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ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ Romantic Novels Fourm¡ ÑæÇíÇÊ ÑæãÇäÓíÉ ÇÌäÈíÉ


Méprises _ Regine Fernandez

dessin de F. Frazetta

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Arrow Méprises _ Regine Fernandez

 

Méprises Regine Fernandez
dessin de F. Frazetta

 
 

 

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1





Un sac à dos suffira pour transporter le strict nécessaire à un aller retour

Quelle poisse ! Une semaine de ski, perdue, envolée. Emmanuelle aurait dû s’esquiver, plus tôt dans l’après-midi, et ne pas laisser à un stupide téléphone la possibilité de la coincer. Maudit reportage ! Il lui est tombé dessus à la dernière minute, sans qu’elle ait pu trouver une raison valable pour le décliner

A l’heure actuelle, elle devrait se trouver ailleurs, sur le point de rallier la station des Deux-Alpes, et en compagnie de ses amis

Elle a réussi à les convaincre de partir sans elle, avec la promesse de les retrouver dès que possible. Si encore elle pouvait y croire tout à fait ! Et, après tout, pourquoi ne pas se dire que ce n’est qu’un contretemps ? Mieux vaut ne pas se faire d’illusion

Et ses photos ! Elle qui comptait profiter de son séjour pour compléter une série en noir et blanc sur les sommets Alpins, c’est gagné ! A croire qu’on ne se souvient d’elle qu’en dernier ressort

Ce qui la met dans une rage folle, c’est surtout le fait de sacrifier quelques jours de vacances, bien mérités, dans le but de ramener de banales photos d’un acteur qui la laisse complètement indifférente. Nice ! Doit-elle vraiment se rendre là-bas ? Et de surcroît en compagnie de Marc ! Il fallait que ce soit avec lui

Par la même occasion - ils seront sur place, alors pourquoi ne pas en profiter ! - ils devront assister à un match de foot, sport dont elle est pratiquement ignorante et sans le moindre désir d’en apprendre quoi que ce soit

Autant être réaliste, il peut y avoir, là, pour elle, une chance à saisir... à condition de neutraliser les fâcheuses et imprévisibles initiatives de son compagnon de fortune

Un dernier coup d’œil pour s’assurer qu’aucun appareil ne manque à l’appel avant de fermer la sacoche de cuir. Elle, son domaine, c’est la photo, Marc, lui, se charge des articles. Il ne devrait pas tarder mais elle est prête. En fait... il est là

Quel idiot ! Il va affoler la population avec son avertisseur. Croyait-il la trouver au bas de l’immeuble, en pleine nuit et avec un froid à ne pas mettre le nez dehors. Il vaut mieux se dépêcher, avant qu’il n’en fasse un jeu. Son baluchon et ses appareils. Rien derrière elle ? Non ? Eh bien, en piste.

Ils vont rouler de nuit, et elle espère vivement que, depuis leur équipée du mois de Novembre, cet étourdi aura pris quelques leçons de conduite. Dans le cas contraire... il ne lui reste qu’à prier très fort Saint Christophe

Va-t-il cesser d’actionner un Klaxon de malheur ! Qu’il lui laisse au moins le temps de descendre. Ça commence bien

Pour couronner le tout, il se permet de la bousculer parce qu’il attend en double file, dans une rue à peine assez large pour que deux véhicules se croisent, bloquant la circulation au volant d’un fantôme d’automobile, alors qu’il aurait pu se garer, sans difficulté, une dizaine de pas plus loin

Après un geste d’excuse pour ceux qui s’impatientent et une courte bataille avec la serrure grippée du coffre, Emmanuelle se résigne à prendre place à l’intérieur d’une espèce d’épave roulante. A bien y réfléchir, la protection de Saint Christophe ne suffira pas

Salut, fillette, comment vas-tu

Jusqu’à quinze heures en pleine forme mais depuis je déprime. Tu ferais bien de démarrer avant que quelqu’un ne te pousse sur le côté

Froussarde ! On y va, accroche-toi.

Ils sont partis, complices pour nourrir les mêmes ambitions, pour vivre la même galère, mais sans pour autant partager une réelle amitié.

C’est leur troisième expédition en commun. Une première pas vraiment concluante, mais de jolies prises de vues pour elle ; quant à la seconde, une vraie catastrophe qui leur a valu des semaines de mise à l’écart. Jusqu'à l’appel du journal

Pourquoi ne pas avoir pris le train

- Marc, es-tu certain de l’itinéraire à suivre

- Pour qui me prends-tu

Pour celui qui les a perdus, certain soir, sous prétexte de connaître un raccourci qui s’est avéré interminable. Elle n’a pas dit un mot à cette occasion, mais se refuse, depuis, à lui accorder un iota de confiance. Et puis, elle a tourné le dos à six jours de descentes enivrantes, à des batailles de boules de neige et à des images superbes pour pouvoir accepter facilement l’idée d’arriver après le match

Il n’est que vingt-deux heures et six cents bornes à couvrir de Clermont-Ferrand à Nice, pas le bout du monde. Quoique, avec ce champion de la conduite abstraite, elle ne peut être sûre de rien. Dans deux heures, à condition qu’elle puisse se maîtriser jusque-là, elle prendra la relève

- Tu es jolie comme un cœur

- Merci mais n’en fais pas trop. Ils n’avaient que nous sous la main pour cette corvée

- Avec toi, c’est un plaisir. Je te préviens, je compte en profiter pour aller au bout de ce que j’ai entrepris il y a quelques mois

- Cours toujours, avant de me rattraper, il devra te pousser des ailes aux talons. Regarde la route

Elle l’aime bien. Sa compagnie est agréable, il n’est pas compliqué pour deux sous et accepte l’existence comme elle se présente, avec légèreté et insouciance. Trop, peut-être. Elle le connaît, au fond, si peu. Assez pour se fier à lui, seule sur les routes, pas au point d’échanger des confidences

Il fait froid, malgré les vitres pratiquement fermées et le chauffage au maximum, à supposer qu’il fonctionne normalement. Ils roulent depuis une heure à peine et ce qui, au départ de Clermont, n’était que pluie fine, devient flocons. La neige ! Marc, la nuit... et la neige ! La situation pourrait-elle empirer

- Quand envisages-tu arriver à Nice

- En début de mâtinée. Nous n’avons rendez-vous qu’à onze heures, nous y serons. Dors

Avec lui au volant ? Elle n’est pas désespérée à ce point

- Quand tu veux, je te remplace

- Tu ne saurais pas comment t’y prendre avec mon merveilleux tacot

- Le bien nommé. Que dirais-tu de nous arrêter à Saint Etienne ? Je suis persuadée que nous pourrions y avoir un train qui nous mènera à Nice dans les temps

- Pas question ! Ecoute, Emmanuelle, je ne suis pas aussi mauvais que tu t’entêtes à le croire alors laisse-moi une chance.

Autant se taire et prendre la situation du bon côté

Elle n’avait que deux semaines devant elle pour terminer et remettre une série de clichés sur les sommets Alpins. Livraison apparemment compromise. Elle qui comptait joindre l’utile à l’agréable, la voilà bien avancée maintenant

De Nice, pourquoi ne pas remonter sur la station des Deux Alpes ? En priant le ciel pour que la guimbarde, qui tousse et tremble entre des mains soi-disant expertes, tienne le coup, tous les espoirs lui sont permis d’arriver à décider Marc de l’accompagner auprès de ceux qui l’y attendent. Quitte à l’égarer volontairement sur le chemin du retour

Une sonnerie ? D’où vient-elle ? Une alarme ? Y aurait-il quelqu’un d’assez fou pour s’en prendre à un pareil tas de ferraille

- C’est mon portable. Il est derrière toi, dans ma veste, ou sur le siège. Allez, prends la communication

Dans quelle poche ? C’est absurde... elle est ridicule, agenouillée vers l’arrière, à tâtonner dans l’obscurité après un stupide appareil qui n’aurait pas la bonne idée de se taire

- Je l’ai ! J’appuie où

- Dégourdie ! Le bouton vert, au milieu, en haut. Tu as pigé

Elle déteste tous les objets qui ressemblent à des gadgets, et ces derniers le lui rendent au centuple

- Minute, laisse-moi le temps ! Oui ? Qui ?... Comment ?... Vous plaisantez ! Et sur-le-champ, comme ça ! Alors sans moi... Marc ? Je vais le lui demander. Un moment

- Je peux savoir ce qui se passe

Le journal ! Tout est annulé et ils ont ordre de prendre une nouvelle destination. Elle ? Ils se font des illusions, elle est bien décidée à descendre au prochain arrêt, quant à Marc, qu’il se débrouille avec les girouettes de la rédaction

C’est le bouquet ! Emmanuelle en pleurerait. Pour qui se prennent-ils ? Un sujet brûlant ! En pleine nuit, et l’autre, l’idiot, qui dit oui, qu’il fera son possible, et... - Compte là-dessus ! - qu’il saura la décider

Il fait bien de ne pas aborder le sujet, dans peu de temps, ils arriveront près d’une ville, et... vers où se dirige-t-il maintenant

- Tu quittes la bonne direction. Marc, c’est tout droit, pas par-là

- Je te ramène, mais tu commets une erreur. C’est un scoop. Nous sommes les plus proches, nous pourrions être les premiers sur place

- Laisse-moi à la prochaine gare, tu vas perdre du temps

- M’en crois-tu capable ? En pleine nuit, personne avec toi, toute seule, dramatiquement seule, abandonnée sur un quai lugubre. Exposée à tous les dangers, à des brutes qui rodent, qui pistent, qui traquent la douce agnelle fraîche et appétissante, sans oublier les bruits, étranges, inquiétants

Stop ! Pitié, Marc, n’en rajoute plus, c’est d’accord... et ne t’imagine pas que j’ai peur
Non, absolument pas

Le but de ce reportage, c’est quoi

La montagne de Margeride, peut-être le Gevaudan. Ils vont rappeler pour donner plus de précisions
Non, pas l’endroit, qui en est la victime

Brice D’Orval
Qui

Tu ne connais pas ? Un peintre

Un nom qui ne lui apprend rien. Un peintre ? Elle qui passe des heures entières dans les galeries, ne ratant pratiquement aucune exposition, elle devrait pourtant avoir vu quelque chose de lui. Disparu de la circulation depuis quatre ou cinq ans, ce qui explique, peut-être, pourquoi elle n’en a pas entendu parler, beaucoup s’accordent à lui reconnaître un immense talent et même du génie pour certains, une perte pour l’art et depuis, tous le recherchent avec la certitude qu’il se cache

Pourquoi

Un drame, quelque chose de très douloureux dans sa vie

Et cet illuminé va le harceler pour un article dans un journale quel droit

Le journal paie mon loyer. Je suis navré, Emma, c’est un job comme un autre, et, c’est dommage, je comptais sur toi Désolée, c’est non

Si c’est là, sa façon de vivre son ambition, ils n’ont rien en commun. Et quant à ne pouvoir décider de leurs choix, Emmanuelle n’y croit pas. Elle en a fait l’expérience, et nul au monde ne pourrait l’amener à agir à l’encontre de ses convictions

Elle se montre toujours disponible pour prendre des instantanés de celui qui s’y prête ou qui le recherche, qui le désire pour sa gloriole personnelle, mais traquer quelqu’un, jusque dans son repaire le plus secret, forcer son intimité, dévoiler des aspects de sa vie privée sans son accord, il n’en est pas question. Pas elle ! Marc, qu’il fasse selon son bon plaisir. Elle, elle préférerait encore mitrailler des chats jusqu'à la fin de ses jours. Il lui est pénible de se séparer de la plus mauvaise de ses photos car chacune est l’objet d’une recherche particulière. Pour elle, c’est presque de... de l’art ! N’y trouver aucun plaisir ? Mieux vaudrait abandonner tout de suite
Combien de temps avant de se retrouver chez elle ? La nuit, le vent qui s’en mêle et un fou qui persiste à rouler sous des giboulées de neige. Le laisser seul ? Où va-t-il se perdre cette fois-ci ? Autant aller jusqu’au bout, au moins pour veiller sur lui

C’est décidé, elle l’accompagne mais à la condition qu’il trouve un endroit où passer la nuit, il n’est pas prudent de s’obstiner à conduire avec si peu de visibilité. D’autre part, et il devra s’en faire une raison, elle n’a absolument pas l’intention de braquer un seul de ses objectifs sur cet homme. Elle en profitera pour ramener quelques vues de la région. Le Gévaudan ? Un nom de sinistre mémoire

Heureux, Marc ? Sans doute, et prêt à tout promettre

Disposé à s’exécuter ? Mieux vaut ne pas y croire du tout

En fait de prochain arrêt, ils ont roulé pendant deux longues heures, jusqu'à proximité du Puy, avant de faire halte dans un relais routier et enfin se réconforter avec des boissons chaudes.

A près d’une heure du matin, il n’y a pas foule à l’intérieur. Sinon, à une table, deux couples, bruyants pour être un peu éméchés et plus loin, deux hommes devant des énormes bols de soupe fumante. De toute évidence, les conducteurs du monstre d’acier qui stationne à l’extérieur

Nous devrions attendre que le ciel se calme. Ton auto n’est pas équipée pour s’aventurer sur des routes de montagne et nous risquons de finir dans un fossé

O.K., maman, pour une fois, je suis de ton avis. Il doit bien y avoir une chambre de disponible, je vais voir

Une ? Tu ne sais pas à quoi tu t’exposes. Deux, sinon, tu passes la nuit sur l’une des banquettes de la salle

Je ne risquais rien à essayer

Tu crois ? Dépêche-toi, je vais récupérer nos affaire

Pas question, je m’en occupe, tu n’es pas assez couverte

Il faut que je bouge un peu et il y en a pour deux minutes

A peine quelques pas jusqu’au véhicule, mais dans un vent qui prend des allures de tempête et qui s’engouffre sous les plis de sa cape

Elle s’arrête un instant pour ne pas être aveuglée par des phares qui approchent, puis poursuit son avancée, resserrant autour d’elle une étoffe de laine bien trop fine pour lui assurer une protection efficace contre le froid qui la pénètre jusqu’aux os, et tout cela pour se frotter au coffre récalcitrant d’un tacot déterminé à lui jouer les pires mauvais tours

C’est claquant des dents qu’elle rebrousse chemin, courbée sous le poids des sacs et dans des rafales tourbillonnantes de flocons qui lui picorent le visage

Elle progresse avec prudence pour sursauter devant une haute silhouette qui se penche vers elle, qui la surprend au point de n’opposer aucune résistance aux mains qui la déchargent de son fardeau

Laissez cela

La voix est grave, le ton indifférent et l’homme déjà en marche vers le relais, ignorant totalement une Emmanuelle éberluée.

Hé ! Vous

Avancez

Que faire d’autre ? Qu’imagine-t-il ? Qu’elle va prendre racine dans l’attente qu’il revienne la chercher

Elle se place derrière lui, usant de son grand corps comme d’un écran contre le vent, et le suit de son mieux, alors qu’il lui ouvre la voie vers la chaleur. Une fois à l’intérieur, il s’arrête à peine pour déposer sa charge sur le sol, et c’est à un dos indifférent qu’Emmanuelle, frissonnante, bégaie quelques remerciements

Un ours ! Mais elle aurait mauvaise grâce à se formaliser pour si peu. Pour l’instant, l’important c’est de se pelotonner dans un lit bien chaud, et dormir... seulement cela... et avaler le contenu du gobelet que Marc lui tend.

C’est du thé, ça ira

Oui merci, Brrr... il fait un froid de canard dehors

Je t’avais dit de ne pas sortir. Drôle de type

Qui ? Oh ! Lui ? Pourquoi drôle ? Surtout gentil alors que rien ne l’y obligeait

En tout cas, c’est un sauvage. Regarde-le

A l’autre bout de la salle, debout, face à la vitre balayée par le vent, l’homme sirote un café, attentif seulement à la nuit froide, à la neige qui s’acharne à recouvrir le monde extérieur. Un sauvage ? Plutôt un solitaire, et puis, que leur importe, il est sans doute pressé de rentrer chez lui et doit rager contre le mauvais temps.

Bon, je suis morte de fatigue, où en es-tu pour les chambres

C’est fait, chacun la sienne, et tiens, voilà ta clé. Tout droit, là-bas. Et elles ne communiquent pas, rassurée

Si la serrure est en bon état, je n’ai rien à craindre. Ne te fâche pas, Marc, mais je te laisse, je dors debout. Tu as demandé le réveil pour quand

Sept heures, ça ira

Tout juste. Ton barda est là, et ne traîne pas, tu as autant besoin de repos que moi. Bonne nuit

Son bagage sur l’épaule, Emmanuelle passe à côté de la table des quatre fêtards qui fixent l’endroit vers lequel elle se dirige, où se dresse une silhouette sombre à deux pas de la porte qu’elle doit emprunter et elle ne peut ignorer l’exclamation poussée par les deux femmes maintenant derrière elle, ni les rires niais de leurs compagnons à une remarque idiote

Machinalement, elle cherche ce qui est à l’origine de leurs moqueries, pour découvrir un visage tourné vers eux tous, défi lancé aux commentaires, et elle souffre devant la cicatrice qui déchire une joue, épargne le dessin de la bouche et s’épuise à tenter d’enlaidir l’harmonie des traits que l’on retrouve, intacte, dans l’autre profil. Et elle s’indigne d’une bêtise méchante qui ne sait voir que la surface des êtres, et de tant de cruauté dirigée contre un individu qui n’ennuie personne

Mais dans le regard qui les toise sans colère, dans l’attitude d’un corps d’où n’émane qu’indifférence, pas même du mépris, elle sait lire toute la force que cet homme possède. Plus que cela, un désespoir qui ne lui vient pas d’eux tous, qu’il porte en lui, en lequel il puise à volonté plutôt que d’en être affaibli

Elle est à sa hauteur, et en elle, une impulsion soudaine

De son siège, Marc, bouche bée, n’en revient pas. Là, devant lui

Pour un bras qui se lève, des doigts qui avancent vers une joue blessée, qui s’y posent telle une caresse, et en dissimulent l’outrage. Pour Emmanuelle qui se hisse sur la pointe des pieds, qui attire vers elle un visage froid et hostile, au plus près du sien, perfection pure, jusqu'à réunir leurs lèvres. Et l’inconnu, recevoir le geste, s’y soumettre, sans réaction apparente, sinon celle, instinctive, de poser une main sur la taille offerte, en prolongeant d’à peine la caresse

Pour la laisser s’éloigner, au bruit des conversations reprises, dont il n’est plus le centre, rester à fixer, un instant seulement, la porte qui se referme sur elle et hésiter peut-être, avant de quitter les lieux, sans hâte, sans un mot ni même un regard en arrière.

 
 

 

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2






Le corps raide d’après un mauvais sommeil et, pour seule consolation, des tartines grillées comme elle les aime. Le goût du beurre, aussi, garanti du pays, à la baratte, comme dans le bon vieux temps.

Envie de dire merci aux anciens pour un plaisir inespéré

Emmanuelle est impatiente, de repartir, d’en revenir, de retrouver sa tranquillité. Elle est surtout lasse d’attendre Marc qui n’en finit pas de discuter avec la blonde serveuse

A l’extérieur, une vue de carte postale. Au-delà du chemin qui relie la route à la porte du Relais, le sol est vierge de traces de pas. Elle va devoir s’équiper, à voyager trop léger, il fallait s’y attendre, elle n’a pas assez de vêtements chauds dans son minuscule bagage.

Au Puy, elle devrait trouver de quoi la dépanner dans l’immédiat. Encore des frais... Zut

Dans le silence de l’aube naissante, le grésillement du portable a résonné comme un essaim d’abeilles en furie. Marc a obtenu les informations utiles pour la fin de leur parcours

Elle aime l’atmosphère de bout du monde qui s’est installée autour du relais, il n’y a qu’eux trois de réels dans le paysage qui s’offre à elle au-delà des baies vitrées, pas un mouvement à l’extérieur, le camion de la veille est loin maintenant et leur véhicule disparaît sous l’épaisse couche de neige. En elle, une heureuse sensation de liberté, ou bien d’attente du moindre événement, et elle se voudrait hors de portée des contraintes de la vie

Tiens, Marc est enfin disposé à reprendre la route ! Il l’amuse avec un clin d’œil égrillard et un sourire ensorceleur, convaincu de ramener un nouveau trophée à son tableau de chasse

Allez, tombeur, il est tard, et puis, si tu traînes encore, tu risques de te retrouver la bague au doigt avant de réaliser ce qui t’arrive

Jalouse, et ton bonhomme, hier soir

Qui ? Oh. Juste pour faire taire ces crétins

Un geste de pitié ? Emmanuelle, pourtant, c’est plus cruel qu’un rire

De la pitié ? Pas pour ce type d’homme. Elle connaît assez les individus pour être certaine de ce qu’elle avance ; et, à dire vrai... elle ne sait pas ce qui l’a amenée à se comporter de la sorte

Peut-être le désir de donner une leçon à des idiots, de leur montrer que derrière tout visage il y a une âme qui existe, forte ou vulnérable, et qu’il faut respecter ; qu’il ne suffit pas de s’arrêter à une marque, et qu’il faut aussi apprendre à découvrir, bien plus, à recréer la beauté qu’elle abîme

Quand je pense que tu as embrassé un inconnu alors que moi, je suis à tes pieds depuis des mois
Va savoir ce qui m’y a poussée ! C’est bien la première fois qu’une telle idée me traverse l’esprit

Tu as eu de la chance, en tous cas, pas curieux, le bonhomme ! Ou alors complètement déphasé... il n’a eu aucune réaction. Moi, à sa place j’aurais voulu en savoir plus sur toi. Et s’il t’avait suivie

Pas de réaction ? C’est ce qu’il pense, et il est très loin de la réalité. Elle a été imprudente, pire... complètement folle

La main, la pression dure des doigts sur sa taille, se sont révélées bien plus possessives que passives, et les lèvres... Emmanuelle en ressent encore le frémissement sur les siennes. Quant au regard qui s’est emparé du sien, il ne trahissait pas uniquement de l’étonnement, autre chose également... comme... comme une... exigence ? Aussi vite contrôlée qu’effacée. L’inconnu du relais a très bien compris sa motivation, heureusement pour elle, sinon

Tu étais là, non ? Tu veux bien perdre un peu de temps au Puy, j’ai des achats à faire. Je sens que je m’enrhume. Et l’autre, celui après qui la meute est lâchée, il se cache où

En pleine montagne, dans une espèce de cabane. Nous avons le temps. Emma, fais-moi penser à me procurer une carte de la région

Merci, Seigneur, tu deviens pratique

Ils me l’ont recommandé au journal

Tu m’en diras tant

Sur le pas de la porte, elle n’a pas envie de souiller la pureté qui s’étend devant eux. Elle en veut presque à son ami de courir comme un enfant, de se baisser et ramasser une pleine poignée de poudre blanche, l’en menaçant, bras levé vers elle

Elle retrouve le geste habituel, appareil toujours disponible, prête à tout ce qui peut s’offrir de beau, d’insolite ou d’amusant. Rarement les aspects tristes, ou quelquefois, ce que la douleur peut transmettre de force et de dignité

La route n’est pas dégagée et ils sont inconscients de s’y hasarder. Heureusement, Le Puy est à deux pas, il faudra décider Marc à prendre les dispositions utiles pour continuer leur voyage dans de bonnes conditions. Il lui a parlé de montagne, de refuge, une équipée qui n’a rien d’une sinécure dans les conjonctures actuelles

En Emmanuelle, la tentation de faire taire la voix qui la pousse à protéger un gamin grandi trop vite, de guetter le premier train... et de rentrer chez elle

Elle ne prend jamais de risque non réfléchi par crainte de se retrouver en position de dépendance. Encore moins perdue dans des endroits inconnus et c’est ce qui attend cet éternel distrait si elle le laisse seul. Le ciel est bas, prêt à déverser sur eux sa manne blanche, et il lui est impossible d’ignorer l’inquiétude qui la dominerait dans les jours à venir à imaginer un maladroit errant dans des contrées inhospitalières sans y croiser âme qui vive

Ils sont arrivés au Puy avec les premiers flocons, et assez tôt pour contraindre Marc à s’arrêter à la première station-service et le mettre en demeure de se procurer des chaînes pour les pneus. Il peut y croire, elle ne remontera à bord qu’avec toutes les mesures de sécurité prises. Rien n’y fera, pas même son air penaud

Le plus urgent, dans l’immédiat, c’est de se rendre dans une boutique où elle pourra trouver de quoi faire reculer le froid qui la fait trembler

Deux pulls pour elle, un autre pour lui. Chez eux, à Clermont, elle aurait pu profiter des soldes de Janvier. Une brèche à son budget. La fin de mois va être rude, une de plus... tant pis, elle fera avec

Déjà quatre ans qu’elle se débrouille seule, ce n’est pas si mal, finalement. Elle a de quoi tenir trois mois, le temps suffisant de voir venir

Si encore elle pouvait rendre le travail en cours dans les délais ! Ne pas oublier la carte, essentielle pour la suite de leur trajet, et quelques provisions... au cas où

Elle a retrouvé Marc, souriant, lui tendant deux factures

Emma, voilà ce que tu me coûtes. Alors, avec ces preuves, tu veux bien continuer

Du papier, je vérifie d’abord que tout est en ordre

Monte, sinon je t’enferme dans le coffre ! Il vaut mieux prendre la route immédiatement, et tout a été contrôlé. Depuis que nous sommes partis, hier, tu aurais pu te rendre compte que, si la carrosserie ne paie pas de mine, le moteur, lui, est en parfait état.

Le conducteur aussi

Tu es la pire des pestes que j’ai rencontrées à ce jour

Tiens, c’est pour toi, j’attends tes excuses

Pour moi ? Je retire tout

- J’espère qu’il est à ta taille, je ne voudrais pas avoir à te réchauffer, là où nous allons

- Je me disais bien aussi... Trop beau pour être vrai

Quand ils pénètrent dans Grandrieu, l’après-midi est déjà bien entamé

A destination ? Presque... juste leur base. L’autre, celui qui se cache, il faut trouver sa trace, enquêter auprès des habitants, et localiser son refuge

Il est vrai que Marc est habile dans ce domaine... Avec son corps maigre et dégingandé d’adolescent, perdu dans des vêtements sans âge, ses cheveux longs et indisciplinés qui le feraient ressembler à un poète maudit s’il n’avait toujours le rire au fond des yeux et à fleur des lèvres, et son adresse à afficher une apparence qui n’évoque qu’insouciance et qui le sert à la perfection... Jusqu'à la manière qu’il a d’aborder les gens, de poser des questions sans paraître en attendre de réponse, tout à fait celle d’un cabotin léger et charmeur

Ils se sont installés dans un petit hôtel au cachet d’autrefois, à l’atmosphère bousculée par les exclamations de quelques habitués réunis autour d’une table pour y disputer une partie de belote, dans des chambres confortables mais biscornues, sans l’aspect neutre et impersonnel qui règne partout maintenant

En revanche, Emmanuelle ne se sent pas très bien. Elle a mal à la gorge, le nez qui coule et de la température. Elle n’aura pas échappé au rhume. Un grog bien corsé, une aspirine, une bonne nuit de sommeil sous d’épaisses couvertures, elle n’aspire qu’à cela, et enrayer la fièvre qui avance en elle, colore ses joues, et brûle ses paupières

Je l’ai

Marc a fait irruption dans sa chambre, sans attendre de réponse aux trois coups qu’il a donnés par politesse

Emma, tu es toute rouge. Tu n’es pas bien

Pas très... Merci de ta sollicitude et pour ton appréciation sur mon teint. Tu as quoi

Brice D’Orval, j’ai retrouvé sa piste. On y va

Maintenant ! Tu es fou, il est tard et, bientôt, il fera nuit, les jours sont courts en cette saison. Nous aurons le temps demain.

C’est à dix minutes. Reste là, si tu veux, mais moi j’y vais

Non, pas question ! C’est où, montre-moi sur la carte

Sur la route de Florensac, à environ neuf kilomètres, ce qui ne représente pas, en effet, le bout du monde. Mais trouver une cabane à flanc de montagne, c’est une autre histoire. Quand à lui prêter l’un de ses précieux appareils, il peut toujours l’en supplier. C’est de son gagne-pain qu’il s’agit et elle n’a pas les moyens de les remplacer

Ecoute, je veux bien te suivre, mais nous rentrons dès que je le demande, d’accord

Je suis à tes ordres. Couvre-toi, il fait froid dehors. Ton pull, il est extra, juste ce qu’il me fallait. Je t’attends en bas, il y a une petite de toute beauté dans la salle, je lui ai dit que tu es ma sœur, ne me trahis pas

Compris. Mon frère ! Ce qui pouvait m’arriver de pire en ce moment

 
 

 

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3



Il appelle ça une route ? Certainement un chemin de terre
inégal, raviné par les intempéries, dont les pierres percent le fragile tapis blanc, agressent les pneus, et bousculent le véhicule ; ils avancent, au pas, sur une sente étroite et glissante, qui grimpe péniblement dans une région boisée. Personne devant eux, pas plus derrière, les seuls fous à se trouver là, à la nuit tombante, noyés dans un brouillard de neige de plus en plus dense.

Et Emmanuelle ne peut plus contrôler le sentiment d’angoisse qui monte en elle, bien moins devant les plis soucieux qui creusent le front de son compagnon, obstiné, malgré tout, à vouloir aller jusqu’au bout, quitte à se retrouver bloqué dans son véhicule jusqu’au prochain dégel. Pas elle

Il faut rentrer, Marc, nous ne pouvons aller plus loin

Je dois trouver un endroit pour faire demi-tour. Mais tu avais raison, ce n’est pas un temps à courir après une aiguille dans un tas de foin.

Va doucement, regarde... là devant... tu devrais y arriver

Oui, mais j’enrage, si près du but. Quand je pense qu’il est là, à ma portée, dans l’une de ces cabanes éclairées

Qui peut demeurer là-haut par cette saison

Des originaux ! Et je le ferais volontiers moi aussi, mais... avec toi
- Pose plutôt la question à la « petite » de l’hôtel. Sois sérieux, et fais attention, je n’y vois pas à deux pas.

N’accélère pas. Non... Marc

 
 

 

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4






L’air froid lui fouette le visage mais Emmanuelle peine à ouvrir les yeux. Elle a mal au crâne, à la gorge et... un poids sur la poitrine... la tête de Marc... qui ne bouge pas... qui est totalement inconscient

Elle ne doit pas se laisser gagner par la panique. Ce n’est pas grave, ce ne peut pas l’être, ils ne roulaient pas vraiment, une simple glissade sur le bas-côté. Pourvu qu’elle puisse sortir de là, voir où ils en sont

Ne pas le secouer

C’est avec d’infinies précautions qu’elle repousse le corps inerte de son ami, qu’elle le cale sur son siège, et avec souffrance qu’elle sort du véhicule

La pente est raide, ils sont à une cinquantaine de mètres, en contrebas de la route, et en apparence, pas trop de dégâts à déplorer pour la voiture. Du moins, vu l’état dans lequel elle se trouvait avant l’accident

Un peu de liquide sur la tempe. Du sang ? Allons, bon ! il ne manquait plus que cela. Elle a dû cogner contre la vitre

Son inquiétude est toute axée sur Marc, toujours évanoui. Plus haut, en droite ligne, à travers les branches... des lumières qui scintillent... il y a du monde, tout près

Elle devrait pouvoir y arriver

Plus bas, derrière elle. Seigneur ! Heureusement qu’ils ont rencontré des arbres sur leur descente, à une dizaine de pas près, il n’y avait rien pour freiner leur dégringolade

La toux lui déchire la gorge

Il n’y a pas plusieurs solutions si elle veut les sortir de là et puis qui s’aventurerait aussi tard sur une route perdue ! Qui, surtout, pour s’inquiéter réellement de leur retard ou de leur absence... Pas avant de longues heures... Quant à l’hôtel, ils en sont partis sans donner d’information

Elle ne peut pas laisser Marc comme cela, il faut l’abriter du froid. Elle se défait de l’un de ses pulls, le pose sur le corps toujours inanimé, ainsi que sa cape, peu pratique dans leur mésaventure, elle risque de la gêner plus qu’autre chose. Et puis, en marchant, elle va se réchauffer

C’est claquant des dents qu’elle commence à se hisser, sur les genoux le plus souvent. Un temps infini pour retrouver la route, quelques secondes pour s’orienter correctement sur les lueurs qui brillent dans la nuit

Il lui semble marcher depuis des heures sans progresser vraiment. Sa poitrine est douloureuse, ses yeux ont de plus en plus de mal à fixer des points qui se multiplient, qui dansent, qui s’évanouissent au-dessus d’elle

Sur le côté, quelque chose a bougé. Un animal ? Quelle sorte d’animal peut rôder la nuit dans ces bois ? La peur, il ne faut pas céder à la peur

Elle doit continuer, ne pas se laisser aller à la fatigue, au froid, à la douleur qui lui taraude la nuque, le dos. Et oublier le bruit sur sa gauche... non, là, devant elle, un bruissement qui glisse, à peine étouffé par le tapis de neige, deux taches luisantes dérivant sur une ombre... une ombre qui se rapproche, droit vers elle, sans hâte... et qui grogne soudain... à lui faire pousser un cri, et un autre, qui s’élancent et lacèrent le silence ouaté, se répercutent autour d’elle et se diluent dans l’obscurité... et un encore qu’elle retient au contact humide de la langue qui lui caresse le visage

Trop ! C’est trop ! Un chien... noir de nuit... fort et doux

Elle s’accroche au cou de cet ami venu elle ne sait d’où, priant le ciel pour qu’il sache la guider dans la bonne direction. Et lui, comprend, avance lentement, prenant garde à ne pas perdre une charge fragile derrière lui. Jusqu'à la sentir glisser à terre, et ne plus bouger malgré ses aboiements

Elle doit rêver les mains qui la soulèvent... Marc ! Il faut aller chercher Marc ! Elle peut attendre

- Il y a quelqu’un

- Où cela
- Plus bas... Marc est blessé... la voiture

- C’est fini, calmez-vous, on va s’en occuper. Taisez-vous maintenant. Flamme, en route

Flamme... les flammes... Tout s’embrouille dans sa tête, le froid... les bras qui l’entourent... qui la portent... le crissement de la neige... le torse contre lequel elle repose... un autre corps... inanimé... ailleurs

- Il faut aller chercher

- Ils sont partis... Ils vont le trouver

Tout est sombre autour d’elle, le balancement a disparu, elle est bien, au chaud, dans un lit où elle aimerait s’enfouir davantage, s’y blottir au plus profond.

Un lit ? Où est-elle

- Marc

Sa gorge... les mots la blessent... elle doit se lever, retourner là-bas

Du calme, votre ami est sain et sauf, et à l’abri.... Je viens d’avoir de ses nouvelles par radio, il a été dirigé sur l’hôpital le plus proche, et, dès demain, vous pourrez lui parler

La voix, douce et apaisante, vient d’un coin de la chambre plongée dans trop d’obscurité pour y deviner quoi que ce soit

Qui est là

Plus tard... ce n’est pas important... Reposez-vous... il n’y a que cela à faire pour le moment

Vous l’avez vraiment trouvé ? Vous ne dites pas cela pour me rassurer

Son permis de conduire est au nom de Marc Morel. C’est bien de lui qu’il s’agit

Oui, je... Merci, merci pour tout... Pour lui

La meilleure façon de me remercier c’est de ne pas vous agiter et de dormir... Je vous laisse... soyez sage...

Un fauteuil qui gémit, des pas, une porte qui s’ouvre, une silhouette qui se découpe un instant dans l’encadrement, aussitôt absorbée par le panneau de bois rabattu derrière elle... Pas un mot de plus

 
 

 

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