áãÔÇßá ÇáÊÓÌíá æÏÎæá ÇáãäÊÏì íÑÌì ãÑÇÓáÊäÇ Úáì ÇáÇíãíá liilasvb3@gmail.com






ÇáÚæÏÉ   ãäÊÏíÇÊ áíáÇÓ > ÞÓã ÇáÇÑÔíÝ æÇáãæÇÖíÚ ÇáÞÏíãÉ > ÇáÇÑÔíÝ
ÇáÊÓÌíá

ÈÍË ÈÔÈßÉ áíáÇÓ ÇáËÞÇÝíÉ

ÇáÇÑÔíÝ íÍÊæí Úáì ãæÇÖíÚ ÞÏíãÉ Çæ ãæÇÖíÚ ãßÑÑÉ Çæ ãÍÊæì ÑæÇÈØ ÛíÑ ÚÇãáÉ áÞÏãåÇ


Enquête à hauts risques de Linda Winstead Jones

Enquête à hauts risques Chapitre 1 : Installée sur le siège passager de la Mercedes lancée à vive allure, Jayne Barrington laissa son regard se perdre à l’extérieur, tout en

 
äÓÎ ÇáÑÇÈØ
äÓÎ ááãäÊÏíÇÊ
 
LinkBack ÃÏæÇÊ ÇáãæÖæÚ ÇäæÇÚ ÚÑÖ ÇáãæÖæÚ
ÞÏíã 22-03-09, 05:09 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 1
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:

ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Mar 2008
ÇáÚÖæíÉ: 68801
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 4
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: ßÇÈÑíÓ ÚÖæ ÈÍÇÌå Çáì ÊÍÓíä æÖÚå
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 10

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏTunisia
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
ßÇÈÑíÓ ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ÇáãäÊÏì : ÇáÇÑÔíÝ
ÇÝÊÑÇÖí Enquête à hauts risques de Linda Winstead Jones

 

Enquête à hauts risques
Chapitre 1 :
Installée sur le siège passager de la Mercedes lancée à vive allure, Jayne Barrington laissa son regard se perdre à l’extérieur, tout en se demandant à quel moment sa vie était partie de travers. Le paysage de l’Arizona, si différent de celui de son Mississippi natal, ne lui apportait aucune ré-ponse. Cédant à l’unique manifestation de nervosité qu’elle se fût jamais autorisée, elle tripota du bout des doigts le rang de perles qui ornait son cou.
Sans doute nourrissait-elle des espoirs excessifs. Le genre d’homme auquel elle rêvait n’existait plus. La race des gentlemen, des chevaliers servants en armure étince-lante était depuis longtemps éteinte.
— J’ai dû bifurquer au mauvais endroit, déclara Jim d’un ton nerveux. Il doit forcément exister une route coupant vers le sud.
La note faussement enjouée que contenait sa voix man-quait de conviction.
Ils n’avaient vu ni habitation ni éclairage public depuis des kilomètres, et la dernière station-service se trouvait à vingt minutes. Lorsque Jayne avait suggéré qu’ils s’y arrê-tent pour demander leur chemin, Jim avait opposé un refus offensé. Ah, les hommes !
Une secousse ébranla le véhicule au moment où l’étroite route d’asphalte prit fin, se transformant abruptement en une piste poussiéreuse et creusée d’ornières.
— Faites demi-tour, commanda Jayne d’une voix sèche. Ne voyez-vous pas que ce chemin ne nous mènera nulle part ?
Jim se pencha en avant et tendit son cou décharné pour scruter la route par-dessus le volant.
— Il y a un fossé de ce côté. Nous risquons de nous enli-ser si je tente la manœuvre ici.
Jayne avait plutôt l’impression que c’était elle qui, de-puis plus d’une demi-heure, s’enlisait à ses côtés, assise près de ce chevalier servant qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, qui la conduisait à une soirée.
Elle prit une profonde inspiration et expira lentement l’air de ses poumons. Pamela paierait le prix fort pour lui avoir organisé ce lamentable rendez-vous. Oh, Jim était certes beau garçon — n’eût été ce cou ! — et appartenait à la meilleure société. Mais il ne brillait pas par son intelli-gence. Derrière son joli minois et sa dentition à trois mille dollars, il possédait autant de cellules grises qu’un enfant de huit ans. Et encore. Jayne pouvait pardonner de nom-breux défauts chez un homme, mais la stupidité ne faisait pas partie du lot.
Deux heures déjà qu’ils avaient quitté Flagstaff. La forêt de pins avait à présent laissé place à une étendue désolée, dont la monotonie était ici et là brisée par de grandioses formations rocheuses ocre rouge, ponctuée d’arbustes qui luttaient pour survivre dans un aride décor lunaire.
Alors qu’ils auraient dû être parvenus à destination de-puis une bonne demi-heure, Jayne n’avait encore aperçu aucun des repères qui lui avait été indiqué avant le départ.
Seigneur, ils étaient bel et bien perdus !
— Il me semble apercevoir de la lumière, annonça Jim, d’une voix où pointait une lueur d’espoir.
Jayne plissa les yeux. A quelque distance, en effet, un vague scintillement trouait l’obscurité de la nuit. Trop fai-ble pour provenir des feux d’une voiture ou d’une hypothé-tique maison plantée au milieu de nulle part, mais plus lumineux que celui d’une simple lampe de poche. Une intuition désagréable lui crispa estomac. Sur quoi allaient-ils tomber ?
— Pourquoi ne pas faire marche arrière jusqu’à la route asphaltée ? proposa-t-elle. Pour tout vous dire, je suis prise d’une affreuse migraine. Oublions cette soirée, voulez-vous ? Je préfère rentrer à mon hôtel.
Son père serait déçu. De son côté, Jim s’était fait une joie d’assister à cette réception donnée par le producteur Corbin Marsh dans sa demeure pittoresque de l’Arizona. Avec l’idée que ce dernier ne manquerait pas, conquis par son charme naturel, de le propulser au firmament des stars.
— Remonter toute cette route en marche arrière ? s’étonna-t-il en lui jetant un regard atterré. Attendons d’être parvenus à hauteur de cette lumière, quelle qu’elle soit. Si nous n’en rencontrons pas d’ici là, je tenterai alors de re-brousser chemin.
Il la gratifia d’un sourire qui se voulait rassurant.
— J’étais si impatient de rencontrer Marsh, reprit-il. Mais si vous y tenez vraiment, nous pouvons laisser tomber cette soirée et regagner votre hôtel. Je suis persuadé qu’il cherchera à vous voir un autre jour. Il me suffira alors de vous accompagner.
Quel goujat !
Pas question d’inviter cet attardé mental à son hôtel ni d’accepter tout autre rendez-vous avec lui ! Et s’il espérait l’accompagner où que ce soit, il se berçait d’illusions. Mais pour le moment, elle était à sa merci aux confins du désert, et le moment était mal choisi pour lui exprimer son aver-sion.
La lumière devant eux gagna en netteté. Jayne discerna bientôt des formes en clair-obscur évoluant auprès de deux véhicules arrêtés sur le côté de la route. Trois ou quatre puissantes torches électriques brillaient dans la nuit, proje-tant une lumière mouvante. Une vive inquiétude la saisit. Que faisaient donc ces hommes aussi loin de tout ? Là où, à proprement parler, il n’y avait rien ? Elle n’aimait pas cela du tout. Un frisson d’appréhension la traversa, qui lui don-na la chair de poule.
— Rebroussons chemin, Jim.
Les hommes obéissaient généralement à ses ordres. Ce n’était pas le cas de son actuel cavalier.
— Cette fois je vais me renseigner, dit-il. Sans doute au-rais-je dû le faire à la dernière station-service.
— Sans doute…, marmonna Jayne, exaspérée, tout en tripotant une fois de plus son collier.
Jim leva le pied de l’accélérateur et arrêta doucement le véhicule au milieu de la route. Otant les clés de contact, il alluma la petite torche accrochée au trousseau, puis adressa à sa passagère un sourire éclatant.
— Je ne serai pas long.
Quelques mètres plus loin, les six hommes réunis autour du coffre d’une des voitures se tournèrent vers lui tandis qu’il descendait de la Mercedes.
Tous étaient vêtus de jeans et de T-shirt. L’un des incon-nus portait les cheveux longs à l’aspect négligé et grais-seux. A côté de lui s’agitait un gosse qui ne devait pas avoir dépassé les dix-huit ans, au crâne rasé ou presque. Quant au géant qui se tenait le plus près du coffre, son énorme ven-tre, comprimé dans un T-shirt orné d’un logo Harley-Davidson, débordait de manière disgracieuse de la ceinture de son large pantalon. Les deux suivants présentaient une allure plus conventionnelle et semblaient presque déplacés au sein du groupe. Le jean repassé, le T-shirt impeccable, l’un et l’autre arboraient une coupe de cheveux nette et soignée d’hommes d’affaires. Ils se tenaient côte à côte. Le sixième homme était placé légèrement en retrait, le visage dans l’ombre, la tenue tout aussi ordinaire que celle des cinq autres : jean serré, boots et blouson de cuir.
Grand-mère n’aurait pas hésité à les qualifier de hooli-gans.
Prudent, Jim éclaira son chemin de sa torche afin d’éviter les nids-de-poule.
— Salut les gars ! lança-t-il avec cordialité. Je crois bien m’être égaré…
Jayne n’entendit rien d’autre qu’un puissant éclat qui la fit sursauter. Jim s’effondra sur le sol devant ses yeux, avant de disparaître de son champ de vision. Elle reporta aussitôt son regard sur le sinistre gang. Les deux individus « propres sur eux » s’étaient écartés des autres, la mine décomposée, tandis que l’homme aux longs cheveux gras allumait calmement une nouvelle cigarette, avant de tendre son paquet à son jeune comparse.
Du canon de son revolver, l’auteur du coup de feu pointa le voyou à la veste de cuir, apparemment en vif désaccord avec lui.
L’information mit quelques secondes à pénétrer dans le cerveau de Jayne, puis son cœur cessa de battre si brutale-ment qu’elle se vit incapable de réfléchir. Ils avaient tué Jim. Ils l’avaient froidement assassiné.
Paniquée, Jayne se dit qu’elle devait fuir. Elle se glissa derrière le volant et une sueur froide l’envahit. Avant de descendre, Jim avait enlevé les clés de contact. Elle jeta un coup d’œil à travers le pare-brise et vit le truand aux che-veux gras indiquer la Mercedes d’un signe du menton. Le petit chauve s’y dirigea aussitôt. Jayne ne voyait nulle part où fuir. Elle n’irait pas loin en chaussures de soirée. Elle se devait quand même d’essayer.
Juste avant que le chauve n’atteigne la voiture, elle ou-vrit grand la portière et se précipita hors du véhicule. Elle se mit à courir ensuite sans se retourner, ses hauts talons rendant sa démarche incertaine sur le sol inégal.
Les hommes derrière elle lui crièrent de s’arrêter, tandis qu’elle redoublait d’efforts pour leur échapper. Elle ignorait où ses pas la menaient, mais elle espérait mettre assez de distance entre elle et les tueurs pour trouver une cachette où se réfugier. Un coup de feu retentit. Le sifflement de la balle passa à quelques centimètres seulement de son oreille. Une voix hurla quelque chose dans son dos, une autre brail-la un chapelet d’injures, une troisième émit un glapissement animal, mais elle poursuivit sa course sans tenter le moin-dre coup d’œil par-dessus son épaule.
Un bruit de moteur se fit soudain entendre dans l’obscurité. Dieu soit loué ! Ils allaient s’en aller. La laisser disparaître dans la nuit, l’oublier…
Elle n’eut pas cette chance. Une voix dure, toute proche, lui ordonna de s’arrêter.
Son cœur cognait si fort dans sa poitrine qu’il lui sembla sur le point d’exploser. Respirer lui demandait des efforts surhumains, des élancements douloureux lui traversaient les jambes, et chacun de ses pas mettait ses chevilles à l’agonie. Non, elle ne s’arrêterait pas.
Sans qu’elle s’y attende, des bras la saisirent par la taille. Déséquilibrée, Jayne tomba lourdement sur le sol en pous-sant un gémissement désespéré. L’homme qui l’avait rat-trapée la suivit dans sa chute, l’écrasant presque sous son poids.
Elle ferma les yeux, étourdie et suffocant à moitié sous la lourde masse de l’inconnu. Ils allaient la tuer. Exacte-ment comme ils avaient tué ce pauvre Jim.
— Debout, chérie ! l’enjoignit son agresseur.
Il l’aida à se relever, lui maintenant le poignet d’une main ferme. Ils se trouvèrent bientôt face à face. Celui qui l’avait stoppée était l’homme au blouson de cuir. A peine entendait-elle le souffle léger et régulier de sa respiration.
Le colosse qui avait tué Jim s’approchait et leva vers elle le canon de son arme. Elle ferma les yeux.
— Baisse ça, ordonna l’homme qui la tenait d’une poi-gne ferme.
Il se déplaça d’un pas, s’interposant ainsi entre elle et le revolver.
— Est-ce qu’elle ressemble à un agent du F.B.I. ? reprit-il. A un dealer venu te piquer ta came ? Merde, ce ne sont que deux petits bourgeois qui ont eu la mauvaise idée de se pointer au mauvais endroit et au mauvais moment.
Il tourna de nouveau son visage vers elle, la mâchoire déterminée et les lèvres cruelles. Malgré l’obscurité, il lui sembla apercevoir une lueur d’accusation dans son regard, comme si cette catastrophe était entièrement de sa faute.
— Je m’en fiche, répondit le gros truand au revolver. Elle nous a vus. Il faut la supprimer.
Le ton sur lequel il avait prononcé ces mots était si déta-ché, si froidement monstrueux… Jayne sentit ses jambes flageoler et crut qu’elle allait s’évanouir.
L’homme qui la tenait prisonnière secoua la tête, la mine consternée, tandis que ses cheveux ondulaient dans la brise. Il grommela d’immondes grossièretés, sans desserrer l’étau d’acier qui immobilisait le poignet de Jayne. Celle-ci ne songea même pas à s’en libérer lorsqu’il la fit passer der-rière lui d’un geste nonchalant.
— Je la veux, grogna-t-il.
Tout son corps était tendu, nota-t-elle, et un nerf battait sur son maxillaire.
Le colosse baissa son arme.
— Tu, quoi ?
— J’ai dit que je la voulais, répéta-t-il d’une voix mau-vaise. Nous sommes cloîtrés dans cette maudite baraque depuis plus d’un mois, et laisse-moi te dire que les femmes de ce trou à rat que tu appelles une ville ne correspondent pas exactement à mes standards !
— Plutôt mourir ! s’écria Jayne, saisie d’une brusque panique.
Elle gesticula pour se dégager, tenta de porter un coup de pied dans la partie la plus sensible de l’anatomie de l’homme, mais se retrouva presque aussitôt le dos dans la poussière, le poignet toujours emprisonné.
L’inconnu se pencha vers elle, le visage noyé dans l’ombre, avant de chuchoter :
— Ne dis rien que tu puisses ensuite regretter, chérie.
Boone veillait à maintenir entre le revolver et la femme l’écran de son corps. En guise de remerciement, celle-ci venait de lui expédier la pointe de sa chaussure sur la ro-tule. Elle voulait viser plus haut, soupçonna-t-il. La jupe de son luxueux tailleur était à présent retroussée sur l’adorable modelé de ses cuisses. Les genoux collés et les pieds tour-nés vers l’intérieur, elle offrait un spectacle qui eût été comique en tout autre circonstance.
Le faisceau de la torche de Marty balaya lentement le corps étendu. D’un étonnant blond vénitien, presque doré, ses fins cheveux descendaient en boucles disciplinées jus-qu’à hauteur du menton, encadrant deux joues pâles. Quant au collier de perles qui lui ceignait le cou, nul doute qu’il était authentique. Hors de prix, comme tout ce qu’elle por-tait : ensemble tailleur d’une teinte délicate à mi-chemin entre l’orange pastel et le rose corail, chemisier d’un blanc immaculé, l’ensemble formant de la tête aux pieds une harmonie crémeuse et dorée.
La pauvre fille était littéralement terrorisée.
Concentrer sur elle son attention lui octroya quelques instants de répit, qu’il mit à profit pour rassembler ses es-prits et calmer les battements de son cœur. Personne n’était censé mourir ici. Le business de cette nuit ne devait être que de pure routine, une petite opération commerciale ar-rangée par Darryl avant la rencontre décisive avec le caïd du réseau.
Il n’avait eu d’autre choix que d’assister à la transaction, tout en enregistrant mentalement chaque détail. Dans moins d’une semaine, tout serait terminé. Quelques jours encore, et il se trouverait enfin en présence du tristement célèbre Joaquin Gurza.
— Attention où tu mets les pieds, chérie, dit-il en l’aidant à se relever.
— Cessez de m’appeler chérie, espèce de… de débile ! s’indigna-t-elle.
Son délicieux accent sudiste rappela à Boone son propre foyer.
Il jeta un coup d’œil à Darryl, le gros dealer si prompt à dégainer, tout en se morigénant pour n’avoir pas su prévoir le coup. S’il ne pouvait sans doute plus rien pour le pauvre gars étendu au milieu de la route, du moins mettrait-il tout en œuvre pour sauver la fille — si toutefois elle le lui per-mettait.
— Très bien. Alors comment t’appelles-tu, chérie ?
Elle le frappa du poing, en un crochet pathétique qui rencontra mollement le haut de son bras.
— Mon nom ne vous regarde pas, répliqua-t-elle d’un ton autoritaire.
Darryl éclata de rire.
— C’est bon, Tex, railla-t-il. Amuse-toi avec elle et je la tue ensuite. Cette poupée est du genre à nous attirer des ennuis. Elle parle trop.
Boone pencha la tête, tout près de l’oreille de la fille.
— A toi de choisir, chérie, murmura-t-il. Ou tu la fermes et tu ne me quittes pas d’un millimètre, ou tu finis comme le type, là-bas, sur la route.
Malgré l’obscurité, il vit une vague de panique crisper son ravissant visage.
— C’était ton mari ?
Elle nia de la tête.
— Ton petit ami ?
Elle secoua de nouveau la tête.
Il ne pouvait prendre le risque de trop lui parler. Quant à la laisser entre les mains de Darryl, c’était hors de question. Marty et Doug, qui suivaient la scène avec un plaisir non dissimulé, ne valaient guère mieux. Non. La fille était sous sa responsabilité. Jusqu’à ce qu’il trouve le moyen de se débarrasser d’elle.
— Non, dit-il à l’intention de Darryl, sans quitter son otage des yeux. Je n’ai pas l’intention de « m’amuser » avec elle, et tu ne la tueras pas.
Les lèvres tremblantes, la fille avait à présent les yeux baissés. Sans doute ne voulait-elle pas lui laisser deviner sa terreur. Seigneur ! songea-t-il. Pourvu qu’elle ne se mette pas à pleurer.
— Je la garde avec moi, déclara-t-il.
Tournant alors les talons, il se dirigea d’un pas décidé vers la Mercedes.
Darryl, il le savait, n’aimait pas s’encombrer d’un poids inutile. Mais l’homme se *******a de grommeler un juron, avant de replacer son revolver sous sa ceinture.
Les acheteurs avaient depuis longtemps disparu. Après avoir accusé réception de leur marchandise, ils avaient pris la route tandis que lui-même et les autres truands se lan-çaient aux trousses de leur témoin imprévu. Emballé avec soin et rangé dans un attaché-case, l’argent de la transaction avait été sagement déposé dans le coffre de Darryl.
Boone pressa le pas pour s’approcher de l’homme gisant au sol. Il marcha vite, obligeant la fille à courir derrière lui.
Boone s’arrêta et baissa les yeux sur l’homme étendu près du véhicule. En une fraction de seconde, son esprit enregistra la riche étoffe du costume, la montre en or, la coupe de cheveux impeccable. Le parfait cavalier pour la jeune personne qui se tenait à ses côtés. Il détestait ces gens-là. Pétris de bons sentiments, trop riches pour être honnêtes, toujours condescendants à l’égard du reste du monde. Pourtant, ils ne méritaient pas d’être ainsi tués en pleine jeunesse.
Il disposait de très peu de temps. Sans lâcher le poignet de la fille, il s’accroupit sur ses talons et fouilla rapidement les poches de l’homme.
— Qu’est-ce que tu fais ? cria Marty.
Boone regarda par-dessus son épaule. Le gosse marchait dans sa direction.
— Les poches, répondit-il. Notre ami doit être plein aux as.
Joignant le geste à la parole, il s’empara de la montre et la glissa dans une poche de son blouson.
La fille émit un curieux son, exprimant ainsi probable-ment son plus profond dégoût.
— Je peux prendre la bagnole ? demanda Marty en affi-chant un sourire niais.
— Non, répondit Boone d’un ton laconique. Elle condui-rait les flics jusqu’à nous.
Doug apparut derrière son jeune acolyte. Tandis que le regard apeuré de la fille se posait sur lui, il secoua ses che-veux d’un mouvement coquet.
— Parce que tu crois que celle-là ne va pas les conduire jusqu’à nous ? ironisa-t-il d’un ton aigre, montrant du doigt Jayne, terrorisée.
— Celle-là, je m’en charge, répliqua Boone d’un ton sec.
Doug et Marty n’avaient ni l’un ni l’autre guère plus de vingt ans. Leur Q.I. était limité comme leur courage. Ce qui avait rendu le travail de Boone beaucoup plus aisé qu’il ne l’avait imaginé a priori.
Il ne pouvait cependant terminer devant eux ce qu’il avait commencé.
— Mets-la dans la voiture de Darryl, ordonna-t-il en ten-dant le poignet de son otage.
Juste avant que la main de Marty ne se refermât sur ce-lui-ci, il sentit la fille frissonner.
— Touche-la n’importe où ailleurs, reprit-il d’un ton menaçant, et tu es mort. Elle est à moi, c’est compris ?
Devant le sourire figé de Marty, il ajouta :
— J’arrive tout de suite.
Les deux hommes s’éloignèrent. Marty traînant la fille derrière lui, Doug jeta au passage un bref coup d’œil aux sièges avant de la Mercedes. De son côté, Darryl était oc-cupé à vérifier le compte de l’argent de la transaction, ce qui laissa à Boone le loisir de placer deux doigts sur le cou de la victime étendue.
Il ferma les yeux, soulagé. L’homme n’était pas mort. Son rythme cardiaque était marqué et régulier. Ce qui se passa ensuite fut très rapide. Boone trouva la blessure sur le flanc. Vilaine, mais pas fatale. Fasse le ciel qu’il ne se ré-veille pas, pria-t-il. S’il se mettait à faire du raffut, Darryl rappliquerait pour achever la besogne.
Sans perdre de temps, il ôta la veste de l’homme. Il sub-tilisa le portefeuille dans l’opération — au cas où les truands l’observaient — et s’empara également du télé-phone portable.
La veste constituait un bandage inadéquat mais rapide et facile à poser. Dissimulant ses mains aux regards, il alluma le portable et composa le 911, numéro d’urgence de la po-lice. Il le positionna ensuite sur le torse de la victime, caché sous l’un des pans de l’élégant vêtement.
— On part ! cria Darryl, avant de refermer dans un cla-quement sec le coffre de sa voiture.
Marty et Doug étaient déjà installés sur la banquette ar-rière, encadrant la fille terrifiée.
Il n’avait plus une minute à perdre. S’il prenait à Darryl l’idée de venir voir ce qu’il faisait, toute l’opération tom-bait à l’eau. Fichue. Terminée. Trois mois de travail gâché, et un — ou plusieurs — cadavre au choix : Darryl ou lui-même et la fille.
Il se pencha vers le corps et, répondant au standardiste qui avait décroché, chuchota le nom de la route où ils se trouvaient. Rien de plus. Localiser l’endroit prendrait cer-tainement du temps, mais il n’existait pas de meilleure solution. Au moins, le type semblait avoir un cœur solide et ne perdait pas trop de sang.
— Tiens bon, mon pote, murmura-t-il.
Etre démasqué maintenant était un risque qu’il ne pou-vait courir. Il n’avait pas encore retrouvé l’enfant kidnappé par l’insaisissable trafiquant de drogue qu’était Gurza. Et jusqu’à ce qu’il y parvînt, rien d’autre n’importait. Ni l’homme allongé au sol ni la fille qu’il gardait en otage. Pour la garder en vie.
Il secoua la tête, tout en s’éloignant de la Mercedes. Très ténue, la voix du standardiste lui parvint aux oreilles depuis le portable, sollicitant plus d’informations.
Mauvaise soirée. Un blessé, plus une fille dont il était désormais responsable… Bon sang ! Il s’était engagé trop loin. Et par expérience, il savait que dès l’instant où les choses commençaient à tourner mal, elles ne faisaient en-suite qu’empirer.
Quel que soit le prix à payer, il devait avant tout retrouver l’enfant pour le rendre à ses grands-parents.
Chapitre 2 :
Montrer aux meurtriers de Jim l’étendue de sa peur était un cadeau que Jayne ne voulait pas leur faire. Mais elle avait beau tenter d’arrêter ses dents de claquer et ses jam-bes de trembler, son corps ne lui obéissait pas.
Le regard fixé sur la route devant eux, ses deux gardes du corps semblaient avoir totalement oublié sa présence, même s’ils étaient serrés les uns contre les autres sur la banquette arrière dans l’obscurité du véhicule. De toute évidence, ils craignaient le dénommé Tex. Celui-ci lançait de temps à autre un sombre regard d’avertissement aux deux voyous par-dessus son épaule.
Malgré l’angoisse qui la rongeait, Jayne ne perdait rien de ce qui se passait. Jim et elle avaient fait irruption au beau milieu d’une transaction de trafiquants de drogue. C’était bien leur chance ! De toutes les routes menant nulle part, il avait justement choisi celle-là. Elle renifla et porta la main à son collier de perles. Jim était mort, et le même sort l’attendait. Sauf si elle trouvait le moyen de s’échapper.
Tex jeta un nouveau coup d’œil derrière lui. Son regard s’arrêta brièvement sur elle tandis qu’ils passaient sous la lumière d’un lampadaire. Son cœur bondit dans sa poitrine, et ses lèvres devinrent toutes sèches. Nul besoin d’être sorcier pour deviner quelles étaient ses intentions à son égard. Il s’était montré suffisamment explicite. A cette simple pensée, ses tremblements s’accentuèrent.
L’espace d’une fraction de seconde, elle vit le regard froid s’adoucir, juste avant qu’ils ne quittent la zone de lumière et que le visage de l’homme ne se fonde de nou-veau dans l’obscurité. Elle secoua la tête. Elle avait dû rêver…
La voiture s’arrêta enfin devant un bungalow isolé et dé-labré. Une ampoule nue de faible intensité brillait près de la porte d’entrée, projetant une lumière glauque sur le reste de la construction. La peinture grise des murs s’écaillait, et les rideaux qui obturaient les fenêtres étaient constitués de vieux draps jaunis. Aucune habitation n’était visible dans le voisinage, exception faite d’une bâtisse d’aspect similaire, apparemment déserte, devant laquelle ils étaient passés quelques minutes plus tôt.
Oui, elle se trouvait loin, très loin de l’extravagante rési-dence de Corbin Marsh, du champagne et des petits-fours…
Au moment où le petit chauve sortait de la voiture, Tex l’attendait déjà près de la portière. Le visage dépourvu d’aménité, il lui offrit sa main. Jayne l’ignora et descendit du véhicule, pour constater qu’il n’existait aucun endroit où fuir. De toute manière, jamais elle ne courrait assez vite. Elle scruta néanmoins la route, les sourcils froncés.
— N’y songe même pas, susurra Tex en lui saisissant le bras. Tu n’irais pas loin.
Parce qu’il la tuerait ? Parce que l’un des autres malfrats le ferait ?
Rassemblant ce qui lui restait de courage, elle riva son regard dans le sien.
— Butor ! proféra-t-elle d’une voix dure.
Les trois autres s’esclaffèrent, mais pas Tex. Le géant qui avait tiré sur son cavalier d’un soir asséna une grande claque dans le dos du blouson de cuir.
— Je descends son petit ami, ricana-t-il. Toi, tu la ramè-nes ici pour te payer un peu de bon temps, et voilà t’y pas que la demoiselle te traite de « butor » !
Jayne fut tentée de regarder le gros homme dans les yeux et de lui exprimer sa façon de penser… Mais elle se retint. Tex l’effrayait, mais celui qui avait tué Jim, et menacé d’en faire autant avec elle, la terrorisait au-delà de toute raison. Son instinct lui dit que si elle gardait son attention et son regard fixés sur Tex, il lui restait une toute petite chance de s’en sortir.
Tous n’étaient que des gangsters, mais celui qui avait décidé qu’elle lui appartenait semblait être le plus intelli-gent des quatre. Peut-être, lorsqu’ils seraient seuls, par-viendrait-elle à le raisonner. Lui proposer de l’argent pour qu’il la laisse partir saine et sauve. Son père accepterait de payer pour la libérer, quel qu’en fût le montant. Tex se laisserait-il acheter ? Et si oui, combien demanderait-il ?
Elle fut conduite vers une entrée latérale qu’aucune lampe n’éclairait. Le morveux au crâne rasé ouvrit la porte, Tex la fit entrer et la guida jusqu’à la cuisine. Elle se rendit compte que l’intérieur du bungalow était pire que l’extérieur. Le plancher était jonché d’emballages de bar-quettes en aluminium, restes de plats tout prêts et de canet-tes de bière vides, tandis qu’une accumulation de vaisselle sale encombrait l’évier. Il lui fallut enjamber une large boîte de pizza maculée de taches d’huile lorsque Tex la poussa devant lui.
— Hé, Tex ! lança derrière eux le voyou aux cheveux gras, le visage hilare. Je ne voudrais pas marcher sur tes plates-bandes, mais quand tu en auras fini avec cette pute, peut-être pourrais-tu nous la prêter pour qu’elle nous fasse un peu de ménage.
Jayne darda sur lui un regard incendiaire.
— Fais-le toi-même, Doug, dit Tex sans se retourner.
Le sourire du gamin disparut, aussitôt remplacé par un rictus haineux.
La pièce faisant office de séjour ne valait guère mieux que la cuisine. Au milieu d’autres emballages vides, de canettes et de vieux journaux, émergeaient un canapé dé-foncé et une paire de chaises qui semblaient provenir d’une décharge. Un petit poste de télévision trônait sur une table basse du même style, adossée à l’un des murs relié à une antenne d’intérieur rudimentaire.
Une nouvelle onde de panique l’envahit. S’ils décou-vraient qui était son père, décideraient-ils de la séquestrer pour obtenir une rançon ? Ou bien pris de panique, cherche-raient-ils à s’en débarrasser au plus vite ?
Tex lui fit emprunter un étroit couloir moquetté de gris vert taché et décoloré. Elle tenta de rassembler ses forces pour se calmer, mais rien n’y fit : les violents battements de son cœur lui donnaient l’impression d’étouffer, et ses ge-noux tremblaient à chaque pas. Elle tenta une ultime et vaine rebuffade lorsque, la tenant par le poignet, Tex ouvrit une porte et la força à pénétrer dans une chambre. Derrière elle, les deux jeunes dealers se remirent à rire.
Imperturbable, Tex la poussa sans ménagement dans la pièce avant de claquer la porte derrière eux d’un geste sec. La première pensée de Jayne fut qu’au moins la chambre était plus propre que le reste de la maison. Le lit double avait été fait à la hâte, aucun détritus ne souillait le plan-cher, et l’étroite fenêtre était pourvue de vrais rideaux.
— Assieds-toi, ordonna-t-il d’une voix calme.
Le seul endroit où s’asseoir était le lit. Jayne secoua la tête en un refus silencieux.
Tex se pencha vers elle. Juste un peu. Les détails de son visage, jusque-là noyés dans l’obscurité de la nuit, se révé-laient maintenant avec précision sous la lumière crue de l’ampoule du plafond. Des yeux marron qui ne souriaient pas. Une mâchoire agressive qu’assombrissait une barbe d’au moins trois jours, mais dont la dureté était adoucie par une longue chevelure brune qui lui retombait sur les épau-les. Le nez était droit et régulier, la ligne de la bouche par-faite.
— Assieds-toi, répéta-t-il à mi-voix.
Une arme de gros calibre était glissée dans la ceinture de son jean.
Jayne obéit. Elle se percha sur l’extrême bord du lit, les mains sur les cuisses, le dos droit et les genoux réunis.
— Mon père paiera une forte somme pour me récupérer en bonne santé, et, euh…
Elle déglutit avec difficulté.
Intacte. Elle ne parvint pas à prononcer le mot, mais il devinait certainement le fond de sa pensée.
Tex se mit à marcher de long en large dans l’espace qui séparait le lit de la porte. Ecartant de temps à autre ses longs cheveux de son visage, il ne quitta le plancher des yeux que pour jeter occasionnellement un regard vers la porte. Une fois, seulement, son attention se porta sur elle. Il secoua alors la tête en grognant des mots indistincts, puis se replongea dans la contemplation du sol.
Cessant enfin ses allées et venues, il se tint debout de-vant elle. Près. Trop près. Et toute fuite était impossible.
Boone observait la fille sur le lit. Bon sang. Qu’allait-il en faire ?
— Comment t’appelles-tu ?
Un frisson la traversa.
— Je ne vous dirai rien, répliqua-t-elle d’un ton glacial.
Il esquissa un sourire. Elle aurait dû crier, se montrer hystérique, terrorisée, mais au lieu de cela, elle avait le cran de soutenir froidement son regard. Sans toutefois être en mesure de cacher les tremblements de ses mains et de ses genoux.
— Très bien. Je continuerai donc de t’appeler chérie.
— Jayne, dit-elle, les lèvres pincées.
— Et ton nom de famille ?
— En quoi cela vous concerne-t-il ?
Il se pencha presque à la toucher.
— N’essaie pas de jouer les dures avec moi, petite. Je suis ta seule chance de sortir d’ici vivante.
La fille déglutit, imprimant à sa gorge tendre et pâle un mouvement des plus attrayants.
Une sorte de hennissement se fit entendre depuis le cou-loir. Doug ou Marty… Probablement les deux. Boone laissa échapper un soupir.
— Donne-moi ta veste, commanda-t-il.
— Non.
Il ôta alors son blouson et le déposa sur le montant du lit. Se débarrassant ensuite de son T-shirt, il l’envoya rejoindre le blouson avant d’empoigner le revolver glissé dans sa ceinture. Il le soupesa un instant, leva les yeux vers la fille, puis s’avança rapidement vers le placard où il rangea l’arme sur l’étagère la plus haute.
Ce détail réglé, il désigna du doigt la veste de son élé-gant tailleur. Elle leva le menton d’un air têtu et fit non de la tête.
— Je ne te toucherai pas, déclara-t-il, la mâchoire cris-pée. Mais j’ai besoin de cette putain de veste.
Elle renifla, puis croisa les bras sur sa poitrine.
— D’accord, soupira-t-il. J’emploierai donc la manière forte.
S’asseyant à côté d’elle, il l’agrippa par le poignet. Elle se débattit.
— Ne me touchez pas ! s’écria-t-elle d’une voix aiguë, tout en lui frappant le bras de sa main libre.
Un nouveau gloussement dans le couloir.
Après une lutte brève et inégale, la veste se retrouva en-fin entre ses mains. Il pointa vers la fille un index autori-taire.
— Maintenant allonge-toi et tiens-toi tranquille.
— N’y comptez pas.
Boone ferma les yeux et secoua la tête.
— Nous n’y arriverons pas de cette manière, soupira-t-il.
Quittant soudain le lit, il se dirigea vers la porte, qu’il ouvrit sur deux faces ricanantes.
— Qu’est-ce que vous faites là, nom de Dieu ? gronda-t-il, tout en agitant d’un geste délibéré la veste sous leur nez.
Les deux garçons observaient la scène derrière lui : une Jayne rougissante, assise sur le bord du lit, les cheveux en broussaille et le chemisier à moitié sorti de la jupe.
— Cette maison manque de distractions, répondit Doug. T’as déjà terminé ?
— Certains d’entre nous aiment prendre plus de trois minutes avec une femme, petit. Dégagez, à présent. Si ja-mais je surprends l’un de vous deux à proximité de cette porte ou de cette fenêtre — il indiqua du pouce l’intérieur de la chambre — je le descends.
— C’est à elle que tu devrais t’adresser, répliqua Marty en pointant le menton.
Boone se retourna aussitôt : debout devant la fenêtre à guillotine, Jayne luttait de toutes ses forces pour en soule-ver le panneau inférieur. Il referma la porte, s’y adossa, puis observa sa prisonnière avec un hochement de tête.
— Elle est scellée par la peinture, expliqua-t-il.
Après une dernière tentative, Jayne pivota pour lui faire face, les yeux rougis par l’effort et les joues enflammées.
Pour la première fois, il fut frappé par sa petite taille. Elle n’était pas maigre. Juste menue — guère plus d’1,60 m — et de formes délicates. Sous l’ourlet de sa jupe droite apparaissaient deux jambes fines et galbées, tandis que les courbes cachées du reste du corps suggéraient une féminité tout à fait affirmée.
— Il faut que nous parlions, dit-il d’une voix douce. As-sieds-toi.
Elle secoua la tête.
— Allons, insista-t-il, s’efforçant de maîtriser son impa-tience. Assieds-toi. Je ne te ferai aucun mal.
— Quel privilège ! persifla-t-elle avec une assurance qu’elle ne ressentait pas. Peut-être attendez-vous que je vous dise merci ?
— Si je n’avais pas été là, à cette heure-ci tu serais morte. Tu pourrais au moins me témoigner un peu de grati-tude.
Si cette réponse était censée l’apaiser, c’était raté. Jayne porta une main nerveuse à son collier de perles, et son souf-fle se fit plus court, plus rapide. Oh non ! Elle n’allait pas s’évanouir sous ses yeux ! Luttant pour conserver son calme, il leva les deux mains, paumes ouvertes.
— Je te promets que je ne te toucherai pas, assura-t-il. Tu es en sécurité avec moi. Maintenant assieds-toi sur le lit, s’il te plaît.
Le visage inquiet, elle s’éloigna de la fenêtre. Il s’y diri-gea à son tour afin de s’assurer que les rideaux obturaient bien la fenêtre. Personne n’avait besoin de voir ce qui se passait dans la chambre, et avertissement ou pas, il n’avait nulle confiance en Marty ni en Doug. Lorsqu’il se retourna, ce fut pour constater, soulagé, que Jayne avait cédé à sa demande, et se tenait assise avec grâce au bord du lit.
— Il faut que nous parlions, répéta-t-il. Mais avant ce-la…
Le regard fixe, il la contourna pour s’approcher de la tête du lit, dont il saisit l’angle d’une main ferme. Un soupir lui échappa. Comment lui expliquer ? Le mieux était simple-ment de faire ce qu’il avait à faire.
Tandis que Jayne, le regard anxieux, demeurait immobile sur le matelas, Boone cogna le montant de bois contre le mur. Un coup. Deux coups. Un troisième… Il laissa s’écouler quelques secondes, puis recommença, adoptant cette fois un rythme régulier. Les yeux fixés sur la fille, il heurtait le mur avec une constance de percussionniste.
— Tu pourrais m’aider, murmura-t-il.
— Vous aider à quoi ? s’enquit-elle, l’air de ne pas com-prendre.
— Fais un peu de bruit. Comme si tu prenais du plaisir.
— Certainement pas ! s’insurgea-t-elle, indignée.
De sa main libre, Boone lui attrapa sèchement le poignet. Et comme il l’avait prévu, elle lâcha un cri aigu.
— Ça ira, dit-il en souriant.
Jayne se tut aussitôt et pinça les lèvres. Comme elle était jolie lorsqu’elle était en colère ! Evidemment, elle l’était depuis l’instant où ils s’étaient rencontrés. En colère… et surtout effrayée.
Il accéléra le tempo, la tête de lit heurtant le mur tel un métronome.
— Recommence, ordonna-t-il dans un chuchotement.
— Non, je…
Bien malgré elle, Jayne se sentit brutalement tirée de cô-té. Un nouveau cri jaillit de sa poitrine.
Seigneur ! Il la tenait de telle sorte que ses seins poin-taient sous l’étoffe soyeuse du chemisier, et elle haletait comme s’il ne s’agissait pas d’un simulacre. Quant aux chocs du lit contre le mur, ils lui rappelaient avec un ré-alisme troublant l’activité à laquelle il feignait de se livrer. Le rythme, les secousses imprimées au matelas…
— Encore une fois, chérie.
— Ne m’appelez pas…
Sans prévenir, il la souleva du lit, la remit debout sur le sol et la plaqua sèchement contre son torse nu. Cette fois elle hurla. Boone donna encore du montant du lit contre le mur, trois fois pour faire bonne mesure. Puis il s’arrêta.
Toujours morte de frayeur, Jayne leva vers lui un regard angoissé.
— C’était bon ? murmura-t-il.
La réponse ne se fit pas attendre. Une gifle cinglante et sonore imprima sa marque sur sa joue gauche.
Alors que l’écho de la gifle résonnait encore dans la pièce, Jayne comprit qu’elle n’aurait pas dû le frapper. Mais elle ne regrettait rien.
— Assieds-toi, dit-il, couvrant sa joue meurtrie de sa large main.
Elle obtempéra, tandis que son geôlier reprenait ses al-lées et venues devant le lit. Elle avait moins peur, à présent. Il s’était *******é de feindre qu’ils… Enfin, il avait fait semblant, et désirait lui parler. Mais de quoi ? Oh ! Proba-blement de l’offre financière qu’elle lui avait soumise.
— Mon père vous donnera tout ce que…
— Laissons ton père en dehors de cela, veux-tu ? J’essaie de réfléchir.
— Réfléchir à quoi ?
— A ce que je vais faire de toi, chérie.
Jayne se mordit la lèvre. Il existait certainement pire trai-tement que de se faire appeler « chérie ».
Tex s’arrêta devant elle, toujours torse nu, le jean mou-lant ses hanches minces. Il était plus grand que la plupart des hommes, tout en muscles, et doté d’un regard intense sous sa longue crinière. Intimidant était le mot qui conve-nait le mieux pour le définir.
— Puis-je te faire confiance ? demanda-t-il, plus pour lui-même que pour elle…
— Bon sang, quelle pagaille !
Il proféra ensuite une bordée d’insanités qui fit monter le rouge au front de Jayne.
— S’il vous plaît…
— S’il vous plaît quoi ?
— Ne jurez pas.
Un large sourire s’épanouit sur le visage de Boone.
— Ton copain s’est fait flinguer, tu te retrouves au mi-lieu de truands tout ce qu’il y a de plus dangereux, tu me fourres dans un pétrin dont je me passerai bien et tout ce que tu trouves à faire c’est de te préoccuper de mon lan-gage ? Tu ne manques pas de culot ou alors tu es vraiment inconsciente !
— Rien ne vous oblige à vous montrer aussi grossier avec moi, rétorqua-t-elle.
— Chérie, apprends que Grossier est mon deuxième pré-nom.
— Cela ne me surprend guère, rétorqua-t-elle, la moue dégoûtée.
Voyant Tex s’asseoir à côté d’elle, elle s’écarta aussitôt. Mais elle ne bondit pas à l’autre bout de la chambre, comme lui dictait son instinct. S’il avait projeté de la mo-lester, il l’aurait fait depuis longtemps. Simplement, elle se sentait minuscule à ses côtés et elle préférait établir un peu de distance entre eux.
Se penchant vers elle, il lui chuchota à l’oreille :
— Je suis ici en mission secrète.
Une vague de soulagement l’envahit.
— Oh, Dieu soit loué ! Vous appartenez à la brigade des stupéfiants ? Au F.B.I. ? Vous disposez de contacts télé-phoniques pour qu’une équipe puisse intervenir à tout mo-ment au moindre signe de votre part, n’est-ce pas ?
Le regard de l’homme s’assombrit.
— Non. Je suis détective privé, et je travaille ici pour mon propre compte.
Le sourire de Jayne se figea instantanément.
— Aucun appui ?
Il secoua la tête.
— Mais vous n’êtes pas l’un d’eux, n’est-ce pas ? Vous n’êtes pas un gangster. Vous me sortirez d’ici ?
— Plus tard, oui.
— Que voulez-vous dire, plus tard ? Ces hommes ont tué Jim, ils ont failli me tuer…
— Ton ami n’est pas mort, coupa Tex. Il s’en sortira. Tu t’en sortiras aussi. Mais il me faut encore quelques jours.
— Mais…
— Je n’ai pas l’intention de réduire à néant trois mois de travail juste pour mettre ton joli petit cul à l’abri.
— Mais…
— Je ne peux pas mettre en péril tout ce que j’ai fait jus-qu’à présent, simplement parce que toi et ton petit copain avez été assez stupides pour surgir au beau milieu d’une opération de Darryl.
— Ne pourriez-vous pas me laisser filer et prétendre que je me suis évadée ?
— Non, dit-il en secouant la tête. Darryl se lancerait immédiatement à ta recherche. Si je te garde avec moi, si nous…, si nous leur laissons croire qu’il ne te déplaît pas d’être avec moi, je pense pouvoir te garder en vie jusqu’à ce que j’en aie terminé ici.
— Vous « pensez » ? demanda-t-elle faiblement.
— Je n’ai rien de mieux à te proposer pour le moment.
Pendant quelques secondes, elle étudia les traits de son visage, la ligne sévère de son menton. Devait-elle lui dire qui était son père ? Sans doute pas. Cette révélation ne changerait rien.
— Vous vous appelez réellement Tex ?
— Non.
— Quel est votre véritable nom ? Vous ne voulez pas me le dire ?
Il hésita quelques instants.
— Boone, répondit-il. Mais garde-toi bien de le pronon-cer en dehors de cette chambre. Jusqu’à nouvel ordre, je suis Richard Tex.
— Boone, est-ce votre nom ou votre prénom ?
— Quelle importance ?
Jayne soupira. Son corps, elle en avait conscience, com-mençait à se détendre, à se dénouer, à retrouver sa normali-té. Elle était toujours en vie. Avec l’aide de cet homme, elle continuerait à survivre.
— J’aimerais juste savoir.
— Boone Sinclair, détective privé. A votre service, ma-dame.
Il lui tendit la main. Après une courte hésitation, elle lui offrit la sienne.
— Jayne Barrington.
Tout danger provisoirement écarté, elle le considéra d’un œil nouveau. Sa puissance, qu’elle avait perçue comme menaçante, devenait à présent protectrice, et la sombre rudesse de son visage, attirante plus qu’intimidante. Ils échangèrent une brève poignée de main. Le contact de la paume massive de Boone lui procura une surprenante sen-sation de bien-être et de sécurité.
— Jim n’est pas mort, vous en êtes sûre ?
Boone secoua la tête.
— Darryl l’a touché au flanc. Il a perdu un peu de sang…
Un sourire ironique se dessina sur ses lèvres :
— Je crois que ton ami s’est simplement évanoui.
— Je le croyais mort, déclara-t-elle, réprimant un fris-son.
— Ne t’inquiète pas. Tu seras sortie d’ici bien assez tôt pour aller le réconforter.
— Oh cela… A la vérité, je le connais à peine. Ce n’était qu’un rendez-vous arrangé, de convenance, si vous voyez ce que je veux dire.
Elle avait dit cela d’un air indéchiffrable, son regard vert plongé dans celui du détective.
— Comment vous êtes-vous retrouvés sur Springer Road ?
— Nous nous rendions à une réception, et nous nous sommes égarés.
Elle se rendit compte rétrospectivement que si Boone Sinclair n’avait pas été là, elle ne serait plus de ce monde. Grand-mère verrait sans doute en lui un ange envoyé du ciel. Et prétendrait que ce n’était pas par accident s’il s’était trouvé sur son chemin. Un faible sourire se dessina sur ses lèvres.
— Je ne vois pas ce qui peut prêter à sourire dans la si-tuation où nous nous trouvons, s’étonna-t-il en scrutant son visage. Tu n’es pas en train de devenir folle, au moins ?
Elle secoua la tête.
— Non. C’est juste que… Vous n’avez pas du tout l’air d’un ange.
— Crois-moi, répondit-il gravement, je n’en suis pas un.
Jayne s’efforça de ne pas laisser ses yeux dériver vers son torse. Il ne semblait pas le moins du monde gêné d’être assis auprès d’elle à moitié nu, exhibant ses larges épaules et son impressionnante musculature.
— Pourquoi êtes-vous ici ? J’ignorais que les détectives privés pouvaient opérer sous une fausse identité.
— Je n’ai jamais prétendu agir dans la légalité, répondit-il avec un demi-sourire.
Jayne haussa les sourcils. En tant que fille de sénateur, ses moindres faits et gestes étaient étudiés au microscope, numérisés, analysés. Chacun de ses déplacements, chacune de ses décisions se voyaient soumis à examen, jusqu’au choix de vêtements, de coiffure, de maquillage. Alors contrevenir à la loi, c’était inimaginable.
Le front de Boone se plissa.
— Des objections ?
— Je… Non. Vous… vous avez certainement vos rai-sons.
En fait, peu lui importait de les connaître. Il était là, elle n’en demandait pas plus.
— J’ai mes raisons, en effet.
Jayne soupira. Boone s’était montré honnête avec elle. Le moins qu’elle pût faire était de lui rendre la pareille.
— Mon père…
— Ne pouvons-nous pas laisser ton père tranquille pour le moment ? répéta-t-il.
— Je crains que non, répondit-elle, rivant son regard dans le sien.
Il se tut, attendant qu’elle poursuive. Les longues mèches de ses cheveux bruns retombaient négligemment sur ses épaules, formant un contraste troublant avec sa peau nue.
— Mon père est sénateur, reprit-elle. Elu du Mississippi. Son nom est Augustus Barrington.
Il demeura silencieux.
— Jim et moi nous rendions à une réception donnée par un appui potentiel, susceptible d’offrir à mon père une importante contribution financière pour le cas où il se déci-derait à briguer… de plus hautes fonctions.
Boone ne remua pas un cil.
— Ma disparition risque de provoquer de sérieux re-mous, poursuivit-elle. Un véritable branle-bas de combat, pour être plus précise. Mon père remuera ciel et terre pour que tous les services officiels disponibles se saisissent de l’affaire. Nous avons donc jusqu’à demain matin. Et je suis optimiste.
Glissant une main dans ses cheveux, Boone laissa échapper un flot d’obscénités pires encore que celles qu’elle avait entendues depuis qu’elle était en sa compa-gnie. Il ne la regarda pas, adressant apparemment ses invec-tives au plancher, aux murs et à la fenêtre.
— M. Sinclair, l’interrompit-elle d’une voix douce. Au-riez-vous l’obligeance…
Reportant son regard sur elle, il répliqua par le mot le plus court et le plus répugnant du vocabulaire de caniveau.
Jayne serra les dents et leva les yeux au ciel.
— Vous savez, il existe d’autres mots tout aussi effica-ces pour exprimer sa colère.
— Oh, vraiment ? Allez au diable par exemple ? dit-il, l’ironie le disputant à l’agacement.
— « Zut ! » ou « fichtre ! » font aussi très bien l’affaire.
Boone lui adressa un sourire mi-insolent, mi-amusé. Avant de répéter le vocable qu’il semblait affectionner.
— Ou « crotte ! », suggéra-t-elle prudemment. Il m’arrive moi-même de l’utiliser lorsque je suis exaspérée. Et qu’il ne se trouve bien sûr aucune oreille à proximité.
— Oh, crotte ! répéta-t-il, imitant son accent de jeune fille sudiste bien élevée.
— Vous voyez ? dit-elle, arborant un sourire d’institutrice satisfaite de son élève.
Boone était médusé de voir qu’elle prenait tout cela au sérieux alors que sa vie, et accessoirement la sienne, était en danger. Il se leva du lit, avant de lui tourner le dos pour remettre la main sur son T-shirt.
Bien. Enfin il se rhabillait. Il avait beau être un splendide spécimen de mâle américain, la vue de ce torse dénudé n’aidait pas à la concentration.
— Tiens, enfile-moi ça, grogna-t-il.
Jayne se saisit du T-shirt entre le pouce et l’index, un sourcil levé.
— Je me sens très bien dans mes propres vêtements, je vous remercie. Du reste — elle renifla le tissu — vous l’avez porté, et il n’a pas été lavé.
Boone se massa l’arête du nez, comme s’il était pris d’une soudaine migraine.
— Dans moins d’une semaine, déclara-t-il, je devrais en avoir terminé ici. Trois mois de travail, dont l’aboutissement n’est plus qu’une question de jours. Et maintenant ça ! Si tu tiens à rester en vie, je te conseille de m’écouter. Et de me laisser faire ce que je fais le mieux.
— C’est-à-dire ? soupira Jayne.
— Mentir.
Il laissa retomber sa main et la regarda.
— Dans notre intérêt commun, et pour donner le change à Darryl et aux deux autres imbéciles, toi et moi sommes devenus comme deux animaux en rut.
— Je vous demande pardon ?
Le souffle coupé, elle tenta péniblement de reprendre sa respiration et sentit ses joues s’empourprer.
— Vous m’avez traînée ici de force, reprit-elle. Vous m’avez kidnappée ! Croyez-vous qu’une femme puisse accepter de son plein gré de… d’avoir des relations intimes avec un homme qui la séquestre dans cette chambre nau-séabonde ? Comme si elle n’était rien d’autre qu’une…
Boone l’interrompit d’une main levée.
— Je sais, dit-il. Mais nous visons ici deux objectifs. Un : les empêcher de s’approcher de toi.
Jayne frissonna.
— Tu portes mes vêtements, tu ne me quittes pas d’une semelle, nous passons le plus clair de notre temps au lit… Tu es à moi. Tu m’appartiens. C’est ce que nous voulons leur faire croire. Ces types-là savent que s’ils tentent le moindre geste déplacé, ils me trouveront sur leur chemin.
A l’expression de son regard, elle comprit qu’il pesait chacun de ses mots.
— Deux : nous voulons te garder en vie. S’ils pensent que tu caresses le projet de t’échapper à un moment ou à un autre, l’un d’eux pourrait fort bien devenir nerveux et commettre un acte… irréparable.
Te tuer. Boone ne prononça pas les mots. Il n’en avait pas besoin.
— Donc tu restes collée à moi, poursuivit-il, visiblement peu enthousiaste. Tu te fais discrète, tu n’ouvres pas la bouche, et dans quelques jours je te ramène chez toi… Et pour commencer, habitue-toi à me tutoyer.
— Il n’en est pas question ! répondit-elle, horrifiée. Nous ne nous connaissons pas, alors je m’en tiendrai au vouvoiement.
Boone fronça les sourcils d’un air peu engageant. Jayne sentit qu’il fallait qu’elle soit plus conciliante. Après tout, sa vie était entre les mains de ce malotru. Elle ajouta préci-pitamment :
— Sauf, bien sûr, en présence des autres truands…
Elle releva le menton d’un air de défi.
— Comme tu veux, répondit Boone, mais tu n’as pas in-térêt à te tromper, sinon notre comédie de jeunes tourte-reaux ne vaudra pas un clou et je n’ose imaginer la réaction de Darryl s’il apprend la vérité.
— Vous ne m’avez jamais dit ce que vous faisiez ici, reprit-elle d’une voix douce.
— C’est vrai, répondit Boone qui n’avait pas l’intention d’en dire plus.
— Si je dois me comporter comme si vous me plaisiez et tout le reste, ne vaudrait-il pas mieux que je sache ?
Il riva de nouveau son regard dans le sien, et ce qu’elle lut dans ses yeux lui donna la chair de poule. D’un geste inconscient, elle serra les bras sur sa taille pour réprimer ce frisson glacé et inattendu.
— Non, dit-il finalement.
Puis il quitta la pièce, claquant la porte derrière lui.
Chapitre 3 :
Dormir sur le plancher n’améliora en rien les disposi-tions de Boone envers Jayne. La veille, il avait pensé lui demander l’autorisation de partager le lit avec elle, mais il l’avait trouvée profondément endormie en regagnant la chambre. Endormie ! Soit elle lui accordait une confiance aveugle soit elle était complètement inconsciente. Dans les deux cas, Boone ne trouvait pas cela rassurant.
Si elle s’était réveillée au milieu de la nuit pour le dé-couvrir allongé à côté d’elle, elle aurait probablement bondi hors du lit en hurlant. Ce qui, tout bien considéré, n’aurait pas nécessairement été une mauvaise chose. Des cris noc-turnes inopinés étaient probablement attendus de l’autre côté de la porte !
Il se redressa et jeta un œil par-dessus le rebord du mate-las. Jayne dormait toujours. Elle n’avait pas enfilé le T-shirt ainsi qu’il lui avait demandé, préférant rester vêtue de sa combinaison, qui devait être de soie, s’il en jugeait par les reflets du tissu. Il ne savait pas que les femmes portaient encore des combinaisons ! Il voyait seulement émerger des draps les fines bretelles, dont l’une avait glissé de son épaule. Quelques heures plus tôt, il avait aperçu la blan-cheur nacrée d’une cuisse échappée des draps. Il l’avait recouverte, vaguement coupable d’avoir ressenti du plaisir à ce spectacle. Jayne n’avait ensuite plus bougé de la nuit. Elle était à présent recroquevillée sous les draps, que re-couvrait l’édredon vert élimé.
Tandis qu’il la contemplait en silence, les paupières de la jeune femme battirent plusieurs fois, puis ses yeux s’ouvrirent. Avant de s’écarquiller de terreur.
Son otage, Jayne Barrington, sage beauté sudiste, se re-dressa d’un bond, le drap tiré sur sa poitrine.
— Oh, non ! geignit-elle, le souffle court. Ce n’était donc pas un cauchemar. Vous êtes… bien réel.
— Ce ne sont pas les paroles que j’entends généralement de la bouche d’une femme avec qui je viens de passer la nuit, ironisa-t-il.
Elle aperçut alors, sur le sol, la couverture sur laquelle il avait dormi. Son expression se radoucit.
— Vous auriez dû dormir sur le canapé dans l’autre pièce.
— Tu aurais dû me ménager un peu de place sur le lit, de sorte que je n’aurais pas eu à passer la nuit sur ce maudit plancher. Et puis souviens-toi que nous devons jouer les amants passionnés qui ne pensent qu’au sexe.
— Et quoi d’autre ? dit-elle, la moue dédaigneuse.
— Une femme aimante prépare le petit déjeuner de son homme…
Elle lui offrit un visage presque aussi horrifié qu’à la perspective de dormir avec lui.
— Je ne sais pas cuisiner !
— Ça, j’en suis persuadé, répondit-il en se relevant.
Elle se couvrit alors vivement les yeux.
— Mais vous êtes nu !
— Non, je ne suis pas nu !
Boone baissa les yeux sur le caleçon informe qu’il por-tait en guise de sous-vêtement. Tout à fait décent.
Elle n’ôta pas la main de ses yeux, s’épargnant ainsi la vue de ce corps à peine vêtu.
— Presque nu, rectifia-t-elle, quelque peu rassérénée. Vous n’avez pas de pyjama ?
Boone la dévisagea un instant, l’œil ironique, puis se-coua la tête.
— Non.
— Peut-être devriez-vous en acheter un.
L’absurdité de cette suggestion le fit éclater de rire.
— Certainement pas !
Jayne lâcha un soupir et baissa la main, sans toutefois encore oser le regarder. Elle détourna les yeux vers la fenê-tre, et la clarté matinale qui s’infiltrait par un interstice des rideaux.
Des bruits de pas se firent entendre dans le couloir. Boone posa son index sur sa bouche. Jayne acquiesça d’un mouvement de la tête et pinça les lèvres. Elle n’était peut-être qu’une enfant riche et gâtée, songea-t-il, et ce qui se passait dans cette maison ne la concernait pas, mais au moins elle réagissait vite.
Sa main se referma sur le montant du lit.
— Oh non, pas encore ! chuchota-t-elle.
Boone haussa les épaules d’un air fataliste et commença à secouer le lit. Jayne se laissa retomber sur l’oreiller et enfouit sa tête sous les draps, avant de pousser des petits cris aigus. Doucement, d’abord, puis avec conviction lors-qu’il pinça la douce rotondité de son épaule à travers le fin coton.
Jayne avait rejeté avec agacement la suggestion de Boone de porter l’un de ses T-shirts et un vieux jean coupé, préférant garder ses propres vêtements. Jupe, chemisier et escarpins. Ni veste, ni collants, mais son rang de perles était en place, et elle s’était brossé les cheveux. Dieu soit loué, l’un des gangsters avait eu la présence « d’esprit » de récu-pérer son sac dans la Mercedes. Son portable avait bien sûr disparu, mais elle disposait de sa brosse à cheveux, ainsi que d’un peu de maquillage. Fort heureusement, le malfrat qui avait mis la main sur son sac n’avait pas regardé son permis de conduire où était inscrit son nom, rendu célèbre par son sénateur de père.
Elle posa sans délicatesse un large plat d’œufs au bacon sur la table de la cuisine. Les quatre hommes assis avisèrent la préparation d’un œil soupçonneux.
— Le bacon n’est pas cuit, grommela Marty.
Doug souleva avec une grimace un morceau calciné tombé du plat.
— Celui-ci l’est, c’est sûr.
— De toute façon, le bacon est mauvais pour votre santé, intervint Boone.
Se saisissant de la cuillère plantée au milieu de l’omelette, il s’en servit une énorme portion, qu’il laissa tomber dans son assiette.
Après un vague grognement, Darryl emplit également la sienne, et les quatre hommes commencèrent à manger. Trois d’entre eux firent grise mine en avalant leur première bouchée pendant que Boone mâchonnait stoïquement la sienne.
— Passe-moi le sel, chérie.
— Le sel ! s’écria Jayne, se retournant vers le comptoir. Où ai-je la tête ?
— S’il n’y avait que cela, grommela Doug entre ses dents.
— Pas de quoi fouetter un chat, soupira-t-elle en plaçant la salière devant Boone. Je ne suis pas cuisinière. Si vous n’aimez pas mon petit déjeuner, rien ne vous oblige à l’avaler. La prochaine fois, préparez-le vous-même !
Darryl plissa les yeux. Sa vue procurait toujours à Jayne un frémissement d’angoisse. Et elle savait que ce n’était pas uniquement dû à sa carrure gigantesque. Il avait tiré sur Jim de sang-froid, et aurait agi de même avec elle sans le moin-dre scrupule. Elle pouvait se débrouiller avec Boone. Et avec les deux adolescents attardés qui gloussaient comme des filles dès qu’il était question de sexe. Mais Darryl la paralysait simplement de terreur.
— Si elle doit demeurer ici, dit-il, il vaudrait mieux qu’elle mette la main à la pâte sans discuter.
— Elle le fera, répondit Boone.
Sans prévenir, il la saisit par la taille et l’assit de force sur ses genoux.
— Elle a d’ailleurs commencé, ajouta-t-il, le regard chargé de sous-entendus. N’est-ce pas, chérie ?
Jayne tenta de se relever, mais il la retint de force.
— Pas maintenant, le gourmanda-t-elle, jouant le jeu des « animaux en rut ». Il me reste la vaisselle à laver. Cette cuisine est une véritable porcherie !
Elle réitéra sa tentative, pour se retrouver presque aussi-tôt plaquée sur les muscles d’acier de ses cuisses.
— Je ne t’ai pas amenée ici pour briquer les casseroles, murmura-t-il d’une voix assez basse pour n’être destinée qu’à elle, assez forte pour être entendue des autres.
Ceux-ci s’étaient remis à manger leur omelette, tout en sélectionnant avec soin les tranches de bacon à peu près comestibles.
— Doug et Marty peuvent très bien se charger de cette foutue vaisselle.
— Ne sois pas grossier, s’offusqua-t-elle d’un air pincé.
Boone resserra le bras qui lui ceignait la taille et la cala contre son torse.
— Ne me dis pas ce que j’ai à faire.
Ecartant alors ses cheveux, il pressa ses lèvres sur le cou de la jeune femme. Jayne laissa échapper un cri involon-taire.
Doug ricana.
— Du genre bruyant, hein, Tex ? Ça ne te tape pas sur les nerfs, tous ces couinements ?
— Non, dit-il, les lèvres toujours sur le cou de Jayne.
— Il faut vraiment que j’aille faire la…
Quelque chose de mouillé parcourait à présent sa nuque. Sa langue !
— …vaisselle.
En cet instant précis, elle éprouvait la désagréable im-pression de perdre tout contrôle d’elle-même. Absolument tout contrôle. Elle avait le vertige, Dieu seul savait ce qui allait se passer ensuite… et il lui était impossible de faire marche arrière. Elle détestait cette situation. Etre ainsi prise au piège sans avoir droit à la parole, tandis que les mains de l’homme posées sur son corps, ses lèvres, son cou, lui pro-curaient des frissons inopinés, et surtout non désirés. Un autre homme l’observait, prêt à la tuer au moindre geste de travers. Quant aux deux autres larrons, ils suivaient le spec-tacle d’un œil stupide et narquois.
D’accord, il s’agissait d’un jeu. Un jeu mortel, mais un jeu quand même. Si elle devait y participer, peut-être valait-il mieux qu’elle rassemblât ses esprits et se lançât dans la partie.
Empoignant le bras de Boone, elle l’écarta de force puis se releva, éloignant sa nuque de ses attentions lubriques. Lorsqu’il tendit la main pour la rattraper, elle se trouvait déjà hors de portée.
— Grands dieux, tu es incorrigible ! lança-t-elle.
Ils étaient censés partager une certaine intimité, et quand bien même elle ignorait presque tout de ce que la réalité de ce mot recouvrait, elle savait qu’une femme possédait un réel pouvoir dans ce domaine. N’importe quelle femme.
— Toute la nuit ! reprit-elle en reculant vers l’évier. Et encore ce matin ! Mais pour qui me prends-tu ? Pour une… une…
Le reniflement sonore qu’elle émit ne devait rien, de toute évidence, à ses talents de comédienne.
— Ne peux-tu pas garder tes mains tranquilles cinq mi-nutes ? Cinq minutes ! Est-ce trop te demander ?
Boone haussa les sourcils :
— Tu avais pourtant l’air d’aimer ça, cette nuit.
— C’est faux ! s’indigna-t-elle.
La mise en garde de Boone lui revint aussitôt à la mé-moire. Si elle tenait à rester en vie…
— Au début peut-être, se corrigea-t-elle en rougissant.
— Va donc faire ta vaisselle, gronda finalement Boone.
— Fais-la toi-même !
— Je pensais que tu voulais la faire !
— Bon Dieu ! soupira Marty en repoussant sa chaise pour quitter la table. Je crois entendre mes parents !
Darryl se dressa lentement et secoua la tête. Doug se le-va à son tour, tandis que Marty se dirigeait droit vers le séjour.
— Hé ! Il y a peut-être des nouvelles à la télé sur le gars que Darryl a descendu.
Un changement subtil s’opéra dans l’expression de Boone, et son regard s’obscurcit.
— Le journal du matin est fini, observa-t-il.
— Je sais, répondit Marty en jetant un coup d’œil à sa montre. Mais la seule station que nous parvenons à capter clairement donne un flash à 10 heures. C’est dans deux minutes.
Se plaçant de sorte à dissimuler ses mains, Boone tenta d’alerter Jayne par signes. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il cherchait à lui dire, mais elle savait au moins une chose : ni l’un ni l’autre ne souhaitaient que les autres ap-prennent que Jim était vivant ni qu’elle était la fille d’un respectable sénateur.
— Ne me regarde pas comme ça, lança-t-il d’un ton agressif. Tu crois peut-être que ce qui s’est passé cette nuit te gardera en vie ? Casse-moi encore les pieds et t’es morte. Aussi morte que ton petit ami.
Comme il l’avait prévu, Marty pointa son nez à la porte de la cuisine, immédiatement suivi de Doug. Darryl resta planté devant le vieux téléviseur, attendant le bulletin d’information.
— Tu ne ferais pas cela, répliqua-t-elle, le regard glacial. Pas après… Tu sais bien…
— Après t’avoir baisée ? ironisa-t-il. Ose au moins appe-ler les choses par leur nom !
Il se lança ensuite dans une virulente tirade, proférant toutes les insanités qu’elle avait déjà entendues, auxquelles il en ajouta certaines autres, inédites.
— Espèce de… de grossier personnage ! Butor !
Comme la veille, l’invective dérisoire déclencha l’hilarité de Darryl. Qui demeura immobile devant la télévi-sion.
— Grossier, je peux l’être davantage, menaça Boone. Et méchant. Très méchant.
Le générique du flash d’informations se fit entendre, dé-clenchant un frisson d’angoisse le long de la moelle épi-nière de Jayne. Ils disposaient d’une minute. Peut-être moins.
Boone marcha sur elle et la souleva du sol.
— Débats-toi, lui souffla-t-il, avant de la hisser sans mé-nagement sur son épaule.
Ce qu’elle fit. Des pieds et des poings, elle le cogna tant et plus, mais sans grand effet, tandis qu’il s’engageait dans le couloir menant au séjour.
— Plus fort, chuchota-t-il.
Jayne s’évertua de son mieux, mais elle n’était pas d’une nature virulente. Elle se débattit néanmoins de toutes ses forces, lui martelant le dos à grands coups, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés au milieu de la pièce où se tenait Darryl, assis devant l’écran.
— Brute ! Goujat ! Primate !
— C’était précisément ce que tu aimais chez moi cette nuit, chérie.
— Ne m’appelle pas chérie !
Redressant la tête, elle vit les deux jeunes truands affi-cher un sourire niais, tandis que Darryl secouait la tête d’un air ébahi. Ou consterné. Ou les deux à la fois.
— Je t’appelle comme je veux !
D’une brusque secousse, il la reposa au sol entre Darryl et le téléviseur.
— N’oublie pas ce que tu es, reprit-il en haussant le ton, ni comment tu es arrivée ici. Je pourrais fort bien me lasser de toi, et je te laisse deviner la suite.
Jayne plaqua les mains sur ses hanches.
— Tu n’oserais pas ! Pas après, après…
Darryl se penchait de côté pour ne pas manquer le début du journal, lâchant un cri outragé, Jayne pivota sur elle-même et d’un geste rageur, bouscula le téléviseur. Celui-ci oscilla un instant sur la table branlante, avant de basculer sur le plancher. Des étincelles jaillirent, suivies d’un léger nuage de fumée, une odeur de brûlé, puis l’écran devint noir.
— Je ne peux pas croire que tu me dises cela, pas après cette nuit. Tu m’as dit, tu m’as dit…
Les trois malfrats se rassemblèrent autour de ce qui res-tait du téléviseur, tandis que Boone saisissait Jayne par les deux bras et la serrait contre son torse.
— Ça va, chérie, dit-il d’un ton conciliant. Inutile de te mettre dans un état pareil.
Jayne cacha son visage au creux de l’épaule du détective. Darryl allait être furieux, mais qu’aurait-elle pu faire d’autre ? Faire tomber le téléviseur lui avait sur le moment semblé une bonne idée. Elle en était moins sûre à présent.
— Tex, dit lentement Darryl, ta femme vient de casser ma télé.
— Je t’en achèterai une neuve, répondit-il, glissant un bras protecteur autour des épaules de Jayne. Celle-ci était une antiquité, de toute façon.
— Comment que je vais faire pour suivre mes feuille-tons ? demanda Marty, tout aussi contrarié.
— Les séries, c’est bon pour les vieilles femmes, grogna Boone. Deux jours sans télé, tu n’en mourras pas.
Jayne risqua un regard vers les trois hommes. Chacun d’eux lui en voulait personnellement : elle leur avait prépa-ré un petit déjeuner exécrable et détruit leur seule source de distraction.
— Je suis navrée, s’excusa-t-elle d’une voix innocente. J’étais si énervée…
Les tremblements de sa voix n’étaient pas feints.
— Tu es parfois si dur, reprit-elle en reportant son regard sur Boone.
Celui-ci la souleva de nouveau du sol, et la fit tournoyer en souriant.
— Je sais ce qu’il te faut pour te sentir mieux.
— Maintenant ?
— Maintenant.
— Mais, Boo…
Il l’interrompit brutalement en couvrant sa bouche de la sienne. Elle en comprit immédiatement la raison. Elle re-gretta une fraction de seconde qu’il lui eût révélé son véri-table nom. Oublier d’appeler Boone de son nom d’emprunt devant les autres, cela signifierait la mort pour tous les deux.
Il ne s’agissait pas d’un vrai baiser mais d’un geste de protection. Sa bouche, cependant, était chaude et ferme, suave et douce. Quand Boone Sinclair embrassait une femme, il le faisait… bien.
Il écarta enfin ses lèvres des siennes, une lueur d’avertissement dans le regard.
— Mais, Booboo, minauda-t-elle lorsqu’elle put de nou-veau parler, rattrapant avec bonheur son erreur. Je n’ai pas encore fait la vaisselle.
— Marty ! lança-t-il. Occupe-toi de cette putain de vais-selle ! Je dois avoir une petite conversation avec la dame dans la chambre.
— Booboo ? demanda-t-il, debout au milieu de la cham-bre, les mains sur les hanches.
Assise sur le rebord du lit, Jayne semblait avoir retrouvé calme et assurance. Elle balançait négligemment un pied, le visage hautain.
— Ce n’est pas pire que chérie.
— Si, maugréa-t-il. C’est pire.
Il ne lui avoua pas que son cœur cognait encore avec violence dans sa poitrine. L’idée l’avait traversé de renver-ser la télé d’un coup de pied dans un moment de rage simu-lé, mais le geste apparemment impulsif de Jayne avait été d’une parfaite efficacité. Mais pour combien de temps ? La rencontre avec Gurza était prévue dans quatre jours. Quatre jours, après trois mois de travail dans l’ombre ! Et un mot de travers pouvait tout anéantir en un instant.
— Je n’aurais pas dû te dire mon nom, déclara-t-il avec regret.
L’expression de Jayne se radoucit.
— Je sais, mais… Je suis heureuse que vous l’ayez fait. Je me sens beaucoup plus en sécurité.
Elle n’était pas en sécurité, loin s’en fallait ! Mais il pré-féra garder cette réflexion pour lui. Il se rapprocha de la tête du lit, qu’il empoigna de nouveau.
Jayne soupira.
— Oh non ! C’est tellement embarrassant.
Boone l’ignora et commença à agiter le lit. Les ressorts se mirent bientôt à gémir. Jayne se couvrit le visage des mains.
— Fais un effort, chérie, l’enjoignit-il d’une voix douce. Aide-moi.
Elle resta quelques instants immobile. Puis, laissant tomber ses deux mains, le regarda dans les yeux et imprima au lit une légère secousse qui le fit grincer.
— Pourquoi Tex ? s’enquit-elle, tout en répétant le mou-vement. Est-ce un nom de famille ?
Boone se pencha en avant et, approchant son visage du sien, lui chuchota :
— Il rime avec la partie de mon corps que je préfère.
Jayne fronça le nez.
— Tex ? Tex rime avec…
Elle réfléchissait, avec concentration, nota-t-il. Puis il vit soudainement ses joues s’empourprer.
— C’est dégoûtant ! s’écria-t-elle à mi-voix. La rougeur avait atteint maintenant son cou.
Le visage de Boone s’éclaira d’un sourire.
— Un peu plus fort, je t’en prie.
— Non !
Il heurta le montant de bois contre le mur, accélérant progressivement la cadence.
— Gémis, à présent.
— Il n’en est pas question.
— J’ai bien peur d’être obligé de te pincer une nouvelle fois pour t’inciter à crier.
— Ce ne sera pas nécessaire.
Détournant son regard, elle écarta les épaules et prit une profonde inspiration. Un son étrange fusa de sa gorge, entre sifflement et glapissement étouffé, qu’il fut bien en mal d’identifier.
— Je n’entends rien, dit-il. Et si moi je n’entends rien, eux non plus.
Jayne secoua la tête d’un air abattu et se tourna vers lui.
— Voyez-vous, je suis persuadée qu’il existe de nom-breuses femmes qui font l’amour silencieusement.
— Je n’en ai jamais rencontré.
— Dépravé !
— Sainte-nitouche !
C’était la pire — ou peut-être la meilleure — chose à lui dire. Sainte-nitouche était une insulte qui la blessait au plus profond d’elle-même. Elle lui donnerait une réponse qui lui prouverait qu’il avait tort ! Elle renversa la tête en arrière, ferma les yeux et produisit un long gémissement grave, quasi animal. Si réaliste que Boone sentit son bas-ventre se crisper. Le timbre acidulé de sa voix était de ceux qui s’insinuent sous la peau d’un homme, du moins d’un homme que ce type de femme séduisait. Ce qui n’était pas son cas.
Prenant une profonde inspiration, elle donna de nouveau de la voix, avec plus d’intensité cette fois. Boone tenta de se convaincre que la jeune femme n’était vraiment pas son type. Celles qu’il aimait avaient de longs cheveux bruns, de longues jambes et un buste généreux. Non pas des courbes subtiles et délicates. Il imprima au lit des secousses plus marquées, plus rapprochées, sans quitter la jeune femme des yeux.
La tête rejetée en arrière, la gorge dénudée, les lèvres en-trouvertes, le spectacle qu’elle offrait était des plus fasci-nants. Il contempla l’or de ses cheveux, la blancheur cré-meuse de sa peau, le modelé délicat de sa bouche… Il éma-nait de tout son être une émouvante et subtile sensualité, devant laquelle il se rendit compte que son propre corps commençait à réagir. C’en était assez !
— Maintenant crie, lui souffla-t-il.
Elle posa sur lui ses yeux verts et le dévisagea avec in-tensité.
— Je… je ne suis pas sûre d’être prête.
Le sourire aux lèvres, il avança une main menaçante.
— D’accord, soupira-t-elle en s’écartant de lui.
Elle referma les yeux, bomba le torse et cria. Fort, lon-guement. Boone cogna le mur deux ou trois fois encore, avant de s’arrêter et de relâcher la tête de lit. Dieu merci. Il ne pouvait en supporter davantage.
— Pas mal, dit-il en s’asseyant auprès d’elle sur le mate-las. A qui pensais-tu en criant de la sorte ?
— « A quoi » serait plus juste, répondit-elle, le regard rivé dans le sien. Je pensais aux serpents.
Il haussa les sourcils, surpris.
— Aux serpents ?
— J’ai la phobie des serpents, expliqua-t-elle en répri-mant un frisson. Venimeux ou pas, ils me répugnent.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas, mais en tout cas cela me permet de hurler sur commande !
Boone laissa s’écouler deux ou trois minutes avant de se décider à la laisser seule. Il se leva en hochant la tête. Bon sang, ce hurlement était sacrément réussi !
Il ne fut pas excessivement surpris en tombant sur Dar-ryl, le regard mauvais, lorsqu’il déboucha dans le couloir. Marty et Doug n’étaient nulle part en vue, mais des bruits d’eau mêlés d’éclats de rire lui parvinrent aux oreilles de-puis la cuisine. Les deux gosses lavaient la vaisselle.
— Je ne pige pas, grommela Darryl, les bras croisés sur son énorme torse. Tout cela me dépasse. Hier, tu amènes cette fille ici pour t’envoyer en l’air avec elle, et si ma mé-moire est bonne, l’idée ne plaisait pas trop à la demoiselle. Et voilà que ce matin elle se met à t’appeler Booboo et à pousser des hurlements de sauvage. Quelque chose ne colle pas.
— Que veux-tu que je te dise ? ironisa Boone. Je suis un bon coup.
Son sourire disparut devant le visage de marbre de Dar-ryl.
— Cette fille est une petite poupée de la haute, reprit-il, que l’on n’a jamais traitée autrement qu’avec des gants. Personne ne l’a jamais touchée où il fallait. Elle se croit amoureuse parce qu’elle a enfin découvert ce qu’était un orgasme. Trois ou quatre ont suffi pour que je devienne l’homme de sa vie. Ne t’inquiète pas à son sujet. Je la tiens bien en… mains, ricana-t-il d’un air salace, espérant qu’il avait convaincu Darryl.
— Que comptes-tu en faire lorsque nous en aurons fini ici ? Je n’aimerais pas la voir retrouver ses esprits et se mettre à bavarder, rapport à ce qu’elle a vu hier soir.
— Elle ne le fera pas.
— On ne peut jamais être certain…
Aux yeux de Darryl, Richard Tex était un petit dealer d’Atlanta prétentieux, qui ambitionnait de se faire une place au soleil des trafiquants. Une association avec Joaquin Gurza devait permettre de concrétiser ce projet.
— Quand j’en aurai fini avec Jayne, grogna-t-il, je lui réglerai son compte. Elle se berce d’illusions, mais moi je garde la tête sur les épaules. Tu n’as aucune raison de te faire du mouron.
Darryl hocha la tête, à demi convaincu.
— Fais gaffe, c’est tout, marmonna-t-il en le laissant passer.
Boone se dirigea vers le pot de café posé sur le comptoir de la cuisine, le visage tendu. Il lui fallait empêcher Darryl et les deux gamins d’accéder aux informations pendant les quatre prochains jours. Etait-ce possible ? Si Darryl appre-nait que l’homme sur lequel il avait tiré était en vie et que Jayne était la fille d’un homme politique, il exigerait de se débarrasser d’elle sur-le-champ. Et comme lui-même avait affirmé que Jim était mort, il serait le second sur la liste.
Si les choses devaient en arriver là, comment parvien-drait-il à sortir Jayne, l’enfant et lui-même sains et saufs ?
Sa mission et sa vie venaient singulièrement de se compliquer.
Chapitre 4 :
Allongée sur le lit, Jayne contemplait le plafond de la chambre d’un air pensif. Une longue douche l’avait un peu réconfortée, mais plus que tout elle aurait aimé pouvoir changer de vêtements. De préférence pour ceux de sa pro-pre garde-robe. Ainsi que disposer de sous-vêtements, d’une chemise de nuit, de son sèche-cheveux et d’un paquet complet de ******s aux pétales de chocolat. Ceux qui sont moelleux à cœur.
D’être enfermée seule dans cette chambre lui déplaisait au plus haut point, mais tout valait mieux que de se trouver confrontée à Darryl et aux deux idiots qui lui servaient d’acolytes. Même avec Boone à ses côtés — et il demeurait constamment à ses côtés, montant même la garde devant la porte de la salle de bains — le sinistre trio lui inspirait une peur panique.
Un bruit de conversation à voix basse lui parvint depuis le séjour où les quatre hommes s’étaient réunis pour parler affaires. Elle en saisit suffisamment pour comprendre qu’il était question de drogue, d’argent, et d’une certaine ren-contre.
Elle ne put s’empêcher de s’interroger, une fois de plus, sur la raison de la présence de Boone dans cette maison. Il n’appartenait ni à la brigade des stupéfiants ni à aucune autre autorité légale. Que faisait-il alors ici incognito, et quel était l’événement attendu dans moins d’une semaine ?
Jayne remonta l’édredon jusqu’au menton et s’abandonna à ses pensées.
La nouvelle de sa disparition était probablement parve-nue aux oreilles de ses parents depuis plusieurs heures. Sa mère devait être dans tous ses états. La vaillance n’était pas la qualité première de Lucille Barrington, et elle avait tou-jours protégé à l’excès son unique enfant. Son médecin lui avait sans doute prescrit un sédatif, ainsi qu’il l’avait fait lors du décès de grand-père. Elle devait souffrir dans l’intimité de sa luxueuse chambre à coucher. Jayne éprou-vait un amour indéfectible envers sa mère, mais elle trou-vait que celle-ci avait trop souvent tendance à se complaire dans le mélodrame.
Le sénateur, quant à lui, n’était pas homme à rester assis à se morfondre. Nul doute qu’il avait déjà alerté ses rela-tions, rassemblé ses troupes et passé l’après-midi au télé-phone, s’emportant, cajolant, faisant tout ce qui est humai-nement possible pour retrouver sa fille saine et sauve.
Grand-mère priait. Et cuisinait. Dès qu’une crise d’angoisse la saisissait, Myra Jayne Barrington s’occupait les mains dans la cuisine. Lors de la dernière campagne sénatoriale, elle avait nourri non seulement la totalité de l’équipe personnelle de son fils, mais encore un nombre conséquent de journalistes et de reporters. Aujourd’hui, elle alimentait à coup sûr la ville entière.
Lorsque Boone regagna la chambre, verrouillant la porte derrière lui, Jayne lâcha un soupir de soulagement. Sa seule présence suffisait à la rassurer.
Affichant un calme inhabituel, il s’assit sur le lit pour ôter ses boots et ses chaussettes. Sa mâchoire crispée n’augurait rien de bon.
— Avez-vous un téléphone portable ? murmura-t-elle.
— Oui, répondit-il d’un air absent.
— Mes parents et ma grand-mère doivent se ronger d’inquiétude, et…
— Bouge-toi, grogna-t-il en se laissant tomber sur le ma-telas.
Avait-il dans l’idée de partager le lit avec elle ?
— Croyez-vous que ce soit une bonne idée ? demanda-t-elle, les sourcils froncés.
— Je n’ai pas l’intention de passer une autre nuit par terre, dit-il en s’allongeant à ses côtés. Je dormirai sur l’édredon, et toi en dessous.
Un sourire ironique s’esquissa sur son visage.
— Ainsi, reprit-il, j’aurai l’assurance que tu ne cherche-ras pas à profiter de la situation.
Jayne se déplaça jusqu’à l’extrême bord du lit.
— Vous ne risquez pas de prendre froid ?
Elle avait été surprise de constater à quel point la nuit pouvait être fraîche dans cette partie du pays. Chez elle, mai pouvait être aussi chaud qu’un mois d’été. Ici, en re-vanche, les journées étaient agréables, mais dès que le so-leil baissait à l’horizon, il était clair que l’hiver avait à peine tourné les talons.
Boone tourna la tête et plongea son regard dans le sien.
— Serait-ce une invitation à te rejoindre sous les draps ?
Jayne écarquilla les yeux, et son cœur bondit dans sa poitrine.
— Non ! Bien sûr que non.
— C’est bien ce que je croyais.
Sur ce, il entreprit de remuer doucement le lit, qui émit un léger grincement.
Seigneur…
— Il faut que j’appelle ma mère, chuchota-t-elle.
— Désolé, dit-il en accentuant son mouvement.
— Mais…
— Nous ne pouvons pas prendre ce risque, coupa-t-il. La communication pourrait être interceptée, et l’appel localisé. Les portables n’offrent aucune sécurité.
— Boone… murmura-t-elle d’un ton suppliant.
Il se tourna de nouveau vers elle.
— N’es-tu pas censée nous produire quelques gémisse-ments ?
— Non ! Je suis sûre que non !
— Un bon « Ya-houou ! » bien sonore, dans ce cas, sug-géra-t-il, le regard pétillant.
— Je ne pousse jamais de « Ya-houou ! ».
— C’est bien dommage, soupira-t-il, se recomposant un visage sérieux.
Il secoua alors si brutalement le lit que le montant heurta le mur dans un bruit sourd, puis il recommença, encore et encore, de plus en plus vite. Mortifiée et incapable de sup-porter davantage une telle indécence, Jayne se retourna vivement et bascula sur le plancher, lâchant, dans sa chute, un cri bref mais perçant.
Le lit s’immobilisa. Après quelques secondes, le visage souriant de Boone apparut, dépassant du matelas.
— Eh bien ! C’était différent, mais très convenable ! Les gars penseront simplement qu’il s’agissait d’un « coup rapide ».
— Ce n’était pas…
Jayne s’interrompit aussitôt et se mordit la lèvre. L’idée l’effleura de passer elle-même la nuit sur le plancher, mais le courant d’air qui y circulait l’en dissuada. Il faisait froid en bas ! Boone lui tendit une main secourable, qu’elle refu-sa. Tout à coup, elle vit son sourire se figer, et son regard prendre un air intense.
Surprise, Jayne se rendit alors compte que sa combinai-son était remontée jusqu’en haut de ses cuisses.
— S’il vous plaît ! protesta-t-elle en rougissant, l’enjoignant de se retourner d’un geste de la main.
— S’cusez-moi, m’dame, dit-il, forçant son accent su-diste.
Jayne rassembla ce qui lui restait de dignité et se faufila de nouveau sous les draps. Dès qu’elle se fut réinstallée, Boone se redressa pour ôter son T-shirt noir, qu’il jeta de côté.
Au moins avait-il conservé son jean, pensa-t-elle. Dès qu’il eut éteint la lampe de chevet, elle laissa échapper un soupir de soulagement. Si elle n’était pas forcée de le re-garder, peut-être ne se sentirait-elle pas aussi… nerveuse.
— Vouloir appeler mes parents n’est pas une idée stu-pide, reprit-elle.
— Je sais. Ils doivent se faire un sang d’encre à ton su-jet.
— C’est vrai. Mais je crains surtout que mon père remue ciel et terre et agisse sans aucune discrétion. Il est capable d’envoyer ici des agents fédéraux, l’armée, la marine, les commandos. Et si le bungalow est pris d’assaut…
— Nous nous en sortirons, lui assura-t-il d’une voix douce.
Comment pouvait-elle lui dire que, s’il était tué ou bles-sé par sa faute, parce ce qu’elle s’était trouvée au mauvais endroit et au mauvais moment, elle ne pourrait jamais se le pardonner ? En outre, si Boone réussissait à leur faire quit-ter la maison, ne risquait-il pas d’être pris pour un kidnap-peur et être tué sans sommation ?
Elle entendait son souffle calme et régulier. Apparem-ment, il ne souhaitait plus continuer la conversation. Tant mieux. Il la perturbait. Il avait des allures de criminel, jurait comme un charretier, manquait d’éducation… Mais c’était aussi quelqu’un de bien. Une sorte de chevalier des temps modernes.
Pour couronner le tout, il était sexy en diable. Son sou-rire, ses yeux, son corps… Elle bénit l’obscurité qui cachait son émoi. Et elle se sentit rougir en repensant au « coup rapide » qu’il avait mentionné lorsqu’elle était tombée du lit. Elle savait ce que c’était, merci. Son unique expérience sexuelle avait duré moins de deux minutes, et elle s’était avérée douloureuse et déplaisante. Son « partenaire » lui avait demandé sa main, et elle en avait conclu qu’il était très épris d’elle. Malheureusement, elle s’était vite rendu compte que l’envie de Dustin Talbot de l’épouser n’avait pour but que celui de servir ses ambitions politiques. Une union avec la fille de Gus Barrington constituait pour sa carrière le meilleur des tremplins.
Depuis, elle avait mis son cœur en jachère et attendu la rencontre avec l’homme parfait, le chevalier en armure de lumière, le Lancelot des temps modernes.
Peut-être avait-elle attendu trop longtemps. A 27 ans, aucun homme ne l’avait jamais fait gémir, ni frémir ni crier « Ya-houou ! »
Elle sentait le sommeil la gagner et s’étonna de se préoc-cuper de sa vie sexuelle alors qu’elle risquait de ne pas sortir vivante de cet endroit.
Comme elle aimerait, cependant, une fois, une seule fois, pouvoir crier « Ya-houou ! ».
Boone ouvrit les yeux à contrecœur, se rendant compte qu’il avait chaud. Une chaleur agréable et inhabituelle. Se réveillant tout à fait, il se rendit compte que Jayne se servait de son torse en guise d’oreiller. Sa tête reposait à l’emplacement de son cœur, l’un de ses bras lui enlaçait la taille, et sa respiration était profonde et régulière. Elle avait repoussé le drap dans son sommeil, et celui-ci les entortil-lait à présent partiellement tous les deux, tandis que l’édredon gisait à moitié sur le plancher.
Jayne Barrington représentait tout ce qu’il n’aimait pas chez une femme. Petite. Distinguée. Gâtée. Pudibonde. Riche. Délicate. Elle avait mis les pieds dans un nid de vipères, compliquant par là même sa mission déjà bien difficile.
Il caressa du bout des doigts les boucles blondes de ses cheveux, puis entreprit de lui déplacer doucement la tête.
— Réveille-toi, chérie, murmura-t-il.
Blottie contre sa poitrine, Jayne marmonna quelques mots indistincts, remua un peu, mais ne s’éveilla pas.
Après des mois d’abstinence sexuelle, la réaction de son corps en découvrant une jolie femme à moitié nue accro-chée à lui, au petit matin, était on ne peut plus naturelle.
Il lui fallait néanmoins l’écarter de lui. Tout de suite.
— Jayne, tenta-t-il un peu plus fort, tout en lui tapotant le dos.
Elle s’étira enfin, entrouvrit les yeux, murmura un « hmouii… » ensommeillé, puis releva la tête.
Se rendant soudain compte de l’endroit où elle se trou-vait, elle roula vivement de côté.
— Comment osez-vous ? s’offusqua-t-elle, de cette voix sèche qui trahissait chez elle une vraie contrariété.
— Pardonne-moi, princesse, ironisa-t-il, mais tu remar-queras que j’occupe mon côté du lit. Je n’en ai du reste pas bougé de toute la nuit.
Jayne ne sut que répondre.
— Ne te tracasse pas pour si peu, dit-il en s’asseyant sur le bord du lit. Tu devais avoir froid.
— Excusez-moi, soupira-t-elle.
Darryl était probablement déjà debout, songea-t-il, ainsi que les deux inséparables. Devait-il vraiment empoigner la tête du lit, secouer celui-ci et inciter Jayne à crier ? Il n’en avait pas le courage. Pas aujourd’hui. Pas maintenant. Se saisissant de son revolver posé sur la table de chevet, il se leva.
— Je vais prendre une douche, annonça-t-il. Verrouille la porte derrière moi. Ne laisse entrer personne.
— N’ayez crainte, murmura-t-elle.
Une fois dans le couloir, il attendit de percevoir le cli-quetis du bouton de porte, avant de gagner la salle de bains d’un pas rapide. Le meilleur moyen d’ôter de son esprit certains fantasmes inopportuns était de reporter toute sa concentration sur son travail.
Quatre personnes vivaient confinées dans le bungalow, cinq en comptant Jayne, avec un seul téléphone utilisable : celui de Darryl. Une seule voiture : celle de Darryl. L’endroit était isolé, loin des routes fréquentées, et lorsque l’un ou l’autre avait besoin de se rendre dans ce qui portait abusivement le nom de ville — pour y faire provision de bière ou de nourriture — il n’était pas autorisé à sortir seul. Ils se déplaçaient par deux. Toujours.
Etablir sa couverture avait demandé du temps, mais il disposait de contacts sûrs. Un mouchard trié sur le volet avait introduit « Richard Tex », dans le réseau dirigé et organisé par Darryl, ce dernier constituant l’unique sésame permettant de remonter jusqu’à Gurza.
Gurza détenait l’enfant, il le savait. Il le ressentait dans ses tripes. Il ne pouvait se permettre de se laisser distraire de sa mission.
Après avoir quitté la douche, il se dirigea vers la cuisine. De là, il aperçut Darryl assis dans le canapé du séjour, le regard fixé sur la petite table où se trouvait précédemment le téléviseur.
— Tu me dois une télé, Tex, grogna le gros homme.
— Quand tout sera terminé, je t’en achèterai une à écran géant, lança-t-il d’une voix forte depuis la cuisine.
— Il est vrai que tu en auras les moyens, dès que tu auras commencé à travailler avec Gurza.
Darryl et le mystérieux Gurza imaginaient que Richard Tex cherchait à étendre son petit territoire de la zone d’Atlanta à toute la Géorgie, voire jusqu’en Alabama. Opé-rant principalement dans le Sud-Ouest, Gurza ne pouvait qu’être intéressé par ce projet d’association.
— Je compte envoyer les gosses en chercher une cet après-midi, annonça-t-il, tandis que Boone pénétrait dans le séjour. Je n’aime pas ça : la radio ne capte rien ici, à part une station qui ne diffuse qu’une musique d’ambiance so-porifique.
Une boule se forma dans la gorge de Boone.
— Tu as peur de rater le dernier défilé de mode ou la remise des Oscars ? demanda-t-il d’un ton sarcastique. Tu veux connaître les prévisions météorologiques pour de-main ? En outre, dois-je te rappeler que tu nous as demandé de ne pas nous séparer pendant les derniers jours ? Tu veux vraiment envoyer ces deux idiots acheter une télé ?
Darryl leva les yeux et le cloua du regard.
— L’un de ces idiots est mon neveu.
— Je sais, dit Boone. Cela ne l’empêche pas d’être un idiot.
Darryl se *******a de hausser les épaules avant d’ajouter :
— Ils ne vont pas l’acheter. Ils vont en voler une dans une maison vide.
Les paumes de Boone devinrent toutes moites. Et s’il s’avérait que la maison était occupée ? Si, une fois encore, les choses tournaient mal ?
— Félicitations ! Voilà une belle manière de rester dis-cret ! Voler un téléviseur chez des particuliers. Risquer de mettre en effervescence la police.
Darryl détestait voir son autorité contestée.
— J’ai une maison bien précise en tête, précisa-t-il. Une résidence secondaire appartenant à un couple, qui ne l’occupe que trois mois par an. Ils sont absents en ce mo-ment. Personne n’en saura rien. Rien ni personne à crain-dre.
— Je vois que tu as sérieusement réfléchi à la question, observa Boone en sirotant son café.
— Je n’aime pas être coupé du monde.
— Quand doivent-ils opérer ? demanda-t-il, affichant un calme qu’il était loin d’éprouver.
— Cet après-midi, dit Darryl en souriant. Tu veux les accompagner ?
Et laisser Jayne seule avec lui ? Hors de question.
— Non, merci.
Revêtir l’un des T-shirts de Boone était, du moins pour le moment, le seul choix possible. Si son tailleur ne tolérait qu’un nettoyage à sec, sa combinaison, son chemisier, son soutien-gorge et sa culotte avaient grand besoin d’une les-sive. Quant aux collants, elle les avait simplement jetés à la poubelle.
Alors qu’elle s’apprêtait à effectuer un dernier rinçage de sa petite lessive, Boone frappa à la porte de la salle de bains.
— Un instant, répondit-elle.
— Non. Maintenant.
— J’en ai presque…
— Tout de suite !
Elle tendit le bras pour tourner le verrou, puis, laissant Boone entrer et claquer la porte derrière lui, elle acheva de rincer et d’essorer son petit linge.
— Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna-t-il.
— A votre avis ?
Sans lever les yeux, elle pressa avec délicatesse sa petite culotte, qu’elle suspendit ensuite à la barre du rideau de douche. Elle aurait dû être embarrassée, et de fait elle l’était. Un peu. Mais compte tenu de la situation, elle jugea inopportun de se scandaliser devant le regard de Boone sur sa lingerie intime.
Il secoua la tête, l’air incrédule, et se tourna vers elle.
— Je t’avais dit de rester dans la chambre.
— Non, vous ne me l’aviez pas dit. Vous m’avez juste demandé de ne laisser entrer personne. J’ai jeté un coup d’œil dans le couloir, il était vide. J’ai donc couru jusqu’à la salle de bains où je me suis enfermée. Ce linge ne pou-vait pas attendre.
Jayne n’eut pas un frisson lorsqu’il la détailla des pieds à la tête. Elle se savait parfaitement décente dans l’un de ses nombreux T-shirts noirs. Trop large d’au moins trois tailles, il lui descendait jusqu’aux genoux.
Boone s’approcha d’elle et se pencha près de son oreille.
— Nous partons aujourd’hui même, chuchota-t-il.
Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Si elle désirait quitter cet endroit plus que tout au monde, l’urgence d’une évasion signifiait que tout ne se déroulait pas comme prévu.
— Pourquoi ?
— Darryl envoie les deux gamins voler un téléviseur cet après-midi. Dès qu’ils auront suivi le journal et appris qui tu es, nous serons cuits.
— Oh, crotte ! grogna-t-elle.
— Ça, tu peux le dire !
Jayne sentit son sang se figer lorsque quelqu’un tenta de tourner le bouton de la porte. Des coups secs se firent en-tendre presque aussitôt.
— Un peu de patience ! grogna Boone… à la seconde même où Jayne répondait :
— Une minute !
— C’est… c’est urgent ! geignit Doug derrière la porte.
— Alors soulage-toi dehors ! lança Boone. Nous n’en avons pas terminé ici.
— C’est à peine croyable, maugréa Doug en s’éloignant. Nous cohabitons avec un couple de lapins !
Lorsque plus aucun bruit ne se fit entendre dans le cou-loir, Jayne scruta le regard de Boone. Celui-ci était em-preint d’une froide colère, ainsi que d’une intense frustra-tion. D’avoir dû veiller sur elle anéantissait des mois de travail. Et à en juger par la dureté de son expression, il regrettait sans doute de ne pas avoir laissé Darryl la tuer.
— Je suis désolée, murmura-t-elle.
— Moi aussi.
— Peut-être serait-il plus avisé de me laisser partir et… de terminer ce que vous avez commencé ?
Boone secoua lentement la tête.
— Si je te laisse partir, Darryl me descendra sur-le-champ.
— Mon Dieu, soupira-t-elle, le cœur déchiré.
D’autres pas résonnèrent dans le couloir, suivis de nou-veaux coups portés à la porte.
— Une minute ! dit Boone d’un ton sec.
— Pardon, répondit la voix de Marty.
— Que faisons-nous ? chuchota Jayne, penchée vers son compagnon.
— Hé, Tex ! Tu n’es pas seul là-dedans, dirait-on !
L’ironie sous-tendait sa voix.
Jayne leva les yeux vers Boone. Ses longs cheveux lui balayaient les joues, et les nerfs apparents de son cou té-moignaient de son extrême état de tension.
— Prends tes affaires, dit-il, désignant du menton le linge mis à sécher sur la barre de douche.
— Mais… elles sont encore humides.
Il serra les dents.
— Si tu tiens à conserver tout ce que je vois accroché ici, répliqua-t-il, fais ce que je te dis. Maintenant.
Malgré la gravité des circonstances, elle ne fuirait pas sans ses sous-vêtements. Elle obtempéra, tout en se deman-dant quels étaient les plans de Boone. Ferait-il croire à Marty qu’ils batifolaient sans vergogne dans la salle de bains ? L’emporterait-il dans ses bras pour tenter une échappée par le couloir ?
Il se *******a d’ouvrir la porte, puis la prit par la main pour la reconduire jusqu’à la chambre.
Juste derrière eux, Marty poussa son petit hennissement familier.
Chapitre 5 :
Boone éjecta le chargeur de son colt et l’inspecta rapi-dement. Peut-être existait-il une toute petite chance pour qu’ils puissent quitter la maison sans que leur fuite ne tourne à la catastrophe. Mais il devait être prêt pour le cas où ils n’auraient pas cette chance. Il glissa l’arme dans la ceinture de son jean et enfila son blouson en cuir.
Ils en avaient parlé dans les moindres détails. Deux fois. Et Jayne savait exactement ce qu’elle avait à faire. Il se tourna vers elle et l’observa. Debout devant la fenêtre, elle contemplait ce nouvel après-midi ensoleillé au cœur de l’Arizona. Elle n’avait émis aucune plainte, mais il voyait qu’elle n’en était pas moins morte de peur.
Elle était aujourd’hui différente de la jeune femme qu’il avait vue la première fois. En premier lieu, elle avait revêtu l’un de ses T-shirts noirs par-dessus sa jupe droite, sans oublier ses escarpins et son collier de perles. Ses cheveux, ensuite, étaient plus bouclés que lorsqu’il l’avait rattrapée alors qu’elle s’enfuyait le soir tragique où Jim avait été blessé. Faute de sèche-cheveux, elle les avait lavés et lais-sés sécher naturellement, restituant aux mèches dorées toute leur liberté. Elle n’aimait pas. Il adorait. Enfin, elle avait abandonné tout maquillage. Elle n’en avait guère besoin. Sa peau resplendissait d’un éclat satiné, et ses lèvres vermeil-les se passaient avec bonheur de tout artifice.
Ainsi, elle pouvait affoler n’importe quel homme. Sur-tout si, comme lui, il gardait dans une poche de son blouson le soutien-gorge et la culotte encore humides de la jeune personne en question.
— Prête ?
Elle acquiesça d’un signe de tête.
Doug et Marty étaient sortis effectuer leur petit « shop-ping », ce qui ne laissait dans le bungalow que Darryl comme dernier obstacle. Celui-ci s’octroyait généralement une sieste l’après-midi. Boone croisa les doigts pour qu’aujourd’hui ne fît pas exception.
Saisissant Jayne par le bras, il pénétra dans le séjour. Comme de juste, Darryl dormait sur le canapé, la tête ap-puyée sur un accoudoir, les pieds reposant sur l’autre.
Toujours sans se séparer, ils se dirigèrent vers la cuisine. A peine avaient-ils fait deux pas que le canapé grinça der-rière eux.
Boone ferma les yeux et formula un juron silencieux.
— Puis-je savoir où vous allez, tous les deux ?
Jayne avait laissé sac, chemisier et combinaison dans la chambre, mais avait endossé la veste de son tailleur par-dessus le T-shirt. En aucun cas leur allure ne devait trahir leur intention de quitter définitivement les lieux.
Boone se retourna pour faire face à Darryl. Le colosse se levait du canapé.
— Nous allons prendre un peu l’air, déclara-t-il.
D’un geste discret, comme s’il voulait en épargner la vue à Jayne, il montra du doigt la crosse de son revolver.
— Pourquoi ne pas attendre le retour des garçons ? sug-géra Darryl en grattant son énorme panse. Ils pourraient avoir envie de « prendre l’air » avec vous.
Boone secoua la tête.
— Non.
Reprenant son rôle de composition, Jayne attrapa le bras de son compagnon et fronça les sourcils.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Booboo ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette aujourd’hui. Rien ne nous oblige à sortir. Je peux préparer quelque chose à manger ou te masser le dos ou encore laver tes vêtements…
— Ça suffit, coupa-t-il en roulant des yeux.
Darryl sourit. Manifestement, il avalait la couleuvre de l’otage devenue un peu trop collante avec son ravisseur.
Si tout se passait bien, ils se dirigeraient vers la vaste étendue accidentée et désertique qui séparait le bungalow des collines et des formations rocheuses qui apparaissaient à distance. Darryl les épierait depuis la fenêtre. De cela, Boone était certain. Dès qu’ils seraient hors de vue, il tire-rait un coup de feu en l’air. Croyant Jayne enfin morte, le gros truand serait satisfait.
Mais il ne reviendrait pas. Il poursuivrait sa progression en compagnie de la jeune femme. Et lorsque viendrait à Darryl l’idée de se mettre à leur recherche — après, bien sûr, le retour des deux gosses avec la voiture et le téléviseur — ils seraient déjà loin.
Emmenant Jayne par la main, il traversa la cuisine et ou-vrit la porte donnant sur l’extérieur. Une rafale de vent les accueillit. Ce qui les attendait ne serait certes pas une partie de plaisir, mais ils devaient réussir leur évasion. Tout valait mieux que d’être confrontés à Darryl et ses deux sbires lorsqu’ils apprendraient la vérité.
Alors qu’ils contournaient le bungalow, il sentit plus qu’il ne vit Jayne examiner d’un œil inquiet l’espace qu’ils s’apprêtaient à traverser. Ce ne serait pas une promenade de santé. Mais c’était leur unique chance de s’en sortir.
Pour avoir étudié le secteur, il savait l’opération possi-ble. Si les premières heures promettaient d’être éprouvan-tes, au bout du compte Jayne serait sauvée…
Et il devrait tout reprendre de zéro. Bon sang ! Comment parviendrait-il à accéder à Gurza, maintenant que son asso-ciation avec Darryl, qui lui avait coûté tant de temps et d’efforts, était fichue ?
Un bruit de pas derrière eux lui fit comprendre que ses plans ne se déroulaient pas tout à fait comme prévu.
— Darryl nous suit, murmura-t-il sans se retourner.
— Je sais, répondit-elle dans un chuchotement. Que fait-on ?
Sans réfléchir, Boone grommela une obscénité entre ses dents.
— Je n’en ai pas la moindre idée. J’aurais dû m’attendre à ce qu’il veuille assister au spectacle.
Sans ralentir le pas, il ajouta :
— Quand je dirai « Cours », pars immédiatement. Sans poser de questions. *******e-toi de courir le plus vite pos-sible en direction de ces collines, là-bas. Ne t’arrête pas. Ne ralentis pas.
— Mais si vous…
— Surtout ne te retourne pas, coupa-t-il. Quoi qu’il ar-rive.
Ses jambes faiblirent légèrement, mais elle n’ajouta rien et continua à marcher.
— Nous sommes assez loin, annonça-t-il soudain.
Jayne leva vers lui un regard empreint d’un mélange de peur, de détermination et de perplexité. Ses yeux étaient verts, émaillés de minuscules taches turquoise. II ne les avait jamais observés avec tant de netteté dans la chambre sombre qu’ils avaient partagée pendant deux nuits et pres-que deux jours.
Elle tendit les mains vers lui et les posa de chaque côté de son visage, les doigts tremblants. L’estomac de Boone se contracta sous la tendresse inattendue de ce geste. Puis, sans dire un mot, elle s’éleva sur la pointe des pieds et couvrit ses lèvres des siennes. Elle l’embrassait. Non pas de cette manière fiévreuse et passionnée où les langues se cherchent et se mêlent avec fougue, mais en un baiser chaste, délicat et infiniment plus dévastateur.
Du coin de l’œil, Boone vit Darryl s’approcher d’eux, soulevant un petit nuage de poussière à chacun de ses pas. Sa main épaisse reposait sur la crosse du revolver qui dé-passait de sa ceinture.
Tandis que Jayne s’écartait de lui, Boone glissa la main vers son arme.
— Cours !
Sans une seconde d’hésitation, Jayne tourna les talons et se lança dans une fuite éperdue en direction des collines. Boone empoigna son colt et visa calmement, le bras tendu.
— Tire ! ordonna Darryl.
— Où serait le sport ? ironisa-t-il. Je lui laisse encore vingt mètres.
L’œil gauche fermé, il regarda Jayne s’éloigner dans sa ligne de mire. Elle ne se retourna pas. Brave fille. Mais elle avait beau se donner à fond dans sa course, il se rendit compte avec anxiété qu’elle ne fuyait pas encore assez vite.
Darryl jura et la visa à son tour. Anticipant son mouve-ment, Boone pivota et, d’un coup de pied, lui fit sauter l’arme du poing.
Serrant son poignet endolori, le colosse hurla :
— Qu’est-ce qui te prend ? Tu la laisses s’en aller ?
Voyant que celui qu’il connaissait sous le nom de Tex ne se décidait toujours pas à tuer la fille, il se baissa pour ra-masser son revolver. Boone pivota et lui expédia un second coup de pied, à la mâchoire cette fois. Darryl ne vit pas arriver le coup. Il sursauta sous l’impact, avant de tour-noyer sur lui-même et de s’effondrer lourdement sur le sol, face contre terre.
Immédiatement, Boone ramassa l’arme et se lança en courant sur les traces de Jayne, qu’il ne tarda pas à rejoin-dre. Ce n’est qu’en parvenant à sa hauteur qu’il aperçut les larmes qui coulaient sur ses joues. Elle tourna la tête vers lui, renifla et ralentit sa course.
— Il est mort ?
Il secoua la tête.
— Non. Tuer quelqu’un, même un salaud de l’espèce de Darryl, ne ferait que m’attirer les pires ennuis.
— Etes-vous… blessé ? demanda-t-elle sans cesser de courir.
En guise de réponse, Boone écarta les bras en souriant, lui indiquant ainsi qu’il s’en était sorti sans anicroche. Il tenait une arme dans chaque main : la sienne et celle de Darryl.
Jayne s’arrêta et sécha ses larmes d’un revers de la main.
— Vous auriez pu vous faire tuer, dit-elle, blême.
— Tout va bien, persifla-t-il. Je n’ai rien, tu n’as rien, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Jayne renifla, indignée, puis son expression se radoucit.
— J’ai bien cru qu’il allait vous tuer…
Elle s’était inquiétée de son sort. Alors qu’elle n’avait pas craqué une seule fois depuis le début des tristes événe-ments, il venait de la faire pleurer.
Boone chassa aussitôt de son esprit l’idée qu’elle pût éprouver quelque sentiment à son égard. Le cœur des fem-mes telles que Jayne s’enflammait pour la moindre cause. Nourrir les affamés, sauver les baleines, éradiquer l’illettrisme… La vie d’un détective privé pouvait s’ajouter sans encombre à sa liste d’œuvres de bienfaisance…
Seul le hasard leur avait permis de se rencontrer. Ils ap-partenaient à deux mondes diamétralement opposés, ils étaient si éloignés l’un de l’autre que toute entente n’était probablement possible qu’en situation de crise.
Ils se remirent en route sans tarder. Darryl était pour le moment hors d’état de nuire, mais il ne tarderait pas à re-prendre ses esprits. Ils devaient établir la plus grande dis-tance possible entre eux et le bungalow. Le truand, était forcé d’attendre le retour des deux voleurs de télévision. Jamais il ne prendrait le risque de se lancer seul à leur poursuite.
Boone décida se débarrasser du second revolver, trop en-combrant. Dès qu’ils furent suffisamment éloignés, il fit une halte, vida le chargeur de ses cartouches et les glissa dans sa poche. L’arme fut ensuite proprement démontée, ses éléments lancés dans des directions différentes, puis les deux fuyards reprirent leur course.
Les pieds de Jayne commençaient à la faire terriblement souffrir. Ses escarpins étaient conçus pour les cocktails mondains, pas pour le jogging. Les battements de son cœur devenaient douloureux, non seulement en raison de l’allure démente de leur fuite, mais aussi de la peur rétrospective de ce qui aurait pu arriver à Boone. Son injonction de ne pas se retourner lui procurait encore des sueurs froides.
Il avait frôlé la mort dans le seul but de la sortir de la maison et de l’éloigner de Darryl, et cela avec la plus grande décontraction. Ils ne se connaissaient que depuis deux jours à peine, et déjà il était prêt à risquer sa vie pour elle.
Pas uniquement pour elle, supposa-t-elle, mais pour toute jeune femme en détresse. De toute évidence, Boone Sinclair était affligé du syndrome du chevalier servant.
Il progressait d’un pas alerte devant elle, ses longs che-veux battant sur ses épaules, ses boots frappant avec régula-rité le sol inégal. Elle s’était toujours imaginé les vastes étendues de l’Arizona comme un désert de sable, mais le paysage ocre qui s’offrait à ses yeux était rugueux, acciden-té, et ponctué çà et là de barrières majestueuses constituées de formations rocheuses rouges. Pas de sable ni de cactées. Si elle n’avait pas été aussi hébétée par la fatigue, sans doute eût-elle apprécié à sa juste valeur la beauté de la nature environnante.
— J’ai besoin de reprendre… mon souffle, ahana-t-elle, ralentissant pour se remettre à marcher.
Boone se retourna.
— Nous n’avons pas le temps, si nous voulons atteindre Rockvale avant la tombée de la nuit.
— Juste deux ou trois minutes, supplia-t-elle. S’il vous plaît.
Il se décida alors à s’arrêter. Elle en fit autant. Il exami-na sa tenue, le regard circonspect, avant de baisser les yeux sur ses pieds.
— Si seulement nous avions pu te trouver des bottes, soupira-t-il. Ou tout au moins une bonne paire de tennis. Comment peut-on avoir l’idée de porter de telles chaussu-res ?
— Désolée, répondit-elle d’une voix douce. Mais en quittant mon hôtel à Flagstaff, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’il me faudrait me livrer à un marathon.
Lui adressant un large sourire, il lui tourna le dos et posa un genou au sol.
— Grimpe.
— Jamais de la vie !
Il lui lança un regard sévère par-dessus son épaule.
— Nous n’allons pas attendre tranquillement ici l’arrivée de Darryl. Tu ne dois pas peser bien lourd. Je peux te porter au moins sur quelques kilomètres.
Après une brève hésitation, elle se hissa sur son dos et glissa les bras autour de son cou, faisant fi de sa dignité. Boone l’agrippa derrière les genoux et se redressa.
— Je ne suis pas montée ainsi à califourchon depuis l’âge de huit ans. C’était sur le dos de mon père…
Boone s’élança en petites foulées.
— N’en dis pas plus, coupa-t-il. Tu portais certainement de toutes petites chaussures à hauts talons.
— Pas du tout, répondit-elle en riant. J’étais simplement fatiguée.
Obéissant à une sorte d’accord tacite, ils se turent. Ainsi lesté de son poids, Boone ne pouvait à la fois courir et en-tretenir la conversation. Elle ne voyait du reste pas grand-chose à dire. En dépit de tout ce qui s’était passé, l’homme qui la portait sur son dos demeurait un étranger. Pourquoi lui faisait-elle confiance ? Pourquoi accordait-elle foi à tout ce qu’il lui disait ? Son intuition, toutefois, lui disait qu’elle ne se trompait pas en se fiant à Boone Sinclair.
Jayne examina avec attention le terrain sur lequel ils s’avançaient. Les serpents y étaient légion. Des crotales, ainsi que d’autres variétés plus venimeuses les unes que les autres, et qui ne prenaient pas la peine de s’annoncer avant de frapper.
Les collines semblaient s’éloigner à mesure qu’ils avan-çaient. D’après ce que Boone lui avait expliqué, la petite ville de Rockvale se situait de l’autre côté. Sitôt qu’ils y seraient parvenus, il ne resterait plus qu’à passer quelques coups de téléphone et tout serait terminé.
Du moins en ce qui la concernait. Car le mystérieux tra-vail de son compagnon d’évasion n’était pas terminé. Et cela par sa faute. Retournerait-il au bungalow pour achever ce qu’il avait commencé ? Impossible. Une telle initiative était non seulement stupide, mais hautement périlleuse.
Boone bifurqua vers la droite pour se diriger vers l’ombre d’une imposante saillie rocheuse. Dès qu’ils l’eurent rejointe, il s’accroupit au sol afin de permettre à Jayne de se rétablir sur ses pieds.
Une agréable brise tempérait la chaleur de l’après-midi. Elle n’ignorait pas, cependant, que dès la nuit tombée un froid piquant ne manquerait pas de s’installer. Ils ne pou-vaient s’attarder là très longtemps, mais Boone avait besoin de récupérer ses forces.
Plongeant la main dans une poche de son blouson, il en sortit une petite bouteille d’eau minérale qu’il lui tendit. Son sauveur pensait à tout. Jayne dévissa le bouchon, en avala une gorgée puis lui restitua la bouteille. Il avait sans doute beaucoup plus besoin qu’elle de se réhydrater.
Boone se *******a d’en absorber une petite quantité, puis dénicha dans sa poche intérieure un paquet de biscuits au fromage. Après en avoir déchiré l’emballage, il lui en offrit un.
— Je n’ai pas faim, dit-elle.
— Mange, insista-t-il. Au rythme où nous progressons, nous atteindrons cette ville beaucoup plus tard que je ne l’aurais souhaité. Je tiens à ce que tu gardes tes forces.
Jayne accepta le biscuit, prit une nouvelle gorgée d’eau, puis tourna les yeux vers les collines.
— Il vaudrait mieux que je marche un peu par moi-même. Vous ne pouvez tout de même pas me porter jus-qu’au bout du chemin sur votre dos !
Il lui adressa un sourire ironique, comme s’il n’attachait aucune importance à sa suggestion.
— Tu ne pèses pas plus lourd qu’une plume.
— C’est encore trop, répliqua-t-elle. Je ne…
Boone l’interrompit d’une main levée. Son sourire s’était effacé, et il observait d’un œil inquiet l’itinéraire qu’ils venaient d’emprunter. Un juron des plus grossiers lui échappa.
— Crotte, le corrigea-t-elle.
Une fois de plus.
Il se retourna, la mâchoire crispée.
— Des bruits de motos, annonça-t-il. Les nuages de poussière se déplacent dans notre direction.
Jayne fut saisie d’un bref vertige. Même avec les meil-leures chaussures de sport, songea-t-elle, impossible de distancer une moto. Pour l’un comme pour l’autre.
Les yeux plissés, Boone étudia lentement la zone où ils se trouvaient, puis leva les yeux.
— Là, dit-il, indiquant un point au-dessus d’eux.
La jeune femme pencha la tête en arrière. A une hauteur d’à peu près six mètres, une étroite crevasse apparaissait au flanc de la paroi rocheuse.
— Oui, admit-elle, nous pourrions nous cacher dans cette… faille, enfin, cette grotte… Mais comment diable y accéder ?
— En varappe.
Le temps manquait pour discuter et argumenter. Saisis-sant Jayne par le bras, il la secoua gentiment pour l’aider à se préparer mentalement à l’escalade.
— La paroi n’est qu’une succession d’aspérités et de trous, expliqua-t-il. Il suffit de bien choisir ses appuis.
Mue par un solide instinct de conservation, Jayne trouva rapidement les premières prises et entama sa lente ascen-sion. Sans être rassurée pour autant. Immédiatement der-rière elle, l’œil fixé sur la crevasse, Boone la dirigeait de la voix.
Le ronronnement des moteurs s’intensifiait, tandis qu’elle luttait pour ne pas céder au vertige.
— Et si je tombe ? s’inquiéta-t-elle.
— Ne t’inquiète pas, je te rattraperai.
Elle voulut se retourner pour le regarder, mais la tête lui tourna et le courage lui manqua.
— Vous ne le pourrez pas ! Nous chuterons tous les deux !
— Pense à autre chose ! l’enjoignit-il d’une voix ferme.
Il se trouvait juste au-dessous d’elle, la pressant d’avancer, l’éperonnant de temps à autre par une petite tape sur la cuisse. Une fois ou deux, sa paume se posa même sur son postérieur pour l’aider à se hisser.
— Les motos… reprit-elle en haletant. Peut-être s’agit-il de policiers lancés à ma recherche ?
— Nous le saurons bientôt. Si nous apercevons des uni-formes, nous les appellerons et tu seras enfin hors de dan-ger. Dans le cas contraire, cela ne pourra signifier qu’une chose : ils ne sont pas envoyés par ton papa le sénateur, mais par Darryl.
— Ah, zut !
Sa main s’écarta brusquement de la paroi.
— Que se passe-t-il ?
— Je me suis cassé un ongle, répondit-elle, avant de re-prendre sa lente escalade.
Boone émit un petit rire derrière elle.
— Ce n’est pas drôle ! s’insurgea-t-elle.
— Oh non, ce ne l’est pas.
Son pied dérapa soudain, mais la main ferme de Boone se referma aussitôt sur sa cheville, lui permettant ainsi de reprendre appui sur la roche.
— Je ne suis pas une femme d’extérieur ! lança-t-elle avec aigreur.
Ses bras et ses jambes n’étaient plus que douleur, et ses poumons renâclaient.
— Sans blague, ironisa Boone.
— Je n’y arriverai pas !
— Nous y sommes presque. Tiens bon, chérie.
La réponse s’accompagna d’une petite claque d’encouragement sur le bas du dos. Jayne s’éleva aussitôt d’une trentaine de centimètres.
— Auriez-vous la délicatesse d’éloigner vos grosses mains de mes fesses, je vous prie ?
— Bien, mademoiselle ! Avance-les et je ne les touche-rai plus.
Aiguillonnée par le geste, elle poursuivit son ascension aussi vite qu’elle le put, pour se retrouver enfin à hauteur de l’ouverture de la crevasse. Se soulevant encore de quel-ques centimètres, elle jeta un coup d’œil à l’intérieur de la cavité, consciente que sa jupe était bien trop courte et trop étroite pour l’autoriser à s’y introduire d’une manière seyant à une dame. Non, elle n’était pas habillée pour esca-lader des rochers ! A deux ou trois reprises, elle avait songé à demander à Boone de lui restituer ses sous-vêtements. Ceux-ci devaient être secs depuis belle lurette. Elle s’en était abstenue, jugeant les circonstances peu propices à une telle requête. Au moment où elle se faufilait à l’intérieur de l’ouverture, l’un de ses escarpins glissa de son pied et dis-parut dans le vide.
Boone la rejoignit bientôt au fond de la petite excavation naturelle, l’escarpin à la main. Jayne soupira de soulage-ment. Au moins leurs poursuivants ne découvriraient-ils aucun indice de leur présence. Le dos calé contre la paroi minérale, elle ramena les genoux contre sa poitrine, et ten-dit la main. Ignorant le geste, Boone lui saisit la cheville et enfila lui-même la chaussure sur son pied.
— Vraiment, Boone…
Il posa aussitôt un doigt sur ses lèvres et approcha son visage du sien. Près, trop près.
— La moindre parole peut être entendue de l’extérieur, chuchota-t-il. Et les motards sont presque arrivés.
— Je doute qu’ils puissent nous entendre avec le bruit de leurs moteurs, lui souffla-t-elle à l’oreille, écartant une longue mèche de ses cheveux.
Comme pour démentir la logique de sa remarque, les vrombissements cessèrent soudain, laissant place à un in-quiétant silence.
Chapitre 6 :
Boone se figea, l’oreille tendue, une main posée sur le genou de Jayne.
Apparemment, les pilotes avaient calé leurs engins sur la béquille et ils poursuivaient leur recherche à pied. Ils étaient deux, à en juger par les bruits de pas, et s’étaient arrêtés au pied de la saillie rocheuse pour en examiner le pourtour et les zones inaccessibles en moto. S’il leur pre-nait la curiosité de grimper pour jeter un œil à la cavité, Jayne et lui se retrouveraient en très mauvaise posture.
Sa main se posa sur la crosse de son colt. Si l’un ou l’autre s’avisait de passer la tête par l’ouverture de leur gîte, il n’hésiterait pas à tirer.
Une voix monta jusqu’à leur abri :
— Rien… Aucune trace d’eux.
Jayne se raidit en reconnaissant le timbre de Doug.
— Ouais, répondit Marty. M’est avis qu’après avoir mis Darryl knock-out, Tex a emmené la fille dans une autre direction. Nous les aurions déjà trouvés s’ils étaient dans le coin.
— Peut-être, dit Doug avec circonspection. Les endroits où se cacher ne manquent pas, par ici…
Boone demeura immobile et attendit, mais les deux gos-ses ne se décidaient pas à bouger.
— Nous ne pouvons pas rentrer maintenant, dit Marty. Darryl nous bottera les fesses si nous abandonnons trop vite.
— Je sais. Attendons encore un peu ici. L’un des gars envoyés à Meeker aura peut-être trouvé quelque chose entre-temps.
Boone laissa échapper un soupir de soulagement. Darryl avait recruté des hommes pour fouiller cette bourgade, plus proche du bungalow que Rockvale. Il s’attendait à ce que Darryl les cherchât à Meeker, raison pour laquelle il avait opté pour Rockvale. Il leur fallait cependant observer la plus grande prudence : le dealer pouvait fort bien décider d’étendre les recherches.
Il devait fulminer de rage pour avoir fait appel à des éléments extérieurs et fourni des motos à ses deux sbires. Il détestait être forcé d’élargir son petit cercle d’amis.
La conversation entre les deux jeunes reprit.
— Tu sais, déclara Marty d’un ton songeur, Tex ne m’a jamais donné l’impression d’être un sentimental. Je veux dire, il nous a fait un sacré ramdam pour une simple nana.
— Ce doit être une vraie bombe au lit, dit Doug.
Se tournant vers Jayne, Boone remarqua ses lèvres pin-cées et ses genoux étroitement serrés.
— Aucune fille n’est bonne à ce point.
Les deux garçons poursuivirent leur conversation par une étude comparative de leurs capacités sexuelles, enjoli-vant leurs plus mémorables expériences. Boone jeta un nouveau coup d’œil à Jayne. Le visage cramoisi, elle contemplait avec une apparente fascination la roche rouge qui lui faisait face.
Une étrange sensation de paralysie le saisit, tandis qu’il se tenait là aux aguets, une main sur la crosse de son arme, l’autre négligemment posée sur le genou de la jeune femme. Le babillage de Doug et Marty dériva vers les voi-tures, un sujet moins scabreux, Dieu merci.
Jayne commença à se détendre. Boone se rendait compte qu’un changement s’opérait en elle, comme une vague de sérénité qui se propageait peu à peu dans tout son corps. Au bout de quelques minutes, sa tête vint doucement s’appuyer contre son bras.
— Dors si tu en as envie, chuchota-t-il. Nous risquons d’être coincés ici quelque temps.
Elle hocha la tête sans répondre, puis ferma les yeux.
Cette femme était étonnante. Prude, agaçante, suscepti-ble et… tout bonnement étonnante. Elle traversait cette crise avec un courage que bien des hommes qu’il connais-sait pouvaient lui envier, sans jamais craquer ni se plaindre — sauf, bien sûr lorsqu’il la pinçait. Et elle dormait comme un bébé. Sa vie était sur le fil du rasoir, et elle dormait. Parce qu’elle était certaine qu’il veillerait sur elle, qu’il la sortirait saine et sauve de ce cauchemar.
Il ne méritait pas cette confiance naïve. Jayne devait ap-prendre qu’il était toujours hasardeux de placer sa vie entre des mains inconnues. Les siennes plus que tout autres.
Elle soupira, puis, toujours endormie, frotta sa joue contre le bras de son compagnon.
Jayne entendit comme en rêve un lointain ronronnement de moteurs. Une main la secoua, et elle ouvrit les yeux pour découvrir que sa tête ne reposait plus sur le bras de Boone, mais sur sa cuisse, vers l’entrejambe.
Elle se redressa brusquement, tentant vainement d’oublier la position scabreuse dans laquelle elle venait de se réveiller.
— Il fait sombre, observa-t-elle en se tournant vers l’entrée de la caverne.
— Oui. Si nous ne redescendons pas bientôt, nous serons bloqués ici toute la nuit.
Son pouls s’accéléra. Jamais elle ne pourrait passer la nuit avec Boone dans un espace aussi réduit. Ainsi collé à elle, il paraissait plus grand que jamais, plus menaçant. Certes, il n’était pas le criminel prêt à la tuer qu’elle avait cru dans un premier temps. Il n’en restait pas moins tout aussi dangereux.
Il lui saisit la main pour l’aider à quitter leur abri, mais ils empruntèrent un autre chemin que celui de leur escalade. Depuis l’ouverture de la grotte, une étroite corniche lon-geait en pente douce le flanc de la roche pour remonter quelques mètres plus loin. Boone s’y engagea avec d’infinies précautions. Jayne le suivit le cœur battant, atten-tive à l’endroit où elle posait chacun de ses pas. La moindre erreur pouvait leur être fatale.
Le soleil s’était couché, les obligeant à progresser dans une semi-pénombre. Bientôt, seule la lumière de la lune leur permit de poursuivre leur descente. La corniche suivit un angle de la roche… pour s’arrêter net sur le vide.
Boone ne parut pas s’en formaliser. Très doucement, il abandonna sa main, puis bondit sur une seconde corniche qui commençait un bon mètre plus bas. Le cœur de Jayne cessa de battre.
Boone lui tendit les bras en souriant.
— Saute.
— Je ne peux pas !
— Si, tu le peux.
Se baissant avec une extrême prudence, elle ôta l’un après l’autre ses escarpins et les lui lança. Elle tenta ensuite de s’asseoir sur la corniche, mais celle-ci se révéla beau-coup trop étroite.
— Saute, chérie, répéta Boone d’un ton rassurant.
Jayne prit une profonde inspiration et s’élança. Boone la reçut aussitôt dans ses bras puissants, avec une adresse qui la laissa pantoise. Elle le regarda. Il lui sourit. Puis il la relâcha et lui rendit ses chaussures.
Le reste de la descente se révéla plus aisé. Ils empruntè-rent une autre corniche, plus large cette fois, avant d’aborder une série de rochers qu’ils franchirent sans trop de difficultés en bondissant de l’un à l’autre. Lorsque Jayne posa enfin le pied sur terrain plat, une violente envie la saisit de se mettre à genoux sur le sol et de ne plus bouger.
Boone la prit de nouveau par la main, et ils se remirent en route. Au contact de cette main couvrant la sienne, à la simplicité de ce lien, au partage de leurs énergies, elle res-sentit un plaisir inattendu, mais bien réel.
La sensation n’en était que plus agréable.
— Dans combien de temps atteindrons-nous Rockvale ? s’enquit-elle.
— Quelques heures.
Quelques heures. Jayne inspira à fond, se promettant d’être cette fois à la hauteur. Les deux jours qu’elle venait de passer avaient été pénibles, voire éprouvants, mais le calvaire touchait à sa fin. Tout en marchant, elle songea à tout ce qui l’attendait en rentrant à son hôtel. Un bain chaud, un repas digne de ce nom, une bonne bouteille de vin. Mais avant cela, elle téléphonerait chez elle pour rassu-rer ses parents.
La sécurité. La liberté.
— Que comptez-vous faire, maintenant ? demanda-t-elle.
Boone ne ralentit pas, conservant une avance d’un pas ou deux sur elle.
— Une fois à Rockvale, nous commencerons par nous procurer de quoi manger, et…
— Non, coupa-t-elle. Je faisais allusion à votre mission.
Il garda le silence quelques instants.
— Je ne sais pas, dit-il. Je n’ai pas encore décidé.
— Puis-je… vous être utile en quoi que ce soit ?
Cette offre insolite le fit se retourner.
— Non, je ne crois pas. Merci néanmoins de cette atten-tion.
— Seigneur ! Je ne sais même pas sur quel genre d’affaire vous travaillez ! Je serais pourtant disposée à vous aider si je le pouvais.
Boone refusait de saisir la perche qu’elle lui tendait, per-sistant dans son mutisme. Jayne adressa à son dos une gri-mace de petite fille effrontée.
— Et toi ? demanda-t-il. Que feras-tu en retrouvant la civilisation ?
— Prendre un bain.
Il éclata d’un rire limpide.
— Et après cela ?
Avec la tombée de la nuit, la température de l’air avait chuté. Sa veste l’isolait quelque peu du froid, mais pas totalement. Un frisson la saisit tandis qu’elle réfléchissait à la question.
— Première chose, avant même de prendre ce bain, je dois appeler mes parents pour les informer que je vais bien.
— J’imagine que tu paieras ensuite une petite visite à ton ami Jim, le type sur lequel a tiré Darryl.
Jim ? Peu lui importait de jamais le revoir.
— Je pense lui envoyer des fleurs, mais aller le voir, je ne sais pas. Je sais que je ne devrais pas parler ainsi, je souhaite sincèrement qu’il se rétablisse. Mais je ne veux pas qu’il s’imagine que nous deviendrons amis à cause de ce qui est arrivé.
Elle soupira. Boone ralentit le pas, lui permettant ainsi de remonter à son niveau.
— Si je comprends bien, ironisa-t-il, le choix de ce cava-lier laissait quelque peu à désirer.
— Nous nous connaissions à peine. C’est mon amie Pa-mela qui vit à Flagstaff qui me l’a présenté. Je ne la vois pas souvent, mais nous correspondons beaucoup par lettres et par e-mails. Nous fréquentions le même lycée, et faisions partie du même club de filles.
Boone hocha la tête.
— Un club de filles ! J’aurais dû m’y attendre…
Jayne le houspilla d’une petite tape sur le bras.
— Il n’y a aucun mal à être membre d’un club de filles.
— Bien sûr que non, répondit-il, peu convaincu.
— Bref, Pamela m’a arrangé ce rendez-vous avec Jim, célibataire lui aussi, parce qu’elle tient absolument à ce que ses amies fassent un mariage aussi heureux que le sien. C’est son nouveau cheval de bataille : me voir mariée et enceinte.
Le sourire de Boone disparut, puis il la regarda de la tête aux pieds d’un air bizarre. Jayne était à peu près certaine que personne ne l’avait jamais regardée de la sorte. Oh, si seulement elle pouvait connaître ses pensées ! Mais son visage était aussi expressif que celui d’une statue de mar-bre. C’était un être solide, stoïque et… réel. Plus réel qu’aucun des hommes qu’il lui avait été donné de ren-contrer.
— Tu as froid, remarqua-t-il, avant de s’arrêter pour ôter son blouson de cuir.
— Non, protesta-t-elle. Vous ne pouvez pas marcher ain-si dans la nuit simplement vêtu d’un T-shirt ! Vous risquez une pneumonie, ou…
— Je suis un animal à sang froid. Comme tes amis les serpents.
Il lui tendit son blouson ouvert, d’un geste interdisant tout refus. Jayne fut contrainte d’accepter, et il l’aida à l’enfiler.
Un animal à sang froid ? Quelle blague ! Le blouson était chaud. Boone était chaud. Et il n’avait rien d’un ser-pent.
Il se retourna et posa de nouveau un genou au sol.
— Allez, en selle !
— Boone…
— Nous y arriverons plus vite de cette manière. Du reste, courir me réchauffera.
— Très bien, soupira-t-elle, avant d’obtempérer.
Non, Boone Sinclair n’était décidément pas un animal à sang froid.
Bien que rares, les lumières de Rockvale constituèrent une vision accueillante qui fit chaud au cœur de Jayne.
La bourgade étant relativement éloignée du bungalow où il avait logé, Boone n’y était jamais venu et ne devait pas, en principe, croiser une connaissance. Mais dans l’éventualité où quelqu’un y chercherait un couple, il évita de se montrer avec Jayne au bureau du motel miteux où il réserva une chambre au nom de Smith.
Il paya en liquide.
Dès qu’ils eurent refermé la porte de leur chambre, Jayne se débarrassa de ses escarpins et du blouson.
La jeune femme se dirigea droit vers le téléphone. Boone bondit sur elle au moment où elle décrochait le combiné.
— Attends, dit-il en couvrant sa main de la sienne.
Elle leva vers lui un visage implorant.
— Je dois appeler ma famille !
— Nous ignorons tout du genre d’équipement et de per-sonnel que Darryl utilise pour nous retrouver.
— Un simple coup de fil…
— S’il nous repère avant que je n’aie pu assurer nos ar-rières, nous sommes finis. Nous serons morts, chérie.
Le visage de Jayne devint livide.
— Il n’a quand même pas les moyens de localiser un coup de téléphone.
— Darryl, non. L’homme dont je suis à la recherche, oui. Et si Darryl l’a contacté pour lui demander assistance, le téléphone de ton père est peut-être déjà sur écoute. De même que celui de toutes les personnes que tu es suscepti-ble d’appeler.
— Vraiment ?
— Nous ne pouvons nous permettre de prendre ce ris-que.
Jayne alla s’asseoir sur l’unique lit de la chambre, la mine dépitée.
— Je sors nous chercher quelque chose à manger, dit-il. J’en profiterai pour appeler un ami depuis une cabine pu-blique.
L’idée lui en était venue à la fin de leur escapade, tandis qu’il s’efforçait de chasser de son esprit l’image obsédante de la jeune femme accrochée à son dos. Il avait un plan, et si la chance était de son côté, Del et son partenaire seraient à Flagstaff dès le matin.
— Je ferai parvenir un message à ta famille, leur disant que tu vas bien et que tu les appelleras demain.
Jayne poussa un profond soupir, puis se détendit.
— Cela devrait suffire, j’imagine.
— Parfait, dit Boone en jetant un coup d’œil circulaire dans la chambre minable où ils devaient passer la nuit.
Si la pièce était triste et dépourvue d’attrait, elle dispo-sait de l’essentiel. Une télévision, un radio-réveil, une salle de bains et un grand lit. Pour deux.
— Je ne sais pas ce que je trouverai, mais j’apporterai de quoi nous composer un dîner. Ainsi que de la bière.
Jayne fronça le nez, la moue désapprobatrice.
— Je n’aime pas la bière. Mais j’adorerais un bon mer-lot. Et des ******s aux pétales de chocolat. Ceux qui sont moelleux à cœur.
— Du vin et des ******s ? Pas d’autre chose pour ma-dame la princesse ?
— Pas en même temps, précisa-t-elle, le sourire mali-cieux.
— Très bien, soupira-t-il en saisissant son blouson de cuir. Verrouille la porte derrière moi.
Elle l’accompagna jusqu’à la porte.
— Je connais la leçon par cœur, maintenant. N’ayez au-cune crainte, je n’ouvrirai qu’à vous.
Sitôt la porte refermée, Jayne se précipita dans la salle de bains et tourna le robinet de la douche. L’absence de Boone serait sans doute de courte durée, ce qui lui interdisait de se rester longuement sous l’eau chaude comme elle l’avait espéré. Mais vu son état de saleté, une douche même rapide était absolument nécessaire.
Tandis qu’elle ôtait sa veste, son regard s’arrêta sur le té-léphone. Boone faisait preuve d’excès de méfiance en sug-gérant que le téléphone de son père pût être placé sur écoute. Accéder aux lignes d’un sénateur des Etats-Unis n’était certainement pas chose aussi aisée qu’il avait l’air de le penser !
Elle se dirigea vers le téléphone, décrocha le combiné et… après réflexion, le reposa. Elle aurait tellement aimé parler avec ses parents, mais elle avait promis à Boone d’attendre et elle était une fille de parole. Voilà au moins une chose que lui avait apprise sa mère qu’elle pouvait mettre en pratique…
Elle se glissa hors de sa jupe qui était désormais bonne à mettre à la poubelle. Dommage. Elle adorait ce tailleur, qu’elle n’avait porté que deux fois. Le T-shirt noir rejoignit bientôt les autres vêtements sur le lit.
La douche était brûlante, divine. Elle se lava les cheveux puis se savonna le corps, s’écorchant presque la peau telle-ment elle voulait faire disparaître les traces des deux jours cauchemardesques qu’elle venait de passer.
La petite pièce était tout embuée lorsqu’elle sortit de la cabine. Elle se sécha énergiquement, se servit du séchoir mis à disposition pour essayer de dompter ses boucles, puis regagna la chambre avec un sentiment de fraîcheur et de propreté qu’il lui semblait n’avoir jamais éprouvé de sa vie. Ne disposant d’aucune autre tenue, elle se résigna à passer de nouveau le T-shirt de Boone.
Après avoir plié soigneusement le tailleur en lin corail, sachant le lendemain qu’elle n’aurait d’autre choix que de le remettre, elle alluma le téléviseur. Aucune des cinq chaî-nes disponibles n’offrait un programme digne d’intérêt. Elle éteignit l’appareil, s’allongea quelques minutes, puis le ralluma lorsque l’heure du journal fut venue. Sans doute n’aimerait-elle pas beaucoup ce qu’il lui apprendrait, mais elle devait s’informer.
La faim la tenaillait, et elle ne pouvait plus attendre pour déguster son verre de merlot. Où était Boone ?
Elle s’occupa les mains en débarrassant l’unique table des guides touristiques et prospectus laissés à leur disposi-tion, puis dénicha deux verres dans la salle de bains, qu’elle disposa sur la table.
Un steak, songea-t-elle en s’installant sur l’une des deux chaises. Un steak épais, cuit à point !
Lorsque les coups retentirent enfin à la porte, elle ne prit pas la peine de vérifier par le judas : elle reconnaissait cette façon impatiente de frapper. Elle tourna le verrou d’une main heureuse.
— J’espère qu’il y a des steaks et mon vin rouge dans ce sac, déclara-t-elle, le sourire radieux.
La tête légèrement penchée de côté, Boone la contempla des pieds à la tête.
— Mais tu es nue !
— Mais non !
Le T-shirt qu’elle portait n’était certes pas des plus « ha-billés », mais elle n’était pas nue.
Secouant la tête, Boone se décida enfin à entrer, un grand sac en papier entre les mains. Jayne referma derrière lui.
— Désolé, pas de steaks, annonça-t-il. Le drugstore était le seul magasin ouvert. Nous dînerons donc de fromage en tube, de crackers et de saucisses de Francfort.
— Merveilleux.
— Pas de merlot non plus, ajouta-t-il avant de déposer le sac sur la table et d’en extraire deux canettes ainsi qu’une bouteille. Il faudra te *******er de cela.
— « Arôme fraise », lut-elle, étonnée, sur l’étiquette du vin bon marché.
— Et maintenant, des vêtements propres !
Replongeant la main dans le sac, il en sortit deux T-shirts encore dans leur emballage plastique.
— Oh, chic, s’écria-t-elle en prenant celui qu’il lui ten-dait.
Il était bleu pâle, une couleur qu’elle affectionnait.
— Je reviens tout de suite.
Elle courut s’enfermer dans la salle de bains, où elle ar-racha presque le T-shirt noir pour enfiler le neuf, tout aussi ample. Un dicton était imprimé sur la poitrine : « Si un homme parle dans la forêt et qu’il ne se trouve aucune femme pour l’entendre, a-t-il tort pour autant ? »
Boone était occupé à dresser la table lorsqu’elle sortit de la salle de bains. Bière pour lui, vin à la fraise pour elle. Les crackers et les saucisses étaient disposés sur des assiet-tes en carton, à côté du tube de fromage.
Elle désigna du menton le T-shirt vert foncé, jeté sans façon sur le montant du lit.
— Que dit le vôtre ?
Il s’en saisit et le lui présenta ouvert.
— « Savoir changer est une qualité. Toi d’abord. »
— Chercheriez-vous à me dire quelque chose ?
— A vrai dire, le drugstore n’offrait pas une grande va-riété, dit-il en secouant la tête. J’ai pris ce que j’ai trouvé.
— Connaissant votre goût pour la couleur noire, pour-quoi avoir pris un T-shirt vert ?
— Il y avait des T-shirts noirs, avoua-t-il, un peu mal à l’aise. Mais le texte parlait de « syndrome prémenstruel ».
Alors qu’en temps normal une telle réponse l’eut affreu-sement gênée, lui faisant monter le rouge au front, elle éclata de rire. Décidément, la soirée n’avait rien d’ordinaire.
D’un geste galant, Boone lui présenta sa chaise et elle prit place à la table. Son verre était déjà rempli. Elle en sirota une petite gorgée, tandis qu’il s’asseyait face à elle.
— J’ai parlé à mon ami, annonça-t-il. Il est en route avec son partenaire. J’ai également pris des arrangements pour que ton père soit contacté.
— Ils vont vous aider à terminer votre mission ?
Il acquiesça de la tête.
— Bien, dit-elle. Disposer d’une assistance ne sera pas un luxe.
Il emplit son assiette, puis avala une longue gorgée de sa bière. Sans lever les yeux, elle se servit à son tour.
— Pourquoi ? demanda-t-il.
— Pour des raisons de sécurité. Au moins, vous ne serez pas seul.
— J’aime travailler en solitaire.
Il aimait le danger, comprit-elle. Jouer les cow-boys. Af-fronter tout seul des tueurs tels que Darryl.
— Eh bien, je trouve cela stupide.
— Stupide ? répéta-t-il d’un ton neutre.
De toute évidence, sa remarque ne l’affectait pas outre mesure.
— Pourquoi prendre des risques inutiles ?
— Pourquoi pas ?
— Il doit bien exister quelque part des gens qui s’inquiètent de ce qu’il adviendra de vous ! s’emporta-t-elle.
« Vous n’avez pas de famille ?
— Oh si, répondit-il. Deux frères, une sœur, un beau-frère et un neveu en route. Ma sœur doit accoucher le mois prochain.
Une légère note de contrariété était perceptible dans sa voix. A la perspective de devenir oncle ? Elle le gratifia d’un sourire attendri.
— Oh ! un bébé.
— Je ne comprendrai jamais pourquoi on fait tant d’histoires avec les marmots.
— Vous n’aimez pas les bébés ?
— Ils ne savent rien faire par eux-mêmes, sont désor-donnés, sentent mauvais et exigent une constante attention.
— Vous verrez les choses autrement lorsque vous serez père !
— Très peu pour moi, merci.
Le repas se poursuivit dans un silence gêné. Boone ter-mina sa bière, mais n’ouvrit pas la deuxième canette. Jayne vida son verre de vin, mais ne se resservit pas. Déjà somno-lente, elle tenait à garder l’esprit clair.
Finalement, Boone s’excusa et fila prendre sa douche. Se saisissant au passage de son nouveau T-shirt, il gagna la salle de bains et claqua bruyamment la porte derrière lui.
Chapitre 7 :
Jayne persistait à harceler ses pensées, tandis qu’il se sé-chait vigoureusement les cheveux.
Elle n’avait probablement jamais eu de relations sexuel-les… N’avait-elle pas formulé ce commentaire au sujet de ces femmes qui faisaient l’amour en silence ? N’avait-elle pas montré la plus totale ignorance quant aux bruits qu’elle était censée produire pendant qu’il secouait le lit ? Le meil-leur cri d’extase qu’elle avait pu produire n’était dû qu’à sa phobie des serpents !
De plus, elle embrassait avec pudeur et retenue… Comme si elle attendait une sorte d’illumination. Bon sang !
Des petits coups portés à la porte de la salle de bains le tirèrent de sa rêverie.
— Boone !
Il se passait quelque chose. Se ceignant la taille de sa serviette de bains, il récupéra son colt sur l’armoire de toilette puis ouvrit grand la porte, l’arme au poing.
— Qu’y a-t-il ?
Jayne avait déjà plongé dans le lit, les mains crispées sur les draps qui lui couvraient les jambes.
— Il y a Jim qui parle aux infos. Je n’en crois pas mes oreilles…
Boone baissa son arme et se tourna vers le téléviseur, le cœur encore en émoi. Jim était là, en effet, s’adressant à la caméra :
— Comme je l’ai déjà expliqué, j’ai tenté de libérer Jayne des griffes de ces monstres, mais ils se sont jetés sur moi. Tous les six.
Tout en parlant, il agitait les mains avec frénésie.
— L’un d’entre eux a tiré sur moi et je suis tombé. Après quoi j’ai dû m’évanouir quelques instants.
— Et cependant, dit un journaliste, vous êtes parvenu à transmettre un appel.
Boone soupira. Dès que Darryl apprendrait ce qui s’était réellement passé…
— Après quelques minutes, répondit Jim d’une voix so-lennelle, j’avais suffisamment recouvré mes esprits pour composer le 911.
— Quel culot ! s’exclama Boone.
— Chut ! dit Jayne en levant la main.
— J’ai composé le 911, murmura Boone.
— Je sais.
— Je suis persuadé, continua Jim, que ces criminels me croyaient mort lorsqu’ils m’ont laissé inanimé au milieu de la route. Puisant dans mes dernières forces, j’ai sorti mon portable et contacté la police, conscient qu’il s’agissait là de ma dernière chance d’en sortir vivant.
Les lèvres de Boone esquissèrent un sourire.
— Merci, Jimmy.
— Pourquoi le remercier ? objecta Jayne d’un ton sec. Toute son histoire n’est qu’un tissu de mensonges !
— Je le sais. Béni soit son petit ego sournois et avide d’attention.
Il déposa son arme sur une commode placée près du té-léviseur, puis se tourna vers la jeune femme.
— Si Darryl avale cette version, reprit-il, je suis peut-être tiré d’affaires. Je lui raconterai que, l’esprit obscurci par ma sexualité débordante, je t’ai aidée à t’échapper pour l’empêcher de te tuer. Mais il ne doit pas savoir pour Jim…
Il hésita un instant, puis haussa les épaules.
— Je peux toujours lui expliquer que je n’ai pas trouvé son pouls. L’avoir cru mort est une erreur plausible.
Jayne se redressa dans le lit, au moment même où le journal abordait le sujet de son enlèvement.
— Non, déclara-t-elle du ton ferme d’une femme habi-tuée à être obéie.
Boone réprima un sourire.
— Non ?
— Darryl ne me donne pas l’impression d’être un homme enclin à pardonner. Il… il vous tuera.
— Je ne le laisserai pas faire.
— Je n’aime pas ça…
— Chérie, personne ne te demande d’aimer ça, conclut-il avant de regagner la salle de bains.
Il ne supportait plus de rester là, vêtu d’une simple ser-viette, à se chamailler avec elle. Il retourna dans la salle de bains et, après un rapide coup de peigne, il enfila son jean et endossa son nouveau T-shirt.
Lorsqu’il sortit de la salle de bains, ce fut pour trouver Jayne assise dans le lit, occupée à suivre les dernières in-formations, grignotant les ******s qu’il avait rapportés du drugstore. Elle occupait l’un des côtés du lit, comme si elle s’attendait à ce qu’ils le partagent comme ils l’avaient fait la veille.
Lui au-dessus, elle en dessous… des couvertures bien sûr ! se morigéna-t-il.
En le voyant, elle éteignit le téléviseur à l’aide de la télé-commande, puis s’étira en cambrant le dos. Merveilleux. La pointe de ses seins s’était durcie.
Juste ce qu’il ne lui fallait pas.
— Je veux savoir pourquoi, demanda-t-elle d’une voix calme.
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi vous êtes prêt à risquer votre vie en retour-nant chez Darryl. Seul ou avec de l’aide, peu importe : dans les deux cas c’est beaucoup trop dangereux. Je veux savoir pourquoi.
Boone plongea la main dans l’une des poches arrière de son jean et en sortit un vieux portefeuille élimé. Il l’ouvrit, puis en sortit une petite photo qu’il lança sur les genoux de Jayne. Celle-ci l’examina d’un œil curieux.
— Bel enfant, observa-t-elle en souriant. Quel âge a-t-il ?
— C’est lui, mon affaire.
Se saisissant d’une des deux chaises, il contourna le lit et s’installa à califourchon face à elle, les avant-bras appuyés sur le dossier.
— Andrew Patterson. Il aura bientôt quatre ans. Cette photo a été prise il y a plus de six mois, il a donc dû chan-ger un peu.
— Je ne comprends pas, dit-elle en levant vers lui ses grands yeux verts. C’est votre fils ?
— Non.
— Alors ?
— C’est à 17 ans qu’Erin Patterson s’est retrouvée en-ceinte. Elle était connue des services de police pour de menus actes de délinquance, et ses parents ne savaient plus à quel saint se vouer. Ce fut la bêtise de trop. Après une violente dispute, elle est partie en claquant la porte.
Jayne contempla de nouveau la photo. Pour Boone, les traits de l’enfant étaient gravés dans son esprit. Les che-veux et les yeux foncés, les joues pleines, et un éclatant sourire.
— Les parents d’Erin n’ont eu aucune nouvelle pendant des années, malgré les recherches conduites par plusieurs détectives privés. Quelques heures seulement après l’altercation, ils regrettaient déjà la dureté de leurs paroles, mais le mal était fait. Ils ne l’ont jamais revue.
Jayne se frotta les bras pour réprimer un frisson.
— Il y a six mois, cependant, une lettre d’elle est arrivée dans leur courrier avec cette photo. Erin leur disait qu’elle souhaitait rentrer à la maison, mais qu’elle se trouvait dans l’impossibilité de le faire. Elle précisait qu’elle entretenait une liaison avec un certain Joaquin Gurza, et que celui-ci refusait de la laisser s’en aller. Et elle concluait en disant qu’elle postait la lettre en cachette de lui.
— Oh, Boone…
— Trois semaines plus tard, son corps a été découvert à Flagstaff. Elle avait succombé à une overdose. Personne n’a accordé de crédit à la version de ses parents qui sont sûrs qu’elle a été assassinée, et que leur petit-fils se trouve tou-jours entre les mains d’un meurtrier. Ils ont décidé de s’installer ici, en Arizona, jusqu’à ce que l’on retrouve l’enfant. Il y a quelques mois, ils ont reçu un second cour-rier à l’hôtel où ils étaient descendus, et qui contenait une nouvelle photo d’Andrew, presque identique à celle-ci. Une note l’accompagnait, les enjoignant d’abandonner l’affaire, faute de quoi le gosse connaîtrait le même sort que sa mère. Son auteur les avertissait en outre que s’ils s’adressaient à la police, il le saurait immédiatement.
— Ils sont alors rentrés chez eux et vous ont engagé ?
— Oui.
— Et vous ne laisserez pas tomber tant que l’enfant ne sera pas sauvé.
— Non.
Jayne lui rendit la photo.
— Je comprends. Mais cela ne signifie pas que vous soyez forcé de travailler seul. Mon père connaît…
— Non, coupa Boone. C’est mon combat. Si je fais in-tervenir n’importe quel service officiel, Gurza l’apprendra et le gosse mourra. Du reste…
Il lui adressa un sourire en coin.
— Les autorités ne croient pas à l’existence de Gurza. Elles sont persuadées qu’il s’agit d’un mythe derrière lequel se cachent les voyous du Sud-Ouest pour nier leurs crimes. L’alibi des dealers, en quelque sorte.
— Mais…
— Il n’existe aucune photographie de lui, aucun dossier légal. Nous ne disposons que de la lettre d’une petite délin-quante et d’un mythe. La seule véritable piste réside dans son association avec Darryl.
— Je suis tellement navrée, dit Jayne en repliant les jambes sous elle. Ce désastre est de ma faute, et je vois bien à quel point il est important pour vous de retrouver An-drew.
Elle tendit la main et lui caressa le visage.
— Pardonnez-moi.
Vêtue de rien d’autre que ce damné T-shirt, elle le fixait de ses grands yeux verts, la main toujours posée sur sa joue.
En revenant au motel, il avait été stupéfait de la voir à l’entrée de la chambre dans cette tenue. Elle était nue sous le T-shirt. Il le savait parce que son soutien-gorge et sa petite culotte étaient toujours dans la poche de son blouson en cuir.
Certes, il l’avait déjà vue habillée de la sorte, voire plus légèrement encore. Mais depuis quelques heures son regard sur elle avait changé.
Lui saisissant le poignet, il écarta sa main de sa joue.
— Jayne, chérie, demanda-t-il d’une voix calme, heu-reux de trouver une occasion de changer de sujet et voulant par la même occasion en avoir le cœur net, est-ce que tu es vierge ?
— Hmm, eh bien… en quelque sorte, murmura-t-elle, les yeux écarquillés.
Boone secoua la tête, rit doucement et posa brièvement une main sur son genou.
— Chérie, en matière de virginité, il n’y a pas de « en quelque sorte ». C’est oui ou c’est non. Je pense pour ma part que la réponse est oui. Ce qui est bien dommage…
— Non.
Il s’immobilisa.
— Non ?
— La réponse est non.
Jayne savait qu’elle aurait dû se sentir offusquée des questions de ce malotru et qu’elle devait mettre un terme à ce genre de discussion. Pourtant, elle avait envie de lui dire la vérité, de le laisser pénétrer dans un domaine intime dont elle n’avait pourtant pas l’habitude de discuter avec un quasi-inconnu.
Boone ne semblait pas convaincu.
— Pourquoi alors le « en quelque sorte » ?
De nouveau, la meilleure option consistait sans doute en un repli prudent. Mais toute sa vie, elle avait emprunté la voix de la prudence, et les événements des deux derniers jours remettaient sérieusement en question ses certitudes. Sans Boone Sinclair, elle serait probablement morte en ce moment précis.
— C’est arrivé une seule fois, dit-elle doucement. Et…
Elle s’interrompit, gênée.
— Et quoi ?
Elle prit une profonde inspiration. Si elle devait jamais faire preuve de bravoure, le moment était venu.
— Personne ne m’a jamais fait crier « Ya-houou ».
Sentant ses joues s’enflammer, elle dut se faire violence pour ne pas se cacher la tête sous les draps, et retirer ce qu’elle venait de dire.
— Personne ne m’a jamais emmenée au point où une femme perd le contrôle d’elle-même, reprit-elle. Comme si j’avais raté quelque chose d’important dans ma vie. Non, c’est plus que cela… La vérité est que personne ne m’a jamais désirée pour moi-même.
— J’avoue avoir quelque mal à y croire, remarqua-t-il avec douceur.
— J’ai été fiancée quelque temps, poursuivit-elle. Il s’est vite avéré que mon fiancé était plus amoureux des contacts politiques de papa que de ma personnalité.
— L’imbécile, grogna Boone.
— Je n’ai encore jamais rencontré personne comme vous, dit-elle avec simplicité. Vous êtes… différent.
Elle se pinça les lèvres, comme si elle regrettait soudain d’être allée trop loin, et terrifiée à l’idée qu’il se moquât d’elle. Mais il n’en fit rien.
— Tu me plais beaucoup, dit-il en se levant de sa chaise pour s’asseoir à côté d’elle sur le lit.
Ses doigts lui caressèrent la nuque d’un geste doux, presque nonchalant.
— Mais regardons les choses en face, reprit-il. Nous n’avons rien en commun. Rien, sauf une certaine attirance physique. Peut-être est-ce lié au fait que nous avons dû faire semblant de faire l’amour, ou à cause de ces sous-vêtements qui n’ont pas quitté ma poche de toute la jour-née.
Le cœur de Jayne s’emballa. Le tendre contact de ses doigts lui bouleversait les sens d’une manière qui lui était inconnue jusque-là.
— Peut-être cela tient-il également à ce cri que tu as poussé en pensant aux serpents…
Il s’approcha légèrement d’elle, avant d’ajouter :
— Je vais être honnête avec toi, chérie. Tu me plais, et j’ai très envie de toi. Mais demain matin je retrouverai mon monde, toi le tien, et nous ne nous reverrons plus jamais. Oh ! Sûr que j’adorerais partager cette nuit ici avec toi, t’entendre crier « Ya-houou ! » pour de vrai. Mais je te mentirai en prétendant qu’il y a plus que cela.
Jayne prit une profonde inspiration et se lança :
— Si je comprends bien, vous ne cherchez rien d’autre qu’une aventure d’une nuit. Vous voulez vous livrer à des galipettes jusqu’au matin, puis vous en aller libre de tout engagement, ni promesse de m’appeler ou de m’inviter à dîner lorsque tout cela sera terminé. Ce que vous désirez, en fait, c’est simplement du sexe.
— Oui. En ce moment précis, je suis si tendu qu’il me semble être sur le point d’exploser. Toi aussi, d’ailleurs, même si tu n’en as pas encore pris conscience.
Il couvrit un sein de sa main, et son pouce se mit à jouer avec un téton déjà dressé.
— Il ne s’agit que de libérer toute cette énergie empri-sonnée en nous. Rien d’autre.
Elle n’ignorait pas que si elle rejetait son offre avec in-dignation, Boone n’insisterait pas. Et le sujet serait définiti-vement clos. Peut-être était-ce ce qu’il espérait. Peut-être était-ce ce qu’elle devait faire. Mais elle était si lasse de se plier sans cesse à ses obligations de fille de sénateur. Pour une fois, une seule, elle voulait obéir à ses propres désirs sans se soucier du lendemain.
Empoignant Boone par le devant de son T-shirt, elle le tira gentiment à elle.
— D’accord.
Une lueur de surprise traversa son regard, puis il l’embrassa. Sa bouche se fondit à la sienne, puis, forçant ses lèvres avec une impérieuse douceur, son baiser se fit plus profond. Sa langue s’immisça dans sa bouche, taquina la sienne, s’enroula autour d’elle tandis que ses doigts jouaient avec la pointe de ses seins.
Une chaleur diffuse s’installa au creux de son ventre, et sa respiration se bloqua dans sa gorge.
Boone embrassait comme il faisait tout le reste. Avec expertise et plénitude. Il l’embrassa jusqu’à ce qu’elle ne fût plus capable de penser à autre chose qu’à la réaction de son propre corps au contact du sien, traversé des pieds à la tête par une onde presque électrique.
Glissant la main sous son T-shirt, il s’aventura sur la peau nue de son ventre et remonta lentement sur la poitrine, dont il roula les tétons entre ses doigts. Un tourbillon de sensations délicates lui bouillonnait dans tout le corps.
Une main plaquée dans son dos, Boone l’amena à se re-dresser, avant de faire passer le léger vêtement par-dessus sa tête. Aucun homme ne l’avait jamais vue ainsi, totale-ment nue et vulnérable, tremblant d’une émotion qu’elle ne comprenait pas encore tout à fait. Peut-être s’agissait-il pour son compagnon d’une nuit parmi tant d’autres. Mais elle revêtait une importance particulière pour elle, et elle savait qu’elle ne se renouvellerait pas. Plus que son corps, c’était sa confiance qu’elle lui offrait, ainsi qu’une part de son cœur dont elle découvrait seulement l’existence.
Ses puissantes mains lui prodiguaient des caresses d’une étonnante douceur, de plus en plus brûlantes à mesure que son baiser gagnait en volupté. Sa bouche quitta soudain la sienne, pour dériver vers son cou, où la pointe de sa langue la fit tressaillir jusqu’aux entrailles. Lorsqu’elle se posa enfin sur ses seins, l’un d’abord, puis l’autre, ce fut comme si un éclair de sensations pures la traversait. Il les embrassa et les suça avec avidité, tandis qu’une vague de faiblesse s’emparait d’elle, et que son ventre palpitait sous l’urgence de son désir.
Il était trop tard, beaucoup trop tard, pour rebrousser chemin. De tout son être, elle était à présent son esclave consentante. Elle se sentait en sécurité, ici, dans ce lit avec lui. En sécurité, mais aussi désirée et incroyablement exci-tée.
Sentant les mains de Boone trembler sur sa peau, elle soupira. Il avait faim d’elle autant qu’elle de lui, et cela lui plaisait.
— Eh, vous, minauda-t-elle en tirant sur son T-shirt, que faites-vous encore habillé ?
— Pourquoi te montrer si pressée ?
Il leva néanmoins les bras, de sorte à lui permettre de le lui ôter.
Oh, seigneur ! comme elle aimait la vue de son torse. Dur, musclé, couvert d’une légère toison brune. Appliquant les deux mains sur sa peau, elle effleura du bout des doigts les petits tétons plats. Tout en la laissant explorer son corps, Boone lui embrassa et lui mordilla l’épaule, puis le cou.
Ils basculèrent en arrière, ses fermes pectoraux plaqués sur la douceur de ses seins, l’enlaçant avec une brûlante tendresse. Puis il s’empara de nouveau de sa bouche.
Elle comprenait à présent ce que signifiait être sur le point d’exploser. Son propre corps était au bord du pa-roxysme du plaisir.
Sans rompre leur baiser, elle glissa une main entre eux et la posa sur la braguette de son jean. Malgré l’épaisseur du tissu, elle sentit palpiter son sexe. Elle apprécia sa lon-gueur, sa dureté, sa chaleur. Boone émit un grognement étouffé lorsqu’elle le caressa de bas en haut.
Maintenant. Il allait lui faire l’amour maintenant…
Mais il n’en fit rien. Au lieu de cela, il s’écarta un peu, glissa les mains vers l’intérieur de ses cuisses et les lui ouvrit doucement. Ses mains s’attardèrent sur ses jambes, qu’elles caressèrent plusieurs fois sur toute leur longueur. Puis il la toucha. Intimement. Avec une infinie délicatesse. Jayne cambra les reins pour s’offrir à lui.
Il ne cessa de l’embrasser tout en poursuivant son auda-cieuse exploration, et quelque chose de merveilleux, d’impalpable, se mit à danser dans l’esprit de Jayne. D’un mouvement impudique du bassin, elle se frotta contre sa main, tout en plantant les doigts dans sa chevelure.
Soudain elle sentit comme un vide et Boone disparut de sa vue. Elle le vit se débarrasser de ses derniers vêtements et mettre un préservatif. Bientôt, il fut de nouveau sur elle. Jayne lança les bras autour de son cou, les cuisses refer-mées autour de ses hanches pour le recevoir, puis il trouva son chemin vers la corolle ouverte de son sexe.
Il se cambra pour mieux la pénétrer, avant de s’enfoncer lentement en elle, la comblant peu à peu de sa virilité avec une souveraine et tendre puissance. Lorsqu’il se fut intro-duit de toute sa longueur au plus profond de son ventre, il s’immobilisa. Jayne retint sa respiration. La sensation était des plus inattendues, belle et excitante à couper le souffle.
Boone commença à bouger, secouant le lit à chaque as-saut de ses reins. La tête de lit heurta le mur, puis de nou-veau, puis encore et encore, tandis que Jayne accompagnait la cadence de mouvements du bassin.
D’abord douces, ses poussées se transformèrent bientôt en de longues et impérieuses pénétrations, qui la firent gémir et s’élancer à sa rencontre. Boone accéléra le rythme. Le lit grinça, le montant cogna le mur, et Jayne ne parvint plus à contrôler les gémissements qui s’échappèrent de sa gorge.
Jamais elle n’aurait imaginé ressentir un jour ce déferle-ment de plaisir étincelant qui secouait tout son corps. Cette passion charnelle n’était ni à elle ni à lui. Elle était une, et s’exprimait au-delà de toute mesure.
Les doigts glissés dans les cheveux emmêlés de son amant, Jayne resta longuement blottie contre lui. Elle ne parvenait pas à retrouver une respiration normale, et son corps continuait de trembler. La peau humide, le pouls rapide, elle se sentait merveilleusement heureuse et com-blée.
Bien malgré elle, des mots étranges se formèrent sur ses lèvres…
Je t’aime. Sans doute était-ce une réaction émotionnelle normale à ce qu’elle venait de vivre. Elle ne prononcerait pas ces mots. Boone serait horrifié : il n’était pas venu à elle par amour.
Il ne s’agissait pas de gratitude vis-à-vis de tout ce qu’il avait fait pour elle, et ce n’était pas simplement physique. Le mot amour était peut-être inapproprié, mais elle n’en voyait aucun autre pour définir le torrent d’émotions qui ruisselait en elle.
Boone leva la tête et lui sourit.
— Sacré nom de Dieu ! soupira-t-il.
Jayne écarta une longue mèche qui lui barrait le visage, avant de murmurer :
— Ya-houou.
Chapitre 8 :
Boone bascula de côté et attira Jayne contre lui. Celle-ci murmura quelques mots dans son sommeil, avant de se lover entre ses bras.
Jamais il ne se serait attendu à ce que cette élégante jeune femme qui le réprimandait pour la verdeur de son langage, détournait les yeux lorsqu’il était en petite tenue et avouait sa virginité « en quelque sorte », s’abandonnât ainsi. Elle l’avait pris au dépourvu, d’abord en ne s’offusquant pas de la brutalité cynique de sa proposition, puis en lui offrant une réponse aussi franche. Lui qui pour-tant veillait à ne jamais se laisser surprendre.
Si elle n’avait pas été l’exacte antithèse de son type de femme, sans doute eût-il cherché à la revoir lorsque l’affaire qui l’occupait serait terminée.
Hypocrite ! se tança-t-il aussitôt. Jamais il n’avait cher-ché à revoir une femme. Du reste, le sénateur Barrington risquait un infarctus si Boone Sinclair s’avisait un jour de venir conter fleurette à sa fille.
Non. Les choses n’iraient pas plus loin. Ils s’étaient of-ferts une nuit. Inutile d’en vouloir davantage.
Mais il n’allait pas gâcher ce qui en restait à dormir.
Plaçant une main sur la hanche de Jayne, il lui effleura doucement le dos. La veilleuse de la salle de bains diffusait une clarté suffisante pour qu’il pût admirer sa peau claire, l’émouvante féminité des monts et des vallées de son corps, ainsi que la petite tache de naissance qui apparaissait sur le haut de la fesse gauche. Son index dessina la forme de la tache et Jayne remua. Juste un peu.
Boone glissa la main sur le dos de sa cuisse, avant de s’attarder sur le creux du genou qu’il taquina du bout des doigts, la réveillant lentement.
Elle entrouvrit les yeux, soupira en s’étirant comme une chatte, et son bras s’enroula sur la taille de l’homme à ses côtés. Pendant quelques minutes, elle demeura ainsi, pres-que immobile, savourant la chaleur qui émanait de leurs corps.
Boone la fit rouler sur le dos. Ses seins se soulevaient et s’affaissaient au rythme de sa respiration. Il suivit de l’index la courbe de l’un d’eux, avant de s’arrêter sur la pointe qui s’érigea aussitôt. Jayne esquissa un sourire en-sommeillé.
Jamais encore il n’avait vu une femme sourire de la sorte, avec cette innocence mêlée d’impudence. Elle répon-dait si ouvertement et si complètement au moindre de ses gestes. Chaque sensation était nouvelle, chaque onde de plaisir inédite. Son souffle lui dévoilait des secrets magnifi-ques lorsqu’elle murmurait son nom.
Il descendit la main vers le ventre, l’effleura, puis se pencha pour lécher le pourtour de son nombril, titillant la peau de la pointe de sa langue. Jayne répondit par une sorte de ronronnement voluptueux, presque un gémissement.
Elle n’était pas du tout le genre de femme à laquelle il se serait attendu, malgré son rang de perles, son langage châtié et ses chaussures de luxe. Elle dissimulait une détermina-tion d’acier, un cœur solide et se montrait ouverte, confiante et généreuse. Au lit aussi. Ce qui ne laissait pas de le déconcerter. Au moins, cette nuit, pouvait-il se donner l’illusion d’être l’objet de cette passion, d’être le seul homme à l’avoir ainsi fait gémir et vibrer.
Lorsqu’il toucha l’intérieur de ses cuisses, elle écarta lé-gèrement les jambes. Et lorsqu’il s’approcha de son intimi-té, elle les ouvrit plus grand encore. Il lui suffisait de la caresser, et elle était prête. S’il la prenait maintenant, elle atteindrait l’orgasme le temps d’un battement de cœur.
Trop vite.
Il se baissa et avança la tête entre ses cuisses. Surprise, Jayne tressaillit et faillit tomber du lit.
S’ils n’avaient que cette nuit, songea-t-il, il voulait tout lui donner. Et qu’elle partît le matin sans le moindre regret. Bon sang ! Il voulait qu’elle rayonne pendant des semaines, qu’elle ne puisse pas penser à lui sans sourire pendant le prochain mois. Et les mois suivants. Et ceux d’après.
Sa langue la titilla d’abord avec douceur, l’effleurant à peine. Jayne glissa alors les mains dans ses cheveux et commença à remuer contre lui, l’incitant à continuer. Plus fort. Plus longtemps. Un spasme brutal la saisit soudain. Elle arqua le dos, et un miaulement s’échappa de sa gorge tandis qu’il goûtait avec avidité au fruit de sa réponse.
Boone ne se souvenait pas avoir désiré à ce point s’enfoncer au cœur d’une femme. Se redressant, il s’avança lentement au-dessus d’elle. Elle lança ses bras autour de son cou, affichant le même sourire ambigu et lascif, puis, d’un mouvement suggestif du bassin, le pressa de se ren-verser sur le dos.
— Quelle merveilleuse façon de se réveiller ! murmura-t-elle, se penchant vers son cou pour y poser les lèvres.
Sa bouche, douce et chaude, glissa le long de son cou, jouant avec sa langue, tandis que ses mains lui caressaient les pectoraux.
— C’est si bon de sentir ton corps…
Ses paumes glissèrent plus bas, vers son ventre.
— Je veux te toucher partout, ajouta-t-elle, la voix légè-rement rauque.
— Fais ce que tu veux.
Timidement d’abord, puis sans retenue, elle explora d’une main sa verge tendue. Penchée au-dessus de lui, elle prit le temps de la caresser, tout en la contemplant d’un œil brillant. Ses doigts coururent le long de ses cuisses, avant de remonter lentement jusqu’à l’aine. Puis elle saisit délica-tement son sexe.
Incapable de supporter davantage cette délicieuse tor-ture, Boone tendit la main vers la table de chevet et se saisit d’un préservatif. Jayne le lui subtilisa.
— Laisse-moi faire, murmura-t-elle.
Elle déchira l’emballage, puis entreprit de le dérouler sur son sexe.
Une telle femme était à même de rendre fou n’importe quel homme, se dit Boone.
Elle écarta ensuite les jambes, le chevaucha, et le guida vers la fleur épanouie de son sexe.
Le jour venait de poindre lorsqu’elle se réveilla pour la seconde fois. Trop tôt pour se lever, songea-t-elle, considé-rant le peu d’heures de sommeil qu’elle s’était octroyées.
Elle était nichée contre le torse de Boone. Elle y était en sécurité. Rien ne pouvait lui arriver tant qu’elle serait là. Et Boone… Boone ne manifestait aucun désir de changer de position. Non, elle ne risquait absolument rien. Entre ses bras, elle était libre.
Elle se délectait de la présence de ce corps si intimement collé au sien, et se rendit compte que le souvenir brûlant de leurs étreintes ne suffisait pas à expliquer ce bien-être. Exis-tait-il quelque chose de plus important que de se sentir ai-mée et protégée ? Aux premiers instants de leur rencontre, jamais elle n’aurait imaginé que Boone Sinclair serait celui qui lui ouvrirait les yeux sur cette réalité.
— Tu ne dors pas ? marmonna-t-il, le souffle chaud contre son oreille.
— Je suis inquiète, déclara-t-elle, sincère.
— A quel sujet ?
— A ton sujet.
Elle pencha légèrement la tête en arrière, de sorte à mieux voir la séduisante rudesse de son visage.
— Je ne veux pas que tu retournes chez Darryl.
— Chérie…
— Mais s’il n’existe aucune autre solution, alors je t’en prie, n’y va pas seul.
Il garda le silence plusieurs minutes, mais elle savait qu’il ne s’était pas rendormi.
— C’est mon métier, dit-il enfin d’une voix très douce, tout en jouant avec les boucles dorées de ses cheveux. Je retrouve des enfants perdus. Je les rends à leur famille. Je ne quitterai pas l’Arizona sans Andrew.
Face à une telle abnégation, songea-t-elle, sa propre vie paraissait bien insignifiante. Elle donnait des conférences dans les clubs pour dames, participait à des thés mondains, accompagnait son père en campagne, lorsque sa mère était engagée ailleurs, mais jamais elle n’avait épousé une cause avec cette passion qui animait Boone dans son travail.
— Très bien, murmura-t-elle. Dans ce cas, fais-toi au moins seconder. Trouve quelqu’un pour t’aider.
— Ne te fais aucun souci pour moi, grogna-t-il. Tout se passera bien.
Si seulement elle pouvait y croire. Boone était téméraire, et cette témérité risquait fort de lui coûter la vie.
— Je peux parler à mon père, suggéra-t-elle. Les autori-tés locales doutent peut-être de l’existence de Gurza, mais lui, nous pouvons le convaincre, j’en suis persuadée.
Boone se redressa sur un coude et baissa les yeux sur elle :
— Je ne veux rien de ton père. Je ne veux pas de son aide, je ne veux pas qu’il utilise ses relations pour moi. Je ne veux pas qu’il fasse appel à la Garde nationale.
— Il pourrait pourtant faire tout cela.
— Oui, et à la moindre fuite, c’est Andrew qui en subi-rait les conséquences. Laisse-moi gérer cette affaire à ma façon, chérie.
Elle fronça les sourcils, peu rassurée.
— Comme tu voudras, Booboo. Mais je n’aime pas cela. Je n’aime pas cela du tout.
— Je dois t’avertir que si tu t’avises encore une fois de m’appeler Booboo devant toute personne âgée de plus de six mois, attends-toi à de sérieuses représailles.
— Quel genre de représailles ?
— Mieux vaut pour toi ne pas le savoir, ironisa-t-il, avant de se rallonger à côté d’elle. Dors, maintenant.
Elle se recroquevilla entre ses bras, nicha sa tête au creux de son épaule et soupira. Elle adorait son odeur natu-relle : propre et musquée, chaude et capiteuse. Un parfum de cuir et de savon. Et elle ?
— Boone ?
— Hmm ?
— Tu n’as plus à craindre que je t’appelle Booboo de-vant qui que ce soit. Car c’est aujourd’hui que nos chemins se séparent définitivement, exact ?
Son cœur battait la chamade dans sa poitrine.
— Exact, répondit-il d’une voix ensommeillée.
Troublée et inquiète, Jayne resta longtemps éveillée. Boone, de son côté, n’avait eu aucun mal à s’endormir. Son étreinte s’était relâchée, et sa respiration était à présent profonde et régulière.
En l’espace de quelques jours, toute sa vie avait changé. Elle-même avait changé. Aucun homme ne l’enlacerait plus de cette manière, en supposant qu’elle en trouve un qui ne convoite pas que les appuis politiques de son père. Même s’il la faisait frémir ainsi que l’avait fait Boone… Non, rien ne serait plus pareil, elle le savait.
Elle tenta de se convaincre que ce qu’elle ressentait était simplement dû au fait qu’il était son premier amant vérita-ble. Mais c’était oublier qu’il lui avait sauvé la vie, qu’il était son ange gardien, son chevalier, et cela ne faisait qu’affermir ses sentiments à son égard.
Comment pouvait-il dormir aussi bien, tout en sachant que le soleil de cette journée se levait sur leur séparation ?
— Tu me manqueras, murmura-t-elle très bas. Plus ja-mais je ne rencontrerai quelqu’un comme toi. Plus jamais…
Posant délicatement la joue contre la sienne, elle ferma les yeux.
— Seigneur, je crois que je pourrai t’aimer.
Habillé et parfaitement réveillé, Boone se pencha sur une Jayne toujours plongée dans le sommeil.
— Réveille-toi, dit-il pour la troisième fois.
Comprenant que sa voix seule ne suffirait pas, il asséna une tape sur son postérieur dénudé. Le résultat fut immé-diat. Jayne se redressa d’un bond, tout en remontant les draps froissés sur sa poitrine. Ses yeux étaient grand ou-verts, et ses joues d’un rose délicieux. L’une de ses jambes était découverte, offrant à son regard le galbe émouvant de son mollet et de sa cuisse. Avec un peu de persuasion, il se laisserait volontiers convaincre de retarder de quelques minutes leur séparation.
Mais quelle que fût la force de son désir, il ne le ferait pas. Il lui avait promis une seule nuit, et celle-ci était ac-complie. Une nuit grandiose. Elle avait poussé son « ya-houou », et l’avait étonné à bien des égards. Mais au-jourd’hui, l’heure de la rentrée avait sonné pour l’un et l’autre.
Et Dean serait là dans moins d’une demi-heure.
— Lève-toi et habille-toi, à moins que tu ne veuilles ac-cueillir mon frère vêtue de ton simple sourire.
— Ton frère ?
Emportant le drap avec elle dans un réflexe de pudeur, Jayne se faufila hors du lit, puis se saisit du T-shirt que Boone lui avait ôté avant que ne débutent leurs ébats.
— Il est shérif adjoint. Le bon élève de la famille. Il t’escortera jusqu’à Flagstaff.
Jayne le regarda par-dessus son épaule tout en pénétrant dans la salle de bains.
— Je croyais que tu allais t’en charger.
Avait-il réellement perçu une note de déception dans sa voix ? Ou était-ce son imagination ?
— Non. Je vous accompagnerai sur la plus grande partie du chemin, mais pas jusqu’à ton hôtel. Il vaut mieux ne pas nous montrer ensemble. A propos…
Il s’approcha de la porte.
— J’ai un service à te demander.
Jayne sortit de la salle de bains, seulement vêtue de son T-shirt bleu pâle.
— Tout ce que tu voudras, dit-elle.
— Fais-toi le plus discrète possible pendant quelque temps. Ne réponds pas aux journalistes, ne donne pas d’interviews. Et surtout, ne mentionne jamais mon nom. Ni Sinclair ni Tex.
— Parce que tu retournes là-bas, soupira-t-elle.
— Oui.
Sa détermination à poursuivre l’affaire la plongeait dans une sourde colère. Ses joues s’enflammèrent, et elle pinça les lèvres.
— Tu es l’homme le plus têtu, le plus obstiné que j’aie jamais rencontré !
— Merci.
— Te décideras-tu au moins à te faire aider ? s’enquit-elle, les poings serrés sur ses cuisses.
Boone haussa les épaules, puis, détournant les yeux, ten-dit la main vers son colt, qu’il glissa dans sa ceinture.
— Peut-être.
Résignée, elle ramassa ses vêtements et regagna la salle de bains, fermant cette fois la porte derrière elle. Moins d’une minute plus tard, celle-ci s’entrouvrit sur une main qui quémandait.
— Mes… euh, mes sous-vêtements sont dans la poche de ton blouson.
Comment pouvait-elle se montrer aussi prude après la nuit qu’ils venaient de partager ?
Boone plongea la main dans sa poche, puis lui tendit, à bout de bras, petite culotte et soutien-gorge. Existait-il rien de plus féminin que ces légères pièces de soie ornée de dentelles ? Jayne les subtilisa d’un geste sec et s’enferma de nouveau dans la salle de bains.
Une main glissée dans ses longs cheveux, Boone se mit à marcher de long en large dans la chambre du motel.
— Mon travail, marmonna-t-il entre ses dents. Seul im-porte mon travail ! Pas une adorable enjôleuse, et moins encore mes pulsions viriles…
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Rien, maugréa-t-il.
Son regard se porta sur la porte derrière laquelle s’était enfermée Jayne. Pourquoi avait-il la désagréable impres-sion que de gommer Jayne Barrington de sa vie allait être une des plus difficiles décisions qu’il eut jamais prises ?
Chapitre 9 :
Le shérif adjoint Dean Sinclair ressemblait à son frère Boone à bien des égards. L’un et l’autre arboraient les mê-mes cheveux bruns, la même mâchoire volontaire, le même bon mètre quatre-vingt et le même sourire — marque appa-remment distinctive de la famille. Mais la comparaison s’arrêtait là : à l’inverse de Boone, Dean portait un costume classique, et sa coupe de cheveux était des plus conservatri-ces. Par ailleurs ses yeux étaient bleus.
Jayne ne l’imaginait guère parcourir à pied des espaces sauvages, avec dans la poche les effets intimes d’une femme. Il était bien trop digne pour cela.
Il lui rappelait un peu les hommes qui avaient pu la cour-tiser dans le passé. Toujours impeccables. Si typiquement américains. Le contraste entre les deux frères était au moins aussi marqué que leurs similitudes.
Nul doute que son sénateur de père eût adoré Dean Sin-clair.
Ils roulaient vers Flagstaff. Elle assise à l’avant et Boone sur la banquette arrière, malgré son offre insistante de lui céder sa place auprès de son frère. Elle ne pouvait le voir qu’en tournant la tête.
Il avait dû mettre Dean au courant de toute l’affaire, la veille au téléphone, car celui-ci n’ouvrit pratiquement pas la bouche, se *******ant de garder le pied appuyé sur l’accélérateur.
La main de Boone apparut entre les sièges avant.
— Tu as un stylo ?
Sans quitter la route des yeux, Dean lui fournit le sien, glissé dans la poche de sa chemise.
— Tandis que Boone griffonnait quelque chose derrière eux, son frère se tourna vers Jayne.
— Comment vous sentez-vous ? J’ai cru comprendre que vous aviez traversé des moments difficiles.
— Je vais bien, répondit-elle d’un ton réservé, tout en jouant avec les perles de son collier. Ce fut assez éprou-vant, mais les choses auraient été bien pires sans la pré-sence de Boone.
Elle serait morte sans aucun doute…
Le stylo regagna sa place dans la poche du policier.
La veille, elle avait accepté le fait que Boone et elle se sépareraient dès le lendemain. Aujourd’hui, une sourde angoisse lui tenaillait l’estomac. Elle n’était pas prête pour les adieux. Elle ne le serait jamais.
Seule lui restait la ressource de feindre le détachement, de faire en sorte que Boone ne conserve d’elle que de bons souvenirs.
Tandis qu’ils s’approchaient de la ville, Boone se pencha en avant pour orienter Dean. Non pas vers son hôtel, mais vers le lieu du rendez-vous avec les agents de la brigade des stupéfiants.
Jayne avait déjà rencontré de nombreux fédéraux, et la plupart d’entre eux n’étaient que des copies conformes de Dean : costume sombre, cravate traditionnelle et visage déterminé. Comment ces hommes pouvaient-ils espérer lutter contre Darryl ?
A mesure que les minutes passaient, son angoisse se fai-sait plus aiguë. Le sort en était jeté. Boone allait descendre de la voiture, s’éloigner, et elle ne le reverrait plus jamais. Ils n’avaient pas le choix. Elle n’appartenait pas plus à son univers qu’il n’avait sa place dans le sien. Elle n’en haïssait pas moins l’instant où ils auraient à se dire adieu.
Boone désigna du doigt le carrefour devant eux, où se tenaient deux chevelus rigolards aux airs de voyou. Le premier, grand et large d’épaules, était vêtu d’un blouson aussi noir que ses cheveux, tandis que le second, plus petit et plus mince, les cheveux filasse, semblait avoir dormi dans sa veste militaire.
— Peut-être serait-il préférable de poursuivre jusqu’au prochain carrefour, suggéra-t-elle d’une voix douce.
Dean l’ignora et rangea le véhicule le long du trottoir. A peine celui-ci se fut-il immobilisé que Boone en sortit. Les deux voyous s’approchèrent.
Une boule se forma dans sa gorge.
— Boone, geignit-elle en descendant sa vitre.
Seigneur, il sautait à pieds joints dans les ennuis !
Elle voulut ouvrir la portière, mais au même instant le détective s’y adossa.
— Ces deux messieurs sont les agents Wilder et Shoc-kley, annonça-t-il en se tournant vers elle. Du calme.
Du calme ! Dieu du Ciel, comment pouvait-il avoir le culot de lui demander d’être calme ? L’allure des trois hommes eût donné des cauchemars à n’importe quelle mère de famille.
Jayne se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux. Toute sa vie, elle avait mis un point d’honneur à savoir ce qu’il fallait dire et quand le dire. Jamais elle n’avait com-mis le moindre impair. Mais dès qu’il s’agissait de Boone, toutes ses références s’effondraient.
Non, ce n’était certainement pas la meilleure façon de se dire adieu.
— Désolée, balbutia-t-elle. Je… euh, merci pour tout.
Affichant l’un de ces merveilleux sourires qui n’appartenaient qu’à lui, il lui tendit la main.
— Ce fut un plaisir, mademoiselle Barrington.
La poignée de main fut brève, froide, professionnelle. Il lui tendit ensuite une carte de visite.
— Si vous avez un jour besoin des services d’un privé, ajouta-t-il, appelez-moi.
Jayne sentit son cœur chuter dans le vide.
Mlle Barrington ? Et pour couronner le tout, il la vou-voyait !
— Bonne chance, murmura-t-elle.
Trop tard. Déjà, Boone s’était déjà éloigné tout en conversant avec ses deux amis aux cheveux trop longs. Dean redémarra.
Tandis que la voiture se dirigeait à présent vers l’hôtel, Jayne regarda par la fenêtre d’un œil fixe. Eh bien, qu’avait-elle espéré ? Aux yeux de Boone, leur nuit partagée n’avait eu d’autre but que de libérer un peu de leur énergie. Le sexe sans engagement. C’était exactement ce qu’il lui avait pro-posé, et elle avait accepté sans hésiter.
Dans une semaine, il ne se souviendrait même plus de son nom. Les larmes qu’elle refusait de laisser couler lui brûlaient les paupières. Qu’il aille au diable, avec sa carte de visite ! Elle baissa les yeux sur le petit rectangle blanc. « Boone Sinclair, détective privé. Spécialisé dans la recher-che d’enfants disparus ». Un numéro de portable y était indiqué, ainsi qu’une adresse à Birmingham en Alabama.
Elle envisagea un instant de réduire la carte en boule et de la jeter par la fenêtre. Mais au lieu de cela, elle la tourna entre ses doigts comme elle eût manipulé son rang de per-les. C’est alors qu’elle aperçut les mots griffonnés à l’encre bleue sur le verso.
« Tu es une femme exceptionnelle, lut-elle. Si tu as be-soin de quoi que ce soit, appelle-moi. »
Jayne referma la main sur le rectangle de bristol. Per-sonne ne lui avait jamais fait de compliment de cette nature. Elle contempla les immeubles qui défilaient et sourit.
Dès que la serveuse du bar se fut éloignée, Boone expli-qua à Del et Shock, par-dessus son gobelet de café fumant, ce qu’ils avaient besoin de savoir du déroulement de l’affaire et de ce qu’il comptait faire. Rien de plus. Pas un mot sur Jayne.
— Comme j’aimerais coincer Gurza ! dit Shock. Bon Dieu, j’aurais l’impression de passer les menottes à Jack l’Eventreur !
Le petit gars était fort excité, songea Boone. Mais c’était là un trait de son caractère. Wilder, quant à lui, se montrait plus sceptique.
— Il n’existe toujours aucune preuve concrète, observa-t-il. Une lettre, quelques divagations de criminels cherchant à se blanchir…
— Un enfant disparu, ajouta Boone.
Del haussa les épaules.
— Loin de moi l’idée de minimiser la situation, mais le gosse est ton problème, pas le nôtre.
Boone se renversa contre le dossier de son siège. Il ai-mait Del, et il aimait Shock. Tous deux méritaient sa confiance, ce qui était d’ailleurs la raison de leur présence ici, hors de leur juridiction. Comme lui, les deux agents étaient basés à Birmingham.
Et il était toujours tenté de terminer seul le travail. Mais la supplique de Jayne persistait à résonner dans ses oreilles.
— Tout ce que j’attends de vous, déclara-t-il, c’est de tenir Darryl et ses sbires à l’écart pendant quelques jours. J’ai tous les atouts en main pour les arrêter. Un raid éclair, vous les jetez derrière les barreaux, et je peux agir libre-ment.
— Nous serons obligés de faire intervenir les autorités locales, observa Del.
— Eh bien faites-le.
L’agent sirota pensivement son café, puis, reposant son gobelet sur la table, fixa le détective droit dans les yeux :
— La fille du sénateur me fait l’effet d’une sacrée en-quiquineuse.
— Hm-hm.
— Ce qui ne l’empêche pas d’être très jolie, ajouta-t-il en souriant. Enfin, si on aime ce genre de femme…
Boone ne put s’empêcher de réagir.
— De quel genre parles-tu ?
Instantanément, il sut qu’il avait commis une erreur. Wilder s’amusait à ses dépens.
— Le genre à vous emmener dîner dans un endroit où l’on s’arrache les cheveux à se demander quelle fourchette utiliser parmi les douze qui vous sont fournies.
Les yeux de l’agent pétillaient d’ironie.
— Le genre, poursuivit-il, qui parvient à conserver l’allure d’une dame même lorsqu’elle porte un T-shirt où est imprimée une ineptie.
C’était bien Jayne, admit Boone in petto.
Le sourire de Wilder s’élargit.
— Le genre qui, lorsque vous lui cassez les pieds, plutôt que d’exprimer vraiment le fond de sa pensée, préfère vous dire que les cheveux longs sont passés de mode.
— C’est exactement ça.
Del éclata de rire.
— Tu es dans de beaux draps, mon vieux !
— Et si nous revenions à notre affaire ? rappela Boone d’un ton cassant.
Il se leva et jeta un billet sur la table.
Jayne se laissa glisser dans la baignoire et ferma les yeux. L’eau était si chaude que des volutes de vapeur se formaient à sa surface, tandis que sa peau virait au rose vif. La sensation était délicieuse.
Elle avait dû attendre si longtemps avant de savourer ce bain. Obéissant à la requête de Boone, elle s’était tenue à l’écart des médias, mais cela ne s’était pas fait sans diffi-culté. Dean avait volé à son secours lors de l’inévitable interrogatoire préliminaire de la police. Prétextant qu’il s’agissait en l’occurrence d’une affaire fédérale, il avait très vite coupé court à la curiosité des hommes du shérif local. Ceux-ci avaient insisté, pour se voir opposer une fin de non-recevoir ferme et définitive : « Mlle Barrington ne répondra plus à aucune question aujourd’hui ». Dean Sin-clair avait peut-être plus en commun avec son frère qu’il n’y paraissait de prime abord.
Le standard de l’hôtel filtrait les appels téléphoniques qui lui étaient destinés, tandis que, sur sa demande pres-sante, le service de sécurité interdisait à tout reporter l’accès au hall d’accueil.
Dès qu’elle s’était enfin trouvée seule, Jayne s’était em-pressée de décrocher son propre combiné. La conversation qui s’était ensuivie — avec son père d’abord, à Washing-ton, puis sa mère et sa grand-mère dans le Mississippi, puis de nouveau son père — avait été longue et passablement larmoyante. Tout s’était bien passé, jusqu’à ce que son père l’eût enjointe de rentrer sans attendre à la maison. Elle avait objecté qu’elle n’était pas prête, et lorsqu’il l’avait ques-tionnée plus avant, avait répondu qu’elle souhaitait passer au moins une semaine au lit.
Ce qui était la vérité. Le problème était qu’elle ne voulait pas la passer seule…
Papa avait alors menacé de prendre le premier avion pour venir la chercher. Elle le lui avait interdit, arguant en premier lieu du fait que le Sénat avait besoin de lui, ensuite qu’elle voulait rester seule quelque temps.
Alors que l’eau commençait à tiédir, des coups secs fu-rent frappés à la porte. Jayne ne put réprimer un sourire en quittant la baignoire pour revêtir son peignoir de bain. Boone. Une intense déception figea son sourire lorsqu’elle regarda par le judas.
— Oh, Pamela, dit-elle en ouvrant la porte. Entre.
Pamela lui offrit une étreinte mélodramatique avant de pénétrer dans la pièce.
Sa chambre d’hôtel à Flagstaff n’était en rien compara-ble à celle du motel où Boone et elle avaient passé la nuit précédente. Il s’agissait en réalité d’une suite, composée d’une chambre à coucher moquettée et dotée d’un lit im-mense et couvert de coussins, d’une vaste salle de bains, ainsi que d’un séjour complet avec sofa, tables, secrétaire, deux épais fauteuils, et équipé d’un petit bar.
Le tout constituait un ensemble élégant, voire extrava-gant, mais il se révélait aujourd’hui très… vide.
— Dieu soit loué tu n’as rien ! s’écria son amie en se laissant tomber dans le moelleux sofa. Tu semblais aller bien au téléphone, mais je tenais à m’en assurer par moi-même.
— A vrai dire, je me porte comme un charme, répondit Jayne en s’installant dans l’un des fauteuils, les jambes repliées sous elle.
— Tu as l’air fatigué, néanmoins…
— Je le suis.
Elle ne pouvait parler de Boone à personne. Ni mainte-nant ni plus tard. Pamela avait beau être son amie, elle ne comprendrait pas. Quant à se confier à sa mère, l’idée ne l’effleurait même pas.
Les autres ? Eh bien, les autres s’empresseraient de ven-dre l’histoire aux journalistes qui écriraient des articles dont la teneur risquerait de compromettre non seulement la car-rière politique de son père, mais également le travail de Boone. C’était leur secret, un merveilleux, sombre et pro-fond secret.
— Jim est si impatient de te revoir, annonça Pamela, le visage éclairé d’un grand sourire. Il nous invite à passer chez lui ce soir. Tu comprends, il n’est pas encore totale-ment rétabli, et doit limiter ses sorties.
Le sang de Jayne ne fit qu’un tour. Jim se remettait d’une éraflure et d’un bref évanouissement.
— Je ne peux pas.
Le sourire de son amie s’envola aussitôt.
— Mais Jim était tellement certain que, enfin, que vous vous étiez découvert des atomes crochus avant ce… cet incident.
Expliquer à Pamela que le pauvre garçon frisait la débili-té mentale n’était pas de nature à simplifier les choses.
— Le voir ne ferait que raviver le souvenir ce qui s’est passé, mentit-elle. Je ne me sens pas la force de le suppor-ter.
Pamela hocha la tête, puis son regard s’assombrit.
— Jayne, est-ce qu’ils t’ont brutalisée ?
— Non, répondit-elle aussitôt d’une voix rassurante. J’ai certainement eu très peur, mais rien de plus.
— Comment es-tu parvenue à t’échapper ?
Malgré son profond désir de faire confiance à son amie, Jayne jugea plus prudent de ne rien lui confier. Si les faits venaient à s’éventer, Boone se trouverait alors en grave danger. Sa mission était suffisamment périlleuse sans cela.
— Je ne tiens vraiment pas à en parler, dit-elle. Pas maintenant. Je suis là, je vais bien, c’est la seule chose qui importe.
— Tu as raison. Je comprends… Me feras-tu quand même le plaisir de venir dîner chez moi demain soir ? Je préparerai ces crevettes sauce Divine que tu aimes tant.
Jayne fut tentée d’accepter, histoire de se changer les idées, de penser à autre chose qu’à Boone. Mais pourquoi avait-elle la déplaisante intuition que Jim apparaîtrait avant le dessert ?
— Je ne préfère pas. J’ai encore besoin de quelques jours.
S’enfonçant alors dans le confort douillet du fauteuil, elle laissa Pamela entretenir seule la conversation. Celle-ci commença par louer le courage de Jim (ah oui !), avant de se lancer dans un panégyrique sur sa propre famille. Jayne dressa l’oreille. C’était là un sujet qui lui plaisait. Peloton-née dans son peignoir de bain, elle l’écouta évoquer les qualités de ses deux enfants, un garçon et une fille âgés respectivement de quatre et deux ans. Ils étaient beaux, intelligents, et par-dessus tout adoraient leur mère. Vint le tour de son mari, un homme — abstraction faite de son amitié pour Jim — exceptionnel. N’était-il pas en train de jouer les baby-sitters pendant que son épouse rendait visite à sa meilleure amie ?
Au fond d’elle-même, Jayne désirait tout cela, en parti-culier cet amour inconditionnel des enfants pour leur mère. Mais jusqu’à présent, Boone excepté, les hommes qu’elle avait rencontrés avaient des visées moins sentimentales et plus « politiques ». Epouser la fille d’un sénateur apportait certains avantages. Boone était le seul homme qui eût ja-mais vu en elle la femme et, pour cette simple raison, elle l’aimerait toujours. Un peu…
Lorsque vint le moment de raccompagner Pamela jus-qu’à la porte et de lui souhaiter le bonsoir, Jayne se deman-da avec un léger frisson où il pouvait se trouver en ce mo-ment. Et quand soudain retentit la sonnerie du téléphone, son cœur bondit dans sa poitrine. Se pouvait-il que…
Boone se tenait dans l’ombre, de l’autre côté de la route, tandis que Del, Shock et un contingent de policiers locaux investissaient le bungalow. L’aube n’était pas encore levée, et le moment était idéal pour surprendre les dealers dans leur sommeil.
Aucun d’eux ne devait apercevoir « Richard Tex » en compagnie des forces de l’ordre. L’affaire n’était pas ter-minée. Le temps lui manquait de s’occuper personnelle-ment de Darryl et de ses acolytes. Il lui fallait recommencer sa mission de zéro. Il n’existait pas d’autre choix.
L’attente était d’autant plus insoutenable qu’il ne cessait de penser à Jayne. Il avait beau se répéter que la jeune femme appartenait au passé, son visage ne cessait de le harceler. Sans doute parce qu’elle était différente des autres femmes qu’il avait connues. Rien de plus.
Les minutes s’écoulèrent, qui lui semblèrent durer une éternité. Darryl pouvait fort bien avoir flairé le danger et pris la poudre d’escampette.
Les adjoints du shérif apparurent finalement, accompa-gnés de Doug et Marty, menottés et hurlants.
Un autre policier suivait, transportant avec précaution un sachet contenant les pièces à conviction. De la drogue, probablement. Si c’était là tout ce qu’ils avaient trouvé, cela signifiait que Darryl était parvenu à soustraire la quasi-totalité du stock.
Quelques minutes plus tard, Del se montra à la porte et adressa à Boone le signe convenu. Apparemment, Darryl n’était pas au bungalow. Boone s’avança vers l’agent, pes-tant entre ses dents.
— Alors ?
— Pas grand-chose, déclara Del. Assez cependant pour garder quelque temps nos deux loustics au frais. S’ils nous donnent Darryl, peut-être pourrons-nous…
— Ils ne le feront pas, dit Boone.
Les gosses étaient terrifiés par leur chef. A juste titre.
Darryl les avait-il abandonnés là pour servir d’appât ? S’agissait-il d’un test en cas de raid ? Peut-être avait-il convaincu Doug et Marty que ni Jayne ni Boone ne seraient capables de retrouver le chemin de leur retraite.
Boone pénétra dans l’espace familier de la cuisine, avant de gagner le séjour. Rien n’avait changé depuis la veille. Rien, sinon le nouveau téléviseur qui trônait sur la petite table, pimpant, rutilant… et volé. Mais il appartenait aux flics locaux de le restituer à leurs légitimes propriétaires.
Il s’immobilisa et glissa une main lasse dans ses che-veux. Et maintenant quoi ? Sans Darryl, il n’avait rien pour remonter jusqu’à Gurza. Absolument rien. Non, il n’avait pas plaisanté en affirmant à Jayne qu’il repartirait de zéro si cela s’avérait nécessaire. Mais comment ? Avec la menace que représentait Darryl en liberté, sa mission devenait plus que jamais périlleuse.
Une voix métallique lui parvint depuis l’arrière de la maison.
— Hé, les gars ! Venez donc voir par ici !
Boone courut aussitôt vers la chambre qui avait été la sienne pendant plusieurs semaines harassantes, Wilder sur ses talons. Shock se tenait penché au bord du lit lorsqu’il pénétra dans la pièce.
Son estomac se crispa devant le spectacle qui s’étalait sous ses yeux.
Le chemisier de Jayne avait été lacéré et les lambeaux je-tés sur le montant de bois. Sa combinaison de soie, qu’ils avaient laissée derrière eux parce qu’elle était trop humide pour être portée et trop volumineuse pour passer inaperçue dans la poche de son blouson, était étalée avec soin au cen-tre du lit. Un couteau pourvu d’un manche de quinze centi-mètres — celui de Darryl — était planté dans le matelas à travers le vêtement.
— C’est immonde, murmura Shock.
Boone eut un haut-le-cœur et faillit renverser Del en se précipitant à l’extérieur du bungalow.
Chapitre 10 :
Pas étonnant que Jim se fût égaré l’autre fois, songea Jayne. Après avoir à plusieurs reprises changé de direction, la voiture dans laquelle elle avait pris place roulait mainte-nant sur une étroite nationale qui serpentait au milieu d’un paysage de fin du monde. Une plaine immense s’étendait de chaque côté de la route, ponctuée ici et là de formations rocheuses rouges, ainsi que d’une végétation basse, sèche et clairsemée. Ils avaient quitté Flagstaff depuis déjà plus d’une heure.
Le chauffeur de Corbin Marsh était passé la prendre très tôt à son hôtel, afin d’éviter les éventuels reporters en faction dans le hall. Engoncé dans son uniforme, le chauffeur, un homme robuste au cou épais et aux cheveux rares, s’était présenté sous le nom de Harvey. Harvey n’était guère lo-quace.
L’invitation de Corbin Marsh à venir passer quelques jours dans sa propriété isolée avait été, la veille, accueillie par Jayne avec joie et soulagement. Le coup de téléphone était tombé à pic. Pas de journalistes, ni de Jim, ni de grande chambre d’hôtel vide. Elle pouvait désormais se concentrer sur la raison première de sa venue en Arizona — engranger des soutiens politiques pour son père — et chasser de son esprit ce grossier personnage aux cheveux trop longs… Qui se trouvait être également un très bel homme et un fabuleux amant.
Alors qu’elle aurait dû le considérer comme une brève aventure sans lendemain, l’oublier était impossible. Pourquoi était-ce donc si difficile de le rayer une fois pour toutes de sa mémoire ?
Elle ne croyait pas aux coups de foudre et prétendre qu’elle était tombée amoureuse au premier regard eût été un mensonge. Cet homme l’avait terrifiée. Mais, même alors, elle avait senti qu’il était le seul digne de confiance, le seul en qui elle pouvait trouver protection. Et son instinct ne l’avait pas trompée. Quand s’était-elle rendu compte qu’il était différent, que ce qu’elle ressentait pour lui allait au-delà de la simple gratitude ?
Oh, elle le savait bien. Elle avait sauté, il l’avait rattrapée. Elle avait placé sa vie entre ses mains sur la paroi rocheuse, et s’était sentie en totale sécurité. Quelque chose en elle savait que Boone la rattraperait toujours quand elle chute-rait… Non, rectifia-t-elle avec tristesse, pas toujours. Tou-jours était un mot qui ne pouvait pas exister entre eux.
Cédant à la fatigue, elle s’assoupit dans la voiture, la tête appuyée contre le dossier de son siège. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, le véhicule venait de s’engager sur la petite route qui menait à une très vaste demeure de style espagnol.
Jayne ébaucha un sourire. Elle était ravissante et se fon-dait harmonieusement dans l’environnement. Avec ses murs en crépi rose pâle et la profusion de plantes aux formes dé-chiquetées, typiques de la région, qui lui faisait écrin, la bâtisse en forme de U était à la fois élégante et simple.
La voiture emprunta l’allée en croissant qui desservait l’entrée de la demeure et s’arrêta devant les marches du por-che. A l’instant même où Jayne posait le pied sur le sol, la double porte s’ouvrit, et Corbin Marsh sortit pour l’accueillir, le sourire rayonnant.
— Mademoiselle Barrington ! s’écria-t-il en se dandinant presque dans son ensemble chemisette-pantalon couleur sable. Je suis si heureux que vous ayez daigné accepter mon hospitalité !
Jayne lui offrit sa main. Celle-ci fut aussitôt prise en sandwich entre celles de Corbin Marsh.
— Jayne, corrigea-t-elle d’un ton aimable.
Marsh lui octroya de nouveau un sourire étincelant.
— Très enchanté, répondit-il en portant la main qu’il te-nait à ses lèvres.
Si Jayne était habituée aux hommes qui tentaient de l’impressionner par un déploiement de charme, Marsh était le premier d’entre eux. A 45 ans, il en paraissait dix de moins. Ses cheveux châtain clair un soupçon trop longs couvraient ses oreilles, tandis que ses yeux étaient d’un étonnant bleu pâle, presque délavé. Ses vêtements, coupés dans un tissu léger et légèrement flottant, contredisaient l’énergie qui éma-nait de toute sa personne, jusque dans la solidité de ses mains.
L’homme n’était pas dépourvu d’une certaine séduction, nota-t-elle. Il aurait très bien pu être acteur, plutôt que pro-ducteur. Seule une partie de son visage en déparait l’harmonie : son nez, un peu trop long et étroit.
Tandis qu’Harvey se chargeait des bagages placés dans le coffre, son hôte la guida à l’intérieur de la maison.
— Je tiens à ce que vous profitiez de votre séjour ici pour vous détendre, déclara-t-il. Il m’est très pénible de penser que vous avez traversé toutes ces épreuves alors que vous vous rendiez chez moi. J’aurai dû vous envoyer une voiture.
— Je vous en prie, ce qui s’est passé n’est pas de votre faute.
De fait, c’était Jim qui avait insisté pour l’emmener en voiture à cette soirée, pour pouvoir la ramener ensuite. Le pauvre idiot.
Harvey se présenta avec les trois valises de Jayne, les dé-posa au sol et referma la porte. Marsh le regarda par-dessus son épaule.
— La chambre bleue dans l’aile nord, indiqua-t-il.
Le chauffeur hocha la tête et disparut avec les bagages.
Marsh saisit Jayne par le bras et l’escorta dans le couloir. Celui-ci débouchait sur une salle à manger aux proportions imposantes, que baignaient les rayons du soleil à travers de hautes baies vitrées. C’était une pièce chaleureuse et accueil-lante, sans posséder ce côté formel qu’ont souvent de telles demeures.
— J’imagine que vous avez faim, dit Marsh en l’invitant à s’asseoir à la table. Benita nous a préparé un petit déjeuner.
— Merveilleux, répondit Jayne, malgré son absence d’appétit.
Benita devait avoir attendu leur arrivée, car elle fit son ap-parition à peine deux minutes plus tard, avant de déposer deux grandes assiettes sur la table, chacune pourvue d’une omelette et d’un assortiment de toasts, de pain et de brioche. Derrière elle se présenta une jeune fille portant un plateau contenant tasses de café et jus de fruit.
Jayne remercia les deux femmes en souriant. Celles-ci lui répondirent par un léger hochement de tête sans sourire et baissèrent les yeux. Benita était une femme entre deux âges, manifestement d’origine mexicaine, tandis que la plus jeune, très jolie, avait les cheveux blonds et les yeux bleus.
— Vous faites montre d’un remarquable sens de l’accueil, monsieur Marsh, observa-t-elle en goûtant à son omelette. Tout cela est délicieux.
— Je vous en prie, appelez-moi Corbin. Il n’y a que les acteurs et les metteurs en scène pour m’appeler M. Marsh.
Jayne le gratifia de son meilleur sourire de fille de séna-teur.
— Je veux tout connaître de ce qui s’est passé, ajouta-t-il. Qui sait ? Votre aventure pourrait constituer un excellent scénario de film.
Jayne manqua de s’étrangler.
— Oh, je ne crois guère…
— Allons, insista-t-il. Dites-moi, qu’est-il arrivé ?
Jayne prit une profonde inspiration. Il ne restait qu’à lui servir la version édulcorée présentée la veille aux policiers.
— J’ai été kidnappée, puis l’on m’a enfermée dans une af-freuse petite pièce d’une affreuse petite maison. Profitant d’un moment d’inattention de mes ravisseurs, je suis parve-nue à m’enfuir.
— Enfuie ? Comme cela, simplement ?
Jayne hocha la tête.
— Ils ne s’y attendaient guère, j’imagine…
— Vous êtes une femme courageuse, observa-t-il en arbo-rant un sourire hollywoodien.
Elle s’abstint de lui répondre qu’elle ne s’estimait pas le moins du monde courageuse.
— Comment ça, elle n’est pas là ? s’emporta Boone.
Il se pencha par-dessus le comptoir. Le gérant de l’hôtel s’écarta aussitôt en blêmissant.
— Mlle Barrington n’est pas ici, je vous assure, répéta Kyle Norton, dont le nom s’inscrivait en lettres d’or sur le badge épinglé sur sa poche.
Del et Shock attendaient derrière le détective. A la nou-velle de l’absence de la jeune femme, Shock jura.
Boone respira à fond. Il devait conserver tout son calme. Jayne obéissait exactement à ses recommandations, soup-çonna-t-il. Elle évitait les médias.
— C’est ce qu’elle vous a demandé de dire, je comprends. Mais c’est très important.
Del s’approcha du comptoir et présenta sa plaque.
— Nous devons d’urgence parler à Mlle Barrington, dé-clara-t-il d’une voix glacée.
Norton examina la plaque.
— Elle n’est pas ici, je vous le jure. Elle a quitté l’hôtel très tôt ce matin.
Boone sentit son cœur flancher.
— Quitté l’hôtel ? s’écria-t-il, avant de reprendre d’une voix grave : Etait-elle seule ?
Seigneur, je vous en supplie, faites qu’elle ait été seule.
Si le gérant l’informait qu’elle était partie en compagnie d’un homme très corpulent…
— Oui, dit Norton. Elle était seule. Une voiture l’attendait devant l’entrée.
— Et vous ne lui avez pas demandé où elle allait ?
Le saisissant par le col de sa veste, Boone tira vers lui le pauvre homme. Ce dernier lança à Del un regard de détresse, mais l’agent demeura impassible.
— Je ne suis pas censé m’occuper de la destination de mes clients après leur départ, répondit-il d’une voix mal assurée.
— Une voiture l’attendait, intervint Del, s’accoudant au comptoir. Avez-vous reconnu le chauffeur ?
— Non.
— Mlle Barrington vous a-t-elle semblé inquiète, ou ner-veuse ?
— Non, répondit rapidement Norton. Elle semblait juste… un peu fatiguée, c’est tout.
Del tendit une main ouverte au gérant.
— La clé de sa chambre, ordonna-t-il.
Norton leva vers le détective un regard anxieux.
— Elle… elle est là, répondit-il en indiquant l’extrémité du comptoir.
Boone libéra le gérant d’un geste brusque. L’homme faillit trébucher en arrière, puis, une demi-seconde plus tard, lui présenta la carte magnétique.
— Elle est toujours valide, expliqua-t-il. Je n’ai pas encore changé le code. Chambre 1012.
Les trois hommes se dirigèrent aussitôt vers les ascen-seurs, la démarche ferme et déterminée.
— Nous inspecterons d’abord les aéroports, déclara Del, tandis que la cabine entamait son ascension. Elle aura proba-blement décidé de rentrer chez elle par le premier vol. Je ferai téléphoner au sénateur pour nous en assurer.
— Elle n’a pris aucun avion, affirma Boone.
— Comment le sais-tu ? s’enquit Shock.
— Je le sais, c’est tout.
Les deux agents n’avaient aucune envie de le contredire. La voix de l’instinct se révélait souvent déterminante dans leur métier.
La chambre de Jayne était propre, et n’offrait aucun indice de nature à les éclairer sur l’endroit où la jeune femme s’était rendue. Aucune note près du téléphone, rien dans la cor-beille. Boone traversa la suite d’un pas nerveux, réprimant une forte envie de casser quelque chose sur son passage.
La présence de Jayne était partout, se surprit-il à constater. Il huma son parfum, dont les effluves flottaient encore dans les pièces. Un sentiment inconnu surgit du fond de ses en-trailles, une sensation d’urgence. Il la connaissait suffisam-ment pour savoir qu’elle avait l’art de se plonger dans les pires ennuis.
Le lit était à peine défait. Jayne s’y était glissée, et s’était endormie sans bouger d’un pouce de toute la nuit. Il ne res-semblait en rien à celui qu’ils avaient partagé, un vrai champ de bataille.
Quelque chose de bleu dépassant de la couverture attira son attention. Il tendit la main, et en tira le T-shirt acheté au drugstore de Rockvale. L’avait-elle laissé là exprès ? Ou s’était-elle simplement débarrassée d’un vêtement qui ne correspondait pas du tout à son style ?
— Bien, déclara Del d’un ton professionnel. D’abord les aéroports, juste au cas où… Tu veux appeler son père ?
— Non, répondit-il en serrant le T-shirt en boule dans sa main.
— Dean est toujours dans le coin ? s’enquit Shock tout en survolant du regard le reste de la chambre.
— Il avait projeté de prendre un vol cet après-midi, mais il restera si je lui demande.
— Nous pourrions requérir de l’aide…, commença Del.
— Non. Si Gurza est de près ou de loin impliqué dans ce-ci, remuer les choses ne fera que mettre la vie de Jayne en danger.
Bon sang, elle ne tenait déjà qu’à un fil.
— Si je comprends bien, maugréa Shock, nous voilà qua-tre, comme les mousquetaires, à la recherche d’une sorte de bandit mythique, et cela sans disposer du moindre début de piste.
— Cinq, grogna-t-il. J’ai un autre frère.
Une journée tranquille à la résidence de Corbin Marsh était exactement ce dont elle avait besoin. Jayne descendit dans le jardin, après s’être laissée tenter par la douceur d’une longue sieste. Corbin s’était excusé pour s’occuper d’affaires importantes, lui laissant tout loisir de se détendre. Elle pou-vait disposer à sa guise de la bibliothèque, des services de Benita, et de la chambre la plus exquise où elle eût jamais mis les pieds.
La chambre bleue où Harvey avait déposé ses valises était une vaste pièce carrée décorée dans un camaïeu de bleus, du plus pâle au plus intense, pourvue d’un mobilier de bois blond aux lignes sobres et épurées. De riches tissus habil-laient l’ensemble, des coussins aux tentures, de la literie aux voilages, le tout produisant un effet extrêmement apaisant. Outre le lit très confortable, la pièce était équipée d’une salle de bains, d’un poste de télévision, ainsi que de deux épais fauteuils disposés face à la baie vitrée donnant sur le jardin.
Au centre d’une large terrasse dallée de grès rouge se dressait une fontaine, dont les clapotis et les gargouillements ravissaient les oreilles. Une profusion de plantes — entretenues avec beaucoup de soin — emplissait le jardin cerné sur trois côtés par les ailes de la maison. Le quatrième côté s’ouvrait sur une immense prairie, à peine visible à travers la luxuriante végétation et la grille ouvragée qui l’en séparait.
C’était là que Jayne avait choisi de passer le reste de l’après-midi. Elle avait enfilé une robe bain-de-soleil jaune pâle et une simple paire de sandales blanches.
Elle avait grand besoin de se retrouver avant de reprendre sa propre vie. Il lui fallait à présent savoir qui elle voulait être.
Boone, lui, savait qui il était. D’une certaine manière, elle l’enviait. Il avait voué sa vie aux enfants disparus. Et en dépit de la grossièreté dont il faisait preuve plus souvent qu’à l’occasion, c’était un homme sincère et honnête.
Depuis de longues années, elle n’avait jamais existé qu’en référence à son père et à sa famille. Et jusqu’à sa rencontre avec Boone, cet aspect de sa vie ne l’avait jamais dérangée. Elle se demandait à présent qui elle était, qui elle pouvait être.
Marsh la rejoignit, suivi de près par Benita, un plateau de thé glacé et de ******s entre les mains.
— Enchanteur, n’est-ce pas ? déclara-t-il, le sourire car-nassier.
— Oui, acquiesça Jayne. L’endroit est ravissant.
Elle ne devait cependant pas oublier que sa présence ici avait pour but de servir les intérêts de son père. Corbin Marsh était un atout précieux pour un politicien nourrissant de hautes ambitions. Outre sa fortune personnelle, il possé-dait de nombreuses relations à Hollywood, où acteurs et metteurs en scène célèbres exprimaient parfois haut et fort leurs penchants politiques.
Un léger flottement se manifesta dans son estomac. Etre fille de sénateur était une lourde tâche. Si Gus Barrington se lançait un jour dans la course à la présidence — et gagnait —, elle se retrouverait davantage encore sous les feux des mé-dias. Même si l’échéance était encore lointaine, elle avait d’ores et déjà quelques raisons de se faire du mauvais sang.
Marsh lui tendit un verre de thé, qu’elle accepta avec gra-titude.
— Comment une jeune femme aussi charmante, s’enquit-il, peut-elle ainsi passer seule un week-end chez moi ? J’ose imaginer que les prétendants ne manquent pas…
Jayne le gratifia d’un sourire poli.
— Ce Jim qui devait vous accompagner à la soirée, est-ce qu’il, est-ce que vous deux…
— Grands dieux non ! s’empressa-t-elle de répondre. Jim n’est que l’ami d’une amie. Je le connais à peine.
— Il doit bien exister un homme dans votre vie, poursui-vit-il, un sourire entendu sur les lèvres.
Jayne voulut opposer un démenti, mais le rouge lui monta aussitôt au front.
— Je vois que je suis allé trop loin, se reprit-il. Pardonnez-moi si je me suis montré grossier. Simplement, je ne peux pas imaginer qu’une jolie femme telle que vous puisse de-meurer seule.
Il était peu probable qu’il tentât de la séduire, mais avec Corbin Marsh, comment savoir ?
— Je ne suis pas exactement seule, avoua-t-elle.
— Vous m’en voyez heureux. Et aucunement surpris : je crains que votre rougissement ne vous ait trahie. Rencontrer une femme dont le mensonge n’est pas une seconde nature est en soi extrêmement rafraîchissant !
Jayne cherchait une réplique subtile et bien élevée à lui servir pour défendre la cause du sexe dit faible, lorsqu’un rire d’enfant se fit entendre dans le jardin.
Marsh lança un bref coup d’œil vers les portes donnant sur le jardin.
— Préparez-vous à faire la connaissance de mon neveu, annonça-t-il.
— Votre neveu ? s’étonna-t-elle en souriant. Est-ce qu’il vit ici avec vous ?
— Oui. Sa mère est morte, il y a un mois, et j’ai décidé de prendre l’enfant en charge.
— Quelle tristesse… Je veux dire, pour votre sœur.
Marsh haussa les épaules d’un mouvement fataliste, tout en évitant de croiser le regard de Jayne.
— Ma petite sœur m’a toujours causé beaucoup de soucis, expliqua-t-il. Elle était sauvage, inconsciente… Drew est la seule chose qu’elle ait faite de bien dans sa vie.
Paroles dures dans la bouche d’un frère, songea-t-elle. Le rire se rapprocha, accompagné d’un bruit de petits pas sur le dallage.
— Drew ! s’écria une voix exaspérée.
Probablement une nurse. De toute évidence, Corbin Marsh n’était pas du genre à assumer seul la charge d’un enfant. Il ne pouvait donc s’agir que d’une personne engagée à cet effet.
Le producteur se tourna vers son neveu tandis que celui-ci s’élançait par les portes ouvertes. Il s’accroupit pour l’accueillir entre ses bras. Une jeune fille blonde au visage émacié apparut sur le seuil de la maison, la mine contrariée.
— Alors, qu’as-tu appris aujourd’hui ? demanda Marsh, les yeux plongés dans ceux de l’enfant.
— J’ai appris le do et le ré, dit une petite voix fluette. Après, on a regardé une vidéo.
— Comment était le film ?
— Génial ! C’était plein de dragons.
D’un geste de la main, il fit signe à la jeune fille de se reti-rer. Celle-ci obtempéra aussitôt. L’enfant toujours blotti contre lui, il se tourna vers Jayne.
— Drew, nous avons une invitée. Je veux que tu sois très gentil avec elle.
— D’accord, oncle Corbin.
Jayne vit d’abord les cheveux très bruns, puis les joues re-bondies, et lorsque enfin l’enfant lui fit face pour lui offrir un sourire innocent, son verre de thé faillit lui tomber des mains. Mais les événements des derniers jours aidant, elle parvint à ne pas laisser trahir sa surprise.
Fasse le ciel qu’il ne remarque pas mon trouble, pria-t-elle, se sentant pâlir.
— Voici Mlle Barrington, dit Marsh.
Jayne caressa la joue de Drew d’un geste maternel. Sa peau était si douce, si délicate.
— Oublions ce pompeux Mlle Barrington, objecta-t-elle. Pourquoi pas simplement Jayne ?
— Alors ce sera Mlle Jayne, déclara le producteur en se relevant, l’enfant dans les bras. Je veux qu’il apprenne les bonnes manières. Dis bonjour à Mlle Jayne, Drew.
— Bonjour, mademoiselle Jayne, prononça l’enfant d’une voix timide.
— Bonjour Drew. Je suis très heureuse de te rencontrer.
Son cœur menaça d’exploser dans sa poitrine. Le petit garçon dont Marsh prétendait qu’il était son neveu était celui de la photo que Boone lui avait montrée. Le doute n’était pas permis.
Drew n’était autre que Andrew Patterson.
Chapitre 11 :
Doug et Marty refusaient de parler.
Jayne Barrington n’avait pris aucun vol ce jour-là, ce qui ne constituait pas une surprise pour Boone.
Quant au coup de fil passé au sénateur pour lui demander s’il avait des nouvelles de sa fille, il n’avait eu comme effet que de plonger ce dernier dans une nouvelle crise d’anxiété.
Chaque minute qui s’écoulait nouait un peu plus les tri-pes de Boone. S’était-il imaginé qu’en sortant Jayne du bungalow tout serait terminé ? Pauvre imbécile. Il aurait dû savoir que Darryl ne la laisserait jamais partir. Qu’il y au-rait un prix à payer pour l’arrogance et la légèreté dont il avait fait preuve. Une erreur se payait toujours.
Darryl était avec Gurza, et Gurza ne montrait aucun scrupule à tuer quiconque se mettait en travers de son che-min. Boone ne put s’empêcher de songer à Erin Patterson, qui avait fini bourrée de drogue et abandonnée à son sort au fond d’une impasse. Darryl agirait de même avec Jayne, sans le moindre état d’âme.
Del et Shock inspectaient les bars et les halls d’hôtels, lieux privilégiés des rendez-vous d’affaires de Darryl. En ce moment même, les deux hommes opéraient sous la cou-verture de clients ordinaires. S’il leur arrivait quelque chose, Doug et Marty auraient à en assumer les conséquen-ces.
Clint, le second frère de Boone, était depuis peu arrivé à l’hôtel, après avoir pris un vol en début d’après-midi depuis l’Alabama où il résidait. L’hôtel où avait séjourné Jayne avait fourni aux trois frères deux chambres contiguës.
Assis sur le rebord d’un lit, Boone contemplait le sol d’un air soucieux. Dean regardait dehors, debout devant la fenêtre, tandis que Clint faisait les cent pas dans la cham-bre. Pourquoi ne se retrouvaient-ils qu’à l’occasion de va-cances, ou lorsque survenait un problème ?
— D’accord, dit le cadet des Sinclair. Je comprends la situation. Sauf sur un point : pourquoi est-ce nous qui cher-chons cette nana, plutôt que… je ne sais pas, moi, les Mari-nes ou les Bérets Verts ?
Boone leva la tête et observa son frère d’un œil torve.
— Oh. Je vois.
— Tu ne vois rien du tout, grogna-t-il. Je l’ai fourrée dans les ennuis, à moi de l’en sortir.
— Logique, répondit Clint, soucieux de ne pas jeter de l’huile sur le feu.
Clint était un homme de compromis et l’être le plus dé-contracté que Boone eût jamais connu. Au point qu’il lui arrivait parfois de se demander s’ils étaient du même sang.
— Dès que Del et Shock tiendront une piste pouvant nous mener à Darryl, reprit-il, nous frapperons. Dur et fort, il n’y a pas d’autre moyen.
Mais pour le moment, il n’avait d’autre choix que d’attendre que sonne son portable, ou que reviennent les deux agents avec un indice, aussi léger fût-il.
Un mauvais pressentiment lui disait que sans lui, la fille du sénateur Barrington ne survivrait pas à la nuit.
*
* *
Jayne prenait son mal en patience, sachant que se précipi-ter au téléphone juste après avoir rencontré Drew serait une erreur. Elle attendit. Une heure. Puis deux. Prétextant que les nuits étaient fraîches et qu’elle avait besoin d’un pull, elle se rendit dans la chambre bleue, récupéra son sac dans le tiroir du bas de la coiffeuse, en sortit la carte que lui avait remis Boone et la glissa dans la poche de sa robe, avant d’enfiler par-dessus un cardigan blanc.
Puis elle reprit son attente et sa conversation avec Marsh. Ils parlèrent des films qu’il avait produits, des livres qu’ils avaient lus et de Drew. Longuement. Jayne tenta de trouver une explication rationnelle au mensonge de son hôte quant à son lien de parenté avec l’enfant. Il semblait du reste lui vouer une réelle affection. Travaillait-il pour l’homme que recherchait Boone ? Etaient-ils associés ? Elle voulait croire qu’il existait une raison innocente à la pré-sence ici du petit garçon, mais n’en trouva point.
Marsh la laissa enfin pour, expliqua-t-il, passer quelques coups de fil urgents depuis son bureau. Jayne l’interpella au moment où il quittait la pièce.
— Lorsque vous en aurez terminé, verriez-vous un in-convénient à ce que j’emprunte votre téléphone ? Il faut vraiment que j’appelle mon père.
— Mais bien sûr, Jayne.
L’accompagnant jusqu’à la bibliothèque, il lui indiqua l’emplacement de l’appareil, précisant qu’il était branché sur une ligne indépendante. Il quitta ensuite la pièce, non sans laisser la porte entrebâillée de quelques centimètres.
Plutôt que de composer le numéro de Boone, Jayne ap-pela directement le bureau de son père, priant pour qu’il s’y trouvât à cette heure. Dès la première sonnerie, le sénateur décrocha en grognant.
— Allô ?
— Papa ?
— Jayne ! Pour l’amour du ciel, ma colombe, où es-tu ? Je me suis fait un sang d’encre. Quelqu’un m’a appelé…
— Je vais bien, l’interrompit-elle. J’ai décidé de passer quelques jours dans la résidence secondaire de Corbin Marsh. Il m’a invitée, et j’ai pensé que je pourrais y termi-ner le travail pour lequel je suis venue en Arizona.
Un silence s’établit sur la ligne. Lorsque son père mar-quait de longues pauses, ce n’était pas bon signe. Il rassem-blait ses pensées, tentait de trouver une réponse calme et sensée.
— Ne crois-tu pas que tu aurais pu au moins prévenir quelqu’un ?
— J’ai appelé Pamela hier soir pour lui faire part de mes intentions, expliqua-t-elle.
— Oh, bien sûr, soupira le sénateur. Pamela. J’aurais dû l’appeler, mais j’ai eu la faiblesse d’imaginer qu’en quittant ton hôtel, tu nous aurais dit où tu allais, à ta mère ou à moi.
Sa voix se faisait plus tendue à chaque mot.
— Je suis désolée, répondit-elle. Avec tout ce qui s’est passé, je n’ai pas l’esprit très clair. Je n’avais pas l’intention de vous inquiéter.
Corbin Marsh l’avait appelée tard, la veille, et elle était partie très tôt.
Un long silence gêné suivit ses explications.
— Jayne, reprit enfin le sénateur, la voix grave, es-tu dans cette maison avec Marsh sans chaperon ?
Elle esquissa un sourire.
— A peu près, oui. Son neveu vit ici, et j’ai croisé quatre domestiques en résidence. Mais il doit y en avoir plus.
Du coin de l’œil, elle vit s’ouvrir la porte de la biblio-thèque. Corbin Marsh glissa la tête et lui sourit. Jayne se tourna vers lui.
— M’autorisez-vous à saluer le sénateur ? demanda-t-il en pénétrant dans la pièce. Je voudrais par la même occa-sion l’assurer que sa fille est entre de bonnes mains.
— Bien sûr. Papa, Corbin Marsh souhaiterait te dire bon-jour.
Après quelques échanges cordiaux, le producteur invita le sénateur et son épouse à venir lui rendre visite dans sa propriété de l’Arizona. Puis il tendit à Jayne le combiné.
— Papa ?
La porte de la bibliothèque se referma derrière elle. Elle se demanda jusqu’à quel point elle pouvait se confier à son père. S’il apprenait qu’elle avait mis les pieds dans quelque chose de scabreux, voire dangereux, il l’enjoindrait de quit-ter immédiatement les lieux. Et si elle refusait, il enverrait l’armée la chercher.
— Je t’aime, se *******a-t-elle d’ajouter.
— Moi aussi je t’aime, ma colombe.
Jayne raccrocha, sortit la carte de Boone de sa poche et composa le numéro. La voix du détective résonna, sèche, au bout du fil :
— Sinclair.
— Boone ? dit-elle à voix basse, les yeux rivés sur la porte.
— Jayne ! Où es-tu ? J’étais mort d’inquiétude.
— Ecoute-moi. L’enfant est ici. Andrew Patterson est ici.
Un moment de silence suivit.
— Chérie, où es-tu ?
— A la résidence de Corbin Marsh. Là où Jim et moi nous rendions l’autre soir.
Elle baissa un peu plus la voix :
— Marsh prétend qu’Andrew est son neveu.
— O.K., dit Boone d’un ton calme et posé. Tu sors de là. Maintenant.
— Non.
— Trouve une excuse, n’importe laquelle, et sors de cette maison tout de suite !
— Non, répéta-t-elle.
— Comment cela, non ?
Jayne ne quitta pas la porte des yeux, craignant le retour de Marsh ou l’oreille indiscrète d’un domestique. Si son hôte avait souhaité parler à son père, c’était dans le dessein de vérifier son histoire, elle en était certaine. Eût-il agi de la sorte s’il avait eu la conscience tranquille ?
— Je ne partirai pas d’ici sans l’enfant, chuchota-t-elle.
— Jayne…
La voix de Boone trahissait sa lutte intérieure pour gar-der son sang-froid.
— Quitte cet endroit tant que c’est encore possible. Je m’occuperai du gosse. Je te le promets.
— Pas question de partir en laissant Drew derrière moi.
Un soupir découragé se fit entendre sur la ligne.
— N’insiste pas, ajouta-t-elle. Tu en ferais autant à ma place.
— C’est différent.
— Je ne vois pas en quoi.
— Tu me mets de nouveau des bâtons dans les roues, s’irrita-t-il. Tout ce que tu as à faire est de franchir le seuil de cette maison. Je n’ai pas besoin d’un deuxième enfant à sauver !
— Un deuxième enfant ? répéta-t-elle, indignée. Com-ment oses-tu ? Oh, tu me tapes sur les nerfs, tu sais cela ? Tu me…
Un mouvement furtif dans le couloir attira soudain son attention. Quelqu’un l’épiait. Marsh ?
— Jayne, attends…, reprit Boone.
— Tu me rends folle, reprit-elle d’une voix radoucie.
— Nom de nom ! grogna-t-il. Je te rejoins aussi vite que je peux. Promets-moi d’être prudente.
La porte s’ouvrit de nouveau sur Marsh, qui s’avança vers elle dans la bibliothèque. Qu’avait-il entendu ? Certai-nement assez, en tout cas, pour savoir qu’elle ne parlait plus à son père.
— J’espère que je n’abuse pas, dit-elle en écartant le combiné de son oreille. J’avais un second coup de fil à donner.
— Cette maison est la vôtre, déclara-t-il. S’agit-il du pe-tit ami dont vous avez refusé de me parler tout à l’heure ?
La question était accompagnée d’un large sourire.
— Jayne, souffla Boone à l’autre bout du fil. Est-ce lui ?
— Oui, répondit-elle à l’intention des deux hommes.
— Est-ce qu’il se trouve en Arizona ? s’enquit Marsh.
Jayne acquiesça d’un hochement de tête.
— Alors vous devez l’inviter à nous rejoindre pour le week-end. Je déteste l’idée qu’une femme aussi belle puisse souffrir d’être éloignée de celui qu’elle aime.
— Jayne, bon sang, parle-moi ! chuchota Boone.
— C’est si gentil à vous, dit-elle, avant de s’adresser de nouveau à son interlocuteur : Chéri, M. Marsh t’invite à passer le week-end avec nous.
— Parfait. J’arrive. Où se trouve la maison exactement ?
— Sacré bon Dieu de tête de mule ! grommelait Boone entre ses dents, le visage tourné vers la vitre de la voiture.
Le paysage sauvage et désolé se fondait dans l’obscurité. Seuls les feux du véhicule de location de Dean trouaient la nuit, et ceux du pick-up délabré de Clint, juste derrière.
— Elle doit être sortie, à l’heure qu’il est.
— C’est la troisième fois que tu me dis cela, observa Dean d’une voix tranquille.
— Accélère donc ! pressa Boone. Nous avançons à la vi-tesse d’un escargot !
Dean jeta un œil au compteur de vitesse.
— Je conduis prudemment. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne t’ai pas confié le volant… Ecoute, Boone. Ne sois pas trop dur avec elle. Tu n’aurais pas agi différemment si tu avais été à sa place.
— Je ne suis pas exactement un amateur, et tu le sais fort bien. Jayne est en train de tout mettre en péril…
Elle se mettait surtout en danger, ce qui l’empêchait de se concentrer sur sa mission.
— J’ai maintenant deux personnes à sortir de là, au lieu d’une.
— N’oublie pas, quand même, que c’est grâce à elle que tu peux entrer dans la résidence.
Son passager émit un grognement inintelligible.
Dean éclata de rire :
— Tu as vraiment l’air de l’adorer !
— Ce n’est qu’une…
Boone s’interrompit, puis, haussant les épaules :
— C’est une fille bien.
— Une fille bien ? insista Dean.
— Peut-être un peu plus qu’une fille bien, concéda-t-il.
— Ne perds quand même pas de vue le but de ta mission, lui rappela Dean d’un ton grave. Ne te laisse pas distraire.
— Qui, moi ?
Pour autant qu’il s’en souvenait, Dean avait toujours été celui qui veillait sur la fratrie. Non pour pallier un manque d’amour de la part de leurs parents, mais parce qu’empêtrés dans leur propre vie, ceux-ci étaient peu à peu devenus négligents. Lors des anniversaires, c’était Dean qui prépa-rait le gâteau avec les bougies, c’est aussi lui qui leur faisait la lecture le soir avant qu’ils ne s’endorment…
Boone, Clint et leur petite sœur, Shea, avaient trouvé en lui une sorte de substitut de père et de mère. Oh, le père savait se montrer brillant lorsqu’il parlait de justice et de droit, ce qui était sans doute à l’origine des vocations de Boone et de Dean. Mais c’était Dean qui assumait le rôle qu’il aurait dû tenir dans la famille.
— De combien de temps as-tu besoin ?
— Je l’ignore. Ce que je sais, en revanche, c’est que je ne veux pas vous voir débarquer l’arme au poing avec Jayne et le gosse à l’intérieur. Je tenterai de les sortir de là en douceur.
— Si l’enfant a vraiment été enlevé, la tâche ne sera pas facile.
Boone regarda le paysage caillouteux défiler d’un œil absent.
— Je sais. J’ai besoin d’une journée. Peut-être deux.
— Nous nous tiendrons à proximité, et rappelle-toi, tu disposes de trois moyens pour nous faire signe le moment venu.
Un carrefour se présenta devant eux. Dean rangea le vé-hicule juste avant, et Clint en fit autant derrière eux. Au moment où Boone descendit de la voiture de location, Clint s’était déjà approché et lui lançait les clés de son pick-up.
— Bonne chance, dit-il d’une voix tranquille.
Jayne entendit le ronronnement de moteur bien avant que le véhicule ne se fût arrêté devant la porte d’entrée. Le bruit était impossible à ignorer. Un crachotement de pot d’échappement, puis le couinement métallique d’une por-tière.
Elle savait que c’était Boone. Ce qui ne l’empêcha pas de sursauter lorsque retentit la sonnette d’entrée. Marsh s’en aperçut, et se leva en lui adressant un sourire complice.
— Impatiente ?
Elle hocha la tête. Le producteur ne s’était heureusement pas enquis du nom de son « fiancé ».
Comment s’appellerait-il aujourd’hui ? Boone Tex, Ri-chard Sinclair ?
Accompagnant Marsh jusqu’à l’entrée, elle se posta der-rière lui lorsqu’il ouvrit la porte.
Boone ne semblait pas de bonne humeur, et la crosse de son colt dépassait de sa ceinture. Avait-il seulement poussé le cran de sécurité ?
Lorsque son regard se posa sur Jayne par-dessus l’épaule du producteur, son visage se détendit. Marsh lui ouvrit grand la porte et l’invita à entrer.
— Chérie…
— Booboo, susurra-t-elle.
Il inclina la tête et plissa un œil noir.
Eh quoi ? Comment était-elle censée l’appeler si elle ignorait le nom qu’il avait décidé d’adopter ? Il semblait plus grand que jamais, plus mauvais et plus dur, avec son menton mal rasé et ses cheveux longs. Jamais elle n’avait été aussi heureuse de le voir.
Daignant à peine saluer le producteur, Boone passa de-vant lui sans quitter la jeune femme des yeux.
— Toujours fâchée ? s’enquit-il d’une voix rugueuse.
— Un tout petit peu, minauda-t-elle, avant de se lever sur la pointe des pieds pour l’embrasser.
Le baiser fut tendre et sucré, jusqu’à ce qu’il saisît des dents sa lèvre inférieure et la mordît ! S’il ne lui fit aucun mal, l’admonestation que contenait le geste était sans équi-voque. Boone s’écarta d’elle, puis, après un dernier regard lourd de reproches, se tourna vers Marsh en souriant.
— Boone Sinclair, dit-il en lui tendant la main. Merci de votre invitation.
— Corbin Marsh. Ravi de vous accueillir ici… Même s’il me faut avouer que je me faisais une tout autre image de vous.
Tout en échangeant les politesses d’usage, le maître des lieux n’avait cessé d’étudier son invité, une lueur amusée dans le regard.
— Je m’en doute, répondit Boone.
Marsh désigna du doigt le revolver glissé dans sa cein-ture.
— Je me vois obligé de vous demander de me confier ceci. J’éprouve une grande aversion pour les armes à feu. Elles ne sont pas autorisées dans cette maison.
Il leva une main, et Harvey apparut sans un bruit.
— Harvey, mettez donc l’arme de M. Sinclair en lieu sûr, s’il vous plaît. Nous sommes tous amis, ici.
Jayne se demanda comment les choses tourneraient si Boone s’avisait de refuser. Un lourd silence s’établit, pen-dant lequel chacun attendit.
Le détective tendit enfin son colt. A contrecœur.
— Après cela, ajouta Marsh à l’intention du domestique, vous vous occuperez de ses bagages.
Il se tourna vers Boone.
— Je suppose que vous avez des bagages.
— Bien sûr.
— Donnez-lui la chambre verte.
Après un bref hochement de tête, Harvey se retira en si-lence, l’arme à la main.
— Possédez-vous un permis pour cet engin, M. Sinclair ?
Sans un sourire, Boone fixa son hôte droit dans les yeux.
— Oui.
Le producteur semblait beaucoup s’amuser. Jayne ne pouvait le lui reprocher. Aucune personne la connaissant n’accepterait de voir en cet homme son petit ami. Ce qu’il n’était pas, du reste. Il était son amant — ou l’avait été. Il était également son allié, et si elle s’y prenait bien, le reste-rait à jamais. Mais ils étaient aussi différents l’un de l’autre que l’étaient le jour et la nuit, et cela n’avait pas échappé à Marsh.
— Notre hôte a tenu à ce que nous t’attendions pour dî-ner, annonça-t-elle en glissant son bras sous le sien. Est-ce que tu as faim ?
— Oui, dit-il. Je meurs de faim.
Tout en les précédant vers la salle à manger, Marsh lui adressa un coup d’œil par-dessus son épaule.
— Le sénateur vous connaît-il, Boone ?
— Non. Je ne l’ai pas encore rencontré.
— Je crois qu’il ne serait pas inutile que je l’y prépare en douceur, observa Jayne en pressant gentiment le bras de son cavalier.
Marsh éclata de rire.
— C’est également mon avis !
Boone posa une main sur l’épaule de la jeune femme et la lui pinça. Elle poussa un petit cri. Leur hôte se retourna.
— Arrête ! siffla-t-elle.
Il se *******a de sourire.
Chapitre 12 :
Boone ignorait comment et pourquoi Corbin Marsh était en relation avec Joaquin Gurza. Il se renversa dans l’élégant canapé blanc du séjour, une bière à la main, tandis que Jayne et Marsh sirotaient chacun un verre de vin. Elle l’avait finalement obtenu, son maudit merlot.
La jeune femme se tenait assise à côté de lui, près mais pas trop, peinant à réprimer sa nervosité. De temps à autre, elle accomplissait un geste inattendu, comme de le regarder en se mordant la lèvre inférieure, ou de glisser une main sur son genou. Jayne Barrington se révélait une comédienne hors pair.
A plusieurs reprises, il sentit posé sur lui le regard inter-rogateur de Marsh. Parce que l’idée d’un couple Jayne Barrington-Boone Sinclair avait quelque chose de grotes-que ? Ou parce qu’il suspectait que cette invraisemblance cachait autre chose ?
Des pas résonnèrent dans le couloir, puis l’enfant appa-rut, la main dans celle d’une frêle jeune fille. Frais sorti du bain, il était vêtu d’un pyjama bariolé.
Le cœur de Boone s’arrêta. Il s’agissait bien d’Andrew Patterson.
Un sourire éclaira le visage de Marsh, tandis qu’il faisait signe au petit garçon de s’approcher. La nurse attendit sans un mot sous l’arcade de la porte.
— Prêt pour le lit, à ce que je vois, dit-il en l’accueillant entre ses bras. Il est déjà bien tard…
— J’ai regardé un film, oncle Corbin.
— Encore un ? Cela fait deux aujourd’hui.
— Mlle Lacey a dit que je pouvais, dit l’enfant en se tournant vers la jeune fille.
Marsh adressa un bref coup d’œil à Jayne, le visage rayonnant de fierté.
— Il adore le cinéma, expliqua-t-il, tant qu’il y trouve beaucoup de musique et d’action. Je crains cependant que même les meilleurs dialogues n’aient sur lui un effet sopo-rifique. Oh, je suis sûr qu’en grandissant il en viendra à apprécier tous les aspects du 7e art. Ce petit deviendra un grand metteur en scène.
Boone observa la scène, tandis qu’Andrew se juchait sur le genou du producteur et l’embrassait sur la joue. Son estomac se noua. Ce n’était pas exactement ce qu’il s’était attendu à trouver.
— Bonne nuit, oncle Corbin.
— Dis également bonne nuit à Mlle Jayne, dit-il d’une voix douce.
L’enfant remit le pied au sol et s’avança vers le canapé.
— Bonne nuit, mademoiselle Jayne, murmura-t-il, tout en clignant des yeux vers Boone d’un air apeuré.
Incroyable. Le gosse aimait les gangsters au cinéma et avait peur de l’homme qui était venu le sauver. La suite promettait, se dit Boone.
— Bonne nuit, Drew, répondit Jayne en souriant. Me donneras-tu un baiser, à moi aussi ?
Le petit garçon s’approcha, tout en se tenant à distance respectable du détective. Sa grande taille effrayait parfois les enfants, il le savait. De même que ses longs cheveux… Et peut-être aussi ses sourcils froncés.
Drew grimpa sur les genoux de Jayne pour l’embrasser. Elle referma les bras dans son dos, puis, la joue appuyée contre celle de l’enfant, tourna la tête.
— Drew, je te présente mon grand ami, Boone. Mais tu peux l’appeler oncle Booboo.
L’enfant se cacha la bouche d’une main et se mit à glousser.
— Je sais, soupira-t-elle. Drôle de nom, n’est-ce pas ?
Drew hocha la tête, et son regard se posa sans ciller sur son voisin. Jayne le serra contre son sein, tout en lui cares-sant le dos d’une main maternelle. A ce spectacle, une boule se forma dans la gorge de Boone. Un jour, songea-t-il avec émotion, elle aurait ses propres enfants, les tiendrait exactement de la même manière…
— Allons, intervint Marsh, il est l’heure d’aller se cou-cher, Drew. Tu as eu une longue journée.
— Et moi, demanda Boone avec un sourire, on ne m’embrasse pas ?
Drew secoua la tête, avant de descendre des genoux de Jayne, la mine sérieuse.
— Bonne nuit, oncle Booboo, dit-il avant de courir vers la porte en étouffant un nouveau gloussement.
— Même un enfant sait que Booboo est un surnom ridi-cule, maugréa-t-il.
— Je trouve cela très mignon, au contraire.
Il soupira, résistant à une irrésistible envie de la saisir par les épaules et de lui prodiguer le genre de baiser dont elle avait besoin. Impérieux et profond. Mais il devait aussi la remercier. Grâce à elle, les appréhensions de Drew dispa-raîtraient très vite. Qui pouvait avoir peur d’un homme qui autorisait les gens à l’appeler Booboo ?
Posant de côté son verre à peine entamé, Jayne se leva.
— Pour moi aussi la journée a été longue, soupira-t-elle. J’ai besoin d’aller me coucher.
Boone se leva à son tour, prêt à accompagner la jeune femme jusqu’à sa chambre.
— Je vous en prie, l’arrêta Marsh d’un ton cérémonieux. Restez donc encore un peu. Nous nous connaissons à peine, et j’aimerais que nous fassions plus ample connaissance. Rien que vous et moi.
Jayne s’éleva sur la pointe des pieds et offrit un baiser furtif au détective.
— Je suis dans l’aile nord, chuchota-t-elle, troisième porte sur la droite.
Marsh avait probablement entendu, mais quelle impor-tance ? Il s’imaginerait qu’elle lui indiquait l’emplacement de sa chambre pour des raisons tout autres que celles qu’elle avait probablement en tête.
Dès que Jayne eut disparu, le sourire du producteur s’effaça. Boone reprit sa place sur le canapé blanc.
— Alors, que faites-vous dans la vie ? demanda-t-il sans préambule. Je suppose que vous avez une profession.
Si, comme il le suspectait, Gurza possédait d’influentes relations, il lui fallait choisir ses mensonges avec la plus grande prudence.
— Je suis détective privé.
Marsh haussa les sourcils.
— Ici en Arizona ?
— Mon bureau se trouve à Birmingham en Alabama.
— Est-ce par ce biais que vous avez rencontré Jayne ? Je veux dire, dans le cadre de votre travail ?
— Non, répondit-il en inclinant légèrement la tête.
— Puis-je vous demander comment vous avez fait connaissance ?
— Juste comme ça, dit Boone en haussant les épaules.
Marsh ouvrit la bouche pour poursuivre, mais Boone lui brûla la politesse.
— Que désirez-vous savoir encore ? Si mes intentions sont honorables ? Je vais vous faire gagner du temps : ce ne sont pas vos oignons.
Le producteur se renversa dans son fauteuil, bouffi de suffisance dans son informe tenue beige et ses sandales.
— Vous ne me ferez pas avaler ça, répliqua-t-il.
Le cœur de Boone s’emballa.
— Avaler quoi ?
— Vous et elle… Ça ne colle pas. Je connais les gens. Certes, la chimie est là, mais en ce qui concerne les caractè-res et les motivations, vous formez un couple plutôt boi-teux. Qui êtes-vous ? Son garde du corps ? Travaillez-vous pour le sénateur ?
Boone esquissa un sourire.
— Non, je ne travaille pas pour le sénateur. Vous faut-il une preuve, avant que je rejoigne ma dulcinée dans son lit ? Vous voulez quelque chose de concret pour vous convain-cre que nous sommes un vrai couple ? Très bien. Elle a une tache de naissance sur le cul, de la forme de la Floride mais inversée. Est-ce que cela vous convient ?
Le visage de son interlocuteur se durcit.
— Intéressant… Mais difficile à vérifier.
— Demandez-lui si cette tache existe vraiment, dit-il d’un ton nonchalant. Oh, elle ne vous répondra pas. Mais elle se mettra immédiatement à rougir.
Redressant le buste, Marsh scruta le visage de Boone comme un entomologiste étudiant une fourmi. Apparem-ment, il n’était toujours pas convaincu.
— Qu’est-ce que vous lui trouvez ? demanda-t-il. Un homme comme vous, j’imagine que vous aimez les femmes un peu plus… terriennes ?
Le sourire de Boone se figea.
— Vous avez des yeux pour voir, n’est-ce pas ? Il ne lui manque rien. Jayne est belle, ouverte, chaleureuse. C’est une fille bien.
Lui ou Gurza pouvaient toujours chercher la petite bête mais c’était la vérité.
— En connaissez-vous beaucoup dans son genre ? reprit-il. Je veux parler des êtres droits et honnêtes. Jayne ne se comporte pas avec droiture parce que c’est ce que l’on attend d’elle. Elle le fait parce qu’elle est née ainsi. Pour ma part, j’en connais bien peu qui lui arrivent à la cheville.
Il serra les mâchoires. Jusqu’à présent, il n’avait rien dit qui ne fût vrai.
— Mais encore une fois, ajouta-t-il, le regard dur, mes sentiments pour elle ne vous regardent pas… Pourquoi toutes ces questions ? Auriez-vous des vues sur elle, par hasard ?
— Bien sûr que non !
— Cela vaudrait mieux. Elle est à moi. Que je vous sur-prenne à la regarder d’une façon qui me déplaise, et je vous botte les fesses avant de l’emmener loin d’ici.
Marsh se détendit soudain. Il avalait la couleuvre. Au moins pour le moment.
— Eh bien ! soupira-t-il. On prétend que les contraires s’attirent. Vous devez en être la preuve vivante.
Boone déplia son grand corps et se leva du canapé. Tout en souhaitant que, devant son impatience affichée de re-trouver Jayne, Marsh pensât qu’il obéissait à une raison des plus… terriennes.
*
* *
Dès qu’elle entendit les petits coups frappés sur la porte, Jayne l’ouvrit et tira Boone à l’intérieur de la chambre d’un geste brusque.
— Qu’allons-nous…
La saisissant par le poignet, il la plaqua contre son torse et l’embrassa. Elle connaissait ce baiser. C’était celui de la catégorie « tais-toi ».
Il écarta lentement son visage, puis, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle, lui intima le silence d’un index sur la bouche.
Laissant tomber son sac de marin, il referma la porte der-rière lui avant de parcourir la pièce du regard. Il cherchait quelque chose.
— Tu évolues dans un milieu intéressant, chérie…
Un genou posé au sol, il inspecta de la main le dessous d’une petite table placée près de la porte.
— C’est une drôle de maison, si tu veux mon avis.
— Oui, répondit-elle, saisissant immédiatement ce qu’il avait en tête.
Mais pourquoi Corbin Marsh aurait-il placé des micros dans les chambres de ses hôtes ? Et pourquoi prétendait-il qu’Andrew était son neveu ?
— Je suis heureuse que tu sois venu, ajouta-t-elle d’une voix tendre.
— Comme si tu pouvais me tenir éloigné longtemps de toi !
Il poursuivit sa fouille, tout en entretenant la conversa-tion. Jayne se triturait les pouces. Quel sujet innocent pou-vaient-ils aborder ? Ils n’allaient tout de même pas parler de la météo du lendemain !
— Je craignais que tu m’en veuilles, minauda-t-elle. Tu sais, après ce que je t’ai dit la dernière fois.
Boone lui lança une œillade ironique.
— Tu veux toujours que je me coupe les cheveux ? per-sifla-t-il.
S’accroupissant à côté du lit, il pencha la tête et examina longuement le sommier et les montants.
— Non.
Il se releva, s’approcha de la fenêtre, glissa un doigt au-tour du cadre.
— Ils me plaisent tels qu’ils sont, ajouta-t-elle. C’est une coiffure — si on peut appeler cela une coiffure — peut-être passée de mode, mais cela te va bien.
Il lui était impossible d’imaginer Boone la nuque déga-gée, en costume et soucieux des bonnes manières. Elle l’aimait tel qu’il était. Sauvage, impulsif… et noble.
Il ne laissa rien au hasard, explorant le dessous de cha-que meuble, la moindre fissure.
— J’ai vu que tu as laissé à l’hôtel le T-shirt que je t’avais acheté… Essayais-tu de me dire quelque chose en l’abandonnant ainsi derrière toi ?
Elle soupira. Elle l’avait porté pour dormir afin de garder son odeur près d’elle, alors qu’elle disposait de sa propre chemise de nuit. Persuadée le lendemain matin que plus jamais elle ne le reverrait, elle avait alors jugé stupide, inutile et douloureux de conserver le moindre souvenir de lui, une fois partie de l’hôtel.
— Je devais être un peu en colère, reconnut-elle.
— Je l’ai apporté avec moi, déclara-t-il, le dos tourné.
— Cela me fait plaisir.
Malgré sa fouille minutieuse, il n’avait toujours rien trouvé.
— Je ne parviens pas à croire que tu m’aies appelé Boo-boo devant des étrangers, reprit-il en secouant lentement la tête. Je t’avais pourtant prévenue de ce qui t’attendait si tu m’affublais une nouvelle fois de ce surnom ridicule.
— Des représailles…
— Exactement.
Il se coucha sur le sol pour scruter le dessous de la table de chevet, puis se redressa soudain en hochant la tête. Tournant les yeux vers Jayne, il tapota son oreille de l’index. Ils étaient écoutés.
— Drew avait peur de toi, répondit-elle. Si tu lui avais souri au lieu de lui faire les gros yeux, je n’aurais pas eu à utiliser ce recours.
— Je n’ai pas fait les gros yeux.
Il se releva et s’approcha d’elle. Saisissant son visage entre ses deux mains, il plongea son regard dans le sien, la mine consternée.
— Tu me rends dingue, chuchota-t-il. Pourquoi ne m’as-tu pas contacté pour me dire où tu te rendais, avant de quit-ter Flagstaff ?
— J’avais besoin de prendre le large.
C’était la vérité, et peu importaient les oreilles indiscrè-tes.
— Viens, dit-il en l’attrapant par la main. J’ai grand be-soin d’une douche.
Saisissant son sac au passage, il l’emmena vers la salle de bains.
— Il n’y a pas de douche, annonça-t-elle. Juste une bai-gnoire à remous.
— Parfait.
Sitôt qu’ils furent dans la petite pièce, la porte refermée derrière eux, il examina rapidement les emplacements éven-tuels de micros, sans en trouver un seul. S’asseyant ensuite sur le rebord de la baignoire, il tourna le robinet, puis fit asseoir Jayne à côté de lui.
— Tu aurais dû partir d’ici au moment où je te le disais, chuchota-t-il, la bouche contre son oreille.
— Je ne le pouvais pas, répondit-elle sur le même ton.
Ne comprenait-il pas qu’il lui était impossible d’abandonner l’enfant ? En outre, un départ précipité eut éveillé les soupçons de Marsh, qui aurait très bien pu alors décider d’emmener Drew ailleurs, anéantissant ainsi tous leurs espoirs.
— Et toi, répliqua-t-elle, pourquoi t’afficher avec cette arme bien en évidence à ta ceinture ?
— Ils l’auraient découverte, de toute façon. Et vu l’identité sous laquelle je me suis présenté, j’ai jugé plus indiqué de ne pas chercher à la dissimuler…
Il la regarda avec intensité, avant de lâcher un long soupir.
— Je ne parviens toujours pas à croire que tu ne sois pas partie quand je te le demandais.
— Boone…
— Nous en reparlerons plus tard, coupa-t-il. Lorsque nous aurons quitté cette maison.
La baignoire était à présent presque pleine. Il enclencha le système de remous, accentuant ainsi les gargouillis qui résonnaient dans la pièce.
— Où est la chambre du petit ?
— Dans l’aile sud, je crois.
— Tu n’en sais pas plus ?
— Désolée. Je n’ai jamais mis les pieds dans cette partie de la maison. Mais j’ai cru comprendre que Marsh y avait son bureau et ses appartements. J’en ai déduit que la cham-bre de l’enfant s’y trouvait également.
— Nous vérifierons cela demain.
Jayne sentit son cœur flancher.
— Combien de temps tout cela prendra-t-il ?
— Deux jours, peut-être, murmura-t-il. Tu comprendras qu’il ne m’était pas possible de débarquer ici en force et d’en ressortir à coups de revolver. Pas avec toi et l’enfant entre mes jambes.
Elle s’appuya d’une main sur son épaule.
— Parce que je suis encore entre tes jambes, n’est-ce pas ?
Il hésita un instant, puis glissa un bras tendre, possessif, autour de sa taille.
— Oui. Mais sans ta découverte, je serais toujours au point mort. Merci.
Ses maxillaires étaient crispés, et les veines apparais-saient sur les muscles tendus de son cou.
— Je me suis fait du mauvais sang en ne te trouvant pas à l’hôtel. Que t’est-il passé par la tête ? Partir ainsi sans en avertir personne !
— J’en ai parlé à Pamela.
— C’est à Dean que tu aurais dû en parler. Ou à ton père, ou… à moi.
— Je sais. Mais tout s’est passé si vite. J’avais juste be-soin d’un peu de temps pour réfléchir.
Ils s’étaient déjà fait leurs adieux à ce moment-là, et elle était loin d’imaginer qu’il voulait être tenu informé de ses mouvements. En outre, jamais elle ne se serait attendue à trouver Drew Patterson ici.
— Tu n’as pas à t’inquiéter à mon sujet.
— M’inquiéter à ton sujet est devenu une habitude.
Tandis que les remous prodiguaient leur bruyant clapotis, Jayne s’interrogea. Son inquiétude semblait le plonger dans un abîme de perplexité. Tenait-il plus à elle qu’il ne voulait l’admettre ?
Il était grand temps de changer de sujet.
— Pour un homme qui s’est fait une spécialité de retrou-ver les enfants disparus, dit-elle en souriant, tu n’es pas très adroit avec eux. Tu l’as vraiment regardé d’un œil méchant.
— C’est faux, protesta-t-il sans conviction.
— Hm-hm ! Un petit peu quand même.
Boone se rapprocha d’elle, si près qu’elle sentit son souffle sur son cou.
— Ceux que je recherche sont généralement plus âgés, confia-t-il à voix basse. Des fugueurs, dans la plupart des cas.
Jayne frotta le nez contre son cou. Il s’écarta, ferma les robinets, puis secoua la tête, l’index sur les lèvres.
— Prendras-tu un bain avec moi, chérie ? demanda-t-il, accompagnant sa proposition d’un clin d’œil.
— Je… je ne préfère pas.
Voyant qu’il se relevait et ôtait son T-shirt, Jayne dé-tourna les yeux. Il était ici en mission. Ensuite les murs avaient des oreilles. Enfin, il ne lui avait jamais promis qu’une seule nuit.
— Je vais me changer pour me mettre au lit, annonça-t-elle en se relevant à son tour.
A peine eut-elle fait un pas que Boone glissait les bras autour de sa taille et l’attirait à lui d’un geste brusque.
— Tu es incroyable, murmura-t-il, presque dans un sou-pir. N’oublie pas qu’il nous écoute. Sois prudente.
En quittant la salle de bains, Boone trouva Jayne assise sur le lit, vêtue d’une sage chemise de nuit en coton blanc, très collet monté… et paradoxalement sexy en diable. La fille du sénateur Barrington ne pouvait cacher l’intense séduction qui émanait d’elle, même sous les vêtements les moins attirants.
Mais lorsque ses grands yeux verts se posèrent sur lui, il y lut une peur qui lui rappelait que le monde où elle vivait en ce moment n’était pas le sien.
Et en plus elle ignorait tout de la terrible menace qu’avait laissée Darryl derrière lui : le couteau planté dans sa combinaison de soie. Il décida de ne pas lui en parler, du moins pas avant qu’ils n’aient quitté cette maison. Elle avait suffisamment de sujets de préoccupation, et sa vie était toujours en péril.
Leur vie était en péril.
Pour ménager la pudeur de Jayne, Boone avait enfilé un caleçon bleu marine.
— Tu es nu, observa-t-elle.
— Non, je ne le suis pas. Pas vraiment.
Passant la langue sur la lèvre inférieure, elle inclina légè-rement la tête.
— Ta chambre est de l’autre côté du couloir.
Boone prit place sur le bord du lit. Je ne te laisserai pas seule ici, prononça-t-il silencieusement. Elle acquiesça d’un hochement du menton.
— Je préférerais rester avec toi, dit-il à l’intention du micro dissimulé sous la table de nuit.
— D’accord, répondit-elle en l’invitant à le rejoindre dans le lit. Mais je te préviens, j’ai la migraine.
Il haussa les sourcils, tout en se faufilant entre les draps.
— La migraine ?
— Oui. Tu peux me… tenir dans tes bras, si tu veux.
Il crut d’abord à une manœuvre de diversion, mais au moment où il s’allongea, elle posa doucement sa tête sur son épaule avant de chuchoter :
— Je ne peux pas faire semblant. Pas maintenant…
Fort bien. Du reste, lui-même se trouvait être dans la même disposition d’esprit.
Quand donc les choses étaient-elles devenues compli-quées ? La réponse était claire : dès le moment où il avait pris Jayne en chasse dans la nuit, déterminé à assurer sa sécurité.
Dès qu’il aurait libéré l’enfant et l’aurait rendu à ses grands-parents, alors, et seulement alors il s’attacherait à résoudre le problème Jayne Barrington.
Le problème… Pourquoi lui coûtait-il autant d’appeler les choses par leur nom ? Qu’il le voulût ou non, ils étaient liés par une relation sentimentale.
Non. Le temps lui manquait pour une idylle. Les femmes venaient et disparaissaient, mais son travail était sa vie. Il n’y existait aucune place pour une femme qui exigerait à la fois attention et engagement. Jusqu’à ce que ce cauchemar prît fin, il ne dévierait pas du chemin qu’il s’était tracé.
— Boone ?
Jayne était lovée contre lui.
— Qu’allons-nous faire ? Je veux dire, quand nous se-rons sortis d’ici.
Elle avait parlé à voix basse. Marsh — ou Gurza, si c’était lui qui les épiait — entendait peut-être ses paroles. Tout dépendait de la sensibilité du micro.
— Je ne sais pas, répondit-il. Puis, après une courte hési-tation : Ce que je sais, en revanche, c’est qu’il est hors de question que les choses s’arrêtent ici.
— Bien, minauda-t-elle en se tortillant.
Etait-elle sérieuse, ou donnait-elle libre cours à ses ta-lents d’actrice ?
— Ton père va me détester, dit-il.
— J’en doute, gloussa-t-elle.
— Les pères me détestent toujours, objecta-t-il en ho-chant la tête. Surtout ceux qui sont dans le genre du tien.
— Le mien est un homme bon et compréhensif. Il t’adorera. Tout simplement parce que moi je t’adore.
L’estomac de Boone se serra. Parfait. Au moins maintenant savait-il qu’elle jouait la comédie à l’intention de leur auditeur.
— J’aimerais pouvoir y croire.
Elle ajusta sa position sous le drap, se pelotonnant davan-tage encore contre lui.
— Je suis bien ici, murmura-t-elle très bas. Je me sens en sécurité.
— Tu ne devrais pas, répondit-il sur le même ton.
Chapitre 13 :
Jayne se réveilla d’un profond sommeil, le nez sur le torse nu de Boone, un bras lui enveloppant le flanc et une jambe prise entre les siennes. Pendant un long moment, elle ne bougea pas d’un millimètre. Hmm, c’était si bon… Chaud, confortable, bien meilleur qu’elle ne l’eût imaginé.
Elle avait toujours su, bien sûr, qu’il existait d’autres spécimens de son espèce. Il était grand, fort, solide, les muscles bien dessinés et le corps dépourvu du moindre atome de graisse. Le regarder était un réel plaisir. Si elle s’était plu à penser que ce type de mâle entrait dans la caté-gorie « tout dans les muscles, rien dans la tête », ce n’était assurément pas son cas. Ses neurones fonctionnaient à mer-veille, de même que son cœur.
Sa fascination pour lui tenait-elle à ce qu’il était diffé-rent des hommes qu’elle avait connus ? Vivre aux côtés de son père lui avait fait rencontrer des avocats, des politiciens et des financiers. Des hommes certes intelligents, mais trop souvent ambitieux et calculateurs. Boone, quant à lui, se comportait avec une honnêteté qui leur faisait fâcheusement défaut.
Un mois plus tôt, elle se serait empressée de fuir la mai-son de Corbin Marsh en découvrant qu’il s’y passait quel-que chose de louche. Son père lui avait enseigné la pru-dence, et de songer d’abord à elle-même. Mais Boone, qui avait mis sa vie en jeu pour elle, lui avait ouvert les yeux. La fuite n’était pas toujours la meilleure solution. Il avait instillé en elle la volonté de risquer sa vie pour ce à quoi elle tenait. Ou celui à qui elle tenait.
Avec précaution, elle s’écarta enfin de lui. Ses dernières nuits avaient été courtes, et elle ne désirait pas l’arracher à un sommeil réparateur.
Veillant à ne pas faire de bruit, Jayne réunit des vête-ments propres et se dirigea vers la salle de bains. Après avoir refermé la porte, elle se pencha sur le rebord de la baignoire, ouvrit les robinets et laissa l’eau chaude lui cou-ler sur les doigts.
Reverrait-elle Boone lorsqu’ils seraient sortis d’ici ? A l’idée d’une réponse négative, son cœur se serra. Qu’elle dormît mieux auprès de lui était aussi insensé que l’était le sentiment de sécurité qu’elle ressentait en sa présence. Absurde, également, le fait qu’elle aimât ses cheveux longs, sa mine renfrognée, son blouson de cuir et… son caractère bourru. Quant aux sentiments qu’elle lui vouait — et qu’elle n’avait jamais éprouvés pour quiconque auparavant — ils la laissaient tout aussi rêveuse.
Considéré objectivement, Boone n’était pas son type. Mais il possédait en lui-même plus que les apparences ne le laissaient supposer. Oui, il était imposant, souvent grossier, comme peuvent l’être les mauvais garçons. Mais s’arrêter à cela, c’était ignorer l’essentiel : il avait grand cœur, ainsi qu’un sens aigu de la justice. Il était vrai, honnête et… elle adorait la manière dont il l’embrassait.
Elle-même avait rejeté la compagnie des hommes après ses désastreuses fiançailles avec Dustin. Et jusque récem-ment, jamais elle n’avait réalisé à quel point sa position était radicale : la recherche de la perfection, rien que cela ! Boone n’était pas parfait. Personne ne l’était. Il lui arrivait cependant de penser que néanmoins il était parfait pour elle.
Restait au moins un point dont elle était sûre : Boone ne s’intéressait pas à elle parce qu’elle était la fille du sénateur Barrington. Non, l’univers dans lequel ce dernier évoluait lui répugnait au plus haut point. S’il la voulait, c’était pour la femme qu’elle était.
Mais la voulait-il ?
A peine sortie du bain, Jayne se sécha et s’habilla d’une robe en coton bleu, parfaite pour cette journée. Elle se bros-sa les cheveux, s’appliqua un peu de rouge à lèvres et glissa les pieds dans une paire de sandales blanches.
Les enfants, elle ne l’ignorait pas, se réveillaient tôt. Peut-être pourrait-elle surprendre Drew et sa nurse pendant leur petit déjeuner et obtenir du petit garçon qu’il lui mon-trât sa chambre. N’était-il pas naturel et compréhensible pour une jeune femme d’afficher de la curiosité à l’égard d’un tout petit ?
Sa décision prise, elle quitta la pièce aussi discrètement qu’elle était sortie du lit.
Il luttait contre le vent, la moto fonçant à vive allure sur la route sinueuse. Il était chez lui. Il le savait, à cause des arbres et des kudzus qui défilaient de chaque côté, typiques de l’Alabama. Un parfum familier emplissait l’air, propre, piquant et humide. Pendant un moment, le rêve fut agréa-ble.
— Vous allez encore tout faire foirer ! dit une voix der-rière lui.
Boone fit un écart. La machine frôla la sortie de route, mais il la rétablit aussitôt. Jetant un œil par-dessus son épaule, il reconnut Patrick à cheval sur la selle, avec ses cheveux carotte et ses taches de rousseur.
— Accroche-toi à moi ! ordonna Boone.
— Non ! lança Patrick d’un ton de défi.
Le gosse refusait de se tenir à Boone ainsi qu’il l’aurait dû. Il pavoisait en équilibre précaire sur le bout de la selle, impudent et téméraire. Bon sang ! Il allait tomber !
— Cette fois, vous avez semé une belle pagaille, dit Pa-trick en secouant lentement la tête. Quand donc appren-drez-vous ?
— Tout va bien, assura Boone, j’ai la situation bien en main.
Il tenta de ramener la moto sur le bon côté de la route, mais la machine refusait de coopérer.
Patrick éclata de rire.
— Vous le croyez vraiment ?
Boone ignora le sarcasme et garda les yeux rivés sur la chaussée, tandis qu’apparaissait devant lui un virage en épingle. La vitesse s’accrut, les arbres et les kudzus se fondirent en une sorte de gelée verte, puis la moto quitta la route et s’envola…
Roulant sur lui-même, il ouvrit les yeux et tendit la main vers Jayne. Le lit était vide. Il se redressa d’un bond, profé-ra un juron, puis se souvint du micro sous la table de nuit. Avait-il parlé dans son sommeil ?
Son cauchemar, bribes déplaisantes de son passé, demeu-rait bien vivace dans son esprit. Etait-ce la raison pour laquelle il éprouvait cette sensation de panique ? Ou était-ce l’absence de Jayne ?
— Jayne ?
Il se glissa hors du lit et se dirigea vers la salle de bains. La porte était ouverte. Pas de Jayne.
En quelques secondes il fut habillé. Bon Dieu ! Quelle mouche l’avait donc piquée de s’aventurer seule dans la maison ? Marsh était d’une façon ou d’une autre en cheville avec Gurza, et ils devaient être très prudents.
Boone se dirigea vers le corps central du bâtiment, où étaient situés le séjour, la salle à manger, la cuisine et la bibliothèque. S’y trouvaient également deux autres pièces, à première vue peu utilisées. Il tendit l’oreille. Pas un bruit. Ce silence ne lui disait rien de bon.
Un son ténu lui parvint enfin. Un rire d’enfant. Alors qu’il se dirigeait vers l’aile sud, le rire résonna de nouveau, plus lointain cette fois. Pivotant sur lui-même, il regagna le centre de la maison, pour entendre un deuxième rire se superposer au premier. Celui de Jayne. Sans hésiter, il s’avança dans la direction d’où provenaient les bruits.
Il les trouva dans le jardin, Jayne assise sur la terrasse auprès de Drew, au milieu de petites voitures et de rampes fabriquées à l’aide d’objets disparates. Pendant quelques secondes, il se *******a de les regarder, laissant son cœur retrouver un rythme normal.
Qu’une femme pût être aussi belle était presque inconce-vable, songea-t-il, l’épaule appuyée sur le chambranle de la porte. La ligne délicate du visage, la peau nette et lumi-neuse, l’or blond de ses cheveux… Mais sa véritable beauté résidait ailleurs. Dans le rayonnement de son sourire, déci-da-t-il. Non. Ce rayonnement émanait du plus profond d’elle-même, de la chaleur qui se trouvait sans doute dans son âme.
Il lui suffisait de les emporter tous deux dans ses bras, et de les emmener hors de la maison. Son pick-up était garé devant l’entrée, et s’il agissait avec rapidité… Il examina les lieux. La nurse était assise à une table non loin de là, mais elle ne représentait pas un problème. Harvey, en re-vanche, se tenait discrètement à quatre ou cinq mètres de Jayne et de l’enfant. Tout en sirotant un café, il jetait de temps à autre un regard de leur côté. Qui surveillait-il ? Jayne ou Andrew ?
La veille, tandis que le domestique transportait son sac de marin, Boone avait remarqué que l’un de ses bras restait légèrement écarté du corps, signe qu’il portait un holster. De toute évidence, l’aversion de Marsh pour les armes à feu tolérait quelques exceptions…
Jayne se rendit soudain compte de sa présence. Elle leva la tête et son sourire s’élargit.
Rien que pour lui.
Du doigt, elle lui fit signe d’approcher.
— Nous avons commencé une course de stock-cars, an-nonça-t-elle.
Drew leva son visage aux joues rebondies et dévisagea le détective de ses magnifiques yeux marron.
— Tu veux jouer ?
Boone s’accroupit au sol et accepta le modèle réduit que lui tendait l’enfant.
— Pourquoi pas ?
— Si j’ai bien compris, dit Jayne, le but du jeu est de démolir autant de voitures que possible.
— Oui ! s’écria Drew avec un sourire réjoui.
— Quand j’étais petit, répondit Boone, je faisais des par-ties avec mes frères.
— Moi, je n’ai pas de frères, répondit l’enfant, la moue dépitée. Mais quelquefois oncle Corbin ou M. Harvey jouent avec moi.
— C’est très bien, observa Jayne d’une voix tendre.
Boone tressaillit aussitôt à l’idée que le gosse côtoyait un gangster armé comme Harvey.
Drew se pencha vers lui avec une mine de comploteur, et chuchota :
— Mlle Jayne joue comme une fille.
— Je sais, murmura-t-il.
Pendant plusieurs minutes, les véhicules se percutèrent joyeusement, sous les éclats de rires du petit garçon. Bien-tôt lassé des carambolages, il entreprit de faire emprunter à son véhicule les rampes et toboggans constitués de blocs de plastiques, de boîtes diverses et de vieux livres.
Boone approcha son visage de celui de Jayne.
— Ne refais jamais cela, lui chuchota-t-il à l’oreille.
— De quoi parles-tu ? s’étonna-t-elle.
— De disparaître ainsi sans me dire où tu vas.
— Tu dormais si bien. Je ne voulais pas te réveiller. Oh, très bien, soupira-t-elle devant son regard accusateur. Pour l’amour du ciel, ne te fais donc pas tant de bile à mon su-jet !
Il se pencha pour l’embrasser, conscient du fait qu’ils étaient observés. Le baiser fut tendre et léger, ainsi qu’il convenait pour bien commencer une journée.
— Beurk ! s’écria Drew. Ils s’embrassent !
Boone s’écarta de Jayne en souriant.
— Il n’y a rien de mal à cela, mon petit. Attends seule-ment d’être un peu plus âgé.
Ils jouèrent encore quelque temps. A l’image de la nurse, Harvey demeurait immobile dans son coin. Boone s’interrogea. Comment parviendrait-il à sortir de là Jayne et Drew sans prendre de risques ? Dean attendait son signal, et tôt ou tard le groupe formé par ce dernier, Clint, Del et Shock investiraient la place, par la force si nécessaire.
Les libérer rapidement et en douceur était de loin la meilleure option.
Voyant la nurse se lever brusquement, il comprit que Marsh venait de faire son apparition. Harvey était resté assis, mais sa position avait imperceptiblement changé.
— Eh bien, tout le monde s’est levé tôt aujourd’hui, lan-ça le producteur en pénétrant dans le jardin.
L’agacement contenu de ses paroles démentait la chaleur de son sourire.
— Lacey, dit-il à la jeune fille. Drew ne devait-il pas ap-prendre son alphabet ce matin ?
— Oui, monsieur. Allons, Drew. La récréation est termi-née.
— Nous nous amusions si bien, protesta Jayne.
Saisissant la main de l’enfant, elle l’aida à se relever.
— Est-ce que je peux montrer ma chambre à Mlle Jayne ? demanda ce dernier, tandis que Boone se re-dressait lentement.
— Nous verrons cela après le déjeuner, répondit Marsh d’une voix crispée.
— D’accord, soupira Drew en libérant sa main. A tout à l’heure, mademoiselle Jayne.
Il se tourna vers Boone.
— A tout à l’heure, oncle Booboo.
Celui-ci soupira, avant de croiser le regard de Jayne.
— Pourquoi ai-je donc l’impression que ce surnom va me coller à la peau ?
Elle lui répondit d’un sourire.
Corbin Marsh s’avança vers eux. Son sourire n’avait pas disparu, mais les traits de son visage étaient tendus. Il sem-blait mal à l’aise.
— Vous voir jouer ainsi avec mon neveu est un spectacle charmant, déclara-t-il. Je suis sûr que vous ferez plus tard une mère merveilleuse.
Le rouge monta au front de la jeune femme.
— J’adore les enfants, répondit-elle. Un jour, peut-être, en effet…
— Et vous ? poursuivit-il, s’adressant au détective. Ai-mez-vous les enfants ?
— Pas spécialement.
Jayne le frappa gentiment sur le bras.
— Boone !
— Drew est un gosse attachant, concéda-t-il. Mais d’une manière générale, ils sont plutôt assommants.
— Tu es assommant ! s’insurgea-t-elle. Mais cela ne t’empêche pas d’être un homme adorable !
Ses joues étaient à présent cramoisies.
Marsh se tourna vers Benita, qui attendait les ordres de-vant la porte :
— Apportez-nous le petit déjeuner sur la terrasse, vou-lez-vous ?
Jayne suivit Drew et sa nurse des yeux, tandis qu’ils dis-paraissaient dans la maison. Boone observa Harvey. L’homme de main ne fit aucun mouvement pour les suivre. Un frisson lui parcourut le dos. Il n’était pas là pour Drew, mais pour surveiller Jayne.
L’hospitalité du producteur était déjà nettement moins chaleureuse, constata Jayne. Ils avaient passé la majeure partie de la matinée à parler politique. Certes, l’homme se montrait intéressé par le sujet, trop, peut-être, mais son en-train de la veille était retombé. Sans la présence de Drew, elle serait retournée à Flagstaff dans l’après-midi sans de-mander son reste.
Au lieu de quoi, elle se laissait guider par l’enfant jus-qu’à sa chambre, la main dans la main, suivie de Lacey. Après le déjeuner, Marsh avait cédé à la demande de son « neveu ». Boone s’était levé pour les accompagner, mais leur hôte l’avait aussitôt retenu en le bombardant de ques-tions sur l’Alabama, au vague motif d’y envisager des par-ties de chasse.
Tout en longeant le couloir, Jayne se demanda si Lacey poserait problème lorsque le temps serait venu d’emmener Drew hors de la maison. La nurse était une personne effa-cée et peu souriante, mais peut-être se montrait-elle diffé-rente en la seule présence du petit garçon. C’était à espérer, car Drew avait besoin d’une personne heureuse pour veiller sur lui.
— C’est ici, dit-il, avant d’ouvrir la porte de la chambre et de la tirer par la main.
Jayne pénétra dans une pièce agréablement décorée et pleine de jouets, équipée d’un petit bureau d’écolier et d’un ensemble magnétoscope-téléviseur.
— Ma salle de jeux, annonça-t-il. Mlle Lacey m’y ap-prend l’alphabet, mais on y joue la plupart du temps. J’irai peut-être dans une vraie école l’année prochaine.
— Oui, j’espère… soupira Jayne.
L’enfant l’emmena jusqu’à une autre porte, qui s’ouvrit sur une pièce simple mais très jolie, décorée avec sobriété dans des tons blanc et jaune.
— La chambre de Mlle Lacey, dit-il tout en poursuivant son chemin vers une troisième porte.
Sa propre chambre à coucher était la sœur jumelle de la salle de jeux, rutilante de couleurs primaires : rouge, jaune et bleu. Le rêve de n’importe quel enfant, si l’on oubliait les barreaux scellés aux fenêtres.
Jayne fit une rapide inspection de la pièce.
— Quelle jolie chambre ! s’exclama-t-elle.
Une deuxième porte s’ouvrait sur la salle de bains. Comment diable allaient-ils se débrouiller pour sortir Drew d’ici ?
Lâchant enfin sa main, le petit garçon repartit en courant vers sa salle de jeux. Jayne le suivit d’un pas tranquille, Lacey à ses côtés.
— Cet enfant est gâté, dit-elle en souriant. Etes-vous ici depuis longtemps ?
— Quelques mois seulement, répondit la jeune fille d’une voix éteinte.
— Le travail vous plaît ?
— Bien sûr.
En dépit de cette affirmation, le voile qui troublait son regard n’échappa pas à Jayne.
Si des micros avaient été placés dans les chambres d’hôtes, toute la maison devait en être truffée. Et plus parti-culièrement cette aile occupée par Marsh et Drew. Péné-trant dans la salle où l’enfant avait commencé à ériger un bâtiment en cubes de couleurs vives, elle l’examina d’un regard circulaire. Une caméra de sécurité était placée bien en évidence dans un angle du plafond.
Lacey montrait des signes de nervosité de plus en plus manifestes. Jayne ne put s’empêcher de s’interroger sur le malaise qu’elle ressentait chez la nurse.
— Drew semble disposer de tous les jouets qu’on puisse imaginer, observa-t-elle.
— M. Marsh veille à ce que tous ses désirs soient com-blés, dans les limites, bien sûr, des besoins de son âge.
Décidément, l’enfant était bel et bien gâté.
— Cette demeure est un très bel endroit pour travailler, reprit-elle. Mais elle est un peu éloignée de tout, non ? Faire du shopping, aller au cinéma… Tout cela ne vous manque-t-il pas ?
— Pas vraiment, répondit Lacey de la même voix faible. M. Marsh m’a tellement… aidée. Et il me procure tout ce dont je peux avoir besoin, je n’ai qu’à demander.
— Il vous a aidée ?
La jeune fille hocha la tête.
— Je me suis enfuie de chez moi à 17 ans. J’ai ensuite longtemps vécu dans la rue. M. Marsh m’a recueillie et je n’ai plus eu à me battre pour survivre…
— Quel âge avez-vous aujourd’hui ?
— Dix-neuf ans.
— Vous devriez suivre des études…
— Je suis heureuse ici.
Jayne riva son regard dans les pâles yeux bleus de la jeune nurse. Elle mentait, c’était évident.
— Est-ce que vous et… Corbin avez une liaison ?
Lacey blêmit.
— Euh, non.
Jayne était persuadée que la réponse n’était pas totale-ment sincère, mais elle connaissait trop peu son interlocu-trice pour se permettre d’insister.
— C’est l’heure de la sieste de Drew, annonça précipi-tamment Lacey en la poussant vers la porte. S’il ne dort pas, il se montrera grincheux toute la soirée.
— Je comprends.
A peine eut-elle mis le pied dans le couloir que la nurse lui referma quasiment la porte au nez. Elle prit une pro-fonde inspiration. Du coin de l’œil, elle perçut un léger mouvement à l’extrémité opposée du couloir. D’un geste décontracté, Harvey faisait mine d’épousseter la manche de sa veste.
Jayne se dirigea vers le corps central de la résidence, cer-taine qu’il la suivrait. Elle ne se retourna pas, et il ne fit pas un bruit, mais elle savait qu’il était sur ses pas. Un frisson glacé courut le long de sa moelle épinière.
Alors qu’elle s’apprêtait à regagner sa chambre, espérant y trouver Boone, celui-ci apparut soudain à la porte de la bibliothèque. Il lui saisit le bras.
— Ah, te voilà, chérie, dit-il en souriant. Est-ce que je t’ai manqué ?
— Pendant les quinze dernières minutes ?
— Toi, tu m’as manqué.
Il l’emmena le long du couloir vide jusqu’aux portes vi-trées donnant sur le jardin, puis, sans lui lâcher le bras, s’avança vers la fontaine. Le gargouillis de l’eau apportait une note bucolique à l’endroit. Prenant place sur la mar-gelle, il la fit asseoir sur ses genoux et lança ses bras autour de son cou.
— Je ne pense pas que l’on puisse nous entendre ici, dit-il à voix basse, le nez dans son cou. Alors, qu’as-tu trouvé ?
Jayne pivota pour lui faire face et appuya la tête sur son épaule.
— C’est impossible. Il faut traverser une autre pièce équipée d’au moins une caméra de sécurité, puis la chambre de Lacey pour accéder à celle de Drew. Et sa fenêtre est équipée de barreaux.
Boone jura à mi-voix.
— Est-il possible que Marsh ignore que le petit ait été kidnappé ? reprit-elle. Que Gurza lui ait raconté une his-toire mélodramatique en lui demandant de le garder ? Drew est bien traité, et notre hôte lui semble très attaché.
— Pourquoi dans ce cas l’aurait-il fait passer pour son neveu ?
— Je ne sais pas…
Plaquant les mains sur les joues de Boone, elle déposa un baiser sur ses lèvres.
— Je pense que nous devrions emmener Lacey avec nous.
— La nurse ?
— C’est une fugueuse. Elle se prétend heureuse ici, mais je n’en crois pas un mot.
— Sait-on jamais, peut-être joue-t-elle un rôle aussi im-portant que Marsh dans le dispositif.
— Peut-être. Mais si tu te trompes, et que Marsh est aus-si vicieux que tu sembles le croire, alors il risque de passer sa rage sur elle quand nous lui aurons enlevé Drew.
Boone ouvrit la bouche, hésita un instant, puis murmura, en la regardant avec un petit sourire :
— Crotte !
Jayne l’embrassa de nouveau, s’attardant un peu plus sur ses lèvres.
— Et maintenant ? s’enquit-elle.
— Je ne sais pas. Nous avons un problème.
— Quel genre de problème ? Nous en avons tellement !
— Mon téléphone portable ne fonctionne pas dans cette zone, et les feux d’artifice que j’avais placés dans le fond de mon sac ont disparu, de même que le pistolet que je gardais en réserve. Je soupçonne Harvey de les avoir enle-vés en transportant mon sac à mon arrivée. Il nous surveille, soit dit en passant. Cela nous prive de deux des trois maniè-res que j’avais d’entrer en contact avec Dean pour lui signa-ler que nous avons besoin de son aide.
Il resserra les bras sur elle en soupirant.
— Et hier soir, j’avais garé mon pick-up dans l’allée de-vant la maison. J’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre pen-dant que tu étais occupée avec Lacey et Drew. Il n’y est plus.
Elle appuya la tête sur son épaule.
— Le pick-up, c’était le troisième moyen ?
— Tout juste, répondit-il en lui caressant le dos. Tu au-rais dû t’en aller quand tu en avais encore l’occasion. A présent, tout se complique.
Jayne sourit et frotta son nez contre le sien.
— Eh bien, pour une fois dans ma vie, d’être la fille d’un sénateur pourrait se révéler utile. Papa sait où je suis, et Marsh est parfaitement au courant. Ils se sont même parlé au téléphone. Je suis en sécurité ici. Il n’osera rien tenter.
— Alors tu dois partir maintenant. Nous feignons de nous disputer, tu demandes à Harvey de te reconduire à Flagstaff…
— Non, objecta-t-elle avant de lui prodiguer un baiser furtif. Je ne quitterai pas cette maison sans Drew ni toi… et Lacey. En outre, si je m’en vais, il est peu probable que Marsh te demande de rester.
— Si je comprends bien, tu as décidé de sauver le monde à toi toute seule.
Boone effleurait ses lèvres des siennes, mais le ton de sa voix trahissait sa colère.
— Pas toute seule, murmura-t-elle. Et trois personnes, ce n’est pas le monde entier.
— Arrête, soupira-t-il avec irritation, tout en glissant les doigts sur sa nuque.
— Je n’y peux rien. Je ne m’imagine pas sortir d’ici en laissant derrière moi…
— Pas question, coupa-t-il sèchement. Nous sommes sous constante surveillance. Marsh m’a ôté mon revolver, Harvey te file comme un limier, et il est armé. Quant au moyen de quitter cet endroit, je n’en ai encore aucune idée…
« Mais c’est peut-être parce qu’à la minute présente, je réfléchis avec la partie de mon corps que je préfère.
— Je sais, minauda-t-elle, le sourire aguicheur.
Elle approcha la bouche de son oreille. Les longs che-veux de Boone lui caressaient la joue.
— Lorsque nous serons sortis d’ici, reprit-elle, il faudra que tu fasses un détour par le Mississippi. Hooker Bend n’est pas si éloigné de Birmingham.
— Hooker Bend ?
— Du nom du fondateur de la ville, expliqua-t-elle. Pourquoi ne pas venir déjeuner un dimanche, par exemple ? Rencontrer mon père, ma mère, ma grand-mère… Tu pour-rais même rester quelques jours.
— Avec papa ? demanda-t-il, le regard suspicieux.
Jayne écarta la tête pour mieux voir ses yeux.
— Avec moi.
Boone ne répondit pas. Au moment où elle ouvrait la bouche pour poursuivre, Marsh apparut dans le jardin.
— Ah, vous voilà ! lança-t-il d’un ton cordial. Je suis impardonnable de laisser ainsi mes invités livrés à eux-mêmes. Mais je me réjouis de constater que vous n’avez besoin de personne pour profiter de votre séjour !
Les bras noués autour du cou de Boone, Jayne se retour-na, le sourire aux lèvres. Le producteur ne donnait absolu-ment pas l’image d’un homme acoquiné avec des criminels.
Mais Boone non plus n’avait pas l’air d’un ange. Et pourtant…
Chapitre 14 :
Jayne avait tenu à regagner sa chambre pour se changer avant le dîner. Boone s’en était étonné : sa robe bleue était ravissante, et lui seyait à merveille. En outre, il lui déplai-sait de la perdre des yeux plus longtemps qu’il n’était né-cessaire.
Lui-même et Marsh n’avaient pas grand-chose en com-mun, et fort peu de sujets de conversation en l’absence de Jayne. Sauf, bien sûr, l’adorable fille du sénateur. L’après-midi, alors que le producteur s’était entretenu avec Boone des possibles zones de chasse en Alabama, les propos avaient rapidement dérivé vers la jeune femme.
Boone ne comprenait pas la véritable nature de l’intérêt que Marsh portait à Jayne. Il ne la convoitait pas, et sem-blait même s’amuser du spectacle de leur couple. Pas ja-loux, juste un tout petit peu trop intéressé. A cet égard, il lui arrivait souvent d’évoquer les relations entre le père et la fille. De toute évidence, Marsh cherchait à établir des relations d’ordre personnel avec Augustus Barrington.
A y regarder de plus près, la chose prenait un sens assez troublant. D’un côté, il travaillait pour Gurza, de l’autre, il se montrait impatient d’associer son nom à celui du séna-teur, de nouer avec lui des liens sociaux et financiers. Le jour où il solliciterait un service, ce dernier se retrouverait alors en très fâcheuse posture.
Et Marsh aurait beau jeu alors de s’exclamer : « Sénateur Barrington, vous nous aidez à sortir de ce pétrin, ou nous rendons public le fait que votre dernière campagne ait été en partie financée par l’argent de la drogue ? »
Au moment où Jayne réapparut dans le séjour, le temps sembla s’arrêter pour Boone et pour un Marsh cachant mal sa nervosité.
Elle était vêtue d’une robe blanche sans manches des-cendant à mi-mollets, d’escarpins à hauts talons, blancs également, et portait au cou son éternel rang de perles. Un maquillage discret rehaussait l’élégance de son visage, qui n’en avait d’ailleurs guère besoin. Il émanait d’elle une classe et une séduction propres à déclencher des fourmille-ments chez n’importe quel homme.
Boone ne parvenait pas à croire qu’elle l’avait invité à déjeuner un dimanche, chez elle dans le Mississippi. Dans la région d’où il venait, le repas dominical revêtait une importance toute particulière. Dieu savait qu’il la désirait ! Mais déjeuner un dimanche dans sa famille ? Pas question.
— J’espère que je ne vous ai pas fait attendre, dit-elle en souriant.
Marsh se leva aussitôt.
— Pas du tout. La soirée est tellement agréable que j’ai demandé à Benita de servir le repas dans le jardin.
D’un geste de la main, il indiqua que l’heure était venue de s’y rendre.
Devançant son hôte, Boone s’approcha de Jayne et lui présenta son bras.
— Tu es en beauté ce soir, déclara-t-il d’une voix douce.
— Je te remercie.
Sa main, remarqua-t-il, s’était crispée sur son bras tandis qu’ils sortaient de la maison.
Jayne était effrayée. Elle était effrayée mais elle restait, ce qui était à ses yeux la marque du véritable courage. Pourtant, ne possédant pas son expérience de détective, la jeune femme n’était pas armée pour faire face à de telles circonstances. Elle n’en avait que plus de mérite. Il la ré-conforta d’une légère pression.
Sous la clarté de la lune, des lampes et des bougies ap-portaient à la terrasse un éclairage presque irréel. Lorsque Jayne s’étonna de l’absence de Drew, Marsh l’informa que son neveu avait déjà pris son repas. La soirée était réservée aux adultes.
La fontaine chuchotait et gazouillait par-dessus la musi-que douce provenant de haut-parleurs cachés, tandis qu’une brise légère faisait frémir les feuilles des plantes autour d’eux et vaciller la flamme des bougies. Le vin était d’excellente qualité, et la nourriture, servie par Benita et sa jeune assistante, exquise. Au milieu de tout ce déploiement de charme, Boone n’avait d’yeux que pour Jayne.
Chose très dangereuse pour un homme dans sa situation. Etre aveuglé par quoi que ce fût, en particulier par une jolie femme, pouvait lui coûter la vie.
Comme pour confirmer sa réflexion, la silhouette d’Harvey apparut dans son champ de vision derrière l’une des hautes fenêtres de la maison. Depuis combien de temps les surveillait-il ?
Ils discutèrent politique et cinéma. La conversation ac-capara surtout Jayne et Marsh, Boone se *******ant de faire des commentaires occasionnels, plus préoccupé par la confusion qui régnait depuis peu dans sa vie que par un bavardage mondain.
A la fin du repas, et tandis qu’un lourd silence était tom-bé autour de la table, Jayne se leva et lui présenta sa main.
— Allons danser, veux-tu ?
Acceptant l’invitation, il se leva à son tour.
— J’ai peur de ne pas être très doué.
— Je suis sûre que c’est faux.
Fort heureusement, le rythme de la musique que diffu-saient les haut-parleurs était lent, malgré les percussions latino-américaines.
Boone prit Jayne entre ses bras et ils commencèrent à danser. Ils se connaissaient bien, et leurs corps s’adaptaient à merveille l’un à l’autre, de sorte qu’ils évoluèrent sans maladresse ni hésitation dans la tiédeur de la nuit. Rien, songea-t-il, ne lui avait jamais procuré un tel sentiment de bien-être, sublimé par le parfum capiteux mais raffiné de la jeune femme. Seigneur ! Elle lui avait définitivement tour-né la tête.
— Cette nuit ? chuchota-t-elle, alors qu’ils s’approchaient de la fontaine.
Du nez, il lui chatouilla le cou, avant de lui mordiller le lobe de l’oreille.
— Juste avant l’aube. Il me faudra d’abord retrouver le pick-up. A part cela, nous devrons nous débrouiller par nous-mêmes. Et sans une arme, le pari est risqué.
— Et Lacey ?
— Si elle souhaite venir avec nous, c’est d’accord. Si-non, nous la laissons là. Je ne tiens pas à l’emmener contre son gré.
La musique s’arrêta, et ils cessèrent de danser. Reculant d’un pas, Boone prit le visage de Jayne entre ses mains et l’embrassa.
— Si nous parvenons à sortir d’ici entiers, dit-il en s’écartant lentement de sa bouche, compte sur moi pour te tanner les fesses.
— D’accord.
— Je suis sérieux, Jayne, soupira-t-il, la bouche contre son oreille. Mais si tu venais à être blessée, si les choses tournaient mal…
— Boone, murmura-t-elle d’une voix très douce. Re-garde-moi.
Il plongea son regard dans le sien. Elle était beaucoup plus calme qu’avant le repas. Sereine. Il vit alors ses lèvres former les mots : je t’aime.
Il la reconduisit à la table où les attendait Marsh, visi-blement amusé.
— Mes cigarettes, grommela Boone. Je les ai laissées dans la boîte à gants de mon pick-up.
Jayne se réinstalla sur son siège.
— J’ai remarqué que vous l’aviez fait déplacer, ajouta-t-il à l’intention du producteur. Où est-il ?
— Dans le garage, répondit ce dernier. Je vais envoyer Harvey les chercher, mais je vous demanderai de ne pas fumer dans la mai…
— Je peux aller moi-même chercher ce foutu paquet ! coupa-t-il d’un ton rogue.
Jayne soupira. De toute évidence, elle aurait mieux fait de s’abstenir de lui livrer le fond de son cœur. Boone ne voulait pas de son amour ? Tant pis. Elle l’aimait et il avait besoin d’elle, qu’il le voulût ou non.
Convaincre son père ne serait pas une mince affaire, songea-t-elle. Et dans un premier temps, maman serait sans doute horrifiée. Grand-mère l’aimerait sur-le-champ. La vieille dame possédait le don de lire dans les cœurs dès la première seconde.
Harvey et Boone partis jusqu’au garage, elle se trouvait momentanément seule avec le producteur.
— Vous formez un couple peu ordinaire, observa-t-il.
— J’en suis tout à fait consciente, admit-elle en souriant.
— A vous regarder danser, il est clair que Boone et vous êtes très… unis.
— Oh ! soupira-t-elle. Mais où sont passées mes bonnes manières ? Voulez-vous danser ?
Il déclina l’offre d’un geste de la main.
— Non, je vous remercie.
Parfait. Danser avec Boone s’était révélé merveilleux. Les mêmes pas simples avec le producteur ne pouvaient être que maladroits et déplaisants. Après un long silence tendu, Marsh la dévisagea d’un œil circonspect.
— Je pourrais vous aider, vous savez.
— M’aider en quoi ?
Il lui adressa un sourire, avant de répondre :
— Une coupe de cheveux, un bon costume, quelques le-çons de maintien, et Boone sera tout à fait… présentable lorsque le moment sera venu de rencontrer le sénateur. Ce serait comme de préparer un acteur inexpérimenté à un nouveau rôle. J’imagine que cette rencontre ne saurait tar-der, n’est-ce pas ?
— Oui, mais… Non. Je ne désire pas le changer. Je ne veux pas qu’il se coupe les cheveux ni qu’il s’habille diffé-remment et fasse semblant d’être quelqu’un d’autre. Je l’adore tel qu’il est. Et papa apprendra à l’aimer.
Les sourcils du producteur se soulevèrent.
— Permettez-moi d’en douter.
— Vous ne connaissez pas mon père comme je le connais.
Ce qui était vrai. Si Boone la rendait heureuse, son père l’accepterait tôt ou tard.
— Pardonnez-moi, dit-il en tendant la main vers son verre de vin. Je ne voulais pas me montrer importun. Chan-geons de sujet, voulez-vous ?
— Bonne idée.
Jayne baissa les yeux au sol. Elle détestait être éloignée de Boone, même quelques minutes. Il lui procurait un sen-timent de sécurité, ainsi qu’une nouvelle confiance en elle-même. Comment pouvait-elle continuer à bavarder ainsi avec Marsh, comme si de rien n’était ? Mais elle n’avait pas le choix.
— Avez-vous une tache de naissance ? demanda Marsh sans préambule.
La question la prit au dépourvu. Son visage s’empourpra, elle ouvrit la bouche pour répondre, mais s’en trouva inca-pable.
Il leva la main en un geste d’excuse.
— Ce n’est pas grave, dit-il. J’ai noté que Drew en pos-sédait une sur le côté, et je me suis laissé dire qu’elles s’atténuaient avec le temps. J’étais juste curieux.
— J’ai en effet une tache de naissance, avoua-t-elle en-fin. Et elle est toujours aussi marquée.
— Est-elle rouge ?
— Non, elle est… Mais je… je préférerais parler d’autre chose, si vous le voulez bien.
Corbin Marsh se renversa contre son dossier en souriant, avec la mine d’un homme qui sait une chose qu’il ne de-vrait pas savoir. Tout était en place. Du moins, dans les limites du possible.
De retour dans la chambre de Jayne, Boone essayait de se détendre.
Après avoir retrouvé son véhicule, il avait grommelé un juron, pour donner le change à Harvey, feignant de consta-ter que ses cigarettes ne se trouvaient pas dans la boîte à gants, tout en enregistrant mentalement des informations qui lui seraient utiles au moment où ils devraient fuir. La porte principale du garage était équipée d’une serrure élec-tronique, mais le verrou de la porte du fond était facile à crocheter, si besoin.
Il était nerveux, son cœur battait la chamade, et ses mains tremblaient. Mais son état n’était en rien lié au sort de Drew, de Jayne, ou de Lacey. Non. Il était dû aux trois mots muets qui lui avaient été adressés dans le jardin.
Il tenta de se persuader qu’elle avait alors joué la comé-die, mais à ce moment-là ni Marsh ni Harvey ne pouvaient voir son visage ni entendre leur conversation.
Lorsqu’ils quitteraient la propriété — sains et saufs, il l’espérait — Jayne reprendrait sa vie, et il reprendrait la sienne. Il voulait mettre les choses au point maintenant, mais c’était impossible pour le moment. Ils étaient sous écoute. Elle se redressa dans le lit, délicieuse dans la blan-cheur de sa robe de nuit, tandis qu’il marchait de long en large dans la chambre, la mâchoire crispée.
— Boone, mon chéri, dit-elle d’une voix tendre. Viens te coucher.
Il se tourna vers elle et secoua la tête. Quelle que fût la force de son désir, il ne pouvait la toucher. Plus maintenant. Et peu importait la douleur qu’il ressentait lorsqu’il la re-gardait. Lors de leur rencontre, il l’avait juste trouvée jolie. Puis, à mesure que les journées passaient, elle était devenue la femme la plus belle, la plus sexy qui lui eût été donné de voir. Il devait lui dire que ce qu’elle ressentait n’était pas réel. Qu’il s’agissait d’un mélange de gratitude, d’attirance sexuelle et d’adrénaline. Et si lui-même éprouvait parfois pour elle un vif attachement, les raisons en étaient les mê-mes. Il n’existait rien de durable entre eux, et moins encore de permanent.
Que pouvait-il faire, sinon marcher de long en large dans la pièce, et la regarder d’un œil sombre ?
Non. C’était plus qu’il n’en pouvait supporter. Traver-sant la pièce, il s’accroupit près de la table de nuit, puis arracha le micro fixé au-dessous.
Son doigt se pointa vers Jayne.
— Verrouille la porte derrière moi. Je reviens tout de suite.
Le cliquètement de la serrure lui parvint aux oreilles tan-dis qu’il s’éloignait à grands pas dans le couloir. Il jeta un coup d’œil tour à tour au séjour, à la bibliothèque, à la salle à manger. Aucun signe de leur hôte. Mais il le trouverait, dût-il aller jusqu’à sa chambre.
Parvenu dans l’aile sud, il entendit à distance la voix du producteur, ainsi qu’une seconde, également familière. Stupéfait, il s’arrêta un court instant, puis reprit son che-min. Les voix se firent plus nettes, jusqu’à ce qu’il atteignît une porte fermée à l’extrémité du large couloir. Sans hési-ter, il l’ouvrit.
Assis derrière un grand bureau de chêne, Marsh écarquil-la les yeux en le voyant apparaître dans l’encadrement de la porte.
— Certaines des choses qui se passent sous ce toit ne vous regardent pas ! annonça le détective d’une voix ferme.
Il jeta le micro à travers la pièce. Celui-ci atterrit juste sous le nez de Marsh.
— Y en a-t-il d’autres dans la chambre ?
— Non, répondit son hôte avec calme, saisissant l’objet pour l’examiner de près.
— Si jamais j’en découvre un autre…
— Vous avez ma parole. C’était le seul.
Boone tourna la tête, puis regarda le deuxième homme droit dans les yeux en souriant.
— Darryl, quelle surprise ! Comment va ta mâchoire ?
Le colosse s’avança de deux pas vers lui, le visage congestionné de fureur.
— Espèce de…
— Darryl ! intervint le producteur de la même voix po-sée.
Le truand obèse avait un vilain hématome sur le menton, et l’un de ses poignets était bandé. Marsh le retenait pour le moment, mais l’homme était manifestement hors de lui.
Et il n’était pas du genre à pardonner les offenses.
— Approchez, Boone, reprit Marsh d’un ton cordial.
Darryl fit un pas en arrière, tandis que le détective péné-trait dans la pièce après avoir refermé derrière lui.
— Pardonnez-moi de faire ainsi irruption dans votre pe-tite réunion de famille, dit-il en s’avançant vers le bureau.
— Tu m’as presque bousillé la mâchoire, grogna le dea-ler.
— Imbécile, répondit Boone en pivotant pour lui faire face.
Le souvenir de la combinaison lacérée de Jayne lui nouait l’estomac, mais il ne pouvait évoquer le sujet : il n’était pas censé s’être trouvé sur le lieu de cette ignoble menace.
— Si j’avais voulu, poursuivit-il, j’aurais pu te tuer pen-dant que tu étais inconscient. J’aurais pu te descendre, plu-tôt que de te faire sauter l’arme du poing. J’aurais pu botter ton misérable postérieur si fort que tu serais à présent dans un lit d’hôpital, alimenté par des tubes.
— Je devrais peut-être te remercier !
— Eh bien oui !
— Allons, messieurs, intervint Marsh d’un ton détaché. Laissez-moi régler ce différend. Darryl, reste où tu es. Boone, asseyez-vous.
Celui-ci prit place dans un fauteuil, tous ses muscles tendus.
— Comment dois-je vous appeler ? Boone ou Tex ? Qui êtes-vous exactement ? Détective privé ou dealer ? Je pos-sède des éléments prouvant que vous êtes l’un et l’autre. C’est extrêmement troublant.
Les pièces du puzzle se mettaient enfin en place, fournis-sant une vue claire de l’ensemble. Boone esquissa un sou-rire.
— Pourquoi ne serais-je pas les deux ? Boone quand ça m’arrange, et Tex pour des raisons pratiques.
— Intéressant.
Il lui fallut s’armer de tout son sang-froid pour ne pas bondir sur le producteur. Mais le moindre faux pas signi-fiait la mort pour lui, et il n’osait penser à ce qui advien-drait de Drew et de Jayne s’il venait à disparaître.
— Vous devriez pourtant le savoir, monsieur Marsh, re-prit-il calmement. Ou dois-je vous appeler señor Gurza ?
Un large sourire s’épanouit sur le visage de son interlo-cuteur.
— Quand l’avez-vous deviné ?
— Je ne l’ai pas deviné. J’ai avancé une hypothèse, et vous venez à l’instant de la confirmer. L’idée ne manque pas de piment : millionnaire respectable le jour, caïd sanguinaire la nuit.
— Oh, la nuit, je n’ai pas besoin d’être Joaquin Gurza, répondit-il en se calant contre son dossier. Cet alias ne me sert qu’à l’occasion. Le nom suffit, la plupart du temps. Darryl et Harvey se chargent des basses besognes. « Gur-za » n’est, disons, qu’un mal nécessaire qui me permet de traiter mes affaires en douceur…
Son sourire s’effaça soudain.
— Qu’est-ce qui vous a amené en Arizona ?
— Vous, dit Boone. Au début, du moins. J’avais débar-qué ici pour entrer en contact avec le célèbre Joaquin Gur-za, mais cet abruti ici présent a tenté de descendre la fille d’un sénateur. Il fallait que j’intervienne.
— Vous l’avez reconnue d’emblée ?
— Evidemment ! répliqua-t-il d’un air offensé. Imaginez ce qui se produirait s’il prenait l’idée à l’un de vos hommes de tuer quelqu’un comme Jayne. Les fédéraux vous tombe-raient tout droit sur le dos.
Marsh adressa un regard noir à Darryl, puis se tourna de nouveau vers Boone, inquisiteur.
— Qu’espérez-vous avec Jayne Barrington ? Et ne me racontez pas d’histoires. Elle n’est pas du tout votre type, je le sais depuis le début. Je connais les gens et leurs motiva-tions n’ont pas de secrets pour moi.
— Oh, je vois, ironisa Boone. Le grand producteur d’Hollywood est fin psychologue !
Crispant les mains sur les accoudoirs de son fauteuil, Boone se pencha en avant, le regard implacable.
— Je veux la même chose que vous, dit-il d’une voix dure. Vous voulez coucher avec le sénateur ? Très bien. J’ai pour ma part choisi un chemin beaucoup plus direct.
— Je le tue maintenant ? suggéra Darryl.
— Bien sûr que non ! répliqua Marsh, irrité. Si je le vou-lais mort, ce serait fait depuis longtemps. Mon-sieur Sinclair, êtes-vous toujours disposé à collaborer avec moi ?
— Plus que jamais.
Le regard du producteur survola son épaule.
— Darryl, M. Sinclair est désormais ton supérieur. Tu as commis quelques erreurs, et Boone est réglo. Si tu avais descendu Jayne, c’est l’enfer qui nous serait tombé dessus. Je veux à présent que tu le remercies pour t’avoir épargné quand il avait la possibilité de te tuer.
— Que je fasse quoi ?
— Remercie M. Sinclair. Maintenant.
— Merci, grommela le gros homme.
Boone se retourna et le gratifia d’un large sourire.
— Il n’y a vraiment pas de quoi.
Sur un signe du producteur, Darryl quitta la pièce d’un pas traînant, laissant les deux hommes face à face.
— A présent expliquez-moi, dit Marsh en plissant les yeux. Comment comptez-vous procéder avec Jayne ?
Chapitre 15 :
Jayne sortit du lit quelques minutes seulement après que Boone eut quitté la chambre. Où diable était-il parti, s’interrogea-t-elle, avec cette lueur mauvaise dans le re-gard, et ce minuscule micro à la main ? Il ne pouvait en résulter que des ennuis.
Décrochant son peignoir du placard, elle l’enfila promp-tement, noua la ceinture et s’avança à pas de loup vers la porte, qu’elle ouvrit sans bruit. Avec la plus grande pru-dence, elle avança la tête dans l’entrebâillement. Harvey se tenait habituellement à proximité, mais cette nuit, le couloir était vide. Peut-être était-il allé se coucher.
Toujours silencieuse, elle descendit le couloir avec d’infinies précautions. La maison était calme, de cette sorte de quiétude qui vous fait chuchoter alors que personne n’est susceptible de vous entendre. Sa place était dans son lit, Boone à ses côtés. Seigneur, où était-il donc allé ?
Ce n’est qu’en atteignant le séjour qu’elle entendit un bruit de voix étouffées. Un mot, un rire, une bribe de phrase. Sans plus réfléchir, elle prit la direction de l’aile sud, d’où provenaient les voix. Très vite, elle reconnut celle de Boone. Elle soupira, soulagée. Reconnaissant ensuite la voix de Marsh, elle fronça les sourcils, légèrement surprise, car la conversation paraissait extrêmement… cordiale.
Le dos au mur, elle s’approcha de la pièce. Les paroles lui parvinrent bientôt avec netteté par la porte entrebâillée.
— Jusqu’où comptez-vous aller ? s’enquit le producteur.
Le ton était amène, voire amical. Curieux, il lui avait semblé jusqu’alors que le producteur n’éprouvait pas beau-coup de sympathie pour Boone.
— Aussi loin que je le pourrai, répondit ce dernier.
— Le mariage ?
— Au bout du compte, oui. Je me suis dit que Jayne se méfierait si je pressais les choses, aussi ai-je opté pour la méthode progressive.
Il partit d’un rire léger.
— Je crois même être en mesure de la convaincre, le moment venu, qu’il s’agit de son idée.
Le cœur de Jayne s’arrêta. Lentement, elle se laissa glis-ser le long du mur, se retrouvant en position accroupie. Un bourdonnement sourd lui emplissait la tête.
— Le sénateur risque de tiquer, observa Marsh.
— Je ne le pense pas, répondit Boone sur le ton de la confidence. Jayne est une petite fille riche et gâtée. Elle est habituée à obtenir tout ce qu’elle veut, et aujourd’hui c’est moi qu’elle veut.
L’un des deux hommes lâcha un long soupir. Marsh, supposa-t-elle.
— Et ensuite quoi ? En dehors des évidentes possibilités de chantage, qu’attendez-vous du papa ?
— La même chose que vous. Des contacts, la respectabi-lité, des amis haut placés.
Les deux hommes rirent de concert.
— Je me suis montré un peu léger en l’invitant ici aussi tôt après sa… petite mésaventure, mais d’après ce que Dar-ryl m’avait expliqué, je savais que vous seriez sur ses ta-lons.
— Ai-je eu tort ? demanda Boone.
— Pas vraiment, concéda Marsh. Séparément, Jayne et vous êtes intéressants. Ensemble, les avantages sont incal-culables.
Jayne demeura immobile, la respiration oppressée et la bouche sèche. Son cœur se mit à cogner avec violence dans sa poitrine et ses genoux à trembler.
— Heureusement que vous avez tout de suite reconnu qu’elle était la fille du sénateur Harrington, reprit le pro-ducteur d’un ton badin. Si Darryl l’avait supprimée, nous serions en cet instant la cible des fédéraux.
— Sans aucun doute.
Un grincement se fit entendre. Un fauteuil que l’on pousse ?
— Ecoutez, reprit Boone, il faut que je retourne me cou-cher, Jayne m’attend. Ai-je votre parole qu’il n’existe au-cun autre micro dans la chambre ?
— Dans le placard, dit Marsh. Coincé entre l’étagère du haut et le fond. Le son n’est pas très net, mais il a son utili-té.
Jayne se releva rapidement et repartit aussi discrètement qu’elle était venue, partagée entre la douleur, l’effroi et la colère. Etaient-ils de connivence depuis le début ? Sei-gneur, quelle idiote !
Tout en se dépêchant dans le couloir, elle tendit l’oreille, craignant à tout instant que Boone ne la surprenne. Com-ment réagirait-il en se rendant compte qu’elle les avait épiés ?
Une fois dans la chambre, elle verrouilla la porte derrière elle et s’y adossa. Et maintenant quoi ? Contrairement à Boone, elle était incapable de simuler. Et s’il découvrait qu’elle savait qu’il s’apprêtait à…
Raccrochant son peignoir dans la penderie, elle se dressa sur la pointe des pieds pour découvrir l’endroit où était placé le second micro. En vain. Mais peu importait : elle n’avait pas l’intention de parler.
Elle se glissa sous les draps et se couvrit la tête avec la couverture, tout en regrettant de ne pouvoir se cacher dans un trou profond.
Et Drew ? Elle ne devait pas oublier l’enfant. Avait-il ré-ellement été enlevé, ou s’agissait-il d’un autre mensonge ?
Où donc était la vérité ? Trop d’événements s’étaient produits en quelques jours. S’était-elle à ce point trompée sur Boone ? Il mentait à quelqu’un, mais qui ? Comme il lui avait déclaré, mentir était ce qu’il faisait de mieux.
La meilleure attitude était peut-être d’agir comme si de rien n’était jusqu’à ce qu’elle eût quitté la résidence. Elle pourrait toujours ensuite lui dire qu’il avait raison, qu’elle ne l’aimait pas. Elle avait succombé à un coup de cœur, rien de plus. Il n’aurait alors d’autre choix que d’abandonner ses projets. La convaincre que l’idée d’un mariage venait d’elle ! Quel toupet !
Malheureusement, elle était peu douée pour la dissimula-tion, et disait toujours ce qu’elle pensait. Certes, elle était jusqu’à présent parvenue à mystifier Corbin Marsh, mais au prix de beaucoup de difficultés.
Le bouton de la porte tourna, se bloqua, puis des petits coups furent frappés sur le panneau.
— Jayne ? chuchota Boone. C’est moi.
Elle garda le silence. Sans doute penserait-il qu’elle s’était endormie. Elle ne pourrait pas affronter son regard. Pas maintenant. Après l’aveu de ses sentiments pour lui, elle venait de se rendre compte qu’il était différent des autres hommes… Pire.
Un nouveau cliquetis, suivi d’un autre, et la serrure céda. Au moment où la porte s’ouvrit, elle avait déjà tourné le dos à Boone et fermé les yeux.
Elle dormait ? Parfait. La journée à venir serait longue. Laissant la porte entrouverte, Boone marcha directement vers le placard. Quelques secondes lui suffirent pour locali-ser le micro, qu’il détacha avant de regagner l’entrée de la chambre. Tel un joueur de base-ball, il lança l’objet aussi loin qu’il le put dans le couloir, referma la porte et la ver-rouilla.
Se souvenant de la facilité avec laquelle il était entré, il se saisit de la chaise du secrétaire et la coinça sous le bou-ton. Hormis Jayne et Drew, il ne pouvait faire confiance à personne.
Ne conservant que son caleçon, il s’étendit sur le lit, au-dessus de la couverture. Il avait grand besoin de quelques heures de sommeil, mais il savait qu’il ne le trouverait pas. Marsh et Gurza. Une seule et même personne ! Jamais il ne s’y serait attendu.
Il lui fallut quelques minutes pour se rendre compte que Jayne ne dormait pas. Il émanait de son corps une tension quasi électrique, et sa respiration était irrégulière.
Se tournant de côté, il approcha la bouche de son oreille. Marsh avait beau lui avoir affirmé que seuls deux micros avaient été placés dans la chambre, il lui faisait autant confiance qu’à un serpent.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? s’enquit-il.
— Rien.
— Inquiète pour demain ? insista-t-il en posant une main sur sa hanche.
— Oui.
Il la rejoignit sous les draps. C’était la dernière fois qu’il partageait son lit. Lorsqu’il tenta de l’attirer contre lui — dans un geste de simple tendresse — elle se raidit aussitôt.
— Détends-toi, murmura-t-il.
— Je ne peux pas.
Devait-il l’informer de sa conversation avec Marsh ? Elle était déjà très anxieuse, et elle n’avait pas besoin d’un nouveau sujet d’inquiétude.
Une soudaine et désagréable intuition l’envahit : le ma-laise de Jayne n’avait rien à voir avec leurs projets pour le petit matin. Elle lui avait dit qu’elle l’aimait, et il n’avait pas répondu. Pas étonnant qu’elle lui eût fermé sa porte.
Elle lui en voulait. Tant mieux. Cela faciliterait d’autant la tâche qui les attendait.
— Pourquoi n’irais-tu pas dormir dans ta propre cham-bre ? suggéra-t-elle.
— Pas question.
La laisser seule, vulnérable ? Tenter de se reposer sans la voir ni la sentir à ses côtés ? Impossible.
Elle se tourna lentement sur le dos, et à sa grande sur-prise, ramena la couverture au-dessus de leurs têtes. La veilleuse de la salle de bains était restée allumée, mais dans la faible luminescence de cette étrange intimité, il ne voyait pas son visage.
— Tu avais raison depuis le début, déclara-t-elle d’une voix tendue. Ça ne peut pas marcher entre nous. Je ne sais pas ce qui m’est passé par l’esprit.
Boone lui toucha la joue. Etait-elle humide, ou s’agissait-il d’un effet de son imagination ?
— Nous avons eu une rude semaine, répondit-il d’une voix douce. Et nous avons tous les deux un peu perdu la tête. Ne te fais pas de soucis.
— Lorsque nous serons sortis d’ici, je crois qu’il serait préférable que nous ne nous voyions plus.
— Oui, acquiesça-t-il. Tu as sans doute raison.
Elle soupira.
— Mon père sera heureux de te payer pour tes services de protection.
— Oh, vraiment ? dit-il d’une voix mi-suggestive, mi-amusée.
— Je ne parle pas ces services-là, espèce d’homme de… Cro-Magnon.
Bon sang, elle allait lui manquer ! De toute sa vie, per-sonne ne lui avait jamais manqué. Songeant que c’était leur dernière nuit, et malgré son refus de se retrouver dans ses bras, il se rapprocha d’elle.
— Je ne veux pas de l’argent de ton père. Je ne veux pas non plus que tu t’imagines que… des choses qui n’existent pas.
Il n’osa pas utiliser le mot commençant par la lettre a.
— Mais je suis heureux de t’avoir rencontrée. Tu es une fille étonnante.
— Toi aussi tu es étonnant, répondit-elle avec froideur.
Lorsqu’elle se retourna pour lui présenter son dos, il ne fit pas un geste pour l’en empêcher. Il ne comprendrait jamais les femmes. Mais peut-être était-ce aussi bien ainsi.
Jayne dormit peu, se réveillant sans cesse, le cœur lourd. Sans doute eût-elle été mieux avisée d’agir comme une femme amoureuse, mais elle connaissait ses limites. Faire semblant de ne pas savoir que Drew avait été enlevé était une chose, regarder Boone dans les yeux et se comporter comme si rien n’avait changé était tout simplement impos-sible.
Une légère secousse la réveilla. Il faisait toujours nuit à l’extérieur, mais l’aube était proche.
— Allons-y, dit-il.
Le plan était simple. Elle irait chercher Drew dans sa chambre, pendant que Bonne irait prévenir de son pick-up les agents qui attendaient à l’extérieur de la maison. Jayne n’avait aucune idée de la manière dont il comptait les aver-tir. Ce dont elle était sûre, en revanche, c’est qu’ils ne de-vaient pour l’instant compter que sur eux-mêmes.
Contrairement à Boone, elle n’était pas équipée pour leur équipée nocturne. Sa valise contenait bien un pantalon noir et des chaussures sombres à talons plats, mais le chemisier jaune qu’elle avait choisi fut rejeté par Boone. Il lui lança l’un de ses T-shirts noirs, qu’elle enfila sans rechigner. Puis elle accrocha son collier autour de son cou.
— Je n’ai pas l’intention de le laisser ici, répliqua-t-elle devant son sourire narquois. Et je ne pense pas qu’un sac à main soit de mise ici.
Il lui prit la main tandis qu’ils remontaient le couloir, mais elle la libéra aussitôt d’un geste brusque. Il lui adressa un regard surpris, mais ne fit pas de commentaire.
Ce n’est qu’une fois parvenus au centre de la maison qu’ils se séparèrent. Jayne se dirigea vers l’aile sud, tandis que Boone pénétrait dans la cuisine, dont l’une des portes ouvrait sur le garage.
Ses yeux avaient eu le temps de s’adapter à l’obscurité, de sorte qu’elle traversa sans encombre la salle de jeux, avant de pénétrer dans la chambre de Lacey. Celle-ci dor-mait à poings fermés. Se pouvait-il que la jeune fille fût réellement heureuse ici ? Ne risquait-elle pas de donner l’alarme en se réveillant ? Jayne s’agenouilla près du lit et lui secoua doucement l’épaule. La nurse ouvrit aussitôt les yeux.
— J’emmène Drew hors de cette maison, chuchota-t-elle. Si vous voulez nous suivre, c’est le moment.
Lacey hésita un instant, puis acquiesça d’un signe de tête avant de se redresser dans son lit.
Tandis qu’elle se levait pour s’habiller, Jayne entra avec précaution dans la chambre de l’enfant. Drew était plongé dans un sommeil innocent et serein. Ne commettait-elle pas une erreur ? Avait-il été enlevé dans le dessein de mettre un terme à l’enquête sur la mort de sa mère, ou était-il bel et bien le neveu de leur hôte ? Boone était peut-être en train de faire d’elle une kidnappeuse. Peut-être même avait-il en tête de se servir de l’enfant contre Marsh.
Mais peu importait. L’un et l’autre étaient des criminels. Le petit garçon devait sortir par tous les moyens de cette maison.
Elle lui caressa la joue d’un geste tendre.
— Drew, murmura-t-elle. Viens, mon chéri.
L’enfant fit une grimace, puis se réveilla en clignant des yeux.
— Il fait nuit, geignit-il d’une voix ensommeillée.
— Nous allons faire un jeu, expliqua-t-elle, tandis qu’il se redressait dans le lit en se frottant les paupières.
— Pourquoi vous n’allumez pas la lumière ?
— Non, mon trésor. Ecoute, il s’agit d’un jeu qui se joue dans le noir. Reste bien tranquille.
Elle lui offrit ses bras. Drew s’y blottit, appuya la tête sur son épaule et referma les yeux. Lorsqu’elle regagna la chambre de Lacey, la nurse finissait de s’habiller d’un pull bleu marine et d’un jean.
Les deux femmes avancèrent à pas prudents dans la salle de jeux, longeant le mur de sorte à rester hors du champ de la caméra. Boone était censé les attendre dans le couloir après avoir activé son signal dans le garage. Ou s’agissait-il d’un autre mensonge ?
— J’ai trop sommeil pour jouer, mademoiselle Jayne, grogna Drew.
— Chhh ! Rendors-toi, mon chéri, répondit-elle en ajus-tant la position de l’enfant dans ses bras.
Il était chaud, confiant, et aussi ingénu qu’elle avait pu l’être quelques jours auparavant. Il se rendormit presque aussitôt, le corps totalement relâché.
— Ce n’est pas une bonne idée, observa Lacey d’une voix tremblante. Si M. Marsh nous surprend, il…
— Il quoi ? chuchota Jayne.
— Il nous tuera tous.
Aveuglante, la lumière inonda soudain la pièce.
— Eh bien, eh bien ! résonna la voix de Marsh. Nous voilà en plein mélodrame, dirait-on.
Il tenait une arme à la main, dont le canon était pointé vers Lacey. Jayne se plaça aussitôt devant la jeune fille.
— Je ne parvenais plus à dormir, expliqua-t-elle. L’idée m’est alors venue de proposer une promenade à Lacey et à Drew. Les roches rouges à l’ouest de la maison sont telle-ment magnifiques, et je ne les ai jamais vus au lever du soleil. Je me suis dit que…
— Epargnez votre salive, mademoiselle Barrington. J’aimerais tellement pouvoir vous croire, ma vie serait moins compliquée…
Ses pâles yeux bleus la transperçaient littéralement, et ses lèvres ne formaient plus qu’une ligne mince et cruelle.
— Mais je ne vous crois pas, reprit-il. Quel gâchis ! J’ai bien peur que vous ne soyez obligés de partir, toutes les deux…
Toujours assoupi, Drew nicha la tête dans le creux de l’épaule de Jayne pour se protéger de la lumière. Oh Dieu, faites qu’il ne se réveille pas ! pria-t-elle. La vue de son oncle revolver au poing risquait de le traumatiser pour longtemps.
— J’allais le ramener dans sa chambre, gémit Lacey. Mlle Barrington…
— La ferme ! coupa le producteur. Je t’ai offert un toit, vêtue de neuf, je t’ai même aimée quelque temps…
Il marqua une pause, et son regard se durcit.
— Quand je me suis lassé de toi, reprit-il, je t’ai procuré un travail pour ne pas te laisser dans la rue. Et voilà com-ment tu me remercies ! Tu vas payer pour cette erreur.
— Vous n’oseriez pas toucher à l’enfant, intervint Jayne. Vous l’aimez. Et il vous adore.
Le visage de Marsh se contracta, révélant l’âge qu’il avait vraiment.
— Vous avez raison, dit-il. Je serais incapable de faire du mal au petit.
Darryl apparut alors dans l’embrasure de la porte, le vi-sage rayonnant d’un sourire malsain.
— Cela fait un bon moment que j’attendais de te revoir, chérie.
Jayne resserra les bras sur Drew.
— Où est votre petit ami ? demanda le producteur.
— Vous me le demandez ? s’écria-t-elle. Après tout, il est exactement comme vous ! Un trafiquant de drogue et un menteur, qui ne s’intéresse qu’à ses propres intérêts.
— Je vois que vous l’avez percé à jour, dit Marsh en se-couant la tête. Dommage…
— Je me fiche pas mal de vos activités à tous les trois, reprit-elle, le menton fièrement levé. Mais Drew mérite mieux que d’être élevé dans un antre de criminels et… et de crapules telles que Darryl.
— De crapules ? répéta lentement le colosse.
D’un geste de la main, Marsh lui intima l’ordre de se taire.
— Vous avez découvert que Boone n’était pas celui que vous croyiez, et vous avez donc décidé de vous enfuir. Seulement, vous aviez également prévu d’emmener mon neveu… Pourquoi ?
— Pour le sauver, répondit Jayne.
— Très généreux de votre part.
Boone l’avait abandonnée. Cette brutale constatation fut aussi violente qu’un coup de poing à l’estomac. Il ne lance-rait aucun signal, et n’avait aucun plan de fuite. Elle était seule face à Corbin Marsh et Darryl. Elle décida de conti-nuer à leur parler pour essayer de gagner du temps.
— C’est un petit être fragile et innocent, protesta-t-elle. Sa place n’est pas ici. Ne pouvons-nous conclure un ac-cord ? Vous nous laissez partir, et je vous promets de ne parler à personne de ce qui se passe sous ce toit.
Marsh secoua la tête.
— Je ne crois pas que ce soit aussi sim…
Une explosion secoua la maison. Drew se réveilla, Jayne sursauta et Lacey lâcha un cri aigu.
— Va voir ce qui se passe, grogna le producteur en fai-sant signe de son arme à Darryl.
Celui-ci disparut aussitôt dans le couloir. Corbin Marsh s’avança d’un pas dans la salle de jeux.
— J’ai toujours su au fond de moi que fréquenter les hommes politiques n’était pas une bonne idée.
Chapitre 16 :
Boone se précipita en courant vers la maison, s’éloignant du vacarme causé par l’explosion. Dean avait placé un engin explosif dans l’un des coussins du siège passager. L’opération avait pris plus de temps que prévu : protégée par des dispositifs de sécurité, la mise en route s’était révé-lée plus compliquée que prévu à régler. Dean était une personne méticuleuse.
Au moment où il atteignait presque la porte de la cuisine, Darryl sortit en trombe de la maison, le revolver à la main. Le détective s’immobilisa aussitôt.
— Quelque chose a sauté dans le garage, expliqua Boone. Un acte de sabotage, sans doute.
Le regard de Darryl se tourna vers le pick-up embrasé, puis revint se poser sur Boone.
— Comment se fait-il que tu ne sois pas en train de véri-fier ce qui s’est passé ? s’enquit-il, tout en resserrant le poing sur la crosse.
— J’ai fait demi-tour parce que j’ai eu peur qu’une se-conde explosion ne suive la première.
— Ah.
Perplexe, Darryl contempla les flammes qui jaillissaient du véhicule sorti du garage. Son esprit obtus analysait len-tement la situation. Il n’était qu’à moitié convaincu, mais si Boone disait la vérité, Marsh lui ferait passer un mauvais quart d’heure…
Profitant de l’opportunité, Boone fit sauter le revolver de Darryl d’un coup de pied, lui arrachant un glapissement d’animal blessé. Il opéra ensuite un roulé-boulé et s’empara de l’arme tombée au sol.
Fou de rage, le truand s’avança vers lui les poings mena-çants. Boone esquiva un crochet, avant de répliquer d’un puissant direct à l’estomac. Le gros homme pivota sur lui-même, plié en deux et le souffle coupé. Un violent coup de botte le cueillit alors en plein visage, le laissant sonné.
Sans lui laisser le temps de récupérer, Boone l’immobilisa face contre terre, le canon du revolver appuyé sur la nuque.
— C’est trop tard, railla l’homme d’une voix rauque. Gurza a ta femme, Sinclair… Ou Tex, ou quel que soit ton nom. Cette fois-ci, tu ne pourras pas la sauver.
Glissant l’arme dans sa ceinture, Boone sortit un rouleau de bande adhésive de la poche intérieure de son blouson. Quelques instants plus tard, muselé et ligoté, Darryl était allongé contre le mur de la maison, dissimulé derrière un épais buisson d’épineux.
Pas un instant Boone ne douta que le dealer lui eût dit la vérité. Marsh-Gurza détenait Jayne. Ce qui signifiait que l’enfant et sa nurse étaient également à sa merci. Dean, Clint, Del et Shock arriveraient-ils à temps ?
Le cœur battant la chamade, il courut vers la maison, le revolver au poing.
Une seule lampe brillait dans l’aile sud. La salle de jeux, d’après la description des lieux que Jayne lui avait faite. Il s’y dirigea en courant.
La jeune femme se tenait au fond de la pièce, Drew dans les bras. Lacey se tordait les mains derrière elle, l’œil fixé sur Marsh, qui lui tournait le dos. Une paire d’yeux inno-cents se posa sur lui. L’enfant était le seul à sourire.
— Oncle Booboo !
Plaquant une main sur la nuque de Drew, Jayne le rame-na contre son épaule et lui enjoignit de se rendormir. Marsh ne prit pas la peine de se retourner.
— Nous avons un problème, déclara-t-il d’un ton froid.
— C’est ce que je vois, dit Boone, s’avançant dans la pièce sous le regard accusateur de Jayne.
Le producteur lui lança un bref coup d’œil par-dessus son épaule.
— Son père sait qu’elle est ici, mais en toute décence je ne peux pas la laisser partir. Que faisons-nous d’elle ?
— Nous la gardons. Elle et moi allons nous marier. Je…
— Tu peux toujours rêver ! coupa Jayne.
Boone lui adressa un regard d’avertissement, qu’elle ne comprit pas.
— De la manière dont je vois les choses, chérie, tu as le choix entre deux options. Soit tu m’épouses et tu sers à papa le sénateur la version que je te donnerai et chacun restera en vie. Soit tu déclines notre offre généreuse…
Il haussa les épaules, le regard navré.
— Mon Dieu ! Ce serait vraiment dommage de suppri-mer une fille aussi jolie que toi, mais à défaut d’autre choix…
Tout en parlant, il s’était rapproché de Marsh. Le revol-ver de ce dernier était toujours pointé vers Jayne, ce qui lui interdisait pour l’instant toute intervention de sa part.
Un flot d’adrénaline l’envahit, à la pensée que la vie de trois êtres innocents dépendait de son seul sang-froid.
Les yeux de Jayne s’emplirent de larmes, et son menton se mit à trembler. Jouait-elle le jeu ou bien prenait-elle au pied de la lettre ce qu’elle venait d’entendre ? Après tout ce qu’ils venaient de traverser, elle le croyait de mèche avec Marsh. Etait-ce la raison pour laquelle elle s’était montrée d’une telle froideur la nuit précédente ?
Elle devait avoir désobéi à ses ordres de rester enfermée dans sa chambre, surpris leur conversation et en avoir tiré les mauvaises conclusions. Se souvenant des paroles échangées avec le producteur, il imaginait sans peine la teneur de ses pensées. Pourquoi ne l’avait-elle pas ques-tionné, la veille, au lieu de se retrancher dans ce mutisme buté ?
L’idée qu’elle le mettait de nouveau dans le même sac que les autres lui brisa le cœur, mais il existait un problème plus urgent à régler.
— Choisis bien, chérie.
Aide-moi à gagner quelques minutes.
Le pas pesant d’Harvey, reconnaissable entre tous, ré-sonna dans le couloir.
— On a un problème ! cria-t-il en ahanant.
Le domestique apparut dans l’embrasure de la porte, es-soufflé.
— Quatre véhicules s’approchent de la résidence !
Harvey avisa Boone d’un œil suspicieux, puis son regard tomba sur l’arme qu’il tenait.
— Où est Darryl ? demanda-t-il.
— Aucune idée, répondit Boone d’un ton froid.
Harvey baissa de nouveau les yeux vers la main du dé-tective.
— Dans ce cas pourquoi avez-vous son revolver ?
Marsh pivota d’un bond et fit feu. Instinctivement, Boone s’était déjà baissé, et la balle atteignit le domestique resté debout dans l’encadrement de la porte. Sans laisser le temps au producteur de tirer de nouveau, il lui saisit le poignet, dévia l’arme et se tourna vers Jayne.
— Fiche le camp ! ordonna-t-il. Par le jardin.
Sans perdre de temps à essayer de comprendre, Jayne resserra son étreinte sur l’enfant rendormi et fit exactement ce que lui avait dit Boone, Lacey sur ses talons.
Un coup de feu retentit derrière elles. Jayne tressaillit, mais ne s’arrêta pas. La première priorité était de mettre Drew à l’abri. Boone se débrouillerait très bien tout seul, elle en était certaine. Devait-elle se diriger vers le jardin ainsi qu’il le lui avait commandé, ou valait-il mieux risquer le tout pour le tout et sortir par l’entrée principale ?
Mais l’éclat qu’elle avait vu dans son regard l’incita à s’enfuir par le jardin.
La suite se déroula en accéléré. Des cris provenant de l’intérieur. Des bruits de verre cassé. Un nouveau coup de feu. Les deux femmes se précipitèrent hors de la maison.
— Regardez ! s’écria Lacey en pointant le doigt devant elle.
Un homme était en train d’escalader la grille en fer for-gé. Arrivé au sommet, il opéra un rétablissement puis se laissa tomber au sol avec la souplesse d’un félin.
— Venez ! cria-t-il en se dirigeant droit vers Jayne.
— Qui êtes-vous ? s’enquit-elle en resserrant les bras sur Drew, le regard méfiant.
— Clint Sinclair, répondit-il avec un bref sourire.
— J’aurais dû le deviner, marmonna-t-elle.
Il était plus mince que Boone et que Dean, ses cheveux étaient légèrement plus clairs, mais la ressemblance était frappante.
— Allons-y, insista-t-il.
Jayne se tourna vers la maison.
— Non, répondit-elle, tout en lui plaçant d’autorité l’enfant dans les bras. Je vais retrouver Boone.
Une main sur son poignet l’arrêta aussitôt.
— Oh non, dit Clint d’une voix douce mais implacable. Je dois vous sortir d’ici. Vous, l’enfant… et cette jeune personne, à ce qu’il semble.
Elle avait douté de Boone. Elle lui avait tourné le dos quand il avait besoin d’elle. Au moment le plus important, elle lui avait retiré sa confiance. Non, elle ne le laisserait pas tomber maintenant. Pas de cette manière.
— Plus que toute chose, Boone veut sortir cet enfant d’ici.
— Je sais, répondit Clint sans lui lâcher le poignet.
— C’est votre travail de l’emmener loin de cette maison, de veiller à sa sécurité.
— En effet.
— Mais où ai-je la tête ? soupira-t-elle, feignant de changer d’idée. Boone est assez grand pour se débrouiller tout seul.
Clint lui adressa un clin d’œil.
— Je ne vous le fais pas dire !
A la seconde même où il libérait son bras, elle partit en courant.
— Prenez soin de Drew ! lança-t-elle par-dessus son épaule, avant de disparaître à l’intérieur de la maison.
Un véritable chaos régnait dans la résidence. Quatre hommes qu’elle n’avait jamais vus cherchaient désespéré-ment une issue pour fuir. Elle était certaine qu’ils ne fai-saient pas partie de l’équipe d’intervention. Boone n’avait mentionné que Dean et les deux agents des stupéfiants rencontrés à Flagstaff. Les fuyards, paniqués, brisaient des vitres et renversaient des meubles sur leur passage. Wilder et Shockley apparurent et firent les sommations d’usage. Les hommes s’immobilisèrent l’un après l’autre en levant les mains.
Arrivée dans la cuisine, elle aperçut Dean conversant avec Benita et son assistante. Blotties l’une contre l’autre, les deux femmes répondaient aux questions qui leur étaient posées : combien d’hommes se trouvaient dans la maison et dans quelles pièces. La fumée des échanges de coups de feu, âcre et bleutée, flottait encore dans la pièce.
Ce n’est qu’en pénétrant dans le couloir de l’aile sud qu’elle retrouva enfin Boone. L’un de ses genoux était posé au sol, tandis que de l’autre, il écrasait le dos de Corbin Marsh allongé face contre terre.
Il leva aussitôt la tête.
— Qu’est-ce que tu fiches encore ici, bon Dieu ?
La gorge de Jayne se serra, et quelque chose se noua dans son estomac.
— Je ne pouvais pas te quitter comme ça, plaida-t-elle.
— Si, tu le devais !
Plongeant la main dans sa poche intérieure, il en sortit son rouleau d’adhésif.
— Bouge de là, chérie.
Une silhouette se déplaça derrière lui. Harvey, ensan-glanté, se redressait lentement sur ses pieds. Sa main se glissa vers son holster, avant de réapparaître armée d’un petit pistolet.
— Boone, derrière toi ! cria-t-elle.
Boone pivota sur lui-même et fit feu. Harvey s’effondra dans un bruit sourd. Profitant de cette diversion inattendue, Marsh parvint à se libérer de l’emprise du détective, se releva et courut vers la jeune femme. Ses pâles yeux bleus se rivèrent aux siens. Jayne vit la haine qui les habitait. L’homme avait beau être désarmé, sa vue lui donnait néanmoins la chair de poule.
Boone le mit en joue, mais n’appuya pas sur la détente. Jayne se trouvait dans la trajectoire. Marsh hésita une frac-tion de seconde, puis se précipita dans la première chambre venue.
Dean venait d’apparaître au fond du couloir. Tandis qu’il pénétrait dans la pièce où venait de se réfugier le produc-teur, Boone s’approcha de Jayne, la dévisagea quelques instants… et l’embrassa avec fougue.
— Maintenant sors d’ici, commanda-t-il.
Elle obtempéra à contrecœur. L’unique façon de le convaincre qu’elle avait de nouveau confiance en lui était de faire exactement ce qu’il lui disait. Sans poser de ques-tions.
Elle retrouva Clint de l’autre côté de la grille en fer forgé du jardin qu’il avait crochetée sans le moindre problème. Un véhicule tout-terrain attendait de l’autre côté. Drew et Lacey avaient déjà pris place sur les sièges arrière, prêts à partir.
— Vous voulez m’attirer des ennuis, mademoiselle Bar-rington ? demanda Clint en l’aidant à s’installer sur le siège passager.
Sans daigner lui répondre, elle se retourna pour regarder derrière elle, tandis que le véhicule démarrait à plein ré-gime. La grande maison rose s’éloigna rapidement. Drew se pencha entre les sièges avant et étudia le visage du conduc-teur.
— Vous êtes un cow-boy ? demanda-t-il.
— Non, répondit Clint, tout sourire. Je ne suis pas un cow-boy, je suis un clown de rodéo.
— Vous êtes un clown ? s’étonna l’enfant. Où est votre nez rouge ?
— Dans ma valise, répondit Clint sans tourner la tête. Avec mes chaussures géantes.
Drew éclata d’un rire clair.
— Vous n’avez pas du tout l’air d’un clown !
Jayne se tourna vers l’enfant, un sourire indulgent sur les lèvres.
— Ce clown est le frère d’oncle Booboo, mon chéri.
— C’est vrai ?
Clint lança une œillade amusée à la jeune femme :
— Oncle Booboo ?
— Mais tu peux l’appeler oncle Clint, ajouta-t-elle à l’intention de l’enfant.
Oncle Clint partit d’un grand éclat de rire.
— Oncle Booboo ! répéta-t-il. Elle est bien bonne, celle-là !
Jayne jeta un nouveau coup d’œil par la lunette arrière, mais la résidence avait à présent disparu. Boone avait dû s’en sortir sans dommages. Il était fort, il était dans son droit… et cette fois, il n’était pas seul.
— Mademoiselle Jayne, s’enquit soudain le petit garçon, le visage tourné vers le paysage qui défilait sous ses yeux, où est oncle Corbin ?
Le cœur de Jayne s’arrêta de battre. Corbin Marsh avait beau être une sinistre crapule, il s’était montré bon avec Drew. Mais celui-ci n’était pas en mesure de comprendre les événements auxquels il venait d’assister. Que pouvait-elle lui répondre ?
Clint le fit à sa place :
— Oncle Corbin désire que tu vives désormais dans une nouvelle maison parce qu’il ne peut plus s’occuper de toi. Il a donc téléphoné à ton grand-père et à ta grand-mère pour leur demander de venir te chercher. Tous deux t’attendent à l’hôtel où est descendue Mlle Jayne.
— Il a fait cela ?
— Ouaip ! Ce sont des personnes très gentilles. Je leur ai moi-même parlé au téléphone.
— Avant de partir au ciel, reprit Drew d’une petite voix, ma maman m’a montré des photos de papi et de mamie. Elle m’a dit que mamie faisait les meilleurs ******s au chocolat du monde. Et qu’un jour nous irions vivre avec eux.
— Ils sont impatients de te voir, ajouta Clint. Je suis sûr que ta grand-mère te préparera de ces merveilleux ******s.
*
* *
Boone envoya des coups de pied à droite et à gauche, pes-ta, jura, puis projeta le premier objet à sa portée — un vase de cristal — à travers la pièce. Corbin Marsh, alias Joaquin Gurza, avait disparu.
— Je le tenais ! enragea-t-il. J’avais le genou appuyé sur son dos, mon rouleau d’adhésif à la main.
— Que s’est-il passé ? s’étonna Shock.
— Jayne a fait irruption, Harvey a tenté de me descendre par-derrière, et tout est allé de travers.
— Pas de chance, grogna l’agent.
Harvey était mort, Darryl en prison. Clint avait emmené Jayne, Drew et Lacey en sûreté. Et pour le moment, rien d’autre n’importait. De savoir qu’ils étaient tous les trois sains et saufs était réconfortant. D’avoir ravi l’enfant des mains de Gurza représentait en outre une incontestable réussite professionnelle. Un autre enfant retrouvait son véritable foyer.
Mais au-delà de cet aspect de sa mission, le fait que Jayne s’en fût sortie indemne le touchait au plus profond de lui-même. Il pouvait respirer, à présent. Son cœur ne mena-çait plus d’imploser, comme lorsqu’il avait vu le canon de l’arme pointé sur elle.
Non, rien n’importait plus que le sort de la jeune femme et de l’enfant. Quand bien même il mourait d’impatience de remettre la main sur Marsh. Del avait découvert un passage dérobé dans le plancher d’un placard, débouchant sur un tunnel. L’oiseau s’était bel et bien envolé.
Boone se laissa aller à quelques obscénités bien senties. Dean s’approcha de lui et plissa les yeux, la tête penchée de côté.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— Hein ?
— J’aurais juré t’avoir entendu dire « crotte ».
Chapitre 17 :
Cette journée avait sans doute été la plus longue de sa vie. Jayne se laissa tomber sur le lit de sa chambre, vidée de ses forces. Drew était en sécurité auprès de ses grands-parents. Les Patterson passaient la nuit ici, dans le même hôtel, avant de s’envoler pour l’Alabama le lendemain matin. Soucieux d’éviter à l’enfant une rupture brutale avec son environnement, ils avaient décidé de garder provisoi-rement Lacey avec eux. La pauvre fille n’avait du reste aucun endroit où aller.
Quant aux bagages laissés chez Marsh, ils lui avaient été livrés par un jeune policier. A son grand dépit. Elle avait un moment espéré que Boone s’en chargerait. Espoir stupide, et pourtant…
Après s’être débarrassée non sans mal du dernier journa-liste, s’être enfermée dans sa chambre, avoir obtenu du standard qu’il filtre les appels et parlé à son père — celui-ci lui avait annoncé son arrivée pour le lendemain — elle avait enfin pu jouir des bienfaits d’un bain chaud et avaler un repas.
Alors pourquoi ne parvenait-elle pas à trouver le som-meil ?
Parce que Boone n’était pas là. Parce qu’elle avait pensé pis que pendre de lui, et qu’il s’en était rendu compte. Pourquoi éprouvait-elle tant de mal à écouter la voix de son cœur ? Elle aurait dû savoir que c’était à Marsh qu’il men-tait. Pas à elle. Jamais il ne lui avait menti.
Des coups frappés à la porte la firent bondir hors du lit. S’il s’agissait d’un autre reporter, décida-t-elle, il serait mal reçu ! C’était sa première nuit de tranquillité depuis long-temps, et elle entendait bien ne pas être dérangée.
Tout en nouant la ceinture de son peignoir d’une main nerveuse, elle s’approcha de l’entrée sur la pointe des pieds et jeta un œil par le judas.
Elle ouvrit aussitôt grand la porte. La mine épuisée, Boone se dandinait d’un pied sur l’autre dans le couloir, mal à l’aise.
— Dean m’a dit que tu occupais la même chambre que la dernière fois, expliqua-t-il. Je voulais juste m’assurer que tu allais bien.
Jayne sentit son estomac se nouer. Si elle se *******ait de lui répondre qu’elle se portait comme un charme, il s’en irait et tout serait terminé. Mais elle ne voulait pas qu’il s’en aille, et ce qu’elle lisait dans ses yeux lui disait qu’elle avait une chance de le retenir.
Le saisissant par les pans de son blouson, elle le tira gen-timent à l’intérieur de la pièce.
— Où étais-tu ? demanda-t-elle en lançant ses bras au-tour de son cou. J’étais morte d’inquiétude. Je croyais que tu ne viendrais plus.
Dieu qu’il était agréable de sentir de nouveau son corps contre le sien !
Il referma la porte d’un coup de pied, puis la verrouilla sans quitter Jayne des yeux.
— J’ai dû parler aux policiers, répondit-il. Locaux et fé-déraux. Ils m’ont littéralement assommé de questions.
La prenant par la taille, il la souleva du sol. Jayne refer-ma les jambes dans son dos.
— Et pendant tout ce temps, reprit-il en baisant ses lè-vres entrouvertes, je n’avais qu’une idée en tête, te retrou-ver.
Jayne plongea une main fébrile dans ses longs cheveux. Chaque nerf, chaque muscle de son corps vibrait de désir. Son cœur lui martelait la poitrine. Elle l’embrassa avec avidité, et il lui répondit avec la même ardeur. Ce baiser signifiait qu’ils avaient survécu, qu’ils étaient ensemble, que rien d’autre n’avait d’importance. Elle voulait crier et pleurer en même temps, mais la joie qu’elle éprouvait se concentra dans la brûlante rencontre de leurs bouches, dans l’intimité de leur étreinte, dans la saveur de leurs langues emmêlées.
Sans rompre leur baiser, Boone la transporta jusqu’à la chambre, s’étonnant encore de sentir combien il avait be-soin d’elle.
Jayne n’en savait pas davantage, mais elle se fichait de savoir pourquoi elle tenait à lui, pourquoi elle l’aimait, pourquoi elle le désirait. Ce qu’ils vivaient ici et maintenant était juste, réel, et prenait le pas sur toute autre considéra-tion.
Au moment où il la couchait sur le lit, leurs deux corps enlacés, elle le repoussa gentiment, le souffle court et l’œil brillant.
— J’avais tellement peur de ne plus jamais te revoir, dé-clara-t-elle d’une voix émue. Peur de ne jamais avoir l’opportunité de te dire que…
— Jayne, coupa-t-il, une note d’avertissement dans la voix.
— Que j’étais désolée, termina-t-elle, incapable de lui déclarer son amour. Je t’ai entendu parler à Marsh, et pen-dant un moment, j’ai… j’ai cru que tu étais…
— C’est sans importance, maintenant.
— C’est important, au contraire. Je n’ai pas écouté ce que me disait mon cœur. Je n’ai pas su te faire confiance. Je me sens tellement coupable…
Il l’apaisa d’un baiser.
— Tout va bien, ma chérie.
— Tout va bien ? Comment peux-tu dire cela ?
Remontant sa chemise de nuit, il lui caressa un sein, puis l’autre.
— Cette nuit, nous avons mieux à faire que de rester là à parler de tout ce qui n’a pas marché comme nous l’aurions souhaité. Je veux t’ôter ces vêtements. Je veux te faire l’amour, te faire hurler de plaisir.
— Oh, Boone ! gémit-elle. Mais je dois d’abord te…
Un nouveau baiser la réduisit au silence, et elle oublia bien vite la confession qu’elle s’était promise de lui faire.
Boone s’enfonça dans la baignoire et ferma les yeux. Une Jayne comblée lui faisait face, ses longues jambes se mêlant aux siennes dans l’eau chaude et parfumée.
Qu’allait-il décider, à présent ? Il ne pouvait quand même pas lui coller aux basques tel un chiot, pas plus qu’il ne pouvait raisonnablement lui demander de le suivre en Alabama. Ils avaient toujours aussi peu de choses en com-mun. D’accord, ce qu’ils partageaient était merveilleux, mais le sexe seul ne suffisait pas à construire une relation solide et durable.
— Mais au fait ! s’écria-t-elle soudain. Et Corbin Marsh ? Il est en prison ?
Boone rouvrit les yeux et scruta le visage émouvant et radieux de sa compagne.
— Non. Il s’est échappé.
Jayne écarquilla les yeux, incrédule.
— Quoi ?
— Par une trappe dissimulée dans le placard. Elle ou-vrait sur un tunnel. Quand nous nous en sommes rendu compte, notre homme avait depuis longtemps pris la poudre d’escampette…
Sa mâchoire se crispa.
— Marsh était Gurza, ajouta-t-il.
L’expression de stupéfaction qui se peignit sur les traits de Jayne montrait qu’il lui était difficile d’envisager une telle duplicité.
— Mais comment est-ce possible ?
— D’après les confessions de Darryl, Marsh « devenait » Gurza lorsqu’il avait besoin de faire peur à quelqu’un. Il se travestissait alors d’une perruque noire, de lentilles de contact marron, et d’un peu de maquillage pour fignoler le tout. Les rencontres étaient toujours arrangées dans des endroits sombres, de sorte que personne ne pouvait voir distinctement son visage.
Boone secoua lentement la tête, le visage tendu.
— Comment la mère de Drew l’a-t-elle rencontré ?
— En accompagnant son petit ami, dealer lui aussi, lors d’une transaction. Drew était sur le siège arrière de la voi-ture. Apparemment, Marsh s’est entiché d’Erin, mais je crois qu’il a également été choqué par la présence de l’enfant. Il les a tous deux emmenés chez lui, laissant Dar-ryl « s’occuper » du petit ami d’Erin. Bien sûr, il n’a pas fallu longtemps à cette dernière pour comprendre que Gur-za et Marsh ne faisaient qu’un. Elle a eu peur. Marsh a découvert qu’elle avait l’intention de fuir. Il l’a supprimée d’une injection massive d’héroïne, avant de charger Harvey de se débarrasser du corps à Flagstaff.
Jayne se glissa sur lui dans la baignoire et posa la tête sur son torse mouillé.
— Où peut-il se trouver, maintenant ? demanda-t-elle en frissonnant.
— En cavale, loin, très loin, répondit-il, espérant que ce fût vrai. Trop de gens le connaissent dans le coin. Son por-trait a été diffusé dans tous les médias.
Jayne lâcha un soupir. D’un geste tendre, Boone glissa les doigts dans les boucles blond doré de ses cheveux.
— Je ne t’ai jamais remerciée pour m’avoir sauvé la vie.
Jayne redressa vivement la tête.
— De quoi parles-tu ?
— Je n’avais pas entendu Harvey, derrière moi.
— Eh bien si je t’ai sauvé la vie, ce n’est que justice. Tu as, plus d’une fois, sauvé la mienne.
Une vague d’émotion fit pétiller ses yeux verts, que nuançaient des taches bleutées.
— Vois-tu, poursuivit-elle, dans certaines cultures cela signifierait que… nous appartenons à jamais l’un à l’autre. Que nous sommes obligés de veiller l’un sur l’autre jusqu’à la fin de nos jours.
Jusqu’à la fin de nos jours ? Cette idée l’effrayait au moins autant que les serpents effrayaient Jayne !
— Peut-être pouvons-nous commencer doucement, sug-géra-t-il. Pourquoi ne pas veiller l’un sur l’autre cette nuit pour commencer, nous aviserons alors, si l’expérience s’avère concluante.
Un large sourire illumina le visage de Jayne.
— Tope là !
Approchant ses lèvres de son cou, elle glissa une langue taquine sur sa peau, puis émit un gémissement de bien-être lorsque la main de Boone remonta le long de son dos.
Après qu’ils se furent mutuellement séchés, caressant chaque partie de leurs corps jusqu’aux zones les plus inti-mes, il la souleva dans ses bras pour la transporter jusqu’au lit, que baignait une douce lumière. Les draps étaient déjà défaits, et Jayne, nue dans ses bras, frémissait d’anticipation. Seigneur, il la désirait plus qu’il n’avait jamais désiré aucune femme…
Ils firent l’amour longuement, avec tendresse et passion.
Une éternité plus tard, tandis qu’ils laissaient leurs cœurs retrouver un rythme normal, la pertinence des propos de Jayne le frappa soudain à pleine force, lui donnant presque le vertige. Indépendamment du fait qu’elle lui avait sauvé la vie et qu’il avait sauvé la sienne, ils appartenaient bel et bien l’un à l’autre. D’une manière qui l’effrayait à tel point qu’il eut envie de se lever, de s’habiller et de l’abandonner lâchement.
Une telle attitude ne lui ressemblait guère.
Après quelques heures de sommeil profond, Jayne se ré-veilla pour trouver Boone allongé à ses côtés, les yeux grands ouverts, absorbé dans la contemplation du plafond.
— Tu devrais dormir, dit-elle en basculant sur le flanc.
— Je sais.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Dans son esprit, tout ne pouvait qu’aller bien au-jourd’hui, demain et les autres jours. Ce qui se passait entre eux était juste. Elle était à lui, il était à elle, et rien d’autre n’importait.
— Je… je réfléchissais, simplement.
Elle nicha sa tête sur sa poitrine.
— Tu auras tout le temps de réfléchir demain, soupira-t-elle. La nuit est faite pour dormir.
La main de Boone se posa sur ses cheveux, tendre et possessive.
— Si seulement je pouvais…
Jayne l’enlaça, et son corps nu épousa celui de son amant.
— Nous pouvons en parler maintenant, si tu le désires. Ensuite tu pourras dormir.
— Non.
— Lorsque notre esprit est ainsi tiraillé à droite et à gau-che, reprit-elle en faisant courir la pointe de ses doigts sur son dos, je crois qu’il est important d’avoir quelqu’un à qui se confier.
Boone soupira, mais son corps ne manifesta aucune réac-tion.
— Tu te souviens du jour où tu m’as demandé pourquoi je m’étais spécialisé dans la recherche des enfants dispa-rus ?
Jayne voulut se redresser sur un coude pour mieux voir l’expression de son visage, mais préféra ne rien en faire, se *******ant de se blottir davantage contre lui.
— Et tu ne m’as pas répondu.
— Je ne l’ai jamais dit à personne, murmura-t-il. Ni à mes frères, ni à ma sœur… A personne.
Elle pria pour qu’il le fît cette nuit, avec elle, qu’il lui li-vrât le fond de son cœur, lui accordât sa confiance. Mais elle n’était pas certaine de la mériter. Pas encore.
— Tu peux m’en parler, si tu veux…
Pendant quelques minutes il demeura silencieux. Jayne en conclut que le chapitre était clos. Et elle ne voulait ni insister, ni le harceler, ni l’amener à dévoiler contre son gré des choses qu’il ne souhaitait pas partager. Un jour peut-être…
— Il y a quelques années j’étais flic, reprit-il enfin. A cette époque, j’étais jeune, inexpérimenté et rongé d’ambition. Je me voyais effectuer une carrière fulgurante, passer rapidement inspecteur, puis intégrer la section des homicides. Je portais même la coupe de cheveux réglemen-taire et l’uniforme, et je disposais d’une voiture de pa-trouille.
Boone Sinclair, policier sans peur et sans reproche, prêt à sauver le monde… Elle voyait cela d’ici.
— Et puis il y eut ce gosse. Un adolescent nommé Pa-trick, qui fuguait régulièrement de chez lui. Nous recevions chaque fois à la brigade des appels affolés, voire hystéri-ques de ses parents. Patrick, cependant, regagnait toujours son foyer quelques jours plus tard, c’est-à-dire lorsqu’il estimait les avoir suffisamment fait souffrir.
Il secoua la tête, et un pli soucieux se forma sur son front.
— Ce gosse était un véritable poison, soupira-t-il. Un après-midi, j’ai reçu un nouvel appel de ses parents. C’était un mauvais jour, l’un de ceux qui donnent l’impression de ne jamais vouloir se terminer. C’est donc d’une humeur massacrante que je m’y suis rendu. Bon Dieu, le garçon était à deux mois de ses dix-huit ans. A deux mois de pou-voir quitter sa famille en toute légalité.
Jayne déposa une suite de petits baisers sur son torse, seule manière de lui témoigner sa sympathie.
— Ses parents étaient une fois de plus paniqués. Patrick n’était pas rentré. La mère était en larmes, le père se tordait les mains, et j’ai laissé s’exprimer ma colère. Je leur ai déclaré que leur petit morveux rentrerait lorsqu’il aurait faim, ou qu’il s’ennuierait, ou qu’il en aurait assez de les emmerder. J’ai ajouté que ce n’était qu’un enfant gâté et enquiquineur, et leur ai conseillé de profiter des quelques jours de calme qu’il leur octroyait.
Sa respiration se fit plus courte, plus rapide.
— J’ai rédigé un rapport, mais je ne suis pas intervenu. Je n’en ai pas averti l’équipe de patrouille venue prendre la relève. Je n’ai pas sillonné le quartier pour le retrouver. J’ai… j’ai simplement décidé de l’oublier.
A la tension de son corps sous le sien, Jayne devina ce qui allait venir.
— Son corps fut retrouvé deux jours plus tard. Il avait été heurté par une voiture en revenant de l’épicerie, avant de basculer dans un fossé envahi de hautes herbes. Une boîte de soda gisait à côté de lui, et il avait une barre de chocolat dans la poche. Ce n’était qu’un enfant. Un chauf-fard l’avait tué avant de prendre la fuite.
— Tu ne pouvais pas savoir.
— J’ai appris qu’il n’était pas mort tout de suite, poursuivit-il sans l’entendre. Il est resté dans ce fossé plusieurs heures, blessé, incapable de bouger ni d’émettre le moindre son. Si je m’étais mis à sa recherche, si j’avais fait mon travail…
— Non, dit Jayne en posant une main sur sa joue, le re-gard intense. Ce qui est arrivé à ce garçon n’est pas de ta faute.
— Si, soupira-t-il. Si j’avais ratissé le quartier, je l’aurais peut-être retrouvé. Il serait peut-être encore en vie au-jourd’hui.
— Boone…
— Mais ce qui est pire, c’est qu’au moment où il agoni-sait dans ce fossé, je déclarais à ses parents qu’il n’était qu’un petit emmerdeur, et qu’ils se portaient certainement mieux sans lui.
— Mon Dieu…
— Depuis lors, mes nuits sont peuplées de cauchemars. Il semble que je sois condamné à les subir jusqu’à la fin de mes jours. Je m’efforce de croire que si je ramène suffi-samment d’enfants dans leurs foyers, si je trouve un lieu d’accueil décent pour ceux qui en sont privés, alors peut-être mes cauchemars s’arrêteront-ils.
Levant une main tremblante, il lui caressa le visage.
— Mais j’en doute. Vois-tu, peu importe que je… que j’éprouve plus d’affection pour toi que je n’en ai jamais éprouvé pour aucune femme dans ma vie. Peu importe le fait que je désire ce que je ne peux obtenir. Ma vie, c’est de retrouver le plus d’enfants possible et c’est tout ce qui compte.
Jayne se pencha sur lui et prit son visage entre ses deux mains. Il l’aimait. Certes il ne reconnaissait qu’une grande « affection » pour elle, mais il était clair qu’il l’aimait. Elle l’embrassa avec tendresse.
— Je veillerai sur toi pendant que tu dors, chuchota-t-elle. Je ne laisserai pas ces cauchemars envahir ton som-meil. Je demeurerai vigilante, te protégerai, et lorsque le matin sera venu…
— Jayne…
Oh non, elle ne l’autoriserait pas à lui intimer le silence. Pas cette fois.
— Je t’aimerai encore.
Il l’attira vers lui et la tint longuement serrée contre sa poitrine. Puis il sombra peu à peu dans le sommeil.
Chapitre 18 :
Le timbre aigu de la sonnerie du téléphone la réveilla. Les lourdes tentures isolaient la chambre de la lumière matinale, mais les aiguilles du réveil lui indiquaient qu’elle avait dormi beaucoup plus tard que de coutume.
— Boone ?
Le lit était vide, et ses vêtements avaient été ramassés du sol. Même son blouson avait disparu du dossier de la chaise où il l’avait déposé. Le téléphone sonna de nouveau. Elle décrocha.
— Allô ?
— Ma colombe, je suis dans le hall.
— Oh ? Euh, bonjour, papa.
Son sang ne fit qu’un tour. Elle tourna la tête vers la salle de bains. Où était Boone ?
— Je t’ai réveillée ? demanda-t-il d’une voix surprise.
— Oui, avoua-t-elle en se glissant hors du lit. Désolée. La journée d’hier a été très longue.
— Je suis là dans deux minutes.
— Attends !
Trop tard. Le sénateur Barrington avait raccroché et s’apprêtait à prendre l’ascenseur.
Jayne attrapa ses sous-vêtements et sa chemise de nuit étalés au pied du lit, avant de les fourrer dans un tiroir de la coiffeuse au milieu d’autres vêtements bons pour la lessive. Ne disposant que de très peu de temps avant l’arrivée de son père, elle décrocha la première robe qui lui tomba sous la main dans le placard, en légère cotonnade vert pâle.
Que pourrait-elle lui dire ? Pour le moment, une seule pensée occupait son esprit : où était passé Boonfe ? Il n’était sûrement pas parti. La nuit qu’ils venaient de partager n’avait pas eu un parfum d’adieu. Impossible.
Tandis qu’elle glissait les pieds dans ses sandales, deux petits coups familiers furent frappés sur la porte. Ebourif-fant ses boucles blondes d’une main nerveuse, elle se diri-gea vers la porte. De quoi diable allait-elle lui parler ?
« Bonjour, papa. Tu ne devineras jamais ! J’ai fait la rencontre de cet homme. Je suis sûre que tu l’adoreras comme je l’adore ».
Non. Trop faible.
« Papa ! Devine ce qui m’est arrivé ! »
Non. Il comprendrait autre chose…
« Papa, je suis amoureuse. Il m’aime, je le sais, même si pour le moment je n’ai aucune idée de l’endroit où il se trouve, ni s’il va revenir… »
Elle ouvrit la porte :
— Papa…
Gus Barrington s’avança dans la pièce, étreignit sa fille, puis la tint à bout de bras pour la contempler de la tête aux pieds, avec l’œil avisé d’un père protecteur. Comme à son habitude, Chad, son principal collaborateur, se tenait un bon mètre derrière lui.
— Tu es resplendissante, observa-t-il, le visage éclairé d’un sourire heureux. Pas la moindre marque de fatigue !
— Je te remercie.
Chad, 35 ans, mince et ambitieux, dont la jeune carrière était néanmoins menacée par une incapacité pathologique à sourire, prit le relais :
— La conférence de presse débute dans vingt minutes.
— Une conférence de presse ? s’étonna-t-elle.
— Le hall est envahi par les médias, ma colombe, préci-sa le sénateur. Ils ont des milliers de questions à poser, et je suis bien en mal de répondre à une seule d’entre elles. Il m’a semblé judicieux de laisser Chad organiser une petite réunion pour en avoir fini au plus vite. Tu n’y vois pas d’inconvénient, je suppose ?
Chad l’étudia avec circonspection.
— La robe est ravissante, Jayne, mais un peu trop dé-contractée pour une conférence de presse. N’auriez-vous pas sous la main un ensemble plus habillé ? Je pense à ce tailleur mauve, ou au vert turquoise…
Pamela la taquinait souvent à propos de la quantité de vêtements qu’elle emportait à chaque voyage. Mais elle devait constamment parer à toute éventualité. Y compris les conférences de presse imprévues.
— Bien sûr, répondit-elle, un peu contrariée.
Non, ce n’était pas exactement la rencontre informelle qu’elle s’était imaginée.
D’un geste de la main, son père fit signe à Chad de s’écarter. Docile, celui-ci obtempéra. Il s’éloigna de quel-ques pas, puis ouvrit son porte-documents en cuir et fouilla d’un air concentré dans ses papiers.
Plaçant les mains sur ses épaules, le sénateur scruta son visage.
— Es-tu sûre que tout va bien ? Tu as bonne mine, je le concède, mais d’après les quelques informations qui me sont parvenues, je sais que tu as vécu d’affreux moments.
Jayne hocha la tête. Il n’en avait aucune idée.
— C’est vrai, répondit-elle. Il est avéré que Corbin Marsh est un trafiquant de drogue et un meurtrier. Il proje-tait de te soutenir publiquement et financièrement, puis… d’extorquer ton appui par chantage.
Elle hésita quelques secondes, le visage grave, avant de poursuivre :
— Si les choses avaient tourné autrement, si nous n’avions pas découvert qui il était, il t’aurait sans aucun doute compromis dans de très sales opérations.
Gus Barrington la gratifia d’un sourire indulgent.
— Ne t’inquiète pas pour ce qui aurait pu se passer. Pour être franc, je me serais retourné sur-le-champ contre ce serpent à sonnettes, au risque de mettre un terme à ma car-rière politique.
— Je le sais, soupira-t-elle.
Si elle s’agaçait parfois de l’aspect public de la vie de son père, elle savait qu’il n’en demeurait pas moins un homme foncièrement droit et honnête.
— Vois-tu, papa, tant d’événements se sont produits que je ne sais pas par où commencer… Quant à répondre aux questions des journalistes, je ne vois pas ce que je pourrais leur dire. A la vérité, je préférerais ne pas leur parler du tout. Oh, je le ferai si tu le souhaites vraiment, mais ne pourrions-nous pas simplement leur déclarer que je vais bien, et que nous discuterons de tout cela une autre fois ?
Un voile d’inquiétude assombrit le regard du sénateur.
— Si c’est ce que tu désires…
— Sénateur, objecta Chad. Dans quelques jours, cette histoire sera oubliée, et nous avons là des journalistes im-portants…
Un temps d’antenne gratuit comprit Jayne immédiate-ment.
— Si ma fille ne souhaite pas leur parler aujourd’hui, ré-pondit-il, l’œil grave, je ne la forcerai pas. Je leur dirai qu’elle est sauve, en bonne santé, et que je la ramène à la maison. Ils devront s’en satisfaire.
Jayne ne put réprimer un sourire.
— Merci, murmura-t-elle.
De nouveaux coups sur la porte.
Boone ? Oh, le moment était on ne peut plus mal choisi pour une confrontation entre les deux hommes les plus importants de sa vie !
— J’ai commandé du café, dit Chad en se dirigeant vers la porte.
— Attendez…
Sa faible protestation arriva trop tard.
L’homme qui surgit en trombe dans la pièce n’était ni Boone ni le garçon d’étage. L’intrus bouscula Chad, qui perdit l’équilibre et tomba. Des papiers s’envolèrent, le porte-documents fut projeté au sol. Le nouveau venu l’écarta d’un coup de pied.
Jayne ne reconnut pas tout de suite cet individu basané aux cheveux noirs. Puis son regard tomba sur le revolver qu’il tenait au poing. Ce n’est que lorsqu’il la regarda droit dans les yeux qu’elle comprit. Apparemment, il avait négli-gé les lentilles de contact. Par contraste avec le fond de teint olivâtre, les pâles yeux bleus lui donnaient un air si-nistre et inquiétant.
— Marsh.
— Le joli tableau que vous formez tous les deux ! obser-va-t-il d’un ton hargneux.
Au moment où il claquait la porte derrière lui sans se re-tourner, Chad lança le pied et la bloqua, grognant sous la douleur qui lui vrilla la cheville. Le producteur ne sembla pas s’en apercevoir.
— Le père et la fille enfin réunis. C’est très touchant.
Penchant la tête de côté, il dévisagea de nouveau la jeune femme.
— Où est-il ?
— Je ne vois pas de qui vous…
Marsh leva son arme et la pointa vers elle.
— Sinclair, Tex, ou quel que soit son nom. Où est-il ?
Le sénateur se plaça devant sa fille, faisant ainsi obstacle de son corps.
— Jayne ? De qui cet homme parle-t-il ?
Marsh les contourna, le sourire aux lèvres, maintenant la distance qui le séparait d’eux sans cesser de menacer Jayne de son arme.
— Ah ! Il ne sait pas encore, n’est-ce pas ? J’ai toujours pensé que le spectacle du sénateur rencontrant le petit voyou avec lequel sa fille s’envoie en l’air sans vergogne serait des plus plaisants !
Gus Barrington s’avança d’un pas, le visage congestion-né.
— Comment osez-vous ?
— Papa, intervint Jayne, arrêtant le sénateur d’une main ferme sur son bras. Elle darda sur Marsh un regard incen-diaire : J’ignore où est Boone. Il est parti.
Marsh-Gurza secoua la tête.
— Il convoitait le petit depuis le début, dit-il. Mais lors-que je m’en suis rendu compte, il était déjà trop tard. J’aimais beaucoup cet enfant, vous savez. J’y tenais énor-mément. Sa mère était une toxicomane et une putain, mais Drew était innocent. Il était la seule chose qui me soit arri-vée de bien dans ma vie…
— Combien de temps serait-il resté innocent ? coupa Jayne d’un ton agressif. Tôt ou tard vous l’auriez contami-né. Vous l’auriez transformé en un autre Harvey. Il n’avait aucune chance de mener une vie décente en restant auprès de vous.
— Vous l’avez aidé, grogna le producteur en agitant son revolver. Vous avez aidé ce menteur, ce salaud, à m’enlever Drew. Vous paierez pour cela.
— Si vous tirez, déclara le sénateur d’une voix calme, vous ne sortirez pas vivant de cet hôtel.
Marsh reporta son attention sur lui.
— Ma vie est finie. Ma maison, Drew, ma carrière… mes carrières, devrais-je dire. Ma fortune. Tout cela est terminé. Mais je ne partirai pas seul.
Son poing se resserra sur la crosse, tandis que son index appuyait peu à peu sur la détente.
La porte s’ouvrit brusquement. Dans un mouvement flou de denim et de cuir, Boone bondit au-dessus de Chad, se jetant devant Jayne et son père au moment même où le coup de feu éclatait. Surpris, Marsh sursauta et la balle passa à quelques centimètres de sa cible. La vitre de la fenêtre vola en éclats.
Sans lui laisser le temps d’une seconde tentative, Boone immobilisa son poignet et asséna au producteur un uppercut qui le fit tournoyer sur lui-même. L’arme fut projetée au sol, traversant la pièce dans sa course. Les deux hommes étaient à présent désarmés. N’importe quel être sensé eût alors compris que Boone aurait l’avantage dans une lutte à mains nues. Il était plus jeune, plus grand et plus fort. Mais c’est un Marsh rendu fou de rage qui se précipita sur lui.
Esquivant son attaque, le détective l’arrêta d’un coup de botte en pleine poitrine. Le producteur tituba en arrière et trébucha sur Chad. Ce dernier émit un grognement de dou-leur, puis, reprenant ses esprits, l’envoya d’une solide bour-rade rouler au centre de la pièce.
A bout de souffle, Marsh tenta une nouvelle fois de se relever, mais Boone l’immobilisa d’une clé, plaquant sa tête contre le sol. A califourchon sur l’homme, il se tourna vers Jayne et prit une profonde inspiration.
— Appelle la chambre 819, chérie. Et dis à Shock que s’il se dépêche, il pourra passer les menottes à Jack l’Eventreur.
Tout ce qu’il désirait, c’était toucher Jayne et s’assurer qu’elle n’avait rien. Elle semblait indemne en dépit de sa pâleur, mais il voulait la serrer dans ses bras afin d’en juger par lui-même.
Il était revenu à l’hôtel pour faire ses adieux à Jayne dans sa suite, sans se douter un seul instant qu’il entendrait la voix rageuse de Corbin Marsh filtrer par la porte entre-bâillée. Il n’osait penser à ce qui se serait passé s’il n’était pas venu lui rendre une dernière visite.
Une possibilité qui ne s’offrirait plus avant longtemps. Car son père s’était empressé de l’envoyer dans sa chambre pour qu’elle se prépare à affronter les journalistes, la confé-rence de presse ayant été reportée pour raisons de force majeure. Le bruit de la fusillade avait rameuté tout l’hôtel, et selon le sénateur, il n’était plus question d’annuler la rencontre.
Après avoir remis Corbin Marsh à Del et à Shock, Boone se retrouva momentanément seul avec le père de Jayne et son freluquet d’assistant. La tension qui planait dans la pièce était à couper au couteau. S’il avait pu s’enfuir sans passer pour un couard, il l’eût fait sans hésiter.
Le freluquet avait insisté pour que Boone fût associé à la conférence, arguant de pauvres inepties : l’homme ordinaire qui avait risqué sa vie, bla-bla-bla. Le sénateur étudiait Boone d’un œil inquisiteur, comme s’il cherchait à le dissé-quer morceau par morceau. Que Jayne lui avait-elle dit ?
Jayne émergea de la salle de bains plus ravissante que jamais, bien qu’un peu collet monté avec son rang de perles et son tailleur vert. Il voulut lui parler, mais le freluquet la dirigea sans attendre vers le couloir, comme un garde du corps zélé. Boone les suivit. Non parce qu’il avait des révé-lations à livrer à la presse, mais parce qu’il n’avait toujours pas eu l’occasion de lui parler.
Et qu’il le voulût ou non, il devait lui faire ses adieux. Après avoir accompagné les Patterson et Lacey à l’aéroport, il avait songé rentrer directement chez lui, en Alabama. Et tourner la page. Mais Jayne n’était pas une femme que l’on quitte aussi facilement.
Une partie de lui voulait la garder encore quelque temps ; une autre savait que leur relation était sans avenir.
Les portes de l’ascenseur se refermèrent sur eux. Jayne s’approcha de lui.
— Où étais-tu ? murmura-t-elle.
Il pencha légèrement la tête.
— J’ai emmené Drew et ses grands-parents à l’aéroport.
La présence de son père l’empêchait de lui dire qu’il n’avait pas voulu la réveiller. Elle dormait d’un sommeil si paisible…
— Les Patterson sont de braves gens, répondit-elle en posant une main sur son bras. Drew sera très heureux là-bas.
Le geste n’échappa pas à son père, qui haussa un sourcil perplexe.
Boone ne parvenait pas à croire qu’il lui avait parlé de Patrick et de ses cauchemars. Elle avait dû le prendre pour un fou, de traîner ainsi cette vieille culpabilité, de n’être pas capable de faire son deuil du passé. Il n’en avait jamais parlé à personne auparavant, n’en avait même jamais été tenté. Patrick était son noir secret, son fardeau.
Jayne n’avait pas besoin de partager un tel fardeau. Per-sonne n’en avait besoin.
Le rez-de-chaussée fut trop vite atteint. Quelques se-condes plus tard, ils se frayaient un chemin à travers une petite foule, vers une salle où caméras, reporters et micros attendaient leur arrivée.
Une fois à l’intérieur, Boone s’arrêta juste à côté de la porte. Le sénateur prit sa fille par la main, puis s’avança avec elle dans l’allée centrale, tout sourire dehors. Très maîtresse d’elle-même, Jayne se retourna pour faire signe au détective de les suivre. Celui-ci secoua la tête et ne bou-gea pas.
Le freluquet informa les reporters de la tentative d’assassinat dont Marsh s’était rendu coupable, expliquant de quelle manière un homme — il indiqua Boone d’un geste de la main — s’était courageusement interposé entre le sénateur et la balle qui lui était destinée.
Toutes les têtes se tournèrent. Des lampes éclairèrent son visage. Des dizaines de paires d’yeux se fixèrent sur lui. Bon sang, il n’appartenait pas à ce monde ! Que croyait-il ? Les adieux étaient faits pour les amoureux. Jayne et lui n’avaient jamais été qu’amants, et les amants se séparaient sans effu-sions.
Les reporters le mitraillèrent de questions sous l’œil des caméras, et les perches des micros. Il les ignora. Jayne l’observait depuis le podium érigé au fond de la salle, où elle se tenait aux côtés de son père. S’il avait besoin d’un rappel de leurs différences…
Une voix s’éleva au-dessus du tumulte :
— Qu’est-ce qui vous a poussé à vous jeter devant le sé-nateur ?
— Je ne me suis pas jeté devant le sénateur, répondit-il d’un ton rogue.
Puis il tourna les talons et sortit.
Le cœur de Jayne s’arrêta lorsqu’elle vit les portes se re-fermer sur Boone, et les caméras et micros se tourner de nouveau vers eux. Non, il ne s’était pas jeté devant le séna-teur. Il s’était jeté devant elle. A présent, il s’en allait. Elle avait aperçu l’expression de son visage avant qu’il ne dis-paraisse. Ce n’était pas celle d’un homme qui l’attendrait dans le hall à la fin de la conférence.
Elle s’avança vers les marches latérales, tandis que le sénateur trônait de toute sa hauteur sur le podium :
— Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Chad émit une sorte de sifflement et, d’un signe impé-rieux de la main, l’enjoignit de regagner sa place derrière son père. Celui-ci tourna vers elle un regard surpris.
— Désolée, papa, chuchota-t-elle, mais je dois partir.
Sans attendre sa réponse, elle descendit du podium et marcha vers la porte sous l’objectif des caméras. Puis, arri-vée à mi-chemin de l’allée centrale, elle se mit à courir.
Surgissant telle une flèche dans le hall, elle aperçut im-médiatement Clint et Dean, bagages aux pieds comme s’ils attendaient un véhicule pour l’aéroport.
— Où est-il ? demanda-t-elle, essoufflée.
— Mademoiselle Barrington, commença Dean d’un ton solennel, ce n’est vraiment pas une bonne…
— Pas maintenant, grand frère, coupa Clint.
Le visage fendu d’un large sourire, il désigna la porte à tambour de l’hôtel :
— Il est parti par là.
Jayne fit un pas dans la direction indiquée, puis, perce-vant le bruit d’une porte derrière elle, pivota vers les deux hommes.
— Il est possible que des reporters tentent de me suivre. Rendez-moi service. Retenez-les.
— Nous ne pouvons quand même pas interdire aux jour-nalistes de circuler dans le hall ! protesta Dean.
— Pourquoi pas ? répondit Clint, avant de faire craquer ses phalanges, l’œil brillant.
Jayne n’attendit pas de voir la suite des événements. Elle se précipita vers l’entrée de l’hôtel, d’où elle examina les voitures en stationnement, puis le parking situé un peu plus loin. Plissant les yeux, elle chercha vainement un blouson de cuir et une tête aux longs cheveux bruns. Etait-elle arri-vée trop tard ?
Dans le parking, elle s’arrêta de nouveau pour un rapide tour d’horizon. La journée était magnifique, le ciel d’un bleu incroyable et l’air chargé des premiers effluves du printemps. Comment une chose aussi terrible pouvait-elle se produire par une journée aussi radieuse ? C’était injuste.
Boone n’était nulle part en vue. Très bien. Elle se ren-drait à Birmingham s’il le fallait et débarquerait à son bu-reau. Mais elle ne voulait pas attendre. Pas plus qu’elle ne désirait passer des heures dans un avion sans savoir s’il serait là, ni s’il serait heureux de sa visite impromptue. Elle voulait le voir maintenant !
Elle jeta un dernier regard circulaire et l’aperçut enfin. Il s’avançait vers elle depuis la sortie d’un immeuble de gara-ges situé à l’extrémité du parking. Ses yeux se brouillèrent, puis, après quelques secondes de paralysie, elle courut à sa rencontre.
— Que fais-tu là ? s’enquit-il tandis qu’elle s’arrêtait à trois pas de lui.
— Je te cherchais. Ma grand-mère en serait scandalisée, les jeunes filles bien élevées ne courent pas après les hom-mes dans les parkings !
— Dans ce cas, il vaudrait peut-être mieux que tu re-tournes là-bas avant la fin de la conférence.
Pour quelque obscure raison, ces paroles lui firent cris-per la mâchoire.
— Papa se débrouillera très bien tout seul. Ceci est beaucoup plus important.
Elle tourna les yeux vers l’hôtel. Pour le moment, per-sonne ne l’avait suivie. Le barrage constitué par Dean et Clint était certainement un obstacle de taille, mais elle connaissait la détermination sans borne des reporters. Le temps dont elle disposait était limité.
Reportant son regard sur Boone, elle plaça une main au-dessus de ses yeux pour se protéger les yeux et mieux voir son visage.
— Est-ce que tu m’aimes ?
— Je suis sûr que grand-mère n’aimerait pas cela non plus, répondit-il d’une voix radoucie. Une jeune fille de bonne famille ne se permettrait pas…
— Nom de Dieu, Boone !
Il haussa légèrement les sourcils.
— Jayne Barrington, ai-je bien entendu ? Tu as dit « nom de Dieu ? »
Jayne sentit son visage s’empourprer. Elle savait ce qu’il tentait de faire, c’est-à-dire tourner en dérision ce qui était en train de se passer. Il prenait délibérément les choses à la légère, afin de garder la conscience tranquille et pouvoir s’en aller comme si de rien n’était.
— Très bien, soupira-t-elle. Tu penses que je devrais re-gagner la salle de conférences ? Dis-moi que tu ne m’aimes pas et je le ferai.
Les traits et le regard de Boone reprirent un aspect miné-ral.
— Cela ne devrait pourtant pas te poser de problèmes, poursuivit-elle. C’est ce que tu fais le mieux. Mentir… Ecoute-moi bien, Boone Sinclair. Tu me mens maintenant, tu me dis que tu ne m’aimes pas, et je m’en vais. Et lorsque les journalistes me demanderont qui tu es, je leur répondrai que tu es juste un brave homme qui m’a sauvé la vie à deux ou trois reprises.
Elle s’avança d’un pas.
— Ou, pour une fois, tu me dis la vérité, reprit-elle. Tu me dis que tu m’aimes, et nous partons ensemble tous les deux. Je collaborerai avec toi si tu le désires. Je t’aiderai à retrouver des enfants perdus et à chasser tes cauchemars. A moins que tu ne préfères travailler seul. Dans ce cas, je t’attendrai sagement à la maison, et serai là pour t’accueillir lorsque tu rentreras.
— Jayne, c’est…
— Assez ! Je ne veux plus de tergiversations ni de raille-ries. La vérité ou le mensonge. Tu choisis.
— Je ne…
Il ne pouvait plus lui mentir à présent, elle le savait.
La saisissant par le poignet, il l’attira contre lui. Jayne glissa aussitôt les bras autour de son cou. Il la souleva du sol, l’étreignant avec passion.
— Bien sûr que je t’aime, nom de Dieu ! grogna-t-il. Mais cela ne signifie pas que les choses fonctionneront entre nous. Tu devrais être avec quelqu’un qui… Un homme du genre de ce freluquet, là-bas. Le petit monsieur avec son porte-documents.
— Chad ? s’étonna-t-elle, horrifiée.
— Oh, et puis crotte ! grommela-t-il.
Jayne l’embrassa dans le cou et plongea les doigts dans ses longs cheveux.
— Moi je t’aime, déclara-t-elle. Et nous avons besoin l’un de l’autre. Nous appartenons l’un à l’autre, d’une ma-nière intime que personne ne pourra jamais soupçonner.
— Je sais, soupira-t-il, tandis que tout son corps se dé-tendait.
— Je t’aime, espèce de sacrée tête de mule.
Boone resserra les bras dans son dos.
— Jamais plus je ne te laisserai partir, murmura-t-il. Je refuse désormais de te perdre de vue plus de cinq minutes.
— Peur que je remette les pieds dans les ennuis ?
Elle lui avait déjà connu cette expression. La sombre in-tensité du regard, les lèvres tentantes et entrouvertes, le cou crispé par la tension…
— Non. A la vérité, je me sens misérable et inutile sans toi. Effrayant constat pour un gars qui n’a jamais eu besoin de rien ni de personne.
— Tu as besoin de moi.
— Bon sang, oui !
— Moi aussi j’ai besoin de toi, déclara-t-elle. Comme j’ai besoin d’air, d’eau, de sommeil.
— Alors je crains fort qu’il ne te faille m’épouser, ob-serva-t-il d’une voix rugueuse.
— C’est également mon avis.
Un lumineux sourire s’épanouit sur son visage. Puis il lui offrit un long et voluptueux baiser, qu’il rompit en chucho-tant :
— Ya-houou.

Épilogue

Un beau dimanche d’été dans le Mississippi. Le soleil qui filtrait à travers les tentures damassées réveilla Boone. Après une minute de flottement, il se souvint qu’il était dans la maison familiale de Jayne.
Avec un beau-père qui ne l’aimait pas trop, une belle-mère qui continuait à faire la tête parce que le mariage n’avait pas revêtu l’apparat qu’elle avait espéré, et une belle-grand-mère déterminée à le gaver au-delà des limites du raisonnable. En comparaison, la traque aux mauvais garçons était une promenade de santé !
La veille au soir, le sénateur, qui avait insisté pour qu’il l’appelât Gus, avait emmené Boone dans son bureau après le dîner. Là, il lui avait proposé une somme de 20 000 dol-lars pour qu’il se coupât les cheveux. Après un juron des moins civilisés, Boone avait répondu qu’il ne le ferait qu’à la demande de Jayne, et que cela ne lui coûterait pas un centime. De toute évidence, avoir comme gendre un Sin-clair n’était pas du goût du sénateur Barrington.
Et Mme Barrington avait failli s’étrangler en apprenant leur décision de s’envoler pour Las Vegas pour s’unir de-vant un sosie d’Elvis Presley. Lorsqu’ils avaient commencé à parler mariage, elle leur avait présenté un planning étalé sur une année, ce qui avait fait dresser les cheveux sur la nuque de Boone. Pas question d’attendre un an avant de faire de Jayne sa femme !
Il haussa les épaules, un sourire aux lèvres. Depuis tou-jours, il était habitué à être considéré comme un mouton noir, et ne voyait aucun inconvénient à perpétuer la tradi-tion.
Jayne roula contre lui dans le lit, avant de se réveiller le sourire aux lèvres. Ils avaient passé la nuit ici, à Hooker’s Bend, dans le Mississippi, et dormi dans son lit de jeune fille qui s’était révélé aussi bruyant qu’une usine à ressorts. Ses changements de position au cours de la nuit n’avaient dû échapper à personne. Il détestait les antiquités, et cette maison en était remplie.
— Bonjour, murmura-t-elle.
Boone l’embrassa avec chaleur.
— Bonjour, mon amour.
— J’ai rêvé de bébés, soupira-t-elle, un tendre sourire sur les lèvres. Ton neveu Justin est si mignon.
— Notre neveu, rectifia-t-il.
Leur visite de deux jours à Atlanta s’était déroulée à la vitesse d’un éclair. Comme il s’y était attendu, Jayne et Shea étaient d’emblée devenues amies. Tout le monde avait adoré la jeune femme. Boone s’était montré si heureux de ce court séjour qu’il n’avait même pas songé à houspiller Clint lorsque celui-ci avait présenté son nouveau-né à l’oncle « Booboo ».
C’est la gorge serrée d’émotion qu’il avait tenu dans ses bras l’enfant âgé de seulement trois jours. Comment ne pas être ému devant cette vie minuscule, fragile et vulnérable ?
— Combien en veux-tu ? demanda-t-il.
Quelques jours plus tôt, l’idée d’être père l’eût terrifié. Maintenant, elle lui semblait naturelle.
— Des enfants ? s’enquit Jayne surprise.
— Quoi d’autre ?
Jayne se lova contre lui et murmura :
— Je n’ai pas encore décidé. Plus d’un, en tout cas. J’ai toujours détesté être une fille unique. Trois ou quatre…
Un sourire ému s’épanouit sur son visage.
— Trois filles et un garçon, décréta-t-elle.
Boone la couvrit de son corps. Le lit protesta en émettant un grincement inquiétant. Laissant échapper un rire cristal-lin, Jayne plongea les doigts dans ses cheveux.
— Est-ce que tu es prêt ? demanda Jayne.
Boone commença à s’agiter au-dessus d’elle. Le lit coui-na. A ce régime-là, ils finiraient tous deux sur le plancher de la chambre, au moins aussi bruyant.
Sa jeune épouse lui adressa l’un de ces sourires qui le faisaient fondre.
— Je ne faisais pas allusion à cela, minauda-t-elle. Je pensais aux enfants, à la belle-famille, aux repas domini-caux, pour toujours.
— Oui.
— Sans réserve ?
— J’ai juré devant Elvis, rappela-t-il. Pour le meilleur et pour le pire.
— Je n’ai vu que le meilleur jusqu’à présent, remarqua-t-elle, tout en l’enlaçant de sa jambe.
— Je t’aime, dit-il. Lorsque le pire viendra, nous serons prêts.
Jayne était davantage qu’une amante et qu’une épouse. A maints égards, elle était sa partenaire. Et il lui appartenait corps et âme.
Ya-houou.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ ßÇÈÑíÓ  

ÞÏíã 22-03-09, 05:53 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 2
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:
ÚÖæ ÑÇÞí


ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Oct 2007
ÇáÚÖæíÉ: 45117
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 8,329
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: cocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííã
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 1435

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏEgypt
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
cocubasha ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ßÇÊÈ ÇáãæÖæÚ : ßÇÈÑíÓ ÇáãäÊÏì : ÇáÇÑÔíÝ
ÇÝÊÑÇÖí

 



ÓáÇÇÇÇÇÇÇÇÇãÇÊ íÇ Ìãíá

ÇáÃæá Çááå íÚØíßí ÃáÝ ÚÇÝíÉ ÚÒíÒÊí Úáì ÇáãæÖæÚ

ÈÓ ááÃÓÝ ÇáÑæÇíÉ ãßÑÑÉ ÇáÃÎÊ ÑíåÇã äÒÇáÊåÇ

ãÚáÔ ÎíÑåÇ Ýí ÛíÑåÇ Ãä ÔÇÁ Çááå

æ ÈÚÏ ßÏå ÈÓ ÃÚãáí ÈÍË Úä ÇáÑæÇíÉ ÞÈá ãÇ ÊäÒáíåÇ

ÚÔÇä ÊÚÈß ãÇ íÑæÍÔ

Ãæß

ÃäÇ åÃÞÝá ÇáãæÖæÚ ÈÓ åÃÓíÈå ÇáäåÇÑÏÉ æ ÈßÑå Ãä ÔÇÁ Çááå ÃÔíáå

ÃÊãäì ãÇ ÊÒÚáí

ÓáÇÇÇÇÇÇÇÇÇÇÇÇã

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ cocubasha  
ÞÏíã 23-03-09, 04:21 AM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 3
ÇáãÚáæãÇÊ
ÇáßÇÊÈ:
ÇááÞÈ:
ÚÖæ ÑÇÞí


ÇáÈíÇäÇÊ
ÇáÊÓÌíá: Oct 2007
ÇáÚÖæíÉ: 45117
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 8,329
ÇáÌäÓ ÃäËì
ãÚÏá ÇáÊÞííã: cocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííãcocubasha ÚÖæ ÌæåÑÉ ÇáÊÞííã
äÞÇØ ÇáÊÞííã: 1435

ÇÇáÏæáÉ
ÇáÈáÏEgypt
 
ãÏæäÊí

 

ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
cocubasha ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ßÇÊÈ ÇáãæÖæÚ : ßÇÈÑíÓ ÇáãäÊÏì : ÇáÇÑÔíÝ
ÇÝÊÑÇÖí

 


ãæÖæÚ ãßÑÑ

íäÞá ááÃÑÔíÝ

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ cocubasha  
 

ãæÇÞÚ ÇáäÔÑ (ÇáãÝÖáÉ)

ÇáßáãÇÊ ÇáÏáÇáíÉ (Tags)
enquête, hauts, jones, linda, risques, winstead
facebook




ÌÏíÏ ãæÇÖíÚ ÞÓã ÇáÇÑÔíÝ
ÃÏæÇÊ ÇáãæÖæÚ
ãÔÇåÏÉ ÕÝÍÉ ØÈÇÚÉ ÇáãæÖæÚ ãÔÇåÏÉ ÕÝÍÉ ØÈÇÚÉ ÇáãæÖæÚ
ÊÚáíãÇÊ ÇáãÔÇÑßÉ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÅÖÇÝÉ ãæÇÖíÚ ÌÏíÏÉ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÇáÑÏ Úáì ÇáãæÇÖíÚ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÅÑÝÇÞ ãáÝÇÊ
áÇ ÊÓÊØíÚ ÊÚÏíá ãÔÇÑßÇÊß

BB code is ãÊÇÍÉ
ßæÏ [IMG] ãÊÇÍÉ
ßæÏ HTML ãÚØáÉ
Trackbacks are ãÊÇÍÉ
Pingbacks are ãÊÇÍÉ
Refbacks are ãÊÇÍÉ



ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 09:56 PM.


 



Powered by vBulletin® Version 3.8.11
Copyright ©2000 - 2024, Jelsoft Enterprises Ltd.
SEO by vBSEO 3.3.0 ©2009, Crawlability, Inc.
ÔÈßÉ áíáÇÓ ÇáËÞÇÝíÉ