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Croisière Aux Bahamas, De Michele Dunaway

Croisière aux Bahamas de Michele Dunaway Pour que son père, un magnat de la presse new-yorkaise la prenne enfin au sérieux, il faudrait que Kit obtienne ce

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Newsuae2 Croisière Aux Bahamas, De Michele Dunaway

 

Croisière aux Bahamas
de Michele Dunaway


Croisière Bahamas, Michele Dunaway


Pour que son père, un magnat de la presse new-yorkaise la prenne enfin au sérieux, il faudrait que Kit obtienne ce qu’il souhaite depuis longtemps : une interview de Joshua Parker, le scénariste d’une célèbre série télévisée qui refuse toute rencontre avec les médias.
Aussi, apprenant qu’il doit faire une Croisière aux Bahamas, Kit réussit à se faire inviter sur le yacht, prête à jouer de son charme pour obtenir cet entretien. Mais à peine a-t-elle posé le pied sur le pont que Joshua, réputé pourtant pour sa misanthropie, la prend pour confidente. Attirée par cet homme au charme énigmatique, Kit n’ose lui avouer qu’elle est journaliste… Et si elle utilise les informations que Joshua lui abandonne en toute confiance, elle écrira un article sensationnel… mais à quel prix ? 0

 
 

 

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chapitre 1



The Tattler — Jeudi 21 novembre

Les potins de Mary Lynn

Les amours orageuses de Kit O’Brien

Cher lecteur, qui aurait pu imaginer ça ?

La plus célèbre des héritières de New York, l’inénarrable Kit O’Brien, a encore sévi. Cette fois, notre adorable et incorrigible héritière s’est particulièrement distinguée en jetant le contenu d’un bol de sauce béarnaise au visage de Blaine Rourke, qui est non seulement son fiancé, ainsi que nous le révélions dans nos colonnes, la semaine dernière, mais également le filleul préféré de son père. De source proche de la famille, Michael O’Brien, président des très prospères Editions O’Brien, est furieux ! Et Kit risque fort, après ce nouveau coup d’éclat, d’avoir toutes les peines du monde à amadouer son richissime papa. Se résoudra-t?elle à accéder aux souhaits de ce dernier en acceptant enfin de se marier ? Une chose est sûre en tout cas : avec Kit, il faut s’attendre à tout.
— Avez-vous déjà fait l’amour dans un avion ?

La sensualité avec laquelle il prononça ces mots, autant que l’audace de la question, laissa Kit O’Brien sans voix. La jeune femme dévisagea un instant son voisin de siège, un mâle d’une beauté diabolique qui voyageait à ses côtés depuis deux heures maintenant.

— C’est une proposition ? parvint-elle enfin à répliquer, le regard provocateur pour mieux masquer sa gêne.

En dépit de sa réputation, jamais un homme ne s’était montré aussi insolent, aussi cavalier avec elle. Un rayon de soleil perça par le hublot de première classe au moment où il lui sourit, malicieux.

— Pourquoi pas ? lança-t?il, tandis qu’une délicate fossette venait creuser sa joue droite.

Kit sentit un frisson la parcourir jusqu’à l’extrémité de ses orteils engourdis par l’immobilité forcée. Elle réfléchit à une réponse sage qui pût atténuer la tension qui régnait depuis peu entre l’inconnu et elle. En vain. Les mots s’envolèrent, effrontés, de sa bouche :

— J’y réfléchirai.

— Faites donc. Et tenez-moi au courant.

Le regard toujours rivé à celui de la jeune femme, il approcha lentement ses lèvres de sa tasse de café. Un geste d’une charge érotique insupportable.

Il se détourna, libérant Kit de son magnétisme. Comme par magie, l’incroyable pulsion qui l’avait poussée un instant plus tôt à envisager de céder à l’indécente proposition disparut. Vaguement soulagée, elle se pencha et voulut poser sa tasse sur le plateau déplié devant elle. Une opération qui s’avéra plus compliquée que prévu, car sa main s’obstinait à trembler. En réalité, c’était tout son corps qui semblait hésiter. Elle espéra que son voisin ne remarquerait rien du trouble dans lequel il l’avait jetée.

Quel culot, tout de même, pensa-t?elle. Ils avaient engagé la conversation sitôt leur envol de New York, à 11 h 00 du matin, et elle commençait tout juste à se détendre. Oui, il avait fallu qu’il détourne son attention pour lui accorder un peu de répit. Jamais, elle n’avait croisé un homme comme celui-ci, un homme capable de mettre tous ses sens en ébullition d’un seul regard.

A qui avait-elle affaire ? Elle l’ignorait. Elle savait seulement que l’inconnu avait un charme fou. Un magazine reposait sur ses genoux, masquant ses cuisses revêtues d’un jean noir. Une bouffée de chaleur submergea la jeune femme et son cœur s’emballa, tout comme il s’était emballé deux heures plus tôt, lorsque l’homme s’était installé à côté d’elle. A peine était-il apparu qu’elle n’avait su que le fixer, pétrifiée, tétanisée, jusqu’à ce qu’il pointe un doigt manucuré vers le siège mitoyen. Alors, elle avait senti ses joues s’embraser et n’avait pu détacher son regard du nouveau venu. Une éternité s’était écoulée, puis l’homme avait eu ce sourire particulier, celui d’un individu habitué à attirer l’attention. Il s’était débarrassé de sa veste de sport et à cette seconde, Kit avait eu l’impression de se vider de son sang. Ensuite, à la vue du T-shirt sous lequel on devinait une musculature parfaite, sa gorge s’était nouée. Enfin, comme il passait devant elle pour rejoindre la place près du hublot, non sans lui effleurer les jambes, elle aurait juré qu’une salve de feux d’artifice était tirée dans tout son corps.

S’arrachant à ses rêveries, elle se sermonna. Elle avait mille sujets de réflexion et il n’était pas question de perdre son temps à fantasmer sur un homme qu’elle n’avait jamais vu et ne reverrait jamais. Dans quatre jours à peine, elle devrait affronter son père et subir des sermons relatifs au dernier scandale public qu’elle avait déclenché. Elle s’agita sur son siège et tenta de tirer sa jupe sur ses genoux. A cet instant, son voisin croisa les jambes et elle se figea. Il portait des bottes noires ferrées !

Un cow-boy ! se dit?elle, se laissant aussitôt emporter par son imagination. Un vrai, un dur. Libre et sauvage. Fermant les yeux, elle s’imagina en train de nouer les longues mèches de ses cheveux châtains rebelles avec le cuir brut de la lanière d’un fouet.

Non, se ravisa-t?elle. Chassant cette image, elle préféra s’imaginer glissant sa tignasse épaisse et soyeuse sous les larges bords d’un Stetson. Lui, stoïque, la laisserait faire, puis il poserait ses mains puissantes sur elle, des mains viriles, mais d’une douceur incroyable pour un homme qui passait sa vie à tenir les rênes d’étalons sauvages. Elle effleurerait tendrement la barbe de plusieurs jours qui ombrait ses joues, tandis qu’il promènerait des doigts impatients le long de son dos, de ses reins…


Rouvrant les yeux, elle regarda de nouveau l’inconnu, admirant son regard noir et son visage taillé à la serpe.

Le voulait-elle vraiment ? Oserait-elle se faufiler avec lui dans les toilettes de première classe ? A la pensée de cette bouche avide s’emparant de la sienne, un frisson la parcourut. Il lui caresserait les seins, s’agenouillerait devant elle pour plaquer les lèvres sur son ventre. Elle retiendrait un cri, agripperait ses cheveux fous. Alors, il la prendrait, comme ça. Il la posséderait, l’emporterait jusqu’à un plaisir inouï qui la laisserait haletante. Epousez-moi, lui chuchoterait-il ensuite, lui caressant le cou de son souffle chaud. Epousez-moi…

Assez ! Au prix d’un redoutable effort, Kit mit un terme à ses divagations. Excepté le trouble qu’il éveillait en elle, elle ne savait rien de cet homme. D’ailleurs, même dans le cas contraire, il ne lui viendrait jamais à l’idée de faire des choses pareilles ! Elle était vierge, oui vierge, même si chacun, dans le pays, imaginait le contraire. Et puis, ce n’était vraiment pas le moment de commettre un nouveau scandale !

Car forcément, l’incident de la sauce béarnaise, désormais connu de tous, ne serait pas classé sans suite. Si son père était furieux contre son comportement de la veille, Blaine en avait certainement gros sur le cœur lui aussi. Et d’ici peu, elle serait contrainte de rendre des comptes à l’un et à l’autre. Le plus tard serait le mieux…

En vérité, la mission que lui avait confiée ce matin même Eléni, sa rédactrice en chef, lui avait fait l’effet d’un miracle. Car oui, tout valait mieux que d’aller affronter ce père après l’article qui venait de paraître. Kit avait donc accepté la proposition sans hésiter et n’avait même pas songé à s’informer sur la personne qu’il lui faudrait interviewer. Elle aurait tout le temps de consulter le press-book qu’Eléni avait promis de lui expédier le lendemain matin, avant l’entretien.

Elle signerait un article impeccable, rédigerait un papier qui forcerait l’admiration de tous. Au grand dam de son père, qui finirait bien par se résigner à laisser Eléni confier à sa fille des missions plus sérieuses. Car Kit commençait à se lasser de la rubrique « Vie mondaine » dans laquelle sa responsable s’obstinait à la faire travailler. Gastronomie, art et société lui avaient déjà permis de s’exercer au journalisme et à présent, elle aspirait à traiter des sujets plus graves.

Et puis, elle en avait assez que son père, ce vénéré patron de presse, lui interdise de signer ses articles sous son vrai nom. Même lorsqu’elle rédigeait un papier respectable, elle était obligée de le faire sous le pseudo de Carol Jones. Pitoyable. Il était grand temps que son père lui donnât sa chance.

Perdue dans ses pensées, Kit serra les dents. Elle voulait réussir. Et elle réussirait.

Un bref instant, elle se demanda à quoi pouvait ressembler la personne qu’elle devait interviewer. Si elle n’avait pas été si pressée de grimper dans cet avion, sans doute le saurait-elle déjà. Et s’il s’agissait d’un homme, d’un homme du genre de celui assis à ses côtés ? Ce serait le rêve…

Quelle allure, tout de même ! se dit-elle en épiant l’inconnu. Les mannequins de Calvin Klein faisaient figure de laiderons à côté de lui. La jeune femme soupira. Les images peu avouables qui dansaient dans sa tête la perturbaient et elle puisa distraitement dans les dernières cacahuètes abandonnées sur le plateau devant elle.

Il fallait penser à autre chose. Détourner son attention de ce cow-boy. De ces doigts longs et effilés qui tapotaient en ce moment même le clavier d’un ordinateur portable, sur lequel il faisait une réussite.

Kit se redressa sur son siège, l’humeur mélancolique. Comme il devait être bon de s’abandonner simplement à ses envies, de vivre une passion sans que personne ne vienne épier vos moindres gestes ! Oui, s’enfermer avec ce séduisant voisin dans les toilettes…

Elle soupira de nouveau sans cesser de l’observer discrètement tandis qu’il cliquait sur les cartes.

— Le huit. Placez-le sur le neuf de cœur.

Elle avait dit cela en désignant sur l’écran de l’ordinateur une rangée de cartes qu’il semblait ne pas voir.

— Et déplacez le quatre, enchaîna-t?elle. Sur le cinq, là !

Fronçant les sourcils, il suggéra :

— Vous voulez jouer ?

— Non.

— Alors, taisez-vous ! La réussite est un jeu solitaire, non ? Enfin, si vous tenez vraiment à faire une partie, je suis sûr que nous pourrons trouver un arrangement…

Son sourire provocateur et narquois aurait dû exaspérer Kit, mais il n’en fut rien. Refermant son portable avec un calme olympien, il se tourna vers elle. Une nouvelle vague de picotements la parcourut.

— Quel dommage, soupira-t?il, alors que la voix du commandant de bord indiquait aux passagers que l’on approchait de Miami. Cela aurait pu être extrêmement intéressant, vous ne croyez pas ? Enfin, tout n’est pas perdu : nous sommes encore à une bonne dizaine de kilomètres de Miami…

Kit rougit, réaction naturelle au ton terriblement voluptueux de la voix masculine. Prenait-il toujours cet accent avec les femmes qu’il accueillait dans son lit ? Elle tressaillit à cette idée, avant de se reprendre.

— Oui, quel gâchis ! lança-t?elle en haussant les épaules, faisant ainsi danser ses cheveux blonds. Moi qui ai toujours rêvé de… de ces rencontres pleines de magie, entre deux avions… Nous passons peut-être à côté de la nuit la plus torride de notre existence, qui sait ? Bah, c’est la vie…

Ah, mais ! Elle savait se montrer cynique quand il le fallait. Elle se félicita et sourit lorsque l’inconnu se fut détourné.

L’avion entama sa descente et le sourire de Kit s’estompa. Les décollages et les atterrissages la terrorisaient.

Elle ferma les yeux, ignorant de ce fait le regard intrigué de son voisin, et commença sans attendre les exercices respiratoires destinés à apaiser son angoisse. Avec lenteur, bruyamment, elle inspira, puis expira, son buste s’élevant et s’abaissant selon un rythme régulier.
Paralysée par la peur, Kit crut soudain qu’un fer rouge s’abattait sur ses doigts. La main de l’inconnu venait de se poser sur la sienne, caressante, réconfortante. Une brusque bouffée de désir la submergea, réchauffant tout son corps. Ce contact avait dissipé sa peur comme par magie et elle s’oublia elle-même, si bien qu’elle ne sentit presque pas l’effet des paliers de descente de l’avion, qui la terrifiaient tant d’ordinaire. Le corps emporté dans une sorte de tourbillon délicieux, elle s’imagina en train d’embrasser l’inconnu, de presser ses lèvres impatientes et indécentes sur cette bouche sensuelle, de jouer avec sa langue.

L’écho tant espéré du train d’atterrissage heurtant le tarmac se fit bientôt entendre, suivi du crissement des freins. Enfin, l’engin s’immobilisa et ce fut le silence. Kit rouvrit les yeux, désorientée. Consciente d’avoir retrouvé le plancher des vaches, elle doutait malgré tout d’être en sécurité. Elle comprit alors que trois petites heures à peine avaient suffi à bouleverser son existence. C’était ainsi, elle en avait la certitude, sans pouvoir néanmoins s’expliquer la cause de ce pressentiment.

Fixant le dossier du siège devant elle, elle tentait de calmer les battements de son cœur lorsque son voisin retira brusquement sa main, qu’il avait laissée jusque-là sur celle de la jeune femme.

— On est arrivés, lâcha-t?il d’un ton un peu sec.

Clignant des yeux, Kit tenta de lutter contre un sentiment de vide. Sa main la brûlait, comme à vif.

— Ah, bon…

S’efforçant d’assurer sa voix pendant que l’avion allait se garer devant le terminal, elle reprit :

— Merci de votre gentillesse pendant l’atterrissage. C’était très charitable de votre part.

Les sourcils levés, il l’observa un instant, puis haussa les épaules.

— Ce n’est rien…, marmonna-t?il.

Soudain déterminée, elle se leva dès que résonna l’autorisation de détacher les ceintures.

— Eh bien, je suis heureuse d’avoir partagé ce vol avec vous. Je me dépêche. J’ai beaucoup de travail devant moi.

— Bonne chance, répondit-il en la fixant comme s’il cherchait à imprimer le visage de la jeune femme dans sa mémoire.

— Merci, articula-t?elle en rougissant.

Il ne dit rien et se leva à son tour pour la rejoindre dans l’allée. Impressionnée, Kit recula ; l’homme la dépassait d’une bonne dizaine de centimètres. Etudiant avec intérêt cette stature d’athlète, elle le regarda extirper ses deux sacs du compartiment à bagages avec une aisance déconcertante.

Elle ne le lâcha pas des yeux — après tout, quel mal y avait-il ? — tandis qu’il enfilait sa veste. Elle laissa ensuite traîner son regard sur le dos puissant, sur la taille, sur les fesses. Pas un poil de graisse, du muscle à cent pour cent ! Oui, convint-elle, visiblement, cet homme était en tout point irréprochable sur le plan physique.
Perdant brutalement l’équilibre, Kit alla s’écraser contre l’inconnu. Celui-ci la rattrapa d’un geste vif et ferme, les bras tendus soudain sous la chemise. Instinctivement, elle plaqua les mains sur le buste qu’il lui offrait. Si puissant, si fort… Elle se laissa alors aller contre lui avec l’impression de s’abandonner, s’enivrant du parfum viril et musqué de l’eau de toilette qu’il portait.

Elle s’aperçut alors qu’il avait posé sur elle ses grands yeux profonds et rêva un instant de se noyer dans ce regard.

— Tout va bien ? demanda-t?il d’une voix douce.

Ebranlée, Kit se redressa et s’écarta en toute hâte, confuse.

— Très bien, mentit-elle, paniquée à l’idée qu’il ait pu surprendre son trouble.

Avait-il seulement conscience de l’état dans lequel elle avait passé ce vol ? Il semblait sur ses gardes et son visage ne laissait rien paraître de ce qu’il pensait. Non, décida-t?elle, elle ne pouvait laisser les choses se terminer ainsi. Cet homme la hanterait jusqu’à la fin de ses jours et elle ne connaissait même pas son nom. Une terrible angoisse la fit suffoquer. Elle devait dire quelque chose, vite, peu importait les conséquences.

— Vous ne voulez pas avancer, s’il vous plaît ? J’ai une correspondance à prendre, moi !

— Pardon ?

Tandis que ses bagages à main manquaient lui échapper, Kit se retourna pour regarder la mé*******e qui venait de s’adresser ainsi à elle.

— Excusez-moi, murmura-t?elle.

— Je vous en prie, rétorqua la femme avec mauvaise humeur.

Kit se détourna d’elle et se lança à l’eau :

— Vous savez, j’ai adoré ce v…

Elle s’interrompit net. Devant elle, l’allée s’étirait, déserte. L’inconnu avait disparu. Envolé.

Moins d’une heure plus tard, Kit se demandait dans quelle galère elle s’était embarquée, alors que pour la dixième fois, elle tentait de déclencher l’ouverture de la porte de la cabine 4648.

— Au moins, il y a un hublot, marmonna-t?elle en pénétrant enfin dans ce qui serait sa chambre le temps du voyage.

Island Voyager, le navire de la modernité et du confort ! proclamait la publicité. Peut-être ce slogan concernait-il la première classe, songea-t?elle. Car la cabine économique qu’on lui avait réservée laissait plutôt à désirer.

Fronçant les sourcils, Kit observa le minuscule espace. De chaque côté du hublot, face à la porte, se trouvaient quatre lits superposés — peut-être le terme de « couchettes » était-il plus approprié.

Kit promena son regard à droite, vers une petite armoire. Puis elle s’intéressa à la partie gauche de la cabine, où l’on avait installé un lavabo et une douche, à côté des WC. Jamais elle n’avait vu salle de bains si exiguë.
Bah ! se dit-elle. Après tout, cela suffirait amplement pour ces trois petites nuits à bord, le temps que durerait la croisière annuelle de la célèbre série télé La dernière frontière.

Kit se souvint tout à coup du visage d’Eléni et comprit pourquoi la responsable éditoriale avait eu cette expression étrange, perplexe pour tout dire, lorsque Kit avait insisté pour effectuer ce reportage.

— Très bien… Euh… Je te ferai parvenir le press-book par bateau demain, avait répondu Eléni. Tu le récupéreras à Nassau.

— Parfait.

— Si tu le dis… Il ne reste qu’une place disponible à bord, avait ajouté Eléni en écartant mollement une mèche de ses cheveux blonds. Le problème, c’est que tu vas être obligée de partager ta cabine.

— Avec une… une co-locataire ? avait interrogé Kit, contrariée.

A cet instant le téléphone avait sonné pour avertir Eléni de la tenue d’une réunion surprise avec Michael O’Brien. Paniquée à l’idée de devoir affronter son père, Kit s’était empressée de clore la conversation.

— C’est parfait. Oui, oui, ça ira. Dis-moi vite ce que je dois faire…

— Ne pas perdre de temps, avait répondu Eléni, énergique. Récupère ton billet à l’aéroport et amuse-toi jusqu’à ce que les documents te parviennent, c’est-à-dire jusqu’à demain. Et je t’en prie, Kit… sois raisonnable !

Sans relever, Kit s’était empressée de disparaître. Et à présent, elle se trouvait coincée là, contrainte de partager son étroite cabine avec une personne qu’elle ne connaissait pas. Tout cela pour interviewer qui, et pour quoi ? Elle n’en savait rien.

Elle consulta sa montre, se demandant comment Eléni s’en était sortie face au patron tout-puissant, à l’éminence grise des Editions O’Brien. Connaissant le caractère entêté de son père et ses théories sur l’irresponsabilité de sa mondaine de fille, Kit imaginait que la réunion du matin avait été houleuse. Oui, son père devait être furieux de la savoir partie en reportage.

Eh bien, tant pis ! Elle avait besoin de ces quatre jours loin de lui, loin de la ville. Et pas dans le seul but de se prouver qu’elle méritait le titre de journaliste. Elle avait également besoin de prendre un peu de recul avant de rentrer. D’ici là, peut-être Cameron, son frère, aurait-il trouvé une nouvelle fiancée. Pour son père, marier Cameron représentait une priorité. Chaque fois que ce dernier entamait une relation, Kit jouissait donc d’un peu de répit.

Elle s’étira, encore tout engourdie par les trois heures de vol. Demain, lorsque le press-book serait arrivé, elle procéderait à l’interview, rédigerait son papier et, dans la foulée, prouverait à son père qu’elle valait quelque chose.

La porte s’ouvrit soudain. Curieuse de découvrir celle qui partagerait sa cabine, Kit se retourna, pour découvrir deux personnes sur le seuil.

— Kit !

Elle réprima un soupir excédé. Celle qui venait de l’interpeller ainsi s’était trouvée assise auprès d’elle dans le bus qui les avait conduites de l’aéroport au bateau. La nouvelle venue poussa un cri perçant et se précipita sur Kit pour l’embrasser.

— Quand on m’a dit que tu serais dans la même cabine que nous, je n’y ai pas cru ! s’exclama Georgia.

— Que nous… ? répéta Kit, tandis que la deuxième jeune femme se faufilait dans la chambre.

— Mais oui ! Nous logeons toutes ensemble, toi, moi Becca et Paula ! Becca est à la piscine. Paula, je te présente Kit. Comme je te l’ai expliqué, Paula, j’ai fait la connaissance de Kit dans le bus. Elle est adorable ! Et depuis toujours fan de La dernière frontière !
Georgia s’interrompit pour aller regarder par le hublot et s’écria :

— Super ! J’aperçois notre hôtel !

— Enchantée, Paula, dit Kit, sous le choc, en tendant une main absente.

Quelle guigne ! Ce n’était pas une, mais trois co-locataires qu’il faudrait supporter. Et toutes trois inconditionnelles de la série La dernière frontière, série dont elle-même n’avait jamais vu la moindre image ! Elle s’efforça de garder son calme.

— Je m’appelle Kit O’Brien, acheva-t?elle de se présenter.

— Paula Sullivan, de Sandpoint, dans l’Idaho, enchaîna Paula en lui serrant la main. C’est drôle, ton visage ne m’est pas inconnu, remarqua-t?elle. Tu n’es jamais passée à la télé ?

— Non, jamais, répondit vivement Kit en s’efforçant d’oublier la fois où elle avait fait l’ouverture du journal du soir, filmée enchaînée à une clôture pour protester contre la destruction d’un bâtiment historique.

Paula repoussa ses longs cheveux noirs en arrière, l’air sceptique.

— Je dois me tromper…

Georgia vint involontairement à la rescousse de Kit en prétendant avec un air de circonstance souffrir de claustrophobie aiguë :

— Il me faut absolument une couchette supérieure ! clama-t?elle. Choisis celle du bas que tu préfères, Kit !
Pourvu qu’elle ne ronfle pas, se dit soudain Kit en s’apercevant qu’elle avait oublié ses boules Quiès.

— Bon sang, il est presque 16 heures ! Allez, hop, j’y vais ! s’exclama Georgia en gagnant la porte. Je ne veux pas rater une seule animation. Je vais vite m’inscrire sur la liste des participants. Le repas est à 19 h 15, et après, il y aura la fête dans le salon VIP. Attention, tenue de soirée exigée !
Kit était atterrée. Cette cohabitation imprévue s’annonçait épuisante. Mais quelle idée elle avait eu d’accepter ce travail ! D’habitude, elle aimait compiler des dizaines et des dizaines de documents, effectuer de minutieuses recherches sur son sujet avant chaque interview.
— Tu es prête, Kit ? l’interpella Georgia depuis le seuil. Nous t’attendons ! Allez, dépêche-toi !

Ne sachant quelle excuse invoquer pour refuser, Kit se laissa entraîner. Au point où elle en était…
Joshua Parker s’accouda au bastingage et offrit son visage à la brise marine, qui fouetta ses longs cheveux châtains, cette tignasse qu’il arborait comme un étendard et qu’une tondeuse raserait dans moins d’une semaine. Clignant des yeux, il regarda le soleil et laissa ses poumons s’emplir de l’air iodé. Le navire avait beau être encore à quai et les odeurs peu ragoûtantes du port s’élever jusqu’à lui, il éprouvait malgré tout un authentique sentiment de plénitude.

En dépit de ses réticences à participer à cette croisière, il devait admettre que ce navire avait de l’allure. Et puis, quel temps merveilleux ! Au diable, le New York frileux de novembre ! Oui, il était las de cette neige crasseuse qui maculait les rues de l’immense cité, fatigué des tours grises dont l’ombre sinistre barrait la route au soleil.

Bientôt, oui bientôt, ces neuf années de vie trépidante, de stress et d’horizon lugubre ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. La liberté était là, toute proche, dans des champs immenses et colorés parsemés de pommiers centenaires. Oui, il passerait le reste de sa vie sur cette terre — sa terre —, un espace épargné par l’homme, vierge de tout progrès.

Joshua soupira. Oh, il était loin, l’enfant sauvage, loin, l’adolescent rebelle. Tout ce à quoi il aspirait aujourd’hui, c’était retourner à la vie de gentleman farmer, expression qu’il abhorrait autrefois. Une expression qui plaisait à son père et qui les avait fait maintes fois s’opposer. Aujourd’hui, ces mots étaient devenus synonymes de liberté pour lui.

Joshua se détourna du spectacle magique de l’océan que sa terrasse privée lui offrait et fit glisser la baie vitrée pour rentrer dans sa suite. Il regarda autour de lui et se dit que sa cabine était trois fois trop grande pour un homme seul.
A vrai dire, si cette croisière n’avait pas été aussi importante pour les producteurs de La dernière frontière, Joshua s’en serait bien passé. Il comptait en effet profiter de la dernière diffusion en prime time de la série pour mettre un terme définitif à ce chapitre de son existence. Oh, bien sûr, les fans adoraient le feuilleton et seraient forcément déçus. Mais il en avait assez de La dernière frontière, assez du succès et de la gloire. Oui, il était las des éloges et du vide de son existence. Plus grave, il lui semblait que toute inspiration l’avait déserté et il ne parvenait plus à écrire.

Oui, c’était pour toutes ses raisons qu’il avait acheté la ferme, réalisant finalement le rêve que son père avait toujours eu pour lui.

L’âge, sans doute, n’était pas étranger à sa décision, pensa-t?il avec un sourire amer. A 32 ans, il avait le sentiment d’avoir fait le tour de tout. Et d’être revenu à son point de départ.

Peu à peu, l’adolescent égoïste qui avait ruiné par deux fois les espoirs de carrière politique de son père s’était effacé pour laisser place à un homme qui avait compris combien les parents étaient précieux et méritaient d’être chéris, et non pas tourmentés.

C’était là un constat que tous les enfants faisaient et que ferait aussitôt ou tard cette chipie de Kit O’Brien, à condition qu’elle accepte enfin de grandir.

Il se souvint alors du regard insistant de Kit lorsqu’il avait embarqué à bord de l’avion.

Il sourit en se rappelant son expression quand, le plus naturellement du monde, il lui avait proposé de faire l’amour. Une proposition des plus inconvenantes, il l’admettait, mais l’idée de séduire l’héritière la plus célèbre de New York dans les toilettes d’un Boeing lui avait soudain paru aussi cocasse qu’irrésistible.

Et elle avait failli accepter, pensa-t?il avec un sourire moqueur. Elle avait été à deux doigts de le faire, sans même savoir qui il était. Ce qui, somme toute, l’avait amené à considérer cette fille avec un nouvel intérêt.

D’ordinaire, les gens n’agissaient jamais gratuitement avec lui et espéraient toujours profiter de sa réussite. Depuis le début de La dernière frontière, il en était ainsi. Comme il détestait ce genre de rapports !

Oui, il détestait tout de cette existence superficielle, et même s’il comprenait les raisons de Bill Davies, il ne pourrait jamais lui pardonner de l’avoir poussé sous le feu des projecteurs. Le producteur avait insisté pour qu’il fît quelques apparitions dans la série, insisté également pour qu’il se montre aux rassemblements de fans.

Joshua avait bien protesté, expliquant qu’il préférait rester dans l’anonymat et laisser la vedette aux acteurs. Mais Bill n’avait pas cédé, d’autant que La dernière frontière était vite devenue une série culte.

Et aujourd’hui, sa vie privée ressemblait à un champ de ruines. Des sites web lui étaient consacrés, les internautes de tout le pays discutant à bâtons rompus et sans la moindre pudeur de tout ce qui concernait son intimité, ses conquêtes, sa carrière. Jeté en pâture au public, Joshua Parker, le vrai, n’existait plus ; on l’avait remplacé par un homme hyper-médiatisé.

Il soupira de nouveau, songeur. Avec sa réputation très jet-set et son image de croqueuse d’hommes, sans doute Kit O’Brien devait-elle avoir une cour de prétendants à ses trousses.

Eh bien tant mieux pour elle ! Car, en dépit de la proposition indécente qu’il lui avait faite, jamais il ne lui viendrait à l’idée d’avoir une liaison avec une femme de son espèce. En aucun cas. Le prix à payer pour une relation avec Kit O’Brien serait bien trop élevé. Pas question d’être épinglé par la presse à scandale. Il avait appris à ses dépens qu’il valait mieux fuir ces charognards qu’étaient les journalistes.

Une presse qu’il lui arrivait malgré tout de feuilleter. Et qui relatait régulièrement rumeurs et épisodes fracassants de la vie de Kit O’Brien.

Or, ces rumeurs laissaient entendre qu’actuellement, la jeune femme n’était pas disponible. Il avait appris le matin même son dernier coup d’éclat, l’humiliation infligée en public à un certain Blaine Rourke que tous semblaient considérer comme son fiancé. Le favori du père de la belle.

Sacré bout de femme, tout de même ! se dit-il en se remémorant certains articles illustrés de photos montrant Kit en train de nager en bikini au milieu des phoques pour attirer l’attention sur les droits des animaux. Il y avait eu aussi cette fois où, en plein hiver, elle avait passé la nuit sous un carton en compagnie de clochards, afin d’alerter l’opinion publique sur le sort des SDF.

Kit ne semblait pas réaliser la chance qu’elle avait d’être la fille d’un patron de presse aussi puissant, songea Joshua, amer. Sans doute avait-elle aujourd’hui sauté dans le premier avion pour fuir la colère de ce père qui, en réalité, finissait toujours par lui pardonner et passait le plus clair de son temps à la sortir du pétrin. Lui-même n’avait pas eu ce bonheur. Terriblement déçu de ne pouvoir embrasser la carrière de politicien dont il rêvait, son père s’était muré dans un long silence, désireux de prendre du recul avec ce fils ingrat, source de tous ses malheurs. Kit, pour sa part, se comportait en enfant gâtée, forte malgré tout du repère affectif que représentait son père, aussi sévère fût-il. Oui, c’était sans doute ce qui l’avait séduit autant qu’agacé chez elle, dans l’avion, ce côté enfant gâté, cette passion débridée pour la vie.

Malgré la fatigue, il se sentait fébrile, excité. En temps normal, il profitait des trajets en avion pour faire un somme, mais la proximité de Kit lui avait ôté toute envie de dormir. Il se laissa tomber sur le lit et s’étira, les yeux clos, revoyant l’expression de sa voisine quand il lui avait demandé si elle avait déjà fait l’amour dans un avion. Ses lèvres avaient dessiné un O et ses grands yeux verts avaient pris l’éclat de l’émeraude la plus pure.

Dommage qu’il n’ait pu voir comment réagissait le reste de son corps. S’il s’en tenait à cette électricité qui avait circulé entre eux tout au long du vol, nul doute que faire l’amour avec Kit devait être une expérience enthousiasmante !

En réalité, Joshua n’avait eu d’autre choix que de fuir la cabine de ce satané avion pour cacher le désir inattendu qui l’avait soudain submergé. En effet, quand elle était tombée dans ses bras, son propre corps avait aussitôt réagi, ne laissant aucun doute sur l’intensité du trouble que cette femme déclenchait en lui.

Rouvrant les yeux, il consulta sa montre. Cinq minutes encore et il devrait rejoindre l’équipe de La dernière frontière. Il s’aperçut alors que Kit ne lui avait rien dit des raisons de sa venue à Miami. La ville était grande et la jeune femme pouvait avoir mille endroits où se rendre.

Non pas que cela fût d’une importance capitale pour lui. Un monde, un univers le séparait de Kit O’Brien. Pour elle, la vie n’était que fêtes, haute couture et paillettes. Joshua, lui, ne se sentait bien qu’en jean, un chapeau de cow-boy vissé sur la tête, dans la solitude des plaines s’étalant à perte de vue autour de sa ferme. Kit sillonnait sans doute New York à bord d’une limousine avec chauffeur. Lui-même préférait prendre le métro.

Bah, dans moins de trois semaines, il enfourcherait chaque matin à l’aube son cheval préféré pour s’en aller inspecter les vergers, discuter avec ses hommes — des hommes de la terre, sains et droits— des tâches de la journée. Un peu plus tard, il rentrerait se mettre au travail, reprendrait l’écriture de ce roman qui lui tenait à cœur et qu’il avait jadis abandonné pour ne plus se consacrer qu’au scénario de La dernière frontière.

Il ferma de nouveau les yeux et sourit en se rappelant le galbe parfait des jambes de Kit aperçues quand la jupe s’était relevée sur les cuisses bronzées et musclées, alors qu’elle se redressait sur son siège, tout près de lui. A portée de main.

 
 

 

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chapitre 2


Quatre heures plus tard, Kit découvrait l’univers de La dernière frontière en compagnie de ses co-locataires, incollables sur l’équipe de l’émission et ne tarissant pas d’éloges sur l’un de ses membres en particulier, un certain Joshua Parker.

— Kit !

Kit leva la tête vers Georgia, qui agitait la main devant ses yeux.

— Oui ?

— Comme tu es pâle ! Tu es malade ?

— Non, merci Georgia, je vais bien. Vraiment, répondit Kit avec un sourire.

Quelle déveine, vraiment, d’avoir une hypocondriaque pour co-locataire ! pesta-t?elle en son for intérieur.

— Comme tu voudras, reprit Georgia, visiblement peu convaincue. Si tu changes d’avis, n’hésite pas à faire appel à moi. Je ne voyage jamais sans ma trousse de premiers secours.

Georgia se détourna pour s’intéresser à la vidéo qui défilait sur l’un des écrans du salon VIP du navire. Un salon tout en chrome et cuir, agencé comme le bar feutré d’un grand hôtel, où sièges et fauteuils étaient disposés par niches intimes jusque sur une terrasse donnant sur le pont. C’était manifestement la partie la plus luxueuse du bateau.

— Voici la serveuse. Que voulez-vous boire ? C’est ma tournée, lança Georgia.

Paula et Becca ne se firent pas prier et commandèrent un cocktail. Kit, pour sa part, refusa la proposition d’un signe de tête. Effort inutile, puisque Georgia passa elle-même la commande.

— J’ai demandé pour toi un verre de vin, expliqua la jeune femme, l’air inquiet. Tu n’as bu qu’une malheureuse coupe de champagne au dîner.

— J’essaie d’être raisonnable et…, commença Kit.

— Tu vas boire ce verre de vin, ma belle, l’interrompit Georgia. C’est excellent pour tes artères et puis, ce n’est pas comme si tu devais prendre le volant… Quelqu’un aurait-il aperçu Bob ou Joshua ? interrogea-t?elle soudain en scrutant le salon, à la recherche de ses idoles.

La serveuse revint avec leur commande à l’instant même où le responsable de la croisière se présentait sur la piste de danse, un micro à la main. Kit avala une petite gorgée de vin et fronça le nez. Un blanc sec, bas de gamme. A l’âge de 21 ans, son père l’avait inscrite à un cours d’œnologie, qu’elle avait trouvé mortellement ennuyeux, mais qui lui avait permis, au bout du compte, de faire son entrée dans le monde du journalisme en signant des critiques gastronomiques.

Des applaudissements l’arrachèrent à ses pensées. Elle n’avait rien entendu de la présentation de l’orateur qui se tenait sur la piste. Elle se pencha et étudia l’homme, qui devait avoir la cinquantaine. Etait-ce lui qu’elle devait interviewer ?

— Qui est-ce ? murmura-t?elle à l’oreille de Paula.

— Bill Davies, le producteur de la série. C’est lui qui a acheté les droits du scénario de Joshua.

— Ah bon…, commenta Kit en se laissant aller sur son siège.

Frustrée de devoir patienter jusqu’au lendemain pour connaître l’identité de son interviewé, elle se mit à observer autour d’elle la foule des « Frontaliers », comme on surnommait les fans de la série. Kit avait appris que chacun d’eux avait payé plus de 1 000 $ le droit de participer à cette croisière.
Elle tressaillit soudain en sentant un poids étrange peser sur sa nuque. Quelqu’un l’observait. Kit se retourna sur son siège et aussitôt, son regard rencontra celui de l’inconnu du vol 813, en provenance de New York.

Mais que diable faisait-il donc ici ? Il l’observait depuis la porte du salon VIP, manifestement surpris lui aussi, mais il se reprit vite pour la fixer avec un aplomb indécent, un sourire diabolique aux lèvres. Kit se raidit, puis releva dignement le menton pour se tourner de nouveau vers la piste de danse, en proie à une désagréable sensation de vide.

— Que se passe-t?il, Kit ? s’enquit Georgia. Quelque chose ne va pas ?

— Euh, non, non… Je viens seulement d’apercevoir un type qui était dans le même avion que moi ce matin.

Quel qu’il fût, en tout cas, elle n’allait pas se soucier d’engager la conversation maintenant. Non, mieux valait agir comme s’ils ne s’étaient jamais vus. Après tout, elle avait une mission à accomplir.

— Georgia ! chuchota Paula à cet instant. Regarde ! Là ! Devant la porte !

Georgia se tourna, imitée par d’autres qui avaient entendu l’avertissement.

— Oh, mon Dieu ! Oh, mon Dieu ! s’exclama Georgia, qui semblait près de s’évanouir.

Un murmure s’éleva soudain dans la salle, tandis que Georgia s’extasiait à grands renforts de Oh ! et de Ah ! Un instant plus tard, l’assemblée tout entière se levait et un tonnerre d’applaudissements retentissait, tandis que l’homme de l’avion rejoignait Bill Davies sur la piste de danse. Les fans hurlaient et tapaient du pied autour de Kit qui, atterrée, demeurait rivée à sa chaise.

Oh, mon Dieu ! se lamenta-t?elle à son tour avec les mêmes mots que Georgia, mais animée quant à elle par le dépit plutôt que l’enthousiasme. L’homme de l’avion, celui avec lequel elle avait partagé une inoubliable expérience sexuelle virtuelle, n’était autre que Joshua Parker, l’idole de ses co-locataires. Non seulement Kit ne s’était pas attendue à le revoir, mais en plus, il s’agissait d’une célébrité.

— Désolée, Kit, lui lança Georgia, à bout de souffle. Je deviens folle chaque fois que je le vois. Ce type est si beau ! Oh, je ne peux pas y croire, il est là, devant moi. Comme le noir lui va bien, tu ne trouves pas ?
Le jean lui va mille fois mieux, songea la jeune femme.

— Il n’est pas mal, c’est vrai, répondit-elle cependant, impassible.

Elle porta son verre à ses lèvres et en vida la moitié d’un trait. Et dire qu’elle avait été à deux doigts d’accepter la proposition de cet homme ! Pire encore, frémit-elle, Parker savait pertinemment qu’elle avait été tentée de dire oui.

Et voilà qu’il refaisait son apparition ! Manifestement à l’aise, habitué à occuper le devant de la scène, Joshua répondit un long moment aux questions de ses fans, agrémentant ses interventions d’une plaisanterie, d’un mot aimable. Oui, un vrai professionnel qui savait y faire avec le public.

Il s’était changé et avait revêtu une chemise noire et un pantalon de toile, noir également, tenue ample et souple qui mettait en valeur la puissance et l’élégance naturelle de son corps. D’ailleurs, remarqua Kit, nombre de fans du sexe faible semblaient folles de lui.

Les spots du salon VIP allumaient des reflets dans ses longs cheveux châtains. Quant à sa bouche… Oh, quelle femme pourrait résister à tant de sensualité ?

Malgré tous ses efforts pour rester de marbre, Kit sentit que le trouble dont elle avait été la proie quelques heures plus tôt dans l’avion revenait l’assaillir. Et zut ! Si au moins elle avait su qu’elle était appelée à le revoir, jamais elle ne se serait laissée aller à ce petit jeu avec lui.

Comme alerté par un sixième sens, Joshua braqua soudain les yeux sur elle et lui adressa un discret signe de tête. Kit lui répondit par un regard hautain et dédaigneux qui eut pour effet de faire surgir un sourire amusé sur les lèvres du goujat. Celui-ci détourna enfin le regard, avant de chuchoter quelque chose à l’oreille de Bill Davies.

Kit but une nouvelle gorgée de vin. Pour qui se prenait-il, avec ses airs de macho ? se dit-elle, vexée. La gorge sèche, elle voulut boire encore, mais le verre était vide. Surprise, elle leva les yeux, juste au moment où Joshua la regardait avec un petit sourire narquois. Agacée, Kit préféra se concentrer sur Bill Davies qui invitait les acteurs de La dernière frontière à venir le rejoindre sur scène.

— Chers Frontaliers, à présent que tout le monde est réuni, attaquons les choses sérieuses. Cette soirée est la vôtre ! Faites connaissance avec la famille de La dernière frontière et amusez-vous ! Nous ne vous demandons qu’une seule chose. Vous êtes plus de huit cents fans à bord. Par pitié, pas d’autographes ce soir ! Une séance est prévue pour cela demain matin. Ce soir, c’est la fête ! Dansez, buvez et lâchez-vous ! Joshua ?

Joshua prit le micro que Bill lui tendait.

— Merci, Bill, dit-il de sa voix suave et charmeuse.

A en juger par le soupir collectif qui monta du salon, la majorité de ces dames étaient prêtes à défaillir de plaisir. Une tension douloureuse s’abattit sur les épaules de Kit lorsque Joshua poursuivit :

— Cette croisière des fans de La dernière frontière ne ressemblera à aucune autre.

Oups ! Kit s’empara du second verre que venait de lui apporter la serveuse et en but une longue gorgée, histoire de se donner du courage. Pourquoi ? Elle l’ignorait.

— Ce soir, tous les membres de la série feront la fête avec vous, déclara Joshua. Pour commencer, chacun de nous va danser ce soir avec l’un d’entre vous…

Tout en prononçant ces paroles, il était descendu de scène pour se faufiler entre les tables. Kit le vit s’approcher de la sienne, puis s’arrêter juste devant elle. Horrifiée, elle se demanda ce qui était pire : sentir tous les regards de la salle converger sur elle ou savoir que Georgia était près de tourner de l’œil parce que Joshua Parker se tenait juste à côté d’elle ? L’estomac noué, elle comprit pour la première fois de sa vie le sens du mot terreur.

— M’accorderez-vous cette danse ?

Kit ressentit la panique effroyable qu’éprouve la proie acculée par son prédateur. Le premier choc passé, elle parvint à ouvrir la bouche, dont sortit un non apparemment inaudible, puisque Joshua, refermant la main sur la sienne, l’invita à se lever. Au contact de ses doigts, une onde de désir parcourut la jeune femme.

Elle tenta d’échapper à cette emprise, mais Georgia et Paula eurent la bonne idée de la forcer à se lever, allant jusqu’à la pousser dans les bras de Joshua. Celui-ci sourit et passa le micro à un serveur. Tel un automate, Kit se laissa alors guider jusqu’à la piste de danse, la main de Joshua pesant sur son bras comme un fer rouge.

Une lumière tamisée remplaça l’éclat des spots et la voix suave d’un crooner entama les notes de la première chanson. Kit retint un cri lorsque Joshua l’enlaça. Faisant appel à tout son sang-froid, elle commença à suivre les pas de son cavalier, prenant garde de rester à bonne distance. Des rires et des soupirs montèrent de l’assistance tandis que les membres de la série invitaient les fans à danser. Kit se força à sourire. Après tout, elle avait vécu des situations bien pires et elle survivrait sans peine à celle-ci. Du moins, elle essaierait.

— Vous l’avez fait exprès, dit-elle entre ses dents, sans rien laisser paraître de sa colère.

— Quelle idée ! protesta-t?il faisant mine de s’offusquer. Sérieusement, imaginez ma surprise lorsque je vous ai aperçue. Quel choc ! Jamais je ne vous aurais imaginée dans la peau d’une Frontalière. Enfin, vous êtes là, bien réelle…

En même temps qu’il dit bien réelle, il resserra imperceptiblement son étreinte. Ce à quoi elle réagit en tressaillant.



— De toute manière, reprit-il en la faisant habilement tournoyer, après notre rencontre d’aujourd’hui, je n’avais qu’une envie, sentir votre corps contre le mien.

Il eut un petit rire et Kit se sentit aussitôt parcourue d’un frisson. Il semblait émaner de Joshua un fluide auquel elle n’avait pas le pouvoir de résister. Oui, en sa présence, elle avait le sentiment de perdre toute volonté, toute raison. Les paroles qu’il prononça alors la ramenèrent brutalement à la réalité :

— Je me demande comment vous avez réagi quand vous avez appris que j’étais à bord ? Saviez-vous, dans l’avion, que celui qui vous offrait de monter au septième ciel n’était autre que Joshua Parker ? La majorité des femmes présentes ici ce soir en auraient perdu la tête.

Il déplaça la main sur son dos et la plaqua sur la peau nue de la jeune femme, tout en se rapprochant d’elle. Instantanément, elle sentit une rafale de picotements parcourir sa colonne vertébrale.

— Je ne suis pas la majorité des femmes, répliqua-t?elle vertement, tempérant néanmoins cette mauvaise humeur qui avait fait sa réputation. Et si nous n’étions pas en public, je…

— Quoi ? Vous me jetteriez un bol de béarnaise à la figure ? Ou peut-être un verre de vin ?

— Oh, non ! Alors, vous savez qui je suis ? Vous… vous le saviez déjà dans l’avion ?

Il se mit à rire et la fit glisser sur la piste. Kit comprit son intention avec un temps de retard. En une fraction de seconde, il s’était déjà plaqué contre elle, mains nouées sur ses reins, volontaire et puissant. Kit perdit alors toute notion de temps et d’espace.

— Quelle chance nous avons ! Vous et moi, de nouveau réunis, ici ! chuchota Joshua en lui effleurant le dos du bout des doigts. Oui, bien sûr que je savais qui vous étiez. Votre réputation vous précède.

Quel monstre !

— Eh bien moi, je ne vous ai pas reconnu, siffla-t?elle. Un mufle de votre espèce, je n’aurais pas pu l’oublier, car on n’en rencontre que très rarement.

— J’aime votre humour, ironisa-t?il. Ah, si nous avions mis ce vol à profit… Oh, mais la vie n’est faite que de si, n’est-ce pas, Kit ?

Elle se tut obstinément, rassemblant toute son énergie à lutter contre le trouble qui l’envahissait.

— Il n’empêche que c’est dommage. Vraiment dommage ! reprit-il. Nous aurions pu passer un moment inoubliable, tous les deux. Je sais que vous me désirez, Kit. Votre corps ne sait pas mentir.

— Mais ma tête me dit que je survivrai à ce drame, répliqua-t?elle, glaciale.

— Bien répondu, s’esclaffa-t?il une nouvelle fois. Quel caractère ! C’est mon ego de mâle qui en prend un coup !

Seule l’idée qu’elle aurait sans doute à interviewer l’un des responsables de la série le lendemain empêcha Kit de lui écraser les pieds à cet instant.

— Je suis également certaine que vous en réchapperez, se *******a-t?elle de rétorquer.

Joshua l’entraîna en quelques pas experts vers l’extrémité de la piste, avant de répondre :

— Sans doute. Et je suis quant à moi convaincu que vous allez profiter de cette croisière pour faire encore parler de vous… Comme d’habitude. Vous ne voudriez pas que Papa pense que vous vous êtes achetée une conduite, n’est-ce pas ? Ce navire est rempli d’hommes qui ne demandent que ça…

Kit parvint avec peine à ravaler sa fureur. Quel aplomb ! Quelle arrogance ! Comment osait-il lui parler de la sorte ? Parfait, décida-t?elle. Il voulait jouer à ce petit jeu ? Eh bien, elle ne serait pas en reste ! Elle lui offrit son sourire le plus douceâtre avant de remarquer d’un ton mielleux :

— Oh, tant mieux ! Moi qui redoutais que vous soyez le seul gibier à des kilomètres à la ronde.

Le regard de Joshua s’assombrit, menaçant, et son visage se figea, tel un masque.

— Oui, évidemment… Vous savez, pour un peu, j’éprouverais de la compassion pour votre fiancé. Pauvre garçon !

Il la dévisagea, le regard fixe, et elle finit par détourner les yeux. Etrange, se dit-elle, alors que se bousculaient en elle des sentiments nouveaux. Qu’est-ce qui clochait ? Un petit verre de vin et voilà qu’elle perdait son sens légendaire de la repartie ?

Des étoiles dansaient devant ses yeux. Peut-être les spots dirigés sur la piste de danse ? espéra-t?elle sans trop y croire. Fichtre ! Aucun homme ne l’avait jamais à ce point troublée. Elle ne se rappelait pas le nombre des prétendants sélectionnés par son père, impatient qu’il était de la marier. Même ce bon vieux Pete, le seul avec lequel elle avait été jusqu’à se fiancer, ne la bouleversait pas de cette manière, loin s’en fallait. Rassemblant tout son courage, Kit s’apprêtait à remettre ce macho à sa place quand la chanson s’acheva.

Joshua l’enlaça plus fermement. Elle ne résista pas, mais le fixa avec un air de défi.

— Vous avez été fantastique, merci, chuchota-t?il d’une voix grave.

— Vous n’étiez pas mal non plus, répondit-elle.

Son corps encore collé à celui de Joshua parut soudain s’animer. Ne sentant plus ses jambes, elle s’agrippa à son partenaire. Cette satanée piquette lui avait tourné la tête. Elle pesta en silence, évitant soigneusement de regarder Joshua, priant pour que s’éteigne le feu qui la dévorait.

Il relâcha doucement son étreinte et s’écarta. Alors, les applaudissements retentirent autour d’eux.

— Voilà. Nous nous séparons de nouveau, dit-il.

— J’espère que cette fois sera la bonne, rétorqua-t?elle.

Respirant avec difficulté, les nerfs à fleur de peau, elle entendit à peine les acclamations de la foule lorsqu’il la reconduisit à sa table.

Il ne s’éternisa pas et s’éloigna après l’avoir remerciée. Inconsciemment, Kit caressa son bras encore imprégné de la douceur de la main masculine et le suivit des yeux. Il lui sembla à cet instant surprendre une expression de satisfaction mêlée d’ironie sur le visage masculin. Alors, captant son regard, il la salua d’un air moqueur, en agitant sa bouteille d’eau. Furieuse, Kit se laissa tomber sur son siège pour se soumettre, résignée, au flot des questions de ses co-locataires, avides de tout connaître sur ses impressions.

 
 

 

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chapitre 3


L’eau rafraîchit délicieusement sa gorge sèche, mais resta impuissante à apaiser une autre espèce de soif. Joshua se maudit. Il tenait désormais à préserver sa vie privée et ne souhaitait surtout pas faire le lendemain les gros titres de la presse à scandale. La nouvelle conquête de Kit O’Brien ! Mais aussi quelle idée d’inviter cette fille à danser ! Que lui avait-il pris de céder ainsi à son impulsion ? C’était impardonnable, indigne de lui, d’autant qu’elle n’était vraiment pas son genre !

Il y avait pire : les flashes n’avaient cessé de crépiter durant leur danse ; or, Joshua savait que plusieurs journaux avaient envoyé des reporters à bord.

D’après la rumeur, Kit O’Brien collectionnait les conquêtes. Et cela devait être vrai. N’avait-elle pas emprunté le terme de gibier devant lui ? Quelle chipie ! marmonna-t?il entre ses dents en se forçant à détourner le regard de la table où Kit faisait visiblement l’objet d’un interrogatoire en règle. Oui, mieux valait passer à autre chose, convint-il. Après tout, le désir que lui inspirait cette femme ne signifiait pas grand-chose. Et il avait appris depuis longtemps à se méfier de ses fantasmes.

Oui, mais… Son corps palpitait encore au souvenir de celui de Kit, collé, serré contre le sien. Agacé, il passa une main dans ses cheveux et regarda sa montre. 21 h 30. Une heure encore de ce calvaire et il pourrait s’échapper sans provoquer le courroux de Bill.

— Marilyn !

Joshua leva les yeux et vit Tatiana Terranova, la star de La dernière frontière, saluer une journaliste comme si elle venait de croiser le messie.

— Tatiana ! s’exclama Marilyn Roth, chroniqueuse au Television Press, en venant occuper le siège vide à côté de Joshua. Désolée, je suis en retard. Tu es ravissante. C’est Viscountie ?

— Exact. Tu sais combien j’aime son style. Lui seul sait habiller les femmes avec cette élégance exotique si raffinée.

Les lèvres carmin de Tatiana dessinèrent un large sourire qui révéla toutes ses dents. Des dents que Joshua avait toujours eu en horreur, sans pouvoir s’en expliquer la raison. Néanmoins, la femme qui venait de prendre place à ses côtés éveillait en lui une répulsion plus vive encore…

— Hello, Joshua ! lança Marilyn.

Une bouteille d’eau à la main, un verre d’eau dans l’autre, Joshua fit mine de boire et s’excusa d’un regard de ne pouvoir répondre. Même aujourd’hui, il ne comprenait pas comment il avait pu un jour trouver Marilyn jolie. Cette femme était un loup, un prédateur froid et calculateur. C’était à son contact qu’il avait appris que les femmes avaient toujours une idée derrière la tête. Manipulatrice, profiteuse, telle était Marilyn.

Aucunement intimidée par la froideur de l’écrivain, Marilyn poursuivit :

— Tu as l’air très en forme, Joshua. Le temps n’a pas de prise sur toi, on dirait. Alors, quand m’accorderas-tu cet interview ? Bill m’a promis le scoop. Je suis impatiente de connaître tes projets professionnels.

— Je crois que tu te fais des illusions, rétorqua Joshua, impassible.

Tout en jouant négligemment avec sa bouteille d’eau, il reporta son regard sur la foule. Il était jeune et naïf lorsqu’il avait rencontré Marilyn et n’avait découvert qu’un peu tard les intentions qui la motivaient. Peu importaient les moyens pour elle, dès lors qu’elle détenait un scoop. Joshua regarda de nouveau cette femme, une vraie hyène, caricature de cette presse à sensation si peu soucieuse de la vie privée de ses proies.

— Tu t’es toujours montré si charmant avec moi, Joshua, reprit Marilyn, apparemment peu troublée par le manque d’intérêt qu’il lui manifestait. Je suis sûre qu’une fois que tu auras…

— Je suis sûr que Tatiana sera heureuse de t’informer des nouveautés prévues pour La dernière frontière, l’interrompit-il, excédé. Elle est actrice dans la série, l’aurais-tu oublié ?

— Tatiana, ce n’est pas toi, trésor, répliqua Marilyn sans s’émouvoir, en se redressant de sorte que le décolleté déjà plongeant de sa robe s’ouvrit un peu plus. Et puis, Bill m’a promis que tu coopérerais cette fois, poursuivit-elle, alors que Joshua fixait la table voisine. Il attend beaucoup de mon papier pour lancer la nouvelle saison de la série. Joshua, La dernière frontière est ton œuvre, tu lui dois bien ça.

— Ce n’est pas tout à fait vrai. Je n’aurai bientôt plus rien à voir avec la série, et c’est très bien ainsi.

Joshua regarda en direction de la table où Kit se tenait encore une minute auparavant. Resserrant ses doigts autour de sa bouteille, il fronça les sourcils. Où était-elle passée ? Il ne la voyait plus. Un instant plus tard, il laissa échapper un long soupir quand le groupe qui la cachait à sa vue se déplaça. Elle était en grande discussion avec l’une de ses camarades de table. Un homme se tenait debout devant elle.
Il serra involontairement les dents lorsque Kit écarta avec grâce une mèche de cheveux. Ce geste, pourtant anodin, lui glaça le sang. Il la dévisagea et sentit aussitôt sa gorge se serrer, car elle affichait à présent un sourire radieux. Un sourire adressé à l’homme qui se tenait devant elle. Et cet homme avait une manière de la regarder qu’il n’aimait pas du tout. Mais en quoi était-ce son problème ? Kit faisait ce qu’elle voulait de sa vie, cela ne le concernait pas.

Elle hocha la tête à cet instant, faisant danser ses boucles blondes d’une façon délicieuse. Joshua ravala avec peine sa salive. De l’air. Il avait besoin d’air.

Brusquement, Kit se leva et chuchota quelque chose à l’oreille de l’homme. Puis elle attrapa son sac à main et quitta la table. Une minute plus tard, l’homme s’éloignait à son tour. Dans la même direction.
— Joshua ? Tout va bien, trésor ? s’enquit Marilyn, l’air suspicieux. Tu n’as pas écouté un seul mot de ce que je viens de te dire.

— Je ne suis pas ton trésor, Marilyn, et je n’écoute jamais quand tu me parles. Excuse-moi.

Joshua se leva vivement et réussit à apercevoir Kit juste au moment où elle franchissait la porte du salon VIP, l’homme sur ses talons. Cette femme avait apparemment besoin d’un garde du corps, se dit-il. Ignorant le regard courroucé de Marilyn, il s’éloigna.
Kit se fraya un chemin dans la foule en direction de la porte. Une fois dans le couloir, elle fit une halte dans les toilettes pour dames, juste le temps nécessaire pour signifier à l’homme que lorsqu’elle disait bonsoir, cela signifiait bonsoir et rien d’autre. Sortant de sa cachette, elle se dirigea ensuite vers le pont avant. Une fois en haut, elle s’accouda à une rampe et huma la brise fraîche tout en observant en contrebas la piscine, déserte à cette heure. Demain, les baigneurs s’y bousculeraient.

Curieuse, elle reprit son exploration et rejoignit le pont arrière. De là où elle se trouvait, elle apercevait nettement l’écume de l’océan qui bouillonnait à la poupe du navire. Elle inspira le parfum iodé de la nuit, détendue. Au moins, elle n’avait pas tout perdu. Elle avait toujours aimé la mer.

L’écho du flux et du reflux de l’océan au pied de la maison de ses parents, à Long Island, restait l’un de ses souvenirs d’enfance les plus chers. Nostalgique, elle leva les yeux et fixa la voûte étoilée. Petite fille, elle adorait faire des vœux en regardant au large… Elle tressaillit puis, choisissant une étoile, murmura : Je voudrais tant que papa cesse de me harceler. J’ai tant besoin de paix…

Elle soupira, perplexe. Elle avait passé l’âge de croire aux miracles et savait depuis longtemps que les vœux ne se réalisaient pas.

Une larme glissa lentement sur sa joue, qu’elle essuya d’un geste impatient. Oui, comme elle était loin, l’enfance ! Loin, les bras tendres et protecteurs de sa mère. Elle sourit tristement. Sa mère chérissait la maison de Long Island, ce havre de paix, si pratique en même temps pour son père qui, chaque jour, devait se rendre à son bureau en ville. Au décès de sa mère, trois ans plus tôt, la demeure avait été fermée, car Kit avait décidé de s’installer à New York. Mais Long Island lui manquait, et l’océan aussi.

Oui, comme tu me manques, maman, chuchota-t?elle.

Un mouvement sur sa gauche la fit alors sursauter.

— Hé, vous ne comptez pas sauter, j’espère ? Je n’ai aucune envie de retirer mes bottes.

Kit se raidit en entendant la voix rauque et grave déjà si familière. S’arrachant à ses rêveries, elle se tourna vers Joshua Parker. Il se tenait à quelques centimètres à peine, accoudé à la rampe. Elle ne put s’empêcher de rire.

— Vous ne portez pas vos bottes.

— Ah ? Exact. Les scripts me reprochent toujours mon absence de précision dans mes scénarios… Il lui sourit, puis ajouta avec plus de sérieux : l’eau doit être glacée.

— Oh, rassurez-vous, répliqua-t?elle, hautaine, même si cette journée a été détestable, je n’ai pas l’intention de plonger.

— Tant mieux, dit-il en se rapprochant. Je voulais vous dire… ajouta-t?il, hésitant, le regard rivé sur l’horizon. Tout à l’heure… Je tenais à vous présenter mes excuses. Je me suis comporté comme un voyou.

Kit le dévisagea, incapable de déterminer s’il parlait sérieusement. Son regard était aussi noir que les profondeurs de l’océan. Un regard impénétrable et… méfiant, oui. Elle le soutint un instant et sentit un souffle brûlant parcourir son dos.

— Que se passe-t?il ? demanda-t?elle, narquoise. Attendez, laissez-moi réfléchir. Vous m’avez vue pleurer et maintenant, vous essayez d’être gentil. Ne vous apitoyez pas sur mon sort. Je n’ai aucun besoin de votre compassion ni de celle de quiconque, d’ailleurs.

— Loin de moi cette idée.

Il attendit une réponse qui ne vint pas et reprit :

— Kit, vous pouvez laisser tomber votre carapace devant moi. Oui, peu importe les ragots véhiculés par la presse. Depuis ce voyage en avion, je sais que sous l’armure se cache une jeune femme sensible et généreuse.

— Mais pour qui vous prenez-vous ? Le digne héritier de Freud ? ironisa Kit en le toisant.

— Ah, ce cher vieux Freud ! soupira Joshua en levant les bras au ciel. Peut-être qu’en le relisant je saurais trouver la clé pour vous séduire. Mais laissons Freud où il est et profitons du clair de lune, voulez-vous ? J’y pense, nous n’avons pas eu l’occasion de nous présenter. Je m’appelle Joshua.

Kit préféra mettre le picotement qui lui parcourut l’échine sur le compte du vent du soir plutôt que sur l’avidité du regard de son interlocuteur.

— Eh bien, Joshua, parvint-elle à articuler, ne vous faites aucune illusion. Il n’y aura rien entre nous.

— J’adore votre façon de prononcer mon prénom, remarqua-t?il, ignorant ses paroles.

Il s’avança vers elle et quand elle voulut reculer, oppressée par la puissance de son magnétisme, son corps refusa de bouger. Tétanisée, elle se recroquevilla contre la rampe.

— Depuis que nous avons dansé ensemble, reprit-il en plongeant ses yeux dans ceux de la jeune femme, je n’ai qu’une envie : recommencer. Pour une fois que je rencontre une femme qui n’attend rien de moi… Oui, saisissons cette chance, Kit, comme deux adultes consentants, irrésistiblement attirés l’un par l’autre.

— Mais vous ne savez rien de moi…

— J’en sais suffisamment.
Kit resserra ses bras autour d’elle. Dans sa petite robe noire décolletée, elle avait soudain l’impression d’être toute nue devant lui.

— Désolée de vous décevoir, mon carnet de bal est complet. De plus, j’ai très mal aux pieds. Mais vous n’aurez aucun mal à trouver une autre partenaire. Je suppose qu’elles sont des centaines à bord à rêver de danser avec vous.

— Et si je ne veux personne d’autre ? insista-t?il d’un ton langoureux. Si je ne veux que vous ?

Oh là là ! Elle allait craquer s’il persistait dans cette voie.

— Alors, vous avez un problème, dit?elle avec brusquerie.

— Et que faites-vous de votre problème à vous ? Car c’en est un d’aller contre ses propres désirs, non ?

Avec quelle facilité il lisait en elle, c’en était agaçant, à la longue, pesta Kit, qui finit par répliquer :

— J’ai des principes, figurez-vous.

— Je commence à m’en rendre compte, dit-il, un sourire amical se substituant à son regard cynique. Et je suis heureux de l’apprendre.

— Oui, euh, bon…, bredouilla-t?elle en s’agrippant à la rampe, déstabilisée par ce changement d’attitude.

— Vous m’intriguez, Kit O’Brien, murmura Joshua en se rapprochant encore. J’ai vraiment envie de savoir ce qui se dissimule sous l’apparence. Quels secrets cachez-vous, Kit ?

— De quel droit cherchez-vous à forcer mon intimité ?

Une rafale souleva à cet instant sa robe, qu’elle rabattit fébrilement.

— Pas de panique. Je ne révèlerai vos secrets à personne. Les aveux les plus indécents, les confidences les plus osées, tout cela restera entre nous.

A la faveur du clair de lune, Kit vit les yeux noirs pétiller et perdit soudain son assurance. Joshua Parker lui ôtait tous ses moyens. Elle se sentait vulnérable devant lui. Oui, son pauvre cœur s’emballait, ses jambes tremblaient sitôt qu’il posait le regard sur elle. Elle frissonna sous l’assaut d’un désir fulgurant.

— Vous avez froid ? Laissez-moi vous réchauffer.

Il posa les mains sur ses bras nus et commença à lui caresser la peau en un mouvement de friction qui, au lieu de simplement la réchauffer, lui fit l’effet d’une brûlure aussi vive que les flammes de l’enfer. Dans son corps, s’éveilla alors un volcan qui anéantit ses dernières forces. Elle ne résista pas, vaincue, quand il l’attira contre lui et au contraire, s’abandonna avec soulagement et bonheur contre son torse. Puis elle leva les yeux et chercha son regard.

— Vous êtes un homme dangereux, Joshua Parker, murmura-t?elle, toute fierté anéantie.

En guise de réponse, il approcha le visage de ses lèvres et l’embrassa. Le contact de cette bouche électrisa la jeune femme, faisant retentir un carillon de plaisirs dans sa tête. Joshua resserra son étreinte et son baiser se fit plus impatient, plus impérieux.

— J’ai attendu cet instant toute la journée, chuchota-t?il en s’écartant, avant de l’embrasser de nouveau.

Kit se plaqua contre lui, concentrée sur les sensations qu’il éveillait en elle. Jamais on ne l’avait embrassée de la sorte. Oui, ce baiser était si sensuel, presque… sexuel, réalisa-t?elle en tressaillant, alors que Joshua jouait avec sa langue. Lentement, presque timidement, elle noua les bras derrière le cou de son compagnon, glissant les doigts dans ses longs cheveux.

Sans faire cesser le baiser, Joshua glissa la main droite sous le menton de la jeune femme et repoussa avec la gauche la bretelle de sa robe sur son épaule. Elle se raidit, pressa son ventre contre lui, puis gémit, tandis que le vertige du désir la saisissait.

— Ah ! Je me disais bien que tu devais être en train de soigner tes relations avec tes fans.

La voix aiguë fit voler en éclats la magie de l’instant. Avec brusquerie, Kit s’arracha aux bras de Joshua qui, de son côté, serra les poings. Une femme qu’elle reconnut comme un membre de l’équipe de la série était accompagnée d’une autre qui, à cet instant, enfouit discrètement un appareil photo numérique dans son sac. Une journaliste ! s’alarma aussitôt Kit. Si cette photo était publiée, son père la tuerait.

— Tu me le paieras, Marilyn, marmonna Joshua entre ses dents.

— Je…

Kit fut incapable de poursuivre. Ramassant son sac à main, elle se précipita vers l’escalier.

Joshua la regarda s’éloigner, impuissant et furieux. Marilyn lui jeta alors un regard ironique tout en allumant une cigarette, avant de tendre le briquet à Tatiana.

— J’avais envie de fumer. Tatiana et moi avons pensé que les fans ne nous suivraient pas jusque sur le pont arrière. Tu connais leur indiscrétion…

Marilyn recracha la fumée de sa cigarette sans le quitter des yeux et poursuivit :

— Ah, j’y pense… Bill te cherche partout.

Indifférente à la colère de son interlocuteur, elle jeta négligemment la cendre de sa cigarette par-dessus le bastingage.

— Je lui ai dit que tu avais quitté le salon, avec l’intention de t’occuper de ton fan-club, dit-elle dans un demi-sourire. Ta conscience professionnelle t’honore.

Joshua se refusa à gratifier Marilyn d’une réponse. Il se garda également de dire quoi que ce fût à propos de Kit. Il savait que quoi qu’il pût dire, Marilyn détournerait le sens de ses propos. Enfouissant les mains dans les poches de son pantalon, il se *******a de fixer la journaliste d’un œil dur.

Comme celle-ci expirait un nouveau nuage de fumée, Joshua observa sa bouche, méprisant. Cette femme l’écœurait. Elle polluait tout, autour d’elle. L’article ordurier et mensonger qu’elle avait écrit sur Joshua sous le pseudonyme de Mary Lynn avait valu à son père de renoncer à ses ambitions. Mais elle ne s’était pas sentie concernée, et elle s’était moquée de la colère de Joshua venu l’insulter, le traitant de naïf et de « nigaud », avant de s’intéresser à une nouvelle victime.

Oui, il détestait cette femme. Et plus encore maintenant, où elle osait l’interrompre en plein milieu d’un baiser. Car ce n’était pas n’importe quel baiser. C’était un baiser d’une intensité comme il n’en avait jamais ressentie. Un baiser d’une fraîcheur inouïe. Il avait découvert, au contact des lèvres de Kit, une saveur délicieuse et inconnue, des parfums enivrants de miel et de raisin.

Des sentiments de mépris et de dégoût le submergèrent, mépris de lui-même pour avoir mis Kit dans une situation délicate, dégoût à l’égard de Marilyn et de son cynisme outrancier.

— C’est étrange, mais j’ai l’impression de connaître cette…, euh…

Marilyn s’interrompit, faisant mine de chercher dans son vocabulaire le terme approprié.

— … de connaître ta camarade. Comment as-tu dit qu’elle s’appelait ?

La colère de Joshua monta d’un cran. Pas question de se laisser abuser par la manœuvre grossière de Marilyn. Elle n’obtiendrait pas cette information. En tout cas, pas de lui. Il avait assez perdu de temps et devait absolument retrouver Kit.

— Je ne pense pas qu’elle souhaite t’être présentée, répliqua-t?il le plus calmement du monde. C’est une femme qui a beaucoup de classe, conclut-il en ignorant les commentaires revanchards de Marilyn quand il la força à s’écarter pour rejoindre l’escalier qui menait dans le salon VIP.

— Tout à fait d’accord, mon trésor. A vrai dire, je sais pertinemment ce que vaut Kit O’Brien. Tu as raison, elle a une classe folle. Et des aventures dont nos lecteurs raffolent. A bientôt, trésor…

Le regard fixe, la gorge nouée, Joshua s’engouffra dans les couloirs et se mit à chercher Kit.
De retour dans la cabine, Kit se laissa lourdement tomber sur son lit. Mais quelle mouche l’avait donc piquée ? se demanda-t?elle en se débarrassant de ses chaussures. Qu’avait-elle fait ? Elle se releva et entreprit de retirer sa robe. Puis elle se rendit dans la salle de bains et scruta son reflet, l’air mauvais.

Ses lèvres étaient pleines, encore brûlantes. Oui, elle devait se rendre à l’évidence, Joshua et elle avaient échangé un baiser enflammé, passionné. Elle tressaillit au souvenir de cette bouche contre la sienne et ferma les yeux, se rappelant avec quelle avidité il avait noué sa langue à la sienne. Puis elle rouvrit les yeux et étudia son reflet dans le miroir. Elle avait grand besoin de se remaquiller. Fébrile, elle s’empara de son vanity et, avec des gestes mécaniques, commença à se nettoyer le visage.

— Kit ?

Elle sursauta. Georgia venait d’entrer dans la cabine.

— Oui, je suis là ! cria-t?elle en s’aspergeant le visage d’eau froide pour en retirer les dernières traces de savon.

— Tu vas bien ? l’interpella Georgia en pénétrant dans la salle de bains. Tout le monde est en train de se réunir dans la salle de spectacle. Je m’inquiétais pour toi. Je croyais que tu viendrais nous retrouver. Ta cheville te fait-elle souffrir ? Veux-tu que je te la bande ?

— Je suis juste un peu fatiguée. Je manque de sommeil et je crois que j’en ai trop fait, expliqua-t?elle avec un sourire angélique.

— Je comprends, opina Georgia, pleine de compassion. Le corps demande parfois grâce, conclut-elle, l’air inspiré.

— Exactement, renchérit Kit, la gorge nouée. Ne te tracasse pas pour moi. Profite du spectacle et régale-toi au buffet. Tu me raconteras demain.

— Tu es sûre que tu ne veux pas venir ?

— Certaine. Vas-y et amuse-toi, insista Kit en s’emparant de sa brosse à dents. Je vais parfaitement bien.

— D’accord, dit Georgia en quittant la salle de bains, avant de suspendre son mouvement, le regard perdu dans le vague. Comme il est beau ! Joshua Parker est décidément l’homme le plus séduisant que je connaisse. Oh oui, et puis, quelle imagination ! Quel romantisme chez cet homme ! Ils vont nous projeter les deux derniers épisodes de la saison et si tu veux bien, je ne voudrais pas rater le début…

— Bonne nuit, Georgia. Je regarderai ces épisodes lorsqu’ils passeront à la télé. Merci de t’être inquiétée pour moi.

Georgia s’éclipsa enfin, la laissant seule, sa brosse à dents à la main, un sourire malicieux aux lèvres. Romantique, Joshua Parker ? Certainement. Passionné ? Encore plus. Par quel enchantement avait-elle atterri dans ses bras, elle ne se l’expliquait pas. Le vin, la brise marine et la nuit étoilée, sans doute. Un baiser, un seul, avait en tout cas suffi pour qu’elle perde le contrôle. Elle, si distante, si maîtresse d’elle-même habituellement ! Jamais personne n’avait éveillé en elle des sensations aussi tumultueuses. Oui, le baiser de Joshua avait eu l’effet d’un révélateur, libérant en elle une sensualité qu’elle ne soupçonnait pas jusqu’à ce soir. Tant d’émotion, tant de désir. Et tout cela à cause d’un inconnu ! En réalité, l’incident de la béarnaise avait été provoqué pour bien moins que ça, seulement parce que Blaine avait pris la liberté d’annoncer leurs fiançailles.

Une fois sa toilette terminée, Kit alluma la télévision. Sur l’écran, le générique annonçait la diffusion de la totalité des épisodes de La dernière frontière. Elle s’assit, curieuse, et décida de s’intéresser de plus près à la série. D’abord désorientée par cette histoire de conquête spatiale et de voyage dans le temps, où se croisaient humains, aliens et mutants, le tout dans un décor psychédélique et à la faveur d’une mise en scène multipliant les effets spéciaux, elle finit néanmoins par reconnaître certaines qualités à cette série de science-fiction devenue culte.

Kit observa un moment les acteurs. Quel était celui, ou celle, qu’elle devrait interviewer ? Un méchant, un gentil, un robot peut-être ? se demanda-t?elle, tendant déjà la main pour éteindre la télévision. Elle se figea soudain en croyant voir Joshua traverser l’écran, tout de noir vêtu. Instantanément, elle tressaillit au souvenir de leur étreinte, puis haussa les épaules et éteignit le poste, avant de consulter sa montre. 23 heures. Tous se trouvaient en ce moment même dans la salle de spectacle, en train de regarder les deux derniers épisodes de la série.

Tel un lion en cage, Kit fit les cent pas dans la cabine, avant d’enfiler son pyjama et de se glisser dans son lit. La minute d’après, elle se levait, ôtait son pyjama, choisissait un pantalon de soie noir et un top assorti, sur lequel elle passa une petite veste.

Bon sang, elle n’allait pas se terrer dans sa cabine ! N’était-elle pas Kit O’Brien ? Et n’avait-elle pas déjà eu maille à partir avec la presse à scandale ? Alors, une fois de plus ou de moins… Elle chassa de son esprit l’image de son père au moment où il découvrirait sa fille à la une, embrassant fougueusement un inconnu. Elle lui expliquerait, voilà tout. Bien décidée à ne plus se soucier ni de près ni de loin de Joshua Parker et à s’accorder un peu de détente, Kit enfila ses escarpins noirs, passa une main énergique dans ses cheveux, attrapa son sac à main et se dirigea vers le casino.0

 
 

 

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