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ÇáÊÓÌíá

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ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ Romantic Novels Fourm¡ ÑæÇíÇÊ ÑæãÇäÓíÉ ÇÌäÈíÉ


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ÞÏíã 29-12-10, 05:00 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 1
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ÇáÊÓÌíá: Mar 2008
ÇáÚÖæíÉ: 68801
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 4
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ÇáãäÊÏì : ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÇÝÊÑÇÖí Coup de foudre à Noë[COLLECTION AZUR

 

Coup de foudre à Noë[COLLECTION AZUR

1.
Darcy glissa ses pieds dans ses pantoufles et quitta la salle de bains où elle venait de s'offrir une agréable séance d'aro-mathérapie, pour se diriger vers le téléphone.
C'était agréable d'être seule, pour une fois. Jennifer, sa colo-cataire, avait beau être charmante, elle ne pouvait s'empêcher de pousser la chaîne hi-fi à plein volume quand elle écoutait de la musique. Et, dans ce domaine, elles n'avaient pas du tout les mêmes goûts !
Après avoir noué sa serviette sur sa poitrine à la manière d'un paréo, Darcy décrocha et composa le numéro de son beau-père. Jack Alexander ne tarda pas à répondre.
— Bonjour papa, est-ce que maman est dans les parages ? demanda-t-elle en s'appuyant sur le guéridon.
— Euh... non, Darcy. Elle n'est pas là.
Cette réponse ne l'étonna pas. Sa mère, une hyperactive qui
cumulait les fonctions à la tête de différents comités et associations, était toujours par monts et par vaux.
En revanche, l'accent de panique dans la voix de Jack, d'or-dinaire si placide, l'alarma aussitôt. Sa belle humeur s'envola. Sans être médium, elle pressentait que quelque chose n'allait pas à la maison. Toutefois, il était mutile de brusquer Jack qui, à son habitude, lui expliquerait tout à son rythme. Elle le connaissait et l'aimait comme un vrai père depuis qu'il avait
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épousé sa mère. A l'époque, Darcy avait cinq ans et Nick, son frère aîné, sept. Deux ans plus tard, Clare était née, puis, à la surprise générale, des jumeaux.
Les Alexander formaient une famille très unie.
Le cœur légèrement battant, Darcy s'enquit :
— Où est-elle encore ? A la répétition de la chorale ? Ou en train de récolter des fonds pour la réparation du toit de l'église ?
— Ni l'un... ni l'autre, bredouilla Jack.
Cette fois, Darcy éprouva une véritable inquiétude. Jack paraissait au bord des larmes. Lui qui ne perdait jamais son sang-froid et avait même assisté sans s'affoler à la naissance de son petit-fils à l'arrière d'une Land Rover !
Darcy alla droit au but
— Quel est le problème, papa ?
— C'est ta mère...
La gorge nouée, Darcy se redressa brusquement, tandis que toutes sortes de scénarios dramatiques défilaient dans son esprit.
— Elle n'est pas malade, au moins ?
— Non, non... Elle est partie !
Darcy laissa échapper un immense soupir de soulagement, avant de s'asseoir sur la moquette du vestibule.
— Comment ça, partie ?
—- Elle s'est retirée dans un monastère en Cornouailles —un cloître ouvert aux gens stressés, aux cadres surmenés...
— Mais c'est à l'autre bout du pays !
Remarque éminemment stupide. La géographie n'était pas le détail le plus important de cette histoire. Mais Darcy avait beau chercher un semblant de logique dans ce que venait de lui annoncer Jack, son esprit en déroute échouait lamentableme> . Enfin, sa mère avait totgours été l'élément solide, d'une constan stabilité, de leur foyer familial !

Non, tout cela n'avait aucun sens.
— Quand bien même le monastère se trouverait au bas de la rue, cela ne changerait rien : ils n'ont même pas le téléphone ! se lamenta son beau-père à l'autre bout du fil. Oh, Darcy ! je ne sais plus quoi faire ! Tout le monde la réclame. Elle devait coudre les costumes pour la crèche vivante de l'école, et le club de patchwork veut trente quiches lorraines pour jeudi... Comment fait-on la quiche lorraine, Darcy ?
— Franchement, nous avons d'autres chats à fouetter ! Sais-tu au moins ce qui a motivé sa décision ? Vous êtes-vous disputés ?
— Non, pas du tout. J'avais bien remarqué qu'elle était assez silencieuse, ces derniers temps, mais de là à imaginer que... Oh, tu as raison, c'est sûrement ma faute !
— Voyons, je n'ai jamais dit cela ! Tu es l'homme le plus merveilleux du monde ! affirma Darcy avec conviction.
Jack soupira :
— Apparemment, elle a besoin de solitude... Darcy, tu es toujours là ?
— Oui, oui...
Darcy réfléchissait. La situation avait quelque chose d'irréel. Les femmes comme Cathy Alexander ne traversaient pas de crise existentielle, elles ne quittaient pas leur famille sur un Coup de tête, sans un mot d'explication !
— Que vais-je faire, Darcy ? Sam, Beth et les enfants arrivent des Etats-Unis vendredi. Il est trop tard pour annuler le voyage.
— Non, c'est hors de question !
Depuis que Beth, sa fille aînée née d'un premier lit, avait épousé un Américain, Jack n'avait que très peu d'occasions de les voir, elle et ses enfants. Darcy savait qu'il serait navré de rater celle-ci.
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— Nick a appelé pour dire qu'il arriverait en fin de semaine
et Clare va sûrement passer, elle aussi, précisa-t-il.
Darcy esquissa un sourire désabusé. Cela ressemblait tellement à Clare de ne pas s'engager sur une date précise !
— Et ta grand-mère qui peut arriver d'un moment à l'autre !
gémissait Jack. Tu imagines sa réaction ? Aux dernières nouvelles,
nous avions au moins quinze convives pour le réveillon, sans
compter ceux que ta mère a invités sans me prévenir. Et l'Aga
qui refuse de marcher ! Moi, je n'ai jamais réussi à l'allumer,
c'est ta mère qui a le Coup de main pour ça...
Darcy prit une profonde inspiration. Les circonstances désespérées réclamaient une solution drastique.
— Pas la peine de paniquer ! lança-t-elle hypocritement. Si je fais tout de suite ma valise, je peux être à la maison vers... disons... Il n'y a pas trop de circulation à cette heure-ci, n'est-ce pas ?
— Mais Darcy, tes vacances au ski ! Cela fait tellement longtemps que tu les attendais...
De toute évidence, la protestation manquait de sincérité.
— Avec la chance que j'ai, je serais sans doute revenue
avec plusieurs membres dans le plâtre ! répliqua-t-elle d'un
ton insouciant, en s'efforçant d'occulter d'entêtantes images de
pistes immaculées, de poudreuse et de joyeuses tablées autour
d'un appareil à raclette.
Son assurance-annulation prenait-elle en compte les lubies mystiques d'un parent du souscripteur ? C'était fort peu probable.
— Tu ne peux pas te désister ! insista Jennifer un peu plus tard
ce soir-là, alors que, assise sur le lit de Darcy, elle la regardait
ranger ses affaires de ski dans son armoire pour mettre dans
la valise des vêtements de tous les jours. Tu attends ce séjour

depuis un an ! Pourquoi serais-tu obligée de te dévouer ? Clare
peut bien aller donner un Coup de main à son père !
— Claie ? Tu plaisantes, elle est perdue dans une cuisine !
Darcy exagérait à peine. Sa ravissante demi-sœur, pourvue
de nombreux talents et un tantinet capricieuse, avait certes un cœur d'or, mais elle avait besoin d'une psychothérapie chaque fois qu'elle se cassait un ongle.
— Parce que toi, tu es un cordon bleu, peut-être ? ironisa
Jennifer.
— J'apprendrai, voilà tout.
— Oh, tu fais vraiment n'importe quoi !
— Comme d'habitude, non ?
Jennifer leva les yeux au plafond en saisissant l'allusion et
objecta:
— A une différence près : tu n'étais pas responsable de ce fiasco. C'est Michael qui a menti, pas toi.
— Va le dire à sa femme et à ses gosses.
Cette année, Reece Erskine ne prendrait aucun risque. Il avait l'intention de se terrer au plus profond de la campagne du Yorkshire, jusqu'à ce que la période des fêtes soit passée. Il détestait Noël, et après ? Etait-ce criminel de se tenir à l'écart de cette ridicule hystérie collective, qui connaîtrait son point d'orgue lors de ripailles obscènes en compagnie de personnes qu'on prenait grand soin d'éviter le restant de l'année ?
Le plus insupportable, c'était cette complaisance généralisée et bien intentionnée qu'on lui manifestait : s'il refusait de
souffler dans un mirliton, c'est qu'il n'était pas prêt, qu'il n'avait
pas encore fait son deuil... Quelles âneries !
L'année dernière, il avait commis une erreur en ne brouillant pas suffisamment les pistes. Sa « copine » du moment — ce terme vague était décidément le plus adéquat —, était venue

le débusquer jusque dans l'hôtel où il s'était retranché, armée d'une bouteille de Champagne, d'un sourire dégoulinant de compassion et d'une nuisette affriolante. L'opiniâtreté de cette créature l'avait désarçonné. Il avait fallu batailler ferme et, au bout du compte, se montrer grossier. La « copine » s'était vengée en déballant dans la presse à sensation les détails de leur relation soi-disant sulfureuse.
Cette année, donc, il avait opté pour l'isolement le plus total et prié son ami Greg de lui prêter sa résidence secondaire, une grande demeure victorienne appelée Walnut Hall, achetée quelques années plus tôt et, dixit le propriétaire, en voie de rénovation.
« Réhabilitation » aurait été le terme idoine. Si Reece avait su que les travaux étaient à un stade si embryonnaire, sans doute aurait-il réfléchi à deux fois avant de partir pour le Yorkshire. Mais il était trop tard pour avoir des remords, à présent Après tout, il n'était pas si attaché à son confort !
— Tu t'embourgeoises, mon vieux ! se reprocha-t-il tout haut.
Sa voix résonna dans l'immense salle très haute de plafond. Allons, il pouvait bien s'accommoder d'un rat ou deux. Et qui avait envie d'un room-service quand on disposait d'une authentique cuisinière Primus rongée par une rouille centenaire ?
Il soupira. Bon, d'accord, l'esprit d'aventure qui animait ses ancêtres avait un peu de mal à se réincarner en lui.
Après avoir déroulé son sac de couchage, il sortit dans le jardin envahi par la végétation, qui se prolongeait jusqu'à un petit torrent. Frissonnant, il ferma le col de sa veste en cuir. Il faisait presque aussi froid dehors qu'à l'intérieur de la maison ! Bien qu'il eût réussi à allumer un feu dans l'imposante cheminée — qui s'était aussitôt mise à vomir une fumée acre — la température ambiante était restée glaciale dans la pièce principale. Il allait devoir investir dans des couvertures en laine pour compléter
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un équipement pourtant à la pointe de la technologie. Son sac de couchage était peut-être conçu pour endurer les plus grands froids du pôle Nord, mais certainement pas les longues nuits de décembre aux confins du Yorkshire !
Il jeta sur son triste environnement un regard dégoûté. Bon sang, quelle grisaille ! Pourquoi les gens parlaient-ils en termes si dithyrambiques de cette région triste et humide ?
Dans ce dégradé monotone, son œil repéra tout à Coup une tache rouge incongrue, de l'autre côté de la haie. Au pre¬mier abord, cela ressemblait à une silhouette humaine, et au deuxième... aussi !
L'indignation monta en lui. Comment ? Greg lui avait juré sur la tête de sa très alerte grand-mère qu'il ne verrait pas âme qui vive de toute la durée de son séjour ! Reece en avait déduit qu'il n'y avait pas de voisins et que les autochtones n'appréciaient guère les étrangers. Le cadre parfait pour un misanthrope comme lui !
Désireux de préserver sa quiétude, il s'avança d'un pas décidé... et sursauta en entendant soudain une voix claire entonner à tue-tête un chant de Noël. Du tapage, maintenant ! Non mais, cela ne se passerait pas comme ça !
Plus curieux qu'il ne voulait se l'avouer, il tenta de distinguer rimportun à travers les branchages de la haie, en vain. Suivant alors une impulsion — ce qui lui arrivait rarement —, il se suspendit à la branche la plus basse d'un cerisier qui poussait là fort à propos, et se jucha dessus après une habile pirouette.
De son perchoir, il découvrit le jardin de la demeure en pierre grise construite au bout de l'allée qui passait également devant chez Greg et, en contrebas du cerisier, une sorte d'abri de jardin assez spacieux, devant lequel s'activait un jeune homme blond...
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En été, le bungalow aux volets verts était un lieu paradi-siaque. De la vigne vierge et des rosiers grimpants partaient
à l'assaut des vieux murs et montaient jusqu'au toit. Enfant,
Darcy s'imaginait que son prince charmant viendrait y faire
sa demande en mariage.
L'hiver, en revanche, l'endroit devenait lugubre et on se le représentait volontiers peuplé de fantômes et de sorcières. C'est d'ailleurs pour ne pas céder à la déprime que Darcy s'était mise à répéter le chant qu'elle interpréterait bientôt en solo au spectacle de la chorale.
Elle ne s'était jamais fait d'illusions sur la qualité de sa voix, et il avait fallu tout le pouvoir de persuasion du jeune vicaire — et la duplicité complice de son épagneul aux grands yeux marron — pour la convaincre de monter seule sur scène lors de cette soirée de bienfaisance organisée par sa mère.
C'est seulement parvenue devant le porche de l'église que Darcy avait mesuré l'ampleur de la catastrophe qui s'annonçait Elle était victime d'un trac horrible depuis ce jour funeste où, lors de la crèche vivante mise en scène à l'école maternelle, on lui avait confié le rôle de l'âne. Tétanisée par la complexité du personnage, elle s'était pétrifiée sur place, bouche bée et coite, jusqu'à ce que l'instituteur la fasse descendre de scène manu militari.
Qu'y avait-il de pire que de se couvrir de ridicule devant de proches amis ?
Rien.
Un craquement sonore interrompit le cheminement de sa pensée. Par réflexe, elle recula d'un bond, et bien lui en prit ! Une branche pourrie du vieux cerisier s'abattit sur le toit du bungalow avant d'atterrir au sol, bientôt suivie d'un grand escogriffe brun qui demeura inerte à ses pieds !
La seconde suivante, plusieurs ardoises brisées s'écrasèrent par terre avec fracas. Puis, le silence retomba.

Interdite, Darcy considéra l'homme qui gisait devant elle. Enfin, s'arrachant à sa stupeur, elle s'agenouilla. Les expressions « position de sécurité » et « bouche à bouche » lui passèrent par la tête. Mais, bien qu'elle eût obtenu son diplôme de secouriste à l'âge de vingt ans, elle se sentit pitoyablement démunie devant cette urgence caractérisée.
— Oh, s'il Vous plaît, s'il Vous plaît, Faites qu'il ne soit pas
mort ! chuchota-t-elle en posant deux doigts tremblants contre
sa carotide.
Un immense soulagement l'envahit lorsqu'elle sentit son
pouls précipité.
Avec un grognement de douleur, Reece roula sur le dos. Pour la première fois de sa vie, il voyait littéralement des étoi¬les. A grand peine, il se força à respirer lentement. Au bout d'un moment, les clignotements disparurent de sa vision et il se rendit compte qu'il n'était pas en présence d'un ange, mais seulement d'un garçon aux traits fins dont les mèches blondes dépassaient de sa casquette.
Comme ce dernier le considérait d'un air anxieux, la mémoire lui revint : ah oui ! il s'agissait du gêneur qui se permettait de brailler dans le jardin voisin...
— Ne bougez pas. Je vais appeler les secours !
Reece le retint par le bras. Peut-être souffrait-il de lésions graves et le garçon semblait paniqué. Qui sait s'il reviendrait ?
— Non, aidez-moi plutôt à me mettre debout, suggéra-t-il.
L'autre lui lança un regard dubitatif, puis se décida à glisser un bras sous le sien.
— Aaaah !
— Oh, mon Dieu ! Je vous ai fait mal ?
Reece n'avait pu s'empêcher de crier tant la douleur avait été figurante. Il s'était sûrement démis l'épaule. Soutenant son membre blessé de son bras valide, il se redressa péniblement en serrant les dents, avant de lever les yeux vers le garçon.
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Celui-ci avait un visage délicat, un petit nez retroussé semé de taches de rousseur et de grands yeux bleus. Il était blanc comme un linge.
— Ce n'est pas votre faute, assura Reece.
En toute logique, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Mais cette certitude n'était pas faite pour améliorer son humeur.
— Vous ne devriez pas plutôt vous allonger ? s'inquiéta
Darcy.
Elle-même ne se posait pas la question. Manifestement, l'étranger souffrait beaucoup, même s'il n'avait pas l'air prêt à se laisser materner.
Alors qu'elle l'enveloppait d'un regard perplexe, force lui fut de constater qu'il était très séduisant avec sa mâchoire carrée, ses hautes pommettes, sa bouche large et ferme, et son nez patricien. Avec, en plus, cette épaisse chevelure brune parcourue de reflets chauds et ces yeux verts frangés de cils fournis, il était vraiment beau. Presque trop beau.
Pour l'heure, ce regard éblouissant était légèrement hagard. Le choc subi, sans doute. Il leva la main, tapota sa veste.
— Tenez, j'ai un téléphone cellulaire... Pouvez-vous l'attraper
dans ma poche, s'il vous plaît ?
Comme elle mettait du temps à réagir, il esquissa un sourire acide et ajouta :
— Je ne vais pas vous mordre, vous savez.
Darcy faillit éclater de rire. L'inconnu avait la morgue qui allait avec son physique ! Elle s'arracha finalement à sa con-templation. Il était quand même très malpoli de dévisager les gens avec une telle insistance.
Curieusement, elle hésitait à le toucher, elle qui d'ordinaire ne craignait pas du tout le contact physique. Elle étreignait toujours généreusement ses amis et cela lui avait d'ailleurs joué des tours quand certains hommes s'étaient mépris sur ces effusions spontanées !
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- La poche intérieure, précisa-t-il. Darcy se sentit encore plus empruntée. Elle se racla la gorge, puis se pencha, et ses narines frémissantes captèrent un subtil parfum d'eau de Cologne, tandis que ses doigts frôlaient les côtes du blessé. La poche étant placée plus haut, elle dut remonter sur un pectoral saillant et s'avisa soudain qu'en dépit des tem¬pératures négatives elle avait vraiment très chaud.
Le plus pathétique, c'est qu'elle n'avait pas connu une telle proximité avec un homme depuis sa rupture avec Michael. En était-elle réduite désormais à tripoter subrepticement les inconnus séduisants que le hasard mettait sur sa route ?
Enfin, elle toucha une surface dure et plastifiée. Soulagée, elle retira le téléphone... ou plutôt ce qui en restait. L'appareil était inutilisable.
Ils échangèrent un regard consterné. L'inconnu grommela un juron, ce dont Darcy ne lui tint pas rigueur. Ils étaient dans un sacré pétrin.
— Vous avez dû tomber dessus, dit-elle gentiment.
— Quelle perspicacité !
Elle se sentit rougir. Soit, sa remarque ne brillait pas spé-cialement par son intelligence, mais ce n'était pas non plus très malin de grimper dans un cerisier. Et à ce propos, que faisait-il dans un arbre, ce type à la mine sérieuse, avec son beau cos-tume-cravate ? Il n'avait pas l'air de ces adolescents attardés qui, quel que soit leur âge, sont prêts à toutes les frasques. Non, a le voir ainsi, austère, sardonique et pétri d'arrogance, on se demandait même s'il avait été jeune un jour.
Ravalant la réplique acerbe qui lui montait aux lèvres, elle
lui offrit un sourire crispé. Inconscient de l'avoir vexée, il s'enquit:
—dites-moi, mon petit, vos parents ne seraient pas dans
le coin?

Darcy retint une exclamation offusquée. Il la prenait pour un garçon ! Bon, d'accord, elle n'était ni très grande ni très bien habillée, elle se maquillait rarement et son physique ne provo¬quait pas des ravages parmi la gent masculine, contrairement à celui de sa sœur Clare. Néanmoins, son charme juvénile avait en général son petit effet. Elle avait même tourné quelques têtes. « Mon petit »... Non mais !
Bien sûr, si l'on tenait compte de ses hanches minces, de sa poitrine menue et de sa casquette... ce goujat était sans doute excusable, d'autant plus qu'il venait de tomber sur la tête.
Lèvres pincées, elle tergiversait sur la conduite à tenir quand son sens de l'humour vint à la rescousse. Avec les jumeaux, elle avait appris très tôt qu'il valait mieux rire de soi avant que les autres ne s'en chargent. Elle qui clamait toujours qu'elle voulait être traitée en égale par les hommes et qu'elle refusait d'être considérée comme un objet sexuel, eh bien... elle était servie !
— Mon père est à la maison, confirma-t-elle, résistant à
l'envie espiègle de viriliser sa voix.
Elle désigna d'un geste l'allée bordée de buissons piquetés de baies rouges, avant de reporter son attention sur l'homme dont le front était perlé d'une mauvaise sueur.
— Il y a cinquante mètres. Etes-vous capable de parcourir le chemin?
— Si je m'effondre, vous serez le premier à le savoir.
— Votre tête saigne...
— Ce n'est rien, une plaie superficielle.
Darcy haussa les épaules. S'il voulait jouer les durs à cuire, grand bien lui fasse !
*
18

— Attention aux...
Darcy s'interrompit et, d'un air de petite mère poule tracas¬sée, regarda son protégé éviter la collection de bottes crottées et de tennis avachies qui, comme d'habitude, barraient le seuil de la porte d'entrée.
— Papa ! appela-t-elle en le précédant dans la rustique cuisine
carrelée de tommettes où trônait l'Aga récalcitrante.
Elle regretta d'avoir crié en voyant l'inconnu tressaillir dou-loureusement. Il devait avoir une sacrée migraine.
Jack ne tarda pas à apparaître, suivi des trois frères de Darcy à la queue leu leu.
— Seigneur, que s'est-il passé ? s'exclama son beau-père, dont le regard s'écarquilla à la vue de son pull taché de sang.
— Ne t'inquiète pas, je ne suis pas blessée.
Elle se tourna vers l'inconnu qui vacillait légèrement et le soutint par le coude :
— C'est lui. Tu vois le vieux cerisier, de l'autre côté de la
haie ? Une branche est tombée sur le toit du bungalow.
Jack leva les yeux au ciel.
— Depuis le temps que je répète que cela va arriver ! Mais toi, Darcy ? Tu n'as rien ?
— Non, non. Ça va.
— Et vous, monsieur... ?
En dépit du soutien que lui offrait Darcy, le blessé dut s adosser au mur. Le sang coulait toujours sur son visage aux traits tirés. Jack jeta un regard interrogateur à sa belle-fille qui secoua la tête :
— Ne me demande pas qui c'est, je n'en ai pas la moindre
idée !
—Ah bon ? Et que faisais-tu dans le bungalow avec ce type ? s enquit Nick, avec un Coup d'œil suspicieux en direction du blessé.
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— Je cherchais des outils dans la remise tu y vois une
objection? Nick choisissait toujours les pires moments pour jouer les grands frères protecteurs, ce qui ne manquait pas de la mettre
— Vous devriez vous asseoir.
— Une minute, s'il vous plaît...
En le voyant porter la main à son front, Darcy comprit Qu'il était en proie au vertige.
— Harry, Charlie ! appela-t-elle. Vous me donnez un COUP
de main ?
Les jumeaux reculèrent dans un ensemble parfait.
— On voudrait bien..., commença Harry.
— ... mais il y a du sang ! compléta Charlie avec une gri-mace écœurée.
— Oh ! Vous n'êtes que des mauviettes !
— C'est peut-être un des gars du chantier d'à côté ? supputa Harry.
— non, regarde : il n'a pas l'air d'un ouvrier. Et puis, ça fait des semaines que les travaux sont arrêtés.
Darcy était d'accord avec Charlie, l'inconnu n'avait rien d'un manœuvre, en dépit de la dureté de ses muscles qu'elle avait elle-même éprouvée. Enfin, ce n'était pas ce qui importait | S'avisant que l'homme saignait toujours abondamment, elle s'en alla chercher une serviette propre dans le buffet Les jumeaux poursuivaient leur raisonnement :
— C'est peut-être le propriétaire ?
— Non, penses-tu ! Je l'ai vu une fois, il est tout petit
— Dites donc, vous deux, ce n'est pas le moment de jouer aux devinettes ! les invectiva Darcy en les bousculant au passage,
la serviette à la main.
Reece commençait tout juste à se sentir mieux. Son tournis s'apaisait. Tout le monde parlait en même temps, si bien qu'il
avait l'impression que la pièce était pleine de monde mais, à y regarder de plus près, il n'y avait que quatre personnes en plus de lui et de son jeune sauveur. Toutes du sexe masculin. Les deux plus jeunes, quoique presque aussi grands que lui, n'étaient que des adolescents, et soit il s'agissait de vrais jumeaux, soit Reece voyait double.
— La paix ! rugit tout à Coup le frêle jeune homme qui était en train de lui éponger le front. Pour le moment, ce n'est pas son identité qui importe. Il a besoin de soins. Charlie, va chercher la trousse à pharmacie.
— Je ne sais pas où elle...
Habituée au désarroi des hommes quand il s'agit de trouver un objet dans la maison, Darcy lui coupa la parole :
— Premier tiroir en partant du bas dans la salle de bains. Et
toi, Harry, fais sortir les chiens.
Harry s'employa à expulser de la cuisine les deux setters vautrés devant l'Aga. Encore un peu désorienté, Reece observa son jeune mentor qui, résolu à prendre les choses en mains, se mettait à régenter toute la maisonnée, lui y compris. Il se surprit à suivre docilement les instructions du petit bonhomme et se retrouva bientôt assis dans un large fauteuil.
Le garçon à la casquette se disputait maintenant avec le garçon brun qui avait l'air à peine plus âgé que lui :
— Comment veux-tu que je sache ce qu'il faisait dans cet arbre ? C'est peut-être un pépiniériste... ou un ornithologue !
— A cette saison ?
Darcy fulminait. Nick semblait persuadé qu'elle tentait de lui dissimuler un rendez-vous secret Et puis quoi, encore ? Elle aurait adoré rencontrer un amoureux en cachette, mais pour cela, il aurait fallu être plus féminine, plus mystérieuse, plus glamour... Bref, elle ne saurait jamais ce que c'était !
Calé dans son fauteuil, Reece décida qu'il était temps de mettre fin au suspense. Tant pis pour son cher anonymat

— Je suis Reece Erskine.
Personne ne sursauta, personne ne tourna la tête pour le considérer avec des yeux ronds. Peut-être n'était-il pas aussi célèbre qu'il le pensait, en définitive ? Mais bon, tant mieux après tout. Il pouvait se détendre.
—ne veux pas vous déranger, poursuivit-iL Si je pouvais juste utiliser votre téléphone ?
Ces mots ne reçurent en guise de réponse que des hochements de tête compatissants et des haussements d'épaules bienveillants. Reece n'avait pas l'habitude d'être traité à la légère. C'était franchement irritant. D'autant plus irritant que, pour l'heure, il ne contrôlait pas assez ses neurones pour prouver à ces gens qu'il n'avait pas besoin d'être dorloté.
— On ne devrait pas appeler une ambulance ? émit celui qui semblait être le père en questionnant du regard le garçon brun.
— Je ne sais pas. Darcy, combien de temps est-il resté inconscient ?
Reece tenta d'intervenir :
— Je n'ai jamais perdu connaissance...
— Ce serait sûrement plus rapide de l'emmener directement aux Urgences.
— Tu as raison.
Sur ces entrefaites, le dénommé Charlie revint de la salle de bains les mains vides et l'air piteux.
— Je n'ai pas trouvé...
Nouveau soupir excédé de la Casquette qui vitupéra :
— Il faut vraiment que je fasse tout dans cette maison !
Au grand étonnement de Reece, le grand Charlie prit une
mine encore plus penaude avant d'aller rejoindre son jumeau à l'autre bout de la cuisine. Décidément, la façon dont fonctionnait cette bruyante famille le déconcertait et l'étourdissait. D ferma les yeux.

Darcy s'était déjà lancée dans l'escalier qu'elle grimpa quatre à auatie. Elle courut dans le couloir, déboucha dans la salle de bains. Evidemment, la trousse à pharmacie se trouvait exactement là où elle l'avait dit Pourquoi les hommes étaient-ils incapables de voir ce qui se trouvait juste sous leur nez ?
— Des fainéants et des incapables ! marmonna-t-elle en
rebroussant chemin, la trousse à la main.
Et sa mère qui avait laissé faire ! Cette femme était une sainte, mais leur avait-elle rendu service ?
Comme Darcy dévalait les marches, sa casquette tomba. Trop pressée pour s'en soucier, elle continua sa course, ses cheveux blonds tombant en cascades sur ses épaules.
— Je vais d'abord nettoyer la blessure du cuir chevelu. Pour
l'épaule, je pense que c'est la clavicule, dit la fille blonde qui
venait d'apparaître.
Reece acquiesça en grimaçant, stoique, tandis qu'elle désin¬fectait doucement la plaie. Il ignorait d'où sortait cette jeune personne, mais son intervention était une bénédiction au milieu du chaos ambiant II ne distinguait pas bien son visage, car elle l'obligeait à baisser la tête, toutefois il avait entrevu à l'instant ses grands yeux bleus de chaton, un petit menton pointu et une bouche pulpeuse.
— Moi aussi, je me suis cassé la clavicule, poursuivait-elle.
Je sais à quel point cela fait mal ! Vous souffrirez moins si je
vous mets le bras en écharpe, mais, si la douleur devient trop
insupportable, criez !
— Promis.
Elle l'autorisa enfin à relever la tête et il croisa son regard.
Quelque chose de familier dans son visage le frappa lorsqu'elle lui sourit.

L'homme d'âge mûr qui se tenait non loin hocha la téte
air approbateur et dit :
— Notre Darcy est une bonne petite infirmière ! Darcy? Mais...
— Ils vous feront certainement passer une radio à l'hôpital.
Elle achevait de nouer la serviette autour de son bras quand
Reece comprit enfin ce qui lui crevait les yeux depuis?
moment :
— Vous êtes une fille !
Le ton de reproche lui fit pincer ses jolies lèvres. L'homme plus âgé, la mine soucieuse, suggéra:
— Il vaudrait peut-être mieux appeler l'ambulance ? La jeune femme se campa face à Reecé.
— Je m'appelle Darcy.
— Et moi... Reece, marmonna-t-il, sans réussir à détourner
les yeux de sa poitrine.
Amusée, elle se pencha pour chuchoter à son oreille :
— 85 B.
Heureusement pour lui, M. Erskine avait le teint mat. Sinon, elle aurait juré qu'il était en train de piquer un fard. Etant la victime de cette humiliante méprise, Darcy n'avait pas très envie de l'épargner.
— M. Erskine m'a prise pour un garçon, expliqua-t-elle à la cantonade.
Cette annonce provoqua d'abord un court silence interloqué,
puis une hilarité générale prévisible. Les jumeaux ululaient
Même Jack riait de bon cœur.
— Ça, c'est nouveau ! s'exclama Nick, hilare.
De son côté, Reece Erskine ébaucha un sourire aigre, sans doute au prix d'un bel effort de volonté. Il ne voulait pas qu'on le croie totalement dénué d'humour. Darcy, consciente de son malaise, ne jugea pas utile d'insister. Elle n'était pas revancharde.

— C'est bien toi, Nick, qui as cédé ta place dans le train à une dame enceinte... qui ne Tétait pas du tout ? rappela-t-elle pour détourner l'attention de ses frères.
— Aïe ! Ne m'en parle pas !
Pendant qu'ils se taquinaient mutuellement, Reece laissa errer son regard sur la silhouette de la jeune femme. Comment avait-il pu se tromper à ce point ? Il fallait vraiment qu'il ait reçu un sacré Coup sur la tête ! A présent, à la vue de ces hanches rondes bien prises dans le jean, de cette taille étroite sous la large ceinture en cuir, et de ces cuisses fuselées... Non, il ne lui trouvait plus rien de masculin !
— Je l'emmène à l'hôpital.
— Non, je vais le faire, proposa Nick à sa sœur.
Elle lui ébouriffa les cheveux d'un geste affectueux.
— Non, tu viens déjà de faire un long trajet. Cela ne me
dérange pas, de toute façon. Si tant est que les jumeaux aient
remis de l'essence dans ma voiture après s'en être servis hier
soir...
— Evidemment ! renifla Charlie d'un air outré.
Quelques ricanements sceptiques se firent entendre. Reece
tenta de protester :
— Vous savez, ce n'est pas nécessaire. Je ne veux pas m'imposer et...
— C'est déjà fait, monsieur Erskine ! l'interrompit la minus¬cule blonde, sans chercher à ménager sa dignité. Alors, autant faire les choses jusqu'au bout, non ?

2.
Il pleuvait.
Reece réussit, au prix de quelques contorsions, à se plier sur le siège avant de la Coccinelle. Il se rendit compte que la banquette mitée était humide, ce qui n'avait rien d'étonnant puisque la vitre était restée ouverte de son côté.
Il voulut la refermer, mais comprit vite que cette ventilation naturelle avait un caractère irrémédiable.
Reece, qui exigeait les mêmes qualités des voitures que des femmes — ligne fluide, souplesse, grande autonomie —, se résolut à en prendre son parti.
La petite blonde se pencha vers la portière et assura :
— Je reviens tout de suite.
Elle retourna dans la maison et en ressortit enveloppée d'un imperméable cintré qui donnait assurément une touche féminine à sa silhouette, un trench noir dont les pans voletèrent autour de ses jambes minces lorsqu'elle revint vers la voiture. En chemin, elle fut arrêtée par son frère aîné, la seule personne de cette étrange famille qui avait le bon sens de se méfier du
total inconnu qu'était Reece.
Grâce à la vitre coincée, il put entendre la conversation qui
s'ensuivit :
— Donne-moi les clés, Darcy.
— Ne sois pas stupide, Nick. Tu es épuisé !
26

— Pas toi, peut-être ?
Une brusque rafale de vent emporta le reste de la discussion, qui s'accompagna de gesticulations que Reece observa dans le rétroviseur. Ces pittoresques voisins avaient apparemment un langage corporel assez extravagant.
Comme la bourrasque s'apaisait, Reece saisit encore une
bribe:
— Et si c'est un psychopathe ? Un maniaque sexuel ?
Le cerveau de Reece, encore un peu embrumé, ne fit pas immédiatement le lien entre le sinistre personnage décrit en ces termes et sa propre personne ; jusqu'à ce que le frère insiste d'un ton vibrant de suspicion :
— ... et puis, je suis sûr d'avoir déjà vu sa tête quelque part.
Erskine... Erskine... Ça ne te dit rien, ce nom ? Oh, ne ris pas,
Darcy ! Je suis sérieux. TU es tellement naïve...
Etant donné les circonstances, Reece jugeait légitime de tendre l'oreille. D s'appuya donc contre la portière dans une posture nonchalante. Erreur. L'un des gros chiens se dressa aussitôt contre la carrosserie et glissa son museau par l'interstice pour lui lécher la joue avec enthousiasme.
Reece se renfonça d'un Coup dans l'habitacle pour échapper à ces effusions baveuses.
— Tu vois ! Wally lui fait confiance ! s'exclama la jeune
Darcy d'un ton de triomphe.
L'approbation canine devait peser lourd dans la balance car, quelques secondes plus tard, elle rejoignait Reece dans la voiture. D'un geste, elle renvoya le chien qui bondissait autour du véhicule.
— Non, Wally. tu ne peux pas venir aujourd'hui.
« Et tu ne nous manqueras pas ! » ajouta mentalement Reece, satisfait de voir l'envahissant setter s'éloigner d'un air dépité.
Darcy pivota vers Reece Erskine tout en enfonçant la clé dans le contact. Le souffle lui manqua tout à Coup quand elle croisa

son regard vert au pouvoir curieusement hypnotique. Quelques secondes de confusion passèrent, avant qu'elle ne parvienne à reporter son attention sur le tableau de bord. Mais sa gorge demeurait sèche et elle continua à se sentir... bizarre.
Bien sûr, elle se félicitait qu'il ait retrouvé un regard vif, signe que ses facultés lui revenaient. Cependant, elle n'était pas certaine d'aimer cette façon détachée et critique d'examiner les gens.
— Hum... Désolée d'avoir été aussi longue.
— Je ne vais pas me plaindre. Vous me rendez service.
Il avait prononcé ces mots d'un ton lugubre. Mais bon, elle non plus n'aurait pas été d'humeur joviale si elle s'était brisé la clavicule.
— C'est bien normal, répondit-elle, laconique.
— Si on veut
Cette fois, impossible de ne pas relever la note acerbe. Darcy tordit ses cheveux humides et les rejeta dans son dos, avant de lancer à son passager un regard déconcerté :
— Cela vous paraît surprenant ? demanda-t-elle.
— Disons que c'est presque aussi rare qu'un politicien honnête.
Reece venait de remarquer que la jeune femme avait pris le
temps de poser une touche de gloss framboise sur ses lèvres en
allant chercher son imperméable. Cette coquetterie bien féminine
l'amusa et attira également son attention sur sa bouche brillante.
Contre toute attente, et en dépit de la douleur qui le taraudait
toujours, sa libido s'éveilla.
Cette bouche appelait les baisers, c'était un crime de ne pas l'embrasser...
Il détourna la tête, s'éclaircit la voix, et demeura muet
— Eh bien, on dirait que votre cynisme n'a pas souffert dans
la chute. Félicitations ! ironisa-t-elle.
28

_ Ce que vous appelez « cynisme » n'est que de la lucidité, en l'occurrence. L'expérience m'a appris que les gens faisaient rarement quelque chose de gratuit.
— Je vous assure pourtant que je n'ai aucune motivation
cachée
Darcy retint un haussement d'épaules. Elle n'allait pas se battre avec un blessé qui avait besoin de soins médicaux. Cet homme avait des opinions très tranchées et il se croyait infaillible. Finalement, plus il reprenait du poil de la bête, et plus il devenait désagréable. En d'autres circonstances, elle se serait laissé tenter par une prise de bec, histoire de lui rabattre le caquet, mais là...
Elle lui jeta un rapide Coup d'oeil. La moue dubitative qu'il arborait la hérissa carrément. Manifestement il ne croyait pas du tout à son désintéressement.
Masquant à grand peine son irritation, elle entreprit de nettoyer du bout des doigts le pare-brise couvert de condensation.
Reece ne chercha pas à rompre le silence. La réprobation de la jeune femme était presque palpable, il la sentait aussi nettement que le parfum frais qui émanait de sa personne, une note florale, légère et pourtant entêtante, qui faisait frémir ses narines et recouvrait agréablement l'odeur de chien mouillé dégagée par la couverture sur la banquette arrière.
Il la regarda essuyer d'un revers de main quelques gouttes de pluie restées sur sa joue. Elle avait la peau diaphane, sans défaut
Comme elle mettait le contact, la Coccinelle ronfla laborieu-sement, puis, dans un soubresaut s'étouffa.
— Elle n'aime pas trop l'humidité, commenta Darcy.
— Elle n'est pas la seule.
— Ah, ça y est ! s'écria-t-elle lorsque le moteur, dans un hoquet angoissant, se mit brusquement à tourner. Elle n'est plus toute jeune, elle fait parfois des caprices, vous savez.

Reece ne fut guère surpris de l'entendre faire de l'anthro-pomorphisme à propos d'une vieille guimbarde mangée par la rouille. Cela cadrait tout à fait avec la personnalité fantasque et sentimentale de cette fille.
Au moins, elle n'était pas rancunière.
— Le chauffage va se mettre en route et enlever toute cette buée, promit-elle encore. Je vais prendre la petite route de tra¬verse, nous serons en ville en un rien de temps.
— Très bien.
Délibérément, il se détourna vers le paysage lugubre noyé par la pluie. Si elle avait deux sous d'intuition, elle lui ficherait la paix, maintenant. Sinon, eh bien... de toute façon, il était coincé avec elle dans ce tacot.
Darcy fut agacée par son mouvement de repli ostensible. Si son passager revêche préférait ruminer seul dans son coin, elle n'allait pas l'en empêcher. Elle-même ne le considérait pas comme le compagnon de voyage idéal, il s'en fallait de beaucoup !
Le problème, c'est qu'il avait une bosse énorme sur la tête.
Peut-être souffrait-il d'un traumatisme crânien, qui sait ? Si
elle le laissait s'assoupir, ne risquait-il pas de tomber dans le
coma ?
Subrepticement, elle chercha sur son visage les signes d'une éventuelle décérébration. Mais non, il semblait juste fatigué. Toutefois, elle trouva à ses traits virils une expression menaçante, et les récentes mises en garde de Nick résonnèrent dans sa tête. Voilà sans doute pourquoi elle se sentait si troublée. Cette émotion à fleur de peau depuis qu'elle s'était installée au volant, ce ne pouvait être que de l'anxiété.
Quoi d'autre ?
La perspective de rester bloquée auprès d'un homme inconscient, à des kilomètres de toute assistance médicale, effrayait franchement Darcy. Alors elle allait se débrouiller pour que M. Erskine reste éveillé, tout grognon qu'il fût !
Tâchant de ne pas laisser percer son embarras dans sa voix,
elle demanda :
—. Qu'êtes-vous donc venu chercher dans la région, monsieur
Erskine?
Rien n'aurait pu être plus anodin, sauf une remarque sur le
temps qu'il faisait. En tout cas, cela ne méritait pas la réponse
agressive qu'il lui retourna :
— La tranquillité !
Chez n'importe qui de bien portant, Darcy n'aurait jamais pardonné une telle grossièreté. Ce type était puant ! Elle avait hâte d'en être débarrassée.
— Vous n'allez quand même pas passer les fêtes de Noël tout seul dans cette grande maison délabrée ?
— Ah non ?
Il lui lança un regard torve. Il n'allait pas lui avouer qu'il songeait fortement à abandonner Walnut Hall pour se réfugier, comme chaque année, dans un motel quelconque. Il avait mal, il était fatigué et, depuis dix minutes qu'il était recroquevillé à l'intérieur de cette voiture minuscule, il avait perdu toute sensation dans le pied droit.
Tant bien que mal, il changea de position, leva la jambe pour remuer sa cheville... et sa cuisse vint se plaquer contre celle de la jeune femme.
Darcy tressaillit, assaillie par une soudaine vague de chaleur qui explosa en elle, fusant dans toutes ses terminaisons nerveuses, culminant au creux de son ventre. Une émotion indubitablement sexuelle, qui détourna son attention de la route un instant.
-- Oh non ! cria-t-elle en pilant sur le frein.
Le chat pétrifié au milieu de la chaussée réagit enfin et bondit, avant de disparaître dans les buissons. La Coccinelle, qui avait un peu chassé, s'arrêta dans un sursaut.
Darcy appuya son front sur le volant quelques secondes.

— Eh bien, ce n'est pas passé loin ! dit-elle en accélérant
de nouveau.
Reece lui jeta un regard ulcéré. Le Coup de frein brutal lavait projeté en avant et, sans sa ceinture — qui tenait par la grâce du saint patron des épaves —, il se serait encastré la figure dans le pare-brise. En attendant, la pression exercée contre ses côtes déjà meurtries lui avait fait affreusement mal. Tout cela parce que la conductrice ne faisait visiblement pas la différence entre une vie humaine et celle d'un vulgaire chat !
— Ça va, vous n'avez rien ?
Il était temps qu'elle s'inquiète !
— Ça va, bougonna-t-il.
— Non, de toute évidence, ça ne va pas. J'admire votre stoï-cisme, mais soyez raisonnable. Etes-vous blessé ? Voulez-vous que je m'arrête?
Et prolonger cette promiscuité usante avec Miss S.P.A. ? Non merci ! Il préférait encore se faire bombarder de questions pendant les cinq minutes qui les séparaient de l'hôpital.
— Vous avez une bonne assurance ? Vous devriez vous faire rapatrier chez vous.
— Je souffre juste d'une petite luxation, je peux très bien rester à Walnut Hall. |
— Voyons, la maison est inhabitable !
— Cela me convient tout à fait.
— Mais c'est Noël, sapristi !
— Où voulez-vous en venir ?
Ils avaient atteint les faubourgs de la ville et la jeune femme, qui venait de s'arrêter à un feu rouge, explicita avec agacement :
— Noël, c'est l'époque des réunions familiales, des réjouissan-ces, de la fraternité... Vous connaissez le sens de ces mots ?
— Oh, je vois ! Et, une fois passé le nouvel an, on peut recommencer à détester les gens la conscience tranquille ?
— Vous faites exprès d'être aussi déplaisant ?

— Oui, cela me donne une aura particulière.
Le feu passa au vert. Avec un soupir consterné, Darcy
enclencha la première.
— A mon avis, vous n'avez rien compris à l'esprit de Noël, monsieur Erskine.
— Appelez-moi Reece. Et sachez, ma chère Darcy, qu'en ce qui me concerne, Noël est un jour rigoureusement pareil aux autres.
— Mais...
— Si l’on excepte, bien sûr, l'hypocrisie généralisée qui nous imprègne à cette période.
Darcy était déconcertée. La façon dont Reece Erskine passait
les fêtes ne la concernait pas, néanmoins elle ne parvenait pas
à comprendre.
— Vous voulez dire que... vous ne fêtez pas du tout Noël ? Et qu'en dit votre famille ?
— Je n'ai pas de famille ! répliqua-t-il avec hargne, dispo-sant sans vergogne de deux parents, une sœur et une poignée de cousins.
— Oh... C'est triste, mais... vous avez sûrement des amis qui...
— Vous gaspillez votre salive, Darcy.
— Je vois. Vous n'avez pas d'amis non plus. En fait, ça n'a rien de surprenant.
Il se rébiffa:
— Si, j'ai des amis ! Des gens charmants qui savent respecter mon besoin d'isolement.
— C'est un problème de conviction religieuse, alors ?
— Non, c'est un choix personnel !
— Pas la peine de crier, lui reprocha-t-elle doucement, avant de faire bifurquer la Coccinelle dans une avenue.
Il retomba dans un silence hostile. Darcy, qui avait une propension à sauter du coq à l'âne, songeait déjà à l'aspect

pratique de son séjour à Walnut Hall. Personne n'y avait habité depuis un long moment Les fenêtres aux boiseries gonflées par les intempéries fermaient mal. Ce devait être le royaume des courants d'air. Sans parler de la poussière accumulée... or, Reece Erskine avait manifestement l'air de quelqu'un qui ne se satisfaisait que du meilleur, dans tous les domaines. Cela se voyait au tissu épais de son costume, à sa coupe de cheveux impeccable, à son air naturel d'autorité.
Que venait faire un tel homme dans ce coin perdu du Yorkshire, à la veille de Noël, seul ? Cela ne rimait à rien. A moins qu'il ne cherche à fuir quelque chose ou quelqu'un ? La police, par exemple ?
Nick avait peut-être raison, tout compte fait...
Enfin, même si elle se trouvait bien en présence d'un détraqué, elle ne devait pas courir de réel danger. Ce type n'avait pas l'air de s'intéresser aux garçons manques. Une chance pour elle !
En revanche, elle ne pouvait décemment nier qu'il la troublait Mais, avec ce physique de rêve, c'était bien naturel Toutes les femmes devaient se pâmer à ses pieds. Enfin, puisque cette attirance n'était pas partagée et qu'elle ne le reverrait plus après l'avoir déposé à l'hôpital, inutile de s'appesantir sur le sujet
— Walnut Hall doit être dans un triste état, murmura-t-elle distraitement. Je suppose que l'intérieur vaut l'extérieur, mais en réalité je n'y ai jamais mis les pieds...
— Tiens ! Je croyais qu'à la campagne, les gens mettaient un point d'honneur à se tenir au courant de tout ce qui se passe chez leurs voisins ?
Il ponctua ce sarcasme d'un sourire pincé et, visiblement satisfait, se carra contre le dossier de son siège.
Darcy n'en croyait pas ses oreilles. Suffoquée d'indignation, elle avait les joues en feu. Quel toupet ! Pourquoi ne pas la traiter carrément de commère ? Il s'imaginait donc qu'elle passait ses journées à jaser sur son prochain, ce que bien sûr

aucun citadin sophistiqué ne se serait abaissé à faire ! Quel
crétin condescendant ! Elle aurait aimé lui flanquer un coup
sur la bosse qui ornait son front !
— Vous m'accusez d'indiscrétion ? Je trouve cela un peu fort
de la part de quelqu'un qui s'est perché sur une branche pour
mieux m’espionné ! riposta-t-elle d'une voix frémissante.
Ce fut à son tour de rougir. Il protesta mollement :
— Je ne vous espionnais pas...
— C'est ce que disent tous les voyeurs pris sur le fait!
— Tout à l'heure, j’étais un psychopathe, maintenant un
voyeur...
— Oh ! Vous avez écouté ce que Nick m'a dit !
— Je ne vois pas comment j'aurais pu l'éviter, c'était à qui criait plus fort que l'autre.
— C'est toujours mieux que d'épier ses voisins !
— Vous faisiez du tapage, et je voulais juste évaluer la nui¬sance que cela m'occasionnerait, figurez-vous.
Cramponnée au volant, Darcy négocia le virage de manière particulièrement sportive, avant de le fusiller d'un regard noir. Du tapage ? Elle n'avait jamais prétendu rivaliser avec Kiri te Kanawa, mais quand même !
— Eh, doucement ! Et ça ne vous dérangerait pas de regarder un peu la route
— C'est difficile quand on est assis à côté de quelqu'un d'aussi gracieux que vous !

En vérité, elle avait beaucoup de mal à résister à l'étrange magnétisme qu'il exerçait sur elle, et elle n'ironisait à ce propos que pour mieux y échapper. Elle décida d'enfoncer le clou:
—si vous êtes tout le temps comme ça, je peux vous garantir que
personne ne viendra troubler votre précieuse solitude ! Ici, à la
campagne, les gens se préoccupent de leurs voisins et de leurs amis,
peut-être un peu trop parfois, je l'admets. Seulement, je

préfère cette curiosité amicale à votre indifférence égoïste ! Et je vous prie de croire, mon cher monsieur Erskine, que...
Reece avait suivi le début de sa diatribe mais, rapidement il avait baissé les yeux, le regard quasiment aimanté par la vue de ses seins haut placés qui se soulevaient sous l'imper au rythme précipité de sa respiration. Depuis, il n'avait pas réussi à s'arra¬cher à ce spectacle. Alors que c'était totalement irrationnel. Il avait vu des poitrines bien plus spectaculaires dans sa vie sans s'émouvoir outre mesure.
Etait-il possible qu'un traumatisme crânien altère la person¬nalité de quelqu'un ?
— ... que vous êtes mieux que nous parce que vous arrivez de la ville avec vos grands airs...
— Seigneur, je savais bien que j'aurais dû prendre un taxi ! gémit-il en fermant les yeux brièvement.
— ... sachez qu'ici, on se soucie des gens, on les aide en cas de besoin et on les soigne sans réclamer de récompense pour sa peine ! Mais, pour autant que je m'en inquiète, vous pouvez attraper une triple pneumonie ! J'essayais juste de vous faire poliment la conversation afin de vous distraire de la douleur. Et, si vous réagissez ainsi, je préfère me taire !
— Dieu merci ! soupira-t-il.
Cinq minutes plus tard, ils parvinrent en vue de l'hôpital. Reece se décida à se justifier, sans savoir le moins du monde quelle raison l'y incitait :
—- Je me suis montré grossier alors que vous me rendez service. Je vous demande pardon.
— Il m'arrive d'être insupportable...
— A qui le dites-vous !
— Je l'avais bien mérité, mais... quel savon vous venez de me passer !

Il ressentait le besoin pressant et inexplicable de voir cette
bouche couleur de framboise sourire de nouveau. Ses efforts
furent récompensés : il vit le coin de ses lèvres se retrousser
de manière fugace.
Un nerf se mit à palpiter le long de sa joue.
— La période de Noël me rend toujours nerveux et irritable. C'est pour cela que je cherche à m'isoler.
— Vous auriez pu me le dire.
— Vous dire quoi ?
— Que Noël réveillait en vous de mauvais souvenirs.
Darcy avait parlé sans réfléchir et elle le regretta en le voyant
se raidir subitement et lui retourner un regard blessé.
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, maugréa-t-il.
— Ce n'était qu'une déduction... Bah, ne faites pas attention !
Je me suis trompée, voilà tout. Tenez, je vais vous déposer
devant le hall, vous aurez moins à marcher.
Elle envisagea un instant de le soutenir jusqu'à la porte d'entrée de l'établissement, puis, se remémorant comment elle avait réagi à son contact physique, elle se ravisa.
Dès qu'il fut descendu dé voiture, elle chercha du regard une
place de stationnement. Il n'avait peut-être pas du tout envie
qu'elle l'accompagne, mais il lui semblait inhumain de s'en
aller sans s'être enquise au préalable de son état de santé, même
s'ils s'étaient disputés tout au long du chemin. Et puis, si elle
rentrait directement à la maison, les membres de sa famille ne
«manqueraient pas de s'étonner ».
C'est donc avec des sentiments mitigés qu'elle se présenta a la réception de l'hôpital presque une demi-heure plus tard, après avoir longtemps tourné dans le parking bondé.
— Je vien prendre des nouvelles de M. Erskine, expliquat-elle à la secrétaire.
Celle-ci, une blondinette à l'œil vif, l'enveloppa d'un regard bizarrement envieux, avant de répondre :

— Oui, vous êtes attendue en chambre 3.
— Je... je suis attendue ?
La secrétaire héla un jeune infirmier en blouse blanche qui passait là :
— Rob, tu veux bien montrer le chemin à Mme Erskine
Chambre 3?
— Oh, non, non ! s'exclama Darcy. Je ne suis pas...
Mais la secrétaire avait décroché le téléphone qui s'était
mis à sonner et Darcy fut dans l'obligation d'emboîter le pas à l'infirmier qui s'était déjà engagé dans le couloir à grandes enjambées.
Ses joues la brûlaient. C'était si gênant !
— Ecoutez, il y a erreur..., commença-t-elle alors que l'in¬
firmier ouvrait la porte d'une chambre.
Une voix masculine l'interrompit alors :
— Ah, la voilà... Entre, Darcy chérie !
Chérie ?
Yeux écarquillés, elle regarda Reece Erskine s'avancer vers elle, souriant, étonnamment chaleureux. Il était torse nu et, d'une main, s'apprêtait à baisser la fermeture Eclair de son pantalon. La serviette qui soutenait son bras avait été remplacée par une attelle plus appropriée.
Il était encore plus musclé qu'elle ne l'avait soupçonné. Son torse était large et massif, ses épaules carrées, ses biceps et abdominaux impressionnants ! Une telle musculature ne s'acquérait que par la pratique intensive du sport. Il était tout simplement, magnifique !!
Elle nota enfin l'énorme ecchymose qui lui marbrait le thorax. Pas étonnant qu'il ait tiqué quand elle avait donné ce violent Coup de frein tout à l’heure !
— Oh, mon Dieu ! s'exclama-t-elle, consternée.
— C'est moins grave qu'il n'y paraît, la rassura-t-il.
— Vraiment ?
38



A cet instant, le médecin qui te tenait près du lit, une radio à la main, intervint :
— Bon, ce n'est pas trop méchant, en effet Quelque» g fêlées, de beaux hématomes et, bien sûr, la luxation de l'épaule. Votre mari a eu beaucoup de chance, madame Erskine.
Encore cette histoire de mari ! Dans l'expectative, Darcy fixa Reece avec insistance, convaincue qu'il allait rectifier Teneur. Mais, à sa grande stupeur, il demeura muet Le médecin enchaînait :
— Voyez, la tête de l'humérus était sortie de l'articulation. Il a fallu la remettre en place.
— Vous avez déjà effectué la manipulation ? s'étonna Darcy. Mais,.. je croyais que c'était extrêmement douloureux et vous n'avez certainement pas eu le temps de l'endormir ?
— Il a refusé l'anesthésie. C'est un dur à cuire, votre mari ! D'ici quelques jours, ses mouvements redeviendront normaux et les antalgiques le soulageront entre-temps. En fait, c'est à cause de sa blessure à la tête que nous aurions aimé le garder cette nuit en observation. Mais ça n'a pas l’air de l'enchanter, madame Erskine...
— Je ne suis pas...
— Elle n'est pas très étonnée, coupa Reece, Elle sait à quel point je déteste les hôpitaux. N'est-ce pas, chérie ?
Le ton caressant stupéfia Darcy. Mais beaucoup moins que la large main qui, tout à coup, vint se poser sur sa nuque pour écarter sa lourde chevelure qui bouclait depuis qu'elle avait été exposée à la pluie. Et, quand une bouche tiède effleura sa peau, déclenchant un frisson incontrôlable, elle ferma les yeux avec l'impression que son corps tout entier se liquéfiait de bonheur.
Le médecin leur adressa un regard bienveillant
— Bien sûr, si vous n'aviez pas été marié à une infirmière
qualifiée, j'aurais insisté. Mais en l'occurrence...

Darcy ouvrit grand les yeux. Sa première pensée fut : il marié. Il est marié à une infirmière ! Puis, le dédic se fit dans son cerveau. C'est d'elle dont il était question !
— Où travaillez-vous, madame Erskine ?
— je... je. .. Elle bredouillait. C'était déjà assez déstabilis- ant de se voir accoler une nouvelle identité, mais s'il fallait en plus jouer la comédie...
— Darcy n'exerce pas actuellement, elle est femme au
foyer. S'occuper d'une maison est un emploi à plein temps,
hein chérie ?
Il tourna vers elle son regard vert brillant où elle ne vit aucune supplique. Au contraire, il y flottait plutôt une sorte de défi.
— S'occuper d'un homme aussi exigeant est un boulot à plein
temps ! répliqua-t-elle pour se venger.
Le médecin se mit à rire.
— Je vais demander à quelqu'un de venir suturer la plaie du
cuir chevelu, déclara-t-il, avant de quitter la chambre.
Darcy attendit que la porte se soit refermée pour exploser :
— Avez-vous perdu l'esprit ?
— Chut ! Ils vont nous entendre.
Il semblait très ******* de lui et, tranquillement, il entreprit
d'enfiler sa chemise, comme si de rien n'était. La fureur de
Darcy décupla. Il avait le front de se comporter comme si la
situation était parfaitement normale ! Et il l'avait embrassée
dans le cou, en plus !
_ --- J'espère bien qu'ils vont nous entendre ! Je ne sais pas à quel jeu vous jouez, mais...
— Réfléchissez, voyons. Ils ne voulaient pas me libérer sans s'assurer qu'un professionnel veillerait sur moi. Alors, j'ai eu cette idée de m'inventer une femme infirmière. Ça leur a suffi.
40

Il commençait à s'impatienter. Pour lui, tout cela coulait de source. Plus il s'attardait dans cet hôpital, plus il risquait de se faire reconnaître. Et alors, il ne se passerait pas une heure avant que les limiers de la presse locale ne débarquent. Il était bien placé pour savoir que tout pouvait s'enchaîner très vite.
— Et, bien sûr, vous avez pensé à moi dans le rôle de l'épouse dévouée ! tempêta Darcy. Je suis flattée ! Bon sang, comment avez-vous pu ?
— Sur le moment, cela m'a paru judicieux, même si vous n'êtes pas assez âgée pour avoir effectivement l'expérience requise.
— Vous êtes... cinglé !
— Vous n'êtes pas infirmière ?
— Non, bien sûr que non !
— Pourtant, tout à l'heure, votre père a dit...
— Non, non ! C'était juste une façon de parler !
— Vous n'avez pas hésité un seul instant au moment de me mettre le bras en écharpe.
— Je n'en étais pas à mon Coup d'essai. Je vous rappelle que j'ai trois frères ! Mais je ne suis pas infirmière.
Il hocha la tête et désigna son bras que, depuis une bonne minute, il tentait vainement d'insérer dans sa manche de chemise :
— Je vous crois, car j'espère qu'aucune infirmière digne de
ce nom ne me regarderait me débattre ainsi sans intervenir.
— Vous exagérez ! tempêta Darcy en tirant sur le tissu pour le ramener sur son épaule. Et que vais-je faire si on s'adresse à moi comme à une infirmière professionnelle ?
— Vous croyez ça probable ?
Le ton sous-entendait qu'elle réagissait en hystérique. Darcy s'avisa tout à Coup qu'ils étaient en train de dévier du sujet de conversation qui la préoccupait.
—• Ce n'est pas de ça dont je vous parlais !
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— De quoi donc, alors ?
— Je ne suis pas votre femme !
— C'est vrai, convint-il avec une expression soulagée. Toutefois, j'ai pensé que vous n'y verriez pas d'inconvénient Ce n'est pas comme si j'avais demandé votre main, quand même ?
— Pour votre gouverne, sachez qu'on m'a déjà demandée en mariage plusieurs fois !
— Vraiment ? Félicitations.
Darcy enrageait. Elle se rendait parfaitement compte qu'il la manipulait à sa guise.
— Vous auriez eu l'air malin si j'étais rentrée directement chez moi au lieu de venir à l'hôpital ! rétorqua-t-elle avec rancœur.
— Je savais bien que vous ne me laisseriez pas tomber. Vous vous seriez sentie beaucoup trop coupable. Vous avez été élevée dans le devoir et la morale, cela se voit tout de suite, déclara-t-il, comme s'il évoquait l'un de ses pires défauts. Allez, Darcy, soyez sympa...
— Non ! Je ne mentirai pas pour vous couvrir !
Il soupira :
— Je vous demande juste de mentir par omission. Ce n'est
quand même pas dramatique ? Sortez de cet hôpital à mon bras,
et vous n'entendrez plus parler de moi. D'accord ?
Défaite, Darcy sentit ses épaules se voûter.
— Je dois vraiment avoir perdu l'esprit ! marmotta-t-elle.
Un sourire de loup dévora le visage de Reece Erskine.
— Brave petite ! approuva-t-il, les yeux pétillant de
malice.
Darcy n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit : l'in¬firmier qui l'avait escortée jusqu'à la chambre venait de faire son entrée.
— Je viens recoudre votre plaie, monsieur Erskine. Darcy sauta sur l'occasion pour s'esquiver :
— Je vais attendre dehors !

Elle allait franchir le seuil lorsqu'elle pivota soudain pour
demander :
— Vous allez lui faire une anesthésie locale, n'est-ce pas ?
— Oui, bien sûr.
— Dommage ! lança-t-elle avec fiel.
Le rire rauque de Reece la poursuivit jusque dans le cou-loir.
43

3.


— Au revoir, monsieur Erskine, madame Erskine.
Il n'avait manqué que le tapis rouge aux attentions empressées de la secrétaire qui avait procédé aux formalités administratives, et sans doute l'aurait-elle déroulé si elle avait eu le temps d'en dénicher un !
Parvenue au grand air, Darcy poussa un soupir de soulagement. Cette mascarade ridicule lui avait mis les nerfs en pelote, alors que son « complice » semblait au contraire très à Taise dans le rôle du mari. Cela l'amusait visiblement A moins qu'il n'ait pris plaisir à la voir déconfite ? Avec son sens de l'humour tordu, cela n'aurait pas été surprenant
— Dites donc, on nous traite comme des altesses. Vous faites toujours cet effet-là aux gens ? plaisanta-t-elle.
— Quel effet?
— Comme si vous n'aviez pas remarqué ! Cette fille était à deux doigts de vous faire la révérence !
En dépit du sourire énigmatique qu'il esquissa, elle eut l'impression très nette que ces obséquiosités le mettaient encore plus mal à Taise qu'elle.
La pluie avait cessé, mais il gelait maintenant et le trottoir était devenu glissant Darcy avança avec précaution dans l'allée tout en admirant la haute silhouette d'un sapin dont les aiguilles se paraient d'une dentelle de givre. Noël était bien là.

Elle faillit dire à quel point elle aimait le parfum typique des résineux, mais se retint juste à temps.
— Où sommes-nous garés ? s'enquit Reece.
— Comment ça... nous ?
— Vous n'allez pas m'abandonner, tout de même ?
— Eh bien... si, c'était justement mon intention.
Elle leva sur lui un regard franc, avant de détourner vive-ment la tête. Il était si séduisant ! Ces yeux perçants, ces traits bien dessinés, cette mâchoire à l'angle viril... Et elle qui se comportait comme une écolière amourachée ! C'était vraiment grotesque.
— Que voulez-vous que je fasse ? Je n'ai ni portefeuille ni
argent liquide ni carte de crédit. Vérifiez par vous-même, dit-il
en ouvrant les pans de sa veste.
Darcy ne put maîtriser un mouvement de recul et, inconsciem-ment, elle ramena les mains dans son dos. Le fouiller ? Et puis quoi, encore ! Pas avec la décharge hormonale qui l'électrisait au moindre contact entre eux !
— C'est bon, capitula-t-elle. Inutile de prendre cet air de
cocker. Vous espérez m'attendrir ?
-— Ma foi... oui.
Reece la dévisagea et s'amusa de la voir passer la main dans ses boucles avec nervosité. Oui, elle avait le cœur tendre, elle était sensible et surtout si jeune ! La proie idéale pour les manipulateurs sans scrupule. Sans doute était-elle encore étudiante, venue passer les vacances chez ses parents. En tout cas, elle était bien différente des femmes qui venaient égayer temporairement son existence.
Car Reece ne tolérait que les relations temporaires.
— Vous êtes du genre à profiter des faiblesses des autres,
hein ? dit-elle d'un ton accusateur.
Le cœur tendre... Tendre comme la courbe de sa joue, le gonflement de sa lèvre inférieure, l'arrondi de sa hanche. Bizarre.

D'habitude, ses pensées ne vagabondaient pas comme ça quand il se sentait attiré physiquement par une femme. Au contraire, il gardait tout son pragmatisme pour aller droit au but, en pré-dateur. Tandis que là... il devait lutter contre l'envie absurde de se rapprocher de cette douceur et de humer le parfum de fleurs blanches qu'exhalait sa petite personne.
Darcy avait repris sa marche d'un pas décidé, prête à mourir plutôt que d'avouer qu'elle ne savait plus où elle avait garé la voiture. L'idée de se retrouver de nouveau enfermée avec lui dans l'habitacle exigu de la Coccinelle la terrifiait et l'empêchait
de réfléchir.
Elle entendit le bruit de ses pas derrière elle.
— Vous m'avez promis que je n'entendrais plus parler de
vous, lui rappela-t-elle.
— J'ai appris que, quand on désire quelque chose, il vaut mieux dire aux gens ce qu'ils ont envie d'entendre.
— C'est-à-dire mentir !
— Je n'aurais pas employé ce mot, mais...
— C'est le seul qui convienne !
Elle pressa encore l'allure. Malheureusement, en dépit de ses blessures, il soutint le rythme sans problème apparent.
— Sachez que ça ne me plaît guère d'être obligé de vous supplier de me ramener chez moi, argumenta-t-il.
— Comme ça, nous sommes deux !
Elle se retourna. Leurs regards s'affrontèrent.
C'est à cet instant que Darcy les perçut... Ces ondes crépi-tantes qui faisaient vibrer l'air, l'imprégnaient d'une étrange, exaltation. Et le pire, c'est qu'elle né semblait pas la seule à les ressentir. Reece fixait ses lèvres comme elle ne pouvait pas faire autrement La tension dans sa poitrine montait, montait... Elle avait du mal à respirer. Et le besoin de poser sa bouche sur la sienne se faisait insupportable.
Ses lèvres seraient-elles fraîches, tièdes, fermes... ?
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Un délicieux petit frisson la parcourut. Elle ne le ferait pas, bien entendu. Elle n'était pas du genre à se jeter au cou d'un homme, un quasi inconnu de surcroît. Néanmoins, le simple fait d'imaginer la scène lui donnait chaud malgré le vent glacé. Sa gorge nouée devenait de plus en plus sèche et horreur ! ses jambes faiblissaient sous elle !
Il ne sortira rien de bon de tout ça ! la prévint une petite voix persistante dans sa tête dont elle ne tint aucun compte.
Reece sentit son souffle s'accélérer. La bouche de cette fille était incroyablement pulpeuse. Le bruit irrégulier de sa respi¬ration était en train de le rendre fou. Il la vit déplier lentement les doigts et tendre la main, comme si elle voulait lui toucher le visage, ou les cheveux, ou...
Il recula d'un pas.
— Darcy !
Avec l'intonation d'un adulte qui prévient un enfant imprudent sur le point de s'aventurer sur un terrain dangereux. Mortifiée, Darcy laissa retomber son bras. Elle se sentait vraiment stupide, totalement désorientée par ce qui venait de se passer... Comment appeler ça ? Une pulsion partagée ? Car lui aussi avait eu envie de l'embrasser. Elle n'avait quand même pas rêvé cette lueur affamée dans ses yeux verts !
Son incertitude dura une demi-seconde. Non, elle n'avait rien imaginé du tout ! Aussi incroyable que ce soit, Reece Erskine avait failli l'embrasser !
Seulement, dans la foulée, il avait changé d'avis.
Mais, qu'importe, il ne réussirait pas à lui faire honte.
— Quoi, Darcy ? répéta-t-elle. « Ne m'embrassez pas,
Darcy » ?
— C'est bien ce que vous vous apprêtiez à faire, non ?
Que répondre ? « Oui, probablement, pour peu que vous
m'ayez donné le moindre signe d'encouragement... » Elle préféra biaiser :
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— Vous êtes plein de tact
Elle remarqua tout à Coup qu'il semblait très mal à Taise, comme s'il devait fournir un immense effort pour se contrôler. Pourquoi ?
Une horrible éventualité lui apparut alors.
— Vous n'êtes pas marié, au moins ?
— Là n'est pas la question...
— Pardon, je ne suis pas de cet avis !
Elle le considéra soudain d'un autre œil, avec une pointe de mépris. Sa réaction disait clairement qu'il l'était bel et bien, marié. Et auparavant, cette pensée ne l'avait pas effleurée. Alors, qui était le pire des deux : elle ou lui ?
Reece s'irrita en percevant le dédain de la jeune femme :
— Si vous tenez tellement à le savoir, j'ai été marié mais je ne le suis plus. En quoi est-ce important ?
— Si cela vous intéressait, je vous aurais appris le sens de l'expression « intégrité morale ».
— La morale n'a rien à voir là-dedans. Vous n'avez rien commis de répréhensible.
— Mais si j'avais... est-ce que vous auriez... ?
Ecarlate, elle lui lança un Coup d'œil misérable. Il déglutit
avec peine avant de répondre :
— Oui, je vous aurais embrassée, moi aussi.
— C'est vrai ? Mais alors... pourquoi avoir reculé ? Il eut un rire rauque et bref.
— Parce que, tout comme vous fuyez les hommes mariés, je ne lutine pas les étudiantes !
Darcy s'attendait à tout sauf à une réponse aussi vertueuse.
— Vous auriez donc été élevé dans le devoir et la morale,
vous aussi ?
—Il semblerait. Mais passons, ajouta-t-il d'un ton bref. Il commence à faire froid. Si vous ne voulez pas me ramener en voiture, je vais prendre d'autres dispositions.

— Quel âge me donnez-vous, au juste ? insista-t-elle.
Il aurait été plus sage de le maintenir dans l’erreur, seulement elle en avait assez qu'il la traite comme une gamine. Elle était une femme qui voulait être considérée comme telle. Surtout par lui. Peut-être parce que, pour la première fois de sa vie, le danger lui paraissait excitant ?
— Je ne sais pas... dix-neuf, vingt ans ?
— J'ai vingt-sept ans.
— Comment ? Non, c'est impossible !
Il la fixait avec une incrédulité cocasse. Elle poursuivit :
— Et pour votre gouverne, je ne suis plus une petite vierge
effarouchée.
Elle se mordit la lèvre. Comme s'il avait besoin de connaître ce détail ! Décidément, elle devait arrêter de raconter n'importe quoi.
— Qu'êtes-vous donc, alors ?
— Votre meilleure chance de rentrer en voiture, mon vieux !
Il daigna sourire, mais la stupéfaction se lisait encore sur ses traits.
— Je ne perds pas ça de vue, assura-t-il. Mais, à dire vrai, je me demandais ce que vous faisiez dans la vie quand vous ne jouez pas les bons Samaritains ?||
— Eh bien, en ce moment, je devrais être en train de skier en France.
— Et vous avez préféré la pluie et le verglas du Yorkshire ?
Elle se rembrunit aussitôt. Elle n'aimait pas que l'on dénigre sa belle région ! Du bout des lèvres, elle expliqua :
— Nous traversons une petite crise familiale. — Et l’on a fait appel à vous, c'est cela ?
— Oui, bien sûr. Qui d'autre se serait déplacé ?

— Ce n'est pas à moi de vous le dire. J'ai peut-être les neu¬rones un peu lents, mais il me semble me rappeler que vous avez une famille nombreuse.
— Et encore, vous n'en avez pas vu la moitié ! grommela-t-elle. Je suis au bord de la panique chaque fois que je songe qu'il va me falloir cuisiner pour quinze personnes le soir du réveillon !
— C’est pourtant vous qui me chantiez les louanges de Noël et de sa sacro-sainte ambiance de générosité et d'abnégation ?
— Oui, malheureusement je n'ai pas le sens de l'organisa-tion de ma mère. Je vais royalement me planter, c'est couru d'avance.
Elle regretta cet aveu dès qu'elle lut la curiosité sur son visage.
— Votre mère est malade ?
— Non, non... Elle est partie.
— Je vois... C'est pas de chance, mon petit, mais ça arrive, murmura-t-il, radouci,
Darcy lui décocha un regard ulcéré. Il avait l'audace d'insinuer que sa mère avait une liaison extraconjugale !
— Cela arrive peut-être aux autres, mais pas chez nous !
se récria-t-elle. Maman est juste allée se ressourcer dans un
monastère. Et ne m'appelez pas « mon petit » !
Horreur. Des larmes lui piquaient les yeux. L'émotion mena-çait de la submerger.
— Vous n'avez pas envie d'en parler ?
— Non ! Surtout pas avec vous.
— C'est de bonne guerre.
Tapant du pied sur l'allée .givrée, elle souffla sur ses doigts gourds et, mal à l'aise, enchaîna :
— Bon, nous ferions mieux de partir si nous ne voulons pas
mourir congelés...

Dès qu'elle tourna les talons, le vent froid lui cingla le visage. Elle repéra enfin sa voiture. Fébrile, elle tapota ses poches, puis fouilla dans son sac à main. Où étaient ces maudites clés ?
— C'est cela que vous cherchez ?
Elle regarda dans la direction indiquée et, mi-soulagée, mi-agacée, aperçut le trousseau resté sur la portière, côté conducteur. Reece s'en saisit et, au lieu de le laisser tomber au creux de sa main, il l'y déposa doucement, de manière que ses doigts frôlent les siens.
Un doux picotement courut dans ses extrémités.
— Merci, articula-t-elle.
— Pas de quoi.
Il contourna le véhicule et, de nouveau, dut se contorsionner pour s'asseoir sur le siège passager. Darcy attendit qu'il se soit installé pour prendre place derrière le volant. Elle s'apprêtait à démarrer quand Reece se pencha soudain pour recouvrir sa main de la sienne.
Des sensations encore plus violentes explosèrent en elle. Elle frémit, haleta :
— Qu'y a-t-il ?
— A propos de ce baiser...
Darcy se mit à gigoter nerveusement, mais il ne libéra pas sa main pour autant Elle feignit l'amnésie :
— Quel baiser ?
— Vous aviez envie de m'embrasser.
— Vous aussi, vous en aviez envie !
— C'est vrai. Et j'ai réfléchi. Maintenant que nous savons que je ne suis pas marié et que vous n'êtes plus une vierge effarouchée. .. il n'y a plus aucune raison de nous abstenir.
Darcy s'étrangla, bredouilla :
— Nous... nous abstenir... de... ?
— De nous embrasser, oui
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— Non, rien. Hormis le fait que je hurlerais à pleins poumons pour ameuter le voisinage ! bluffa-t-elle.
— Ah... Vous avez changé d'avis ? Non, c'est sans doute mieux comme ça.
Sur ce commentaire fataliste, il se renfonça dans son siège et ferma les yeux. De toute évidence, cette rebuffade ne l'affectait guère. Darcy ne lui demandait pas de s'arracher les cheveux de désespoir, mais il aurait pu au moins afficher un air déçu. Par simple politesse !
Darcy savait bien qu'elle ne trouverait pas le sommeil avant un bon moment. Trop de pensées s'agitaient dans son cerveau. Elle ouvrit un œil, grogna en voyant le chiffre lumineux sur l'écran du réveil : il n'était que 2 heures du matin.
La fenêtre de sa petite chambre faisait face au nord et la bise cinglait les carreaux, cherchant à s'infiltrer dans chaque interstice. Heureusement, la maison était très bien isolée.
Tout le Contraire de Walnut Hall.
Pourquoi pensait-elle à cela ?
Enervée, elle roula sur le ventre et rabattit l'oreiller sur sa tête pour étouffer les mugissements du vent. Non, elle ne penserait pas à Reece Erskine.
Sauf qu'elle ne pouvait pas s'en empêcher.
Les siens s'étaient montrés surpris lorsqu'elle était rentrée à la maison seule, car tous avaient supposé qu'elle inviterait le blessé à dîner. Leurs remarques perplexes lui avaient tellement donné mauvaise conscience qu'elle avait fini par exploser.
— Si vous tenez tant que cela à le dorloter, allez donc l'inviter
vous-mêmes ! Moi, j'en ai eu assez pour la journée !
Ensuite, plus personne ne l'avait embêtée, mais elle avait bien senti qu'ils jugeaient sa réaction égoïste. A plusieurs reprises, elle avait surpris sur elle le regard spéculatif de Nick.

Une heure après s'être tournée et retournée rageusement dans son lit, Darcy, une lampe torche en main, une couverture sous le bras et une bouteille Thermos sous l'autre, remontait l'allée qui menait à Walnut Hall.
Il n'y avait pas de porte d'entrée, elle ne put donc frapper pour s'annoncer. Le mince faisceau de sa lampe éclaira le vestibule à l'atmosphère glaciale. Comme Darcy passait dans la pièce suivante, elle découvrit l'habitation dans un état bien pire que ce qu'elle avait imaginé. Ebranlée, elle s'aventura plus loin, poussa une porte, pour constater que les choses ne s'arrangeaient vraiment pas.
« Dire que je ne lui ai même pas offert une tasse de thé ! se tança-t-elle, morfondue. Et pourquoi ? Parce qu'il n'a pas insisté quand j'ai refusé de l'embrasser ! Mon Dieu, si je le trouve mort d'hypothermie ou dans le coma, ce sera entièrement ma faute ! »
Elle enjamba une échelle abandonnée par terre, chercha du regard une quelconque trace de vie... Enfin, elle distingua des braises rougeoyantes dans le foyer d'une large cheminée en pierre. Sur le sol gisait une forme vaguement humaine.
Darcy posa tout ce qu'elle avait apporté, excepté sa torche, avant d'aller s'agenouiller près de la silhouette. Elle se pencha, tendit l'oreille pour guetter le son d'une respiration rassurante... et, l'instant d'après, se retrouva sur le dos, douée au plancher poussiéreux par un poids qui l'écrasait, tandis qu'une main brutale la bâillonnait, l'étouffant à demi !
Alors qu'elle se démenait en tous sens, une voix grondante
s'éleva près de son oreille :
— Ne bougez pas, sinon je vous casse la figure Compris ?
Avez-vous des complices ?
Darcy s'était figée. Comment espérait-il une réponse alors qu'il plaquait toujours sa paume sur sa bouche ?
53

— Je vais enlever ma main, mais, si vous criez pour alerter
vos complices, vous le regretterez, je vous préviens.
Le cœur battant, Darcy secoua la tête aussi vigoureusement que sa posture inconfortable le lui permettait. Si elle n'avait su que son agresseur n'était autre que Reece, elle serait déjà morte d'une crise cardiaque !
Enfin, il ôta sa main.
— Bon sang, lâchez-moi, espèce de crétin ! Je n'arrive pas
à respirer !
— Darcy ?
La pression contre sa cage thoracique diminua, sans toutefois disparaître complètement. Elle l'entendit tâtonner de la main sur le plancher, puis une lumière violente dirigée en plein sur son visage l'éblouit complètement.
— Eh ! Baissez ça... Bien sûr que c'est moi ! Qui d'autre attendiez-vous ?
— Je croyais qu'un cambrioleur s'était introduit dans la maison.
— J'avais bien compris !
Il tendit la main et baissa la capuche du ciré qu'elle avait enfilé avant de quitter la maison. Ses boucles croulèrent sur ses épaules et elle eut l'impression qu'il les caressait d'un geste furtif... Dans la foulée, elle se retrouva libre et se redressa, partagée entre le soulagement et un curieux sentiment de regret.
— Où est ma lampe ? Je l'ai perdue quand vous m'avez sauté dessus, bougonna-t-elle en regardant autour d'elle.
— A-t-on idée aussi de se faufiler chez les gens de cette façon, au beau milieu de la nuit ?
Bon, d'accord, il n'avait pas entièrement tort. Mais Darcy n'y avait pas songé un seul instant quand elle avait décidé de quitter la chaleur de son lit pour affronter les intempéries. A la réflexion, ce n'était sans doute pas une bonne idée confuse, elle garda le silence pendant qu’il ajoutait quelques buche dans le feu.
Les flammes léchèrent le bois bien sec et s'élancèrent aussitôt. Puis, Reece saisit une boîte d'allumettes posées sur le manteau de la cheminée et s'en servit pour allumer une douzaine de bougies disposées dans la pièce.
Lorsque sa vision se fut acclimatée à la luminosité, Darcy se rendit compte qu'il avait dormi tout habillé, ce qui n'avait rien de surprenant étant donné la température ambiante. Ses cheveux bruns étaient tout embroussaillés, sa mâchoire anguleuse couverte d'une barbe râpeuse et ses habits froissés. En dépit de cette apparence négligée, il était aussi séduisant, voire plus, qu'à l'accoutumée.
— Et maintenant, allez-vous m'expliquer ce que vous êtes
venue faire ici ?
Darcy ouvrit la bouche et resta coite. Ce qui lui avait semblé parfaitement rationnel tout à l'heure s'apparentait maintenant à une lubie ridicule.
— Si vous ne répondez pas, je vais croire que vous ne sup¬portiez plus d'être éloignée de ma personne...
— Hein ? Vous rêvez, ma parole !
— Justement, en me réveillant si grossièrement, vous avez interrompu un songe des plus agréables dans lequel je...
— Oh, pitié ! Surtout ne me racontez rien ! Je ne veux rien savoir de vos rêves !
— Même ceux dans lesquels vous tenez le premier rôle ?
Darcy, qui était en train d'épousseter son pantalon d'une
main énergique, releva vivement la tête. Une lueur malicieuse dansait dans les prunelles vertes de son interlocuteur, comme s'il devinait quelles images érotiques ces paroles venaient de créer dans son cerveau. Une bouffée de chaleur éclata en elle, l'embrasa. Dieu merci, elle portait un pull épais sous son ciré, car les modifications physiques qui s'opéraient sur ses seins n'avaient rien à voir avec le froid qui régnait dans la grande bâtisse !

— Je suis juste venue vérifier que vous alliez bien, que vous n'aviez pas froid...
— Réellement ?
— Cessez de m'interrompre !
— Pardon, désolé.
— Je... je m'en voulais beaucoup de vous avoir laissé vous débrouiller seul parce que vous m'aviez irritée... Hum...
A présent, elle se demandait bien pourquoi elle s'était attendrie sur le sort de ce rustre qui l'écoutait avec une attention soutenue, d'un air narquois qui ne lui inspirait rien de bon.
— Ainsi, vous avez décidé de passer la nuit avec moi pour
me réchauffer ? Ecoutez Darcy, je ne sais que dire...
Il se moquait d'elle ouvertement ! Poings serrés, elle parvint à grand peine à conserver un visage impassible et répliqua :
— Oh, vous allez sûrement trouver ! J'ai l'impression que vous êtes toujours en verve quand il s'agit de débiter des énormités. Non, mon cher ! Navrée de vous décevoir, mais le médecin a stipulé que vous deviez rester en observation. Je passais donc par acquit de conscience...
— A 3 heures du matin ?
— Je m'inquiétais.. Avec votre épaule et ces côtes fêlées...
— Je suis touché, vraiment.
Excédée, elle leva les yeux au plafond.
— Ne soyez pas si sarcastique ! En vérité, c'est très simple,
vous savez. Je n'arrivais pas à dormir à cause du vent et comme
je pensais à vous...
— Oh-oh !
Il fallut deux secondes à Darcy pour comprendre et réa¬gir :
— Non, je ne veux pas dire,.. je ne pensais pas à vous de
cette façon-là !
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— De quelle façon alors, Darcy ?
— Si vous étiez tombé malade cette nuit, personne ne l'aurait su et je me serais sentie responsable.
Il soupira :
— Décidément, vous avez beaucoup de responsabilités sur vos frêles épaules, ma chère. Vous n'avez jamais envie, parfois de commettre un acte totalement déraisonnable ?
— Non...
Toute trace d'humour avait disparu des prunelles vertes. Darcy crut qu'elle ne réussirait jamais à avaler sa salive. Son estomac faisait des triples nœuds dans son ventre. Lorsqu'il s'approcha, elle n'eut même pas l'idée de battre en retraite. De même qu'elle ne protesta pas quand il la saisit doucement aux épaules. Puis, lentement, il lui effleura la joue, déclenchant un petit frisson dans son corps tendu. Mais le pire, c'était cette langueur insidieuse qui s'infiltrait dans ses membres et semblait paralyser son cerveau...
— Etes-vous certaine de n'être venue que par souci de ma santé, Darcy ?
— Oui... Quelle autre raison aurais-je eue ?
Il était de plus en plus proche et Darcy perdait de plus en plus pied. L'intimité qui s'installait entre eux devenait périlleuse. Il fallait faire quelque chose... Mais son souffle sur sa joue et l'odeur grisante qui émanait de son corps annihilaient toute raison en elle. Elle n'avait plus de volonté propre, elle se sentait au bord de la panique... ou peut-être de la capitulation ?
— Cette raison-là, répondit-il dans un souffle, avec un regard
intense et très explicite.
Cette fois, c'en était trop. Elle ne voulait pas voir ça. Elle ferma les yeux au moment précis où ses lèvres touchaient les siennes dans un frôlement imperceptible. La sensation était exquise et en appelait d'autres, plus fortes... Dans un soupir, elle ouvrit
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la bouche, vint à sa rencontre et, lorsque leurs langues firent
connaissance, ses dernières réticences fondirent.
La douceur du moment fut soudain balayée par une faim que Reece ne chercha pas à juguler. Son baiser devint vorace, impérieux. Tout d'abord choquée, Darcy fut stupéfaite de sentir une excitation incroyable grandir en elle. Quelque chose, du plus profond de son être, répondait à Reece et s'accordait à sa
violence.
Elle se donna entièrement à son exploration fébrile, jusqu'au moment où elle n'eut plus de souffle. Ils s'écartèrent alors, très légèrement, et elle appuya son front contre le sien.
— Je vous pardonne de m'avoir réveillé.
Et c'est bien parce qu'il embrassait comme un dieu qu'elle lui pardonnait son arrogance. Néanmoins, elle ne pouvait prétendre que seule sa technique impeccable avait déchaîné une telle réaction en elle.
— Vous avez déjà fait l'amour dans un sac de couchage ?
— Hum... Vous allez vite en besogne. Nous nous sommes juste embrassés.
— Il y a baiser et baiser
Pas faux. Ce n'était pas franchement un petit bécot qu'ils venaient d'échanger. Darcy était en feu, ses veines charriaient une lave voluptueuse, ses seins étaient douloureusement tendus sous son pull... à cause d'un simple baiser.
— C'est une proposition tentante, admit-elle, alors que, le matin même, elle aurait ri aux éclats si quelqu'un l'avait crue capable de coucher avec un homme qu'elle connaissait à peine.
— Mais ? Car je suis sûr qu'il y a un « mais »...
A regret, elle laissa retomber sa main. Le contact de ses cheveux soyeux lui manqua aussitôt. Elle se rendit compte alors que, durant leur baiser, Reece avait trouvé le moyen de lui ôter son ciré. Elle frissonnait maintenant, mais ce n'était pas de froid.

— Je pense qu'il vaudrait mieux pour tout le monde que vous
vous *******iez d'une couverture chauffante, dit-elle enfin.
—Il n'y a pas d'électricité, ici. Et, si votre refus tient à un souci de... sécurité, sachez que je suis un homme prévoyant.
— Non, ce n'est pas ça...
— Pourtant, vous ne me connaissez pas. Vous devriez vous méfier.
Elle pinça les lèvres. Il n'allait tout de même pas lui faire un
sermon sur les vertus du préservatif ! |
— Voilà, je ne vous connais pas, c'est justement une des raisons pour lesquelles je ne veux pas coucher avec vous.
— Les autres étant... ?
— Que vous avez des côtes fêlées et un énorme hématome.
Il balaya l'argument d'un geste : |
— Ce n'est pas un empêchement majeur. Nous nous débrouillerons ! Vous savez bien que vous en avez envie autant que moi, Darcy.
— Vous êtes très sûr de vous, hein ?
— C'est la vérité, en tout cas. Et moi, je vous trouve diablement excitante.
— Je ne suis pas très sexy...
— Vous avez le parfum du printemps.
Sa voix grave la faisait littéralement fondre. Ses yeux verts
l'hypnotisaient. Tel un lapin tétanisé, elle le regarda s'approcher
plus près, encore plus près...
Oh, pourquoi n'était-elle pas restée dans son lit ?
Lentement, il lui prit le visage entre ses mains. Sa bouche n'était plus qu'à quelques millimètres de la sienne. Darcy ferma les yeux.
— Vous êtes sûr que...
— Sapristi, jeune fille, taisez-vous et embrassez-moi !

4.
Emportés par leur fougue, ils trébuchèrent sur le sac de couchage. Un petit flacon en verre plein de pilules blanches roula sur le plancher et Darcy, voulant éviter de marcher dessus, faillit renverser la bouteille de whisky posée par terre près de la cheminée.
— Vos médicaments...
— Au diable mes médicaments ! Embrassez-moi...

Darcy eut une soudaine illumination :

— Oh, mon Dieu ! Vous les avez mélangés avec du whisky, c'est ça ? Cela explique tout !
— Quoi donc ? J'ignore de quoi vous parlez. Je sais seulement que vous avez un goût divin.
Ce disant, il repoussa ses cheveux blonds qui cascadaient sur ses épaules et posa ses lèvres brûlantes à la base de son cou. Elle s'aperçut à cet instant qu'il lui avait enlevé son pull sans même qu'elle s'en rende compte. Ce type était champion du déshabillage express d'une seule main !
Elle saisit le col de son pyjama qui ne cachait pas grand-chose de ses seins aux pointes durcies et s'exclama :
Non, vous ne comprenez pas ! Reece, je suis en train de vous dire que vous faites probablement une réaction au mélange antalgiques-alcool.
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Oui, c'était certainement cela, bien que la déduction soit plutôt déprimante, un homme comme lui ne désirait pas passionnément une fille comme elle s'il était dans son état normal.
— Ah, c'est donc ça ! dit-il.
Il écarta la main de Darcy et se pencha pour jeter un Coup d'œil dans l'entrebâillement de son pyjama. Ce qu'il y vit parut le combler de ravissement.
Darcy n'aurait pu avoir plus chaud. Son corps tout entier était la proie d'un désir incandescent. Elle repoussa une mèche qui retombait sur son front brûlant et perlé de transpiration.
— Vous ne me prenez pas au sérieux ! protesta-t-elle.
— Oh si ! Je suis très sérieux, au contraire.
— Vous n'avez pas réellement envie de moi... L'alcool augmente les effets secondaires de certains médicaments. Voilà pourquoi vous vous conduisez de manière si étrange.
— Vous ne voyez pas d'explication plus plausible ? Comme par exemple... le fait que je sois physiquement attiré par vous ; que je sois resté éveillé cette nuit, à m'imaginer couché contre vous, sur vous, en vous... Et voilà que vous apparaissez pour transformer ce fantasme en réalité. Et vous mourez d'envie de rester, acheva-t-il avec un sourire suffisant.
Darcy était incapable d'émettre le moindre son. Cette voix grave et vibrante murmurait des mots qu'aucun autre homme n'avait jamais prononcés devant elle. Elle se sentait grisée, proche du vertige, son sang circulait plus vite et une tension douloureuse montait au creux de son ventre.
— Mais... mais...
— Ce n'est que du paracétamol, vous savez. Le médecin a bien proposé de me donner quelque chose de plus fort, mais j'ai refusé. J'aime être en pleine possession de mes moyens,
— Alors vous... vous...
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— J'ai vraiment envie de vous, oui. Tout comme vous me désirez. A moins que vous ne preniez des drogues hallucinogènes ?
— Non...
— Ceci achèvera peut-être de vous convaincre ?
Avec autorité, il l'enlaça et plaqua son bassin contre le sien. Darcy réprima une plainte langoureuse en le sentant si dure. Toute résistance l'abandonna. De ses doigts tremblants, elle fit sauter les boutons de sa chemise un à un, puis écarta les pans du vêtement pour découvrir son torse large et musclé, son ventre plat aux abdominaux noueux.
A la lueur des chandelles, les boucles de la jeune femme prenaient des reflets argentés. Comme elle se penchait légèrement pour effleurer du bout des doigts l'hématome violacé qui s'étalait sur son flanc, Reece admira la courbe gracile de sa nuque et trouva cette vision particulièrement érotique. Parce qu'il avait une prédilection pour cette zone du corps féminin ou parce qu'il raffolait de cette nuque-ci en particulier ? Il serait toujours temps de se pencher sur la question plus tard... Pour l'heure, il voulait juste assouvir la passion dévorante qui flambait en lui et lui faisait perdre la tête.
— Vous n'avez pas mal ? s'inquiéta-t-elle tandis que ses doigts s'égaraient sur son abdomen parcouru d'une ligne de poils sombres.
— Si ! Je brûle, c'est intolérable !
— Oh, mon Dieu ! Où cela ?
— Ici... et ici, explicita-t-il en guidant sa main plus bas.
Darcy manqua défaillir. D'une voix enrouée, il ordonna :
— Déshabille-toi. Entièrement. Et regarde-moi.
Etait-il un mage ? Un dangereux sorcier ? Quoi qu'il en soit,
Darcy se découvrit incapable de ne pas se soumettre à cette requête — ou s'agissait-il d'un ordre ? Comme dans un rêve,
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elle croisa les bras sur son ventre et fit passer par-dessus sa tête le haut de son pyjama, sans quitter Reece des yeux.
Dans la grande pièce vide et froide, elle percevait le bruit sourd de sa respiration hachée. En dépit du manque de lumière, elle voyait la lueur intense qui illuminait son regard vert, la coloration de ses pommettes saillantes. Et c'était elle qui provoquait tout cela. Comme c'était étrange... Comme c'était merveilleux !
Yeux dans les yeux, ils se dévisagèrent. Les ultimes doutes de Darcy s'apaisèrent aussitôt car il frémissait d'une passion impossible à feindre. Elle continua de se dévêtir, non pas lentement comme une séductrice consommée lors d'un strip-tease, mais avec une impatience grandissante. Dans l'état où ils étaient tous deux, inutile de s'attarder sur l'effeuillage !
— TU es belle.
Pour un peu, elle l'aurait cru.
Il la ramena contre lui et, à son contact, sa peau se mit à fourmiller.
— Et tu as froid, ajouta-t-il dans un sourire. Viens par là…
Tout en lui frictionnant doucement les épaules et les bras, il l'entraîna vers le sac de couchage étalé devant la cheminée. En se glissant à l'intérieur, Darcy découvrit que le tissu avait gardé la tiédeur et le parfum de son corps. Elle remonta les genoux sur sa poitrine, se pelotonna et attendit qu'il la rejoigne.
Une émotion poignante lui noua la gorge lorsqu'elle le vit se
débarrasser de sa chemise, avec précaution pour ne pas mal¬
mener son bras blessé, puis déboucler la ceinture qui retenait
son pantalon. Quand celui-ci glissa sur ses cuisses puissantes,
Darcy retint son souffle. Il était mince, musclé, superbe, et
très, très excité.
Il était si beau qu'elle en aurait presque pleuré. D'ailleurs, cette humidité sur ses joues, n'étaient-ce pas des larmes ?
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Lorsqu’il s’étendit à coté d’elle, il essuya du pouce ces perles d’émotion, sans toutefois en demander la raison.
— Viens plus prés de moi, chuchota-t-il.
Darcy se coula contre lui et eut un soupir de bien être en sentant ses bras forts se refermer sur elle. Ils demeurèrent ainsi un moment, immobiles, chacun goûtant la peau de l’autre. Puis, n’y tenant plus, Reece roula sur elle et chercha avidement sa bouche.
Darcy lui répondit avec fièvre. Sa langue s’emmêla à la sienne. C’etaiit si bon de ne plus rien avoir entre elle et lui… la sensation était étourdissante ! La peau de Reece, plus chaude que la tienne, plus ferme avait une texture satinée, une saveur épicée. Darcy découvrait ces détails avec un ravissement croissant.

— Pour un homme handicapé d’un bras… tu te débrouilles plutôt bien ! haleta-t-elle quelques minutes plus tard.
Un sourire éclatant dévora le visage de Reece.
— Je peux faire aussi bien sans les mains, assura-t-il.
Tout d’abord, elle ne comprit pas ce qu’il entendait par là, puis, comme il faisait courir sa langue entre ses seins et sur son ventre, elle soupira et s’alanguit, tête basculée en arrière. La fermeture éclaire du sac de couchage céda dans un craquement lorsqu’il lui replia les jambes. Darcy ne prêta pas attention à l’air froid qui s’insinuait tout à coup, elle cria son nom tant son plaisir était intense, et cria plus encore lorsqu’il se redressa pour l’embrasser farouchement.
— J’ai tellement… envie de toi ! balbutia-t-elle.
— Alors, prends-moi, mon cœur.
Darcy ouvrit les yeux sur cet homme magnifique dressé au-dessus d’elle, le torse luisant de sueur. Dans un élan, elle lui noua les bras autour du cou et il vint en elle, d’un profond Coup de reins qui lui arracha un nouveau cri.

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Puis au rythme immémorial de l'amour, il l'emporta vers l'extase! de plus en plus vite, jusqu'à ce que le plaisir explose et noie tout dans un brouillard rouge voluptueux.
Darcy frotta ses yeux ensommeillés. Quelqu'un avait gen-timent bordé le sac de couchage autour d'elle pendant qu'elle donnait Son regard vola vers la seule personne présente dans
la pièce.
— Tu as bien dormi ? demanda-t-il.
Bien qu'il n'eût pas levé la tête de l'ordinateur portable sur lequel il travaillait, il avait deviné qu'elle s'était réveillée.
Darcy tira la couverture jusque sous son nez. C'était donc ça, ce fameux sentiment d'embarras « après »... Elle répondit :
— Oui, merci. Que fais-tu ?
— J’envoie quelques e-mails.
Qui donc pouvait envoyer des e-mails si tôt dans la matinée ?
Le genre de type avec qui elle avait passé la nuit dernière. Un
étranger. Un sublime étranger.
— Hum... quelle heure est-il ? s'enquit-elle encore, plus pour meubler le silence que par réelle curiosité.
— Presque 8 heures.
— 8 heures !!!
Dans un sursaut, Darcy se dressa, puis, réalisant qu'elle ne portait rien sur elle, plaqua ses mains sur ses seins nus. Reece referma le portable et se tourna vers elle avec un sourire un brin ironique qui lui fit comprendre l'absurdité de cette sou-daine pudeur.
— Quel est le problème ? s'étonna-t-il.
Papa et les garçons vont se lever pour prendre le petit déjeuner !
— Ils ne font donc rien sans toi ?

— Si, bien sûr ! Je ne suis pas ce genre de fille qui se mêle de tout organiser. C'est juste que... je préférerais...
— ... que rien ne change ? suggéra Reece.
— Que veux-tu dire ?
— Tu le sais très bien. Tu essaies de remplacer ta mère à tout prix. Ne t'est-il pas venu à l'esprit qu'elle souhaite justement que son absence soit remarquée ?
Décontenancée, Darcy se renfrogna et rétorqua avec irritation :
— Je n'en sais rien ! Maman n'est pas une femme au foyer frustrée qui vit mal sa ménopause !
— C'est donc l'idée que s'en font les gens ?
Nick avait effectivement émis cette hypothèse, que Darcy s'était empressée de réfuter. Elle secoua énergiquement la tête :
— De toute façon, le problème n'est pas là. Ils vont se demander où je suis, c'est tout.
— Et surtout, tu n'as pas l'intention de clamer sur les toits que tu as passé la nuit ici, avec moi, c'est cela ?
Elle pinça les lèvres. Le plus triste, c'est que sa réputation ne risquait guère d'en souffrir. Depuis toujours, elle était considérée comme l'éternelle Mary Poppins, la bonne copine, presque asexuée. Un comble quand on savait qu'elle avait failli briser un couple involontairement !
— Tu m'en veux ? demanda-t-elle. Tranquillise-toi, même si je
décidais d'aller le raconter partout, personne ne me croirait.
Il s'approcha, lui tendit le haut de son pyjama après l'avoir ramassé :
— Tiens, enfile ça. Tu auras l'air plus malin...
Il se moquait de sa réserve, ce qui l'agaça d'autant plus qu'elle partageait son avis : elle était franchement ridicule. Néanmoins, elle n'osait pas s'exposer devant lui, à la lumière crue du jour qui risquait d'être beaucoup moins flatteuse que la pénombre de la veille.
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— Si tu crois que je vais me détourner comme preuve de délicatesse, tu peux toujours attendre, la prévint-il en retournant s'asseoir, avant de croiser ses longues jambes au niveau des chevilles.
— Ce n'est pas très galant...
La remarque parut l'amuser. Alors, secouant ses boucles avec colère, elle fit passer rapidement le pyjama par-dessus sa tête... et se retrouva la tête coincée dans la manche. Elle se débattit, furieuse, puis finit par prendre une profonde inspiration afin de procéder plus calmement. Elle n'avait pas des seins phénoménaux, toutefois elle n'avait pas à en rougir non plus. Et puis, quelle importance, de toute façon ? Reece n'allait pas la demander en mariage, alors...
Elle acheva de se couvrir avec une dignité relative, lissa te tissu molletonné sur sa poitrine.
— Je suis très à l'aise avec mon corps, affirma-t-elle avec défiance.
— Oui, ça se voit tout de suite, chérie.
Ses traits demeuraient parfaitement impassibles, mais ses yeux pétillaient. Soudain, toute trace d'amusement disparut sur son visage et l'ambiance fut tout à Coup plus tendue. Darcy, sans pouvoir définir au juste de quoi il s'agissait, sentit son cœur cogner dans sa poitrine.
— Hier soir..., commença-t-il.
Voilà. C'était le moment où il lui expliquait qu'il avait « passé
un moment génial mais... » Elle ne devait pas le laisser con¬
tinuer, elle ne supporterait pas ce qui allait suivre ! Un seul
moyen : prendre les devants.
Elle se retrouva en train de sourire de toutes ses dents comme un cannibale attablé devant son repas :
— Hier soir, oui. On ne s'est pas ennuyés, hein ?
67

Commentaire ponctué d'un petit haussement d'épaules désinvolte, comme si ce moyen de distraction lui était très familier.
— Si tu veux dire par là que cette nuit a été fantastique... oui je
suis d'accord, convint-il sèchement.
Darcy ne voulait rien dire du tout. Elle essayait vainement de se rappeler comment on respirait. Reece paraissait sincère. Elle frissonna. Elle ne s'était sûrement pas attendue à cela. Fallait-il le prendre comme une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
Nerveuse, elle se mit debout et tira l'ourlet de son pyjama sur ses cuisses nues.
— Tant mieux si tu t'es amusé, remarqua-t-elle, avant de pester
intérieurement contre elle-même car, de toutes les idioties qu'elle aurait
pu proférer, celle-là était la pire.
Elle repéra ses habits plies bien proprement sur une chaise bancale, alors qu'elle se souvenait distinctement les avoir envoyés voler dans toutes les directions. Penser que Reece avait pris la peine de les ranger avec tant de soin était bizarrement perturbant. Mais, soulagée de trouver un dérivatif à sa gêne, elle alla les ramasser sans mot dire.
— Et toi, tu t'es amusée ? demanda-t-il, une note de dureté dans la voix.
— Tu le sais bien.
— En effet, il me semble t'avoir entendue exprimer ton *******ement.
Darcy s'étrangla. D'un ton détaché, il poursuivit :
— Pourquoi te sauves-tu aussi vite ?
— Eh bien ! C'est un peu fort venant de toi !
Darcy venait de sauter dans son jean. Elle ferma la fermeture Eclair d'un geste vif et pivota face à lui, poings sur les hanches. L'attaque était toujours la meilleure des défenses, à ce qu'on disait
— Que veux-tu dire ?
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— Tu es quand même venu te terrer ici, dans cette maison déserte
— C'est Noël que je fois...
— Mais Noël est tout autour de toi !
Darcy émit un ricanement désabusé. Elle ne pouvait s'em¬pêcher de faire te parallèle avec sa mère. Si c'était Noël qu'elle avait fui, tout irait bien. Mais si c'était à sa vie, ou pire, à sa famille qu'elle tentait d'échapper...
— Pourquoi es-tu si soucieuse ?
— Ça se voit tant que ça ?
— Tu ferais une très mauvaise joueuse au poker !
— Je réfléchissais à quelque chose, c'est tout
— Puis-je te demander à quoi ?
Elle soupira :
— Si tu tiens à le savoir, je me disais juste que tu ne me semblés pas le genre d'homme à fuir quoi que ce soit. Et même.., pourquoi échouer ici, de toute façon ? questionna-t-elle en jetant un regard critique autour d'elle.
— Voyons, l'Office du Tourisme du Yorkshire ne serait pas très *******e de t'entendre !
— Je veux parler de cette masure. Il n'y a pas l'électricité, la plomberie doit être dans un état lamentable...
— Je ne le nie pas. Et, si tu veux prendre une douche, je te conseille d'attendre d'être rentrée chez toi.
— Merci, mais ne change pas de sujet. Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu fuyais en réalité.
D se renfrogna et prit un air hautain qui réussit à la faire se sentir toute petite.
— Peut-être parce que je considère que cela ne te regarde pas, répondit-il.
— Oh, je vois... Cela s'appelle être remise à sa place, n'est- ce pas?

69
Les traits de Reece se crispèrent un instant et une lueur regret passa dans ses yeux verts. Comme elle tentait une sortie pleine de fierté, il s'interposa entre elle et la porte.
— Attends ! Je t'explique... L'ami qui m'a prêté cette maison a embauché un entrepreneur qui lui a donné des estimations très optimistes. Dans les faits, les ouvriers ont pris plusieurs mois de retard sur ses prévisions. Je ne m'attendais pas à trouver l'endroit si Spartiate.
— Alors, tu ne comptais pas rester ?
— Ce n'était pas mon intention au départ, non.
— Et pourquoi... as-tu changé d'avis ?
— Le voisinage me plaît.
Leurs regards se nouèrent, mais Darcy se déroba. Bien sûr, c'était si commode ! Il lui avait suffi de claquer dans ses doigts pour qu'elle bascule à l'horizontale.
— Tu veux dire que ça te plaît de pouvoir t'envoyer en l'air quand bon te semble ! riposta-t-elle. Mais je ne suis pas d'accord!
— Nous sommes attirés l'un par l'autre, tu ne peux pas le nier. Et tu as toujours envie de moi.
— Pas du tout !
— Menteuse.
Darcy émit un rire stupéfait
— Tu devrais te frapper la poitrine et me traîner dans ta
grotte en me tirant par les cheveux ! Tu ferais un parfait homme
de Neandertal !
L'idée séduisait plutôt Reece, bien qu'il eût nettement préféré une confortable chambre d'hôtel avec baignoire, eau chaude et service d'étage. Mais il n'eut pas le temps d'évoquer cette idée.
— Je rentre, annonça-t-elle. Si tu veux bien me laisser
passer...
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Sans protester, il s'écarta pour lui livrer passage. Mais, dans la foulée, il déclara :
— Je te raccompagne.
— Tu... tu plaisantes ?
— Pas du tout En réalité, j'espérais que tu m'offrirais de prendre une douche chez toi, ou mieux, un bon bain chaud.
— Tu as un sacré toupet !
— J'ai aussi plusieurs côtes fêlées et une épaule démise, mais il ne faut surtout pas que cela influence ta décision.
En dépit de tous ses efforts, Darcy ne put réfréner un sou-rire.
— Nous ne sommes pas un hôtel ! répliqua-t-elle avec sévérité.
— Cela veut dire que tu refuses ?
— Je devrais ! Et, si tu dis quoi que ce soit à ma famille, je te jure que...
— Alors ? demanda Nick.
— Alors quoi ? rétorqua Darcy en agitant son sécateur sous le nez de son frère. Tiens, si tu dois rester dans mes pattes, autant te rendre utile. Emporte ces branches dans la cuisine.
-Moi!
Elle leva les yeux au ciel. Les hommes ! Il n'y en avait pas un pour racheter l'autre. Jusqu'à présent, ses frères s'étaient *******és de la regarder pendant qu'elle descendait du grenier les cartons contenant boules de Noël et guirlandes, puis coupait du houx dans le jardin afin de parfaire la décoration de la maison.
— Ça pique, objecta Nick.
-— Evidemment ! C'est du houx.
De mauvaise grâce, il ramassa les brandies et la précéda dans l'allée en traînant les pieds.
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— Où veux-tu que je le mette ? demanda-t-il comme ils pénétraient dans la cuisine.
— Sur la table, ça ira. Tu veux un café ?
— Non, je préférerais des réponses.
Darcy lui jeta un Coup d'œil méfiant, tandis qu'il décrochait une feuille de houx piquée dans sa manche.
— A quel sujet ?
— Au sujet de notre voisin. Je croyais que tu ne pouvais pas le sentir ?
— C'est vrai ! opina-t-elle. Mais il s'est sérieusement blessé. Que pouvais-je faire ? Lui interdire l'accès de la salle de bains ? Je ne sais plus ce que tu m'as dit : thé ou café ?
— Rien du tout Donc, tu es tombée sur lui en allant promener les chiens ce matin, c'est ça ?
— Oui, c'est ça, acquiesça distraitement Darcy, le dos tourné, tout en attrapant deux tasses dans le placard.
— Et depuis quand vas-tu promener les chiens en pyjama, petite sœur ?
Elle sursauta, renversa la bouteille de lait sur le plan de travail, et jura.
— Quel langage, voyons ! ironisa son frère.
— Et toi, depuis quand fais-tu partie de la police ?
Avec un rire forcé, elle brancha la bouilloire, s'assit avec une nonchalance étudiée. La meilleure tactique était encore d'affecter une totale indifférence... en espérant que Nick ne remarquerait pas le tremblement qui agitait ses doigts. Ce dernier répondit alors :
— Depuis que j'ai jeté un Coup d'œil dans ta chambre et que je l'ai trouvée vide, après avoir sorti les chiens vers 7 heures.
— Ça alors ! Qui t'a permis d'entrer dans ma chambre 7h.
— Je venais t'apporter une tasse de thé.
— Oh....
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Que dire d'autre ? Elle n'allait pas tout lui raconter. Il avait
vraiment choisi son jour pour lui apporter le petit déjeuner au
lit Une première !
— Que fait un type aussi riche avec une fille compte toi ? Ne le prends pas mal, mais quand même...
— Riche ?
— J'imagine que vous vous connaissez depuis un moment et qu'il est venu te rejoindre ici, c'est cela ?
— Comment ? Pas du tout ! Qui t'a mis cette idée en tête ?
Elle avait pourtant fait très attention, tout à l'heure, à ne
montrer aucune familiarité déplacée envers Reece. Au contraire, elle l’avait à peine regardé en lui indiquant la salle de bains, avant de s'éclipser pour aller fleurir l'église —c'était le tour de sa mère, membre actif du comité paroissial.
— C'est ce que j'ai supposé parce que je ne pensais pas que
tu étais le genre de fille à coucher avec un parfait inconnu...
même s'il est riche et influent.
Darcy, qui avait le nez dans sa tasse de thé, releva vivement la tête pour foudroyer son frère du regard.
— Comment oses-tu ?
— Voyons, Darcy ! Admets que cela semblait plutôt biz...
— Je n'admets rien du tout ! Surtout pas devant toi. Tu es
vraiment le pire des hypocrites, Nick !
La voix frémissante, elle s'était levée pour poser violemment sa tasse sur la table de la cuisine. Ebranlé par sa réaction, Nick leva la main :
— Ecoute, je ne voulais pas...
—' Et, accessoirement, je couche avec qui je veux ! cria-t-elle,
avant de quitter la pièce comme une furie.
Cette sortie théâtrale fut totalement ratée par la faute de Reece qui se présenta sur le seuil au même moment Darcy le heurta de plein fouet, et elle serait tombée s'il ne l'avait fermement
retenue, non sans mal car il avait passé son bras valide sous l'anse d'un grand panier d'osier.
— Eh là ! Que se passe-t-il ?
Au prix d'un effort surhumain, Darcy résista à la tentation de poser sa tête contre sa large épaule. Elle s'arracha à sa chaleur et retint son souffle pour ne plus sentir le frais parfum de savon qui émanait de sa personne.
— C'est comme ça qu'on accueille quelqu'un qui vous
apporte un cadeau ? Plaisanta Reece sans paraître remarquer
son trouble.
Darcy se rendit compte qu'il était suivi de près par Jack et les jumeaux.
— On a fait des courses. Regardez ça ! s'écria Harry en posant
sur la table une grosse boîte de chocolats belges.
Charlie avait déjà entrepris de vider le panier. Perplexe, Darcy le regarda faire. Tous ces produits avaient visiblement été achetés dans une épicerie fine. Les magasins du village ne vendaient pas de denrées aussi luxueuses.
— Ça, c'est pour moi ! décréta Charlie en brandissant une
bouteille de Champagne.
Son père fit claquer sa langue avec réprobation et lui confisqua la bouteille, avant d'objecter :
— C'est très aimable à vous, Reece, mais il ne fallait pas...
— Ce n'est pas grand-chose. Je voulais vous remercier pour votre aide et votre gentillesse.
— Vraiment, ce n'était pas nécessaire...
— Papa, tu ne vas quand même pas tout lui rendre ? s'alarma
Charlie.
—Ce qu'essaient de dire ces deux petits gloutons, Reece, c'est que nous apprécions beaucoup votre geste. Désirez-vous une tasse de thé ? Je crois que Darcy... ?

— Au cas où personne ne l'aurait remarqué, je suis occupée !
ronchonna la jeune femme en désignant la brassée de houx qui
jonchait la table.
Jack changea de mine et prit un air aussi peiné que désem¬
paré!
— Ah oui... Tout est un peu sens dessus dessous, en ce
moment, expliqua-t-il à Reece. Vous comprenez, d'ordinaire
c'est mon épouse qui...
— Ça ne me gêne pas du tout, papa, affirma Darcy, furieuse
contre elle-même d'avoir éveillé ces pensées douloureuses chez
son beau-père qu'elle adorait. Maintenant, je vais aller cher¬
cher le sapin. Quelqu'un veut m'accompagner ? Bon, tant pis,
j'irai toute seule, conclut-elle sans même attendre la réponse
prévisible.
— Si cela ne vous dérange pas, j'aimerais venir avec vous. Darcy pivota sur elle-même, les yeux écarquillés.
— V... vous ? bafouilla-t-elle en dévisageant Reece. Il désigna son attelle :
— Je n'ai pas l'habitude d'être immobilisé de la sorte, j'ai du mal à tenir en place.
— Je vais à la pépinière... Vous allez vous ennuyer.
— Je trouve que c'est une excellente idée, intervint Jack en regardant Darcy d'un air de reproche.
— Oui. Darcy sera sûrement *******e d'avoir de la compagnie, renchérit Nick avec malice.
Darcy coula une œillade meurtrière à son traître de frère qui, décidément, ne voulait pas en découdre.
— Vous allez tacher votre costume, hasarda-t-elle.
Personne ne lui prêta la moindre attention. Jack suggérait
à Reece :
— Vous êtes à peu près de la même taille que les jumeaux. Empruntez-leur une paire de bottes, dans l'entrée.
— Vous faites un 43-44, non ?

Ulcérée, Darcy renonça à se faire entendre et s'enferma dans un silence buté. Tous les membres de la famille s'étaient mil en devoir d'équiper Reece pour cette sortie, hormis Nick qui se tourna vers sa sœur, goguenard :
— Tu es toute pâle, Darcy.
Jack, une paire de caoutchoucs à la main, tourna la tête et commenta avec sollicitude :
— C'est vrai. Tu as une petite mine, ma chérie. Ça ne va pas ?
— Ce doit être le manque de sommeil, persifla Nick. Elle a passé une nuit agitée.
Ce disant, il se détourna légèrement pour reporter son attention sur Reece. Les deux hommes échangèrent un long regard lourd de sens.
— Vraiment ? Ça ne te ressemble pas, ma petite fille, observa Jack qui tentait de déchiffrer la taille sous la semelle d'une botte.
— C'est souvent comme ça durant la première semaine de vacances, objecta-t-elle, sur la défensive. J'ai besoin de temps pour vraiment décompresser.
— Darcy est chef de projet en informatique, précisa Jack avec fierté. Elle a un poste à hautes responsabilités.
— Je t'en prie, papa... Cela n'intéresse pas M. Erskine.
— Peut-être parce qu'il le sait déjà ? émit Nick, qui ne ratait décidément pas une occasion de se rendre insupportable.
Darcy pivota vers lui :
— Nick, si tu n'as rien de mieux à faire, tu pourrais jeter un
coup d'œil aux guirlandes électriques. Il y a plein d'ampoules
à changer.
A sa grande satisfaction, son frère prit une expression horrifiée. Il se hâta de suggérer :
— Il vaudrait mieux en acheter des neuves.
76

— Oh non ! protesta Charlie. Ce sont nos vieilles guirlandes, nous les avons depuis toujours !
— Justement. Tous les ans, c'est la même galère, il faut se
battre avec et...
,
—Vous vous rappelez la fois ou ce chat, celui qui n avait
pas de queue... Comment s'appelait-il déjà ?
—Oscar. Il était si drôle !
Nick interrompit la séance nostalgie des jumeaux :
— Moi, je me souviens du jour où les plombs ont sauté à
cause d'une guirlande défectueuse, alors que maman était en
train de préparer le réveillon !
II y eut une exclamation unanime d'indignation et tous les
regards prirent Jack à témoin. Nick capitula :
— Très bien, je vais réparer ces fichus machins cligno¬
tants !













77

5.
Reece tentait de repousser le gros chien qui lui enfonçait ses pattes dans le dos à travers le siège avant, pour mieux lui lécher la figure avec une sympathie débordante.
— Pourquoi as-tu emmené ce cabot ? ronchonna-t-il.
— Parce que j'en avais envie, rétorqua Darcy, avant d'ordonner : Assis, Wally !
A contrecœur, le chien se coucha sur la banquette arrière de la Land Rover, une lueur peinée dans ses yeux bruns. Avec une grimace, Reece essuya la bave qui lui mouillait le cou.
— Je pourrais avoir l'impression que ma présence n'était pas désirée, grommela-t-il.
— Pas par Wally, en tout cas. Ni par ma famille ! ajouta-t-elle avec un petit reniflement de dépit. Tu as parfaitement réussi à te les mettre dans la poche. C'était totalement déloyal de gagner les jumeaux par leur estomac !
Reece, qui en vérité s'intéressait peu à l'affection des jumeaux, eut un sourire léger et s'enquit :
— Dois-je en conclure qu'il est inutile d'utiliser la même
tactique avec ton frère aîné ?
— Je suis sûre que tu t'en es déjà rendu compte !
Darcy n'avait toujours pas pardonné à Nick. Comment osait-il
lui faire la morale, lui qui, à la stupeur de ses parents, avait eu
78

une liaison avec une femme divorcée de trente ans, à 1’époque
où lui-même n'en avait que dix-sept ?
— Disons juste que je ne me sens guère le bienvenu quand
il est dans les parages, répondit Reece. Pourquoi ? Est-ce qu'il
te taquine ?
— Je me fiche bien de ce que pense Nick !
— Ah oui... J'ai entendu ce passage. « Je couche avec qui
je veux ».
Elle rougit.
— Ne va rien t'imaginer ! Je disais cela par principe. Le sexe
n'est pas une priorité pour moi.
Elle s'était pourtant donnée à lui dès le premier soir, avec un enthousiasme indéniable. Maintenant, il devait la prendre pour une sorte de nymphomane, une mangeuse d'hommes. Alors que c'était tout le contraire !
Pourtant, elle n'arrivait pas à chasser de son esprit les images torrides de la nuit passée, sa peau luisante de sueur quand elle l'avait langoureusement chevauché, ses muscles saillants, la chaleur qui montait de leurs deux corps réunis...
Non, en dépit de ses efforts louables, elle ne pouvait rester indifférente à l'homme assis à côté d'elle. Tout en conduisant, elle observa à la dérobée son profil altier et surtout sa bouche pleine et ferme, dont la saveur épicée la hantait encore. Une bouche parfaite, mobile, expressive, qui réussissait à exprimer a la fois une volonté de fer et une sensualité unique.
— Quelles sont donc tes priorités ? S’enquit-il Ton métier ?
l’informatique ? Le tricot ? Tu ne dois pas mener une vie très
excitante...
— Il se trouve que le vicaire m'a invitée au bal de Noël !
Elle venait tout juste de s’en souvenir. Il faut dire qu'elle avait tant de choses en tête, en ce moment !
— Le vicaire ? répéta Reece d’un ton sceptique. Mazette ! je l’imagine très bien. Il doit porter des vestes en tweed et un petit
bouc. Enfin, je sais bien que ce n'est pas l'apparence physique qui importe, mais la beauté intérieure.
— Il se trouve qu'Adam jouait dans l'équipe de rugby
d'Oxford !
— Dans les années 60 ?
— Il a trente ans.
— Un nez cassé ? tenta-t-il avec espoir.
Les lèvres de Darcy frémirent.
— Pas du tout. Il a longtemps hésité entre sa vocation et une carrière de mannequin, mentit-elle effrontément, avant d'ajouter suivant une subite inspiration : Reece, est-il vrai que...?
— Que quoi ?
— Nick m'a dit... enfin, il a dit que tu étais riche. Très riche, en fait. C'est vrai ?
— Oui.
Elle hocha la tête. Au fond, elle avait toujours pressenti qu'ils n'appartenaient pas au même monde. Elle s'efforça de ne pas se laisser submerger par la déception. En secret, elle avait prié pour que Nick se soit trompé. Et maintenant, il était vain d'espérer que cette nuit torride débouche sur une relation durable.
— J'imagine que tu es célèbre aussi ? demanda-t-elle avec
amertume, comme si elle l'accusait d'être recherché par Interpol ou quelque chose d'aussi infamant.
C'était la première fois que Reece observait une telle réaction en rapport avec sa position sociale. Amusé, il objecta :
— Apparemment pas autant que je le croyais.
— Ne sois pas vexé. Je ne lis jamais les pages financières dans la presse.
—Et Nick?
—Non plus. Il est journaliste sportif, alors tu penses...
—Tu es un peu sévère ! S’exclama-t-il en riant. J'ai connu un reporter sportif qui avait lu un livre.
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— Ah ah ! Dans quel secteur travailles-tu ? L'immobilier ?
C'est pour cela que tu es venu à Walnut Hall ?
— Ma société s'occupe de ventes immobilières, en effet. Il se garda bien de préciser qu'il ne s'agissait pas du tout de maisonnettes et cottages que les gens achetaient habituellement pour les rénover, mais d'une chaîne d'hôtels de luxe et de palaces implantés dans les plus grandes capitales du monde. Plusieurs complexes de locaux professionnels et stades olympiques d'Europe avaient également débuté leur glorieuse existence sur une table à dessin au siège social de la compagnie Erskine.
— Tu es une sorte de promoteur, alors ?
— Oui, c'est une des branches dans lesquelles nous nous sommes spécialisés.
— Nous ?
— Eh bien, je ne suis pas le seul dirigeant. Ma sœur Kate s'occupe de la gestion de la chaîne d'hôtels et mon cousin Declan nous a rejoints il y a trois ans. Mon plus jeune frère vient d'obtenir son diplôme à Harvard, aussi j'espère bien que sous peu...
— Tu m'as dit que tu n'avais pas de famille ! s'exclama Darcy, incrédule.
— Moi, je t'ai dit cela ?
— Mais oui !
— Tu auras mal compris. J'adore ma famille, même si, en période de
fêtes, ces gens sont un peu envahissants. Il ne t'arrive jamais de regretter de ne
pas être enfant unique ?
Darcy prit quelques secondes avant de répondre en toute franchise.
— Eh bien, avec Nick, parfois... oui !
— Et pourtant, il cherche juste à te protéger. Ma sœur est
Aussi pleine de bonne volonté et souvent horripilante.
— c’est toi qui prend la défense de Nick ? Touchante solidarité masculine, mais c'est de toi dont il cherche à me protéger !
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— Je ne risque pas d'oublier : j'ai la nette impression que, dès qu'il aura l'occasion de me coincer entre deux portes, il va me demander quelles sont mes intentions.
— Le problème, c'est qu'il le sait déjà !
Elle sentit son regard s'appesantir sur elle et lui jeta un Coup d'œil. Pourquoi avait-il tout le temps l'air aussi ******* de lui ? Et pourquoi le seul fait de le voir rejeter en arrière ses cheveux sombres lui donnait-il des fourmis dans les doigts ?
Reece aurait été stupéfait s'il avait connu la nature de ses réflexions. Il s'était rarement senti aussi désorienté de toute sa vie. Il ne s'attendait pas du tout à ce qui était en train de lui arriver et bouleversait sa vie bien ordonnée. Chaque fois qu'il regardait cette femme, son petit nez retroussé, ses taches de rousseur, ses joues duveteuses qui avaient encore la rondeur de l'enfance, ses oreilles au modelé délicat qu'il avait envie de mordiller... toute pensée rationnelle désertait son cerveau !
— Si Nick sait quelles sont mes intentions, il pourrait me mettre au courant, marmonna-t-il.
— Pardon ?
' Elle voulait savoir ? Très bien, il ne demandait qu'à ouvrir son sac :
— Quand je vois ton oreille, j'ai envie de la mordre et de prononcer des mots inconvenants. Quand je vois ta bouche...
— Reece, arrête ! Si... si tu continues, tu vas nous faire avoir un accident ! haleta-t-elle, les mains crispées sur le volant.
— Dans ce cas, tu ferais mieux de te garer, n'importe où, de préférence dans un endroit tranquille et éloigné de la route.
Darcy sentit une sueur froide lui glacer le dos, juste avant qu'une bouffée de chaleur ne lui incendie le ventre. Elle ne savait plus où elle en était.
— Je t'interdis de me dire des choses pareilles ! se révolta-t-elle.
— Je ne peux pas m'en empêcher.
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— Je crois que tu as beaucoup mieux à faire que de me harceler.
— Te harceler ? Eh bien, es-tu toujours aussi dure avec tes petits amis?
— Tu n'es pas mon petit ami !
— Non, je suis ton amant.
Darcy avait le tournis. Son cœur battait à tout rompre. Sa lèvre supérieure était couverte de sueur. Pourquoi ne parvenait-elle pas à se dominer ? Elle devait absolument se ressaisir et lui mettre les points sur les i, même si cela lui déchirait l'âme.
— Tu as été mon amant d'une nuit, corrigea-t-elle d'une voix qui se voulait froide. Ecoute, je crois que tu as été induit en erreur par ma... fougue, hier soir. Mais, vois-tu, je n'étais pas vraiment moi-même et...
— Je ne peux pas être d'accord avec ça !
Elle s'obligea à garder les yeux fixés sur la route et sentit son regard insistant glisser sur son corps qui, en réaction, fut parcouru de longs frissons. Sa voix était comme une caresse et trahissait le sourire qu'elle ne pouvait voir, qu'elle ne voulait pas voir...
Elle serra les dents, insista :
— Je t'assure que, d'ordinaire, je ne me conduis pas du tout comme ça, ce n'est pas dans ma nature.
— Hier soir, c'était spécial, alors ?
— Non, c'était... une erreur ! s'écria-t-elle en désespoir de cause. Sans juger les femmes qui se comportent ainsi, je n'étais pas moi-même, c'est tout.
— Je pense que si.
— Tu n'as donc pas entendu ce que je t'ai dit ?
— Tu as fait beaucoup de bruit, mais une chose est sûre :
tu n'as pas dit non.
Darcy s'étrangla sur la réplique ironique qu'elle avait sur le bout de la langue. Ça, elle ne pouvait prétendre le contraire. Elle
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avait été parfaitement consentante. Mais bien sûr qu'elle aurait dû dire non. Oh, pourquoi n'avait-elle pas dit non ?
Elle n'avait nullement l'intention de devenir le joujou d'un riche play-boy.
— Pourquoi es-tu venu ici ? demanda-t-elle à voix basse.
S'il s'était abstenu, elle ne l'aurait jamais rencontré et sa vie
en aurait été grandement facilitée.
— J'en avais peut-être assez des gens bien intentionnés qui
s'évertuent à me remettre sur pieds, répondit-il, énigmatique.
—. Je ne comprends pas.
— C'est aussi bien pour le moment, conclut-il.
Il n'y avait qu'une poignée de personnes chez le pépiniériste. Reece subodorait que Darcy avait choisi cet endroit précis pour une raison personnelle et qu'elle y serait venue même si les lieux avaient été bondés.
Effectivement, le gérant se porta tout de suite à leur rencontre, comme
s'il attendait l'arrivée de Darcy. Il l'accueillit en l'étreignant chaleureu-
sement et, après avoir émergé de ses bras, elle fut bien obligée de
procéder aux présentations.
— Reece, je te présente Richard Stenning, mon parrain. Oncle Rick, voici Reece Erskine et, avant que tu ne poses la question, sache que ce n'est pas mon petit ami.
— Mais je ne perds pas espoir ! assura Reece.
Pour une obscure raison, les deux hommes s'esclaffèrent
Haussant les épaules, elle enchaîna, en détaillant la rangée de
sapins appuyés contre une palissade :
— Je me disais... entre un mètre quatre-vingts et un mètre quatre-vingt-dix ?
— En fait, je mesure un mètre quatre-vingt-sept, précisa Reece obligeamment.
— Mais non, idiot ! Je parle du sapin !
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Richard Stenning eut un sourire bienveillant :
— Viens par ici, Darcy. J'ai exactement ce qu'il te faut.
Darcy doutait fortement que son parrain disposât en réserve de nombreux bruns aux yeux verts mesurant un mètre
quatre-vingt-sept! Cependant, elle le suivit docilement. Finalement, elle opta pour un beau sapin bien touffu aux aiguilles plates, qui fut glissé dans un filet protecteur avant d'être posé à l'arrière de la Land Rover, à côté de Wally.
— Tu ne vas pas partir sans déguster une part de tarte aux
pommes ? proposa ensuite Richard.
Reece, penché vers Darcy, lui demanda à l'oreille s'il s'agis¬sait d'une tradition familiale. Elle ignora la question et tenta de faire de même avec l'odeur virile et grisante qui lui chatouillait les narines.
— Avec plaisir, oncle Rick.
Ils passèrent dans la boutique, toute pimpante avec ses
guirlandes et ses décorations en bois rustiques. C'était préci-sément l'ambiance que Reece voulait éviter. Décidément, Noël le poursuivait.
— Mais pas de guignolet pour moi, je conduis, déclara Darcy comme ils passaient dans l'arrière-boutique.
— Et vous, monsieur Erskine ?
— Appelez-moi Reece, je vous en prie. Oui, volontiers, merci.
— Une toute petite tranche suffira, oncle Rick.
Elle saisit l'assiette que son parrain lui tendait et, malicieuse,
attendit de voir Reece mordre à belles dents dans sa généreuse portion. Elle eut le plaisir de le voir écarquiller les yeux, avant d'avaler courageusement la première bouchée.
— Encore meilleur que d'habitude, commenta-t-elle en
grignotant quelques miettes. Tante Grâce s'est surpassée,
cette année !
— Oui... délicieux, acquiesça Reece faiblement

Darcy se retint d'éclater de rire en le voyant mâcher péniblement la « délicieuse » tarte de tante Grâce qui, de tous temps, avait eu la consistance — voire l'odeur parfois — du vieux ciment friable. Personne ne savait comment elle s'y prenait pour rater à ce point une recette aussi facile. Seul son mari continuait d'ignorer l'étendue du désastre car, étant diabétique, il ne goûtait jamais ses pâtisseries.
— Vous en voulez une autre, Reece ? proposa-t- aimablement
Reece se tapota l'estomac et prétendit :
— Ce serai avec joie, mais je ne veux pas me couper l'appétit J'ai invité Darcy à déjeuner.
— Quoi ? Première nouvelle ! s'exclama l’intéressée.
— Je voulais te faire une surprise, chérie. D'ailleurs... il ne faut pas tarder, j'ai réservé pour midi, ajouta-t-il en consultant sa montre.
— Ah bon ? Et dans quel restaurant as-tu réservé... chéri ?
— Ton préféré, évidemment, chééérie.
Inconscient de leur joute verbale, Richard s'agita :
— Midi ? Vous feriez bien de vous dépêcher, en effet. D vous faudra au moins vingt minutes pour aller aux Quatre Saisons. Embrasse toute la famille pour moi, Darcy.
— Je n'y manquerai pas, oncle Rick. Oh, Reece ! tu n'as pas bu ton guignolet ! Tu vas vexer mon parrain.
Stoïque, Reece vida son verre d'un trait, avant de prendre congé. Il attendit d'avoir claqué la portière de la Land Rover pour s'écrier :
— C'était un rite initiatique ? L'épreuve incontournable pour se faire accepter dans la famille Alexander ? Seigneur, quel calvaire !
— De quoi te plains-tu ? Oncle Rick n'offre sa tarte aux pommes et son guignolet qu'à ses plus chers amis et clients.
— Je suis stupéfait qu'il en ait encore ! Mon Dieu, qu'est-ce que c'était que ce truc qu'il m'a fait boire ?
— Du guignolet, je viens de te le dire.
— Chérie, j'ai déjà bu du guignolet, cela n'a rien à voir avec ce sirop infect !
— Eh bien, appelons ça un remontant à base de vin doux. Mais je crois que tante Grâce, par souci de sa ligne, remplace le sucre par du saccharose.
— J'ai très peur de découvrir à quoi ressemble ton restaurant favori...
— Et moi, j'ai bonne envie de te déposer au prochain arrêt de bus. Oh, pardon ! J'oubliais que tu ne te déplaces qu'en limousine.
Il eut un sourire acide :
— Détrompe-toi, le plus souvent j'utilise l'hélicoptère. Dis-moi, tu te rends compte que, chaque fois que nous discutons, tu es derrière un volant ?
— Et alors ? Tu n'aimes pas ma façon de conduire, peut-être ?
— Si... quand tu regardes la route. Néanmoins, ce serait agréable, pour une fois, de discuter face à face, assis à une table, non ?
— Le problème, c'est que tu es persuadé que tu me feras accepter n'importe quoi rien qu'en m'embrassant.
— Ah bon ? A mes yeux, ce n'est pas un problème, c'est une révélation.
C'en était trop. Darcy ne pouvait décidément pas se concentrer sur sa conduite pendant que son esprit débordait d'images interdites. Leurs chamailleries, au début très stimulantes , avaient soudain perdu tout attrait.
Priant pour qu'une intervention divine la sauve de ce chaos, elle freina et immobilisa la Land Rover sur le bas-côté. Puis,
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sans même prendre la peine de couper le contact, elle jaillit hors du véhicule.
Reece prit le temps d'arrêter le moteur et d'empocher la clé avant de la suivre.
— Fiche-moi la paix ! lança-t-elle, sans aucun espoir d'être obéie.
— Ça ne va pas ?
—Non, ça ne va pas ! Si tu veux savoir, je ne supporte plus d'être assise à côté de toi dans cette voiture !
Elle était odieuse mais, pour l'heure, elle se souciait fort peu
des convenances. Reece, au demeurant, ne sembla pas se formaliser.
— Cela fait un drôle d'effet, hein ? murmura-t-il.
— Quoi ? Comment ? De quoi parles...
Elle s'interrompit, secoua obstinément la tête. Elle se refusait à croire qu'il puisse éprouver les mêmes symptômes physiques et émotionnels qu'elle à cause de leur proximité.
— Je n'arrête pas de penser à la nuit dernière, confessa-t-il d’une
voix rauque. Je ne peux pas m'empêcher... de vouloir recommencer.
Darcy ne pouvait maîtriser le tremblement qui agitait ses mains. Pour ne pas trahir son trouble, elle croisa les bras sur sa poitrine.
— Nous avons juste passé la nuit ensemble, objecta-t-elle d'une petite voix.
— Mais quelle nuit ! Et puis, il faut bien qu'une relation démarre d'une manière ou d'une autre.
— Une relation ? Mais... tu ne veux pas d'une relation suivie !
— Comment sais-tu ce que je souhaite ?
— Réponds-moi ! s'impatienta-t-elle.

— A dire vrai, je n'en sais rien. En fait... non, je ne veux pas
m'engager dans une relation. Mais je ne veux pas non plus faire vœu
d'abstinence.
La perversité de cet homme dépassait l'entendement. Il n'avait même pas le courage de la regarder dans les yeux lorsqu'il prononçait ces mots ! Néanmoins, cet aveu venait d'étouffer la petite voix qui, depuis quelques secondes, criait dans la tête de Darcy : « Vas-y, fonce ! Fonce ! » Et tant mieux, en définitive.
— Je ne suis sûr que d'une chose : j'ai envie de toi.
Un soupir bruyant s'échappa de ses poumons. Elle n'allait tout de même pas se laisser séduire par quelqu'un qui avouait tout de go n'éprouver que du désir physique pour elle !
-— Je suis flattée.
Le ton ironique sous-entendait exactement le contraire. L'expression de Reece se durcit.
— Je n'essaie pas de te flatter !
— Ah non ? Alors qu'essayait-il de faire, à part la rendre folle ? Il semblait impossible qu'un homme soit entré aussi vite dans sa vie pour la chambouler complètement. Et pourtant...
— Tu es peut-être d'humeur à t'offrir une aventure de vacances, mais moi, je n'ai ni le temps ni l'énergie ni l'envie, déclara-t-elle.
— Je croyais que toi aussi, tu étais en vacances ?
— En vacances ? Pas vraiment. Ma mère a pris la poudre d'escampette, mon beau-père est désemparé, plusieurs centaines de parents et amis de la famille sont susceptibles de débarquer à la maison à tout moment, et je ne suis même pas fichue de faire une tarte aux pommes, sans parler de nourrir et de rece¬voir tout ce monde-là !
C'était stupide, mais ces lacunes lui semblaient tout à Coup rédhibitoires et les larmes lui jaillissaient des yeux.
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Reece fit un mouvement dans sa direction et elle faillit se jeter dans ses bras. Mais, par réflexe, elle tendit la main pour le repousser, le stoppant net dans son élan,
— Es-tu en train de me dire que ce n'est pas le bon moment? demanda-t-il avec gravité.
Darcy se mordit la lèvre. Même si elle mourait d'envie de sentir son bras l'enlacer, elle savait qu'il ne s'agissait là que d'une illusion créée par une décharge hormonale. Si elle avait simplement voulu se payer du bon temps, elle n'aurait pas été chercher plus loin : Reece remplissait certainement tous les critères.
Le problème, c'est qu'elle n'avait pas le même détachement à propos des relations physiques et que, à chaque fois qu'elle tombait amoureuse, elle courait à la catastrophe. Michael en était l'exemple le plus flagrant
Darcy avait encore en mémoire la vision pathétique de cette femme et de ses trois enfants apparus sur son perron, et venus la supplier de ne pas « prendre papa ». Et la façon abjecte dont Michael s'était justifié lui dressait encore les poils sur le corps : « Je voulais te le dire, Darcy, je te le jure ! Mais j'avais peur de te faire souffrir... »
Dans un sursaut, elle s'arracha à ses réminiscences et s'ex-clama :
— Mais il ne s'est rien passé entre nous ! Une brève rencontre, une nuit d'ivresse, voilà tout
— Il pourrait se passer quelque chose de magique si tu nous laissais une chance,
Et ce serait si facile ! se désola-t-elle.
La voix de Reece était dangereusement persuasive, presque hypnotique. Quand on l'entendait, on se sentait prêt à toutes les folies, à toutes les inepties...
— Tu es inquiète au sujet de ta mère, n'est-ce pas ?
Cette observation la ramena à la réalité. Elle ricana :

—Tu veux me faire croire que tu t'en soucies ? Alors que la seule chose qui t'intéresse, c'est de m'amener dans ton lit !
Elle vit ses narines palpiter et une lueur féroce briller dans son regard. Un long silence passa, puis :
— Ecoute, chérie, je ne sais absolument pas si cette histoire va durer quelques jours, quelques semaines ou des mois. Je pense juste que nous devons essayer, c'est la moindre des choses. Sinon, nous nous demanderons toujours si nous n'avons pas loupé la chance de notre vie. Je sais que tu as des remords d'avoir couché avec moi hier soir, mais c'est la réalité et je ne vois pas pourquoi, aujourd'hui, tu devrais t'en sentir coupable.
— Parce que tu ne cesses de me le rappeler ! Figure-toi que je ne suis pas une fille facile.
— Et figure-toi que je ne t'ai jamais considérée comme telle ! C'est même tout le contraire. Il se passe quelque chose de spécial entre nous, Darcy. Tu ne peux pas prétendre le contraire sans être de mauvaise foi. J'avoue sans honte que j'ai envie de faire l'amour avec toi, mais ça ne veut pas dire qu'il nous est impossible de communiquer en dehors d'une chambre.
Bien sûr, Darcy ne pouvait savoir à quel point cette confession coûtait à Reece, qui n'en revenait pas lui-même de s'entendre prononcer ces mots. Cependant, il n'était pas prêt à se livrer entièrement. Cela l'aurait mis trop mal à l'aise.
Il reprit:
— Tu es manifestement anxieuse à propos de ta mère. J'ai
cru que cela te soulagerait d'en parler avec quelqu'un qui est
étranger au cercle familial. Je suis peut-être superficiel et égoïste, mais
je ne suis pas totalement insensible !
Darcy le dévisagea. Il avait l'air sincère. Elle baissa les yeux, secoua la tête.
| — Je lui ai parlé au téléphone la veille de son départ Elle m'a paru tout à fait normale. Rien ne laissait supposer qu'elle irait s'enfermer dans un monastère !

— Et tu as peur d'être responsable ?
— Pas moi uniquement, la famille en général. Sinon, pourquoi se serait-elle volatilisée comme ça, juste avant Noël, en s'arrangeant pour que nous ne puissions pas la joindre ?
— Peut-être a-telle une raison très personnelle ?
Darcy eut une moue dédaigneuse :
— Le rôle d'une famille, c'est justement d'aider l'un de ses membres si celui-ci rencontre des problèmes personnels, contra-t-elle. On n'exclut pas les siens au moment où l'on a le plus besoin d'eux. Non, cela ne lui ressemble pas du tout... Elle n'est pas comme ça, elle est si... responsable ! Le pauvre Jack est persuadé que c'est de sa faute, qu'il a fait quelque chose de mal.
— Et toi, qu'en penses-tu ?
— Je ne sais pas. Pourquoi ne nous a-t-elle rien dit ?
De nouveau, Darcy secoua la tête. Une fois qu'on avait com¬
mencé à se confier, il était difficile de s'arrêter et les émotions
qu'elle avait muselées ces derniers jours refluaient avec violence en
elle. Devant Jack et ses frères, elle se faisait un devoir de
paraître enjouée et optimiste, mais c'était un tel soulagement
de vider son cœur et de cesser de feindre !
— Tu pourras l'interroger à son retour, dit gentiment Reece.
— Oui, mais... quand ?
— Tu n'en as vraiment aucune idée ?
\ — Non. Je fais ce que je peux pour que tout fonctionne comme d'habitude, pour qu'il n'y ait pas de « cassure » brutale...
— Et, par la même occasion, tu te ruines la santé ! remar-
qua-t-il d'un ton réprobateur. Tu sais, Darcy, bien gérer, c'est
savoir déléguer. Je t'assure, tu dois essayer. Et dans ce cas, tu
pourras te permettre d'avoir une vie privée. Et je suis concerné !
acheva-t-il dans un sourire.
Elle le considéra, un peu désorientée. Il semblait dire qu'il
voulait faire partie de sa vie, alors qu'un peu plus tôt, il avait
affirmé ne pas avoir l'intention de s'engager dans une relation
durable.
C'était totalement contradictoire.
— Comment dois-je m'y prendre selon toi ? articula-t-elle
lentement.
— Tout d'abord, dresse la liste de ce que tu as à faire, puis
divise-la en deux.
Darcy ouvrait déjà la bouche pour protester, mais il ne se laissa pas interrompre :
— Ensuite, répartis la moitié des tâches entre tes frères. Et ne me dis pas que tu ne peux pas leur donner d'ordres, parce que je suis bien placé pour savoir que c'est faux ! D'ailleurs, cela me plaît Souvent, je t'admire.
— Et le reste du temps ?
— J'ai envie de t'étrangler !
Darcy dissimula un sourire et s'enquit :
— Et en ce moment, de quel côté penches-tu ?
— Aucun. Je me rends juste compte que cela fait très long-temps que je n'avais pas eu envie de me réveiller aux côtés de quelqu'un.
— Tu ne vas quand même pas prétendre que tu menais une vie de moine jusqu'à présent ?
— Non, non ! En dépit de mon emploi du temps chargé, la sexualité est restée l'un de mes loisirs préférés.
Sa franchise était déconcertante. Si elle avait eu le moindre bon sens, elle serait remontée dans la Land Rover pour repartir sur les chapeaux de roues. Sauf qu'elle en était bien incapable.
— Tu dis cela de manière bien cynique, remarqua-t-elle
— Je sais, c'est un reproche qu'on m'adresse souvent.
— Et tu as toujours envie de m'embrasser ? — Oui, pour commencer.

— Alors, nom d'un chien, qu'est-ce que tu attends ?! explosa,
t-elle.
Sapristi, ce type n'était pas du style à tergiverser ! A peine avait-elle eu le temps de prendre sa respiration — encore moins de changer d'avis ! — qu'il l'enlaçait et l'attirait contre sa bouche, chaude, gourmande, envoûtante, qui entamait une lente exploration de la sienne. Aussitôt, le plaisir se diffusa en elle. Des étoiles explosèrent devant ses yeux et elle s'abandonna, grisée. Reece en profita pour insinuer sa main sous son pull. Avec un soupir, Darcy se raccrocha à lui...
Il sursauta et elle se rejeta en arrière, confuse :
— Ton bras ! Pardon, j'avais oublié.
Il la bâillonna d'un baiser avide qui l'emporta directement au septième siècle. Mon Dieu ! Elle le connaissait depuis à peine quarante-huit heures et, déjà, il l'empêchait de penser normalement ! Que lui arrivait-il ? Après son fiasco retentissant avec Michael, elle avait pourtant redoublé de prudence. C'en était même devenu pathologique, dixit Jennifer.
Qu'aurait pensé sa colocataire de la « nouvelle Darcy », qui se liquéfiait lorsque son amant l'enveloppait d'un regard de braise ?
— Pourquoi lutter ? murmura Reece à son oreille.
Oui, pourquoi ? Quand le désir s'émousserait, chacun retrouverait sa vie d'avant, voilà tout. Car aucune passion n'était vouée à faire long feu. Reece avait toujours partagé cette opinion mais, pour le moment, il n'était pas en mesure d'analyser la situation.
Tenaillé par le désir, il pressa explicitement ses hanches contre celles de Darcy qui gémit.
— Tu veux ? chuchota-t-il.
— Oui, oui !
— Alors nous devrions peut-être... ?
94

Elle hocha la tête avec abandon et, se détachant d'elle, il l'entraîna vers le 4 x 4. Il avait tellement besoin de la posséder qu'il aurait été capable de voler si cela avait été le seul moyen mis à leur disposition pour rejoindre un lit !
95

6.

Il y eut plusieurs chutes de neige dans l'après-midi et, quand Darcy rentra enfin avec son sapin de Noël, la campagne environnante s'était déjà poudrée de blanc.
Elle tapa des pieds pour faire tomber la neige collée à ses semelles, avant de soulever le vieux loquet qui fermait la porte de la cuisine, puis entra en priant pour que la pièce soit déserte. Elle n'éprouvait pas de honte, toutefois elle était tellement déroutée par, ce qui lui arrivait, et en même temps si heureuse, qu'elle n'aurait pas réussi à partager ces sentiments avec les siens. Par conséquent, elle ne voyait pas l'intérêt d'attirer l'attention sur Reece et elle.
Mais, sur ce point précis, les choses démarraient mal.
— Eh bien, ce n'est pas trop tôt ! Où étais-tu passée ?
Toute la famille était assise à la longue table de ferme, hormis, biensur, la mère de Darcy. La jeune femme nota douloureusement cette absence. Elle n'avait jamais eu tant besoin d'elle.
Bravement, elle affronta les regards curieux.
— Oh clare tu es là… tu as fait bon voyage ?
— Au cas ou tu ne l’aurais pas remarqué, il neige, répliqua sa demi sœur d’un ton qui laissait entendre que Darcy portait l’entière
responsabilité du mauvais temps. |

96

« Non, je n'ai rien remarqué parce que j'ai passé l'après-midi à faire l'amour avec un homme beau comme un dieu ! » L'explication aurait-elle suffi à Clare ?
Cette dernière secoua avec impatience sa longue crinière qui lui frôlait la taille. Elle aussi était blonde aux yeux bleus, mais la ressemblance avec Darcy s'arrêtait là.
— Et à peine arrivée, enchaîna Clare d'un ton plaintif, j'ap-prends que ma mère...
— Eh ! C'est aussi la nôtre !
— Tais-toi, Harry ! Pourquoi ne m'a-t-on pas prévenue ?
— Nous ne voulions pas t'affoler, chérie, intervint Jack avec tendresse.
Darcy accrocha son blouson à la patère fixée à la porte, puis secoua les quelques flocons de neige posés sur sa frange.
— Nick, tu n'as pas oublié d'aller chercher la commande à
la ferme ? s'inquiéta-t-elle.
Clare bondit :
— Comment peux-tu te soucier de ça ? On dirait que cela ne te fait rien que maman soit au loin !
— Et que veux-tu que je fasse ? rétorqua Darcy avec colère. Maman est majeure, nous ne pourrons pas la ramener à la mai¬son contre son gré. Il ne nous reste plus qu'à attendre. Geindre toute la journée n'arrangera rien pour personne !
Une expression de stupeur comique se peignit sur les traits de Clare. Darcy, qui élevait rarement la voix, était la première surprise de son brusque éclat Elle le regretta aussitôt. Clare se montrait parfois capricieuse et égoïste, mais elle savait aussi faire preuve de générosité. Elle n'était pas aussi autoritaire qu'elle aimait le faire croire.
D'un gracieux mouvement de la nuque, Clare rejeta sa chevelure sur ses épaules. Darcy n'aurait pas été humaine si elle n'avait envié par moments la beauté spectaculaire de sa cadette. Lorsque Clare pénétrait quelque part, tous les regards
masculins convergeaient vers sa silhouette élancée et son visage d'ange. Elle n'avait en général aucun scrupule à se servir de ses atouts physiques pour obtenir ce qu'elle voulait, néanmoins elle n'avait jamais envisagé d'en faire un gagne-pain. Grâce au soutien indéfectible de ses parents, sa jeune carrière de créatrice de mode était maintenant bien lancée. Clare venait à peine de quitter les Beaux-Arts et, déjà, elle possédait sa propre boutique. Darcy reprit plus calmement :
—Maman nous manque à tous, tu sais.
Du coin de l'œil, elle vit Harry se blottir contre Jack dans une attitude fort peu virile, et cette vision fit monter en elle une
bouffée d'émotion.
— Je sais. Pardonne-moi, soupira Clare. Et cette autre nou¬velle, c'est vrai ou c'est encore Nick qui baratine ?
—Quoi donc ?
—Il paraît que Reece Erskine habite à Walnut Hall et qu'il a pris une douche ici, continua Clare, une note de déférence dans la voix. Mais je ne vois pas comment ce serait possible.
—C'est un gag, n'est-ce pas ?
—Non... hum... c'est vrai. ,
Le visage parfait de Clare s'anima sous l'effet de l'excitation.
—Hein ? Mais comment... ? Oh, après tout peu importe ! C'est fantastique !
—Pourquoi ? dit Darcy, tout à Coup méfiante.
Elle détestait l'idée que sa sublime sœur s'intéresse de près à Reece.
—Mais parce que, nunuche ! s'exclama Clare. Ta l'as invité
à dîner, j'espère ? Non ? Franchement Darcy !
Darcy ferma à demi les yeux. Parler de Reece l'obligeait à revivre les moments passionnés qu'ils venaient de partager. Reece faisant lentement glisser sa langue sur son estomac... son regard
98


de braise la dévorant... les frissons qui la parcouraient... de nouveau , elle avait terriblement envie de le sentir en elle.
— Eh, Darcy ! Tu m'écoutes ?
La voix indignée de sa sœur l'arracha à ses souvenirs éroti-
aues. Atterrée, elle retomba dans le présent. N'avait-elle donc
aucune maîtrise d'elle-même ? Aucune décence ? j^
— Je n'ai pas le temps d'organiser un dîner, Clare...
— J'ai une meilleure idée ! Invitons-le carrément à séjourner à la maison. Oui, pourquoi pas ? Papa dit que Walnut Hall n'est qu'un taudis insalubre. Oui, oui ! ce serait parfait ! s'exclama Clare en battant des mains, avant de se tourner avec agacement vers le couloir où retentissait depuis un moment la sonnerie du téléphone. Quelqu'un va se décider à répondre, oui ou non ?
Jack se leva et posa la main sur l'épaule de Darcy :
— J'y vais, j'y vais.
Charlie, que le sujet commençait visiblement à ennuyer, haussa les épaules et grommela :
— Je ne vois pas pourquoi tu bées d'admiration devant ce type, Clare. Tu ne le connais même pas.
— Parce que, espèce d'ignare, c'est l'un des hommes les plus riches du pays. Il a hérité de son grand-père une fortune qu'il a doublée, ou triplée, je ne sais plus, affirma Claie avec un petit geste de la main.
— Ça explique la Mercedes garée dans le hangar, dit Harry en regardant son jumeau.
— Vous avez été fouiner chez le voisin ? se récria Darcy, indignée.
— Ce n'est pas bien grave. Il n'y avait personne. Nous avons juste vu des livreurs qui apportaient un lit immense ! Du coup, nous avons pensé qu'il avait l'intention de rester.
Darcy, qui sortait précisément de ce lit, s'efforça de prendre un air dégagé. Un échec total Elle devait être rouge brique ! Si Nick la regardait en cet instant, il devinerait tout...
99

— Est-il aussi beau que dans les magazines ? voulut savoir
Clare.
— Je croyais que c'était son argent qui t'intéressait ! se moqua
Harry, qui reçut pour sa peine un regard assassin. J’espère qu'il va tomber raide dingue amoureux de toi et déposer sa fortune à tes pieds, hein ?
— Cela s'est déjà vu, rétorqua Clare sans se démonter.
Le pire, c'est qu'elle avait raison d'être si optimiste. Darcy
imaginait déjà la scène : Reece ébloui par la beauté de Clare, se demandant ce qu'il avait bien pu trouver à son insignifiante sœur au drôle de petit nez. Oh, pourquoi n'avait-elle pas prévu ce revirement évident ?
Harry gloussa de façon ironique et quitta la pièce. Charlie lui emboîta le pas, mais ne put résister à une ultime taquinerie :
— Tu oublies qu'il a peut-être déjà une femme ou une petite
amie, Clare !
Comme la porte se refermait sur les jumeaux, Clare lança avec colère :
— Ces deux-là, ils sont de pire en pire ! Darcy, dis-moi, ce n'est pas vrai, n'est-ce pas ?
— Comment veux-tu que je le sache !
— C'est toi qui le connais le mieux, non ?
Darcy toussota. Elle n'allait tout de même pas prêter main forte à sa sœur qui projetait de séduire son amant.
— Tu as avalé de travers ? Tu veux un verre d'eau ? proposa Nick avec une sollicitude inhabituelle.
— Non, non... Ça va. Tu sais, Clare, il n'a pas évoqué sa vie privée devant moi.
Alors même qu'elle prononçait ces paroles, elle se rendit compte qu'elles étaient on ne peut plus vraies. Bien qu'il Fait longuement questionnée sur sa famille, Reece s'était montré très discret sur la sienne. N'était-ce pas ainsi que se comportaient les hommes mariés ? Peut-être lui mentait-il depuis le début ?

D'une profonde inspiration, Darcy refoula son appréhension. Elle devait cesser de s'angoisser de la sorte. Reece ne se serait pas abaissé à un tel subterfuge. Voyons, il n'en avait nul besoin ! Il cherchait juste à prolonger le plaisir de leur liaison, avant de reprendre le cours normal de sa vie. Rien de plus.
Quoi qu'il advienne, Darcy ne regretterait jamais cette aventure. Elle en garderait précieusement les images enfouies au tréfonds de sa mémoire et les chérirait jusqu'à la fin de ses jours.
— Tu aurais pu le cuisiner un peu. Tu es désespérante !
reprocha Clare.
Ou plutôt désespérément amoureuse,
Darcy eut l'impression de recevoir un immense Coup de poing dans l'estomac, à l'instant où cette vérité naissait dans sa conscience. Tout à coup, les pièces d'un puzzle sidérant se mettaient en place. Elle ouvrit la bouche, la referma, plusieurs fois de suite, tel un poisson jeté hors de l'eau et manquant d'air.
— Je me suis renseigné, annonça Nick, qui gagna aussitôt l'attention de Clare.
— Pourquoi ne le disais-tu pas ? Alors ? Alors ?
— Il est veuf.
— Parfait !
Clare exultait. Elle était trop excitée pour remarquer que Nick ne s'adressait pas à elle mais à Darcy, à qui il jetait des coups d'œil furtifs.
— Clare, voyons ! s'exclama celle-ci, outrée.
— Bien sûr, c'est triste, mais bah ! que veux-tu... Reconnais que c'est une chance inespérée de côtoyer un tel personnage. Et puis, ce n'est pas comme si j'allais l'épouser... sauf s'il me le demande, bien sûr ! acheva Clare dans un éclat de rire.
Comme ni son frère ni sa sœur ne daignaient sourire, elle
haussa les épaules et enchaîna :
— Et quelle publicité si j'étais vue en compagnie de Reece
Erskine, vous imaginez ! C'est exactement le genre de Coup de

pouce qu’il me faut pour lancer définitivement ma marque.Je serais bien bête de ne pas en profiter.
— papa tomberait à la renverse s'il t'entendait, murmura Darcy qui avait peine à croire que sa sœur soit bel et bien sérieuse.
— Il n'en saura rien si tu ne t'empresses pas de le lui dire.
— Effectivement, si tu sors avec un richissime homme d'affaires qui fait souvent la une des médias, ta carrière va décoller, acquiesça Nick.
— Ne l'encourage pas, je t'en prie ! supplia Darcy.
— Néanmoins, l'effet sera nul s'il s'agit de quelqu'un qui évite justement de faire parler de lui. Et je me suis laissé dire que Reece Erskine protégeait à tout prix sa vie privée.
— Bah ! Ce sont des problèmes qui s'arrangent. Il suffit de glisser quelques mots à la bonne personne.
— Tu veux dire... que tu serais prête à divulguer des détails intimes à la presse ? articula Darcy, choquée par le cynisme de sa sœur.
— Ne t'inquiète pas des détails, Darcy. Fais-moi juste
confiance.
Ce commentaire hautain fit flamber la colère en Darcy. Elle éclata:
— Tu es en train de déraper complètement, Clare ! tu n'as même pas rencontré cet homme ! Et il n'est pas question de l'inviter ici, de toute façon. Quand Beth et les enfants seront là, sans parler de Mamie, je t'assure que la maison affichera complet !
— Il suffit de s'organiser. Tu pourras dormir dans le grenier avec tes enfants et, bon, étant donné les circonstances, je partagerai ma chambre avec Mamie.
— Comme c'est généreux de ta part !
— Pourquoi réagis-tu de la sorte ? Ce n'est quand même pas bien sorcier, je ne vois pas pourquoi tu...
102

— En premier lieu, où as-tu pris l’idée que je t’aiderai dans
tes manigance immorales ? Je ne vais certainement pas tremper
dans tout cela !
Clare écarquilla les yeux, stupéfaite par le Coup d'éclat de sa sœur d'ordinaire si calme et posée.
— Mais... mais... pourquoi te mets-tu dans un état pareil ?
Ne trouves-tu pas naturel que je songe à ma carrière ? Papa et
maman ont investi beaucoup d'argent dans mes études, sans
parler de la boutique. Vis-à-vis d'eux, j'ai le devoir de réussir.
Je ne cherche pas à piéger ce type, mais, si je parviens à huiler
quelques rouages en le fréquentant, où est le mal ?
Comme à chaque fois qu'elle était émue, Clare versait dans le pathos : ses grands yeux s'embuaient, sa jolie bouche frémissait. Finalement, une larme parfaite gonfla au coin de sa paupière avant de rouler gracieusement sur sa joue.
Darcy n'ignorait pas que sa sœur, en actrice consommée, savait pleurer sur commande. Mais, comme d'habitude, elle ne supportait pas de voir son ravissant minois afficher cette mine torturée. Depuis l'enfance, leurs querelles se finissaient toujours de la même manière, et ce n'était pas aujourd'hui que cela allait changer : Darcy calmait invariablement le jeu et présentait à Clare des excuses que cette dernière finissait par accepter de bonne grâce.
— Je n'ai peut-être pas tes grands principes, Darcy, mais je
sais m'amuser, moi ! Et je parie que Reece Erskine aussi.
Darcy ne put répondre car, à cet instant, Jack revint dans la cuisine pour annoncer avec un sourire las :
— C'était votre mère. Elle rentre à la maison.
— Oh, Dieu merci ! souffla Darcy en fermant les yeux.
Clare se jeta dans les bras de son père en pleurant de bonheur,
tandis que Nick, un sourire imbécile sur les lèvres, assénait une
virile dans le dos de Jack |
D'une voix enrouée, Darcy demanda :

— A-t-elle expliqué pourquoi... ?
— Non, mais elle a dit qu'elle voulait nous parler, expliqua Jack. C'est bon signe, non ?
— Oui, acquiesça Darcy avec une assurance qu'elle était loin d'éprouver.
— Elle arrivera demain matin.
— Bien, je... je vais préparer le sapin ! annonça Darcy en se détournant vivement.
Elle en était à un stade où il devenait difficile de cacher ses larmes, tant l'émotion et le soulagement étaient forts. Mieux valait s'occuper les mains et penser à autre chose.
Elle était en train d'extirper l'arbre hors de la Land Rover quand Nick la rejoignit.
— Bonne nouvelle, hein ? lança-t-il, sans faire de commen¬taire sur les yeux rougis de sa sœur.
— Excellente !
— Enfin, je continue à croiser les doigts. On ne sait jamais.
— Sage précaution, opina Darcy avec un sourire crispé.
— Pour ce qui est de Clare...
— Je ne tiens pas à parler d'elle.
— Tu sais qu'elle ne pense pas la moitié de ce qu'elle raconte.
— L'autre moitié suffit à me révolter.
— Depuis quelques mois, sa boutique ne marche plus aussi bien. Je ne connais pas tous les détails, mais je sais qu'elle se fait du souci.
— Ah bon ? Je l'ignorais, dit Darcy, décontenancée et immédiatement radoucie.
— Je le sais seulement parce qu'elle était dans tous ses états l'autre jour, quand je suis passé chez elle. Cela éclaire un peu son attitude aujourd'hui.
— Tu crois qu'elle serait capable de...

— De coucher pour servir ses intérêts ? Non, je ne pense pas.
Darcy était maintenant déchirée. Elle aurait dû compatir aux soucis de sa sœur, cependant elle ne pouvait envisager avec sérénité que celle-ci trouve une solution dans le lit de son amant ! La jalousie était un vilain défaut...
— Tu peux me donner un Coup de main ? pria-t-elle en désignant le sapin couché par terre.
— Bien sûr. Tu n'as qu'à demander. Les jumeaux ne sont jamais dans les parages quand on a besoin d'eux, bien entendu.
— Mais toujours dans nos pattes dans le cas contraire !
Ils saisirent chacun une extrémité de l'arbre pour le soulever.
Ils étaient parvenus au milieu de l'allée quand Nick s'arrêta brusquement pour poser son fardeau, comme s'il venait de prendre une décision.
— Je n'ai pas dit à Clare tout ce que j'ai appris sur Erskine.
— Et que tu tiens d'une source fiable, j'imagine ?
— Toutes ces informations sont publiques. Ça t'intéresse ?
En dépit de sa curiosité brûlante, Darcy affecta une nonchalance
détachée et répondit d'un haussement d'épaules.
— Ah bon, dit Nick en se penchant de nouveau. C'était juste
pour parler...
— Si, ça m'intéresse !
Souriant, il se redressa.
— Apparemment, il a épousé son amour de jeunesse. Elle
est morte il y a cinq ans, le jour de Noël.
Darcy hocha la tête en silence. Tout s'expliquait La morosité de Reece, sa haine de Noël... Chaque année à cette période, le souvenir atroce de cet événement tragique revenait le hanter
— Et par-dessus le marché, elle était enceinte, ajouta Nick.

105

— Oh non ! Que s'est-il passé ?
— Un motard s'amusait à faire du rodéo sur le trottoir, au moment où ils sont sortis de l'église où ils venaient d'entendre la messe de minuit. Ils se tenaient par la main au milieu de la foule quand elle a été fauchée, mais lui n'a rien eu.'
Darcy, dont les yeux s'emplirent de larmes, était horrifiée. Comment concevoir une souffrance aussi terrible ? On ne devait jamais se remettre d'une telle injustice.
D'une voix blanche, elle murmura :
— Alors... il l'a vue mourir ?
— Elle est morte sur le coup, mais il a tenté de la ranimer. Les témoins ra******* que, quand les secours sont arrivés sur les lieux, il a fallu cinq personnes pour l'arracher au corps de sa femme. Mais je sais également qu'une semaine plus tard, la veille de la Saint-Sylvestre, il a négocié le plus gros contrat de toute sa carrière. Ça donné à réfléchir, non ?
— Que veux-tu dire ?
— Tout veuf éploré qu'il soit, il n'en perd pas le sens des affaires, apparemment. Le personnage me paraît peu recommandable.
— C'est à Clare que tu devrais dire ça, protesta-t-elle mol-lement.
— Clare se croit plus irrésistible qu'elle n'est.
— Tu dis ça parce que tu es son frère.
Elle s'était exprimée avec une certaine aigreur. La jalousie lui mordait le cœur. Reece n'était pas le frère de Clare, lui !
Darcy coinça une mèche de cheveux derrière son oreille et se recula pour juger de l'effet rendu : le sapin scintillait de mille feux. Elle entendit la porte du séjour s'ouvrir dans son dos et, sans se retourner, demanda :

_ Tu veux bien éteindre la lumière ? Voilà... Qu'en penses-
tu ? il est un peu de travers, non ?
— Cela lui donne du caractère, répondit une voix familière.
Darcy sursauta et laissa tomber la boule dorée qu'elle tenait à la main. Elle pivota. Aussitôt, sa température corporelle parut grimper de plusieurs degrés.
— Que fais-tu ici ?
— Quel accueil chaleureux ! C'est celui que tu réserves à tous tes amants ?
— Chut ! siffla-t-elle, l'index sur les lèvres. Quelqu'un va t'entendre !
Il esquissa une moue éloquente, avec le dédain de quelqu'un qui n'a jamais craint l'opinion d'autrui. Puis, il s'empara de la main de Darcy et y déposa un baiser qui suffit à l'étourdir. Elle s'en voulut de sa propre faiblesse. Comment s'y prenait-il pour la mettre dans des états pareils avec des gestes aussi anodins ?
Reece lui chatouilla la paume du bout de la langue et eut l'intense satisfaction de la sentir frissonner.
— Comment es-tu venu ? s'enquit-elle.
— Le plus normalement du monde. J'ai frappé à la porte d'entrée et j'ai suivi les indications qu'on m'a aimablement données.
— Qui?
— Un des jumeaux, mais lequel ? J'avoue que je les con-fonds.
— Ah... Je pensais que c'était peut-être Clare qui était allée te chercher.
— Je suis venu de mon propre chef. Qui est Clare ?
— Ma sœur.
— Grande, blonde, opiniâtre ?
Il oubliait « sublime », ce qui était plutôt galant de sa part.
—Je vois que vous avez fait connaissance.
107

— Pas vraiment. Je l'ai juste aperçue par la fenêtre quand elle est venue frapper à la porte de Walnut Hall.
— Il n'y a pas de porte là-bas...
— « Maintenant» si. J'ai passé quelques coups de fil et des ouvriers sont venus apporter quelques aménagements indispen-sables. J'ai également l'électricité. Autant avoir un minimum de confort.
— Pourquoi ne lui as-tu pas ouvert ? interrogea-t-elle un peu brutalement.
— Je tiens à ma chère solitude, ne l'oublie pas.
Darcy savait désormais à quels souvenirs tenaces il tentait d'échapper, des souvenirs dont on se débarrassait bien moins aisément que des personnes de chair et d'os. Toutefois, elle n'avait pas l'intention d'aborder la question. S'il avait choisi de ne pas s'épancher, c'était son droit.
— Tu fuis les gens et Noël... Pourtant, regarde, dit-elle en désignant le sapin illuminé. Nous sommes en plein dedans et j'appartiens à l'espèce humaine.
— Toi, c'est différent.
Elle retint son souffle. Cela ne voulait rien dire, bien entendu. La seule femme qui ait compté aux yeux de Reece avait disparu pour toujours.
Darcy s'était promise de ne pas tomber dans le piège, de ne jamais rien espérer de lui, et surtout pas de l'amour. En son absence, c'était facile. Mais là, face à lui... c'était presque intolérable !
Pourtant, il n'y avait pas d'alternative.
— Que fais-tu ici, Reece ?
Une lueur inquiète passa dans son regard avant qu'il ne répète :
— Ici ? Tu veux dire dans cette pièce ? Ou dans ton lit ? Dans ta vie ? Que se passe-t-il, Darcy ?
— Rien...

— Alors pourquoi refuses-tu de me regarder ?
Il la saisit par le menton, scruta son visage pendant quelques secondes interminables, avant d'affirmer à mi-voix :
— Tu sais, pour Joanne. Quelqu'un t'a mise au courant.
Il était intuitif.
Joanne. C'était donc ainsi qu'elle s'appelait.
— Oui, c'est Nick qui m'en a parlé, admit-elle. Reece, je
suis tellement désolée...
| — Et maintenant, tu vas vouloir me consoler, essayer de me faire oublier, c'est ça ?
Le ton sec la fit frémir. Elle pouvait presque voir les bar-rières se dresser entre eux. Il fallait faire quelque chose, sinon il se rétracterait dans sa coquille de souffrance pour se mettre hors d'atteinte.
Selon son inspiration, elle improvisa :
— Pourquoi le voudrais-je ? Tu n'oublieras jamais, c'est évident. Et je suis sûre que tu as des souvenirs très précieux. En fait, je... j'hésite à m'attacher à quelqu'un qui...
— ... qui traîne autant de casseroles ?
Elle réprima une grimace. Pouvait-il la croire à ce point égocentrique et superficielle ?
— Reece...
— Inutile de t'excuser, tu es franche et j'apprécie cela. En fait, ce que tu me dis me soulage beaucoup. Je craignais que tu sois le genre de fille qui cherche à tout prix à se caser, à se marier pour avoir des enfants. Le schéma classique, quoi.
Darcy partit d'un grand rire.
— Moi ? Oh, c'est trop drôle ! Non, vraiment, ce n’est pas
à l'ordre du jour !
— En général, on ne prévoit pas ce genre de choses, elles surviennent au moment où l'on s'y attend le moins.
— C'est ce qui s'est produit avec ta femme ? Je ne veux pas me montrer indiscrète, mais...

— Jo et moi, nous avons grandi ensemble. Nos parents étaient amis et inséparables. Elle m'a demandé en mariage à sept ans. La fois suivante, c'est moi qui me suis déclaré, se souvint-il, le regard vague, les traits adoucis. Nous avons connu l'amour fou. Aussi, tu vois, Darcy, je te conseille de rester sur le qui-vive. Je comprends que tu souhaites privilégier ta carrière pour le moment, mais ce serait trop bête d'avoir des œillères et de rater la chance d'une vie.
— tu penses donc qu'un amour comme celui-ci n'arrive qu'une fois dans l'existence ?
— Je ne le pense pas, J'en suis sûr.
Les pensées de Darcy dérivèrent sur Jack et sa mère. Ils ne formaient peut-être pas le couple le plus parfait au monde ces jours-ci, mais elle ne doutait pas une seconde de l'amour profond qu'ils se portaient mutuellement. Et pourtant, chacun d'eux avait été marié auparavant.
— Tu es en train de me dire que, pour toi... le grand amour est…
— Cette période de ma vie est révolue, acheva-t-il avec
brusquerie. Cela ne signifie pas que je souhaite mener une vie de
moine. Il reste d'autres plaisirs, Dieu merci !
— Et cela te suffit ? — Oui.
— Eh bien, moi, cela ne me suffit pas, Reece.
C'était un vrai soulagement de pouvoir abandonner ce masque d'indifférence. Même si une toute petite partie d'elle-même était tentée de se *******er de ce qu'il lui offrait. Mais on ne modifie pas sa nature profonde et Darcy savait que, sur le long terme, elle s'infligerait trop de souffrances.
S'il pensait vraiment ce qu'il disait, Reece se condamnait à un avenir bien lugubre dans lequel elle ne convoitait aucun rôle. Elle se refusait à n'être pour lui qu'une distraction passagère destinée à remplir un peu le grand vide de son existence.
110
Mais comment aider quelqu'un qui refuse de saisir la main
que vous lui tendez
— Je croyais que tu voulais juste t'amuser, que tu ne songeais pas à l'avenir ? s'étonna-t-il.
— Je cherchais à m'en convaincre. Mais je sais que c'est
faux.
— Changerais-tu d'avis si nous décidions de donner à notre
relation un caractère exclusif ?
— Tu veux dire que tu t'engagerais à me rester fidèle ?
— Je veux dire que nous nous y engagerions.
— Quel immense sacrifice ! commenta-t-elle, sarcastique.
Que s'imaginait-il donc ? Qu'elle collectionnait les hommes
comme autant de trophées ?
— Qu'est-ce qui te gêne, alors ? insista-t-il. Tu as peur que je sois un écorché vif, traumatisé par le drame que j'ai vécu ?
— En tout cas, ta vie professionnelle n'en a pas pâti, à ce qu'il paraît.
— Je vois que Nick t'a bien renseignée.
— Il m'a dit que tu n'avais pris aucun temps de répit après... après l'accident.
— Tu le formules avec tact. Une certaine presse ne m'a jamais pardonné de l'avoir spoliée d'une histoire bien crous-tillante quand j'ai refusé de m'effondrer en public. Je ne suis pas à l'aise dans le rôle du héros de tragédie. Après la mort de Joanne, les journaux se sont déchaînés. Les gens ont une telle curiosité malsaine envers les personnalités ! Comme je m'obstinais à tenir les journalistes à l'écart, ils se sont vengés en interviewant chaque personne à qui j'avais pu dire bonjour, en publiant l'opinion d'experts en psychologie sur le processus de deuil, etc.
En dépit du ton neutre qu'il employait, Darcy sentait sa douleur, profonde, immuable. Il avait dû vivre l'enfer en voyant sa vie privée ainsi disséquée et analysée sur la place publique.

— Et, quand tu travaillais, tu ne pensais pas, déduisit-elle simplement.
— En théorie. Cela ne marchait pas toujours. Puis il la considéra un moment, avant d'ajouter :
— Accepte de dîner avec moi ce soir, Darcy. Nous conti-nuerons de discuter.
— Non, Reece. C'est impossible.
— Pourquoi ?
— Je... hum, j'ai beaucoup à faire.
— Tu vas bien prendre un moment pour manger ?
— Et puis, Clare vient juste de rentrer...
Il l'interrompit avec impatience, en jetant un Coup d'œil à sa montre :
— Ecoute, j'ai réservé une table pour 20 h 30. Cela te donne
à peine vingt minutes pour te préparer.
Elle se braqua :
— Tu attends toujours que les gens obéissent à tes ordres ?
Une lueur amusée passa dans son regard vert. Darcy ne put
s'empêcher de penser que c'était précisément parce qu'elle lui résistait qu'elle l'attirait autant. La poursuite et la capture de la proie le divertissaient. Mais, une fois son instinct de chasseur assouvi, il perdrait vite tout intérêt pour elle.
— Dix-neuf minutes, annonça-t-il, les yeux rivés au cadran
de sa montre.
— Je n'aime pas beaucoup les ultimatums. De toute façon, tu ne peux pas conduire avec ton bras, et j'ai promis aux jumeaux de leur laisser la voiture ce soir.
— Bien essayé, mais j'ai engagé un chauffeur.
— Vraiment ? Il doit trouver plutôt bizarre que son patron habite dans une maison délabrée.
— J'avoue que je ne lui ai pas posé la question. Tu sais bien qu'on pardonne aux riches leurs excentricités, rétorqua-t-il sans s'émouvoir.

—Toujours aussi cynique !
—Que cela te plaise ou non, c'est ainsi que fonctionne le monde. Alors ? J'attends toujours ta réponse.
— Le sapin...
— va s'écrouler si tu ajoutes quoi que ce soit dessus ! Et j'ai très faim. Au cas où tu l'aurais oublié, tu m'as privé de déjeuner, ce midi. Mais ne va pas croire que je m'en plaigne ! S’empressa-t-il d'ajouter avec un sourire diabolique.
Il s'approcha d'un pas. Darcy sentit ses joues s'enflammer. Son corps tout entier la brûlait. Sa résistance faiblissait rapidement. Il n'y avait qu'un moyen de se sortir de là : lui lancer à la figure qu'elle était tombée amoureuse de lui. Il fuirait à toutes jambes. Mais, dans ce cas, elle perdrait le peu qui lui restait de fierté...
Un bruit dans le couloir la sauva de ce dilemme : le cliquetis des talons hauts que portait Clare en toutes circonstances. La porte s'ouvrit.
— Darcy, je... Oh, pardon ! Je ne savais pas que nous avions
de la visite.
Bien sûr, ironisa Darcy en son for intérieur, en voyant Clare fein-
dre la confusion et resserrer sur ses épaules le cache-cœur de soie
translucide qui ne dissimulait absolument rien de son anatomie,
à tel point qu'elle aurait aussi bien fait de ne rien mettre du tout.
Une serviette de bain glissant au moment opportun aurait été aussi
efficace.
— Reece pouvait se rincer l'œil à loisœ#
C’était le moment que Darcy avait tant redouté inconsciemment.¬
Reece salua d'un signe de tête Clare qui lui adressa son sourire le plus éclatant.
— Vous devez être Claire ? Parfait, vous allez me tenir compagnie pendant que Darcy va se changer. Elle a sauté le dejeuner par ma faute aussi l’ai-je invitée à dîner pour me faire Pardonner, expliqua-t-il tranquillement.

Sur ces entrefaites, Nick apparut dans l'encadrement de la porte.
— Ah, vous êtes là !
— Tu vas sans doute dire que tu ignorais que nous avions de la compagnie, toi aussi ? lança Darcy avec un soupir exaspéré.
— Non. Charlie vient de me dire que Reece était venu te bécoter, répliqua-t-il en choisissant une pomme dans la coupe à fruits.
—Quoi?
Reece s'éclaircit la voix :
— Il m'a demandé si j'avais l'intention de t'embrasser. Je n'allais pas lui mentir.
— Mais si !
Nick, sans cesser de polir sa pomme contre sa manche, fit remarquer :
— Je suppose que tu es au courant que ta chemise est com-plétem transparente, Clare ?
Cette dernière secoua la tête comme si elle émergeait d'une transe et bredouilla quelques mots sans suite, avant de quitter la pièce à grandes enjambées rageuses.
— J'ai dit quelque chose qui lui a déplu ? S’enquit Nick
innocemment.
Sans laisser à Darcy le temps de répondre, Reece déclara :
— J'emmène votre sœur dîner au restaurant.
— Très bien. Tant que vous ne l'emmenez pas faire un tour en voiture...
— Oh, Nick ! Je suis une grande fille, tu n'as pas à me surveiller !
— A voir, objecta Nick en s'éloignant avec nonchalance.
Reece attendit que la porte se soit refermée pour interroger
Darcy :
— A quoi faisait-il allusion ?
— A ma récente aventure avec un homme qui a juste omis de me préciser qu'il était marié. Je pensais qu'il m'aimait sin-cèrement, qu'il voulait m'épouser, mais il cherchait juste une maîtresse. Cela te rappelle quelque chose ?
Une expression irritée passa sur le visage de Reece.
— Tu le vois encore ? demanda-t-il brutalement
— Qui?
— Ce type, celui qui est marié.
— Bien sûr que non ! Pour qui me prends-tu ? Tu es aussi dénaturé que lui !
— Pas du tout Je ne t'ai jamais menti. Je ne t'ai jamais dit que je voulais me marier.
« Et tu n'es pas non plus tombé amoureux de moi », se désola-t-elle en silence, avant de rétorquer :
— Peut-être, mais tu m'as implicitement demandé d'être ta maîtresse. Pas en ces termes, mais cela ne change pas grand-chose.
— C'est donc cela que tu veux ? Te faire passer la bague au doigt?
— Oh non ! Je me *******erais de bien moins.
— C'est-à-dire ? |
— Un amour sincère.
Elle vit sa poitrine se gonfler soudainement.
— Tu sais bien..., commença-t-il.
— Je sais que tu aimais ta femme et que tu n'aimeras plus personne d'autre, du moins c'est ce que tu te dis aujourd'hui. Eh bien, moi, je pense qu'en vérité, tu as trop peur pour regarder vers l'avenir, et qu'en conséquence tu restes obstinément fixé sur le passé.
— Oh, vraiment ? Tu en sais des choses !
— Je sais que je t'aime, dit-elle tristement, il se figea et plusi- eur secondes pesantes passèrent dans le silence le plus complet.

Puis, sans prévenir, il tourna les talons et sortit, la plantant là au pied du sapin.
Darcy réussit à atteindre sa chambre avant de fondre en larmes. Ses sanglots désespérés furent interrompus un peu plus tard par l'arrivée de sa sœur qui entrebâilla la porte.
— Va-t'en, Clare ! Fiche-moi la paix ! gronda Darcy, le nez dans l'oreiller.
— Tu ne t'habilles pas pour sortir ?
— Le dîner est annulé.
— Je voulais t'expliquer... Je sais que j'ai l'air de me conduire bizarrement, mais j'ai eu un entretien désastreux avec mon banquier... Je ne savais pas que Reece et toi...
— Il n'y a rien entre Reece et moi ! cria Darcy d'une voix aiguë.
— Mais... tu pleures ?
Clare vint s'asseoir sur le matelas et jeta ses bras autour de sa sœur.
— Darcy, non ! Je t'en prie, il n'en vaut pas la peine !
Mais, si Darcy avait pu s'en persuader, elle aurait beaucoup
moins souffert.











116


7.

— Ça suffit, j’y vais !
Darcy retint sa sœur par le bras.
— Non, Clare ! Papa et maman ont besoin d'être seuls pour discuter.
— Cela fait une heure qu'ils parlent ! Combien de temps cela va-t-il durer ? Je n'en peux plus, je veux savoir ce qui se passe !
Leurs frères émirent un murmure d'assentiment Darcy soupira :
— Bon, comme vous voudrez...
Nick posa la main sur la poignée de la porte du salon où leurs parents s'étaient retranchés depuis le retour de Cathy Alexander, tôt ce matin-là. Comme Darcy haussait les épaules, il ouvrit le battant Les jumeaux et Clare poussant derrière, Darcy se retrouva propulsée en avant, tandis que les autres s'immobilisèrent sur le seuil, penauds.
—Entiez, entrez, leur intima Jack.
Darcy dévisagea ses parents et sentit le soulagement l'envahir. Jusqu'à cet instant, elle n'avait pas mesuré l'étendue de son anxiété. Mais tout allait s'arranger, maintenant. Jack avait l’air un peu ahuri, mais plutôt comme quelqu'un qui vient de gagner le gros lot, certainement pas comme un homme à qui son épouse vient de signer la fin de leur union. Quant à Cathy... elle rayonnait !

117

—Votre mère a une nouvelle merveilleuse à vous annon-
cer.
— Jack, ils ne vont peut-être pas trouver cela merveilleux,
tempéra Cathy.
— Bien sûr que si, voyons ! Les enfants, votre mère va avoir
un bébé.
Un silence stupéfait retomba dans la pièce. Puis Nick
bégaya :
— C'est... c'est une plaisanterie ?
— Pas du tout, répondit Cathy. Et j'ai été la première surprise, crois-moi, Nick. Il m'a fallu un certain temps pour m'habituer à cette idée. Je sais que cela va occasionner beaucoup de changements, ajouta-t-elle en glissant un regard contrit vers son mari.
— Maman, je croyais que tu avais passé l'âge de pouponner !
Harry décocha un Coup de pied dans le tibia de Charlie et riposta :
— Elle n'a que quarante-sept ans, crétin !
Clare fut finalement la première à reprendre ses esprits. Elle se précipita vers sa mère pour la serrer dans ses bras. Oh, c'est génial ! s'exclama-t-elle, pleine de fougue.
— En tout cas, je suis soulagé ! avoua Nick en réagissant
à son tour.
Cathy Alexander tourna la tête vers Darcy.
— Et toi, ma chérie, qu'en penses-tu ?
— Ce que j'en pense...
Darcy comprit tout à Coup que Clare, pour une fois, avait vu juste du premier Coup : leur mère, très embarrassée par la situation, avait besoin de leur approbation.

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— Elle veut dire qu'elle est folle de joie ! intervint Nick, en lui
assénant sur l'épaule une claque qui faillit la déséquilibrer.
Darcy se frotta machinalement l'omoplate, consciente qu'elle souriait comme une imbécile heureuse.
— Maman, je suis si *******e que tu sois revenue ! Maintenant, explique-nous ce qu'a dit le médecin ?
— Il va te falloir un hôpital où l'on propose les techniques de soins les plus modernes ! décréta Clare.
— A cause de mon âge ?
— Non, à cause de l'anesthésie. En ce qui me concerne, pas question d'accoucher sans péridurale ! Et surtout, ne va pas écouter Beth à propos de l'accouchement naturel et toutes ces âneries. N'oublie pas que c'est elle qui a donné naissance à Ryan à l'arrière de la Land Rover !
Darcy écarquilla les yeux de surprise.
— Eh bien, Clare ! Je ne savais pas que tu t'intéressais à ces choses, observa-t-elle.
— Ce n'est pas parce que ma carrière compte à mes yeux que je n'aime pas les enfants. J'en aurai moi aussi, quand le moment sera venu.
Darcy hocha la tête en silence. Elle se rendait compte qu'elle avait un peu vite catalogué sa sœur.'
Puis, comme la discussion dérivait sur les diverses techniques d'accouchement sans douleur, échographies, épisiotomies et autres prouesses médicales, les quatre hommes, le teint rouge brique, se hâtèrent de déguerpir.
Dans l'ascenseur, un haut-parleur diffusait une musique hor-ripilante. Patiemment, Reece attendit que la cabine atteigne le rez-de-chaussée. Il avait loué la suite située au dernier étage de l'hôtel - la plus luxueuse -, ce qui l'obligeait à subir cette
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cacophonie plus longtemps que tout le monde. Mais bon, il n'allait pas se plaindre.
Une fois dans le hall de réception, il fut tout de suite alpagué par le directeur :
— J'espère que tout est à votre convenance, monsieur...
— Oui, oui, c'est parfait ! opina Reece sans ralentir l'allure.
— Et votre femme, est-elle satisfaite de... Cette fois, Reece pila net.
— Je ne suis pas marié !
Etait-ce une impression, ou sa propre voix sonnait-elle de plus en plus faux quand il prononçait ces mots ? C'était sans doute à force de se répéter devant tous ces gens dubitatifs. Il avait eu un Coup de téléphone de sa mère, puis de sa sœur, et le reste de la famille n'aurait pas manqué de suivre s'il n'avait donné l'ordre au standard de ne plus lui transmettre aucun appel.
Ces conversations l'avaient exaspéré. Il avait enduré des commentaires acerbes, on lui avait reproché de ne pas avoir présenté sa fiancée à la famille et d'avoir spolié ses parents d'une cérémonie émouvante. Mais, lorsqu'il avait réussi à clamer que cette histoire de mariage n'était que pure invention de la part de la presse à scandale, il n'avait entendu que soupirs de déception et exclamations désolées à l'autre bout du fil.
Cela lui apprendrait à tomber dans la sensiblerie ! La pro-chaine fois, il se garderait bien de spécifier aux siens dans quel hôtel il était descendu.
Le malheureux directeur de l'hôtel s'était pétrifié. Rouge de confusion, il glissa un œil vers la poche du veston de Reece, d'où dépassait le journal acheté un peu plus tôt dans la matinée. Le gros titre racoleur en cinquième page s'inscrivait encore en lettres brûlantes dans la mémoire de Reece :
MARIAGE SECRET DU MILLIARDAIRE REECE ERSKINE !
LES TOURTEREAUX VICTIMES D'UN ACCIDENT
EN PLEINE LUNE DE MIEL !

Maugréant, Reece reprit sa marche et franchit la porte à tourniquet Sa Mercedes de location l'attendait le long du trottoir comme il Pavait demandé.
— Où voulez-vous aller, patron ? s'enquit le chauffeur.
— Je vais conduire, Andy.
— Mais... votre bras ?
— Mon bras va parfaitement bien, merci.
— Bon, si vous le dites...
— Prenez un jour de congé pour Noël ! lança Reece avant de démarrer en trombe.
Sur la nationale, il emprunta tout de suite la voie rapide et n'en dégagea plus. Pied au plancher, il enrageait après Darcy. Ah, elle ne perdait rien pour attendre, cette petite hypocrite !
Il lui était déjà arrivé qu'un prétendu ami fasse des révé-lations le concernant aux journalistes. C'est ce qui s'était produit un an plus tôt, avec cette fille qui s'était répandue dans la presse pour se venger après qu'il eut rompu. Reece ne s'en était pas soucié outre mesuré. Mais là, c'était différent Il avait eu foi en ces grands yeux bleus. Bon sang, il l'avait même crue quand elle lui avait dit qu'elle était amoureuse de lui ! Depuis, il n'avait cessé d'y penser. Et voilà qu'en définitive, Darcy se révélait pareille à ces ambitieuses qui cherchent juste à se faire mousser ou à gagner de l'argent avec une bonne anecdote !
A moins qu'elle n'ait espéré, d'une manière ou d'une autre, le contraindre à l'épouser ?
Quoi qu'il en soit, elle allait le payer cher !
— Je ne vois pas pourquoi on en fait toute une affaire De mon temps, de nombreuses femmes tombaient enceintes à quarante ans passés.
121

—Je sais, mamie.
Darcy s'en tint prudemment là. Ce n'était pas vraiment le moment de faire remarquer qu'à cette époque, la morta¬lité infantile et maternelle n'était certes pas négligeable. Et puis, quand sa grand-mère était d'humeur nostalgique, mieux valait la laisser ressasser ses souvenirs sans en interrompre le cours.
— Si quelqu'un avait daigné me demander mon avis... Mais bien sûr, cela n'intéresse personne !
— Le petit Jamie a grandi, tu vas voir, tu ne vas pas en croire tes yeux !
— Ni mes oreilles, je suppose. J’ai dit et redit à la fille de Jack qu'elle ne devait pas le prendre dans ses bras chaque fois qu'il pleurait, qu'elle s'en mordrait les doigts aussi sûrement que deux et deux font quatre... Eh bien, voilà le résultat ! La dernière fois que je l'ai vue, elle avait l’air d'un fantôme, la pauvre créature.
— Je pense qu'elle a récupéré, car elle m'a paru en pleine forme aujourd'hui, objecta Darcy, agacée. Et Jamie est un amour. Arrête donc de ronchonner, mamie. C'est Noël !
Son aïeule, toujours bon pied bon œil à soixante-treize ans, renifla avec hauteur.
— De mon temps, je n'aurais jamais osé m'adresser à mes
aînés de cette façon, ma petite. Tu as toujours eu la langue trop
bien pendue.
Un peu plus tôt ce matin-là, à l'arrivée de mamie Prudence, toute la famille s'était réunie dans le salon pour la saluer, excepte le petit Jamie qui faisait la sieste. Les retrouvailles s'étaient déroulées comme d'habitude, dans une ambiance mi-figue mi-raisin. Secrètement enchantée, mamie Prudence avait déclare que le décor de Noël était « trop clinquant, cette année », avant de vexer Nick en prétendant que son front se dégarnissait.



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Mamie serait toujours mamie ! Avec un soupir résigné, Darcy se dirigea vers la porte. Sa mère l'intercepta pour lui murmurer :
— Tu as de la visite, Darcy. Un monsieur te demande. Je l'ai fait patienter dans la cuisine. lr
— Quoi ? s'écria Darcy dans un sursaut.
Consciente de l'étonnement de sa mère, elle se sentit rougir et, pour se donner une contenance, lissa machinalement son pull. Un peu de sang-froid, que diable ! Des tas de gens avaient des peines de cœur sans pour autant sombrer dans la bizarrerie. Seuls les faibles se roulaient en boule dans un coin pour se lamenter sur leur triste sort...
D'ailleurs, qui disait que ce visiteur était Reece ? Et quand bien même, cela ne signifiait rien. Il avait pu venir pour... pour... pour une multitude de raisons qui, à l'instant présent, lui échappaient obstinément. En tout cas, ce n'était pas parce qu'il s'était subitement aperçu qu'il ne pouvait vivre sans elle.
— Qui est-ce ? demanda-t-elle avec détachement.
— Reece Erskine, le voisin.
— Que veut-il?!
— C'est plutôt à toi de me le dire, chérie.
Darcy n'insista pas. Sa mère avait toujours lu en elle comme dans un livre ouvert.
— Bon, eh bien... Je vais peut-être... Ou plutôt, dis-lui que
je me suis absentée... Hum, non, bien sûr, tu ne vas pas faire
Ça. Bon, dans la cuisine, tu m'as dit ? Je... j'y vais.
Darcy se hâta de disparaître avant que sa mère intriguée n'ait le temeps de lui poser d’embarrasantes questions.

Elle prit le temps de se calmer pour ne pas avoir l'air d'une mystérique face à lui. Néanmoins, ses exorcises respiratoires ne l’avait pas préparée à la vue de Reece, vêtu d'un superbe costume gris anthracite à la coupe impeccable, à quatre pattes au mileu de la cuisine, portant le petit Jamie sur son dos.

Elle le connaissait depuis... quoi ? A peine quarante-huit heures, et pourtant ce spectacle éveilla en elle un regret lancinant. Reece possédait ce charme terrien et viril qui s'imposait au premier regard. C'était sans hésitation l'homme le plus séduisant qu'elle eût jamais rencontré. Et le voir jouer avec un enfant la bouleversait
Tout excité, Jamie agrippa une poignée de cheveux bruns dans son poing dodu et ordonna à sa monture de stopper. Reece se laissa tomber à plat ventre, se redressa d'une volte-face et, bras tendus, souleva le petit bonhomme qui couina de joie. Darcy faillit lui crier de faire attention à son bras, mais elle n'en eut pas le loisir : il s'était tourné et son regard croisa le sien.
En une seconde, tous les espoirs de Darcy s'évaporèrent Le monde devint un chaos sombre et confus. Pourquoi cette colère ? Pourquoi ce mépris ?
— Bonjour, Reece... Ton épaule va mieux ?
— Tout est rentré dans l'ordre, oui.
— Viens jouer avec nous, tata Dada !
— Pas maintenant, Jamie. Mamie est arrivée, tu ne veux pas lui dire bonjour ?
— Est-ce qu'elle m'a apporté un cadeau ?
— C'est bien possible. Je l'ai vue en donner un à Ryan tout à l'heure.
Jamie se mit à se tortiller dans les bras de Reece. Dès que ses pieds touchèrent le sol, il se rua hors de la cuisine. Un silence électrique retomba. Avec une grande concentration, Reece reboutonna sa veste, avant d'envelopper Darcy d'un regard froid.
— J'ai vu que ta mère était rentrée. Tu dois être soulagée.
— Oui, mais... Pardonne-moi, Reece, j'ai du mal à comprendre ce que tu viens faire ici. Je suis certes *******e de...
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— Comme si tu ne le savais pas !
Elle fronça les sourcils.
— Non, je n'en ai aucune idée.
— Mensonge ! Ne crois pas m'abuser. Ce que je ne sais pas, en revanche, c'est ce que tu espérais en retirer.
— De quoi parlés-tu ?
— Tu veux la jouer de cette manière ? Comme tu voudras, ma petite !
Quelque chose se fêla en Darcy. C'était cet homme dont elle était tombée amoureuse, celui à qui elle n'avait cessé de penser depuis leur séparation. Le son de sa voix lui donnait la chair de poule et, d'un seul regard, il pouvait la paralyser. Pourtant, il était là, devant elle, le regard empli de dédain, et il lui parlait comme si elle était sa pire ennemie.
Ce n'était quand même pas parce qu'elle avait osé loi avouer qu'elle l'aimait ? Il l'avait suffisamment punie en la quittant sur-le-champ. Et, à moins qu'il ne considère cet amour comme une trahison, elle avait la conscience parfaitement tranquille.
— Je te prie de ne pas me parler sur ce ton, Reece.
—- Ah oui ? Et à quoi t'attendais-tu donc après avoir raconté ce ramassis d'inepties dans ce torchon ?
Il avait tiré de sa poche un journal plié en deux et froissé qu'il agita sous son nez.
— J'imagine que tu as déjà fait encadrer ton exemplaire !
railla-t-il.
Posément, Darcy croisa les bras sur sa poitrine.
— Si tu continues à parler par énigmes, nous n'irons pas bien loin, rétorqua-t-elle. Et ne crois pas m'intimider par tes cris et tes gesticulations. Tu en seras pour tes frais.
— Tu as osé dire aux journalistes que nous nous étions mariés !
—- Voyons, ne sois pas stupide.

125

C'était si ridicule qu'elfe faillit en rire. Avec un soupir excédé elle lui arracha le journal et entreprit de le feuilleter.
— Sais-tu au moins quelles perturbations tu as créées dans ma famille ? poursuivit-il. Cela m'a pris trois quarts d'heure pour conv- aincre ma mère que je ne m'étais pas marié en secret.
Et ensuite, elle insistait toujours pour savoir à quoi tu ressemblais !
Darcy était stupéfaite. Cependant, la curiosité finit par l'emporter :
— Et que lui as-tu répondu ?
Avec un regard meurtrier, il enchaîna :
— Quant à ma sœur, elle voulait à toute force me donner le
numéro de téléphone de cet idiot bégayant qui a dessiné la robe de mariée de sa meilleure amie !
Darcy éclata de rire. C'était totalement déplacé, pourtant elle n'avait pu se retenir. Reece avait l'air tellement outragé ! C'en était franchement comique. Mais, comme il la fusillait d'un regard noir, elle étala le journal sur la table de la cuisine.
— Tu ne fais même pas la une. Je comprends que tu sois
furieux ! se moqua-t-elle.
Et, lisant, elle poursuivit : « Des témoins rapportent que la nouvelle Mme Erskine a piqué une crise de nerfs pendant que les médecins soignaient son mari. Heureusement, le personnel de l'hôpital a su la réconforter ». Vraiment, quelle imagination ! J'envisage de leur faire un procès. Vite, donne-moi le numéro de ton avocat !
Reece était en train de réaliser que Darcy n'avait pas du tout l'attitude d'une personne coupable. Rien ne se passait comme il l'avait prévu. Il avait fait irruption dans cette maison, bien résolu à lui faire payer sa duplicité, même s'il ne savait pas vraiment de quelle manière il s'y prendrait. Bien qu'il eût débarqué en pleine réunion de famille, on l'avait accueilli avec chaleur, presque comme le fils prodigue, Et maintenant, cette maudite filles plaisantait !
Toujours penchée sur le journal, Darcy glissa une mèche de cheveux derrière son oreille. La photo au grain grossier ne rendait pas justice à Reece, constata-t-elle. Rapidement, elle parcourut l'article qui s’étalait au-dessous et, en quelques secondes, en digéra les points essentiels.
Enfin, elle se redressa et affronta Reece.
— Eh bien, tu es le seul à blâmer, asséna-t-elle.
— Pardon ?
— Mais oui. C'est toi qui as jugé bon de me faire passer pour ta femme pour sortir plus vite de l'hôpital, alors que, de toute évidence, la réceptionniste t'avait reconnu.
Reece se pétrifia.
Lentement, le sens de sa remarque pénétra sa conscience. Finalement, il bredouilla :
— Tu veux dire que... tu prétends que c'est elle qui serait à
l'origine de cet article ?
Seigneur; pourquoi n'y avait-il pas pensé ? Cela lui semblait si logique, à présent. Il n'était pourtant pas dans ses habitudes de condamner les gens sur de simples présomptions et de les juger si sévèrement.
— Regardons la réalité en face, c'est une candidate bien
plus sérieuse que moi, fit remarquer Darcy avec un haussement
d'épaules. Si j'avais voulu mes cinq minutes de gloire, j'aurais pu
trouver beaucoup plus graveleux, tu ne crois pas ?
Désarçonné, Reece garda le silence.
Darcy aurait pu insister pour bien marquer sa victoire écla¬tante, mais ce n'était pas son style. L'expression consternée de Reece lui indiquait qu'il acceptait son explication et qu'il admettait sa méprise, situation certainement inhabituelle et très désagréable pour lui. Eh bien, une once d'humilité ne lui ferait pas de mal !
127

Après une hésitation, il lui prit la main.
— J'ai sans doute... réagi un peu trop... vivement...
—Tu peux même ajouter que tu as été grossier et odieux. Elle se dégagea d'un geste vif et vit ses pommettes saillantes rougir.
— Je... j'imagine que tu veux des excuses ?
— Tu peux commencer par ramper, suggéra-t-elle fraîchement. Je te croyais plus malin, Reece. Même Jamie se serait rendu compte que je n'avais aucun avantage à inventer cette histoire. N'oublie pas que j'étais très réticente à endosser le rôle de Mme Erskine.
— J'ai cru que c'était au contraire ton unique but... que tu cherchais à exercer une pression sur moi. Pas d'alliance, pas de sexe. Le Coup classique de la carotte pour faire avancer l'âne...
— Typiquement masculin ! Je ne t'ai pas demandé de m'épouser, je t'ai simplement dit ce que je ressentais pour toi Je voulais juste que notre relation puisse se développer naturellement. Je parlais d'une possibilité, Reece ! Qu'y a-t-il de si scandaleux là-dedans ?
Comme il ne répondait pas, elle jeta :
— J'avais raison : tu es un lâche ! Reece sursauta. Sa voix claqua :
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Tu aimais ta femme et ce qui lui est arrivé est effroyable. Mais ce n'est pas par loyauté envers sa mémoire que tu te refuses à aimer de nouveau. C'est parce que tu es terrifié à l'idée de souffrir. Moi aussi, j'aurais pu tomber dans le piège après mon expérience ratée avec Michael. J'aurais pu me méfier de tous les hommes et m'aigrir. Mais j'ai gardé foi dans la vie, dans l'amour...
— Bravo, tu es un exemple pour tout le monde ! ironisa-t-il Mais je vais te dire ce qui est scandaleux à mes yeux : c'est
De ne pas assumer ses pultions sexuelles et de les deguiser en sentiments plus « honorable « , en les étiquetant « amour »,


« fidélité » et « engagement » !
Darcy poussa une exclamation sourde, mais déjà il continuait :
— Et ce qui est scandaleux également, c'est de te voir jouer les
psychologues, de t'entendre déblatérer ce baratin sans queue ni tête
pour justifier tes fantasmes à la guimauve !
Tout à coup, la lueur sauvage qui éclairait son regard s'éteignit, soufflée comme la flamme d'une bougie. Son visage perdit toute expression pendant quelques secondes, puis, soudain, il se prit la tête à deux mains et gémit :
— Bon sang, regarde ce que tu fais de moi !
— Je suis désolée, Reece.
— Pourquoi ? soupira-t-il en baissant les mains, visiblement décontenancé par le calme impavide qu'elle lui opposait
— Oui, je suis désolée de ne pas être l'auteur de ces ragots. Parce qu'au moins tu aurais une bonne raison de me détester. Ce serait commode pour toi, non ?
— Oui, je te déteste !
Soudain, il paraissait vulnérable, perdu, désorienté. Darcy rétorqua d'une voix ferme :
— C'est faux. Au contraire, tu as des sentiments pour moi, et je
pense que tu redoutes de les voir évoluer et devenir de plus en
plus en plus forts.
Il ricana de manière incrédule et Darcy ne put s'empêcher de frissonner. A ses sarcasmes insultants, elle préférait encore son hostilité. N'avait-elle pas surestimé l'affection qu'il avait Pour elle ? Elle avait pris un risque calculé en le mettant ainsi pied du mur et, en cet instant, c'est elle qui tremblait de peur. Avait-elle commis une énorme erreur de jugement ? Etait-elle en train de se couvrir de ridicule ?
« Qu'est-ce qui m'a pris ? Moi et ma grande gueule... »


129

—- Tu te crois donc irrésistible ? railla~t-il.
— Avec une sœur comme Clare ? Non, pas de danger.
— Clare est un portemanteau, elle met en valeur les vêtements qu'elle porte, c'est tout. Toi, tu es une femme.
— Oh, Reece...
Elle n'eut conscience de s'être approchée de lui qu'au moment où elle sentit qu'il la prenait aux épaules pour la tenir à distance.
— Non, Darcy. Il n'y a pas d'avenir entre une femme comme toi et mot
— C'est-à-dire?
— Une femme douce, généreuse...
Ses paumes glissaient dans son dos, descendaient... Darcy tressaillit lorsqu'elles atteignirent ses fesses. Au même moment, les lèvres de Reece capturaient les siennes dans un long baiser sensuel.
Quand il se redressa, elle renversa la tête en arrière, lui offrant la vision de sa gorge pâle à la ligne gracieuse.
— Alors, pourquoi m'embrasses-tu ? murmura-t-elle, yeux clos.
— Parce que je ne peux pas m'en empêcher. Et que tu as la bouche la plus sexy du monde.
— Ah oui ?
Délibérément, elle mordit sa lèvre inférieure gonflée et vit une flamme passionnée s'allumer dans ses yeux verts. Dans un élan, il l'embrassa de nouveau, avide et possessif. Grisée, Darcy eut l'impression de monter directement au septième ciel.
Puis, il la repoussa brutalement, haletant :
— Je ne peux pas te donner ce que tu demandes, Darcy !
Elle secoua la tête, refusant d'entendre, occultant la froideur
dans sa voix. Cramponnée à lui, elle chercha ses lèvres, mais il détourna la tête.
— Darcy non... Arrête
Il lui emprisonna les poignets et les ramena dans son dos pour la maîtriser. Mais, ce faisant, il pressa son bassin contre le sien et elle perçut distinctement le désir torride qu'elle lui inspirait. Son corps réagit avec une intensité égale et die gémit.
— Darcy, il n'est pas question que je me remarie. C'est vrai, je suis un écorché vif et un lâche. Mais tu le sais déjà, non ?
Certes, et cependant cela ne semblait plus important, main¬tenant. Il avait embrasé ses sens et sa raison vacillait Après tout, le monde n'était pas parfait. Le prince charmant n'existait pas. Il fallait faire des compromis dans l'existence...
— Et si je m'en *******ais finalement ? souffla-t-elle en agrippant soudain les revers de sa veste. Si j'acceptais le rôle de maîtresse ?
— Non, Darcy. Ce n'est pas ce que je veux.
— Je ne te crois pas !
— Tu es trop exigeante. Moi, j'ai juste besoin d'une maîtresse qui me donnera ce que je veux sans complications. Franchement.. tu ne pourrais pas remplir le contrat.
Le ton était inflexible, la décision définitive. Darcy eut l'impression de recevoir une douche froide. Elle s'écarta brus-quement, chancelante.
Reece frémit en lisant l'expression pitoyable qui se peignait sur ses traits. Il s'en voulait de lui infliger cette peine, mais il le fallait s'il voulait s'en aller d'ici avant que ses résolutions égoïstes ne se délitent totalement.
Elle respira profondément, une fois, deux fois... Enfin, elle trouva le courage de lever les yeux sur lui.
— Tu as sûrement raison, dit-elle d'une voix sans timbre. Il vaut mieux que tu partes, maintenant
— Oui, sans doute...
Pesamment, il se détourna et se dirigea vers la porte. En le voyant s'éloigner, Darcy sentit ses yeux s'emplir de larmes et son cœur saigner. Elle se mordit violemment la lèvre...

C'est à ce moment précis que mamie Prudence — qui avait l'art et la manière d'apparaître dans les moments opportuns — se matérialisa soudain dans la cuisine.
— Alors, voici ton chevalier servant, Darcy ?
Darcy dut se contenir pour ne pas pousser Reece hors de la maison et claquer la porte derrière lui.
— Mamie, je te présente Reece Erskine, qui n'est pas du tout mon chevalier servant. Reece, voici ma grand-mère.
— Enchanté, madame... ?
— Prudence Emery, répondit l'aïeule en lui tendant fran-chement la main.
— M. Erskine s'en allait justement, mamie.
Sans écouter sa petite-fille, Prudence déclara :
— J'ai lu votre article dans The Economiste celui qui traitait de commerce équitable. Très intéressant. J'ai trouvé toutefois que vous n'étiez guère réaliste lorsque vous soutenez que...
— Mamie !
— Voyons Darcy, je n'ai pas si souvent l'occasion de parler
avec...
— Malheureusement, madame Emery, je n'ai guère de temps à vous consacrer. J'ai été ravi de faire votre connaissance et...
— Est – il toujours aussi brutal ? s'étonna la vieille dame en se tournant vers Darcy un regard interrogateur.
Seulement quand il est obligé de repousser les avances des idiotes amoureuses de lui !
Et, ravalant un sanglot, Darcy s'enfuit en courant.




132

8.
— N'est-ce pas adorable ? s'exclama Clare en élevant devant elle un pyjama de bébé en velours bleu ciel.
— Oui, mais est-ce pratique ? s'interrogea Darcy, sceptique, en cherchant sur l'étiquette les consignes de lavage.
— Oh, quelle importance ? Il est super, je l'achète ! décréta Clare en déposant le vêtement dans son panier déjà surchargé d'achats. Dis-moi, es-tu toujours aussi prudente et raisonnable ? Il ne t'arrive jamais de faire quelque chose de frivole, d'idiot, quelque chose que tu regretteras forcément ensuite ?
Par exemple, tomber amoureuse d'un homme qui était manifestement pas fait pour elle ? Oui, Darcy avait parfois des faiblesses. Mais, plutôt que de les confesser, elle lança avec une gaieté forcée :
— Soyons déraisonnables jusqu'au bout et prenons cette peluche. Un bébé girafe, c'est trop mignon !
— Tant que nous y sommes, pourquoi ne pas t'acheter cette robe?
Clare désignait un mannequin qui présentait une toilette en soie noire toute simple, mais très courte et très décolletée.
— Celle-ci ? Tu es folle !
Il fallut toute l'insistance de Clare et la persuasion de la
vendeuse pour amener Darcy à essayer le vêtement. Malgré les exclamations élogieuse des deux autres femmes, Darcy
133

se contempla dans la glace, dubitative et hésitante. Certes, sa silhouette était mise en valeur, mais.. .
— Je ne suis pas sûre d'oser la mettre en public, avoua-t-elle.
— Qui te parle de ça ? Si tu te débrouilles bien, elle ne sortira pas de la chambre à coucher !
Darcy se rembrunit Dans son esprit, « chambre » et « Reece » étaient deux mots indissociables.
— Allons payer nos achats, proposa-t-elle.
— Darcy, tu changes de sujet !
— Et je continue : si nous voulons trouver une table pour déjeuner, nous ferions mieux de nous dépêcher ! intima-t-elle avec autorité.
Parmi la cohue animée des passants qui se hâtaient de faire leurs derniers achats de Noël, le couple se remarquait indubitablement. L'homme et la femme étaient tous deux grands et élégants. Surtout, ils possédaient la même assurance tranquille qui incitait inconsciemment les piétons à s'écarter pour leur livrer le passage.
— Maman va adorer le pashmina mauve, déclara la jeune femme. Mais elle l'aimerait encore plus si tu venais réveillonner avec nous.
— Kate, ne pousse pas le bouchon trop loin, s'il te plaît.
— Bon, très bien. Cela valait le Coup d'essayer ? rétorqua-t-elle avec un haussement d'épaules fataliste.
L'heure était au changement, non ? Qui aurait cru que son frère lui téléphonerait deux jours avant le réveillon pour lui demander de l'aider à choisir des cadeaux destinés aux membres de la famille ? Cela tenait du miracle !
— Qui est Jamie ? s'enquit Kate en consultant la liste qu'il
lui avait confiée.
134

— Un petit garçon.
— Quel âge a-t-il ?
Reece hésita, puis indiqua une taille en plaçant sa main à peu près à hauteur de son genou.
— Tu ne connais pas son âge ? s'étonna sa sœur.
— Pas très vieux.
Kate leva les yeux au ciel et soupira :
— Nous ferions mieux d'aller déjeuner. As-tu envie de... Eh, Reece !
Eberluée, elle le regarda piquer un sprint et se frayer un chemin parmi la foule affairée qui grouillait sur le trottoir. Au moment de traverser la rue, il fut arrêté par le flot ininterrompu de voitures et Kate put le rejoindre.
— Eh ! qu'est-ce qui te prend ?
Il ne répondit pas. Elle suivit la direction de son regard et aperçut sur le trottoir d'en face une ravissante jeune femme aux longs cheveux clairs vêtue d'un tailleur-pantalon de coupe très originale.
— Oh, je vois... Elle est superbe, en effet... si l'on aime les
blondes.
Sans lui prêter la moindre attention, Reece profita du feu rouge pour traverser la chaussée. De plus en plus perplexe, Kate le suivit après une hésitation. Son frère qui abordait une femme dans la rue ! Décidément, il y avait du nouveau dans l'air...
Sa stupéfaction s'accrut encore lorsqu'elle vit Reece passer devant la blonde avec une totale indifférence pour s'avancer vers la fille qui l'accompagnait et que Kate n'avait pas remarquée auparavant. Elle était pourtant très jolie, elle aussi, nota Kate, en s'immobilisant un peu en retrait. Curieusement, elle n'avait pas du tout l'air heureux de voir Reece. Elle semblait même prête à disparaître sous terre !
135

Et c'est exactement la pensée qui traversait l'esprit de Darcy en cet instant : « Mon Dieu, Faites que le bitume s'entrouvre et m'avale à tout jamais ! »...
— Bonjour, Darcy. Comment vas-tu ?
Toujours cette même voix grave qui lui donnait le frisson elle, en revanche, était incapable d'articuler le moindre son. Que
faisait-il là ? S'agissait-il d'une coïncidence ? Ou l'avait-il suivie ?
Etant donné la façon dont ils s'étaient quittés, c'était peu probable. D'ailleurs, il se trouvait en compagnie d'une très
belle jeune femme aux cheveux acajou, svelte et très chic dans
son manteau bordé de fourrure. Un couple parfaitement assorti...
Seigneur, elle allait s'évanouir...
Elle se rendit compte qu'elle avait la bouche ouverte depuis un bon moment, la ferma, respira un bon Coup :
—Bonjour, Reece... Quelle surprise ! Tu vas bien ?
—Oui très bien, je... Non, c'est faux ! s'écria-t-il soudain Je vais mal, très mal, terriblement mal !

Darcy faillit répliquer qu’elle non plus n’était pas au mieux de sa forme. Se retenant, elle se redressa de toute sa modeste taille.
—Ne me regarde pas comme si c’était ma faute ! Ce n’est pas moi qui me suis enfuie !
Devorée de curiosité, kate observait la scène depuis un moment quand elle se rendit compte que la blonde en faisait autant, avec un intérêt au moins egal au sien. En catimini, elle s’approcha d’elle.

—Kate, sa sœur, chuchota-t-elle en designant Reece d’un Coup de menton.
—Clare, sœur aussi.
Elle échangèrent une fugace poignée de main avant de reporter leur attention sur le couple. Reece rugissait :
— Je te regarderai comme je le veux, si j'en ai envie ! Je veux te regarder ! J'ai besoin de te regarder !
— Eh bien, voilà, c'est fait ! Maintenant, tu peux t'en aller. Je n'ai rien à te dire. Et, si tu me suis, je te préviens que j'ap-pellerai la police ! Viens, Clare !
— J'arrive, j'arrive...
Darcy fit volte-face et laissa échapper le cabas qu'elle tenait. Avec une exclamation irritée, elle regarda ses achats rouler sur le trottoir. Elle s'agenouilla et Reece l'imita pendant qu'elle ramassait les peluches, hochets et pyjamas.
— Darcy, tu ne peux pas partir comme ça ! Nous devons discuter...
— Discuter ? Voyons, tu n'as pas peur que je recommence à te parler d'amour ? C'est ma marotte, rappelle-toi. Ce serait trop embarrassant pour toi. Et puis, à quoi bon, puisque rien n'a changé ! conclut-elle amèrement en se relevant.
Et, sans un regard, elle s'éloigna d'un pas résolu en entraînant sa sœur dans son sillage.
Kate les regarda quelques secondes, avant de s'approcher de son frère qui se redressait lentement, dents serrées. Lui dont les pommettes étaient écarlates il y a un instant avait maintenant le teint livide, nota-t-elle avec surprise.
— Eh ! Ça ne va pas ?
— Kate, que sais-tu sur les bébés... et la grossesse ?
— Moi ? Voyons, j'ai lu des livres et j'ai suivi quelques cours
d'éducation sexuelle au collège, mais... Que veux-tu savoir au
juste ? demanda-t-elle sans ambages en comprenant qu'il était
tout à fait sérieux.
—Au bout de combien de temps après la conception une femme sait-elle qu'elle est enceinte ?
— Cela dépend à quel moment du cycle l'ovulation s'est
produite. Actuellement, les tests de grossesse sont assez précis.
Dès le premier jour de retard ...

— Oh, mon Dieu !
— Quoi ? Que se passe-t-il ?
— Tu n'as donc pas vu ? Dans le sac, il y avait des peluches, des jouets, des habits de bébé !
Kate saisit enfin de quoi il retournait
— Et tu en conclus que c'est toi qui,.. Oh, saperlipopette ! tu vas un peu vite en besogne, Reece. Ce sont sans doute des cadeaux, rien de plus. Inutile de t'affoler.
— Mais il y en avait des dizaines !
Hagard, Reece se frottait le front. Kate se demanda si l'instant était approprié pour le féliciter. Sans doute pas.
— Il faut que je parte, déclara-t-il soudain.
— Je m'en doute. Dois-je...
— A plus tard !
Et Kate se retrouva plantée sur le trottoir sans autre forme de procès.

Il n'y avait personne chez les Alexander. Dépité, mais nullement découragé, Reece décida de gagner le village pour se
renseigner. Cinq minutes plus tard, il se garait sur la place de
l'église encombrée de véhicules. Il y avait apparemment une
manifestation quelconque dans la salle municipale située derrière
le presbytère. Une affiche annonçait : « Spectacle de la choral
paroissiale ». Sans tergiverser, Reece suivit les gens qui allaient s'aligner devant le guichet pour payer leur entrée.
Il n'y avait pas beaucoup d'événements sociaux dans un bourg
de cette taille, aussi pouvait-il espérer trouver Darcy parmi la foule.
Une fois à l'intérieur, il scruta rapidement les spectateurs qui s'installaient devant la scène. Presque immédiatement, il reconnut les jumeaux, assis dans la troisième rangée, sur des chaises en
bois qui avaient l'air particulièrement inconfortables.
138

Soulagé Reece s'avança dans l'allée quand la lumière s'éteignit brusquement. Pris au dépourvu, il n'eut d'autre choix que de se glisser à son tour sur un siège. Déjà, le rideau se levait...
— Vous avez été géniale, Darcy ! Bravo ! s'exclama Adam Wells en rejoignant Darcy sur scène, tandis que la salle se vidait peu à peu.
— Je peux m'évanouir, maintenant ?
— Vous avez besoin d'un verre, voilà tout.
— Il m'en faudra plusieurs pour me remettre ! J'avais tellement le trac que j'ai cru qu'aucune note ne sortirait de mon gosier. Je ne sais pas comment vous avez pu me convaincre de chanter en public, Adam, mais c'est vous qui allez payer à boire !
Le jeune vicaire acquiesça en souriant :
— Marché conclu ! Vous l'avez bien mérité. Allez, venez.
Dans un geste affectueux, il la prit par l'épaule en se tournant vers la salle. A cet instant, une voix grave s'éleva au pied de l'estrade :
— Hum, hum ! Désolé de vous déranger.
— Reece !
Darcy dut se raccrocher au bras d'Adam pour ne pas tituber sous le Coup de l'émotion. Elle s'attendait à tout sauf à voir Reece ici, dans la salle municipale ! Mais, à moins qu'elle soit victime d'une hallucination, c'était bien lui.
— Que... que fais-tu là ?
— Je suis amateur de musique. Tu l'ignorais ?
Piquée au vif, elle répliqua :
— Oui ! Aux dernières nouvelles, mes vocalises t'indis-posaient fortement. Adam, lui, trouve ma voix formidable.
N'est-ce pas, Adam ?
— Bien sûr, je...
139

—Tu vois ! lança Darcy en transperçant Reece d'un regard belliqueux.
— Je n'irai pas jusque-là. Tu manques certainement de
technique et tu n’as pas beaucoup de coffre...
—Quoi?!
— ...cependant ta voix est très émouvante, elle me donne
la chair de poule. Evidemment, je ne suis pas objectif, conclut
Reece
La colère de Darcy se désamorça d'un coup. Ses épaules
retombèrent et le bras d'Adam retomba.
— Tu... tu n'es pas objectif ? répéta-t-elle bêtement.
— Il faut savoir accepter la défaite, non ? Et le moment est venu pour moi.
Le cœur battant la chamade, Darcy s'interdit d'espérer quoi que ce soit. Il lui parut ridicule, tout à coup, d'être perchée là, sur scène, alors que Reece devait lever la tête pour lui parler. Prenant appui de la main droite sur le plancher, elle sauta en bas de l'estrade, avant de se redresser avec souplesse.
Le visage décomposé, Reece se précipita et la saisit par la taille, comme s'il avait peur de la voir s'affaler à ses pieds.
— Tu ne devrais pas faire ça ! s'écria-t-il.
— Pourquoi ?
Darcy sentit la chaleur de ses doigts posés sur sa hanche. Une onde de plaisir fusa en elle, mais elle était résolue à ignorer les trahisons de son perfide corps.
—Parce que c'est dangereux !
—Enfin, Reece ! Je ne suis pas une vieille grand-mère. Je suis quand même capable de...
La Parole lui manqua comme elle apercevait la lueur de détresse infinie qui éclairait son regard, ce merveilleux regard vert Une vague d'émotion l'envahit et sa vision se brouilla.
Comme hypnotisés, ils se dévisagèrent en silence.
Resté sur l'estrade, Adam s'agita :

— Hum... Je... je vais dire à vos parents de ne pas vous
attendre, Darcy.
Et sans attendre une réponse qui ne viendrait pas de toute façon, le jeune vicaire s'éloigna en hâte, heureux d'échapper à cette scène intime dans laquelle il n'avait manifestement aucun rôle à jouer.
Doucement, Reece prit la joue de Darcy au creux de sa paume.
— Tu aurais dû me le dire, souffla-t-il.
— Mais je te l'ai dit... Je t'ai dit que je t'aimais. J'ai été honnête avec toi, simplement tu m'as repoussée et...
— Ma pauvre chérie !
Il l'enlaça dans un élan, posa ses lèvres sur les siennes. Darcy ferma les yeux avec un soupir de bonheur. En quelques secondes miraculeuses, sa vie venait de basculer de la tristesse au bonheur le plus intense.
— Mais pour le bébé, tu aurais dû me prévenir, insista-t-!
— Tu es au courant ? Tu as vu maman ?
— Tu l'as avertie ? Oui, c'est normal...
— Je n'ai pas eu besoin de l'avertir, idiot ! Elle rit avec indulgence. Il enchaîna :
— Je comprends. Une mère sent ce genre de choses.
— Au début, elle a été choquée. C'était une telle surprise !
Mais maintenant, je crois qu'elle s'habitue à cette idée.
Le nez dans ses cheveux, Reece huma avec délice son parfum féminin. Il la serra dans ses bras, délicatement, comme une poupée de porcelaine qu'il aurait eu peur de briser par inadvertance.
—Et toi tu es heureuse d'être bientôt maman ?
—Moi ? Oh, cela me... Comment ? Que dis-tu ?
141
Darcy s'était raidie et son sourire disparut et, les yeux écarquillés, elle le considéra fixement. Reece reprit d’un ton rassurant :
— Ne t'inquiète pas, moi aussi, j'ai été déstabilisé au début.
Mais, en définitive, je suis ravi, absolument ravi !
Darcy se dégagea avec fermeté de ses bras, avant de reculer d'un pas. Un horrible soupçon naissait en elle.
— Pourquoi es-tu ravi, Reece ?
— Mais.,, parce que nous allons avoir un enfant.
— Tu crois que je suis enceinte ?
— Voyons, nous sommes en train d'en discuter. Tu devrais peut-être t'asseoir ? suggéra-t-il en la couvant d'un regard inquiet
Darcy eut l'impression qu'une chape de plomb lui tombait sur les épaules. Ainsi, c'était cela, l'explication de ce prodigieux revirement Reece ne l'aimait pas plus qu'avant II s'apprêtait simplement à faire son devoir en assumant sa paternité...
Quelle pathétique méprise !
— C'est un quiproquo, Reece. Tu te trompes...
— Mais non, voyons ! J'ai vu les habits de bébé, Darcy. Inutile de nier...
— Je ne suis pas enceinte !
Reece retomba dans un silence abasourdi. Un sentiment de déception intense, qu'il ne voulait pas chercher à analyser pour le moment, le submergeait. Enfin, il bégaya :
—- Tu veux dire que... c'était... une fausse alerte ?
— Non, je n'ai jamais été enceinte. Ces vêtements premier âge
sont pour ma mère. C'est elle qui attend un bébé.
Quelques secondes passèrent Puis, Reece secoua la tête, la mine désabusée.
— Je n'arrête pas de me planter, hein ?
— Tu n'es pas le seul. J'ai cru un instant que tu étais venu me dire que tu m'aimais. C'est idiot, n'est-ce pas ? Oh, ne fais pas cette
142

tête ! Je ne vais pas te prendre au mot parce que ta fibre paternelle a été brièvement titillée.
— Mais... je suis venu pour te dire que je t'aime, Darcy.
Il voulut la prendre par la main mais elle esquiva et riva
son regard au sien.
— Tu voudrais me faire croire que tu serais là, devant moi, si tu n'avais pas pensé que j'attendais ton enfant ?
— C'est-à-dire... Cela a été une sorte de catalyseur, en effet, je...
— Inutile de t'enfoncer, Reece ! J'ai pitié de toi. Après tout, tu n'as rien formulé qui ressemble à une demande en mariage. Les apparences sont sauves. Et, si tu te sens ridicule, sache que c'est pire pour moi !
— Cesse de dire des bêtises, veux-tu ? s'écria-t-il avec emportement. Je n'essaie pas du tout de me défiler, au con-traire ! Darcy, écoute-moi. J'ai éprouvé un vrai bonheur à la pensée que tu portais notre enfant. Ne comprends-tu pas ce que cela veut dire ?
— Cela veut dire que tu souhaites être père, voilà tout.
— Si c'était aussi simple, j'aurais pu réaliser ce souhait depuis longtemps. Vois-tu, quand Jo et le bébé sont morts, je me suis juré que plus jamais...
Sa voix se fêla, si poignante que Darcy dut se faire violence pour ne pas se jeter dans ses bras et le réconforter. Avec effort, il reprit :
— Avant aujourd'hui, j'étais convaincu que je n'aurais jamais
d'enfant. Maintenant, je sais. Je sais que je veux un enfant,
mais seulement si c'est toi sa mère.
Darcy recula d'un pas en secouant la tête. Elle le voyait à
travers un écran de larmes.
— Tu ne penses tout de même pas que je vais te croire !
— Oh, Darcy, c'est grotesque ! Je t'aime ! JE T'AIME !
Il s'avança et, d'un bond, elle se mit hors de sa portée.

— Ne me touche pas ! siffla-t-elle, la main tendue pour
l'empêcher d'approcher.
Il pila net, atteint par le regard farouche qu'elle lui lançait.
Darcy ne lui laissa pas le temps de se ressaisir. Elle s'élança dans l'allée, renversant plusieurs chaises au passage.
Lorsque la porte se referma dans un bruit mat et que le silence
retomba dans la salle déserte, Reece savait déjà quel serait son prochain plan d'action.
144

9.
Clare fronça ses fins sourcils dorés d'un air incrédule.
— Ai-je bien compris ? Il t'a dit qu'il t'aimait et tu t'es enfuie... parce que tu l'aimes aussi ? C'est bien cela ?
— Mais tu ne comprends pas, il mentait !
Darcy regrettait déjà de s'être épanchée sur l'épaule de sa sœur. Mais elle était si malheureuse ! En se confiant, elle avait cru qu'elle se déchargerait un peu du chagrin qui l'écrasait.
Clare la rabroua :
— Ne crie pas, tu vas faire craquer le masque de beauté ! Comment sais-tu qu'il mentait ? Dis-moi, as-tu essayé ces lotions lissantes qu'on vend partout ? Ce serait radical pour tes frisottis...
— J'aime mes frisottis !
Darcy se leva brusquement et envoya voler la serviette qui lui ceignait les épaules, avant de s'engouffrer dans la salle de bains. Clare la suivit et, résignée, la regarda se rincer le visage à l'eau claire.
— Tu as tort de l'enlever si tôt, ta peau n'est pas bien exfoliée, commenta-t-elle, avant de demander : As-tu couché avec lui le premier soir ?
— Seigneur Qu'est-ce qui m'a pris de te parler de tout ça
— Imagine, juste en théorie, qu'il ait dit la vérité...
145

Darcy plongea la tête entre ses mains.
— Je t'ai déjà dit qu'il était revenu parce qu'il a vu ces
vêtements de bébé et qu'il a cru que j'étais enceinte ! C'était
l'unique raison.
— Et donc, poursuivit Clare, imperturbable, lorsque tu lui as expliqué que c'était maman qui attendait un bébé, il t'a dit qu'il t'aimait ? Très logique ! Arrête donc de faire l'idiote, Darcy ! Pourquoi t'aurait-il menti ? Dans quel but ? S'il s'intéressait uniquement au bébé, il aurait sauté sur l'occasion pour prendre la poudre d'escampette.
— Il n'est pas aussi mufle, quand même ! Oh, ne me regarde pas comme ça ! S'il était vraiment amoureux de moi, il aurait eu tout loisir de me le dire avant !
— Peut-être n'en avait-il pas conscience alors ?
— Et tu te prétends réaliste ! ricana Darcy.
— Ecoute, je me fais l'avocat du diable parce que, en toute franchise, si tu épouses cet homme, je serai verte de jalousie. Dans le cas contraire, je serai peut-être tentée de...
— Tu oublies la rouquine ! lança Darcy avec humeur.
— Je te répète que c'est sa sœur. Avoue-le : l'idée que je drague celui que tu aimes te donne envie de m'arracher les cheveux, hein ?
— Clare!
— Cela ne te ressemble pas de baisser si vite les bras, Darcy. Si tu n'en as pas le cœur net, tu te poseras la question toute ta vie et tu auras des regrets.
— Et que dois-je faire selon toi ?
— Va lui poser la question.
Darcy laissa tomber le peigne avec lequel elle tentait de mettre de l'ordre dans ses « frisottis ».
— Quoi ?!
— Il est à Walnut Hall.
— Oh ! c'est un Coup monté !

— Parfaitement.
— Je ne peux pas le croire ! Cela fait une heure que tu es là à me tartiner la figure de... Il est vraiment là-bas ?
— Oui, assura Clare en souriant. Et il t'attend.
La porte flambant neuf, ornée d'une couronne en sapin, s'ouvrit dès que Darcy frappa. En dépit de la peur qui la tétanisait pres¬que, elle pénétra dans le vestibule, puis dans le séjour où de nouveaux meubles avaient été disposés. Au moment d'entrer dans la chambre, elle ouvrit la bouche pour manifester sa présence... et resta coite au spectacle qu'elle découvrit.
La pièce ressemblait à la caverne d'Ali Baba ! Des dizaines de bougies l'illuminaient de doux halos tremblotants. Des guirlandes électriques ornaient les piliers et le dais du lit à baldaquin, les tringles à rideaux, la corniche de l'armoire. Chaque surface horizontale était jonchée de boules scintillantes, de santons, d'anges, de petits personnages en bois et de Pères Noël hilares. Là, un traîneau tiré par des rennes, là une étoile lumineuse ; et surtout un grand sapin surchargé de décorations dorées et argentées.
— Oh, Seigneur tout-puissant ! s'exclama Darcy.
— Tu aimes ? dit la voix de Reece. J'ai acheté tout le stock d'oncle Rick.
Sa haute silhouette émergea de derrière le sapin. Il portait un Jean noir et un pull en coton léger dont les manches retroussées recouvraient ses avant-bras musclés.
Cette seule vision suffit à troubler Darcy. Elle dut respirer
Plusieurs fois, profondément; pour chasser les pensées polis¬sonne qui assaillaient son esprit.
—Je croyais que le mieux était l'ennemi du bien, dit-elle, la gorge sèche, en regardant ce joyeux capharnaüm.
— Je cherche à te dire quelque chose.

— S'il s'agit de me prouver ton mauvais goût, félicitations, c'est réussi
— Je suis un autre homme, Darcy. Je ne fuis plus. Rien ni personne.
Elle lui retourna un regard empreint de méfiance.
— Si tu as quelque chose à dire, fais-le simplement, sans détours ! enjoignit-elle.
— J'aurais pu créer une scène moins tape-à-l’œil, mais il n'y avait plus de costume de Père Noël à louer dans toute la ville. Sauf un, avec une bande Velcro stratégiquement placée, mais ils n'avaient pas ma taille.
— Et tu trouves ça séduisant ?
— Ingénieux, en tout cas.
Il souriait, mais Darcy perçut la tension qui l'habitait. Un léger tic nerveux lui tiraillait le coin de la paupière. Il n'était pas aussi confiant qu'il s'en donnait l'air. Au contraire, il était terrifié !
Ce constat l'emplit de stupéfaction. Elle n'avait jamais songé à Reece comme à quelqu'un de vulnérable. Il semblait si sûr de lui, si inflexible parfois, un monolithe !
Leurs regards se croisèrent et il parut lire en elle.
— Oui, j'ai peur, murmura-t-il. Peur de te perdre. Tu m'as
dit que tu m'aimais et j'ai fui. Maintenant, c'est moi qui te
clame mon amour et toi qui détales. T'es-tu demandé ce qui se
passerait si nous nous synchronisions un peu ?
Darcy avait la bouche comme du carton. Elle réussit à articuler :
— Je ne perds pas mon temps en spéculations oiseuses.
— Moi non plus, chérie. J'ai très mal réagi, je l'admets. Mais tu ne vas pas m'en tenir rigueur au point de gâcher nos deux vies ? Je ne te le permettrai pas.
— Qu'attends-tu de moi ? Parle, je t'écoute.
148

— C'est vrai, c'est parce que je t'ai crue enceinte qu'un déclic
s'est produit en moi. Mais, même sans cela, j'aurai fini par prendre
conscience de mes sentiments. Ce n'était qu'une question de
temps. J'ai enfin compris que c'est une chance inouïe de tomber
deux fois amoureux dans sa vie. Joanna... Elle est morte sous
mes yeux, sans que je puisse rien tenter pour la sauver...
Sa voix se brisa. Il se tut, ravagé par l'émotion, les yeux fixés sur ses grandes mains qui n'avaient rien pu faire. Le cœur déchiré, Darcy ne put réfréner l'élan qui la poussait vers lui. Elle lui prit le bras, le caressa doucement.
— Je sais, je comprends..., chuchota-t-elle.
— J'étais son mari, j'étais censé la protéger et je n'ai rien fait... Je n'ai même pas eu une égratignure !
— Chut... chut...
Elle avait glissé sa main dans la sienne, entrecroisé ses doigts aux siens qu'elle sentait trembler légèrement Torturée par sa souffrance, elle ferma brièvement les yeux et une larme coula sur sa joue. Reece avait de profondes cicatrices, simplement, elles étaient invisibles.
Il releva la tête.
— Je me suis juré de ne plus être responsable de qui que ce soit, pour être sûr de ne plus jamais faillir à ceux que j'aime. Mais je sais désormais que cette volonté obsessionnelle de contrôler mes émotions n'était que de l'arrogance pure. Quand je t'ai rencontrée, tu as tout bouleversé. Tu as fait voler en éclats ma carapace et je me suis retrouvé nu, démuni... Alors, quand tu as parlé d'amour, j'ai paniqué. Et je t'en ai voulu.
— Moi aussi, je m'en suis voulu.
— Ensuite, j'ai bien dû cesser de me voiler la face. Mais je
me suis convaincu que tu méritais mieux qu'un handicapé des
sentiments comme moi. J'ai été brutal, ignoble, je sais... J'en
suis profondément désolé. Sur le moment, je ne voyais pas d’autre solution. Tu avais entièrement raison, j'étais lâche et

fuir était devenu une habitude. Mais je ne me comportais pas ainsi avec Jo...
Darcy lui pressa la main.
— Je n'ai pas l'intention de fouiller ton passé, Reece. C'est ton avenir dans lequel je souhaite investir.
— Est-ce que... cela veut dire que... ?
— Oui, idiot ! Je t'aime !
Avec un sourire tremblant, elle lui ouvrit les bras. Il s'y jeta et, l'enlaçant, posa un baiser fiévreux sur ses lèvres. Puis, sa bouche s'égara sur sa joue, son cou, sa gorge, tandis que ses mains s'aventuraient sous son pull.
— Je t'aime, Darcy. Dis-moi que tu m'aimes encore, je t'en
prie !
Darcy ne put en dire plus car sa main venait de cueillir la pointe de son sein. Une onde de plaisir la parcourut Elle s'offrit à sa caresse, tête renversée, dos cambré...
L'instant d'après, son pull volait, suivi de près par son soutien-gorge en dentelles. Enfin, Reece la souleva pour aller la déposer sur la courtepointe jonchée de guirlandes.
— Il faut que j'y aille, soupira Darcy un long moment plus tard, la tête posée sur la poitrine de Reece. Mais je n'en ai pas envie...
— Alors reste.
— J'ai tant à faire ! Pour le réveillon, maman va sûrement vouloir se transformer en superwoman. Je ne dois pas la laisser se surmener.
— Dans ce cas, il est temps que tu bouges tes jolies fesses, en effet.
D'un geste vif, il retroussa la couette, révélant la nudité de Darcy.

— Tu me chasses du lit ? feignit-elle de s'indigner. Tu pourrais au moins dire que je vais te manquer
— Oh non ! Tu ne me manqueras pas du tout, pour la simple et bonne raison que je vais venir avec toi.
Darcy se redressa sur un coude, perplexe.
— Tu es sûr ?
— Ma foi, quel enthousiasme !
— Tu sais bien que je serais *******e, mais... je ne veux pas t’obliger à plonger dans une atmosphère qui t'horripile et...
— Je veux juste être auprès de toi, dit-il simplement.
Son visage exprimait un tel amour, une telle tendresse, que Darcy sentit ses yeux s'embuer. Elle renifla et il rit doucement.
— Dépêchons-nous avant d'attraper une pneumonie ! s'écria-t-
il en la prenant par la main pour l'arracher à la tiédeur du lit.
Darcy eut quelques peines à retrouver tous ses habits, dont certains pendaient aux branches du sapin. Une fois vêtue de pied en cap, elle promena un regard rêveur sur la pièce encombrée d'ornements multicolores et brillants.
— Cette maison va me manquer, murmura-t-elle.
— Je ne pense pas. J'ai tellement dépensé d'argent pour la rendre habitable que j'ai fini par téléphoner à Greg. Il a accepté de me la vendre.
— Tu as acheté Walnut Hall ?
— Oui. Greg a craqué sur cette vieille maison parce qu'il comptait s'occuper de la rénovation, mais finalement il n'en a jamais eu le temps. Au bout du compte, il était ******* de s'en débarrasser.
— Et tu vas vivre ici ?
— Il vas bien nous falloir un nid d'amour quand nous serons
mariés !
— mariés ? bégaya Darcy Tu n’envisages tout de même pas d'avoir des enfants sans avoir convolé en justes noces?

— Des... enfants ?
— Bien sûr ! Tu n'en veux pas ?
— Si, si...
— Alors, il va falloir m'épouser d'abord, je te préviens
Elle croisa les bras sur sa poitrine, l'air bravache,
— A mes yeux, ce n'est pas une raison suffisante !
— Bon, très bien. Quelle serait alors la condition sine qua
non ?
—Voyons, laisse-moi réfléchir... Trouver un homme avec qui j'aie envie de tout partager.
— Comme moi.
— C'est une affirmation ou une question ?
— Ça suffit, espèce de petite peste !
Riant, il la prit dans ses bras et ajouta : —
— Je vais t'embrasser, puisque c'est le seul moyen de te
faire taire, !
Et, comme sa bouche capturait la sienne, Darcy, dans un soupir béat, savoura son nouveau bonheur.[/LEFT][/LEFT][/LEFT][/LEFT][/LEFT]

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ ßÇÈÑíÓ   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ

ÞÏíã 17-01-11, 05:36 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 2
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:

ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Sep 2009
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ÇáãÔÇÑßÇÊ: 5
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ãÚÏá ÇáÊÞííã: djoudjou ÚÖæ ÈÍÇÌå Çáì ÊÍÓíä æÖÚå
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Merci pour le livre il a l’air merveilleux

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ djoudjou   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
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ãæÇÞÚ ÇáäÔÑ (ÇáãÝÖáÉ)
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ÃÏæÇÊ ÇáãæÖæÚ
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ÊÚáíãÇÊ ÇáãÔÇÑßÉ
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