît une personnalité bien affirmée. Ses quatre
ruineux divorces n'avaient pas suffi à entamer sa foi
aveugle en l'amour éternel...
Quand un médecin vint lui annoncer que Roel
avait enfin repris connaissance mais qu'il semblait
souffrir d'amnésie, Bautista eut du mal à contenir sa
contrariété.
— L'épouse de M. Sabatino va bientôt arriver,
j'imagine ? ajouta le médecin.
— Mon neveu n'est pas marié, répliqua-t-elle.
D'un air perplexe, l'homme lui tendit une photo
froissée.
— Alors, qui est cette femme ?
Bautista étudia le cliché avant de lire l'inscription
au dos, pour le moins éloquente. Elle n'en croyait pas
ses yeux. Ainsi, Roel avait épousé une Anglaise ? Dieu
du ciel, son neveu cachait bien son jeu ! Mais n'était-il

pas connu pour sa froide réserve et son détachement
inébranlable ?
Bautista secoua légèrement la tête, intriguée malgré
elle. Quand avait-il prévu d'annoncer la nouvelle à sa
famille ? Au fond, cela n'avait guère d'importance...
En revanche, cette révélation la libérait sur-le-champ
de ses obligations familiales : si Roel avait une femme,
C'était à elle de veiller sur lui... n'est-ce pas ?
Retrouvant instantanément sa bonne humeur, Bautista
se hâta de téléphoner à la mystérieuse épouse de son
neveu.

Lorsque Hilary franchit le seuil de son appartement
et aperçut l'expression troublée de sa jeune sœur Emma,
un frisson glacial lui parcourut le dos.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en jetant sur
la table le journal qu'elle venait d'acheter.
— Une femme a téléphoné pendant ton absence...,
répondit Emma. Et j'aimerais que tu t'asseyes avant
de t'en dire plus.
Sourcils froncés, Hilary fixa sa sœur cadette, une
grande fille blonde de dix-sept ans, dont le regard gris
trahissait déjà une bonne dose de maturité.
— Ne sois pas bête, rétorqua Hilary. Tu es là, sous
mes yeux, en pleine forme, et tu es la seule famille
qu'il me reste. Donc, rien de vraiment grave ne peut
être arrivé. Dis-moi vite qui a appelé.
— Je ne suis pas ta seule famille, objecta sa sœur
d'une voix tendue. Roel... Roel Sabatino a eu un
accident de voiture.

Hilary sentit ses jambes se dérober sous elle.
— Il est... ?
— Il est vivant, ne t'inquiète pas, s'empressa d'ajouter
Emma en guidant sa sœur vers le canapé. C'est la tante
de Roel qui a téléphoné... Elle parle à peine anglais
et la conversation n'a duré que deux minutes, montre
en main...
— Est-il gravement blessé ? demanda Hilary, secouée
de violents tremblements.
Une sensation de nausée la submergea tandis que son
cerveau se mettait à fabriquer toute une série d'images
plus effrayantes les unes que les autres.
— D'après ce que j'ai compris, répondit Emma, il
souffre d'un traumatisme crânien. J'ai l'impression
que c'est assez grave. On l'a transporté dans un autre
hôpital... Ne t'inquiète pas, j'ai noté l'adresse et le
numéro de téléphone.
La jeune fille serra affectueusement le bras de sa
sœur.
— Inspire profondément, Hilary, poursuivit-elle.
Concentre-toi sur le fait que Roel est encore en vie.
Tu es sous le choc, c'est normal. Mais dis-toi que tu
seras auprès de lui demain matin.
Prise de vertige, Hilary baissa la tête. Roel... Son
amour secret, l'homme de sa vie — même si elle n'avait
représenté à ses yeux qu'un moyen pratique de parvenir
à ses fins. Roel, son mari bien-aimé qu'elle n'avait
jamais embrassé... Roel, si grand, si fort, si séduisant...
Il gisait en cet instant sur un lit d'hôpital.
Emplie d'angoisse, Hilary pria de tout son cœur
pour qu'il se remette vite de ses blessures.

Pourtant, c'était difficile pour elle de se montrer
optimiste dans ce genre de situation... Sept ans plus
tôt, l'accident de voiture qui avait causé la mort de
ses parents avait bouleversé le cours de sa vie et celui
de sa jeune sœur. Et ce jour-là à l'hôpital, l'attente
interminable, horriblement éprouvante, ne s'était pas
conclue par une bonne nouvelle...
— Je serai demain auprès de lui ? répéta Hilary au
bout de quelques minutes. Auprès de Roel ?
Etait-ce seulement envisageable... Oserait-elle se
présenter à lui ? Une vague de fol espoir la submergea.
Elle n'était sa femme que sur le papier, mais cela
ne l'empêchait pas de s'inquiéter de sa santé. Après
tout, la tante de Roel avait jugé utile de la prévenir...
A l'évidence, leur mariage n'était pas aussi secret
qu'elle le le croyait.
— Je t'ai réservé une place dans le premier vol
pour Genève, demain matin, dit Emma d'un ton
rassurant.
Hilary se mordit la lèvre.
— J'ai très envie d'aller le voir, c'est vrai, mais...
— Il n'y a pas de mais qui tienne, coupa fermement
Emma. Mets ta fierté de côté et va le rejoindre, je t'en
prie ! Tu es sa femme et je suis sûre qu'il n'est pas
trop tard pour vous réconcilier. Je suis assez mûre
MAINtenant pour me rendre compte que ce sont mes
caprices qui ont fichu en l'air votre couple.
Frappée de stupeur, Hilary regarda attentivement sa
jeune sœur. Pas une seule fois elle n'avait soupçonné
qu'Emma se reprochait l'échec de son mariage avec
Roel.

— Notre couple n'a pas tenu le coup, mais tu n'as
absolument rien à voir là-dedans, protesta-t-elle avec
véhémence.
— Arrête de vouloir sans cesse me protéger, d'ac-
cord ? Je n'étais qu'une sale gamine égocentrique, à
l'époque. On venait de perdre papa et maman et j'étais
tellement possessive avec toi que tu n'as même pas osé
me présenter Roel.
— Ecoute, ça ne s'est pas passé comme ça entre
Roel et moi.
— Si, je le sais très bien. TU m'as toujours fait passer
en premier... J'ai gâché le jour de ton mariage, j'ai
détruit votre couple avant même que vous ayez eu le
temps de prendre vos marques. Souviens-toi, enfin !
J'ai même menacé de faire une fugue si tu m'obligeais
à partir vivre à l'étranger. Bref, j'ai tout fichu en l'air...
Ne dis pas le contraire !
Emma reprit son souffle avant de conclure d'un
ton contrit :
— Tu l'aimais tellement... comment ai-je pu être
aussi cruelle ?
Hilary secoua la tête. Le moment n'était pas aux
explications, chaque chose en son temps. Pour l'instant,
toute son attention était tournée vers Roel, cloué sur
un lit d'hôpital quelque part en Suisse.
— Que t'a dit sa tante, au juste ? demanda-t-elle à
sa sœur.
— Qu'il te voulait auprès de lui, prétendit Emma.
Roel la réclamait à son chevet ? s'étonna un instant
Hilary. Mais la surprise céda vite la place à l'allégresse.
Tout à coup, elle se sentait prête à relever le défi. Pour

lui, elle aurait pu marcher sur des braises, traverser
tous les océans à la nage et franchir des milliers de
montagnes... Uniquement pour être à ses côtés. Roel
avait besoin d'elle ! Cette simple idée lui donnait des
ailes et un immense courage.
Soudain, elle fronça les sourcils. Si un homme aussi
sûr de lui que Roel réclamait sa présence, cela signifiait
forcément qu'il n'était pas dans son état normal...
Submergée par une nouvelle vague d'inquiétude, Hilary courut dans sa chambre pour préparer sa valise.
Et le salon ? dit-elle tout en choisissant quelques
vêtements avec des gestes mécaniques. Qui va s'en
occuper ?
Sally, suggéra sa sœur.
Sally Witherspoon était le bras droit d'Hilary : elle
connaissait le salon et sa clientèle aussi bien qu'elle.
- Tu m'as dit toi-même qu'elle s'en était très bien
sortie quand tu as eu la grippe, ajouta Emma.
Celle-ci regarda sa sœur se diriger d'un pas pressé vers la petite entrée de l'appartement.
Dans la pénombre, les yeux d'Hilary brillaient d'un
éclat argenté. Son visage à l'ovale délicat était auréolé
d'une chevelure d'un blond très clair, un blond platine
qu'on obtient généralement à l'aide d'une teinture.
Combien de fois avait-elle entendu Hilary expliquer à
SES clientes incrédules qu'il s'agissait bel et bien de sa
couleur naturelle ? Elle s'excusait presque de ne pas
être obligée de recourir aux artifices qu'affectionnaient
tant ses clientes.
Quand Hilary eut Sally au bout du fil, elle lui expliqua
la situation et lui demanda de passer prendre les clés

du salon. Ensuite, elle appela une coiffeuse qui leur
prêtait main-forte lorsque le carnet de rendez-vous
était plein, et lui proposa de la remplacer pendant son
absence.
Qu'importe ce que cela lui coûterait, elle n'avait plus
qu'une idée en tête : rejoindre Roel au plus vite.
Hilary reporta son attention sur sa sœur et esquissa
une grimace.
— Mais toi, je ne peux pas te laisser toute seule
ici..., dit-elle.
— Mes vacances se terminent demain et je devais
retourner à l'école en train. Je crois bien que je pour-
rais me débrouiller sans toi, répliqua Emma avec un
soupçon d'ironie. J'ai dix-sept ans, tu sais.
Un sourire se peignit sur les lèvres d'Hilary. Une
fois de plus, elle songea aux changements considérables
que son mariage avec Roel avait opérés dans leurs vies.
Elle lui devait tant...
Quatre ans auparavant, Emma et elle vivaient dans un
petit appartement miteux, au cœur d'un quartier difficile
de Londres. Les perspectives d'avenir n'étaient guère
réjouissantes... Mais déjà, à l'époque, Hilary s'était
rendu compte qu'Emma était dotée d'une intelligence
remarquable, bien au-dessus de la moyenne, et elle se
sentait prête à tout pour lui permettre d'exploiter au
mieux son potentiel. Elle avait tellement envie d'offrir
à sa sœur une vie meilleure...
Car l'existence ne leur avait pas fait de cadeaux,
jusqu'alors. Orphelines de père et de mère, elles
étaient pour ainsi dire livrées à elles-mêmes dans un
environnement plutôt hostile.

Un horrible sentiment de culpabilité avait assailli
Hillary lorsque Emma, poussée par de mauvaises fréquen-
tations, s'était mise à sécher les cours. A l'époque, la
jeune femme travaillait comme apprentie coiffeuse dans
un salon où elle ne refusait jamais les heures supplé-
mentaires. Malgré tout, elle n'avait ni les moyens de
s'installer dans un quartier plus agréable ni le temps
de surveiller sa sœur en pleine crise d'adolescence.
C'est Roel qui avait chamboulé leurs vies, et ce du
|our au lendemain. Au début, Hilary n'avait pas eu
l'intention d'accepter une rémunération en échange
de leur « marché », mais elle avait vite compris que
c'était là la seule façon de remettre Emma sur le droit
chemin.
Grâce à l'argent de Roel, elle avait pu déménager
avec Emma et ouvrir son propre salon de coiffure dans
la banlieue de Hounslow.
Elle avait pris la bonne décision, se répétait-elle
souvent. Pourtant, elle se demandait parfois si Roel ne
lui aurait pas témoigné davantage de respect si, s'en
tenant à son intention initiale, elle l'avait épousée sans
rien accepter en échange.
Car tel avait été son désir : épouser Roel pour lui
rendre service, tout simplement. Amoureuse de cet
homme qui ne lui témoignait que fort peu d'intérêt,
elle se sentait prête à tout ou presque pour lui faire
plaisir. Hélas, elle sentait qu'en acceptant son argent,
elle avait gâché leur relation, irrémédiablement.
« Je préfère payer les services qu'on me rend, avait
déclaré Roel, non sans cynisme. De cette manière, il
n'y a aucun risque de malentendu ».

Profondément humiliée, Hilary n'avait rien trouvé
à répondre.

Le lendemain, alors que la matinée touchait à sa fin.
le Dr Lether eut du mal à cacher sa surprise lorsque
sa secrétaire fit entrer dans son bureau l'épouse de
Roel Sabatino. Il ne s'attendait pas à ça, songea-t-il
en étudiant la jeune femme blonde dont le regard d'un
gris lumineux trahissait une inquiétude indicible.
— J'ai essayé d'appeler pour annoncer mon arrivée,
expliqua-t-elle d'un ton confus, mais personne n'a été
capable de me donner le numéro de téléphone de cet
établissement.
Impressionnée par le luxe et le raffinement de l'hô-
pital, Hilary expliqua qu'elle avait ensuite dû montrer
patte blanche avant d'être admise à pénétrer dans le
service où était soigné Roel.
— Vous êtes dans une clinique privée, madame
Sabatino, répondit le Dr Lether en lui tendant la main.
Nos patients apprécient la discrétion et l'intimité, ce
qui explique pourquoi nos coordonnées ne figurent
pas dans l'annuaire. Je suis heureux que vous ayez pu
vous libérer aussi rapidement...
A ces mots, Hilary se sentit blêmir.
— Roel ? II... ?
— Je suis désolé, je ne voulais pas vous inquiéter
davantage. Sur le plan purement physique, si l'on excepte
une grosse migraine et quelques contusions, votre mari
se porte comme un charme, enchaîna le médecin en

la gratifiant d'un sourire rassurant. Hélas, on ne peut
pas en dire autant de sa mémoire.
En proie à un mélange de soulagement et d'appré-
hension, Hilary prit place dans le fauteuil en cuir que
lui indiquait son interlocuteur.
— Sa... sa mémoire ?
— M. Sabatino a reçu un coup violent à la tête et il
est resté sans connaissance pendant plusieurs heures.
Il n'est pas rare de perdre quelque peu ses repères
après un tel choc... Dans son cas, malheureusement,
il semblerait que sa mémoire ait été endommagée.
Hilary se raidit, alertée par la gravité qui se lisait
sur le visage du médecin.
— C'est-à-dire ? articula-t-elle avec peine.
Un rapide examen effectué peu de temps après
qu'il eut repris connaissance a montré une certaine
confusion dans la perception des dates...
— Des dates ?
— Oui. D'après mes estimations, Roel ne garde
aucun souvenir des cinq dernières années. Tout ce qui
s'est passé depuis lui échappe totalement.
Hilary fixa son interlocuteur d'un air interdit.
— Cinq années ? Etes-vous sûr de cela ?
Sûr et certain. Il ne garde aucun souvenir non
plus de son accident.
Mais... comment expliquez-vous ça ?
— En médecine, nous appelons ça de l'amnésie
rétrograde. Cela intervient généralement après un
traumatisme émotionnel ou un stress violent. Dans le
cas de Roel, poursuivit le médecin avec assurance, je
suis certain que ce ne sera qu'un état temporaire. Il

retrouvera la mémoire, par bribes ou bien d'un seul
coup, dans les jours voire les heures qui viennent.
— Comment a-t-il réagi à la nouvelle ? demanda
Hilary d'une petite voix.
— Lorsqu'il a pris conscience de l'étendue de son
amnésie, votre mari a subi un choc important.
— J'imagine, oui...
— Avant qu'on lui annonce la nouvelle, M. Sabatino
s'apprêtait à regagner son bureau contre l'avis de
l'équipe soignante, reprit le médecin avec un demi
sourire. Pour un homme aussi brillant, aussi sûr de lui,
ce genre d'événement incontrôlable peut être source
d'un grand malaise.
Un silence suivit ses paroles.
— C'est affreux..., murmura Hilary. Roel ne se
souviendra même pas de moi !
— J'allais y venir, justement. Avant toute chose, je
me réjouis de votre présence, madame Sabatino. Votre
époux aura besoin de votre soutien pour surmonter
cette épreuve.
— Sa tante n'est pas auprès de lui ? intervint Hilary
en fronçant les sourcils.
— D'après ce que j'ai compris, elle a quitté le pays
ce matin. Elle avait pris un engagement qu'elle ne
pouvait annuler, expliqua le Dr Lether.
Hilary réprima une exclamation de surprise. Ainsi,
la tante de Roel n'avait pas jugé nécessaire de rester
au chevet de ce dernier... Quel bel exemple d'esprit
de famille !
Très vite, les pensées de la jeune femme s'embal-
lèrent... Bien sûr, elle se sentait prête à aider Roel

à traverser ce moment difficile. C'était même une
idée assez séduisante. En revanche, ne serait-il pas
malhonnête de jouer le rôle de l'épouse aimante et
dévouée ? Elle portait son nom, certes, mais c'était là
le seul lien qui l'attachait à lui. D'un autre côté, elle
avait promis à Roel de ne jamais révéler la véritable
nature de leur union.
Réprimant un soupir, Hilary se redressa légèrement
dans son fauteuil. Un demi-mensonge suffirait sans
doute à soulager sa conscience.
— Pour être franche, commença-t-elle d'un ton qui
trahissait son embarras, nous nous sommes quelque
peu... éloignés ces derniers temps, Roel et moi.
En face d'elle, le médecin hocha la tête d'un air
compatissant.
— Je vous remercie de me faire confiance, madame
Sabatino. Ne vous inquiétez pas, vos propos ne sortiront
pas de cette pièce. Pour le bien-être de mon patient, en
revanche, je vais être obligé de vous demander de ne
rien dire qui puisse le perturber davantage. Bien que
votre époux refuse de le reconnaître, il est encore sous
le choc et certains propos touchant directement à sa
vie- privée pourraient nuire à son rétablissement.
Hilary acquiesça. Elle ne dirait rien qui puisse
blesser ou contrarier Roel.
— En tant qu'épouse, vous êtes la personne la
plus proche de lui et vous pourrez l'aider mieux que
quiconque, fit observer le Dr Lether d'un ton plus léger.
Bien sûr, il est très entouré, mais essentiellement par
des personnes dont il est l'employeur. Or, votre mari a
besoin de sentir à ses côtés la présence de quelqu'un en

qui il a confiance. Veillez à ne pas commettre d'impair,
je vous en prie. Son état actuel le rend extrêmement
vulnérable.
— J'ai du mal à l'imaginer ainsi, murmura Hilary
d'une voix étranglée.
Sentant les larmes lui monter aux yeux, elle détourna
rapidement le regard. N'entrait-elle pas, elle aussi,
dans la catégorie des personnes dont Roel était l'em-
ployeur ?
— Si ce n'est pas trop vous demander, poursuivit le
Dr Lether, j'aimerais beaucoup que vous fassiez le lien
entre Roel et tous les collaborateurs qui ne manque-
ront pas de vouloir le joindre. Sa santé en dépend. La
banque Sabatino devra apprendre à fonctionner sans
lui pendant quelque temps, je le crains. Roel a besoin
de se reposer, de se détendre. D'autre part, je connais
suffisamment le milieu de la finance pour savoir qu'on
ne doit en aucun cas rendre public l'état de santé actuel
de votre mari.
Un pli barra le front de la jeune femme. Ces consi-
dérations matérielles lui importaient peu. Pour el le, seule
comptait la mission dont elle se sentait investie : veiller
sur Roel jusqu'à ce que qu'il retrouve la mémoi re.
— Puis-je le voir tout de suite ? demanda-t elle.
A cet instant, le Dr Lether se souvint de la stupeur
de son patient lorsqu'on lui avait annoncé qu'il était
marié. Leurs retrouvailles n'allaient pas être un
moment très agréable pour cette jeune femme. Mais
après tout, Hilary Sabatino était peut-être plus solide
qu'il y paraissait à première vue...
Une fois dans le couloir, Hilary se força à prendre

une longue inspiration avant d'emboîter le pas à l'in-
firmière qui devait la conduire au chevet de Roel.
Dans quelques minutes, elle se retrouverait face au
seul homme qui ait jamais réussi à la faire pleurer...


2.






Ainsi, il avait une femme, songeait Roel, d'une
humeur massacrante.
N'était-ce pas un signe du destin que son cerveau
ait décidé de balayer de sa mémoire l'acte le plus
ridicule et le plus néfaste qu'un homme puisse faire
dans sa vie ?
Il n'avait que trente ans, bon sang ! Pourquoi avait-il
choisi de sacrifier sa liberté à une femme ? Pour quelle
raison inexplicable avait-il marché dans les pas de
son père et, avant lui, de son grand-père ? Tous deux
s'étaient mariés jeunes et tous deux l'avaient amèrement
regretté par la suite.
Lui-même ne s'était-il pas juré des centaines de fois
qu'il ne commettrait pas la même erreur ?
Il avait toujours pris soin de ne jamais s'engager dans
des relations trop sérieuses, préférant papillonner de
maîtresse en maîtresse, pour de brèves aventures où
le plaisir sensuel était roi. De toute façon, il ne croyait
pas à l'amour ; il n'y avait jamais cru. Ce n'était donc
sûrement pas ce sentiment ridicule et illusoire qui
l'avait poussé à prendre une épouse.

De plus, il y avait certaines choses dont il se souvenait
sans l'aide de sa mémoire, grâce à une sorte d'intuition,
ou d'instinct, ancrée au plus profond de lui...
Par exemple, il était persuadé que celle qui allait
bientôt se présenter à lui comme son épouse — et
qu'il avait malencontreusement oubliée —, serait une
belle femme brune, grande et d'une élégance raffinée.
N'était-ce pas le genre de femmes qu'il avait toujours
trouvées attirantes ?
Issue d'une famille aisée, elle posséderait cette
assurance naturelle des femmes bien éduquées. Elle
mènerait forcément une brillante carrière, probable
ment dans le milieu de la finance. Peut-être était-ce
en parlant avec elle de la gestion du personnel et des
stratégies d'investissement qu'il avait reconnu en elle
l'âme sœur... Ce serait une femme assez froide, réservée
en tout cas, qui accepterait sans rechigner son emploi
du temps chargé et ses absences répétées.
Soudain, un coup fut frappé à la porte de sa
chambre.
Debout devant la fenêtre, Roel fit volte-face. La
porte s'entrebâilla.
— Tourne-toi et ferme les yeux avant que j'entre,
d'accord ? lança alors une voix féminine à l'accent
britannique.
Roel haussa les sourcils sous l'effet de l'étonnement
Première surprise : il avait épousé une étrangère...
Deuxième surprise : elle s'exprimait comme une
adolescente et formulait des demandes parfaitement
puériles.

— Roel ? reprit la jeune femme, comme le silence
s'éternisait, de plus en plus pesant.
Il serra les dents, submergé par une vague d'im-
patience. Avait-il d'autre choix que de se plier aux
caprices de cette femme dont il n'avait gardé aucun
souvenir ? Sa propre femme...
— Bien, c'est d'accord, répondit-il d'un ton légèrement
agacé.
Il entendit la jeune femme poursuivre.
— C'est une situation assez troublante, j'en suis
consciente. Mais maintenant que je suis là, tu n'as
plus à t'inquiéter.
Le dos tourné à la porte, Roel fronça les sourcils,
Incrédule. Ainsi, il faisait face à une troisième surprise :
il semblait avoir épousé une femme capable, en l'espace
de soixante petites secondes, de porter atteinte à son
égo de mâle dominateur.
- J'ai été très touchée que tu m'appelles à ton chevet,
reprit la jeune femme en refermant la porte.
Alors seulement, Hilary osa ouvrir les yeux qu'elle
avait fermés par précaution. Car elle ne redoutait
pas uniquement la réaction de Roel quand il allait se
tourner vers elle — et découvrir son visage comme
pour la première fois... —, elle craignait aussi de ne
PAS pouvoir contenir l'intense émotion qu'elle éprouvait
à le revoir...
- Je t'ai appelée, moi ? fit Roel d'un ton perplexe,
Comment serait-ce possible ? Je ne me souviens même
pas de toi !
- Ça alors... mais que fais-tu debout ? s'écria
Hilary, au bord de la panique.

— As-tu une liste de remarques idiotes à ta dispo-
sition ou bien te viennent-elles spontanément à l'es-
prit ? répliqua Roel d'un ton cinglant avant de lui
faire face.
Aussitôt, Hilary sentit sa respiration se bloquer dans
sa poitrine. Roel était si imposant — il mesurait au
moins un mètre quatre-vingt-dix —, si élégant dans
son costume Armani coupé sur mesure...
Rejetant la tête en arrière pour pouvoir étudier son
visage, Hilary sentit son cœur s'emballer. Devant elle
se tenait l'incarnation de tous ses rêves, de tous ses
désirs.
La beauté virile des traits de Roel la bouleversa,
comme quatre ans auparavant. Il était incroyablement
séduisant et terriblement sexy. En plus de son physique
irrésistible, il possédait un formidable charisme, une
sorte d'autorité naturelle qui forçait le respect de tous
ceux qu'il côtoyait.
Un frisson parcourut Hilary : la bouche ferme et
sensuelle de Roel ne souriait pas...
A la vérité, elle n'en était guère surprise : les sourires
n'éclairaient que rarement le beau visage de son mari.
De plus, en cet instant, la situation et l'ambiance chargée
d'électricité n'incitaient guère à la décontraction et à
la bonne humeur.
Elle ne lui en voulait pas de se montrer si froid, si
méfiant à son égard. N'était-il pas en train de vivre une
épreuve particulièrement difficile ? Une partie de sa
vie s'était évaporée à la suite du choc qu'il avait subi,
et se retrouver face à une épouse dont il n'avait aucun
souvenir devait être très déstabilisant.

Au prix d'un effort sur elle-même, Hilary chassa ces
sombres pensées et releva fièrement le menton.
— En tous les cas, tu n'as pas perdu ton habitude
de te montrer... mordant, lança-t-elle.
- J'ai horreur qu'on me pose des questions idiotes,
rétorqua Roel en baissant les yeux pour examiner la
femme qui se tenait devant lui.
Celle-ci soutenait son regard sans ciller, menton
en avant, poings plantés sur des hanches aux courbes
délicieusement féminines.
Elle n'était pas très grande mais elle possédait une silhouette exquise, à la fois délicate et sensuelle.
Un T-shirt bleu moulait sa poitrine ronde et haut
perchée, tandis que son jean accentuait la finesse de sa
taille. Elle devait avoir une vingtaine d'années, vingt-
deux ans, tout au plus, nota-t-il in petto en levant les
yeux vers son visage. Ses yeux gris avaient la couleur
de l'océan. Blonds comme les blés, ses cheveux étaient
plutôt courts. Une pluie de taches de rousseur parsemait son petit nez.
Quant à ses lèvres pleines, sensuelles et légèrement
brillantes, elles auraient tenté un saint...
Une onde de chaleur courut dans ses veines. Il ne
se souvenait peut-être pas d'elle, mais le désir qu'elle
allumait en lui était plus qu'éloquent...
Pour un homme comme Roel, toujours en quête
d'explications cohérentes et rationnelles, c'était un
constat réconfortant : il savait à présent pourquoi il
avait épousé la jeune femme qui se tenait devant lui.
Je voulais simplement dire que tu ferais mieux

De te reposer, déclara posément celle-ci en plantant
son regard gris dans le sien.
— Dois-je comprendre que tu as pour habitude de
me dicter ma conduite ? demanda Roel d'une voix
rauque.
Elle eut un petit rire.
— A ton avis ? lança-t-elle.
La bouche sèche, l'estomac noué, Hilary soutenait sans
ciller le regard pénétrant de Roel. La tension entre eux
était électrique, presque palpable, et elle sentit soudain
son corps se tendre comme une arbalète, vibrant d'un
désir qu'elle avait peur de ne pouvoir contrôler. Son
pouls se mit à battre à petits coups affolés à la base
de son cou.
Elle se força à inspirer profondément, paniquée à
l'idée de perdre la maîtrise de la situation.
Ainsi, malgré le temps qui avait passé, malgré ces
quatre longues années qu'ils avaient traversées, chacun
de leur côté, Roel exerçait encore le même pouvoir sur
elle. Un pouvoir quasi hypnotique qui semblait liquéfier
son corps et son esprit.
Grâce à sa volonté de fer, Roel détacha les yeux de
son épouse. Il comprenait mieux, à présent, ce qu'il
l'avait poussé à se marier. C'était le désir charnel. Un
désir d'une rare intensité, il devait le reconnaître, et
aussi insidieux qu'irrésistible, songea-t-il tandis que
sa bouche prenait un pli dur.
Comme la chair était faible...
— Il faudrait être stupide pour imaginer un seul
instant que je peux obéir aux ordres d'une femme,

murmura Roel. Et j'ai l'impression que tu ne l'es pas...
stupide, je veux dire.
Je ne suis peut-être pas stupide mais je sais me faire
obéir quand le besoin s'en fait sentir, rétorqua Hilary
en se redressant fièrement, tandis qu'un flot de sang
envahissait son visage. Désolée de te contrarier, mais
tu devrais être au lit après le choc que tu as subi.
— Je n'ai plus besoin de soins médicaux. Il ne faut
pas t'inquiéter. D'ailleurs, je retourne de ce pas au
bureau.
Hilary écarquilla les yeux, incrédule.
— Tu plaisantes, j'espère ?
— Ce n'est pas mon genre, tu dois le savoir. Et ton
opinion sur la question ne m'intéresse pas, conclut-il
d' un ton glacial.
Eh bien, je te la donne quand même ! répliqua
Hilary, excédée par tant d'arrogance. C'est complè-
tement ridicule de faire comme s'il ne s'était rien passé,
comme si tout était normal. Tu risques de t'en mordre
les doigts si tu ne te ménages pas. Et ce jour-là, tu ne
pourras pas dire que je ne t'avais pas prévenu !
La colère embrasa le regard sombre de Roel.
— Je..., commença-t-il.
— Tu souffres d'amnésie partielle, le coupa-t-elle.
Ce n'est pas à prendre à la légère... Je crois que tu
n'as pas pleinement mesuré la situation, tu devrais y
réfléchir encore un peu.
II darda sur elle un regard menaçant.
- Je prends toujours le temps de réfléchir avant
d'agir, figure-toi.
Hilary croisa les bras sur sa poitrine.

— En retournant travailler, tu refuses d'accepter la
situation telle qu'elle est, qu'elle te plaise ou non. Je
suis navrée mais je ne peux pas te laisser faire ça...
— Juste une petite chose, coupa Roel d'une voix
teintée d'ironie. Etions-nous en instance de divorce
avant l'accident ?
— Pas à ma connaissance, non ! répondit Hilary
sans se démonter. Tu es peut-être quelqu'un de très
intelligent mais tu es aussi terriblement têtu, en plus
d'être totalement dépourvu de sens pratique. En ce qui
me concerne, j'ai la ferme intention de veiller à ce que
tu n'entreprennes rien que tu puisses regretter par la
suite. Je te conseille donc de retourner te coucher et
d'essayer de te détendre !
Il l'observait comme si elle avait perdu la raison.
— Personne sur cette Terre n'a d'ordre à me donner,
déclara-t-il. Pour être franc, je suis étonné que tu
t'aventures sur ce terrain glissant, toi qui sembles
plutôt bien me connaître, et pour cause...
Il soupira.
— Pour revenir au sujet qui nous intéresse, je me sens
tout à fait bien. Je suis légèrement désorienté mais...
— Tu as oublié cinq années de ta vie, ce n'est pas
rien, tout de même ! s'écria Hilary avec véhémence.
Ce que tu sembles considérer comme un simple détail
sera forcément source de gros problèmes, j'aimerais
de tout cœur que tu t'en rendes compte.
Elle marqua une légère pause avant de poursuivre.
— Tu vas rencontrer des employés et des clients que
tu ne reconnaîtras pas, tu vas vivre des situations qui
t'échapperont totalement, au point que tu risques de tout

fiche en l'air, y compris ta guérison. Tu as cinq ans de
retard sur ton planning de travail, bon sang ! Comment
vas-tu éviter de commettre des impairs irréparables ?
A qui vas-tu demander de t'aider.
Elle le regarda droit dans les yeux.
— Parce que je sais une chose avec certitude, Roel : tu
ne fais confiance à personne d'autre qu'à toi-même !
Hors d'haleine, tremblant d'émotion, Hilary se tut.
Elle redoutait tant que Roel retourne travailler sans
l'écouter...
Mais lorsqu'elle le vit froncer les sourcils, comme sous le coup d'une vive douleur fulgurante, ce fut une
autre inquiétude qui s'empara d'elle. Il était très pâle,
tout à coup. Et elle nota que la main qu'il porta à sa
tempe tremblait légèrement.
— Assieds-toi..., dit-elle.
D'un geste autoritaire, Hilary lui prit les mains et
l'obligea à s'asseoir dans le fauteuil.
Malgré son état de faiblesse manifeste, Roel essaya
de protester :
— Je n'ai pas besoin de...
— Tais-toi et assieds-toi, ordonna-t-elle en appuyant
sur ses épaules pour le maintenir assis.
— Per meraviglia..., maugréa Roel. Ce n'est qu'un
petit mal de tête !
Mais elle avait déjà enfoncé le bouton d'appel.
L'arrivée de l'infirmière, suivie de près par le Dr Lether, empêcha Roel de donner libre cours à sa colère.

En observant son épouse du coin de l'œil, il constata
avec étonnement qu'elle paraissait sincèrement inquiète

à son sujet. L'anxiété voilait son regard gris tandis
qu'elle observait le médecin l'examiner.
Sans doute était-ce parce que son état de santé la
préoccupait réellement qu'elle s'était emportée contre
lui... N'était-ce pas une réaction naturelle quand on
avait peur ? On aurait presque dit qu'elle se souciait
de lui... comme une femme amoureuse.
Roel réprima de justesse une moue cynique. Amoureuse
de son immense fortune, oui, sans aucun doute...
Pourtant, pour une raison qui lui échappait, il sentait
qu'Hilary était différente des autres femmes.
Pour couronner le tout, elle se révélait beaucoup plus
complexe et beaucoup moins prévisible que ce qu'il avait
imaginé de prime abord. Le feu et l'insolence couvaient
sous ses dehors de poupée au regard candide. Etait-ce
son caractère bien trempé qui l'avait séduit, en plus de
ses courbes harmonieuses ? se demanda-t-il.
Légèrement en retrait, Hilary évitait soigneusement
de croiser le regard de Roel. Un horrible sentiment de
culpabilité la tenaillait. Comment avait-elle pu perdre son sang-froid de la sorte ? C'était tout simplement
impardonnable !
Roel était encore sous le choc du traumatisme qu'il
avait subi et elle ne trouvait rien de mieux que de le
tancer comme un enfant capricieux !
Elle prit une grande inspiration et, forçant son courage, leva les yeux sur lui. Son cœur bondit dans sa
poitrine. Avec ses cheveux noirs en bataille, son profil
droit empreint de noblesse et ses cils fournis, délicate-
ment recourbés, qui projetaient une ombre légère sur
ses pommettes hautes, il dégageait un charme

ordinaire, une intense beauté virile, presque indécente,
qui ne laissait aucune femme indifférente.
Les battements de son cœur se précipitaient chaque
fois qu'elle posait les yeux sur lui, comme le jour de
leur rencontre, quatre ans plus tôt.
Aussitôt, ce moment inoubliable surgit dans son
esprit...
Téléphone portable collé à l'oreille, Roel avait
franchi le seuil du salon de coiffure où elle travaillait alors comme apprentie. Brusquement, il s'était immo-
bilisé et avait promené autour de lui un regard teinté
d'étonnement.
Dans un coin du salon, Hilary l'avait observé avec
amusement. Comme tant d'autres avant lui, il avait
confondu le modeste salon avec l'autre, beaucoup
plus chic, celui-là, qui attirait une clientèle huppée à
quelques pas d'ici, un peu plus bas dans la rue.
Au moment où il s'apprêtait à tourner les talons,
Hilary s'était élancée vers lui, poussée par une force
irrésistible. Il était tellement séduisant, tellement sexy...
Il était hors de question qu'elle le laisse s'échapper sans rien faire ! Elle ne se le serait pas pardonné.
— Poursuivez votre conversation téléphonique, je
m'occupe de vos cheveux, avait-elle débité d'un trait
en se plantant devant lui.
Après l'avoir gratifiée d'un regard distrait, il l'avait
suivie jusqu'au fauteuil qu'elle lui avait indiqué. Et lors-
qu'elle avait levé les ciseaux au-dessus de sa tête d'un
air interrogateur, il avait murmuré avec impatience :
- Coupez ce qui doit être coupé. Après tout, ce ne



sont que des cheveux, rien de bien important, avait-i I
ajouté d'un ton légèrement radouci.
Hilary s'était-elle *******ée de rafraîchir la coupe déjà
existante. Et le contact de ses cheveux noirs, épais et
doux, avait fait naître en elle un troublant plaisir...
Elle avait redoublé de courtoisie quand était venu le
moment de le conduire à la caisse. Bien sûr, elle l'avait
invité à revenir dès qu'il en aurait besoin.
Il venait à peine de quitter le salon lorsqu'elle avait
vu le gros billet sur le comptoir. Il avait dû glisser de
son portefeuille sans qu'il s'en aperçoive. Aussitôt,
elle s'était élancée à sa poursuite.
— C'est votre pourboire, avait-il déclaré d'un ton
contraint quand elle avait voulu lui rendre le billet.
Au même instant, une limousine noire s'était garée à
leur hauteur et un chauffeur en uniforme s'était empressé
de venir ouvrir la portière côté passager.
— Mais... C'est beaucoup trop ! s'était-elle exclamé,
décontenancée.
Sur un haussement d'épaules, Roel avait tourné
les talons et s'était engouffré à l'intérieur du luxueux
véhicule...
Hilary secoua la tête pour s'arracher à ces déli-
cieux souvenirs, et elle posa les yeux sur Roel. En
l'espace de quelques minutes, ce dernier avait repris
des couleurs et s'était levé du fauteuil où elle l'avait
forcé à s'asseoir.
— Nous rentrons à la maison, décréta-t-il quand le
docteur Lether l'eut rassuré sur son état.
— Est-ce vraiment raisonnable ? demanda Hilary
en se tournant vers le médecin.

Ce dernier la gratifia d'un sourire contrit.
— D'un point de vue strictement médical, votre mari
n'a aucune raison de prolonger son séjour ici.
— Naturalmente.. .Mon problème d'amnésie finira
bien par disparaître, renchérit Roel avec une assurance
presque irritante.
« Nous rentrons à la maison ». Ces paroles réson-
nèrent étrangement dans l'esprit d'Hilary. Pour l'amour
du ciel, où se trouvait cette fameuse maison ? A quoi
ressemblait-elle... ?
Désarçonnée par ce surprenant dénouement, Hilary
suivit Roel dans l'ascenseur qui les amena prestement
au rez-de-chaussée. Là, on l'informa que la valise
qu'elle avait déposée à l'accueil en arrivant avait déjà
été placée dans le véhicule qui allait les conduire
jusqu'à chez eux.
— Où étais-tu au moment de l'accident ? demanda
Koel avec une pointe de sécheresse dans la voix.
— A Londres... Je... Je tiens un commerce là-bas,
expliqua Hilary sans entrer dans les détails.
Une limousine aux vitres fumées les attendait
devant l'entrée de la clinique privée. Debout près de
la portière qu'il tenait ouverte pour eux, un chauffeur
souleva poliment sa casquette.
S'efforçant de ne pas paraître impressionnée par
l'intérieur tout en cuir et bois précieux, Hilary se glissa
rapidement sur la banquette arrière.
— Depuis combien de temps sommes-nous mariés ?
reprit Roel.
Hilary exhala un soupir.
— Tu sais, je n'ai pas envie de t'abrutir avec des tonnes

d'informations, répondit-elle pour tergiverser. Elles ne
te seront pas forcément d'une grande utilité...
Roel lui prit la main et Hilary frissonna à ce contact
soudain.
— Je veux tout savoir, tu m'entends ? demanda-t-il.
Hilary sentit ses doigts trembler.
— Ecoute, le Dr Lether m'a expliqué que nous ne
ferions que compliquer les choses en parlant de ce
dont tu ne te souviens plus. Ça ne sert à rien pour le
moment d'évoquer le...
— C'est à moi de décider ce qui est utile ou non,
coupa Roel d'un ton sans réplique.
Malgré l'angoisse qu'elle sentait monter en elle,
Hilary ne désarma pas.
— Je suis désolée mais je préfère suivre les conseils
du Dr Lether. Il sait de quoi il parle, il me semble.
— C'est ridicule !
— Dans quelques jours, tu auras recouvré la mémoire
par toi-même, insista Hilary, qui redoutait pourtant
déjà ce moment. Laissons les choses se faire natu-
rellement, c'est beaucoup mieux ainsi... Beaucoup
mieux, crois-moi.
Comme pour mieux le convaincre que le choix de
la patience était de loin le meilleur, Hilary planta son
regard dans le sien avec une assurance qu'elle était
loin de ressentir. En rencontrant le regard sombre et
pénétrant de Roel, elle sentit son cœur bondir dans
sa poitrine.
— Et en attendant, que proposes-tu ? demanda-t-il
d'une voix suave qui la fit frissonner.

— En attendant... ?
— Oui, en ce qui nous concerne... toi et moi, précisa
Roel en ponctuant ses paroles d'un petit rire rauque,
infiniment sensuel. Que suis-je censé faire d'une femme
que ma mémoire a malencontreusement effacée ?
— Tu n'es pas obligé de faire quoi que ce soit.
*******e-toi de me faire confiance, je ... je prendrai
soin de toi, bredouilla Hilary en maudissant le léger
tremblement de sa voix, signe évident du trouble qu'il
faisait naître en elle.
— Tu prendras soin de moi ? répéta Roel d'un ton
incrédule en l'étudiant à travers ses épais cils noirs.
Au prix d'un effort surhumain, Hilary parvint à
soutenir son regard.
— Je suis là pour ça, non ?
Au moment où elle prononçait ce dernier mot, Roel
tendit la main vers son visage et, du bout de l'index,
effleura sa lèvre inférieure.
Submergée par une soudaine vague de chaleur, Hilary
se pencha instinctivement en avant et retint son souffle
en sentant ses tétons se durcir sous la fine étoffe de
son T-shirt en coton.
— Tu trembles, murmura Roel d'une voix sourde. Au
fond, ça n'a rien d'étonnant... C'est plutôt stimulant,
comme situation.
Hilary écarquilla les yeux de surprise. Que voulait-il
insinuer ?
— Pardon ?
Roel la dévisageait de son regard ardent et
brillant.
— Oui... une épouse oubliée... une femme avec qui

j'ai forcément partagé un tas de moments très intimes,
mais que j'ai l'impression de découvrir pour la première
fois. Avoue que c'est une idée troublante, et même très
excitante, cara mia. Tu ne trouves pas ?

3.






A ces mots, Hilary se sentit rougir jusqu'à la racine
des cheveux. « Une idée très excitante » ?
Elle croisa nerveusement les jambes.
« Une femme avec qui il aurait partagé un tas de
moments très intimes » ?
Pourquoi n'avait-elle pas anticipé ce genre de réac-
tion, somme toute très naturelle pour quelqu'un qui
croyait avoir fait un mariage normal ?
— Tu as une façon tout à fait originale de voir les
choses, balbutia-t-elle en s'efforçant de se ressaisir.
— Et toi, tu rougis comme une écolière, fit observer
Roel d'un ton gentiment moqueur.
— Uniquement avec toi ! répliqua Hilary, furieuse
contre son corps qui trahissait ses émotions les plus
Intimes.
— J'en conclus donc que nous sommes de tout jeunes
mariés, murmura Roel en l'attirant dans ses bras.
— Arrête ! gémit Hilary, au bord de la panique.
Un sourire enjôleur éclaira le visage de Roel, qui
caressa le bras nu de la jeune femme. Fine et menue

comme une poupée de porcelaine, elle semblait pour-
tant posséder un caractère bien trempé.
— Ne t'inquiète pas..., répliqua-t-il. Je ne pense
pas qu'embrasser ma femme soit contre-indiqué par
le Dr Lether...
Hilary s'écarta promptement, résistant à grand-
peine à l'envie de se blottir entre les bras chauds et
puissants de Roel.
— Je ne pense pas non plus que ce soit très conseillé...
pour le moment, en tout cas...
— Non c'e problema, murmura Roel.
Il était sincèrement amusé par l'expression répro-
batrice de son épouse.
— Considère ça comme une expérience indispen-
sable à mon rétablissement, ajouta-t-il. Qui sait, ce
baiser réveillera peut-être ma mémoire endormie,
bella mia.
— Roel...
Mais Hilary sentait le désir monter en elle à une
vitesse prodigieuse. En réalité, elle n'avait pas envie
de lui résister — d'ailleurs, en aurait-elle seulement
la force ? Elle brûlait de goûter à ce dont elle rêvait
depuis si longtemps, en vain.
Lorsque la bouche chaude et sensuelle de Roel couvrit
la sienne, des milliers de frissons exquis coururent sur
sa peau, tandis que son cœur cognait à coups redoublés
dans sa poitrine. Mêlant ses doigts aux cheveux de la
jeune femme, Roel lui inclina légèrement la tête, pour
mieux emprisonner ses lèvres.
Assaillie par des sensations dont elle ne soupçonnait
pas l'existence, Hilary s'abandonna entre les bras puis-

sants qui la retenaient. Alors, Roel plongea sa langue
entre ses lèvres entrouvertes et chercha la sienne dans
une langoureuse caresse.
Avec un long soupir, Hilary ferma les yeux, submergée
par une vague de désir qui transformait en brasier son
Corps frissonnant.
Elle gémit lorsque sa langue rencontra celle de Roel,
experte et exigeante...
Quelques instants plus tard, le souffle court, ce dernier
relâcha son étreinte. Ses longs cils noirs masquaient
à demi ses yeux.
— Nous sommes arrivés, murmura-t-il d'une voix
atone.
Hors d'haleine, encore tremblant de désir, Hilary
baissa la tête, luttant contre le mélange de honte et
d'intense déception qui montait en elle.
Incapable de résister à l'appel de ses sens, elle venait
de se laisser emporter sans aucune retenue...
Roel aurait pu lui faire l'amour là, sur la banquette
arrière de la limousine, et il le savait pertinemment.
Oserait-elle le regarder droit dans les yeux après cet
épisode embarrassant ?
Lorsque le chauffeur lui ouvrit la portière, elle
descendit en toute hâte. Là, elle reçut un autre choc.
Ainsi, Roel vivait dans cette intimidante demeure en
pierre, protégée par de hauts murs...
Un majordome d'une cinquantaine d'années les
attendait, posté près d'une imposante porte de bois
massif. Il les guida jusqu'au hall d'entrée entièrement
habillé de marbre, décoré de statues et de meubles
anciens, eux-mêmes ornés de splendides dorures.

Hilary ralentit le pas, impressionnée par cette
demeure aux allures de musée.
— Santo cielo...
L'intonation stupéfaite de Roel l'arracha à sa contem-
plation.
Elle tourna les talons et le vit qui se tenait devant
l'élégante cheminée en marbre. Il avait les sourcils
froncés. A l'évidence, quelque chose l'avait surpris
Peut-être s'agissait-il d'un objet qu'on avait déplace
ou d'un détail auquel il ne s'attendait pas.
En cet instant, Hilary réalisa combien il devait se
sentir déstabilisé. Son arrogance et son assurance
ne lui étaient d'aucun secours face au vide de sa
mémoire...
Consciente du regard intrigué que le majordome posait
sur Roel, Hilary s'empressa de rejoindre celui-ci. Elle
glissa une main sous son bras musclé, et se hissa sur
la pointe des pieds pour murmurer à son oreille :
— Allons en haut, tu veux...
Oubliant la question qui l'avait brusquement désarçonné — pourquoi l'un des tableaux préférés de son
grand-père, Clemente, se trouvait-il ici, dans sa propre
maison ? —, Roel réagit immédiatement à l'invitation
à peine masquée de son épouse.
Soudain, il eut très envie de la soulever dans ses bras et de l'embrasser à perdre haleine pour lui témoigner
sa reconnaissance d'être ainsi venue à sa rescousse.
C'était incroyable, ce désir brûlant qui l'assaillait chaque
fois qu'il posait les yeux sur cet adorable femme qui
était la sienne !
Avait-elle toujours eu cet effet sur lui ?

— Oh, j'ai oublié une petite chose... Vas-y, je te
rejoins dans un instant, déclara Hilary lorsqu'ils furent
arrivés à l'étage.
Sans lui laisser le temps de réagir, elle se libéra de
étreinte et dévala l'escalier pour s'entretenir avec
le majordome.
— Vous vous demandez sans doute qui je suis,
commença-t-elle, vaguement mal à l'aise. Et vous,
comment vous appelez-vous ?
— Umberto, signorina. Je suis chargé de l'inten-
dance et vous êtes l'invitée de M. Sabatino, répondit
le majordome d'un ton compassé.
— Non, justement... En fait, je suis... je suis l'épouse
de Roel et je m'appelle Hilary, expliqua-t-elle avec un
petit sourire gêné.
Malgré des années d'expérience, Umberto ne parvint
pas, cette fois, à dissimuler complètement son éton-
nement.
— Je vous serais reconnaissante de ne transmettre
aucun appel téléphonique à mon mari, de quelque
nature qu'il soit, ajouta Hilary.
A ces mots, Umberto se raidit, visiblement pris de
court par cette demande inhabituelle.
— N'oubliez surtout pas mes consignes, insista
la jeune femme en relevant le menton pour appuyer
l' importance de sa requête.
Lorsqu'elle rejoignit Roel, quelques instants plus tard,
ce dernier l'enveloppa d'un regard voilé par le désir.
Sans mot dire, il la souleva dans ses bras.
— Roel... Peux-tu m'expliquer ce que tu fais ?
s'exclama-t-elle.

Longeant à grandes enjambées le couloir sombre,
lui aussi dallé de marbre, Roel laissa échapper un rire
rauque avant d'ouvrir d'un simple coup d'épaule la
porte de sa chambre.
— Je m'assure simplement que rien ne viendra plus
nous interrompre ! répondit-il enfin.
— Pose-moi, je t'en prie, implora Hilary, luttant
contre l'angoisse qui sourdait en elle. Dois-je te rappeler
que tu es censé te reposer ?
Avec une grande délicatesse, Roel la déposa sur le
vaste lit tendu de draps immaculés.
— C'est bien mon intention, figure-toi. mais
seulement si tu me tiens compagnie, cara.
Les joues en feu, Hilary roula sur le côté et sauta
à terre.
— Ce que tu sembles avoir en tête ne serait pas
vraiment du repos..., protesta-t-elle.
De ses longs doigts habiles, Roel dénoua sa cravate
de soie et la jeta négligemment sur une chaise. Une
lueur désir insolent brillait dans son regard.
— Je n'ai pas besoin de me souvenir des cinq dernières
années pour savoir avec certitude que je ne suis pas le
genre d'homme à apprécier l'inactivité. Quand je ne
travaille pas, j'ai besoin de m'occuper...
— Oui, mais pas comme ça, dit Hilary d'une voix
mal assurée. Tu crois que tu as envie de coucher avec
moi mais c'est juste une impression. En réalité, tu as
juste besoin de faire connaissance avec moi...
— Je n'arrive pas à croire que j'aie épousé une femme
qui fait tant d'histoires pour une chose aussi naturelle
que le sexe, coupa Roel d'un ton mordant.

— J'essaie de penser à ton bien-être, c'est tout,
expliqua Hilary en se tordant les mains dans un geste
qui trahissait sa nervosité grandissante. Ce n'est fran-
chement pas conseillé pour le moment.
— Permets-moi d'en décider par moi-même.
A peine eut-il prononcé cette phrase qu'il se figea.
Non regard perçant était toujours fixé sur elle, mais
Hilary sentait qu'il ne la voyait plus. Sa bouche aux
contours sensuels avait pris un pli dur.
— Que se passe-t-il ? demanda Hilary, soudain sur
qui-vive.
Roel sembla reprendre pied dans la réalité. Un mélange
d'amertume et de tristesse voilait son regard.
— Clémente... Mon grand-père... Il est mort... Voilà
pourquoi le tableau de Matisse se trouve ici au lieu
d'être dans son castello. C'est ça, n'est-ce pas ?
Hilary se sentit blêmir. Mon Dieu, elle n'avait pas
pensé à cela... A présent, comment avouer à Roel que
son grand-père était mort des années auparavant ? Cela
allait le blesser cruellement.
— Hilary, je t'ordonne de me dire la vérité, dit-il
d'un ton glacial.
Pleine de compassion, elle acquiesça d'un signe
de tête.
— Oui, c'est bien ça. Je suis désolée. Ton grand-père
est décédé il y a quatre ans.
De quoi est-il mort ?
— D'une crise cardiaque. Tout s'est passé très vite,
me semble-t-il, expliqua Hilary, priant in petto pour
qu' il ne réclame pas de plus amples détails.
Le visage fermé, Roel tourna les talons et se dirigea

vers les grandes fenêtres qui donnaient sur le parc. La
tension qui l'habitait était presque palpable. Il agissait
soudain comme s'il avait oublié sa présence, et Hilary
en était douloureusement affectée. C'était comme s'il
lui avait fermé la porte au nez en refusant froidement
sa sympathie et sa sollicitude.
— Roel..., commença-t-elle dans un souffle.
— Va vérifier le menu de ce soir, ordonna-t-il sans
même se retourner.
La sécheresse de son ton fit à Hilary l'effet d'une
gifle. Bouleversée, elle pivota sur ses talons et quitta
la pièce sans mot dire.
Dans le couloir, elle tomba nez à nez avec Umberto,
escorté d'un autre homme qui portait sa valise.
— S ignora.
Le majordome fit signe à Hilary de le suivre. Puis,
il ouvrit la porte de la chambre voisine de celle de
Roel, avant de s'effacer pour laisser entrer la jeune
femme.
Hilary se sentit aussitôt quelque peu soulagée. Elle
avait oublié que la tradition voulait que les époux
fassent chambre à part dans les familles aisées..
Quelle chance extraordinaire ! Le contraire eût été
terriblement embarrassant.
Surprenant son reflet dans le miroir d'une armoire,
elle vit que ses yeux étaient encore brillants de larmes
Comme elle était sensible et impressionnable ! se dit-
elle. Etait-il possible que quelques mots durs l'anéan
tissent à ce point ?
Mais aussi, pourquoi s'obstinait-elle à se rappeler

l'époque où Roel semblait plus décontracté en sa
présence ?
Un jour, alors qu'elle était en train de lui couper
les cheveux, elle s'était surprise à lui confier à quel
point sa grand-mère, décédée quelque temps plus tôt,
lui manquait. Alors, lui s'était mis à lui parler de son
propre grand-père, Clemente, parti au Népal pour se
« ressourcer », à l'âge de soixante-cinq ans. « Mieux
vaut tard que jamais », avait-elle dit en plaisantant.
Elle se rappelait que sa boutade avait arraché à Roel
un grognement dubitatif...
S'arrachant à ces souvenirs, Hilary prit une courte
inspiration avant d'emboîter le pas à Umberto qui
s'apprêtait à quitter la pièce.
— J'apprécierais que vous me fassiez visiter la
maison, annonça-t-elle en gratifiant le domestique
d'un sourire chaleureux.
Elle était consciente qu'elle devait savoir parfaite-
ment s'orienter dans cette immense demeure, si elle
ne voulait pas éveiller les soupçons de Roel.
Umberto s'acquitta de sa mission avec zèle.
Certainement lui aurait-il montré — et visiblement
avec le plus grand plaisir — l'intérieur du moindre
placard, si la jeune femme n'était pas passée d'une
pièce à l'autre à toute vitesse.
Hilary était stupéfaite par la taille de la maison,
et elle se sentait intimidée par l'extrême austérité
du mobilier ancien, tout comme par le nombre de
domestiques attachés au service de Roel. En revanche,
elle fut enchantée de pouvoir admirer la somptueuse

collection de tableaux de maîtres, disséminée un peu
partout dans les pièces et les couloirs.
A la cuisine, elle fit la connaissance du chef fran-
çais. Lorsqu'elle s'étonna de la monotonie des menus,
celui-ci lui baisa la main avec enthousiasme et courut
cueillir dans le jardin une rose jaune d'or qu'il lui offrit
d'un air solennel. Il manifestait ainsi sa joie d'avoir
reçu l'autorisation implicite de donner libre cours à
son imagination culinaire.
Gagnée par la bonne humeur du cuisinier, Hilary rit
de bon cœur en glissant la rose dans ses cheveux.
Quelques minutes plus tard, elle regagnait sa chambre,
désireuse de se changer pour le dîner. Le maigre contenu
de sa valise avait déjà été rangé dans le dressing atte-
nant et elle dut ouvrir tous les tiroirs et les portes de
placard pour trouver une tenue complète.
Puis, elle se glissa dans la cabine de douche et
goûta avec bonheur au luxe des innombrables jets de
massage. Un sourire rêveur aux lèvres, elle s'enveloppa
dans un drap de bain moelleux et quitta la salle de
bains, pieds nus.
En apercevant Roel au milieu de la chambre, elle se
figea. Il avait troqué son costume contre un pantalon
en toile noir et une chemise bleu ciel qui mettait en
valeur ses larges épaules et son teint cuivré.
— Dio mio... Cette rose te va à ravir, murmura-t-il
d'un ton appréciateur.
Hilary leva la main vers la fleur qu'elle avait remise
dans ses cheveux en sortant de la douche.
— C'est ton cuisinier qui me l'a donnée...
A ces mots, Roel se rembrunit. Le culot de son

employé ne l'amusait guère, mais il pouvait pourtant
comprendre ce qui lui avait inspiré ce geste. Sa jeune
épouse possédait un teint de porcelaine proche de la
perfection, des yeux magnifiques et une bouche aussi
appétissante qu'une cerise mûre à point.
Son corps se durcit instinctivement. Une folle envie
de la posséder le submergeait dès qu'il posait les yeux
sur elle. Le désir de plonger en elle l'assaillait-il toujours
avec la même intensité ? se demanda-t-il.
Electrisée par le regard brûlant que Roel promenait
sur elle, Hilary frissonna violemment. Elle sentit le désir
gonfler sa poitrine, durcir ses tétons sous la douceur
moelleuse du drap de bain. Incapable d'esquisser le
moindre geste ou d'articuler le moindre son, elle se
*******a de soutenir son regard.
L'atmosphère se chargea d'électricité.
— J'ai envie de toi, cara, déclara Roel dans un
souffle.
A ces mots prononcés à mi-voix, une bouffée de
joie et de tristesse mêlées envahit Hilary.
Fut un temps où elle aurait tout donné pour vivre
ces instants magiques. Son rêve le plus fou n'était-il
pas en train de se réaliser ? Roel la désirait... Combien
de fois avait-elle imaginé ce moment, combien de fois
s'était-elle vue en train de se jeter dans ses bras, au
comble du bonheur ?
Les circonstances présentes, hélas, l'empêchaient
de vivre pleinement ce qui aurait dû être pour elle un
pur moment d'allégresse.
Car ce n'était pas elle que Roel désirait, compre-
nait-elle. Il éprouvait du désir pour une femme qui

n'était en réalité qu'une chimère. Il croyait être auprès
de son épouse, celle avec laquelle il était censé mener
une vie de couple normale, à qui il accordait une
confiance bien naturelle... Malheureusement, elle
n'était pas cette femme.
Intrigué par la mélancolie qui voilait le visage
d'Hilary, Roel fronça les sourcils.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en tendant la
main vers elle.
— Notre couple n'est pas fondé sur ce genre de
relation, répondit-elle d'une voix tremblante.
Hilary voulut reculer d'un pas mais les doigts de
Roel se refermèrent autour de son poignet.
— Je ne comprends pas... Que veux-tu dire ?
La gorge nouée par l'émotion, Hilary s'efforçait de
trouver le moyen de sortir de cette dangereuse situation
qui ne pouvait la mener que dans une impasse. Elle
devait, sans se trahir, lui faire comprendre quelle était
la situation.
— Ecoute, Roel, commença-t-elle, il faut que je te
dise que je ne tiens pas une place très importante dans
ta vie... Et... je crois que tu me remercieras d'avoir
attiré ton attention sur ce point, le jour où tu retrou-
veras la mémoire.
A ces mots, Roel s'était raidi. Une étrange lueur
brillait dans ses yeux.
— Qu'as-tu bien pu faire pour que je te traite ainsi ?
demanda-t-il d'une voix sourde.
Hilary blêmit, profondément blessée par ses insi-
nuations.
— Absolument rien, voyons ! Et lâche-moi, tu me

fais mal, ajouta-t-elle en baissant les yeux sur les
doigts puissants qui enserraient la chair délicate de
son poignet.
Roel libéra aussitôt son étreinte.
— J'aimerais que tu m'expliques pourquoi, insista-
t-il, tu ne tiens pas une grande place dans ma vie.
— C'est-à-dire que... tu es si pris par ton travail que
tu remarques à peine ma présence, murmura Hilary.
— Si tu m'as trompé, je te conseille de me le dire tout
de suite, menaça-t-il d'un ton dangereusement suave.
Puis, de faire tes valises et de sortir de ma vie.
Hilary secoua la tête, effarée.
— Ne sois pas ridicule, enfin... Je ne t'ai jamais
été infidèle !
— Chez les Sabatino, les hommes ont la fâcheuse
habitude de jeter leur dévolu sur des femmes cupides
et volages, poursuivit Roel d'un ton froid qu'elle ne lui
connaissait pas encore. Mais nous sommes tout aussi
prompts à nous en séparer.
— Au moins, tu m'auras prévenue, répliqua Hilary
en plaquant sur ses lèvres un sourire faussement
espiègle.
Sans lui laisser le temps de répondre, elle battit en
retraite dans la salle de bains.
Assailli par une foule de questions troublantes, Roel
regarda la porte se refermer sur sa femme.
Notre couple n'est pas fondé sur ce genre de rela-
tion. ..Je ne tiens pas une place très importante dans
ta vie. ..Tu es si pris par ton travail que tu remarques
à peine ma présence...

Quel genre de mariage avait-il donc fait ? se demandait-il avec un malaise grandissant.
Ils étaient tous les deux jeunes, pleins de fougue
et de désir... Pourquoi diable faisaient-ils chambre
à part ? Etait-ce lui qui avait instauré cette règle absurde ? C'était en tout cas ce qu'avait laissé entendre
Hilary... Et pourtant, il avait un mal fou à se croire
aussi rigide, et surtout aussi indifférent aux charmes
de sa jeune épouse.
Il comprenait mieux à présent pourquoi elle avait
semblé sous le choc lorsqu'il l'avait embrassée à l'ar-
rière de la limousine. Mais il avait aussi pu constater
que sa surprise avait vite cédé le pas à un abandon
plutôt encourageant...
Il n'était sans doute pas trop tard pour réparer les
erreurs passées.

Dans la salle de bains, Hilary passa une courte jupe
noire et un petit haut vert émeraude, noué au dos par
des rubans de satin. Après avoir vérifié que Roel n'était
plus dans sa chambre, elle consulta l'heure et prit son
portable dans son sac à main.
Emma décrocha à la première sonnerie.
— J'ai pensé à toi toute la journée ! s'écria celle-ci
Comment va Roel ?
— Il va plutôt bien dans l'ensemble, mais le choc
qu'il a reçu à la tête l'a quelque peu perturbé. Il n'est
pas tout à fait dans son état normal.
— C'est-à-dire ?
— Eh bien... disons que pour le moment, il apprécie

ma présence à ses côtés... En tout bien tout honneur,
évidemment, s'empressa-t-elle d'ajouter.
Quatre ans plus tôt, elle n'avait pu se résoudre à
confier à sa sœur les termes véritables de son mariage.
Elle avait craint de briser la confiance que lui portait
Emma, et de lui ôter ses illusions d'adolescente
concernant l'amour.
Mais ce qui lui avait paru alors un léger mensonge
destiné à préserver l'innocence d'une jeune fille de
treize ans, lui semblait à présent une manipulation
malhonnête et inexcusable.
Hilary se promit de tout révéler à sa sœur dès que
Roel n'aurait plus besoin d'elle.
— De quoi souffre-t-il, au juste ? reprit Emma.
Hilary inspira profondément avant de se lancer dans
son explication.
— Tu sais ce que ça veut dire, j'espère ? s'écria Emma
avec entrain dès que sa sœur eut terminé. Pour vous,
c'est l'occasion ou jamais de repartir sur de nouvelles
bases. C'est génial, non ?
— La question n'est pas d'actualité, murmura Hilary.
Je suis juste là pour l'aider à mieux surmonter cette
épreuve... C'est tout.

Lorsque Hilary descendit pour le dîner, Umberto
la conduisit à la salle à manger éclairée aux chan-
delles.
Sur la table recouverte d'une nappe blanche, les
verres en cristal, la porcelaine fine et les couverts en

argent ouvragé brillaient de mille feux. Un bouquet uV
lis d'une blancheur opalescente trônait au centre.
— C'est magnifique, déclara Hilary à l'attention
du majordome qui retint à grand-peine un sourire de
satisfaction.
Roel les rejoignit à cet instant précis. Posant les yeux
sur la table soigneusement dressée, il se rembrunit
Quelle date importante avait-il oubliée ?
— Puis-je savoir ce que nous fêtons ? demanda-t-il
d'un ton abrupt.
En rougissant, Hilary leva son verre de vin d'une
main tremblante.
— Ta sortie de l'hôpital, je suppose.
Roel hocha la tête d'ufl air circonspect. Puis, sans
transition, il reprit la parole.
— J'ai pensé à un sujet de conversation tout à fait
neutre, pour le dîner, annonça-t-il, un brin sarcastique.
J'aimerais que tu me parles de ta famille.
Hilary haussa les épaules.
— Oh, il n'y a pas grand-chose à dire, tu sais.
— Tu n'as qu'à commencer par tes parents, insista
Roel en s'asseyant en face d'elle.
Se trompait-elle ? Il avait l'air sincèrement inté-
ressé.
— Mes parents sont morts dans un accident de voiture
en France. J'avais seize ans et ma sœur Emma, onze,
expliqua-t-elle, le cœur soudain lourd.
Roel fronça les sourcils.
— Qui s'est occupé de vous ?
— Une cousine de mon père, répondit-elle brièvement,

peu encline à s'attarder sur ce douloureux épisode.
Emma est en pension maintenant.
— Ici, en Suisse ?
Hilary se raidit.
— Non, en Angleterre.
— TU n'as pas d'autre famille ?
— Non. Ma grand-mère s'est beaucoup occupée de
moi, ajouta-t-elle spontanément. Elle était italienne et
vivait avec nous quand j'étais petite. C'est grâce à elle
que j'ai appris l'italien.
Roel fronça les sourcils.
— Alors pourquoi ne me parles-tu pas dans cette
langue ? demanda-t-il en s'exprimant dans sa langue
maternelle.
Elle esquissa une grimace.
— Pas question. Je comprends beaucoup mieux
l'italien que je ne le parle.
— Il est grand temps que cela change, décréta-t-il
d'un ton ferme.
— Non, répliqua Hilary, toujours en anglais. Je n'ai
pas oublié le jour où tu t'es moqué de ma façon de
parler italien. Tout ça parce que j'utilise un vocabulaire
soi-disant archaïque !
— Je te taquinais sûrement, cara, murmura Roel
d'un ton qui trahissait à la fois son amusement et sa
satisfaction à l'entendre évoquer le passé.
Baissant les yeux sur son assiette, Hilary se garda
bien de lui avouer que sa remarque, à l'époque, avait
davantage relevé du reproche que de la taquinerie.
Sûrement parce qu'il n'avait guère apprécié qu'elle ait

prêté l'oreille à une conversation téléphonique qu'il
souhaitait confidentielle...
Mais pourquoi ressasser le passé alors que seul
comptait l'instant présent ? Pour le moment, en tout
cas...
Hilary savoura chaque plat et but avec plaisir le vin
que lui servit Umberto. Après avoir refusé une tasse
de café, elle prétexta qu'elle était épuisée pour aller
se coucher.
— Il est à peine 21 heures, fit observer Roel d'une
voix étonnamment douce.
— Je suis une couche-tôt, déclara-t-elle sans se
démonter.
Elle se leva, aussitôt imitée par Roel. En passant à
côté de lui, elle sentit sa main attraper la sienne.
— Une question me tourmente, dit-il. J'aimerais
vraiment que tu me répondes.
— Je t'en prie, Roel, tu sais que ce n'est pas bon
pour toi, fit Hilary d'une voix implorante.
Mais Roel posait sur elle un regard inflexible. Cette
fois, il ne tolérerait aucune dérobade, le message était
clair.
— Qui de nous deux a souhaité faire chambre à
part ?
Hilary sentit sa gorge se nouer.
— Toi, murmura-t-elle, parce que ce fut la seule
réponse qui lui vint à l'esprit.
Un sourire énigmatique se peignit sur les lèvres de
Roel. Le cœur battant à coups précipités, Hilary se
libéra de son étreinte et s'écarta vivement.

— Bonne nuit, murmura-t-elle avant de s'éloigner
d'un pas mal assuré.
Dix minutes plus tard, après s'être démaquillée et
brossé les dents, elle se glissa entre les draps frais et
éteignit la lumière.
Trop énervée pour pouvoir s'endormir tout de suite,
elle ne put s'empêcher de se rappeler ses premières
entrevues avec Roel.
Car il s'agissait bien d'entrevues. A quoi bon se voiler
la face ? Elle était tombée amoureuse d'un homme qui
ne lui avait jamais accordé le moindre rendez-vous
romantique...
A peu près une fois par mois, il venait se faire couper
les cheveux dans le salon où elle travaillait. A la suite
le sa première visite, la responsable du salon, qui avait
noté la taille de sa limousine et le montant du pour-
boire qu'il avait laissé à Hilary, avait voulu s'occuper
de lui. Mais à la grande surprise de la jeune femme,
Roel avait refusé et insisté pour que ce soit elle qui
lui coupe les cheveux.
— Vous vous êtes souvenu de mon nom, alors ? lui
avait-elle demandé, secrètement flattée.
— Non, je vous ai décrite.
— Comment ?
Un sourire un peu moqueur avait joué sur les lèvres
de Roel.
— J'ai demandé la petite coiffeuse habillée en
noir.
Le portrait peu flatteur qu'il avait brossé d'elle avait
quelque peu refroidi son ardeur. Mais il lui en fallait
plus pour se décourager...

Au fil des rendez-vous, elle en avait appris davan-
tage sur lui, certainement parce qu'elle n'avait pas
hésité à se confier elle-même. Mais le jour où elle
s'était risquée à lui demander ce qu'il faisait dans la
vie, il avait répondu d'un ton évasif qu'il travaillait
dans une banque.
Quelque temps plus tard, elle était tombée par hasard
sur un article consacré à la banque Sabatino, dans la
rubrique économique d'un grand quotidien. C'était ainsi
qu'elle avait appris que Roel était plus qu'un simple
employé de banque... Il était le grand patron.
Le jour où elle l'avait entendu se plaindre au télé
phone des clauses du testament de son grand-père — la
simple idée de se séparer de la demeure familiale qu'il
chérissait semblait lui fendre le cœur —, c'est tout
naturellement qu'elle lui avait proposé de devenir cette
« épouse de convenance » dont il avait besoin.
Après avoir mis abruptement un terme à sa conversation
téléphonique, il l'avait considérée d'un air interdit.
— Eh bien, oui... Pourquoi pas ? avait-elle lancé,
les joues en feu.
Car déjà elle était prête à tout, absolument tout,
pour lui rendre service. Peut-être ainsi finirait-elle par
acquérir de l'importance à ses yeux ? Peut-être même
commencerait-il à s'intéresser sincèrement à elle ?
— J'aurais mille et un arguments à vous opposer,
avait-il répondu froidement.
— Ça ne m'étonne pas ! Vous devez être constamment
sur vos gardes, avait répliqué Hilary sur un ton genti
ment ironique. Votre problème est pourtant tout bête :

vous avez besoin d'une épouse pour conserver votre
propriété et je propose de vous venir en aide...
— Je refuse d'aborder ce sujet avec vous. Vous
avez délibérément prêté l'oreille à une conversation
privée.
— Dans ce cas, vous devriez mettre votre fierté de
côté et demander à une de vos amies de vous sortir de
ce mauvais pas, avait-elle malgré tout insisté.
— Où avez-vous appris à parler un italien aussi
archaïque ?
— Que reprochez-vous à mon italien ? avait demandé
Hilary, piquée au vif.
Roel était parti d'un rire rauque.
— Les mots et les expressions que vous utilisez
datent d'une époque révolue.
— C'est fou ce que vous pouvez être indélicat,
parfois ! Je voulais juste vous aider.
Roel l'avait observée avec attention.
— Pourquoi ça ? On ne se connaît même pas.
Blessée par la dureté de ses propos, Hilary avait
haussé les épaules.
— Désolée, avait-elle murmuré.
— Ne boudez pas, ce n'est pas joli chez une
femme.
Elle avait alors furtivement levé les yeux, et elle
avait surpris dans le miroir son sourire charmeur et
irrésistible. Un sourire qui lui chavirait le cœur chaque
fols qu'il naissait sur ses lèvres sensuelles...
Trois semaines plus tard, il l'avait appelée dans le
salon de coiffure et lui avait donné rendez-vous pour
déjeuner, dans le restaurant d'un luxueux hôtel.

— Il s'agit d'un rendez-vous purement professionnel,
avait-il précisé au téléphone, sans doute pour dissiper
tout malentendu.
Au restaurant, Roel avait énoncé une à une les clauses
du mariage de convenance qu'elle avait accepté, sur
une impulsion. Sa froideur, pendant qu'il parlait, lui
avait vite fait perdre l'appétit et elle n'avait pas touché
à son assiette pourtant copieusement garnie.
Il lui avait ensuite avoué son intention de la dédom
mager pour le service qu'elle lui rendait. Elle avait
fermement refusé : en aucun cas elle n'accepterait
d'être payée. Lorsqu'il avait mentionné le montant
de la somme qu'il souhaitait lui verser, Hilary avait
manqué s'étrangler.
— Prenez le temps d'y réfléchir, nous en reparlerons
lors de notre prochain rendez-vous, avait-il suggéré
en l'enveloppant de son regard pénétrant. Imaginez
ce que vous pourriez faire grâce à cette somme. Vous
pourriez reprendre vos études, par exemple.
Hilary avait haussé les sourcils.
— Non, merci ! Une fois m'a suffi... Contrairement
à ce que vous semblez croire, je ne suis pas devenue
coiffeuse en désespoir de cause, j'ai toujours rêvé
d'exercer ce métier et il me plaît énormément.
— Vous devriez pourtant retourner à l'école, avait
insisté Roel, ignorant délibérément sa tirade offus-
quée. Cela vous permettrait d'élargir vos horizons.
Si vous voulez mon avis, vous manquez cruellement
d'ambition.
Il s'était redressé avant de poursuivre.

— Ceci dit, ce n'est pas mon problème. J'essayais
simplement de vous donner quelques conseils.
— Et de me tenter avec votre argent.
Avec succès, au bout du compte...
Dans les jours qui avaient suivi leur entrevue, Hilary
n'avait pu s'empêcher de songer aux changements
radicaux qu'un dixième seulement de la somme qu'il
avait proposée aurait pu entraîner dans sa vie : si elle
pouvait trouver un appartement dans un quartier moins
sensible de Londres, elle réussirait sans nul doute à
séparer sa sœur cadette de la bande peu fréquentable
qui l'entraînait sur un mauvais chemin depuis quelque
temps ; si elle pouvait ouvrir son propre salon de
coiffure, elle pourrait moduler son emploi du temps
en fonction des besoins d'Emma...
Séduite malgré elle par ces perspectives, Hilary
avait fini par accepter un quart de l'argent. Ce ne fut
qu'après avoir empoché le chèque qu'elle avait compris
son erreur : en acceptant l'argent de Roel, elle avait
définitivement perdu son estime...
Réprimant un soupir, Hilary s'arracha à ses tristes
souvenirs.
Soudain, le bruit de la porte qu'on ouvrait sans
ménagement la fit sursauter. L'instant d'après, un flot
de lumière inondait la pièce. Clignant des yeux, elle
reconnut la silhouette de Roel et s'efforça aussitôt
d'émerger de sa torpeur.
Avant qu'elle ait le temps de recouvrer ses esprits,
une main impérieuse rabattit les draps. Un petit cri
de stupeur s'échappa de ses lèvres. Impassible, Roel

se pencha vers elle et la souleva prestement dans ses
bras.
— Que fais-tu ?
— A partir de maintenant, nous partageons le même
lit, cara, déclara Roel en l'emportant d'un pas décide
vers sa propre chambre.
— Je... je ne crois pas que ce soit une bonne idée,
protesta faiblement Hilary.

4.






Roel la déposa délicatement sur le grand lit. Saisie
par une soudaine fébrilité, Hilary se redressa vivement.
Avec ses fines bretelles, son décolleté plongeant et ses
incrustations de dentelle, sa courte nuisette de soie bleu nuit lui parut tout à coup beaucoup trop indécente et
elle tira sur le drap pour cacher ses jambes.
Tout à côté d'elle, Roel déboutonna sa chemise.
En proie à un embarras grandissant, Hilary retenait son
souffle. Elle avait vingt-trois ans et c'était la première
fois qu'un homme se déshabillait devant elle... Car
oui, elle était encore vierge et à de nombreux égards,
elle devait son innocence à Roel, qui incarnait à ses
yeux, et depuis si longtemps, l'homme idéal. Au point
qu'aucun autre n'avait trouvé grâce à ses yeux.
Pourtant, il ne lui rendrait jamais l'amour qu'elle
lui portait...
— Je vais prendre une douche, bella mia..., annonça-
il.
Le visage en feu, Hilary parvint à grand-peine à
détacher son regard du torse hâlé et musclé, dévoilé
par sa chemise ouverte.

— Je ne suis pas belle ! Arrête de m'appeler comme
ça, protesta-t-elle à rai-voix.
Roel posa un genou sur le lit. Son regard glissa sur
elle comme une caresse.
— Tu es très belle, il faut me croire...
— Mais...
— Tu as une silhouette de déesse.
— Je suis petite...
— Peut-être, mais tu es parfaite. Il me suffit de
poser les yeux sur toi pour éprouver l'envie irrésistible
de t'entraîner vers le lit le plus proche... C'est chose
faite à présent.
Il se redressa et entreprit de déboutonner son
pantalon.
— Tu... tu es censé te reposer, balbutia Hilary, la
gorge nouée. Il vaut mieux que je retourne dans ma
chambre.
— Arrête tes bêtises et dors, répliqua Roel en
riant.
Jamais encore elle ne l'avait vu aussi souriant,
aussi détendu. Pour la première fois depuis qu'elle le
connaissait, il semblait heureux, presque insouciant.
Soudain heureuse, Hilary se tourna sur le côté. Quel
mal y avait-il à dormir dans le même lit, après tout ?
Surtout quand celui-ci était immense...
Peut-être, mais que se passerait-il si, au cours de la
nuit, Roel se blottissait contre elle, d'humeur sensuelle ?
Trouverait-elle la force de lui résister ? La réponse
résonna clairement dans son esprit confus. Non, elle
ne le pourrait pas. Une autre question la perturbait :

comment réagirait-il, une fois qu'il aurait recouvré la
mémoire, s'il se passait quelque chose entre eux ?
— Tu ne dors toujours pas, cara ? demanda-t-il
d'une voix grave et profonde, en sortant de la salle
de bains.
Hilary releva la tête et risqua un coup d'œil dans
sa direction.
Une simple serviette de bain ceignait ses hanches
étroites, tandis que de minuscules gouttes d'eau scin-
tillaient dans la fine toison brune qui recouvrait son
torse musclé.
Le souffle court, Hilary rencontra son regard indé-
chiffrable. Lorsqu'il s'assit au bord du lit, tout près
d'elle, elle sentit son cœur s'emballer. Sans la quitter
des yeux, il fit glisser le drap avec une lenteur délibérée,
centimètre par centimètre.
— Je veux te regarder, dit-il d'une voix rauque qui
FIT courir de délicieux frissons sur sa peau. Je veux te
voir toute nue, rien que pour moi...
Sur le point de protester, elle commit l'erreur de
plonger dans son regard brûlant. Aussitôt, elle s'y noya
avec délectation. Elle était perdue...
— Roel...
— J'aime ta façon de dire mon prénom, chuchota-t-il
avant de capturer ses lèvres dans un baiser avide.
Sa langue franchit aisément le barrage de ses lèvres
entrouvertes et chercha la sienne. Avec un petit gémis-
sement, Hilary enfouit ses mains dans les cheveux
épais de son compagnon, comme pour mieux le retenir
auprès d'elle.
— Tu as une bouche incroyablement sexy, murmura-

t-il en la prenant dans ses bras pour l'asseoir sur ses
genoux.
En proie à une exquise confusion, Hilary contemplait
son beau visage racé.
— On ne peut pas faire ça... c'est impossible,
balbutia-t-elle.
— Vraiment ? fit Roel en défaisant adroitement
les minuscules boutons qui fermaient le haut de sa
nuisette.
Il écarta lentement le tissu soyeux, dévoilant sa
poitrine.
— Santo cielo... Tu es superbe...
Etouffant un gémissement, il inclina la tête et
emprisonna entre ses lèvres un téton durci qu'il titilla
délicatement avec sa langue.
Une vague de volupté déferla sur Hilary, prise de
court par l'intensité des sensations nouvelles qu'il
faisait naître en elle. Elle tressaillit violemment,
arquant sans retenue son corps vibrant de désir contre
celui de Roel.
— Dès l'instant où j'ai posé les yeux sur toi à la
clinique, confessa Roel en promenant sur elle son regard
brûlant, j'ai eu envie de te voir comme ça, dans mon lit,
à la merci du désir, offerte au plaisir. Dis-moi, était-ce
déjà comme ça lors de notre première rencontre ?
— Tu ne me l'as jamais dit, répondit Hilary, en
cherchant à éluder la question.
Elle enfouit son visage empourpré contre l'épaule
de Roel.
— Dois-je en conclure que je ne suis pas du genre
à partager toutes mes pensées avec toi ?

— Oui, je crois qu'on peut dire ça...
S'emparant de nouveau de ses lèvres avec fièvre,
Roel la plaqua contre les oreillers et s'allongea sur elle. Instinctivement, les hanches d'Hilary se mirent
à onduler sous son corps viril, musclé.
— Tu es prête à m'accueillir, bella mia, chuchota Roel d'une voix triomphante.
Hilary, même si elle l'avait voulu, n'aurait pu le
nier. Chaque parcelle de son corps était devenue
ultrasensible... Jamais encore elle n'avait éprouvé de
sensations aussi enivrantes. L'esprit embrumé, elle ne
pensait plus qu'à une seule chose : assouvir le désir
qui la consumait presque jusqu'à la douleur, s'offrir à
Roel sans retenue, atteindre avec lui les sommets d'un
plaisir qu'elle avait si souvent imaginé, et toujours
dans ses bras.
Comme mues par une volonté propre, ses mains
couraient sur le corps lisse et musclé de Roel. Elle était
heureuse, si heureuse qu'il soit son premier amant...
— Ne sois pas si pressée, murmura-t-il tandis qu'il
la débarrassait prestement de sa nuisette.
Voilé par le désir, son regard noir se promena avec
gourmandise sur ses courbes féminines et voluptueuses,
avant de s'attarder avec une audace insolente sur la
douce toison à la jonction de ses cuisses laiteuses.
— Roel..., implora Hilary, soudain gênée par son
regard scrutateur.
Esquissant un sourire, il se redressa et dénoua la
serviette qui lui ceignait les hanches. Hilary retint son
souffle, émerveillée par la beauté souple et féline de

son corps viril. Sans aucune gêne, il laissait apparaître
le désir qu'il ressentait pour elle.
Tout à coup, elle eut l'étrange impression de se
liquéfier...
— J'ai envie de toi, dit-il en reprenant ses lèvres
avec autorité.
Le contact de sa langue contre la sienne acheva de
transporter Hilary dans un univers magique où régnaient
en maître le plaisir et la sensualité.
— Je veux te rendre folle de désir, ajouta-t-il en
déposant sur ses seins une pluie de baisers.
Une plainte presque animale s'échappa des lèvres
d'Hilary lorsque la bouche de Roel effleura sa poitrine
L'instant d'après, ses lèvres happaient un téton pour
lui infliger la plus exquise des tortures.
Ivre de plaisir, Hilary ferma les yeux, la tête rejetée
sur les oreillers.
— J'adore te regarder quand tu prends du plaisir,
confessa Roel à mi-voix.
Elle avait l'impression qu'une boule de feu se déployait
dans son ventre et irradiait dans tout son corps...
Comme s'il avait deviné qu'elle ne pourrait pas
attendre plus longtemps, Roel la caressa là où personne
encore ne l'avait jamais touchée. De ses doigts habiles
et doux, il explora le cœur moite de sa féminité, en
traça les contours avec une délicatesse infiniment
érotique.
Un long gémissement s'échappa de ses lèvres
Débarrassée de toute pudeur, Hilary brûlait d'envie
de le sentir s'enfoncer en elle... Elle ne pouvait plus
attendre...

Roel... Je t'en supplie...
Avait-il l'intention de la rendre folle de désir ?
Perdant toute retenue, elle agrippa les hanches de
Roel et se cambra contre lui en répétant son nom à
la manière d'une litanie. Il plongea en elle, incapable
de résister plus longtemps à l'invitation languide de
sa compagne.
— Tu es si sensuelle, cara mia, murmura-t-il comme
elle retenait son souffle.
11 plongea de nouveau en elle. Un petit cri de douleur
et de surprise échappa à Hilary, en même temps que
des larmes embuaient son regard.
Roel se figea. L'incrédulité s'inscrivit sur son visage
tandis qu'il la contemplait d'un air hébété.
— Est-ce une impression ou bien étais-tu encore...
encore vierge ?
Déjà, le corps d'Hilary s'était habitué à cette déli-
cieuse invasion, et la douleur céda vite le pas à d'autres
sensations, infiniment plus agréables. Rattrapée par
son désir brûlant, elle se plaqua contre lui pour l'em-
brasser avec fougue.
Son rêve le plus fou venait de se réaliser : Roel était
son premier amant, celui à qui elle venait d'offrir sans
l'ombre d'une hésitation, et sans le moindre regret, le
cadeau précieux de sa virginité.
— Mon Dieu... Je ne savais pas que de telles sensa-
tions pouvaient exister... Continue, je t'en supplie...
— Ma femme... Une jolie vierge de vingt-trois ans,
murmura Roel d'une voix qui tremblait légèrement.
Nouant ses bras autour de sa nuque, Hilary l'invita

fébrilement à prendre possession d'elle. Pour de bon
cette fois.
— S'il te plaît...
Incapable de résister à un appel aussi sensuel, Roel
s'enfonça en elle avec délices, imposant peu à peu A
Hilary un rythme d'abord langoureux puis de plus eu
plus fébrile, jusqu'à ce que l'extase les prenne tous les
deux et les propulse dans un océan de volupté pure
et indicible.
A bout de souffle, le cœur cognant à coups redoublés,
dans sa poitrine, Hilary retomba sur les oreillers cl
resta ainsi un long moment, immobile et muette.
Voilà... Roel lui avait fait l'amour. La communion
de leurs deux corps avait surpassé toutes les idées
qu'elle s'était faites de ce moment de grâce dont elle
avait rêvé en secret, si souvent.
Néanmoins, maintenant que la réalité reprenait peu
à peu ses droits et que la confusion qui embrumait son
esprit se dissipait, lentement, elle prenait conscience
du guêpier dans lequel elle s'était fourrée en cédam
à son désir.
Qu'allait faire Roel maintenant qu'il savait qu'elle
était vierge ? Quelle serait sa réaction ?
A cet instant précis, celui-ci roula sur le côté et
glissant un bras autour de sa taille, il l'entraîna avec
lui de l'autre côté du lit. Puis, il plongea son regard
sombre dans le sien et l'examina avec attention, pendant
un moment qui lui sembla durer une éternité.
Enfin, il posa un baiser sur son front.
— Alors, alors, ma jolie vierge effarouchée..

Dois-je conclure que nous venons tout juste de nous
marier ?
Hilary baissa les yeux, en proie à un vif embarras.
Comme son silence se prolongeait, Roel reprit
doucement:
— C'est drôle, on dirait que tu as perdu ta
langue...
— Une douche me fera le plus grand bien ! s'écria
Hilary en sautant du lit avant qu'il ait le temps de la
retenir.
La fuite paraissait à Hilary la seule solution possible
— provisoirement, en tout cas —, et elle se précipita
vers la salle de bains, complètement nue, prenant soin de
ramasser au passage sa nuisette qui gisait par terre.
— Che cosa hai ? Que se passe-t-il, à la fin ?
demanda Roel au moment où elle refermait derrière
elle la porte de la salle de bains.
— Rien du tout, pourquoi ? mentit-elle en s'adossant
au battant.
Hélas, son soulagement fut de courte durée. Que
penserait d'elle Roel lorsque la mémoire lui serait
revenue ? Une vague de honte la submergea: et s'il
devinait qu'elle s'était offerte à lui par amour ? Un
amour fou, désespéré, qui la tourmentait depuis quatre
longues années...
Il la trouverait pathétique, cela ne faisait aucun
doute. Quelle horreur ! Elle était certaine qu'elle ne
pourrait pas le supporter...

Dans la chambre, le téléphone interne émit un discret
bourdonnement. Roel décrocha. D'une voix étouffée,
Umberto l'informa qu'un visiteur l'attendait au rez-de-
chaussée.
— Qui est-ce ? demanda Roel en attrapant ses
vêtements.
A l'autre bout du fil, le majordome toussota avec
nervosité, visiblement mal à l'aise.
— C'est une visite privée, c'est tout ce que je peux
vous dire.
Quelques minutes plus tard, Roel descendait l'es-
calier.
— Pourquoi tant de mystère ? lança-t-il d'un ton sec
à l'attention du domestique.
— Mlle Céline Duroux vous attend, monsieur, répondit
ce dernier en s'efforçant de rester impassible.
Roel fronça les sourcils. Ce nom n'éveillait en lui
aucun souvenir et il sentit la colère et la frustration
l'envahir. Combien de temps encore allait durer cette
amnésie qui l'empêchait de maîtriser le cours de son
existence ?
— Elle vous attend dans le petit salon, ajouta
Umberto.
Avec un petit hochement de tête, Roel se dirigea vers
la pièce située au fond d'un couloir rarement utilisé.
A peine eut-il ouvert la porte qu'une ravissante
brune aux yeux verts se jeta dans ses bras. Presque
aussi grande que lui, elle possédait la beauté classique
et l'élégance naturelle d'un top model.
— Tu m'as fait une peur bleue ! s'écria-t-elle en
se blottissant contre lui. En ne te voyant pas hier,

j'ai supposé que tu avais été retenu par une affaire
urgente. Ensuite, j'ai entendu dire que tu avais eu un
accident... J'étais folle d'inquiétude, tu ne te rends pas
compte ! Voilà pourquoi je me suis permis de venir
jusqu'ici...
Décontenancé par la chaleur de cet accueil, Roel saisit
la jeune femme par les bras et l'écarta de lui sans ména-
gement. Puis il la dévisagea d'un air circonspect.
— Comme tu peux le voir, il n'était pas nécessaire
de t'inquiéter. Je suis en pleine forme.
Céline Duroux feignit d'être parcourue d'un long
frisson.
— Que me vaut tant de froideur ? minauda-t-elle
en esquissant une moue boudeuse.
Le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles semblait avoir été répété des heures durant devant un
miroir. Un tel manque de naturel était parfaitement
insupportable, songea Roel en croisant le regard vert
émeraude de Céline.
— D'accord. Je sais que je n'aurais pas dû venir
ici, reprit-elle d'une petite voix presque enfantine. Tu
préfères que ta maîtresse reste très discrète. Mais tout
de même, Roel, nous ne sommes plus au xixe siècle !
Malgré l'expression parfaitement impassible qu'il
s'appliqua à conserver sur son visage, Roel reçut un
choc en entendant ces propos. Il comprenait mieux à
présent l'air gêné et désemparé d'Umberto... Céline
Duroux n'était autre que sa maîtresse... Et, comble
de l'audace, elle n'avait pas hésité à se présenter au domicile conjugal de son amant.
La conduite de la jeune femme en disait long sur

son propre comportement, hélas ! réalisa-t-il soudain
Comment avait-il pu être aussi fourbe, aussi hypo
crite, aussi... méprisable, lui qui croyait détester le
mensonge et vénérer la franchise et la droiture ? Jamais
il ne se serait cru capable de mener ainsi une double
vie. Lui, infidèle ? Cela lui semblait tout simplement
inconcevable !
En même temps, ceci expliquait la réserve d'Hilary
à son égard. Peut-être était-elle au courant de sa rela
tion avec cette femme ? Peut-être même était-ce elle
qui avait décidé de faire chambre à part, précisément
pour cette raison ? plein de dégoût pour lui-même,
Roel étouffa un juron. Etait-il trop tard pour remédier
à la situation ?
— Je pense effectivement qu'il aurait été plus sage de
ne pas venir ici, répliqua-t-il avec une froideur glaciale.
Mais puisque le mal est fait, je profite de ta présence
pour t'annoncer ma décision de rompre. Notre relation
est terminée. Et c'est une décision sans appel.
Prise de court, Céline attendit quelques secondes
avant de tourner les talons. Puis, elle quitta la pièce
avec une dignité affectée, non sans l'avoir une dernière
fois foudroyé du regard.
Roel était stupéfait de ce qu'il venait de découvrir
sur son propre compte...
Chez les Sabatino, on était des hommes d'honneur
et de parole. Et c'étaient leurs femmes qui, depuis
quelques générations, s'étaient avérées volages, infi-
dèles, cupides et immorales. Alors, quelle mouche
l'avait piqué, bon sang ?
Dieu merci, il n'était pas trop tard pour se reprendre.

Hilary venait de lui en donner la preuve éclatante en
s'offrant à lui avec sincérité et générosité. Oui, elle
venait de lui faire un cadeau infiniment touchant.

Inquiète de la brusque disparition de Roel, elle qui
avait toujours cru les hommes prompts à s'endormir
après l'amour, Hilary força son courage et partit à sa
recherche.
Mais en descendant l'escalier, elle aperçut une belle
jeune femme brune, très élégante, qui traversait le hall
d'entrée d'une démarche chaloupée. Comme pétrifiée,
le souffle coupé, elle ne put qu'admirer l'opulente
chevelure noir de jais, le ravissant profil et les jambes
fuselées, interminables, de la mystérieuse inconnue.
L'instant d'après, la porte se refermait sur la longi-
ligne silhouette.
Qui était-elle ? Une amie de Roel venue lui rendre
visite à l'improviste, après avoir appris l'accident dont
il avait été victime ? Peut-être même une amie très
intime... Oui, c'était cela, sans aucun doute... Quoi de
plus normal, au fond, qu'un homme aussi séduisant,
aussi sensuel que lui, ait une maîtresse ? Compte tenu
de la véritable nature de leur mariage, elle ne pouvait
rien lui reprocher.
Submergée par un mélange de désespoir et d'em-
barras, elle remonta à la hâte l'escalier et retourna se
coucher.
Avant de sombrer dans le sommeil, une dernière
question l'assaillit : si Roel avait une autre femme

dans sa vie, pourquoi la tante Bautista l'avait-elle
contactée, elle ?

Roel s'approcha de son épouse et contempla longue-
ment le visage détendu de la belle endormie. Ses cils
épais, délicatement recourbés, étaient collés entre eux
comme si elle avait pleuré.
Alors, une nouvelle vague de culpabilité le submergea.
Quel genre de macho odieux et irrespectueux était-il
pour oser faire souffrir une jeune femme aussi candide,
aussi spontanée et sincère ?
Il ne parlerait pas avec elle de son aventure extracon-
jugale avec Céline Duroux, même pour lui présenter
ses excuses et lui promettre que ce genre d'écart ne se
reproduirait plus. Non, cela aurait été trop indélicat de
sa part... Et il avait assez fait de dégâts comme ça.
En revanche, les choses étaient claires dans son
esprit et sa vie, à compter de ce jour, s'organiserait
très simplement. Hilary était son épouse et, à ce titre,
elle méritait toute l'attention, tout le respect, tous les
égards.

Hilary étira ses membres endoloris. Tout à coup,
le souvenir de ce qui s'était passé la veille lui revint
à l'esprit et avec lui, le tourbillon d'émotions qui la
tenaillaient avant qu'elle ne sombre dans un sommeil
sans rêves.
Elle consulta l'heure et haussa les sourcils. Midi
passé ! Elle avait dormi comme un loir...

Elle se leva et se dirigea vers la salle de bains, s'ef-
forçant de ne pas songer à Roel. Trop tard... A peine
levée, son esprit la trahissait ! Elle revit le visage de
son mari lorsqu'il lui faisait l'amour et qu'il la contem-
plait d'un regard voilé par le désir, un regard plein de
promesses sensuelles. A ce souvenir, elle tressaillit
violemment.
Oui, derrière l'apparence de froideur et d'assu-
rance, elle le savait maintenant, se cachait un homme
fougueux et passionné. Un homme qui l'avait guidée
SUR les chemins du plaisir.
Ainsi, elle avait fait l'amour avec Roel... Elle s'était
offerte à lui sans l'ombre d'une hésitation, donnant
libre cours à ses sentiments trop longtemps refoulés.
Elle le savait, jamais elle ne pourrait vivre quelque
chose d'aussi intense, d'aussi intime avec un autre
homme. Cette simple idée lui semblait tout simplement
inconcevable.
Et même si, juste après ce délicieux moment d'éga-
rement, elle avait eu l'impression d'avoir profité de
l'état de faiblesse passagère de Roel, pour vivre son
plus beau rêve, elle ne regrettait rien.
Quel mal y avait-il, au fond, à se fabriquer des
souvenirs qu'elle chérirait précieusement, lorsque tout
serait fini ? Ce jour-là, Roel la chasserait facilement
de son esprit, elle ne se faisait aucune illusion. Sans
regret ni remords, il reprendrait sa vie de célibataire
pendant qu'elle se morfondrait dans son petit appar-
tement londonien. Seule... désespérément seule.
Et aucun homme ne le remplacerait jamais dans son
cœur, elle le savait avec certitude.

Soudain, un petit bruit la fit sursauter.
— Oh... c'est toi, murmura-t-elle en apercevant le
reflet de son mari dans le miroir.
— Dormiglione... Bonjour, belle endormie, dit-il
d'une voix suave qui précipita les battements de son
cœur.
Il contempla d'un air réprobateur les produits de
maquillage soigneusement alignés sur le plan de
toilette.
— Tu n'as pas besoin de tout ça, ajouta-t-il. Jette-
les.
Irritée par son ton impérieux, Hilary rejeta la tête
en arrière et entreprit de maquiller ses lèvres d'un air
de défi.
— J'aime me maquiller, affirma-t-elle.
— Mais tu dois bien savoir que je n'aime pas les
femmes trop maquillées. En fait, je déteste tous les
genres d'artifices.
Sans se démonter, Hilary passa une double couche
de gloss framboise avant de gratifier son époux d'un
sourire aguicheur.
— Tu es vraiment surprenant, tu sais... Tellement
autoritaire, tellement habitué à ce que tout le monde
t'obéisse au doigt et à l'œil...
— J'exprimais une préférence, je n'ordonnais pas,
nuance.
— Je ne suis pas bien sûre de saisir la différence,
en ce qui te concerne. De toute façon, peu importe.
Je ne vais tout de même pas jeter mon maquillage à la
poubelle simplement parce que tu n'apprécies pas.
Elle lui sourit d'un air malicieux.

— C'est un peu comme si je te disais : « Roel, ton
costume est un peu trop austère à mon goût. » J'imagine
que tu ne t'en débarrasserais pas sur-le-champ pour en
acheter un autre plus... tendance, n'est-ce pas ?
— Je n'ai pas pour habitude de donner dans le
« tendance », comme tu dis, quand je vais travailler
à la banque.
— Mais tu n'es pas à la banque, en ce moment,
répliqua Hilary.
Sans qu'elle ait le temps de réagir, Roel l'attrapa par
la taille et l'obligea à lui faire face.
— Je te trouve décidément très insolente...
Hilary leva sur lui un regard rieur. Et lorsqu'il resserra son étreinte, elle se blottit avec bonheur contre son torse vigoureux.
— Tu veux dire... provocante ?
Roel prit son visage entre ses longues mains puis-
santes. Quasi hypnotique, son regard noir l'enveloppa
comme une caresse.
— Tu me rends fou de désir, si tu veux tout savoir...

Il la serra plus fort contre lui.
— Si les femmes de chambre n'étaient pas en ce
moment dans la chambre voisine, je te prendrais
volontiers ici, tout de suite. Je te ferais l'amour vite
et passionnément, et je suis sûr que tu adorerais ça,
bella mia.
Tandis qu'elle se plaquait contre lui, le souffle court
à l'évocation de cette scène infiniment érotique, Roel
reprit sur le même ton :

— Je réussirais même à épargner ton maquil-
lage...
— Je n'en doute pas un instant, murmura-t-elle,
chavirée par les mots qu'il prononçait.
Roel partit d'un rire rauque.
— Mais je vais résister à mes pulsions jusqu'à ce que
tu te démaquilles, conclut-il en effleurant ses lèvres
d'un innocent baiser.
— Eh bien tu risques d'attendre longtemps ! riposta
Hilary en se libérant de son étreinte, faussement
offusquée.
Après un bref instant d'hésitation, elle se risqua enfin
à poser la question qui la hantait depuis son réveil.
— J'ai aperçu une femme qui t'a rendu visite, hier
soir... Qui était-ce ?
Du coin de l'œil, elle vit la mâchoire de Roel se
contracter.
— Quelle femme ?
Hilary rougit.
— Une belle brune avec de longs cheveux...
— Oh, elle...
Imperturbable, Roel haussa les épaules avec une
désinvolture stupéfiante.
— C'est une collaboratrice.
En proie à un vif soulagement, Hilary s'en voulut
d'avoir craint le pire au sujet de cette sublime brune
et de son mari.
Depuis la pièce voisine, une des femmes de chambre
s'adressa à Roel. Ce dernier se tourna vers Hilary.
sourcils froncés.
— Où sont passés tes vêtements ? demanda-t-il

En préparant ta valise, les femmes de chambre n'ont
trouvé que deux tenues dans ta penderie, cara. Qu'as-
tu fait du reste ?
Prise de court, Hilary s'efforça de trouver une
réponse, n'importe laquelle... Elle se mordit la lèvre
et bredouilla :
— Je... je me suis débarrassée de tout ce qui ne me
paraissait pas nécessaire... Un genre de « nettoyage par
le vide », si tu vois ce que je veux dire. Bon, d'accord,
j'ai peut-être un peu exagéré.
Un silence pesant suivit ses explications confuses.
Roel la considérait d'un air perplexe.
— Il faut absolument que je me rachète quelques
bricoles, conclut-elle d'un ton faussement léger.
— C'est fou, on croirait presque que tu n'habites
pas ici, finit-il par dire.
Hilary leva les yeux au ciel.
— Pour l'amour de Dieu, que vas-tu imaginer ?
Roel ne cilla pas.
— Dans ce cas, donne-moi une explication plausible
sur cette histoire de vêtements.
Tendue comme un arc, Hilary inspira profondé-
ment.
— Si tu veux tout savoir, nous nous sommes disputés
bêtement parce que tu n'appréciais pas mes goûts
vestimentaires.
Elle s'interrompit un instant avant de continuer.
Allait-il la croire ?
— J'étais tellement contrariée que j'ai décidé de
tout donner sur un coup de tête.

A son grand soulagement, un sourire se peignit sur
le visage de Roel.
— Tu es trop impulsive, car a mia...
Hilary put se détendre. Au moins pour quelque
temps...
— Au fait, puis-je savoir pourquoi les femmes de
chambre préparent nos valises ? Nous allons quelque
part ?
Roel hocha la tête avec solennité.
— Au castello Sabatino.

5.






Château de l'époque médiévale, le castello Sabatino
surplombait de son imposante stature une lointaine
vallée couverte de bois et de forêts, à proximité de la
frontière italienne. Les eaux cristallines d'un grand
lac venaient lécher les remparts de la demeure et
reflétaient, tel un miroir, le ciel d'un bleu limpide et
les pics enneigés des montagnes alpines.
L'ensemble était d'une beauté à couper le souffle,
songea Hilary, émerveillée tant par la splendeur de la
bâtisse que par la nature verdoyante qui l'abritait. Elle
comprenait mieux désormais pourquoi Roel avait exécuté
les volontés fantasques de feu son grand-père !
L'hélicoptère qu'ils avaient pris à Genève vint atterrir
sur l'héliport à demi dissimulé par un bosquet de sapins.
Après l'avoir aidée à descendre de l'appareil, Roel la
prit par la main et l'entraîna vers l'entrée du château.
Du coin de l'œil, Hilary le vit froncer les sourcils et
baisser vivement la tête, comme si l'éblouissante clarté du soleil lui était insupportable.
— Ça ne va pas ? demanda-t-elle d'un ton inquiet.
— Je me sens juste un peu fatigué, répondit Roel,

visiblement agacé par cette faiblesse inaccoutumée. Je
suis passé à mon bureau à 5 heures, ce matin et...
Hilary s'arrêta net.
— Pardon ? A 5 heures ?
— Au cas où tu l'aurais oublié, je suis la Banque
Sabatino, affirma-t-il avec véhémence. En mon absence
les choses se compliquent considérablement. J'avais
besoin de me familiariser avec les dossiers en cours
et m'assurer que tout continuait à fonctionner sans
moi.
Hilary secoua la tête, incrédule.
— Je n'arrive pas à croire que tu te sois levé aux
aurores pour aller travailler, alors que le médecin t'a
formellement conseillé de te reposer !
— Je me suis *******é du minimum vital. C'est une
question de conscience professionnelle, j'imagine.
Hilary le gratifia d'une œillade réprobatrice.
— On dirait que tu te moques complètement de ta
santé, lança-t-elle.
En passant sous la porte voûtée du castello Sabatino,
Roel émit un soupir impatient.
— Tu ne croyais tout de même pas que j'allais
disparaître dans la nature sans donner de nouvelles
à mes principaux collaborateurs ? riposta-t-il. Mon
absence aurait pu provoquer des dysfonctionnements
importants au sein de la banque et dans le milieu de
la finance.
— Et quelles explications as-tu fournies à tes colla-
borateurs ?
— Je leur ai dit que je souffrais de quelques problèmes
de vue passagers, à la suite du choc causé par l'acci-
dent. De cette manière, j'ai pu obtenir de précieuses
informations de la part de mes directeurs financiers,
sans éveiller le moindre soupçon.
— Très astucieux, fit Hilary avec un petit sifflement
admiratif.
Roel esquissa un sourire amusé.
— Et j'ai terminé ma visite en leur annonçant mon
intention de profiter de ce repos forcé pour partir en
vacances avec ma femme.
— Oh... Ils ont dû être surpris, non ? fit Hilary,
gagnée par une bouffée d'appréhension.
Umberto avait déjà eu du mal à dissimuler son
étonnement lorsqu'elle s'était présentée à lui comme
étant la femme de Roel... Alors, qu'avaient bien pu
penser les employés de la banque Sabatino, quand ils
avaient appris l'existence d'une épouse dans la vie de
leur patron ?
En dehors de sa tante Bautista, peu de gens semblaient
être au courant de son mariage, et pour cause : il s'agissait
d'un arrangement de pure forme qu'elle-même n'avait
divulgué à personne, à l'exception d'Emma.
Leur surprise était tout à fait compréhensible,
répondit Roel. Je n'ai pas l'habitude de prendre des vacances. Au fait, tu aurais dû me prévenir que tu avais
demandé à Umberto de ne me passer aucun appel...
Hilary sentit ses joues s'empourprer.
— Te connaissant, tu aurais insisté pour les prendre
quand même.
A son grand soulagement, Roel sourit.
— Tu me connais bien, n'est-ce pas ? Je ne t'en veux
c'était une sage décision de ta part.

Il se tourna pour saluer une femme d'une cinquan-
taine d'années qui les attendait au pied d'un large
escalier de pierre.
— Je te présente Fiorenza, la gouvernante du castello
Sabatino.
Puis, il voulut lui faire visiter les lieux. Mais soudain
il se figea et considéra Hilary avec attention, sourcils
froncés, comme troublé par quelque chose.
— Tu m'as poursuivi dans la rue..., murmura-t-il
d'une voix atone.
Sans comprendre, Hilary le fixa d'un air perplexe.
Il passa une main sur son front, comme s'il cherchait
à fixer un souvenir qui lui échappait. Brusquement
Hilary comprit ce qui se passait. La mémoire lui reve-
nait par bribes et ce genre de « flash-backs » devait
être profondément déstabilisant.
— Roel, viens t'asseoir... vite...
— Non, protesta ce dernier en l'enlaçant par la taille
Mais allons plutôt dans ma chambre... Nous parlerons
de tout ça en privé.
Il l'entraîna.
— Tu viens de te souvenir d'un détail de notre
rencontre, insista Hilary, l'estomac noué tant elle
redoutait que la mémoire lui revienne d'un coup, là
tout de suite.
A partir de ce moment, la séparation deviendrait
inévitable. Comment y survivrait-elle ?
— J'ai eu l'impression d'être ébloui par la lumière
d'un flash, expliqua Roel en poussant la porte d'un
salon élégamment meublé. Il me semble que tu voulais

me rendre un pourboire que je t'avais laissé. Etait-ce
Une blague, quelque chose dans ce goût-là ?
Pâle comme un linge, Hilary secoua la tête. Même
SI elle semblait l'avoir oublié ces deux derniers jours,
le fossé qui séparait leurs deux mondes existait bel
et bien.
— Je t'avais coupé les cheveux...
— Les cheveux ? répéta Roel, au comble de l'éton-
nement.
De nouveau, Hilary acquiesça d'un signe de tête.
— Je... je suis coiffeuse. Cette histoire de pourboire
s'est passée le jour de notre rencontre...
— Inferno ! s'écria-t-il. Je me souviens de toutes
les émotions, de toutes les pensées qui m'ont traversé
à cet instant précis, lorsque tu m'as rattrapé dans la
rue ! Je te trouvais terriblement désirable.
II posait sur elle un regard étrangement pénétrant.
— Je brûlais d'envie de t'enlever en limousine et de réserver une chambre à l'hôtel pour un week-end
très sensuel...
A ces mots, un flot de sang envahit le visage d'Hilary
et Roel partit d'un rire amusé.
— Scusate, cara... je ne voulais surtout pas te mettre
mal à l'aise, dit-il en s'immobilisant soudain.
— Inutile de t'excuser, je ne suis pas née de la dernière
pluie, lança Hilary en s'efforçant de se ressaisir.
Comment aurait-elle pu imaginer une seule seconde
qu'il avait pensé tout cela lorsqu'elle avait voulu lui
rendre son billet ?
— Pourquoi ne te reposerais-tu pas un peu ? suggéra-

t-elle en le voyant entrer dans la chambre et prendre
appui contre le mur, visiblement fatigué.
D'un geste las, il dénoua sa cravate et déboutonna
sa chemise.
Sans plus de manières, il se laissa tomber sur le
grand lit qui occupait le centre de la pièce et se cala
contre les oreillers. Epuisé, il ne se donna même pas
la peine d'ôter ses chaussures.
Hilary alla tirer les lourdes tentures qui encadraient
les fenêtres.
Les yeux mi-clos, Roel tendit la main vers elle.
— Viens t'asseoir près de moi, cara. Pardonne-moi
si mes paroles t'ont semblé un peu crues... j'étais
encore sous le choc de ces images qui me sont reve-
nues d'un coup.
Touchée par sa sincérité, Hilary s'approcha du lui
et lui donna la main.
— Elles ne m'ont pas semblé crues mais plutôt...
basiques, rectifia-t-elle d'un ton indulgent. Et tu es
tout pardonné parce qu'en dehors de ce petit écart, tu
es l'homme le plus romantique que je connaisse.
A ces mots, Roel relâcha son étreinte et ses yeux
s'arrondirent, incrédules.
— Romantique, moi ? fit-il avec une moue teintée
de mépris. Tu me taquines, c'est ça ?
— Pas du tout, je suis très sérieuse.
Il l'attira contre lui avant de murmurer d'une voix
ensommeillée.
— Reste près de moi jusqu'à ce que je m'endorme
tu veux ?

Attendrie, Hilary ne résista pas à 1' envie d effleurer
son front d'un baiser.
— Avec plaisir.
Quand il fut endormi, elle redescendit au rez-de-
chaussée et prit un délicieux repas dans la majestueuse
salle à manger ornée de meubles massifs.
Mille et une pensées dansaient dans sa tête, et toutes
tournaient autour de Roel, bien sûr. Elle vivait depuis
deux jours un rêve éveillée et pourtant, la réalité
demeurait présente, telle une menace qui gronde mais
qu'on préfère oublier. Bientôt, il retrouverait la mémoire
et le beau rêve prendrait fin du jour au lendemain. Un
peu comme Cendrillon aux douze coups de minuit, elle
retournerait à Londres où elle s'efforcerait de reprendre
le cours de sa vie, loin de Roel.
Elle avait secrètement espéré que l'amnésie dont il
souffrait durerait un peu plus longtemps que ce qu'avait
diagnostiqué le Dr Lether, juste pour savourer encore
le goût du bonheur. Hélas, le médecin ne s'était pas
trompé, ce n'était qu'une question de jours et le temps
passait vite. Trop vite. Bientôt, Roel se souviendrait
des cinq années que l'accident avait effacées de sa
mémoire, et il n'aurait plus besoin d'elle.
D'humeur morose, Hilary regagna la chambre où
Roel dormait encore. Elle se lova dans le fauteuil, près
du lit, et contempla les traits détendus de son mari.
Désormais, décida-t-elle, leur relation resterait
purement platonique, c'était plus sage. Elle redoutait
tant d'essuyer la fureur ou le dédain de Roel lorsqu'il
se souviendrait de la véritable nature de leur mariage !
Alors, l'accuserait-il d'avoir abusé de la situation ?

Pire encore, la soupçonnerait-il de s'être offerte à lui
par amour, un sentiment qu'il devait profondément
mépriser ? Elle se sentirait si ridicule s'il apprenait
la vérité...

Lorsque Hilary ouvrit les yeux, elle était allongée
sur le lit. Un rayon de soleil filtrait entre les rideaux,
irisant de reflets d'or la brune chevelure de Roel qui
était penché au-dessus d'elle. Il était nu, comme elle
son torse cuivré effleurait sa poitrine et leurs jambes
s'emmêlaient sensuellement.
— Quelle heure est-il ? marmonna-t-elle, émergeant
du sommeil avec peine.
— 7 h 05. J'ai dormi douze heures d'affilée, tu te
rends compte ? Je me sens en pleine forme !
Hilary esquissa un sourire.
— Je ne me souviens pas d'être venue me coucher
près de toi.
— Parce que tu n'y es pour rien. Tu t'es endormie
dans le fauteuil, expliqua Roel d'un ton gentiment
réprobateur. Tu ne devrais pas t'inquiéter autant pour
moi, cara, je me débrouille très bien tout seul.
Il glissa une jambe entre les siennes avant
d'ajouter :
— Enfin, la plupart du temps...
En une fraction de seconde, la flamme du désir
s'alluma dans son regard. Au diapason, Hilary fut
parcourue d'une onde de chaleur et elle frissonna
longuement lorsque, inclinant sa tête brune avec une




lenteur calculée, Roel emprisonna sa bouche dans un baiser ardent.
Titillant délicatement du bout des doigts ses tétons déjà
durcis par le désir, il chuchota contre son oreille :
- Tu as très envie de moi, bella mia.
Hilary émit un soupir béat.
- Oui...
Entre les bras puissants de Roel, elle découvrait
des sensations inédites, tellement intenses qu'elle
en perdait la raison. Elle brûlait de sentir sa bouche
gourmande recouvrir la sienne, de savourer les caresses
audacieuses de sa langue... Elle se languissait déjà de
le sentir plonger en elle avec ce mélange d'ardeur et
de délicatesse qui avait fait de sa toute première fois
un moment de bonheur inoubliable.
Grisée par le tourbillon érotique de ses pensées,
Hilary enfouit ses doigts dans les cheveux de son mari
pour le retenir entre ses seins, tandis qu'elle mordillait
avec délices la peau satinée de ses larges épaules, se
délectant de son goût légèrement salé.
Ils firent l'amour avec une fougue redoublée, attisée
par la toute nouvelle audace qui animait la jeune femme.
Et lorsque le plaisir les emporta, leurs regards se soudè-
rent, pleins d'une stupeur émerveillée. N'étaient-ils pas
en train de rêver pareil degré de volupté ?
Hors d'haleine, bouches unies dans un ultime baiser,
corps emmêlés, ils furent tous deux soulevés par les
vagues du plaisir.
— Tu vas me rendre folle, murmura Hilary d'une voix
tremblante en traçant du bout des doigts les contours
de sa bouche volontaire.

Roel saisit sa main et considéra ses doigts fins avec
un étonnement manifeste.
— Où est ton alliance ?
Hilary se figea. Pas une seule fois elle n'avait songé
à ce détail.
— Je... euh... en fait, je n'avais pas très envie d'en
porter une...
Prenant appui contre les oreillers, Roel la dévisagea
sombrement.
— Pourquoi ?
Hilary se sentit rougir sous son regard pénétrant.
— Je... j'ai toujours trouvé désuète cette idée d'al-
liance, comme s'il fallait montrer au monde entier
qu'on est une femme mariée.
Elle prit une longue inspiration.
— Je n'ai pas éprouvé le besoin d'en porter une quand
nous nous sommes mariés, voilà tout, conclut-elle avec
davantage d'assurance.
— Comment ai-je pu accepter ça ? maugréa Roel.
visiblement contrarié. Que cela te plaise ou non,
je t'achèterai une alliance dès que possible et tu la
porteras.
Il fronça les sourcils.
— Et la discussion est close, s'empressa-t-il d'ajouter
comme elle ouvrait la bouche pour protester.
Sur ces mots, il se leva et enfila prestement un
caleçon de soie noire. Il avait déjà traversé la pièce
d'un pas décidé lorsqu'il fit volte-face et darda sur elle
un regard scrutateur. Son beau visage ne trahissait plus
aucune émotion.

— Sais-tu que tu ne m'as pas véritablement expliqué
pourquoi tu étais encore vierge ?
Décontenancée par la brutalité de sa question, Hilary
se recroquevilla à la tête du lit.
— C'est vrai, commença-t-elle en détournant le
regard, et je n'ai pas l'intention de t'éclairer maintenant.
Quand tu auras recouvré la mémoire, tout deviendra
limpide et tu te rendras compte que mon inexpérience
ne relève en aucun cas d'un mystère.
Un silence tendu accueillit sa déclaration. Finalement,
Roel fit un pas dans sa direction et lança d'un ton
plein de défi :
— Dis-moi juste une chose, tu veux ? Pourquoi
t'ai-je épousée ?
Hilary sentit tous les muscles de son corps se
contracter.
— Pour toutes les raisons qu'on invoque d'habitude,
murmura-t-elle enfin, en proie à un terrible sentiment
de culpabilité.
Elle n'avait pas envie de lui mentir. Mais que
pouvait-elle faire d'autre ?
— Dois-je comprendre que je suis tombé amoureux
de toi ? insista Roel.
— Je n'ai rien dit de tel...
A l'instant où elle prononçait ces mots, son regard
rencontra celui de Roel et elle retint son souffle en y
décelant une étrange lueur... Pressée de clore ce délicat
sujet, elle hocha la tête.
— Oui, c'est ça... Tu es tombé amoureux de moi.
Roel fit un pas vers elle. La tension qui émanait de
lui était presque palpable.



— Je serais donc tombé dans ce piège-là, moi aussi ?
Le piège du beau conte de fées où les amants vivent
heureux jusqu'à ce que la mort les sépare, entourés
d'une ribambelle d'enfants rieurs ?
Au prix d'un effort, Hilary parvint à soutenir son
regard sans ciller.
— Oui... Pourquoi, ça t'étonne ?
Roel haussa les épaules en continuant à avancer
lentement vers elle.
— Disons simplement que si j'ai cru à ce beau conte
de fées, c'est que tu dois définitivement être le genre
de femme qui meurt d'envie de prendre une douche
avec moi... tout de suite, ajouta-t-il en la soulevant
dans ses bras.
En proie à un vif soulagement, Hilary leva vers lui
un regard malicieux.
— Serait-ce du chantage, monsieur Sabatino ?

Tandis qu'ils prenaient le petit déjeuner dans un
ravissant patio baigné de soleil et à la végétation
luxuriante, Hilary invita Roel à lui raconter l'histoire
du château.
Il s'exécuta volontiers, passionné par ce sujet qui
lui tenait tant à cœur. Lorsqu'il eut terminé son récit
émaillé de nombreuses anecdotes cocasses qui la firent
rire aux éclats, il se leva et la prit par la main pour
l'entraîner à l'intérieur du château.
— Je t'ai préparé une petite surprise, annonça-t-il
d'un air énigmatique.

Hilary se tourna vers lui, gagnée par une nouvelle
bouffée d'appréhension.
- Quel genre de surprise ?
- J'ai pensé qu'il était grand temps de remédier à
ce problème vestimentaire, répondit-il en poussant la
porte de la grande salle de réception.
hilary retint son souffle devant le spectacle qui
s'offrait à elle...
Répondant à l'invitation de Roel, plusieurs couturiers
avaient chargé leurs premières vendeuses de venir
présenter à Hilary une sélection de tenues issues de
leurs nouvelles collections.
Les quelques heures qui suivirent furent tout simple-
ment magiques. A la demande de Roel, elle parada
dans chaque vêtement, encouragée par le regard tantôt
admiratif, tantôt ébloui, et parfois provocateur, de son
époux.
— Tu es belle à croquer, murmura-t-il lorsqu'elle
tournoya devant lui, moulée dans un tailleur vert pâle
qui semblait avoir été cousu sur elle.
En un après-midi, Roel lui offrit plus de vêtements
qu'elle n'en avait jamais eus de toute sa vie...
Grisée par ce tourbillon de luxe, elle céda devant
l'insistance de son mari et se laissa également tenter par
plusieurs parures de lingerie, raffinées à souhait.
— Je ne pourrai jamais porter tout ça, déclara-t-elle
avec une moue penaude.
Elle portait toujours la dernière tenue qu'elle avait
essayée, un ravissant ensemble composé d'une courte
jupe blanc cassé et d'un petit haut drapé, sans manches,
qui mettait en valeur la rondeur de sa poitrine.

— Tu es ma femme et à ce titre, j'ai le droit de t'offrir
tout ce que tu désires.
A ces mots, un douloureux pincement serra le coeur
d'Hilary. N'était-ce pas terriblement malhonnête de sa part de se prêter à cette mascarade ?
— Tu es bien trop gentil avec moi, articula-t-elle,
de nouveau emplie de culpabilité.
— Comme tu sais l'être avec moi, non ? répliqua
Roel en la plaquant contre lui pour lui faire sentir
l'intensité de son désir.
— Tu crois ? souffla Hilary, parcourue de mille
frissons exquis.
— Mmm, non, je ne le crois pas... j'en suis sûr, cara
mia, répondit Roel.
Sans lui laisser le temps de répondre, il prit sa
bouche dans un baiser fiévreux tandis que ses mains,
audacieuses et habiles, faisaient glisser la fermeture
éclair de sa jupe de soie.

— Tu es complètement fou, Roel, c'est beaucoup
trop...
La voix d'Hilary tremblait légèrement tandis qu'elle
caressait l'anneau d'or qui brillait à son annulaire
gauche depuis quelques instants.
— Elle est magnifique... je ne sais comment te
remercier, vraiment...
Une alliance... Profondément touchée par ce cadeau
si symbolique, elle leva sur Roel un regard plein de
gratitude.

— Je tiens à ce que notre mariage soit parfait, déclara
ce dernier avec solennité.
Il compléta d'une voix étrangement enrouée.
— Et notre couple, un couple heureux...
Hilary sentit sa gorge se nouer. Plus le temps passait,
plus elle appréciait son bonheur d'être auprès de
Roel... Il était tellement attentionné, tellement tendre
et passionné... Et plus le temps passait, plus elle voyait
se profiler la fin de cette parenthèse féerique qui aurait
bouleversé à jamais le cours de sa vie.
S'efforçant de chasser la morosité qui menaçait de
ternir l'instant présent, elle s'absorba dans la contem-
plation du paysage. Après tout, c'était une journée
magnifique et ils jouissaient d'une vue tout simple-
ment spectaculaire, attablés à la terrasse d'un luxueux
restaurant qui dominait le lac de Lucerne.
— Hilary... ? fit Roel, intrigué par son silence.
Au même instant, un jeune homme blond, solidement charpenté, s'immobilisa à quelques pas de leur table
et appela d'un ton joyeux :
— Roel ?
Un large sourire étira les lèvres de ce dernier qui
se leva aussitôt, visiblement ravi de cette subite appa-
rition.
L'estomac chaviré, Hilary reconnut avec effroi Paul
Correro, l'homme qui avait servi de témoin à leur
mariage... Un vent de panique souffla sur elle tandis
que le regard perçant de l'avocat la clouait sur place.
Par la force des choses, Paul Correro connaissait la
véritable nature de leur union. Il savait aussi qu'elle

n'était qu'une épouse de paille que Roel avait rémunérée
en échange d'un service.
Et de toute évidence, il était stupéfait de la voir ici
en Suisse, en compagnie de Roel !

6.






Le cœur battant la chamade, Hilary n'eut d'autre
choix que celui de feindre l'innocence, avec le plus
de naturel possible.
« Advienne que pourra », songea-t-elle en se levant
à son tour, telle une accusée qui attend sa sentence.
— Nous sommes venus voir des amis, expliquait Paul
Correro à l'attention de Roel, qui gratifia la ravissante
jeune femme rousse, enceinte de plusieurs mois, d'un
affectueux baiser. - Hilary...

Le sourire mielleux que lui adressa Paul Correro
la fit tressaillir.
— Quel plaisir de vous voir dans notre beau
pays...
Incapable d'articuler le moindre son, Hilary se
*******a de hocher la tête. Ensuite, elle eut du mal
à cacher son soulagement lorsque Roel entraîna son
ami vers la balustrade en pierre de la terrasse. Il était
visiblement désireux de lui parler en privé.
— Je suis Anya, la femme de Paul, fit la jolie rousse
en la détaillant froidement.

— Enchantée, répondit mécaniquement Hilary.
Elle jeta un regard de biais aux deux amis en
pleine conversation. De quoi pouvaient-ils bien s'en-
tretenir ?
En proie à une nervosité grandissante, elle murmura
à Anya une vague excuse, avant de battre en retraite
aux toilettes. Elle ne pouvait supporter plus longtemps
les regards accusateurs, lourds de reproches, du couple
Correro.
Son répit fut de courte durée, hélas. En sortant
des toilettes, elle tomba nez à nez avec Paul Correro
Celui-ci l'attendait, de toute évidence.
En apercevant le jeune avocat, Hilary blêmit. Le
piège était en train de se refermer sur elle.
— Puis-je savoir quel petit jeu vous jouez ? demanda
t-il sans ambages. Roel vient de me confier pourquoi
il n'est quasiment pas sorti de chez lui depuis l'acci-
dent.
— Je suis heureuse qu'il ait enfin décidé d'en parler
à quelqu'un, murmura Hilary avec un manque de
conviction manifeste.
— Ne me prenez pas pour un idiot, je vous en prie !
L'un des collaborateurs de Roel m'a appelé hier... il
était très surpris que ce dernier ait décidé de partir en
vacances avec sa femme ! J'ai vite deviné l'identité
de cette épouse venue de nulle part, et c'est ce qui
explique ma présence ici. Avez-vous vraiment cru que
vous pourriez vous en sortir aussi facilement ?
Le mépris qui teintait sa voix grave fit à Hilary
l'effet d'une gifle.

— Avez-vous dit la vérité à Roel, au sujet de notre
mariage ?
L'avocat arqua un sourcil dédaigneux.
— Ici, au restaurant ? Non, j'ai l'intention de l'appeler
au castello cet après-midi.
Prise de panique, Hilary posa la main sur le bras
de Paul Correro.
— Laissez-moi lui dire la vérité moi-même, demanda-
t-elle d'un ton implorant. Je vous en prie... accordez-
moi jusqu'à demain...
Impassible, Paul Correro la dévisagea longuement
avant de secouer la tête.
— Vous avez jusqu'à ce soir pour expliquer les
choses à Roel. Si vous ne tenez pas votre parole,
l'en m'en chargerai à votre place, conclut-il d'un ton
menaçant.
Forçant son courage, Hilary soutint son regard
ACcusateur.
— Je ne suis pas celle que vous croyez. Je l'aime,
je l'ai toujours aimé...
L'avocat esquissa une grimace dubitative.
— Peu importe, coupa-t-il sèchement. Roel ne vous
pardonnera jamais de l'avoir trahi de la sorte.
Tel un automate, Hilary rejoignit Roel, suivie de près
par Paul Correro qui semblait désormais vouloir monter la garde auprès de son ami. Quand ils arrivèrent près
de la table, Anya était en train de persuader Roel de
bien vouloir prononcer le discours d'ouverture d'une
grande soirée caritative. Prétextant un rendez-vous
qu'ils ne pouvaient annuler, ce dernier coupa court à

la conversation et entraîna Hilary vers la limousine
qui les attendait devant l'entrée du restaurant.
— Paul était bizarre, aujourd'hui, fit observer Roel
en fronçant les sourcils. C'est drôle, j'ai eu l'impression
qu'il te témoignait une espèce de dédain que j'ai trouvé
très irrespectueux.
Hilary haussa les épaules d'un air faussement
désinvolte.
— Oh, tu connais Paul...
— Oui, justement, je le connais très bien. Ce n'est
pas son genre de se comporter ainsi. Je préfère mettre
cela sur le compte de la fatigue, conclut-il en prenant
sa main pour la porter à ses lèvres. Et maintenant,
cara mia, je te dépose chez le coiffeur où tu as pris
rendez-vous pour te faire encore plus belle...
Il gratifia chacun de ses doigts d'un baiser aérien,
puis esquissa un sourire enjôleur.
— Même si je doute que cela soit possible...
Tenaillée par la culpabilité, en proie à des sentiments
contradictoires, Hilary observait un silence gêné.
Oui, elle le sentait, la fin était proche. Dans peu
de temps, Roel lui signifierait son congé — pourquoi
s'embarrasserait-il d'une fausse épouse ? Pourquoi
prendrait-il la peine d'écouter les explications d'une
femme qui l'avait mené en bateau en se glissant dans la
peau d'un personnage qui n'existait pas réellement ?

Dans le salon de coiffure, Hilary eut l'étrange
impression qu'une paroi de verre invisible la séparait
de tout ce qui se passait autour d'elle.

Prononcé d'un ton implacable, l'avertissement de
Paul Correro continuait à résonner cruellement à ses
oreilles. La mort dans l'âme, elle finit par accepter
la douloureuse réalité: il était temps pour elle de se
retirer de la vie de Roel. Vite, et aussi discrètement
que possible. A quoi bon retourner au castello pour
lui avouer la vérité ? Cela ne déboucherait que sur une
confrontation extrêmement éprouvante dont, pour être
franche, elle ne voyait pas l'utilité.
Elle plaidait coupable. Elle était coupable d'aimer
un homme qui ne l'avait jamais considérée que comme
quantité négligeable, un simple instrument qui lui avait
permis de parvenir à ses fins.
Submergée par une vague de désespoir, Hilary décida
de rentrer à Londres sans plus tarder. Par un heureux
hasard, son passeport était resté dans son sac à main.
Dès qu'elle sortirait du salon, elle filerait directement à
l'aéroport de Lugano. Tant pis pour les quelques vête-
ments qu'elle laisserait derrière elle; de toute façon,
elle n'avait presque rien en arrivant ici.
Le cœur serré, elle rédigea mentalement la lettre
qu'elle laisserait dans la limousine à l'attention de
Roel. N'était-ce pas la plus sage décision ? Lorsqu'il
découvrirait la vérité, il serait à la fois stupéfait et
fou de rage... et se réjouirait très certainement de son
départ. Le regard qu'il portait sur elle serait irrémé-
diablement terni.
A cette pensée, une vive douleur lui transperça le
cœur. Etait-il possible qu'un si joli rêve se terminât
si mal ? Mais c'était elle la responsable de ce triste
dénouement. Et pour cela, sa punition serait terrible:

jamais plus elle ne reverrait Roel. Jamais plus elle ne
goûterait à l'immense bonheur de se réveiller à son
côté, de vivre auprès de lui.
D'être sa femme, pour de vrai...

— Tu n'as pas encore pris ta pause ? demanda Sally
Witherspoon.
Hilary posa une pile de serviettes propres à côte
des lavabos.
— Je n'ai pas faim...
— Tu devrais te forcer un peu, tout de même, la
rabroua gentiment son assistante. Si tu continues comme
ça, tu vas bientôt tomber d'épuisement.
— Ne t'inquiète pas pour moi, Sally, je vais bien.
Baissant précipitamment la tête, Hilary entreprit de remplir les bouteilles de shampooing d'un air
concentré.
Depuis son retour à Londres, deux semaines plus
tôt, elle s'était jetée à corps perdu dans le travail pour
éviter de remuer les idées sombres qui, le soir venu,
lorsque le salon était fermé et qu'elle se retrouvait
seule dans son petit appartement, la submergeaient
inévitablement.
Des cernes soulignaient ses yeux gris, elle dormait
mal et avait perdu l'appétit. Bref, malgré ce qu'elle
venait de dire à sa collègue, elle n'était pas en très
grande forme, même si elle s'efforçait de donner le
change. La vie continuait, malgré le chagrin qui pesait
sur son cœur.
Sept jours durant, elle avait vécu le bonheur parfait

auprès de Roel. C'avait été une parenthèse magique et
enchantée. Artificielle, aussi, il fallait bien l'admettre.
A présent, tout était terminé, la réalité avait repris ses
droits. Et cette réalité ne comprenait pas Roel...
— Ton rendez-vous de 11 heures est arrivé, annonça
soudain Sally dans un murmure.
Elle avait l'air tout excitée.
— Et il vaut le détour, ajouta-t-elle d'un ton espiègle,
Regarde un peu... sacrée veinarde...
Hilary leva machinalement la tête et il lui sembla
que son cœur s'arrêtait de battre... Roel se tenait au
milieu du salon, dominant le reste de la clientèle de
la haute stature.
Secouée d'un violent tremblement, Hilary fit tomber
dans le lavabo la bouteille de shampooing qu'elle tenait
à la main. Un petit cri s'échappa de ses lèvres. Son
regard clair rencontra celui de Roel, aussi sombre et
intense que dans son souvenir, et elle retint son souffle,
déjà sous le charme.
Vêtu d'un costume bleu nuit qui mettait en valeur les
contours musclés de sa silhouette virile, il lui semblait
plus séduisant que jamais.
Rassemblant son courage, Hilary fit quelques pas
dans sa direction et s'éclaircit la gorge avant de prendre
la parole:
— Tu es mon rendez-vous de 11 heures ?
Roel acquiesça d'un signe de tête avant de la détailler
de la tête aux pieds, avec une lenteur délibérée. Sous son
regard perçant, Hilary regretta soudain de ne pas s'être
habillée plus élégamment. Le petit T-shirt blanc, ultra
moulant, qu'elle portait avec un pantalon de treillis et

des bottines à talons aiguilles ne devaient certainement
pas être du goût de Roel. Eh bien, tant pis !
Le cœur battant à coups sourds dans sa poitrine
elle le dévisagea à son tour, troublée par son silence
Il émanait de lui quelque chose d'indéfinissable qu'elle
ne reconnaissait pas. Oui, un détail avait changé mais
elle ne savait pas ce que c'était.
— J'aimerais te parler en privé, murmura-t-il d'un
ton dénué d'émotion.
— Je... C'est-à-dire que... je suis en plein travail,
bredouilla-t-elle tandis que son courage fondait comme
neige au soleil.
— Bene... J'en conclus que tu ne vois aucun inconvé-
nient à ce que ta clientèle et ton équipe entendent ce
que j'ai à te dire, fit-il en abandonnant l'italien au profil
de l'anglais. Avant d'entrer dans le vif du sujet, sache
que je ne suis guère impressionné par le commerce
que tu as monté grâce à mon argent.
Hilary réprima à grand-peine une grimace. Il lui fallut
un quart de seconde pour comprendre les implications
de ce que Roel venait de lui dire. S'il se souvenait de
l'arrangement qu'ils avaient passé tous les deux, cela
signifiait qu'il avait recouvré la mémoire.
Bien sûr, elle savait que ce moment finirait par arriver,
comme le lui avait indiqué le médecin. Pourtant, Hilary
se sentit profondément bouleversée. L'estomac noué,
elle se tourna vers Sally pour lui demander de bien
vouloir s'occuper de ses rendez-vous jusqu'à l'heure
du déjeuner.
— Montons à l'étage, nous serons plus tranquilles

pour parler, ajouta-t-elle à l'adresse de Roel qui n'avait
pas bougé.
Une fois là-haut, elle lui demanda d'une voix que
l'émotion faisait trembler:
— Depuis quand as-tu retrouvé la mémoire ?
— Juste après que tu t'es volatilisée dans la nature,
fit il observer, sarcastique. J'imagine que cela a été un
des facteurs déclenchants. Après tout, tu m'avais fait
croire que j'avais une vie qui n'était pas réellement
la mienne.
Les joues en feu, Hilary ouvrit la porte de son
appartement.
— Pour être tout à fait franche, dit-elle, je suis très
surprise de te voir ici. Je n'aurais jamais pensé que tu
voudrais me revoir.
Le silence s'abattit entre eux, chargé d'électricité,
Roel referma la porte d'un geste sec puis pénétra dans
la petite entrée, tandis qu'Hilary battait en retraite
dans la pièce qui servait à la fois de cuisine et de
pièce à vivre.
Sans mot dire, Roel promena autour de lui un regard
sombre. Il fit quelques pas, s'immobilisa devant la
table et s'empara d'une lettre qu'il lut sans la moindre
gêne.
— Tu as des dettes, on dirait...
Mortifiée, Hilary se précipita vers lui et lui arracha
le courrier des mains. Il s'agissait d'une lettre de son
banquier la priant de bien vouloir créditer au plus vite
son compte à découvert.
— Mêle-toi de tes affaires, tu veux ?
— Tes affaires sont aussi les miennes, au cas où
tu l'aurais oublié. Et ce petit... détail me donne tous
les droits, conclut-il avec une arrogance exaspérante.
Hilary releva le menton.
— Veux-tu savoir pourquoi je suis à découvert ?
Figure-toi que j'ai dépensé une petite fortune pour
payer mes deux billets d'avion pour la Suisse, tout à
fait imprévus, ainsi que pour payer le personnel que
j'ai été obligée d'engager en mon absence. Le genre
de folie que mon budget ne supporte pas, conclut-elle
d'un ton empreint d'amertume.
Imperturbable, Roel haussa un sourcil dédai-
gneux.
— Est-ce ta précarité financière qui t'a poussée à
sauter dans mon lit avec tellement d'enthousiasme ?
Hilary serra les poings.
— Si mes souvenirs sont bons, c'est toi qui m'as
entraînée dans ce lit, non ?
— Si mes souvenirs sont bons, tu ne t'es pas beau-
coup débattue, riposta-t-il sur le même ton. Tu n'es
qu'une petite intrigante sans scrupules et tu savais
pertinemment ce que tu faisais. En consommant enfin
notre mariage de pacotille, tu savais que tu pourrais
réclamer par la suite une somme non négligeable quand
viendrait le moment de divorcer.
Pâle comme un linge, Hilary secoua la tête. Les
soupçons de Roel lui tordaient le cœur. Etait-il possible
qu'il ait une si piètre opinion d'elle après les jours
merveilleux qu'ils avaient passés ensemble ?
— Ne t'inquiète pas, répondit-elle, je ne réclamerai
pas un centime de ton précieux argent. Jamais, tu
m'entends ? Qu'ai-je donc fait de si terrible pour que tu

m'accuses de la sorte ? Est-ce un crime d'avoir souhaité
te voir après qu'on m'avait prévenue que tu avais eu
un accident ? Je t'ai pourtant écrit à quel point j'étais
désolée dans la lettre que je t'ai laissée...
A ces mots, Roel laissa échapper un rire teinté de
mépris. Un rire qui la fit tressaillir.
— Tu veux parler des quatre petites lignes que
tu as rédigées à la va-vite ? Même là, tu n'as pas eu
le courage de me dire la vérité. Et encore moins de
reconnaître les conséquences de ta trahison. Tu as
préféré te volatiliser... par lâcheté, sans doute.
Comme elle restait silencieuse, trop bouleversée
pour tenter de justifier sa fuite, Roel posa sur elle un
regard dur et implacable.
— Oh, tu t'es montrée très habile, bella mia, je
suis bien forcé de le reconnaître. Tu as su me séduire,
c'est vrai. Et pendant toute une semaine, tu as réussi
à brouiller les pistes dès que je commençais à me
montrer trop curieux ! Et pour couronner le tout,
tu n'as rien trouvé de mieux que de te ridiculiser en
public, ajouta-t-il sur le même ton acerbe. Je préfère
te prévenir, si cela devait se reproduire, je serais très
en colère contre toi.
Hilary le fixa d'un air perplexe.
— De quoi parles-tu ? Je ne comprends pas.
De la poche de sa veste, Roel tira une document et
le fit glisser sur la table à son attention.
Il s'agissait d'une coupure de magazine...
Hilary laissa échapper une exclamation de surprise
en se reconnaissant sur la photo. C'était elle lors de
son dernier jour en Suisse, alors qu'elle pénétrait dans

l'aéroport de Lugano. D'un geste furtif, elle était en
train d'essuyer les larmes qui baignaient son visage
triste.
— Que dit la légende ? demanda-t-elle en pointant
l'index sur les quelques mots de français qui accom-
pagnaient le cliché.
— « Une fois de plus, voici la preuve flagrante que
l'argent ne fait pas le bonheur. »
Hilary croisa les bras sur sa poitrine.
— Je suis navrée de t'avoir mis dans l'embarras,
Roel, mais cela prouve au moins que, contrairement
à ce que tu prétends, je ne me réjouissais pas de la
situation.
Comme il s'apprêtait à l'interrompre, elle enchaîna
en haussant légèrement le ton:
— Essaie de comprendre... Quand je suis arrivée
en Suisse, je croyais vraiment que tu étais gravement
blessé et j'avais très envie de te soutenir dans cette
épreuve. Tout s'est enchaîné très vite, ensuite. Lors de
mon entretien avec le Dr Lether, ce dernier m'a parlé
de ton amnésie et m'a demandé de veiller à ne rien
dire qui puisse te perturber.
— En vertu de quoi tu as décidé de me faire croire
que j'étais un homme marié. L'idée que cela puisse être
un choc énorme pour un homme qui se sentait céliba-
taire au plus profond de son être ne t'a pas effleurée
une seconde ?
Hilary haussa les épaules d'un air faussement
désinvolte.
— J'imagine que tu apprécies d'autant plus ta liberté
maintenant que tu sais que tu ne l'as jamais perdue.

— Je n'ai rien perdu, en effet, répliqua-t-il en la toisant
de son regard noir, étincelant de colère. Car c'est toi
qui me l'as volée. Tu t'es fait passer pour ma femme
et maintenant, les rumeurs vont bon train. A présent,
tout le monde s'imagine que je suis réellement un
homme marié. Et comme c'est la vérité d'un point de
vue purement juridique, je ne suis pas en mesure de
démentir la nouvelle...
Il baissa les yeux sur la coupure de magazine, toujours
dans la main d'Hilary.
— Pour la plus grande joie des paparazzi, conclut-il.
Hilary se mordit la lèvre inférieure.
— Je suis sincèrement désolée.
Roel laissa échapper un rire sans joie.
— Tes excuses ne m'apportent aucun réconfort. Tu
t'es délibérément immiscée dans ma vie jusque-là bien
organisée et tu as tout chamboulé. En connaissance
de cause, qui plus est. J'ai rompu avec ma maîtresse
à cause de toi...
Hilary écarquilla les yeux, stupéfaite.
— Pardon ?
— Tu m'as parfaitement entendu. La belle brune
que tu as aperçue un soir... Il se trouve que c'était ma
maîtresse et que je l'ai congédiée sans autre forme de
procès. Tout ça parce que tu as réussi à me persuader
que j'étais bien marié avec toi.
Hilary ferma brièvement les yeux, en proie à un
mélange de sentiments contradictoires. En même temps
qu'une vive douleur lui transperçait le cœur, elle se
sentait à la fois coupable et honteuse.

La voix péremptoire de Roel l'arracha à ses sombres
pensées.
— Il y a donc une place libre dans mon lit et elle
est pour toi.
Hilary secoua la tête, de plus en plus perplexe.
— Je te demande pardon ?
— Tu as très bien entendu, cara mia. Tu rentres en
Suisse avec moi.
Elle secoua la tête.
— Et pourquoi t'obéirais-je ?
— Parce que je ne te laisse pas le choix. Me l'as-tu
laissé, toi, le jour où tu m'as affirmé que nous vivions
un vrai mariage de conte de fées ?
Hilary détourna les yeux, frappée par la dureté de
son ton et la justesse de ses propos.
— J'ai donné rendez-vous à ta sœur pour le déjeuner,
reprit-il, implacable. Elle se trouve actuellement dans
une limousine qui la ramène à Londres pour la journée.
Pendant ce temps, tu ferais bien de commencer à faire
tes valises.
Sous le choc, Hilary ne put que balbutier:
— Comment as-tu trouvé ses coordonnées ?
— C'est elle qui m'a appelé la semaine passée, pour
s'excuser très poliment de l'hostilité qu'elle m'avait
témoignée lors de notre première rencontre.
— Oh, non... Je... Je n'ai jamais réussi à lui dévoiler
les véritables raisons de notre union... J'avais trop
peur que... que...
— Qu'elle te voue moins de respect dès lors qu'elle
aurait appris que sa grande sœur s'était mariée par pur
intérêt ? compléta Roel, cynique. Dans ce cas, tu seras

soulagée d'apprendre que je lui ai laissé toutes ses illu-
sions. En revanche, je n'hésiterai pas à tout lui raconter
si tu refuses de retourner en Suisse avec moi.
Un frisson d'appréhension parcourut Hilary.
— Quel intérêt as-tu à te montrer si cruel ?
Roel l'étudia avec attention, le regard sombre. Au
fil des secondes, la tension grandissait entre eux, et
devenait presque palpable.
— Parce que c'est ce que tu mérites. Tu as voulu
jouer à l'épouse parfaite, qu'à cela ne tienne ! Tu vas
reprendre ton rôle jusqu'à ce que je m'en lasse et décide
de te chasser de ma vie. Définitivement cette fois.
Hilary secoua la tête. Son rêve tournait au
cauchemar...
— Ce n'est pas du tout ce qui s'est passé, enfin...
je ne..., chercha-t-elle encore à expliquer.
— Une limousine passera te chercher dans une heure
et demi pour te conduire au restaurant où nous avons
rendez-vous avec Emma. Je te retrouverai là-bas, j'ai
quelques affaires à régler en attendant.
Prise de panique, Hilary voulut protester:
— Si je laisse de nouveau le salon, je risque la
faillite...
Roel la fit taire d'un geste autoritaire.
— Je me charge de régler tes dettes ainsi que les
frais occasionnés par ton absence. Et maintenant, je
considère que le sujet est clos.
Paniquée, Hilary le regarda descendre l'étroit esca-
lier. Mais soudain, la fureur l'envahit. De quel droit
agissait-il ainsi avec elle ?
— Si tu oses impliquer ma sœur dans cette histoire,

jamais je ne te pardonnerai ! lança-t-elle d'un ton
vibrant de rage.
Roel se retourna brièvement, juste le temps pour
Hilary de croiser son regard indéchiffrable.
— Crois-tu vraiment que cela me fasse peur ?
demanda-t-il d'un ton implacable.
Glacée jusqu'aux os, Hilary s'adossa au mur et inspira
profondément dans l'espoir de se ressaisir.
Avec sa redoutable perspicacité, Roel avait ciblé juste:
en brandissant cette menace qui touchait directement sa
soeur qu'elle chérissait, il savait qu'elle n'aurait d'autre
choix que de lui obéir.
Hilary n'aurait pu imaginer chantage plus odieux
et cruel...

7.






Contrairement à ce que Hilary avait redouté, le
déjeuner avec Emma se déroula de façon détendue et
presque conviviale.
Ravie de constater que sa sœur aînée et son mari
s'étaient enfin réconciliés, Emma mena la conversation
tambour battant, allant jusqu'à échanger quelques
mots de français avec Roel qui l'encouragea vivement
à suivre la voie qu'elle avait choisie, celle du droit
international.
Après avoir déposé la jeune fille à la gare, ils se
rendirent directement à l'aéroport où les attendait le
jet privé de Roel. Ils s'apprêtaient à embarquer lorsque
le portable d'Hilary se mit à sonner.
En entendant la voix de son ami Pippa, elle s'écarta
pour pouvoir lui parler tranquillement.
Pippa et son époux, Andreo d'Alessio, habitaient en
Italie et projetaient de se rendre à Londres le week-end
suivant. Hilary pourrait-elle se libérer pour qu'elles
aillent déjeuner ensemble ?
— A l'instant où je te parle, je m'apprête à prendre
l'avion pour la Suisse, répondit Hilary d'un ton où perçait

une pointe d'amusement. Ecoute, j'ai une nouvelle à
t'annoncer... Tu vas certainement m'en vouloir de ne
pas t'avoir prévenue plus tôt et tu auras raison. Alors
voilà, je me suis mariée.
La réaction de son amie ne se fit pas attendre.
— Mariée, toi ? s'écria Pippa. C'est une blague,
évidemment !
— Non, je suis très sérieuse. D'ailleurs, mon mari
est près de moi, en train d'écouter notre conversation,
ajouta-t-elle en lançant un regard de défi à l'attention
de Roel. Mais l'histoire de notre rencontre est abso-
lument...
— ... magique, compléta Roel en lui prenant d'auto-
rité le combiné des mains. Bonjour, je suis le mari
d'Hilary. A qui ai-je l'honneur ?
Et il parla de la pluie et du beau temps avec Pippa
pendant cinq bonnes minutes, ponctuant la conver-
sation de rires complices, jusqu'à ce que leur vol soit
annoncé.
— Comment as-tu osé interrompre ma conversation
et parler avec mon amie ? explosa Hilary en traversant
le tarmac en direction du jet qui les attendait.
Le sourire qui flottait sur les lèvres de Roel s'épa-
nouit encore.
— Dannazione ! Tu ne m'as pas laissé d'autre choix !
Si je n'étais pas intervenu, tu aurais forcément raconté
des bêtises...
— Merci, c'est gentil à toi, railla Hilary en montant
à bord du petit avion.
A l'intérieur de la cabine luxueusement aménagée,

elle choisit le fauteuil le plus éloigné de celui de Roel,
et se plongea dans un mutisme boudeur.
Elle n'était pourtant pas du genre à pleurer pour un
oui ou pour un non mais en cet instant précis, elle aurait
volontiers donné libre cours aux larmes de colère et
de frustration qui lui piquaient les yeux.

Le lendemain matin, elle dormit tard. Lorsqu'elle
descendit prendre son petit déjeuner, Umberto l'informa
poliment que Roel était parti à la banque, et ce depuis
plusieurs heures.
La veille au soir, à bout de forces, elle n'avait pas
cherché à protester lorsqu'il l'avait soulevée dans ses
bras pour la porter jusqu'à la chambre, où il l'avait
bordée comme un bébé. Jamais encore elle n'avait
éprouvé une telle lassitude...
Pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, Hilary
toucha à peine aux croissants et au café qu'elle s'était
préparée. Elle n'avait plus faim, tout à coup.
Ayant décidé de rendre visite à Roel sur son sacro-
saint lieu de travail, elle monta prendre une douche et
se surprit à apporter un soin tout particulier à sa tenue:
la robe de soie pourpre doublée de dentelle moulait
harmonieusement les courbes de sa silhouette, tandis
que les talons aiguilles de ses escarpins en cuir beige
allongeaient ses jambes parfaitement galbées.
Pour compléter sa tenue, elle choisit un court manteau
en cotonnade fleurie qui apportait une touche plus
classique à l'ensemble.

Un intimidant bâtiment en pierre de taille abritait
les bureaux de la banque Sabatino. A l'intérieur, les
salles étaient immenses, toutes meublées dans un style
contemporain.
Feignant d'ignorer l'appréhension qu'elle sentait
monter en elle, Hilary se dirigea d'un pas faussement
assuré vers l'accueil, où un jeune homme élégamment
vêtu proposa de l'accompagner à l'étage de la Direction
Auparavant, il avait pris soin d'annoncer son arrivée
à Roel.
Au dernier étage, tout au fond d'un couloir, le
jeune homme poussa une imposante porte à double
battant, avant de s'effacer pour la laisser entrer. Puis,
il s'éclipsa sur un léger hochement de tête.
Nonchalamment appuyé contre le bord d'un long
bureau de bois blond, Roel la regardait avancer jusqu'à
lui. Dans son costume bleu marine et sa chemise gris
perle ornée d'une cravate de soie, il lui parut plus
imposant que jamais.
— Alors, dis-moi tout, commença-t-il d'une voix
suave. Que me vaut l'honneur de ta visite ? Sommes-
nous censés fêter quelque chose aujourd'hui ?
— Je suis venue te parler.
— Si tu veux me parler, il faut te lever plus tôt,
rétorqua-t-il avec ironie. Au cas où tu l'aurais oublié,
ceci est un bureau et je n'ai pas l'habitude d'y recevoir
des visites personnelles.
— Ça tombe bien, répliqua-t-elle. je suis venue
parler affaires, justement.

— Les femmes s'habillent-elles toutes de façon aussi
sexy pour parler affaires ? s'enquit Roel en l'envelop-
pant d'un regard lourd de sous-entendus.
Prise de court, Hilary baissa les yeux sur sa
tenue.
— Ça te plaît ?
— N'est-ce pas ce que tu voulais ?
Ils se regardèrent un moment sans mot dire, conscients
du désir qui vibrait entre eux, presque tangible. Brûlant
et irrésistible.
Au prix d'un effort surhumain, Hilary parvint pour-
tant à se ressaisir.
— Je suis venue jusqu'ici parce que je voulais t'en-
tretenir d'un sujet très sérieux. Ce n'est tout de même
pas ma faute si tu n'es pas capable de te concentrer à
cause d'un détail aussi insignifiant qu'une robe.
Piqué dans son orgueil, Roel se reprit à son tour.
— Très bien, je t'écoute.
— Il y a presque quatre ans, j'ai signé un contrat
qui a fait de moi ton épouse, en échange de quoi j'ai
perçu une certaine somme d'argent. Je t'ai rendu les
trois quarts de cette somme lorsque j'ai réalisé que je
n'en aurais pas besoin et...
Surpris, Roel la fit taire d'un geste autoritaire.
— Tu as rendu une partie de la somme ? De quelle
manière ?
— J'ai fait remettre l'argent sur le compte que tu
avais ouvert pour moi, et j'ai adressé une lettre à ton
avocat, le fameux Paul Correro.
Roel haussa les sourcils d'un air dubitatif.

— J'ignorais que tu avais restitué une partie de la
somme, murmura-t-il.
Hilary croisa les bras sur sa poitrine comme pour
se protéger.
— C'est pourtant ce que j'ai fait. La part que j'ai
gardée m'a suffi à monter mon salon de coiffure et à
payer le loyer d'un nouvel appartement, pour Emma
et moi. Je n'en désirais pas davantage.
Roel exhala un soupir impatient.
— Puis-je savoir où cette conversation nous
mène ?
— Dès qu'Emma aura terminé ses études, je vendrai
le salon et je te rembourserai tout ce que tu m'as prêté,
jusqu'au dernier centime. Ainsi, nous serons quittes et
tu seras bien obligé de me laisser partir.
Un silence pesant s'abattit dans le bureau.
— Ce n'est pas une question d'argent en ce qui me
concerne, murmura finalement Roel. Je pensais que
tu l'avais compris.
Il s'interrompit un instant avant de reprendre, un
sourire insolent aux lèvres.
— Ce que j'aime par-dessus tout, c'est cette sensation
de te tenir à ma merci.
— C'est parfaitement ignoble... Tu devrais avoir
honte ! s'écria Hilary, sincèrement offusquée.
Les pupilles de Roel se rétrécirent dangereuse-
ment.
— N'as-tu pas éprouvé la même satisfaction lorsque
tu as profité de mon amnésie pour me manipuler à ta
guise ? demanda-t-il.
Hilary secoua la tête avec véhémence.

— Non ! protesta-t-elle. Je ne suis pas comme toi,
Dieu merci ! Je n'avais rien calculé du tout. J'essayais
simplement de te rendre heureux afin que tu vives au
mieux cette période transitoire.
Un sourire amusé joua sur la bouche sensuelle de
Roel.
— Per meraviglia... Tu m'as rendu très heureux au
lit, je ne le nierai pas.
En deux rapides enjambées, il fut près d'elle et il
l'attira dans ses bras pour l'embrasser avec avidité.
Chaudes et douces, ses mains glissèrent sous son
manteau et remontèrent le long de son dos.
Etouffant un gémissement, Hilary s'arqua contre
lui. C'était tellement bon...
— Je ne pourrai jamais attendre jusqu'à ce soir,
souffla-t-il dans le creux de son oreille tandis qu'avec
des gestes habiles, il la débarrassait de son manteau
pour faire glisser la fermeture Eclair de sa robe.
En l'espace de quelques instants, Hilary se retrouva
à demi nue au beau milieu du bureau. Un délicieux
sentiment d'excitation et d'appréhension l'habitait tout
entière.
— On ne peut pas faire ça ici... Ce n'est pas bien... Pas
bien du tout, balbutia-t-elle en se laissant entraîner vers
le grand bureau qui occupait le fond de la pièce.
— Trop tard, chuchota Roel.
— Nous sommes dans ton bureau, insista-t-elle néan-
moins. Quelqu'un peut entrer d'un instant à l'autre.
— La porte est fermée à clé. Nous ne craignons
absolument rien.
Sans lui laisser le temps de réagir, il la fit basculer

sur le bois lisse du bureau et enfouit sa tête entre ses
seins tendus par le désir.
Un long gémissement s'échappa des lèvres d'Hilary
Lorsque Roel prit avidement un téton entre ses lèvres,
elle souleva les hanches en une langoureuse invitation
qu'il s'empressa d'accepter.
— J'ai envie de toi, Roel, murmura-t-elle en plongeant
les doigts dans la masse de ses cheveux noirs.
— Pas autant que moi, bella mia... J'ai cru devenir
fou pendant ces deux semaines de séparation.
Tout en parlant, Roel glissa une main entre ses
cuisses qu'il écarta sans ménagement pour découvrir
le cœur moite de sa féminité. Puis, il défit fébrilement
la ceinture de son pantalon et, la plaquant contre ses
hanches d'un geste autoritaire, il s'enfonça en elle dans
un mouvement souple et puissant.
Aussitôt, une vague de plaisir submergea Hilary
Il lui semblait qu'il n'y avait plus qu'eux au monde
Pour elle, plus rien d'autre n'existait que cette fusion
de leurs deux corps.
Quand elle fut au bord de l'extase, il étouffa ses cris
dans un baiser fiévreux et la rejoignit bientôt, secoué
de violents tremblements.
Au bout de quelques minutes, le souffle apaisé.
Hilary prit conscience de ce qui venait de se passer et
un flot de sang envahit son visage.
Rattrapé à son tour par la réalité, Roel posa sur elle
un regard hébété.
— Je n'arrive pas à croire que nous ayons fait ça...
je n'arrive pas à croire que tu sois là, nue, couchée
sur mon bureau.

Il marqua une pause avant de conclure, mi-figue,
mi-raisin:
— A partir d'aujourd'hui, tu crois qu'il vaut mieux
que tu évites mon bureau.
Encore chancelante de plaisir, Hilary se redressa et
se mit en devoir de rassembler ses vêtements, qu'elle
enfila maladroitement sous le regard hébété de Roel.
— Tu as du rouge à lèvres sur ta chemise, lança-
t-elle d'un ton moqueur en se redressant.
Roel effleura son col d'un geste rêveur.
— En fait, je crois que j'ai déjà hâte que tu reviennes
me voir, cara mia, dit-il.
— Tu peux toujours rêver !
— Une telle entente physique est rare, je parle en
connaissance de cause.
Prononcées d'un ton léger, ces dernières paroles firent
à Hilary l'effet d'une douche glacée. C'était donc tout
ce qui l'intéressait: l'amour physique, dénué de senti-
ments. Une simple entente charnelle, rien de plus.
Elle réprima un petit rire d'autodérision. A quel
moment avait-elle oublié que Roel n'éprouvait rien
d'autre pour elle qu'une attirance physique, peut-être
intense, mais superficielle ?
— Ce petit moment d'égarement ne se reproduira
jamais, lança Hilary en tournant les talons pour se diriger
vers la porte, la tête haute mais le cœur lourd.
— Pas avant quelques heures, en tout cas, répliqua
Roel d'un ton ironique. Je dois partir à Zurich ce soir.
Je te verrai demain, en fin de journée.
Sans mot dire, Hilary le gratifia d'un bref regard

avant de quitter la pièce en ondulant exagérément des
hanches, savourant pour la première fois de sa vie
l'exaltant sentiment de puissance qu'une femme peut
avoir sur son homme.

8.






Le lendemain matin, Hilary avait perdu de sa superbe.
Assise à la table du petit déjeuner, elle contemplait
son assiette avec un manque d'enthousiasme qui la
laissait perplexe.
Une fois de plus, son appétit avait disparu après qu'elle
s'était servie. Elle se sentait même vaguement nauséeuse.
Et cette sensation d'écœurement qui la submergeait ce
matin durait depuis déjà plusieurs jours.
Aurait-elle contracté un virus ? Non... elle ne se
sentait pas franchement malade... Simplement, elle
n'était pas dans son assiette.
Tout à coup, une pensée profondément déstabilisante
lui traversa l'esprit. Une pensée qui l'emplit d'une
sourde appréhension. Selon ses calculs, elle aurait dû
avoir ses règles quelques jours plus tôt... Mais elle
se trompait peut-être sur les dates, elle n'avait jamais
surveillé son cycle de manière rigoureuse.
Une boule vint se loger au fond de sa gorge. Depuis
leur première nuit d'amour, ni Roel ni elle n'avaient
songé à prendre des précautions. Se pourrait-il qu'elle
soit tombée enceinte... si tôt, si vite ?

S'exhortant au calme, Hilary refit mentalement ses
calculs avant d'exhaler un soupir impatient. A quoi bon
se perdre en vaines conjectures ? Elle attendrait encore
quelques jours avant d'aller acheter un test de grossesse
Et en attendant, il était inutile de paniquer.
Elle sursauta en apercevant Umberto qui avançait
vers elle, le combiné du téléphone à la main.
C'était Roel.
— Je voulais t'appeler hier soir mais la réunion s'est
terminée tard, dit-il.
Les intonations graves et sensuelles de sa voix
réchauffèrent le cœur de la jeune femme.
— Ce n'est pas grave, répondit-elle d'une voix émue
Je suis allée me coucher très tôt, j'étais fatiguée.
— Je voulais te prévenir que nous sortions, ce soir,
cara mia.
— Oh, c'est ma récompense pour bonne conduite ?
plaisanta-t-elle.
— Oui, on peut dire ça... et tu resteras à la maison
quand tu ne seras pas sage. Personnellement, c'est
l'option que je préfère. Je déteste les mondanités.

En début de soirée, Hilary prit une douche et revêtit
un long fourreau de soie vert pâle qui accentuait son
teint diaphane. Roel était rentré une heure plus tôt mais
à sa grande déception, il n'avait pas poussé la porte
qui séparait leurs deux chambres.
Il la rejoignit dans le hall, quelques minutes plus tard,
superbe dans un smoking à la coupe impeccable.

— Tu es magnifique, murmura-t-il en la contemplant
d'un air appréciateur.
- — Ça a l'air de te surprendre, répliqua Hilary d'un
ton moqueur.
Elle se sentait heureuse de le revoir, de retrouver son
regard brûlant et son beau visage au teint mat.
— Au fait..., balbutia-t-elle. Je ne sais pas ce que tu
vas en penser, mais je... j'ai remis l'alliance.
Roel fronça légèrement les sourcils.
— Pourquoi pas ? Après tout, tu as fait pas mal
d'efforts pour l'obtenir, cette alliance.
Hilary s'empourpra violemment.
— Je te déteste quand tu parles comme ça !
Il émit un rire sans joie.
— C'est une tradition familiale, ne t'inquiète pas.
A un moment ou à un autre, les couples mariés finissent
par se détester chez les Sabatino.
— Est-ce également une tradition familiale d'avoir
toujours le dernier mot ?
Cette fois, le sourire qui étira les lèvres de Roel
brilla aussi dans ses yeux.
— Tu as tout compris...

Main dans la main, ils se dirigèrent vers la limousine
qui les attendait pour les conduire à l'héliport.
Dans la voiture, Roel glissa un bras autour ses
épaules et l'attira contre lui pour prendre ses lèvres.
Cette fois, son baiser était empreint d'une tendresse
inédite, qui bouleversa Hilary.

Lorsqu'il s'écarta, son regard sombre trahissait tout
le désir qu'il ressentait pour elle.
— Nous ne resterons pas plus de trois quarts d'heure
à cette maudite soirée, murmura-t-il en promenant le
bout de son index sur les lèvres de la jeune femme.
Hilary hocha la tête. Elle aussi était pressée de se
retrouver seule avec Roel.
Mais lorsqu'elle monta à bord de l'hélicoptère
quelques instants plus tard, elle fut prise d'un étrange
vertige. L'instant d'après, elle s'effondrait contre Roel
qui lui tenait toujours la main.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se trouvait de
nouveau à l'arrière de la limousine. Penché au-dessus
d'elle, Roel l'observait d'un air anxieux.
— Tu t'es évanouie dans mes bras, cara mia... Que
se passe-t-il, tu ne te sens pas bien ?
Hilary cligna des yeux.
— C'est un peu comme si j'avais eu le mal de mer.
expliqua-t-elle d'une petite voix. Va à la soirée sans
moi, Roel, je me reposerai en t'attendant.
— Trop tard, j'ai annulé. Le mal de mer, répéta-t-il
d'un ton amusé. Dis-moi la vérité: tu n'avais aucune
envie de sortir, toi non plus.
Un faible sourire se dessina sur les lèvres d'Hi-
lary.
— Détrompe-toi... J'avais très envie de voir du
monde, au contraire, prétendit-elle pour se prêter au
jeu et, surtout, dissimuler son inquiétude.
* *

Une demi-heure plus tard, Hilary était couchée
dans son lit. Assis près d'elle, Roel l'observait avec
une attention soucieuse.
— Je me sens tout à fait bien, maintenant, dit-elle.
Je n'ai pas envie de passer la soirée au lit à ne rien
faire.
— Quand on est en bonne santé, on ne s'évanouit
pas, fit observer Roel d'un ton sévère. Tu te lèveras
uniquement si le docteur te le permet.
— Le docteur... quel docteur ? demanda Hilary
avec stupeur.
Au même instant, quelques coups discrets furent
frappés à la porte.
— Tiens, c'est sûrement elle.
Prise de panique, Hilary se redressa vivement.
— Je ne veux pas la voir, protesta-t-elle. Je n'ai pas
besoin qu'un docteur m'examine... Pour l'amour du
ciel, Roel, il ne t'arrive donc jamais de respecter la
volonté des autres ?
—~ Je te rappelle que je suis ton mari. Et à ce titre,
je suis responsable de ton bien-être.
Il se leva pour aller ouvrir la porte.
Sur le point d'ouvrir la bouche pour protester de
nouveau, Hilary se tut: une femme souriante, aux
cheveux grisonnants, franchissait déjà le seuil de la
chambre à coucher.
— Je préférerais que tu nous laisses seules, déclara
Hilary, en voyant que Roel ne manifestait pas l'intention
de quitter la pièce.
Il acquiesça avec une visible réticence.
Après avoir répondu aux questions du médecin,

Hilary se soumit à un examen rapide, au terme duquel
la femme esquissa un sourire chaleureux.
— Je suppose que vous aviez déjà quelques soup-
çons... vous êtes enceinte, madame Sabatino.
Hilary se sentit pâlir. Immédiatement, une question
lui traversa l'esprit, terriblement angoissante: quelle
serait la réaction de Roel lorsqu'elle lui annoncerait
la nouvelle ?
— Vous en êtes sûre ?
Le médecin hocha la tête.
— Absolument.
— Ecoutez... je préfère attendre un peu avant de
l'annoncer à mon mari, confia Hilary, au comble de l'embarras.
— Comme vous voudrez, consentit de bonne grâce le médecin.

En proie à une angoisse grandissante, Hilary la regarda se lever et sortir de la chambre.

Lorsque Roel vint la rejoindre, quelques minutes
plus tard, elle se leva. Elle ne pouvait tout de même
pas rester assise, à la merci de son regard perçant si
inquisiteur...
— Puis-je savoir ce que tu fabriques ? demanda-t-il
d'un air réprobateur.
— J'ai eu une baisse de tension, mais je me sens
déjà beaucoup mieux, expliqua-t-elle d'une voix hési-
tante.
Mon Dieu, elle devait se reprendre et recouvrer son
calme. Sinon, il allait découvrir la vraie raison de son
malaise...

Avant qu'elle puisse aller bien loin, Roel la souleva
dans ses bras et la déposa de nouveau sur le lit.
— Il est hors de question que tu te lèves, dit-il d'une
voix ferme. Le médecin a dit qu'il te fallait un repas
équilibré ainsi qu'une bonne nuit de sommeil, et j'ai
bien l'intention de veiller à ce que tu respectes ces
consignes à la lettre.
— La sollicitude te sied mal, mon cher, lança Hilary
d'un ton moqueur.

Une demi-heure plus tard, sous le regard attentif
de Roel, Hilary savourait le repas que la femme de
chambre lui avait apporté sur un plateau, décoré d'un
joli bouquet de fleurs.
En voyant le sourire enjôleur de Roel, elle sentit
s'accélérer les battements de son cœur.
— Tu sais, je ne fais que protéger mes propres inté-
rêts, murmura-t-il d'une voix de velours.
— Ah oui, comment ça ? s'étonna-t-elle.
— Disons que je préférerais que tu sois au mieux de
ta forme pour être en mesure de répondre à tous mes
désirs dans les jours qui viennent. Car je ne te l'ai pas
encore dit mais j'ai décidé de prendre des vacances.
— Mais tu n'en prends jamais !
— Avec la délicieuse jeune femme qui se trouve là,
sous mes yeux, un grand lit... et un ordinateur portable,
je suis tout à fait capable de prendre des vacances.
A son grand désarroi, Hilary se sentit rougir jusqu'à
la racine des cheveux.

— Je ferai tout pour essayer de me guérir de toi
cara, reprit Roel d'une voix rauque.
— Et après ?
Le silence qui suivit la mit à la torture.
— Après, je retournerai à ma vie ordinaire de céli-
bataire endurci.
A ces mots, une vague de désespoir s'abattit sur
Hilary. Ainsi, Roel avait toujours les mêmes intentions.
C'était uniquement par désir de vengeance qu'il l'avait
entraînée ici, chez lui...
Instinctivement, elle posa une main sur son ventre.
L'enfant de Roel grandissait en elle. Comment réagi-
rait-il en apprenant l'incroyable nouvelle ? La soup-
çonnerait-il, une fois encore, d'avoir essayé de le piéger
délibérément ?
Cette simple pensée lui était insupportable. Au fond,
elle ferait peut-être mieux de ne rien lui dire. Lorsque
viendrait le moment de se séparer, elle retournerait à
Londres et travaillerait dur pour offrir une vie heureuse
à leur bébé.
Rongée par les doutes et l'inquiétude, Hilary ferma
les yeux. Carpe diem... Oui, elle devait s'efforcer de
vivre au jour le jour sans songer au lendemain; il serait
toujours temps de faire face au dénouement tristement
prévisible de leur idylle.

Cela faisait maintenant une semaine qu'ils séjour-
naient dans la villa que Roel possédait en Sardaigne
Au retour d'une promenade en vi11e, ce dernier insista pour offrir un bijou à Hilary.

— J'ai envie de te couvrir de diamants, déclara-t-il
d'une voix profonde.
Dans la boutique, gênée. Hilary consentit avec
réticence à ce qu'il lui offrît une montre en or. Elle
répugnait à accepter un cadeau de sa part. N'allait-il pas
en concevoir plus de mépris encore à son égard ?
Une fois de retour à la villa, ils allèrent s'asseoir
sous le gros figuier qui protégeait la terrasse des
rayons ardents du soleil méditerranéen. De là, ils
pouvaient admirer la petite crique privée, légèrement
en contrebas.
L'après-midi touchait à sa fin mais la chaleur ne
s'était pas encore dissipée.
— Merci pour ce magnifique cadeau, murmura
Hilary en prenant une gorgée de jus d'orange.
— J'aurais voulu t'offrir une cascade de pierres
précieuses... que tu aurais portée nue, telle une déesse
païenne.
Hilary sentit son pouls s'accélérer. Elle en était sûre,
aucun autre homme ne la rendrait aussi heureuse, aussi
épanouie...
— Au fait, reprit Roel d'une voix soudain sérieuse,
j'aimerais te présenter des excuses pour cette histoire
d'argent. J'ai vérifié le compte... Cela fait plus de trois
ans que l'argent y dort, sans même que je le sache.
Hilary haussa les sourcils.
— Et la lettre que j'ai envoyée à Paul Correro ?
demanda-t-elle avec étonnement.
— Apparemment, elle n'est jamais arrivée à desti-
nation. A l'époque, Paul venait d'emménager dans de
nouveaux bureaux, et il semblerait que le courrier n'ait

pas suivi. Il s'en veut terriblement, tu sais. Il s'accuse
d'avoir semé la zizanie entre nous.
Hilary hocha lentement la tête, partagée entre des
sentiments contradictoires. Bien sûr, ce malentendu
était dissipé. Mais il y avait autre chose, à présent, de
bien plus déstabilisant pour eux deux.... Une petite vie
qui grandissait en elle, discrètement mais sûrement
Mais elle oublia tout lorsque Roel se pencha vers
elle pour suivre du bout des doigts la courbe de son
épaule. Un frisson de plaisir courut le long de son dos
Elle gémit doucement
Il se leva et vint se poster derrière elle.
— Il fait encore jour..., essaya-t-elle de protester.
Mais au fond, Hilary n'avait aucune envie de le
repousser. Au contraire, elle ne rêvait déjà plus qu'à
une chose...
— Chut..., murmura-t-il. Détends-toi... Laisse-moi
faire.
Et elle se laissa faire... Là, sur la terrasse baignée
par le doux soleil de fin de journée, à l'ombre du figuier
séculaire, Roel lui fit l'amour avec une tendresse qu'il
ne lui avait encore jamais témoignée.
— Tu me rends fou de désir, murmura-t-il après bien
des caresses, lorsque, blottis l'un contre l'autre, ils
reprirent leur souffle en contemplant le ciel azuré.

Ils ne s'étaient pas quittés de toute la semaine. Une
semaine absolument idyllique...
Hilary avait l'impression de vivre dans un rêve.
Ils pique-niquaient sur la plage, prenaient des bains

de minuit, dînaient aux chandelles, faisaient des
siestes sensuelles dans la chambre gardée fraîche par
les volets fermés. Ils bavardaient aussi longuement,
abordant tous les sujets, sans aucun tabou. Et lorsque
Roel avait besoin de travailler une ou deux heures,
Hilary s'installait dans un fauteuil à côté de lui, pour
lire un magazine.
Elle avait conscience de vivre un intermède magique,
un moment de grâce qu'elle aurait voulu prolonger
éternellement. Et puis, il y avait ce bébé, le fruit de
leur désir... le fruit de l'amour qu'elle portait à Roel.
Un soir qu'ils se prélassaient sur le lit après une
merveilleuse journée passée sur la plage et à faire
l'amour avec passion, les mots sortirent de sa bouche
sans qu'elle cherche à les retenir.
— Roel ?
— Mmm ?
Il était allongé sur le dos, les yeux clos. Il avait l'air
parfaitement détendu. Et heureux, se dit Hilary avec
un pincement au cœur. N'allait-elle pas tout gâcher en
lui avouant son précieux secret ?
— J'ai quelque chose d'important à te dire... Surtout,
ne te mets pas en colère, ajouta-t-elle en maudissant
sa propre faiblesse. Dans un sens, nous sommes tous
deux responsables...
Alerté par son ton empreint de gravité, Roel se
redressa sur un coude, le visage grave.
— Qu'y a-t-il ? Je t'écoute.
— Je...
Sa voix se brisa et elle dut inspirer profondément
avant de reprendre.

— Je suis enceinte, Roel. C'est arrivé dès la première
semaine.
Elle le vit blêmir sous son hâle. D'un bond, il se
leva, enfila son short et sortit sur la terrasse qu'il se
mit à arpenter d'un pas nerveux.
Hilary noua à la hâte un paréo autour d'elle et le
rejoignit.
— Tu es sous le choc, c'est normal, hasarda-t-elle.
Elle ne savait comment interpréter la réaction de
son mari.
— C'a été un choc pour moi aussi, reprit-elle.
Muré dans un mutisme inquiétant, Roel se dirigea
vers le minibar de la terrasse et se servit un verre de
whisky qu'il but d'un trait.
La gorge serrée, Hilary l'observait avec attention.
— Je t'en prie, Roel, dis quelque chose.
— Depuis quand le sais-tu ? demanda-t-il enfin,
d'une voix glaciale.
Hilary soupira.
— Depuis le jour où tu as appelé le médecin, quand
je me suis évanouie.
Il laissa échapper un rire dur.
— Depuis tout ce temps ? Pourquoi ne m'en as-tu
pas parlé avant ?
Hilary retint son souffle. Elle sentait que la situation
lui échappait dangereusement.
— Je... j'avais peur de ta réaction, avoua-t-elle. Et...
j'avais peur de te perdre.
Roel haussa les sourcils d'un air dédaigneux.
— Tu avais peur de me perdre ? Je te trouve bien

présomptueuse, lâcha-t-il en lui jetant un regard noir.
Car je ne t'ai jamais appartenu.
Hilary vacilla légèrement sous la violence de ses
paroles.
Lorsqu'il ramassa sa chemise, elle comprit qu'il
allait partir. L'abandonner. Elle balbutia d'une voix
étranglée:
— Où vas-tu ?
— Ça ne te regarde pas, répondit-il en quittant la
terrasse, sans même la regarder.
Après son départ, Hilary resta un long moment
dehors, grelottante malgré la douceur du soir. Puis, elle
se força à prendre un léger dîner. Pour le bébé qu'elle
portait en elle, elle devait prendre soin d'elle.
Mais elle se sentait désespérée. Qu'avait-elle fait pour
mériter un tel mépris de la part de Roel ? A croire qu'il
la soupçonnait d'être tombée délibérément enceinte
dans le seul but de lui soutirer de l'argent. Ah, l'ar-
gent ! Qui avait dit qu'il ne faisait pas le bonheur ?
Elle l'apprenait aujourd'hui à ses dépens, et de façon
implacable.
Elle savait que Roel avait eu trop d'exemples
malheureux autour de lui, dans sa famille, pour faire
confiance à une femme. Réussirait-elle à briser l'espèce
de malédiction qui semblait toucher le clan Sabatino
depuis plusieurs générations ?
Oui... oui, elle se sentait prête à tout pour lui prouver
que les femmes n'étaient pas des êtres cupides et frivoles
qu'on ne pouvait que mépriser. Pas plus que des objets
de désir qu'on pouvait manipuler à sa guise.
Pour leur enfant, elle réussirait à conquérir le cœur

de Roel, coûte que coûte ! Une bouffée d'espoir gonfla
soudain son cœur.
Forte de ses résolutions, Hilary, incapable de trouva
le sommeil, monta se coucher et attendit le retour de
Roel. Le clair de lune baignait la chambre d'une lueur
nacrée.
Il était plus d'une heure du matin lorsque Roel
apparut enfin dans l'encadrement de la porte. Le cœur
d'Hilary fit un bond dans sa poitrine. Elle se redressa
vivement. Il était revenu, c'était tout ce qui comptait
pour le moment...
— Roel..., commença-t-elle, songeant à tous les
arguments qu'elle avait répétés depuis qu'elle était
couchée.
— Chut....
Elle le regarda s'approcher, les cheveux en bataille,
l'air hagard. Une barbe naissante ombrait son menton
volontaire.
Il s'assit près d'elle. La gravité se lisait dans ses
yeux. Presque timidement, il avança la main vers elle
et effleura sa joue d'une douce caresse.
— Je suis heureux pour le bébé, commença-t-il
d'une voix étrangement rauque. Mais j'ai besoin de te
faire confiance, tu comprends, cara ? J'aurais voulu
que ce soit toi qui me dises la vérité au sujet de notre
mariage, quand je souffrais d'amnésie. Et j'aurais
voulu que tu me parles du bébé tout de suite, dès que
tu l'as appris.
Il secoua la tête.
— Tu n'imagines pas le mal que tu m'as fait en dispa-
raissant sans aucune explication.

La gorge nouée, Hilary sentit des larmes lui monter
aux yeux. Il avait raison, bien sûr. Son attitude irréfléchie
n'avait fait que renforcer sa méfiance et son cynisme.
A cette pensée, une bouffée de honte l'envahit.
— J'ai dû te paraître très égoïste, murmura-t-elle.
Mais... pour être franche, je ne pensais pas que je te
manquerais à ce point...
Roel émit un rire sans joie.
— Inferno ! Que crois-tu donc ? Que je suis fait
de bois ?
— De glace, plutôt, répliqua-t-elle avec humour. Tu
es tellement maître de tes émotions qu'on se demande
parfois si tu en éprouves vraiment.
Il grimaça.
— C'est ainsi qu'on m'a élevé. On m'a appris à être
fort, en toutes circonstances, et à ne jamais baisser la
garde devant une femme. Leurs mariages ratés ont aigri
mon père et mon grand-père. Lorsque ce dernier s'est
enfin ouvert à un autre style de vie, il était trop tard, il
n'avait plus assez d'influence sur moi. Je pense que c'est
la raison pour laquelle il a rédigé ce drôle de testament.
C'était son ultime tentative, son dernier espoir de me
voir prendre une épouse et vivre heureux en famille.
Pour briser le sortilège, en quelque sorte...
Il se tut. Ses doigts coururent le long du bras d'Hilary,
qui frissonna. Empreint de noblesse, le profil de Roel
se découpait sur le ciel bleu nuit, éclairé par la lune.
— Pour le bébé, je suis..., balbutia-t-elle.
— Je veux ce bébé, coupa-t-il avec ferveur. C'est
la plus belle chose qui me soit jamais arrivé... Après
toi, bien sûr. Quand tu m'as annoncé la nouvelle, j'ai

pris peur... Toutes mes vieilles craintes ont resurgi,
j'ai eu peur que tu tentes de me manipuler.
Il s'interrompit un instant et plongea son regard
dans celui d'Hilary.
— Je ne supporterais pas que tu me quittes de
nouveau, cara, reprit-il. Depuis le premier jour où je
suis entré dans ton salon de coiffure, je n'ai cessé de
lutter contre les sentiments que tu m'inspirais. J'ai bien
essayé de résister, de me convaincre qu'il ne s'agissait
que d'une attirance physique mais...
— Mais ? souffla Hilary, le cœur empli d'espoir.
— Mais c'est bien plus profond que ça, avoua-t-il
d'une voix sourde. Ce sentiment qui m'habite jour
et nuit, qui me torture dès que nous ne sommes plus
ensemble... Je t'aime, Hilary. C'est la première fois
que j'éprouve cela. Et malheureusement, je n'ai pas su
le reconnaître. Au contraire, je me demandais ce qui
n'allait pas chez moi...
— Alors que tout allait bien, rectifia Hilary avec
empressement.
Les yeux pleins de larmes, elle noua les bras autour
de son cou et se blottit contre lui.
— Je t'aime aussi, Roel, dit-elle dans un souffle. Je
t'aime de tout mon cœur et je ferai tout pour te rendre
très, très heureux. Tellement heureux que tu ne voudras
plus jamais me laisser partir.
Visiblement ému, Roel resserra son étreinte. Ils
restèrent un long moment ainsi, tendrement enlacés,
savourant cette complicité qu'ils avaient été si près
de perdre.
— Je me sens bien auprès de toi, amata mia.

— Tu vois... ce n'est pas si pénible que ça de m'aimer,
le taquina Hilary.
— Ça l'est quand tu me quittes sans crier gare.
— Ça n'arrivera plus jamais, promit-elle avec
ferveur.
— Mmm, j'espère pour toi.
Avec une délicatesse infinie, il prit ses lèvres et
l'embrassa avec tendresse.
— Sais-tu ce qui me ferait plaisir ? chuchota-t-il tout
contre sa bouche. J'adorerais te voir porter une vraie
robe de mariée, rien que pour moi. Serais-tu d'accord
pour renouveler nos vœux en présence de tous nos
amis ? Ce serait l'occasion de célébrer dignement la
force de notre amour.
— C'est une merveilleuse idée, murmura Hilary,
bouleversée par l'émotion qui voilait son regard noir.
Mais nous devrons attendre que le bébé soit né.
— Pourquoi ? fit Roel avec une candeur qui lui
arracha un sourire attendri.

Onze mois plus tard, Hilary et Roel renouvelèrent
leurs vœux dans une ravissante petite chapelle, à
quelques pas du castello Sabatino.
Vêtue d'une magnifique robe composée d'un corset
en brocart et d'une superposition de jupons aériens,
Hilary irradiait de bonheur. A son côté, Roel ne crai-
gnait plus d'afficher la force de son amour.
La cérémonie religieuse fut suivie d'un savoureux
banquet et d'une soirée joyeusement animée à laquelle
assistèrent les deux amies de la mariée, Pippa et Tabby,

accompagnées de leurs époux, Andreo et Christian.
Paul et Anya Correro étaient là eux aussi. Au cours
de l'année passée, cette dernière et Hilary avaient
sympathisé au point de devenir vraiment intimes, pour
le plus grand bonheur de leurs maris.
La jeune Emma, bien sûr, avait également fait le
déplacement. Mais l'invité d'honneur était sans conteste
Pietro, le plus jeune membre du clan Sabatino. Du
haut de ses trois mois, le bébé témoigna cependant
peu d'intérêt pour les festivités et passa le plus clair
de son temps à dormir à poings fermés.
Plus tard dans la soirée, Hilary déposa son fils dans
le berceau de la nursery qu'elle avait décorée avec soin.
L'enfant avait hérité des cheveux noirs de son père et
il savait déjà esquisser des sourires destinés à charmer
son entourage. Cela lui venait aussi de son père, sans
aucun doute...
Comme le temps passait vite... Et comme la vie
était douce auprès de Roel et de Pietro ! songea la
jeune femme avec un sourire rêveur. Ils passaient
beaucoup de temps au castello où il régnait un calme
très apaisant. Roel avait considérablement réduit le
nombre de ses voyages d'affaires et il la gâtait comme
une princesse.
— Superbe, chuchota ce dernier depuis le seuil de
la pièce.
Hilary contempla leur bébé avec une fierté toute
maternelle.
— C'est vrai que c'est un beau bébé... En toute
objectivité, bien sûr. Tu ne trouves pas ?

Roel enlaça son épouse par la taille et la fit pivoter
vers lui.
— Je ne parlais pas de Pietro, amata mia.
— Ah bon ?
Croisant son regard voilé par le désir, Hilary sentit
son cœur s'emballer.
— Tu étais magnifique aujourd'hui. Je suis tellement
heureux de t'avoir rencontrée, tellement fier de t'avoir
épousée, confessa-t-il. Sais-tu que c'est un peu la nuit
de noces que nous n'avons jamais eue ?
Tremblante, Hilary se hissa sur la pointe des pieds
pour réclamer un baiser. Etouffant un gémissement,
Roel se pencha pour l'embrasser à perdre haleine, avant
de la soulever dans ses bras pour franchir le seuil de
leur chambre.
— Tu m'aimes toujours ? demanda-t-elle, le souffle
court.
Le sourire franc et lumineux de son mari l'emplit
d'allégresse.
— Je t'aime chaque jour un peu plus, répondit-il.
Le cœur en fête, Hilary se pressa tout contre lui
pour réclamer un autre baiser.

 
 

 

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ÞÏíã 02-01-11, 04:32 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 2
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merci ma belle

 
 

 

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MRECI BIEN

 
 

 

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ÞÏíã 17-01-11, 04:57 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 4
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merci bcp pour le livre j’aime bien ta façon de donné le livre tous entier j’attends avec impatience d’autre livre merci encore

 
 

 

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