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ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ Romantic Novels Fourm¡ ÑæÇíÇÊ ÑæãÇäÓíÉ ÇÌäÈíÉ


Just married !

- Asseyez-vous, Abby. Abby ? C’était bien la première fois qu’il l’appelait par son prénom. Il considéra son employée comme s’il la découvrait, et reprit d’un ton presque séducteur.

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- Asseyez-vous, Abby.

Abby ? C’était bien la première fois qu’il l’appelait par son prénom. Il considéra son employée comme s’il la découvrait, et reprit d’un ton presque séducteur.

- J’aimerais vous entretenir de quelque chose…
- Du café que j’ai renversé sur votre bureau, j’imagine ?
- Il ne s’agit pas de vos services actuels. Pour parler clair, Abby, je pars ce week-end rencontrer le directeur d’une société que je souhaite racheter.

Abby s’interrogea. Pourquoi prenait-il la peine de l’informer de ce projet ? Bizarre…

- Ce monsieur est très soucieux de moralité : il ne vendra qu’à un homme marié. Or, je ne suis pas marié ni proche de l’être… Donc, je vous serai gré, Abby, de vous faire passer pour mon épouse, le temps de cette transaction…

 
 

 

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chapitre . 1

— Une épouse… C’est la seule solution
C.K. Tanner haussa les épaules. Quelle idée farfelue !
— Vous êtes viré ! lâcha-t il, bougon, sans même lever les yeux.
Jeff Rhodes arbora un large sourire.
— Vous ne pouvez pas me virer. Je vous suis bien trop précieux… Comme D.R.H. et comme ami…
Déposant un fax sur le bureau de son patron, il poursuivit :
— Et c’est à ce double titre que je m’exprime. Oui, je ne vois pas d’autre option… Frank Swanson cherche un homme honnête et vertueux — le genre bon père de famille. Si vous tenez vraiment à acquérir les Confiseries Swanson, vous devez vous dénicher une madame Tanner au plus vite.
Pivotant lentement sur son fauteuil en cuir, Tanner embrassa du regard l’immense baie vitrée. De son bureau, situé au trentième étage, il jouissait d’une vue panoramique sur Los Angeles — contre laquelle venait buter l’océan… En ce mercredi d’octobre, un ciel limpide régnait sur la ville ; un soleil sans voile la chauffait…
Il s’était manifestement bercé d’illusions en imaginant que le rachat de cette société serait une simple formalité. Bon sang, ce contretemps n’allait tout de même pas l’arrêter ! Il n’était pas dans son caractère de capituler devant l’adversité. Bien au contraire, les challenges le stimulaient… Il voulait les Confiseries Swanson, il les aurait, point final !
Jeff, néanmoins, était dans le vrai. Il ne gagnerait pas s’il n’acceptait pas de faire des concessions, de revoir ses stratégies habituelles. Cette fois, il devrait aborder autrement les négociations…
Vendredi matin, il s’était envolé pour Minneapolis. Dernier candidat à se présenter dans la course au rachat de Swanson, il avait eu l’honneur de visiter l’usine, d’en apprécier les infrastructures et avait également fait la connaissance du père de la société, vrai génie du chocolat…
— J’ai eu une petite conversation avec Harrison, ce matin, dit Jeff, arrachant Tanner à ses pensées.
Instinctivement, celui-ci fronça les sourcils. Mitchell Harrison jouissait, comme lui-même, d’une réputation d’homme d’affaires impitoyable. Lui aussi avait jeté son dévolu sur Swanson et était prêt à surenchérir pour parvenir à ses fins. La propre société de confiserie d’Harrison était depuis toujours rivale de Swanson et Mitchell, en rachetant son concurrent de toujours, escomptait bien obtenir du même coup le quasi-monopole de ce secteur dans l’Etat. Or, ce cher Harrison, divorcé trois fois, passait dans toute la ville pour un incorrigible coureur de jupons. Et d’après la rumeur, Swanson semblait peu goûter ce genre de travers. On racontait même qu’il refuserait de traiter avec Harrison, quelle que fût son offre. Oui, le roi du chocolat paraissait extrêmement soucieux de moralité…
Jeff s’éclaircit la gorge.
— Dans l’éventualité où vous parviendriez à vous entendre avec Swanson, reprit-il, Harrison se déclare prêt à vous racheter la société pour une fort jolie somme.
— Je dois encore réfléchir à tout cela, marmonna Tanner entre ses dents.
Il se gratta le front, perplexe. A quoi donc se proposait-il de réfléchir ? Acheter, revendre, c’était bien là son credo, la méthode qui avait fait de lui l’un des hommes les plus puissants de la Cité des Anges. Alors ? Eh bien, dans ce cas précis, acheter à un homme le bien de toute une vie de labeur pour le revendre au plus offrant — à un individu qui en l’occurrence ne visait qu’à dissoudre la société —, eh bien oui, cette idée lui répugnait.
Quarante années durant, Frank Swanson avait tout sacrifié à l’entreprise qu’il avait créée de ses propres mains. Aujourd’hui sur le point de se retirer, il ne pouvait espérer transmettre le flambeau : ses deux grandes filles, mariées et mères de famille, n’avaient aucune vocation pour le management. Et Swanson, visiblement, ne se résoudrait à céder son affaire qu’à un homme cultivant les mêmes principes que lui, partageant les mêmes valeurs…
Tanner se massa doucement la tempe. Que n’était-il un homme normal, dûment marié et bon père de famille ? Ce destin-là n’était pas pour lui… Et comment aurait il¬ pu l’être ? Car comment pouvait-on ainsi s’engager pour la vie, avec quelqu’un qui, forcément, un jour ou l’autre… Non, contracter un tel marché était un pari bien trop aléatoire sur l’avenir…
Il avait sur le sujet des opinions bien tranchées.
Nonobstant, si le fait de brandir une épouse comme on montre patte blanche servait à faire pencher, dans l’affaire Swanson, la balance en sa faveur… La fin ne justifiait-elle pas les moyens ?
— Euh, bien… Une épouse, certes, maugréa-t il. Mais qui donc ?
— J’avais songé à Olivia… suggéra Jeff.
— Non, impossible.
— Karen ?
— Trop agressive.
— Et cette actrice que vous fréquentez… ?
— Elle ne sait parler que de liposuccion et de régimes amaigrissants ! ricana Tanner en se levant.
Il avança jusqu’au bar et se servit un verre d’eau.
— En réalité, aucune de mes amies féminines n’a le bon profil… Il me faut une femme toute simple, aimable et douce, d’une élégance sobre. Cultivée mais surtout pas snob.
— Le portrait même de ces dames de Los Angeles ! ironisa Jeff. Et où donc peut se cacher cette perle ? A la bibliothèque, peut-être… ?
— C’est une idée…
Jeff réfléchit un moment en silence puis soudain :
— Il ne sera peut-être pas utile, dit-il, de vous donner cette peine… Il se pourrait en effet que l’oiseau rare niche plus près de vous…
— C’est-à-dire ?
— Au service courrier, en bas. Ma secrétaire m’a appris que ces demoiselles seraient prêtes à tout pour un seul regard de vous… Enfin toutes sauf une — toujours d’après ma secrétaire.
Tanner s’assit sur un coin de bureau, amusé. Sacré Jeff, toujours au courant de ce qui se tramait dans les couloirs de Tanner Enterprises !
— Tiens donc… Et comment se nomme cette exception ?
— Abby quelque chose, répondit Jeff.
L’image furtive d’une superbe rousse aux yeux verts traversa alors l’esprit de Tanner. Polie et timide, la jeune femme en question, qui chaque jour lui apportait son courrier, fuyait obstinément son regard… tandis que la majorité de ses semblables l’assaillait d’œillades énamourées. Mal fagotée, engoncée dans des vêtements tristes et stricts, elle donnait l’impression de vouloir dissimuler tout ce qui aurait été susceptible d’attirer l’attention d’un homme. Tanner n’était cependant pas dupe et à l’observation de certains signes, il s’était même pris à déplorer qu’un corps si fabuleux fut perdu pour la cause masculine… sans plus s’interroger, du reste : ce type de femmes littéralement défigurées par leurs principes et leur rigueur ne l’avait jamais intéressé.
— Vous savez, patron, elle serait parfaite…
— Parfaite pour quoi ?
— Pour tenir le rôle de votre épouse ! C’est une jeune femme très douce, simple et courtoise… Et elle ne risque pas de vouloir profiter de la situation ! Chacun sait qu’elle ne vous supporte pas…
Jeff éclata de rire.
— Enfin une femme qui résiste au grand C.K. Tanner ! Rien que pour cette raison, je pourrais en tomber amoureux moi-même…
Tanner se renfrogna :
— Retournez travailler avant que je ne vous vire pour de bon.
Jeff, en riant, gagna la porte.
— D’accord, d’accord. Je pensais tout haut, c’est tout… Vous n’avez pas besoin de mon aide. Vous saurez bien vous débrouiller tout seul… Bonne chasse !
— Disparaissez ! rugit Tanner comme la porte se refermait.
Se débrouiller tout seul ? Il s’enfonça dans son fauteuil, sceptique. Comment convaincre une femme qui ne l’aimait pas de jouer les épouses aimantes et attentionnées ? Bah… Ce n’était là, après tout, qu’un détail de peu d’importance. Il ne cherchait qu’une associée, une partenaire ; elle ne jouerait qu’un rôle mineur et autant que possible muet à côté de lui. A bien y réfléchir, qu’elle ne le portât pas dans son cœur présentait même un avantage certain. Une fois le marché avec Swanson conclu, le divorce serait accueilli avec joie…
Et puis ce n’était pas l’une de ses employées qui allait lui faire peur !
Nerveux, Tanner s’empara d’un parapheur, qu’il entreprit de feuilleter dans l’attente du courrier du jour.
Le Boléro de Ravel mixé à la sauce funky passait et repassait en boucle dans l’immense salle aseptisée du service courrier de Tanner Enterprises. Poussant un chariot débordant de paquets et de lettres, Abby Mac Grady slalomait adroitement entre les différents bureaux qui se présentaient sur son chemin, marmonnant des excuses quand, de temps à autre, elle en heurtait un.
— Hé ! Salue donc mon prince charmant ! l’interpella Dixie Watts depuis la salle de tri. Et rappelle-lui… que je termine à 19 heures !
Tenant à la main un plateau où s’amoncelaient les gobelets de plastique qui faisaient office de tasses de café, Janice Miggs l’apostropha à son tour :
— Et comme il change de partenaire chaque semaine, dis-lui que je suis disponible vendredi prochain.
— Chaque semaine ? s’exclama Mary Larson en riant. Toutes les heures, voyons ! N’empêche, Abby, je suis libre pour l’heure qui lui conviendra !
— Cessez de la taquiner ! intervint Alice Balton. Vous connaissez les sentiments d’Abby à l’égard de notre patron…
— Et elle connaît parfaitement les nôtres, rétorqua Dixie sur le ton de la plaisanterie.
Des rires fusèrent dans la salle. Certaines filles sifflèrent, d’autres frappèrent des mains. Devant ce brouhaha, John, responsable du service, se *******a de lever les yeux au ciel, résigné.
Un large sourire aux lèvres, Abby se faufila dans l’ascenseur avant de lancer :
— Heureusement que je suis là pour tempérer vos ardeurs, mesdames ! Car il ne vous mérite pas !
Les portes s’étant refermées, elle pressa sur le bouton du dernier étage. Déjà, son sourire s’était évanoui…
Si C.K. Tanner était bien l’homme le plus séduisant qu’elle ait jamais eu l’occasion de rencontrer, son arrogance l’excédait au-delà de toute expression… Monsieur n’avait que mépris pour ceux que ni la chance ni la naissance n’avaient introduit dans le rang des nantis. Depuis un an qu’elle lui apportait chaque matin son courrier, à peine lui avait-il adressé deux mots…
La raison pour laquelle elle vouait à son patron une aversion sans borne n’avait cependant rien à voir avec sa suffisance. En réalité, C.K. Tanner avait le malheur d’être le clone, version adulte, de Greg Houseman, l’ado craquant, et si fabuleusement riche, qui avait brisé son cœur de jeune fille pauvre et ravi sa virginité avant de la plaquer, sans autres formalités. Elle avait appris, à ses dépens, que les hommes de la trempe de C.K. Tanner pouvaient se montrer de parfaits gentlemen… comme d’impeccables rustres. C’était là une vérité qu’elle n’était pas prête d’oublier !
Bah… Elle se moquait, au fond, de ce fichu snob, de ce bourreau de travail qui, du haut de son trentième étage, semblait vouloir tout ignorer de ses semblables. Elle avait bien d’autres pensées en tête — et bien plus essentielles. Comme ce projet d’ouvrir prochainement sa propre école de dessin, grâce à ses économies prélevées sur le salaire de misère qu’elle recevait ici. Fort heureusement, son emploi du temps au service courrier lui laissait beaucoup de loisirs. Chaque jour, en effet, elle quittait la tour Tanner aux alentours de 14 heures…
Ses parents lui téléphonaient souvent, de plus en plus ces derniers temps, inquiets de voir leur fille entamer enfin une carrière digne de ce nom — et d’autant plus qu’ils ne disposaient pas, hélas, des fonds nécessaires pour lui donner un coup de pouce. Le centre municipal où elle enseignait actuellement ne proposait pas de programmes spécifiques à l’enfance et on lui avait fait poliment comprendre que si c’était là son ambition, elle n’était pas au bout de ses peines. Eh bien ! elle saurait patienter et se battre… Son rêve valait tous les efforts…
L’ascenseur émit une brève sonnerie. Machinalement, Abby poussa son chariot et s’engagea dans le couloir. Pas de boléro ni de valses viennoises, ici. On n’entendait jamais de musique au trentième étage — juste le ronronnement discret et studieux de voix sans visage derrière une enfilade de portes toujours closes. Quelques secondes plus tard, elle stoppa devant le bureau de M. Tanner. Affichant un sourire de convenance, elle recoiffa d’un geste de la main ces satanés cheveux roux qui refusaient depuis toujours de rester en place puis frappa discrètement à la porte.
— Entrez ! ordonna cette même voix rauque qui l’accueillait chaque matin depuis un an.
Sans attendre, Abby poussa la porte et entra dans la pièce.
— Bonjour, monsieur Tanner.
— Bonjour, repartit-il en levant les yeux sur elle, souriant.
Elle hésita, perplexe. Elle ne se souvenait certes pas l’avoir vu lui jeter un seul regard auparavant, encore moins la saluer d’un sourire. Les sourcils froncés, la gorge serrée, elle entreprit de disposer sur son bureau les enveloppes et plis divers qui lui étaient destinés, tout en s’efforçant d’ignorer le parfum épicé de son eau de toilette.
— Votre courrier, monsieur.
Son sourire s’élargit et, sur un ton éminemment sympathique :
— Merci, Abby.
Elle se figea aussitôt. Abby ? Il connaissait donc son nom ? Et pourquoi la regardait-il ainsi, avec ce sourire… charmeur, délicieux, conquérant ?
Les rustres, Abby, prends garde ! N’oublie pas les rustres.
— Bien… passez une excellente journée, monsieur.
Elle se détourna vivement et se hâta vers la porte.
Son élan fut brutalement brisé, la manche de son chemisier ayant malencontreusement accroché le rebord du chariot. Elle rit nerveusement, tira sur le tissu, tenta de se dégager… En vain. Agacée, elle tira encore, plus rudement cette fois — et son coude fit s’effondrer la pile du courrier sur le bureau. Elle se pencha pour rattraper les enveloppes ; sa manche se déchira alors dans un long craquement… Elle était perdue !
Elle s’affala de tout son long sur le parquet.
Le cœur battant à tout rompre et sans se départir de son sourire, elle rassembla le courrier épars et se releva. Elle surprit à cet instant dans les yeux de Tanner cet éclat froid qu’elle connaissait si bien… Oui, tout semblait rentré dans l’ordre, se dit-elle en s’époussetant. S’obligeant à des gestes posés, elle reconstitua la pile de courrier telle qu’elle se présentait avant sa pitoyable chute. Elle le fit avec une telle conviction qu’elle ne remarqua pas la tasse de café. Trop tard.
L’angoisse au ventre, elle fixa le liquide brunâtre qui se répandait sur le bureau.
— Oh, mon Dieu ! gémit-elle. Je vais nettoyer ça tout de suite…
— Ne vous alarmez pas.
Il s’était approché et, tout en sonnant la secrétaire, il la prit par les épaules.
— Helen, envoyez-moi un technicien de surface.
Perdant un moment conscience des lieux et de la situation, Abby leva les yeux sur lui. A le voir toujours assis, jamais elle n’avait réalisé qu’il était si grand. Malgré elle, elle se prit à l’étudier. Ses cheveux noirs mi-longs effleuraient le col de sa chemise blanche. C’était la première fois qu’elle le voyait de si près et à cette distance, elle lui trouvait soudain moins d’arrogance…
Pour être tout à fait honnête, avec ses traits fins et droits, cette bouche au dessin parfait et ses yeux couleur chocolat si intensément expressifs, il était indéniablement l’un des hommes les plus séduisants de la ville. D’ailleurs, Tanner faisait fréquemment la une des magazines et restait l’un des hôtes privilégiés des débats télévisés. On savait les femmes folles de lui, de son allure, de son sourire. Il portait le costume trois-pièces comme personne dans le monde des affaires et sa réussite faisait l’admiration de tous. Oui, Tanner était une star à Los Angeles.
Abby trouvait somme toute compréhensible que ses collègues de travail aient le béguin pour lui. Elle avait également la vague intuition qu’elle ferait bien mieux de prendre ses jambes à son cou et de quitter ce bureau sur-le-champ…
Elle ne fit pourtant pas le moindre geste.
Tanner la tenait toujours par les épaules et la scrutait maintenant avec intérêt.
— Tout va bien ?
Sa chaleur, son contact lui firent l’effet d’une décharge électrique. Elle frissonna et ne parvint à se ressaisir qu’au prix d’un immense effort.
— Je suis confuse, monsieur Tanner. Quelle maladroite je fais…
Il finit par la lâcher et enfin, elle respira plus librement.
— Ne vous inquiétez pas, dit-il, ce n’est rien.
Comme il retournait à son bureau, une femme du service nettoyage entra et commença à s’affairer. Quelques minutes plus tard, elle ressortait ; Abby, impatiente de battre en retraite, lui emboîta le pas. Pas question de rester une seconde de plus dans ce bureau à subir le courroux de Tanner. Car comme elle le connaissait, il n’allait pas se priver de réflexions acerbes. Qui sait, peut-être même envisageait-il de la congédier ?
— Je vous en prie, Abby, asseyez-vous un instant !
Elle s’immobilisa, interdite, et tourna lentement la tête. Il lui sourit une nouvelle fois, avec une évidente bienveillance. Elle songea incongrûment à la douceur de ses lèvres… et piqua un fard.
— Je peux vous dépanner avec une épingle de sûreté, dit-il en désignant la manche de son chemisier.
— Oh, non, inutile, s’empressa-t elle de répondre en inspectant le tissu. Ce n’est rien…
— J’insiste. Donnez-moi au moins le nom de la boutique où vous avez acheté ce chemisier… Je vous en ferai livrer un neuf d’ici une heure.
Abby se retint de pouffer. Le nom de la boutique ? Elle s’était offert ce petit chemisier pour 10 dollars à peine chez un vulgaire soldeur…
— Ce n’est pas nécessaire, reprit-elle. J’ai de quoi me changer, en bas, dans mon casier. Merci quand même.
Elle mentait. Hormis un paquet de chewing-gum et une paire de bas Nylon, il n’y avait rien dans son casier. Mais elle n’avait aucune envie de rentrer dans ces détails ; elle ne souhaitait pour l’heure que sortir de ce bureau avant que Tanner ne s’avise de lui signifier son congé. Car forcément, cela lui pendait au nez…
— Depuis combien de temps travaillez-vous pour moi, Abby ?
Hum ! Quelle manière élégante d’amener la conversation sur son licenciement !
— Un peu plus d’un an, monsieur.
Il s’assit plus confortablement et, désignant un siège face à lui :
— Pourquoi ne vous asseyez-vous pas un moment ? proposa-t il.
— Euh, eh bien…, bredouilla Abby. Oui, monsieur.
— J’aimerais m’entretenir avec vous de quelque chose…
Elle s’assit du bout des fesses sur le siège en cuir. Un ange passa… Alors, à bout de nerfs, elle craqua :
— Vous voulez me congédier, n’est-ce pas ? Je suis réellement navrée pour le café… Et puis, je ne suis pour rien dans le début d’incendie qui s’est déclaré au service courrier la semaine passée.
Elle crut voir briller dans ses yeux une lueur d’amusement — qui disparut bien vite.
— Je pars ce week-end pour le Minnesota, fit-il, afin de rencontrer le directeur d’une entreprise de confiserie. J’ai l’intention de racheter sa société…
Abby écarquilla les yeux. Pourquoi diable C.K. Tanner prenait-il la peine de l’informer de ses projets ? Et, bon sang ! qu’attendait-il donc qu’elle répondît ? Elle décida finalement d’exprimer ses encouragements :
— Oh, c’est merveilleux… Je suis persuadée que ce sera là un excellent investissement et…
Il l’interrompit d’un geste de la main.
— Le problème, c’est que ce cher homme semble ne vouloir céder son bien qu’à un bon père de famille… Or, je ne suis pas marié ni proche de l’être. Je me trouve de ce fait dans une position malcommode… Abby, je vous serais gré d’accepter de vous faire passer pour mon épouse.
Abby pencha doucement la tête de côté, doutant d’avoir bien entendu.
— Ne vous méprenez pas, enchaîna Tanner. Il s’agit d’un voyage d’affaires, exclusivement. Vous ne joueriez le rôle de ma femme que le temps d’un week-end…
Oui, elle avait parfaitement entendu. Et cela n’avait rien de réconfortant.
Tanner croisa les bras.
— Euh, je crains de m’être montré un peu abrupt…
— C’est… c’est le moins que l’on puisse dire.
— Vous n’êtes pas mariée ?
— Non, mais…
— Bien, la coupa-t il. Sachez que je serais très honoré que vous acceptiez de me soutenir dans ce projet.
Abby le dévisagea avec insistance.
— C’est une plaisanterie, monsieur ?
— Non, répondit-il simplement.
— Vous souhaitez que je joue le rôle de votre épouse pour le week-end ?
— Oui.
— Pour conclure cette affaire ?
— Exact.
— Exact, répéta-t elle, réprimant une violente envie de rire.
Quelle idée insensée ! Elle, se plier à cette mascarade ridicule ? Elle ne pouvait l’imaginer. Se levant subitement, elle inspira une profonde bouffée d’air et lâcha :
— Désolée.
Tanner l’observa en silence un long moment.
— Faites-moi confiance, dit-il enfin. Je vous dédommagerai largement.
Abby pesa chacun de ses mots.
— Vous êtes en train de me demander de me faire passer pour une autre, le temps d’un week-end ?
Il opina lentement du chef, l’air terriblement sûr de lui, comme si sa requête avait été la chose la plus naturelle du monde. Comme s’il estimait encore plus naturel qu’elle acceptât. Pour qui se prenait-il ? Sans doute ce genre de service aurait-il comblé de joie la moitié des femmes de l’Etat, mais elle n’appartenait pas au rang des fans de C.K. Tanner. Mieux valait qu’il jetât son dévolu sur une autre. Les candidates ne devaient pas manquer !
— Ma réponse est non.
Lui tournant brusquement le dos, elle empoigna son chariot qu’elle poussa sans ménagement jusqu’à la porte du bureau. Là, sur un ton qu’elle espéra le plus neutre possible, elle dit avant de disparaître :
— Bonne journée, monsieur Tanner.
*
* *
Assurément, Abby Mac Grady avait un sacré cran, songeait un peu plus tard Tanner comme le détective privé pénétrait dans son bureau. Il connaissait, à la vérité, peu de femmes de cette trempe. Et pour tout dire, il trouvait en règle générale les gens bien trop prévisibles. Il était rare que l’on parvînt à le surprendre… Plus rare encore que l’on s’avisât de lui résister.
En moins de dix minutes, toutefois, Mlle Mac Grady avait gagné sur les deux tableaux !
Elle l’intriguait et il n’allait pas nier l’attraction qu’elle exerçait sur lui, en dépit de son côté femme sage et honnête. Hum… il lui faudrait demeurer vigilant. Son subterfuge ne fonctionnerait que s’il tenait compte de leurs différences — car de toute évidence tout les opposait.
Mais l’on n’en était pas là. Abby devait auparavant accepter de l’accompagner…
Tanner indiqua un siège au détective. L’homme n’avait disposé que de trois petites heures pour en apprendre le maximum sur Abby Mac Grady. Elle offrait déjà certains atouts qui feraient d’elle une bonne épouse, Tanner en était convaincu. Une certaine vivacité d’esprit, un physique tout à fait agréable…
En revanche, sa garde-robe laissait cruellement à désirer.
Bah ! c’était là un problème qui pourrait être résolu en un petit après-midi…
Plus que tout, qu’elle le détestât cordialement faisait d’elle la candidate idéale. Cette aversion, qu’il ne s’expliquait d’ailleurs pas, lui garantissait que leur arrangement resterait purement professionnel et c’était bien là ce qui l’intéressait. Ne pas s’engager, ne pas nouer de liens…
— Son nom exact est Abigail Mary Mac Grady, commença le détective, son bloc-notes entre les mains. C’est une artiste, diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Los Angeles en 1998. Elle donne actuellement des cours, les mardi et mercredi soirs, au centre municipal de Yellow Canyon. Mlle Mac Grady occupe un studio près de West Hollywood. Elle adore les fleurs qu’elle cultive en pots sur son balcon. Elle raffole également de la glace menthe-chocolat. Elle aura 25 ans le 7 octobre prochain…
— Ce dimanche donc…
— Oui, monsieur.
— Rien de plus ?
— En si peu de temps, je n’ai guère eu le loisir d’approfondir le sujet.
Tanner n’écoutait plus. Un sourire lourd de mystère flottait sur ses lèvres…

 
 

 

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chapitre 2
Abby ne parvenait pas à se sortir de la tête la note qui avait été affichée sur la porte au début du cours.
« Aux étudiants et au personnel :
» En raison d’une forte demande pour des cours d’informatique, nous sommes dans l’obligation de mettre un terme aux classes de dessin dès la semaine prochaine. Nous espérons pouvoir accueillir ce cours le prochain semestre. Veuillez accepter toutes nos excuses.
Le responsable du Centre. »
Dure journée, songea Abby comme ses étudiants s’appliquaient à leur première aquarelle. Elle avait renversé du café sur le bureau de son patron, ce dernier lui avait demandé de bien vouloir se faire passer pour sa femme le temps du week-end et, un instant fascinée par la profondeur de son regard… elle avait bien failli accepter. Après tout, son existence morose ne s’égayerait-elle pas de quelques jours d’aventure en compagnie d’un homme si séduisant… ?
Pure folie. Heureusement, sa raison avait tiré toutes les sonnettes d’alarme à sa disposition…
Cet homme-là, aussi séduisant qu’il fut, n’était pas qu’un simple don Juan : il était aussi son patron.
Cette escapade resterait strictement professionnelle, lui avait-il fait remarquer. Et Abby n’y repensait pas sans une certaine amertume… Tanner fréquentait les top models et les actrices en vogue que chouchoutaient les plus grands couturiers et parfumeurs de la planète… Quel regard aurait-il pu porter sur une simple employée qui dénichait sa mode dans les rayons des drugstores et se parfumait au gel douche ?
Cependant, une question l’obsédait. Pourquoi elle ? Parmi la foule de toutes les jeunes femmes qui se pâmaient devant lui, pourquoi l’avoir choisie, elle ?
Elle laissa échapper un long soupir et hocha la tête. Impénétrable mystère… Bah ! à l’heure qu’il était, Tanner devait avoir oublié jusqu’à son nom. Et trouvé quelqu’un d’autre pour mener son projet à terme…
— Avez-vous terminé ?
Les visages se levèrent lentement de leur chevalet. Tous marqués par une réelle tristesse…
— Le Centre a besoin de fonds, reprit-elle, cherchant à les réconforter. L’informatique est un marché porteur… bien plus que l’art.
Elle eut un sourire optimiste.
— Donnez-moi une semaine. Je tenterai de trouver une solution.
— Je ne peux pas me payer des cours dans les autres écoles, déplora l’un des étudiants.
— J’arrive tout juste à me les payer ici, renchérit un second.
— Je comprends, dit Abby, mais…
— Le mieux serait que les cours soient gratuits !
La voix qui venait de l’interrompre s’était élevée, grave et puissante, depuis le pas de la porte. Toute la classe tourna aussitôt la tête dans cette direction. Les yeux écarquillés, Abby demeura muette, le cœur battant la chamade.
C.K. Tanner, nonchalamment, se tenait adossé au chambranle, le regard rivé sur elle.
Il avait abandonné son éternel costume trois-pièces¬ pour un jean et un sweat. En toute simplicité. Simplicité ? Abby devait redoubler de méfiance. En ce qui concernait C.K. Tanner, rien n’était jamais simple, se répéta-t elle — tout en regrettant furtivement de ne pas avoir mis plus de soin à se coiffer, ni pris la peine de revêtir une toilette plus élégante…
Il avança dans la salle de cours, l’air abominablement sûr de lui. Mystérieux, distingué, follement sexy. Le jean lui allait à merveille, nota-t elle, troublée — s’indignant la seconde d’après de ses rêveries.
— Mon nom est Tanner, lança-t il à la classe. Je suis un ami d’Abby.
— Woah ! Abby… hua une étudiante.
Un éclat de rire général fusa. Instantanément, les joues d’Abby s’embrasèrent.
— Il n’est pas…
Renonçant à se justifier, elle se tourna vers Tanner.
— Je n’ai pas changé d’avis, monsieur.
— Prenez le temps de m’écouter, Abby, chuchota-t il. J’ai en tête quelque chose qui devrait vous intéresser…
Il vint s’asseoir sur un coin de bureau, à côté d’elle, puis s’adressa à la classe en ces termes :
— J’ai décidé de mettre à la disposition de chacun d’entre vous un local où vous pourrez tenir vos cours. En ce qui concerne le loyer…
— Nous y voilà ! marmonna, narquois, l’un des étudiants.
— Il se montera à un dollar par mois, conclut Tanner.
Un silence s’ensuivit durant lequel l’ensemble des étudiants, bouche bée, dévisagea tour à tour Tanner et Abby. Celle-ci ne cilla pas, s’efforçant de refouler la colère qui montait en elle. Il ne manquait décidément pas de culot. Comment osait-il débarquer ici ? Qu’était cette histoire de loyer ridicule ? A quoi jouait-il donc et de quoi se mêlait-il ?
Elle descendit du bureau et engagea discrètement Tanner à la suivre.
Une fois dans le couloir, elle se planta devant lui, bien décidée à lui signifier tout le mal qu’elle pensait de son intervention. Hélas, son talon se fichant fâcheusement dans une anfractuosité du parquet, elle trébucha… et atterrit directement dans ses bras.
Pourquoi diable fallait-il qu’elle se montrât si maladroite chaque fois que C.K. Tanner se trouvait dans les parages ? Quelle poisse !
— Je vous tiens, dit-il en la soutenant fermement.
Elle se redressa, émue par la puissance et la force de ce corps. Bon sang, Abby, se sermonna-t elle, un peu de calme !
— Qu’êtes-vous venu faire ici, monsieur Tanner ? l’apostropha-t elle, reculant de quelques pas.
— Eh bien, commença-t il en souriant, je viens de vous empêcher de vous rompre le cou… Et de sauver votre classe. A présent, vous disposerez pour vos cours d’un atelier…
— Comment saviez-vous que nous étions à la rue ?
— Que vous importe ?
— Je sais parfaitement pourquoi vous faites ceci, répliqua Abby. En revanche mes étudiants doivent maintenant s’imaginer que, euh… des choses…
Il prit un air innocent.
— Qu’entendez-vous par là ?
— Je ne plaisante pas.
— Moi non plus…
— Monsieur Tanner, je ne vous comprends pas. Pourquoi m’avoir choisie, moi ? Vous devez compter dans vos relations une bonne dizaine de femmes qui ne demanderaient pas mieux que de vous rendre ce service.
— Ce stratagème doit rester absolument confidentiel et…
il hésita, cherchant apparemment ses mots.
— … et puis je ne peux pas prendre le risque d’enrôler dans cette histoire l’une de mes amies. On ne sait jamais, euh… Certaines ont des vues sur moi et pourraient profiter de la situation… Vous me comprenez ?
— Je crois, marmonna-t elle.
— Tenez, peut-être ceci finira-t il de vous convaincre.
Il sortit une enveloppe de la poche de sa veste et la lui tendit. Sans enthousiasme, elle s’en saisit, et la décacheta comme s’il se fut agi d’un pli expédié par le diable en personne.
— C’est le contrat de location et les clés d’un local en ville, expliqua Tanner. Vous pouvez me régler les douze dollars maintenant ou à la fin de l’année, à votre convenance.
Décontenancée, Abby ne releva pas. Elle ne rêvait pas… ce jeu de clés qu’elle tenait à la main signifiait tant pour elle ! Un local pour une année entière ! C’était inespéré. Mais qu’attendait-il donc qu’elle fît en échange ?
Comme s’il avait deviné ses pensées, Tanner déclara :
— Trois jours, trois petites journées, voilà tout ce que je vous demande. Je passerai probablement le plus clair du week-end à l’usine. Vous n’aurez pas à me supporter longtemps.
Elle aurait dû se réjouir de cette précision. Or, quelque chose qui ressemblait à de la déception se manifesta dans un coin secret de son être.
— Je dormirai sur le canapé, poursuivit-il gravement, ou dans la baignoire, comme il vous plaira. Faites-moi confiance, Abby : vous n’avez rien à craindre de moi.
Nerveuse, elle entreprit de boutonner et déboutonner le col de son gilet, tout en jouant distraitement avec le jeu de clés.
— Je suis convaincu que vous saurez faire bon usage de ce local, fit Tanner.
Cela ne faisait aucun doute. Elle était désormais sur le point d’exaucer son rêve le plus cher. Un local, rien que pour elle ! Elle pourrait enfin ouvrir ses cours aux enfants. Et pourquoi pas aux seniors ? Oui, tout devenait possible… Mais à quel prix ? Elle s’était jurée quelques années auparavant de ne jamais laisser un nouveau Greg modifier ne serait-ce que d’un atome le cours de sa vie. Et puis… Et puis, l’idée de mentir lui était insupportable, au moins autant que celle de déplaire à des gens qu’elle ne connaissait pas. Oui, mais… Ses étudiants, les enfants, tous ces artistes en herbe qui méritaient que l’on s’intéressât à leur sort… ?
— Dans la baignoire, m’avez-vous dit… ?
— Parole de scout ! répondit Tanner, la main sur le cœur.
Elle fronça les sourcils, peu convaincue par son sourire angélique.
— Trois jours ?
— Oui, acquiesça-t il, plus une séance de relookage et un petit briefing.
— Une séance… de relookage ? Un briefing ?
— Vous devez tout apprendre de moi, Abby. Mes manies, mes goûts, mes phobies…
Il l’étudia des pieds à la tête avant de reprendre, légèrement embarrassé :
— Vous êtes une femme absolument délicieuse, mais, euh… Vous vous habillez comme si vous aviez fait vœu de chasteté. Je connais quelqu’un qui saura nous aider sur ce point. Bien ! Je passerai vous prendre, chez vous, demain à 13 heures.
— Mais, euh… Et mon travail ?
— Je vous accorde les prochaines journées, c’est la moindre des choses.
Il plongea son regard dans le sien.
— Et je vous serais reconnaissant, Abby, de ne rien dévoiler de notre arrangement.
— Une minute ! Je ne vous ai pas encore donné mon accord et…
— Bien sûr que si, Abby. Je le vois dans vos yeux et à votre façon de regarder ce jeu de clés.
Elle se renfrogna, sachant qu’il disait vrai. Jamais elle n’aurait le cran de lui jeter ces satanées clés à la figure. D’autant que ses étudiants les observaient maintenant, entassés derrière la vitre. Avait-elle le droit de les décevoir ? Avait-elle le droit de dédaigner la chance qui s’offrait de réaliser ses rêves ?
Elle soutint le regard noir et perçant de Tanner. Ce fut soudain comme si elle redevenait la timide jeune fille d’autrefois. Son pouls s’accéléra, sa respiration se fit difficile… Tanner, le type même d’individu qu’elle s’était promise de fuir sa vie durant allait devenir son époux pour trois jours !
— Je dois poser mes conditions, dit-elle sur un ton ferme.
— Bien sûr.
— Je vous soumettrai ma liste, demain.
— Entendu, acquiesça-t il avec un large sourire. Bonsoir, Abby.
Elle l’observa tandis qu’il s’éloignait, parfaitement calme, et visiblement satisfait.
Abby, quant à elle, avait la désagréable impression d’avoir conclu un pacte avec Satan. Si Tanner s’appropriait son âme, eh bien ! il ne lui resterait plus qu’à espérer qu’il ne lui ravisse pas son cœur…
— Quelque chose qui ne va pas ? Tu es souffrante ?
Abby fronça les sourcils en entendant le ton suspicieux de Dixie. Celle-ci, la pause déjeuner ayant sonné pour les employés de Tanner Enterprises, en avait profité pour lui téléphoner. Abby s’attendait au coup de fil de son amie. Ce dont elle ne se doutait pas, en revanche, c’était qu’elle aurait aussi furieusement envie de parler à Dixie du week-end à venir. Une envie qu’elle se devait d’ignorer, bien sûr…
— Abby, que me caches-tu ? s’enquit Dixie. Depuis ton arrivée ici, tu n’as jamais pris une seule journée…
Abby s’enfonça dans son fauteuil en osier et contempla rêveusement l’agitation de la rue, quelques mètres plus bas, juste au-dessous du minuscule balcon de son non moins minuscule studio.
— J’ai une migraine atroce, voilà tout.
C’était la vérité. Cette satanée migraine était apparue la veille et ne la lâchait plus depuis. Pas étonnant, avec tous ces événements… Et elle n’était pas au bout de ses peines : Tanner devait débarquer d’une minute à l’autre pour l’emmener à cette ridicule séance de relookage.
Quelle folie l’avait prise d’accepter ? Quoi qu’on fît pour la relooker, il n’émanerait jamais d’elle ni cette délicate sophistication qui illuminait certaines jeunes femmes ni cette fabuleuse grâce qui en habitait d’autres. La cause était entendue et désespérée… Oui, quelle folie ! Les parfaits inconnus qu’elle allait rencontrer ce week-end s’amuseraient bien à ses dépens…
Comme elle aurait aimé pouvoir penser à autre chose… Cela avait été impossible — à cause de ses étudiants d’abord, auxquels elle avait annoncé la poursuite des cours ; à cause des coups de fil ensuite, qu’elle avait dû donner ce matin aux parents d’enfants qui attendaient impatiemment qu’elle ouvrît enfin sa classe de dessin. Tout s’était précipité…
Perdue dans ses pensées, Abby saisit à peine que Dixie lui demandait ce qu’elle souhaitait faire pour son anniversaire.
— Alors, Abby… ? Chippendales ou discothèque ?
Son anniversaire. Bon sang, dimanche ! Elle serait dans le Minnesota. Grâce à Dieu ses parents étaient absents de Los Angeles et avaient fêté l’événement avec elle le week-end dernier. Ils n’auraient pas compris qu’elle s’absentât un tel jour…
— Je passerai la journée sous la couette, marmonna-t elle, incapable de trouver meilleure échappatoire.
— Comment ? protesta Dixie. C’est une formidable occasion de faire la fête !
— L’anniversaire des autres, oui. En ce qui me concerne, je déteste compter les années qui passent…
— Tu n’as que 25 ans ! Ce n’est pas l’âge de ce genre de coquetterie.
— Non, bien sûr… Toutefois il est grand temps que je me consacre à mon avenir et à l’école…
Elle s’interrompit. Son avenir ? Il se trouvait quasiment assuré, depuis hier. Oui, son rêve était en passe de se réaliser. Grâce à C.K. Tanner.
— Je sais que tu réussiras, déclara Dixie avec un enthousiasme touchant, mais tu dois également penser à t’amuser… Tiens, je sais ce qui te ferait du bien…
— Je crains le pire.
— Un rendez-vous galant. Un petit ami, un fiancé !
Dans la rue balayée par un vent frais s’engagea soudain une Mercedes noire brillant de mille feux. Abby sursauta, devinant qu’il s’agissait de C.K. Tanner. La berline avança lentement au milieu d’une nuée d’enfants admiratifs, zigzaguant entre les poubelles et les épaves de voitures parquées là dans l’attente de jours meilleurs.
Effarée, Abby vit la Mercedes se garer devant son immeuble. Les vitres teintées du véhicule l’empêchaient de distinguer quoi que ce fût, mais elle en avait la certitude, c’était lui.
La portière côté conducteur s’ouvrit et Tanner apparut, follement séduisant.
Maudit soit cet homme !
Un petit ami, un fiancé, avait dit Dixie. Abby étouffa un rire. Si sa camarade savait qu’elle s’apprêtait à épouser C.K. Tanner, son chouchou de patron…
— Bien, je dois te laisser, dit précipitamment Abby en faisant les cent pas dans l’appartement. Je vais, euh… J’ai besoin d’une aspirine.
— Je te vois demain ?
— Euh… Tout dépendra de ma migraine…
— Tu n’as besoin de rien ? J’ai encore une petite heure devant moi…
Abby tressaillit au son des pas de Tanner dans le couloir.
— Non, merci. Je dois me reposer, tout bonnement.
— D’accord. Pour ton anniversaire, que dirais-tu d’un gueuleton avec les filles, dimanche ?
— Parfait…
— Nous reparlerons de ton futur petit ami, plaisanta Dixie.
Un coup fut frappé à la porte.
— Aucun problème, Dixie. Je te rappelle…
Elle coupa la communication et courut jusqu’à la porte.
— Pardonnez-moi de n’être pas venue vous accueillir en bas, monsieur, mais…
Les mots restèrent coincés dans sa gorge.
— Il n’y a pas de mal, l’encouragea-t il, un sourire ravageur en prime.
Elle toussa.
— Voulez-vous, euh… entrez, je vous en prie…
— Avec plaisir. Il faut bien que je prenne connaissance du cadre dans lequel vit ma femme…
Sa femme, avait-il dit dans un clin d’œil ! Tétanisée, Abby se força à une ébauche de sourire, tandis qu’il pénétrait dans le studio, l’air tout à fait calme et sûr de lui. Il avait troqué son costume pour un jean et un sweat qui avaient le mérite de mettre en valeur ses jambes et son torse admirablement musclé. Un bref instant, Abby se rengorgea, comme si Tanner fut sa propriété.
Quelle idée grotesque ! Cet homme n’est là que pour une chose, se tança-t elle : t’utiliser.
— Voulez-vous boire quelque chose, monsieur ? offrit elle le plus plaisamment qu’elle put. Café, soda ?
— Non, merci.
Il avait distraitement refusé son offre, trop absorbé à étudier les lieux — s’arrêtant sur certaines babioles, estimant, eût-on dit, la valeur de ses meubles, déchiffrant avec intérêt les titres des livres de sa modeste bibliothèque… Puis, comme il passait devant l’une de ses peintures, il se figea, et scruta le portrait de cet homme qu’elle avait peint orbites vides, ombrées d’une seule nuance de gris.
— Quelle œuvre exceptionnelle ! Comment s’appelle l’artiste ?
Elle s’obligea à sourire en dépit de son malaise.
— C’est moi.
Tanner eut une moue épatée, son regard toujours rivé au tableau.
— Vous avez du talent, Abby.
— Vous paraissez surpris, monsieur.
— Impressionné, plutôt. Un brin jaloux, aussi… Je sais reconnaître un artiste lorsque j’en croise un et je suis capable d’acheter toutes ses œuvres si je suis séduit. Hélas, ricana-t il, je n’ai pas le moindre talent pour le dessin…
— On ne peut tout avoir… Certains ont la fibre artistique, d’autres le sens des affaires.
— Oui, bien sûr…
Il se rapprocha d’elle.
— … qui vous a servi de modèle ?
— Une vieille connaissance. Un homme souffrant de troubles de la vision.
— Aveugle ?
— D’une certaine façon, oui.
Tanner la dévisagea avec une intensité telle qu’elle s’écarta vivement.
— Si nous y allions ?
Après un moment d’hésitation, il opina et aussitôt Abby entreprit de rassembler ses affaires.
Une seconde plus tard, ils dévalaient les escaliers. Une fois à l’extérieur, comme ils se dirigeaient vers la voiture, Tanner se hâta au devant d’elle… pour lui ouvrir la portière côté passager.
— Merci, monsieur…
Elle osait à peine s’asseoir. L’intérieur de la Mercedes était d’une propreté irréprochable ; aucun papier ne gisait sur le tableau de bord ; aucun journal n’encombrait les sièges de cuir beige luisants ; aucun gadget ridicule ne se balançait au rétroviseur. On aurait dit un véhicule tout juste sorti de chez le concessionnaire.
Tanner prit place à son tour et lui jeta un bref regard.
— Ne m’appelez plus monsieur, Abby…
Il mit le contact ; la voiture se mit à ronronner.
— A partir de maintenant, ce serait bien que vous m’appeliez Tanner.
— Et pourquoi n’utiliserais-je pas votre prénom ?
— Personne ne m’appelle jamais par mon prénom.
Abby se tourna vers lui, intriguée, mais ne l’interrogea pas plus avant. Sa ceinture de sécurité bouclée, la main droite sur le levier de vitesse, il poursuivit :
— Durant les prochains jours, vous ne devez plus vous considérer comme mon employée. Frank Swanson ne doit se douter de rien…
Un sourire joua sur ses lèvres.
— Si vous y tenez, appelez-moi trésor ou chéri…
Elle sentit une vague de chaleur la submerger sans pour autant s’offusquer de sa suggestion.
— Excusez-moi d’insister, mais je crois qu’il est capital de ne pas perdre de vue que je suis votre employée, monsieur… Zut ! Tanner…
— Monsieur Tanner, répéta-t il en riant. Un peu trop mondain, vous ne trouvez pas ?
Abby se *******a de lever les yeux au ciel. Ils roulèrent un moment sans échanger un mot, Tanner ne se décidant à rompre le silence que lorsqu’ils s’engagèrent sur l’autoroute.
— Une fois arrivés à la maison, je vous abandonne à votre séance de relookage. Comptez environ deux heures… Nous dînerons ensuite en tête à tête, histoire d’apprendre à mieux nous connaître. J’ai pensé nous faire passer pour de jeunes mariés en quête de tranquillité. Les médias se seraient forcément fait l’écho de mon mariage… Je raconterai aux Swanson que la cérémonie s’est déroulée dans le plus grand secret.
Il se tut un bref instant puis enchaîna :
— Je suppose que les conversations de ce week-end porteront essentiellement sur les affaires. Que cela ne vous empêche pas de vous manifester…
Il continua à lui exposer le déroulement du week-end. Bientôt, Abby ne l’écouta plus. Les yeux baissés, elle ne parvenait pas à détourner son regard des cuisses de Tanner qui, chaque fois qu’il enclenchait une vitesse, bougeaient de telle manière qu’elle en éprouvait un émoi tout à fait inconvenant. Excédée, elle reporta son attention sur la route, se sermonnant contre sa légèreté et l’ineptie de ses fantasmes. Elle ferait bien mieux de s’intéresser sérieusement à sa mission…
— Bien, qui est Frank Swanson ? s’enquit-elle à brûle-pourpoint.
— Les Confiseries Swanson, vous connaissez ?
— Pas possible ? s’exclama-t elle en riant. Je suis une fan de ses barres chocolatées et je garde toujours une boîte de ses chocolats noirs dans mon réfrigérateur…
Quel rire délicieux, limpide et musical, songea Tanner en lui jetant un regard de biais. Un rire communicatif… auquel il s’interdit néanmoins de se joindre de crainte d’une réaction en chaîne. « Stop ! Les affaires, rien que les affaires, mon garçon ! » s’exhorta-t il, les mains crispées sur le volant.
Une minute s’écoula et il quitta l’autoroute pour la nationale qui le menait chez lui, face à l’océan. Machinalement, il fit descendre sa vitre et inspira une profonde bouffée d’air.
— Aimez-vous les bonbons… Tanner ?
— Non. Je risquerais de devenir accro…
— Pourquoi tenez-vous à acquérir cette société ?
Il rit doucement et haussa les épaules. Abby ouvrit à son tour sa vitre.
— Cette question vous paraît sans doute extrêmement naïve, mais j’aimerais une réponse.
— Eh bien ! C’est une entreprise qui marche très fort.
Elle ne fit aucun commentaire. Le ruban infini des plages de sable blanc que bordaient de larges avenues ombragées de palmiers défilait majestueusement…
Au bout d’un moment, elle se tourna vers lui.
— Vous vivez à Malibu ?
— Cela vous étonne ?
— Je m’étais imaginée qu’un homme tel que vous résidait à Beverly Hills…
— Et quel genre d’homme suis-je donc ?
— Le genre qui aime vivre en ville, au cœur de l’action, là où se trouvent les plus belles, euh… les plus beaux musées.
Devant sa brusque rougeur, il éclata de rire.
— Je fréquente rarement les musées !
Abby opina, vaguement déçue.
— J’ai besoin de mieux vous connaître. Vous devriez me fournir des données plus, euh… intimes. Tenez, parlez-moi de votre famille…
L’esprit de Tanner fut à ce mot assailli d’images — de souvenirs douloureux qu’il s’évertuait à refouler et dont il évitait soigneusement de parler. Le décès de sa mère, détruite par l’alcool ; son incorrigible coureur de père qui s’était libéré de la charge que représentait son fils en le plaçant en internat… Tanner avait eu une enfance solitaire et sans joie. Privé d’amour, sans repères familiaux, il s’était exercé très jeune à contrôler ses émotions, se promettant de devenir un jour un homme d’affaires impitoyable et tout-puissant.
— J’ai 32 ans. Je suis né un 20 Juin à Manhattan. Je fais mon jogging chaque matin, 10 kilomètres en moyenne, dit-il d’une voix monocorde. Je préfère le whisky au vin, et je me couche rarement avant 2 heures du matin.
— Mon Dieu ! ironisa Abby, que voilà une biographie expéditive ! dix secondes montre en main… Bravo, record battu !
C’était là ce dont se satisfaisaient la plupart des femmes qu’il rencontrait, pensa Tanner en s’engageant dans une allée marquée propriété privée. Et cela devait amplement suffire à une femme qui n’était censée partager sa vie que le temps d’un week-end.
— D’accord, finit-il par marmotter. Vous voulez une révélation ? Eh bien, sachez que c’est mon premier mariage.
— Quel scoop, monsieur ! repartit-elle, narquoise.
— Abby ! la chapitra-t il.
Elle ne daigna pas même le regarder et demeura les yeux au loin, les lèvres entrouvertes…. Des lèvres merveilleusement dessinées, pleines et roses à souhait, qui devaient avoir la douceur du satin…
Il se détourna brutalement, agacé autant que perturbé, et sortit en hâte de la Mercedes. La seconde d’après, il invitait Abby à descendre à son tour.
— Alors, comment trouvez-vous les lieux ?
— Splendide, évidemment répondit-elle, lui sembla-t il avec une certaine tristesse.
— Mais… ?
Comme ils grimpaient les marches du perron, elle leva les yeux sur lui, perplexe.
— Mais quoi ?
— Je peux lire à livre ouvert dans les gens, Abby, déclara-t il en lui ouvrant la porte. Je sais tout de suite si quelqu’un me cache quelque chose…
— Euh, eh bien… C’est juste que… Tout est tellement… colossal et somptueux, bredouilla-t elle. Vous vivez seul ici ?
Il acquiesça. A vrai dire, jamais il ne lui était venu à l’idée d’amener une femme en ce lieu. C’était là son oasis, son refuge, le seul endroit où il parvenait réellement à se détendre…
Oh, certes, il y avait également cet appartement de grand standing qu’il possédait en plein centre-ville. Il aurait pu y conduire Abby — n’eut été un voisinage excessivement indiscret, prêt à faire des gorges chaudes de ses actes les plus bénins. Oui, la maison de Malibu était bien plus appropriée…
Il observa Abby qui regardait maintenant avec intérêt la cheminée.
— Vous ne devez pas venir souvent, nota-t elle. Je ne vois ni tableaux, ni photos… Il règne entre ces murs, euh… Elle réfléchit, puis conclut : une intense solitude, oui. Il vous faut remédier à cela. Donner à cette maison un supplément d’âme…
Tanner se renfrogna. Un supplément d’âme ? Qu’entendait-elle par là ? Confortable et fonctionnelle, cette maison lui convenait totalement, à lui. Ah, bien sûr, ses étagères et ses murs étaient vides de gadgets ridicules et de babioles inutiles. Chez elle, au contraire, tout une série de clichés et de tableaux divers s’amoncelaient…
La spontanéité d’Abby le désarçonnait. Elle exprimait tout ce qui lui passait par la tête, sans prendre le temps de la réflexion. Et ce type de tempérament, il en avait fait à plusieurs reprises l’expérience, conduisait nécessairement au désastre.
Grand Dieu, heureusement que cette femme ne resterait pas dans les parages au-delà du week-end… Il soupira, puis, désignant l’escalier :
— Vous devriez monter, à présent. Une équipe vous attend. Premier étage, sur votre droite.
— Une équipe ? Quelle équipe ? fit-elle, l’air ébahi.
— L’équipe de relookage, répondit-il en s’éloignant.
— Whaaa ! l’entendit-il murmurer, une équipe, carrément ?
Lui tournant à ce moment le dos, il ne put se garder de sourire à la candeur de sa remarque.
— Hé ! l’interpella-t elle alors, vous devez à votre tour me questionner ! Vous ignorez tout de moi…
— Plus tard, pendant le dîner, répliqua-t il en passant la porte. Excusez-moi, j’ai quelques dossiers à réviser…
Menteur, se dit-il en se retournant, une fois dans le couloir. Abby gravissait les marches avec nonchalance. Avec une grâce naturelle touchante…
Il s’en fut d’un pas rapide, poussé par un incompréhensible malaise. Non, aucun dossier urgent ne l’attendait ; le pressait en revanche le besoin de se retrouver seul…

 
 

 

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chapitre 3

— Chérie, quel visage intéressant !
Le maquilleur, un personnage excentrique se faisant appeler Madame Georges, joignit les mains, comme en extase, tandis qu’il étudiait les traits d’Abby.
— Et cette chevelure… Un vrai miracle !
— Quel roux flamboyant ! Absolument fabuleux ! s’exclama Wanda, la coiffeuse, un large sourire aux lèvres.
Faisant défiler sous le menton d’Abby une robe après l’autre, Donald, le styliste, renchérit à son tour :
— La petite robe verte sans bretelles s’accordera magnifiquement à la couleur de ses yeux… Bien, au travail, messieurs dames… Prête, Cindy ?
— Euh, Abby, le corrigea poliment celle-ci.
— Pas aujourd’hui, chérie. Aujourd’hui, c’est Cendrillon !
Abby sourit, presque malgré elle, aux trois artistes qui l’observaient avec avidité. Prenant son courage à deux mains, elle finit par chasser ses dernières réticences et resserra son peignoir. Sacrée équipe que ces trois zigotos ! Avaient-ils été informés des raisons de cette séance ? Probablement pas. C.K. Tanner paraissait guère enclin à se confier, comme le lui avait prouvé le récit au pas de charge qu’il lui avait fait de sa vie…
Aussi succincte qu’elle fut néanmoins, cette biographie laissait entrevoir certains points qui ne manquaient pas de l’intriguer.
Hum… Lorsque viendrait son tour de parler, elle ne se priverait pas de lui cacher, elle aussi, certains éléments de sa propre existence. Elle se garderait bien ainsi de lui avouer que son allure distinguée et son charme irrésistible lui rappelait Greg. Greg qui l’avait séduite et auquel la jeune fille pure qu’elle était jadis s’était finalement donnée, croyant sincèrement en son amour.
Elle laissa échapper un long soupir. Pourquoi s’obstinait-elle à comparer les deux hommes ? C’était idiot. Elle n’était plus la jeune lycéenne naïve d’antan et de plus son séduisant patron n’entretenait avec elle que des relations strictement professionnelles.
Madame Georges lui sourit, les yeux brillants, un bâton de rouge à lèvres à la main, manifestement impatient de mettre la première touche à son œuvre. Mon Dieu, tout ce remue-ménage, songea-t elle, pour quel résultat ? Bah, après tout, puisque ses trois magiciens semblaient y croire… elle ne se sentait pas le droit ni l’humeur de les détromper.
Wanda s’empara de ses cheveux qu’elle commença à piquer de papillotes argentées. Désœuvrée, Abby fureta du regard autour d’elle. Il se dégageait de cette pièce une atmosphère presque irréelle, chaleureuse et sereine — si différente de celle, moderne et froide, du rez-de-chaussée… Que Tanner vécut seul, dans cette immense demeure austère, le rendait plus énigmatique encore à ses yeux. L’homme d’affaires serein et sûr de lui qu’elle croyait connaître lui réservait-il d’autres surprises du même acabit ?
Des tentures d’un bleu profond revêtaient les murs de la pièce aux allures cosy. Ici et là on avait disposé des fauteuils en cuir tanné ; dans un coin trônait un vaste canapé, également en cuir, sur lequel s’alignaient quelques coussins moelleux. Une large baie vitrée occupant tout un pan de mur s’ouvrait sur l’océan. Sur la gauche d’Abby, quelques marches menaient à un espace où s’élevait une cheminée de style rustique. Quel goût, et quel luxe ! Même s’il n’y avait là aucun étalage vulgaire de la toute-puissance de C.K. Tanner…
Son estomac se noua et un frisson de panique la parcourut. Mon Dieu, s’affola-t elle, dans quelle aventure s’était-elle donc embarquée ? Elle, épouse de C. K. Tanner, le play-boy millionnaire…
— Levez donc le menton, lui intima à cet instant Madame Georges, une houppette à la main.
Abby s’exécuta. Son avenir et celui de son école ne dépendaient que de sa bonne volonté… Elle ferait de son mieux. Tanner ne comptait-il pas sur elle ?
Debout devant le miroir de l’entrée, Tanner noua sa superbe cravate griffée Armani puis ajusta sa veste avant de consulter sa montre. Bon sang, deux heures et demie. Que fabriquaient-ils donc, là-haut ?
Vingt minutes plus tôt, il était monté à l’étage et avait frappé discrètement à la porte derrière laquelle on s’affairait. Wanda avait annoncé qu’Abby n’était pas encore prête…
Deux heures et demie ! Il fronça les sourcils, perplexe. Abby disposait d’un charme naturel évident et les trois compères n’avaient qu’à se *******er de le mettre en valeur. Devait-il s’inquiéter ?
Tanner cessa brusquement de trépigner. Au premier, une porte venait de s’ouvrir. Il perçut distinctement un brouhaha où se mêlaient chuchotements et fous rires. Puis retentit l’écho de talons hauts martelant les marches. Enfin !
— J’espère que vous aimez le vin, Abby, j’ai débouché…
Sa voix se brisa à la seconde où il leva les yeux. Bouche bée, il regarda médusé Abby qui descendait lentement l’escalier. Disparus les vêtements cent fois trop amples, envolée la couette mutine. Les mille feux dont brillaient les yeux verts d’Abby se reflétaient dans une robe de soie vert émeraude mi-longue dont le décolleté plongeant révélait une poitrine qu’il n’aurait jamais soupçonnée. Ses cheveux qu’elle gardait généralement attachés retombaient librement sur ses épaules nues en boucles délicates et… Fasciné, Tanner réalisa qu’il n’avait jamais pris garde aux jambes d’Abby Mac Grady. Des jambes au galbe parfait, sveltes et bronzées… somptueuses. Pris d’une subite bouffée de chaleur, il dut s’y reprendre à trois fois pour avaler sa salive.
Recouvrant peu à peu ses esprits, le souvenir des portraits de femmes peints par Botticelli s’imposa à lui. Oui, une fraîche innocence empreinte d’une sensualité torride se dégageait d’Abby — un modèle que n’aurait pas renié le maître italien.
Il grommela un vague juron, prenant pour la première fois conscience de la situation. Il était littéralement subjugué par cette femme. Elle éveillait en lui un trouble nouveau, quelque chose qu’il n’avait jamais expérimenté avec aucune autre auparavant.
Comme elle atteignait la dernière marche, Abby, de toute évidence nerveuse, lui sourit.
— Que… Qu’en pensez-vous ?
Il ne dit rien, l’esprit assailli de flashes où se superposaient images d’une peau nue, de jambes offertes et de cheveux roux battus par le vent. « Du calme, mon garçon, se sermonna-t il, un peu de sang-froid ». Il ferma les yeux un bref instant pour ne les rouvrir qu’une fois le battement de son cœur revenu à un rythme normal.
— Très joli, Abby.
Abby écarquilla les yeux, et ses joues virèrent au rouge cramoisi. Très joli ? Elle avait passé des heures sous la torture et Monsieur avait le culot de l’accueillir ainsi par un ridicule très joli ?! Ce n’était pas qu’elle espérait qu’il se pâmât, non, mais au moins aurait-il pu avoir la délicatesse de se montrer plus flatteur.
Elle soupira en silence. Quelle idiote elle faisait ! En réalité, jamais elle ne s’était sentie aussi séduisante et elle avait espéré que Tanner défaillerait à son apparition. Oui, elle avait imaginé qu’il se confondrait en compliments, saisi qu’il aurait été par sa beauté — une beauté au moins égale à celle des top models et actrices qu’il fréquentait. Eh bien non.
C’est ton patron, Abby. Tu n’es pas là pour lui plaire. Tu es là pour le travail.
D’un geste fébrile, Tanner ramena ses cheveux en arrière.
— Nous devons parler, maintenant, murmura-t il entre ses dents.
— Bien sûr, répliqua-t elle sur un ton qu’elle voulut énergique.
— Le dîner sera bientôt prêt.
Il s’engagea dans le couloir, l’invitant à le suivre.
Elle lui emboîta le pas, hésitant entre amertume et colère. Elle devait garder les pieds sur terre. Tanner n’était pas son époux. Cette villa luxueuse, cette toilette délicieuse, rien de tout cela n’était réel. Il ne s’agissait que d’une vaste imposture, une implacable mascarade où elle tenait le rôle d’une princesse de pacotille. D’ici trois jours, les douze coups de minuit retentiraient et…
— Je voudrais vous montrer quelque chose, dit Tanner un moment plus tard tandis qu’ils pénétraient dans ce qu’elle devina être son bureau.
Elle fut immédiatement saisie par la froide atmosphère de la pièce. Une froideur spartiate accentuée par des murs d’une blancheur aveuglante et une décoration minimaliste. Dans un coin se dressait une cheminée qui n’avait jamais dû accueillir la moindre flambée. Une fois encore, elle remarqua l’absence de photos, d’objets personnels.
Une large baie vitrée drapée d’épais rideaux en mousseline surplombait l’océan, donnant l’illusion d’une cabine posée à la proue d’un paquebot de luxe. Quelle pièce magnifique ! Abby se rappela vaguement avoir vu quelques photos du même bureau sur les pages en papier glacé du magazine Demeures de charme.
Elle s’avança jusqu’à la terrasse, fascinée par la vue, enivrée par la brise marine. Le spectacle était particulièrement enchanteur en ce début de soirée. Des volutes de nuages rouge orangé striaient au loin le ciel du crépuscule. Vision de rêve que réfléchissaient les eaux lisses de l’océan nocturne…
— Abby ?
Elle se retourna vivement et, s’arrachant à sa rêverie, quitta la terrasse.
— Ce doit être génial de vivre si près de l’océan…
— Exact.
Il ouvrit un tiroir et en sortit un petit coffret de velours noir qu’il déposa sur le bureau.
— J’ai pensé aux alliances.
Abby se figea. Des alliances ? Ce détail ne lui avait pas même traversé l’esprit.
— Elles appartenaient à mes grands-parents, précisa-t il en ouvrant la petite boîte.
Abby manqua s’étouffer en découvrant les anneaux. Deux bagues divines, l’une d’or jaune surmontée d’un flamboyant solitaire, l’autre en platine brut, sobre et raffinée.
— Je ne crois pas que, euh… bafouilla-t elle.
— Nous sommes de jeunes mariés. Cela paraîtrait étrange que nous ne portions pas d’alliance, non ?
Abby acquiesça d’un hochement de tête, mal à l’aise. L’alliance de la grand-mère de C.K. Tanner, à son doigt ? Quel honneur !
Quoique… il n’y avait rien là qu’un scénario habilement construit.
N’empêche, plus les choses avançaient, plus elle se sentait investie de son rôle, au point qu’elle perdait de vue, par moments, les vraies raisons de sa présence ici. Il lui fallait impérativement se montrer plus vigilante, éviter de prendre à son compte les regards et les gestes de Tanner. Ils ne s’adressaient pas à elle mais à la femme que, tel un apprenti sorcier, il s’appliquait à modeler pour parvenir à ses fins.
— Elle ne vous plaît pas ?
Elle se mordit la lèvre.
— Ce n’est pas cela…
Cette alliance lui plaisait, bien évidemment. Il s’agissait d’une pièce prestigieuse comme en rêvaient toutes les jeunes filles. Elle effleura l’anneau, avec respect.
— Si le diamant ne vous convient pas, s’impatienta-t il, je peux…
— Non, non. C’est un bijou extraordinaire…
Il se radoucit et saisit la bague.
— J’espère qu’elle vous ira… Puis-je ? demanda-t il en cherchant son regard.
Abby frémit. Une petite voix s’éleva alors en elle, lui intimant l’ordre de s’emparer du bijou afin de le glisser elle-même à son doigt. Elle ne fit cependant rien de tout cela et demeura immobile, osant à peine respirer.
Tanner prit doucement sa main dans la sienne. Elle retint à grand-peine un cri tant les sensations qui l’envahirent la surprirent. Une rafale de vent plus forte que les précédentes s’engouffra à cet instant dans le bureau, venant sans doute, songea-t elle de façon incongrue, la rappeler à la raison. Ayant glissé l’anneau à son doigt, Tanner dit :
— On la croirait taillée pour vous.
Puis, observant ses ongles fraîchement vernis, il ajouta :
— Quelle belle couleur…
Bien que sa gorge fût effroyablement nouée, elle parvint à articuler :
— N’est-ce pas… ? C’est une nuance très en vogue, Tentation…
— Oui, bien sûr…
Elle pria pour ne pas rougir. Pas sous l’intensité de ce regard rivé au sien. Mon Dieu, que fallait-il qu’elle fasse maintenant ? Comment trouver la force de résister au feu qui la pénétrait ?
— A moi, maintenant…
— Pardon ? dit-elle, fuyant aussitôt ses yeux.
— L’alliance.
Il enfila à la hâte et sans aucun émoi apparent la bague platine à son annulaire.
— Un peu juste… Enfin, cela devrait aller pour le week-end.
Abby esquissa un sourire. Tanner avait le chic pour la ramener à la réalité. Oui, effectivement, cela devrait aller pour le week-end…
Quelque part, le tintement délicat d’une cloche retentit.
— Vous attendez de la visite ? s’enquit-elle sur un ton faussement enjoué.
Il sourit.
— Non. Cela signifie que notre dîner est prêt… Madame Tanner…
Elle tressaillit à ces mots, ébranlée par l’intimité dont ils étaient chargés. Bon sang, quelle petite midinette elle faisait à se laisser éblouir par toute cette mise en scène ! Elle savait bien pourtant que tout ceci n’était qu’un jeu, que sonné minuit, euh… le week-end fini, le Prince charmant s’évanouirait, et qu’elle retournerait à son existence terne et solitaire…
A la lueur des chandelles, Tanner observa Abby. Il l’avait choisie pour un travail bien précis. En aucun cas pour s’abandonner à des sensations ni se laisser distraire par des pulsions. Oui, mais, cette nuit, sa rigueur légendaire et son sens aigu des priorités semblaient battre de l’aile…
Rarement il s’était trouvé à dîner sans un essaim de serviteurs valsant autour de sa table. Plus rarement encore, il avait eu l’occasion d’échanger avec un convive autre chose que des banalités… Ce soir, il découvrait, émerveillé, les plaisirs de la conversation. Littérature, musique, art, gastronomie, Abby et lui avaient parlé de tout, elle avec une sensibilité et une intelligence auxquelles ses conquêtes ne l’avaient pas habitué… A vrai dire, lorsqu’il conviait une jeune femme à un dîner en tête à tête, ce n’était certes pas dans l’idée de deviser à bâtons rompus…
Il sourit à cette réflexion et, s’arrachant à ses pensées, saisit la bouteille de merlot.
— Un autre verre ?
— Non merci, répondit Abby. En règle générale, un seul verre suffit à, euh… Disons que je ne veux pas risquer de perdre la tête. Avez-vous… avez-vous déjà été ivre, Tanner ?
— Oui, une fois. Au collège. J’ai promis que l’on ne m’y reprendrait plus…
— Je suis sûre que vous détestez perdre le contrôle de vous-même…
Il se pencha et, avec l’air mystérieux d’un conspirateur :
— Si vous vous étiez réveillée comme moi au beau milieu d’une fontaine, dans une cour de récréation, vous comprendriez…
— Vous me faites marcher ! s’exclama-t elle en riant.
— Absolument pas. Je m’étais assoupi, juste sous la statue du fondateur de notre collège.
Alors même qu’il narrait à Abby ce haut fait de son adolescence, Tanner se demanda ce qui pouvait bien le pousser à lui confier un tel secret. La seule présence de cette femme l’incitait-il à dévoiler des aspects de lui-même que jusqu’ici il s’était consciencieusement appliqué à celer ? Cela le perturbait…
Abby s’essuya délicatement les lèvres puis, reposant sa serviette, lança sur le ton de la plaisanterie :
— Puisque vous faites l’effort de m’avouer vos fautes, il me semble légitime que je me découvre à mon tour.
A ces mots, Tanner songea à la douceur de sa peau cuivrée, à la ligne voluptueuse de ses jambes…
Halte-là ! Fermant les yeux, il refoula l’assaut subit du désir impérieux qui l’avait submergé. Puis, les rouvrant, il fit mine de s’offusquer :
— Vous aussi ? Vous vous êtes éveillée dans une fontaine ?
— J’ai fait bien pire que cela !
— Racontez-moi donc.
Elle finit son verre puis respira profondément.
— J’ai suivi des cours à l’Ecole des Beaux-Arts de Los Angeles durant quatre ans. Ma famille se sacrifiait pour que je puisse poursuivre mes études. Très vite, cependant, j’ai réalisé que je ne m’en sortirais jamais…
— Ne me dites pas que vous avez vendu votre sang pour trouver de l’argent ?
— Non. J’ai posé comme modèle…
Elle avait rougi et détourné les yeux. Tanner ravala sa salive et s’efforça d’effacer l’image d’Abby posant nue sur un sofa, dans l’atelier d’un artiste… En vain.
— Vous… vous… bégaya-t il, chose qui ne lui était jamais arrivée. Vous avez posé… nue ?
Relevant le menton avec un air de défi, elle riposta :
— C’était de l’art, Tanner, et une expérience délicieuse.
— Je n’en doute pas.
— Cela paraît peut-être difficile à croire mais il n’y a rien de sexuel dans cet acte.
— Bien sûr, bien sûr…
Si elle s’obstinait à maintenir la conversation dans cette direction, il lui faudrait passer le reste de la nuit sous le jet glacial d’une douche. Il s’éclaircit la gorge avant de reprendre, comme si de rien n’était :
— Vous avez évoqué certaines conditions, hier… Pourrais-je disposer d’une liste ?
— Une liste me paraît superflue. Un respect mutuel nous préservera, je pense, de problèmes majeurs. De plus, il est impératif d’éviter de trop en faire… Quelques baisers par-ci par-là, quelques gestes tendres devraient être amplement suffisants…
— Tout à fait d’accord, marmonna Tanner tout en s’interrogeant sur la nature de ces baisers. Autre chose ?
Elle sourit.
— Oui. Je me réserve le droit de soulever des objections — si l’occasion se présentait, cela va de soi…
Ils se fixèrent un long moment puis soudain Abby éclata de rire, aussitôt imitée par Tanner. La tension qui l’espace d’une minute s’était accumulée au-dessus d’eux s’estompa.
— Je suis heureuse de retourner dans le Minnesota, fit Abby sur un ton léger.
— Vous connaissez donc la région ?
— Ma tante habitait sur les berges du lac Minnetonka. J’adore ce coin. Surtout en cette saison, au début de l’automne. Les couleurs dont se pare la nature me ravissent. Vous n’êtes pas de mon avis ?
Elle but une nouvelle gorgée de vin sous le regard de Tanner, hypnotisé par les feux que lançaient l’anneau de sa grand-mère glissé au doigt d’Abby.
— Désolé, repartit-il enfin, je ne connais que l’aéroport et l’usine Swanson.
— Quel dommage ! Savez-vous que le comté produit les plus belles pommes de l’Etat ?
Abby s’interrompit et eut un regard rêveur en direction de l’océan.
— Je rêve de posséder un pommier… Hélas, je crains que le balcon de mon studio soit trop exigu…
Et zut, pensa Tanner, l’esprit confus, absorbé qu’il était par le parfum qui émanait d’Abby. Il se sentait comme en proie à une douce ivresse que venait accentuer la vision de sa peau, nue, exposée par ce maudit décolleté…
Un peu de calme, Tanner ! Abby Mac Grady n’est qu’une épouse de circonstance.
Un serviteur fit à cet instant irruption et leur présenta les desserts — une sublime crème brûlée parfumée au gingembre — avant de s’éclipser. Tanner sourit à l’expression d’Abby, bouche entrouverte et yeux ronds, manifestement subjuguée. Les gourmandes sont des femmes éminemment sensuelles…
— Tout va bien ? s’enquit-il.
— Oui, euh…
— Que se passe-t il ?
— Eh bien, euh…
Se rappelant inopinément les indiscrétions du détective privé, Tanner hocha la tête et sourit.
— Peut-être préférez-vous une coupe de glace menthe-chocolat ?
— Chouette !
Elle se leva et, prenant la main qu’il lui offrait, lui emboîta le pas.
Quelques minutes plus tard, Tanner, en bras de chemise et la cravate dénouée, considérait, décontenancé, Abby qui fouillait en bonne et due forme le réfrigérateur et les nombreux placards de la cuisine. Il l’avait vue entasser dans des petites assiettes un cocktail de rondelles de bananes, de confiture de framboise et de fruits secs, le tout nappé de sauce chocolat.
Il fixait maintenant cette assiette des miracles, ébahi.
— Bien, dit Abby en glissant une serviette en papier dans le col de sa chemise, au travail !
— Vous ne craignez pas, euh… Tant de chocolat, est-ce bien raisonnable ?
— Le chocolat est la chose la plus raisonnable que je connaisse, décréta Abby sur un ton sans appel. Et puis, vous vous apprêtez à acquérir une enseigne qui doit sa réussite au chocolat, ne l’oubliez pas…
— Exact, convint-il.
Ils dévorèrent leur assiette, Abby riant aux larmes de son manque patent d’enthousiasme. Une fois qu’il eut terminé, il remarqua en souriant :
— Jamais je n’ai eu dîner d’affaires si plaisant. Merci, dit-il en l’enveloppant d’un regard chaud et pénétrant.
Lançait-il ce même regard aux femmes qu’il convoitait ?
Abby tressaillit et se détourna, rangeant de-ci de-là, l’air affairé. S’il s’entêtait à la regarder ainsi, à lui sourire de cette manière, le week-end s’annonçait éprouvant…
Par la vitre ouverte, Abby fixait l’océan, menaçant sous la pleine lune. Tanner roulait doucement sur la grande avenue et elle sentait sur son visage la caresse apaisante du vent mêlé d’embruns. Lentement, elle se tourna vers lui. Il gardait les yeux rivés sur la route et elle put étudier tout à loisir son profil. Un fin duvet ombrait ses joues et le dessin de ses lèvres entrouvertes…
Stop !
Elle s’abîma derechef dans la contemplation de l’océan.
Oui, C.K. Tanner l’attirait, elle ne pouvait plus longtemps se le cacher. Comment cela avait-il pu arriver ? Voilà donc qu’elle rejoignait la meute de ses courtisanes… ? Non. Pas elle…
Cette soirée… Oui, elle avait passé un moment exquis. Tout s’était déroulé pour le mieux. Sans qu’elle trébuchât ou brisât quoi que ce fût. Elle avait été chouchoutée comme jamais, s’était légèrement grisée d’un vin français succulent. Elle s’était sentie en confiance, allant même jusqu’à lui révéler l’un des grands secrets de son existence. Tout comme lui. Lui qu’elle devinait maintenant bien plus vulnérable, bien plus sensible qu’il ne s’évertuait à le laisser croire. Oui, à cette heure, elle devait l’admettre, elle attendait avec une certaine impatience ce week-end. Au moins autant qu’elle le redoutait.
— J’ai prévu différentes toilettes pour ces trois jours, l’informa-t il en s’engageant dans la Ve Avenue.
Abby opina. Evidemment, son éternel jean et son petit chemisier qu’elle avait renfilés en vitesse juste avant de quitter la propriété ne sauraient convenir pour une telle mission…
— Je dois avouer que je ne me suis jamais préoccupée d’une garde-robe digne de ce nom.
— Je doute que vous ayez l’occasion de revêtir une robe de gala, mais sait-on jamais ? Mieux vaut tout envisager…
Elle rit gentiment de sa manie de vouloir toujours tout prévoir, même l’imprévisible. Il adorait sa façon de rire, si fraîche, si spontanée — et si différente des glapissements ridicules des femmes de son entourage, pour qui le rire, eût-on dit, était une vulgarité ! Oui, il adorait l’authenticité d’Abby. Elle était authentiquement charmante… Elle l’intriguait, lui qui jusqu’ici estimait avoir fait le tour des différents types de sensibilité féminine — et pour un peu, il se serait laissé aller à la serrer dans ses bras, à l’embrasser… Pour un peu, car il déployait une énergie fantastique afin de résister à ces pulsions.
Il coupa le contact. Bon sang, que lui arrivait-il ? Si elle était d’agréable compagnie, Abby restait son employée. Tous deux appartenaient à des mondes complètement opposés. Non, il devait se reprendre, tirer un trait ferme et définitif sur les pensées et les fantasmes qui le tarabustaient. Sentiments et affaires n’ont jamais fait bon ménage…
Il fit le tour de la voiture en marmonnant et vint lui ouvrir la portière. Comme Abby ne semblait pas disposée à quitter son siège, il s’enquit :
— Quelque chose ne va pas ?
— Je suis coincée, dit-elle d’une voix presque inaudible.
Il se pencha et la regardant, s’excusa :
— Vous dites ?
— Coincée, je suis coincée, répéta-t elle, agressivement cette fois. Mes cheveux se sont pris dans l’appui-tête… Zut ! Je déteste ces voitures étrangères.
— Vous disposez d’un certain talent pour les gaffes, dirait-on, ironisa-t il.
— Cela se voit tellement ?
Il s’accroupit et examina l’appui-tête.
— Comment vous êtes-vous débrouillée pour… ?
— Pourrions-nous débattre de ma gaucherie un autre jour, s’il vous plaît ? Aidez-moi… Je déteste être enchaînée. Je souffre de claustrophobie.
— Hum… Pouvez-vous faire le gros dos ?
— Le gros dos ? Pourquoi ? se récria-t elle.
— Pour que je puisse intervenir, sans vous blesser.
Elle bomba le dos et réussit de cette manière à libérer trois petits centimètres entre le siège et elle. Aussitôt, Tanner faufila sa main derrière sa nuque, effleurant au passage ses épaules. Il pesta contre la vivacité de sa libido, enflammée par les effluves de son parfum… Quel crétin il faisait !
Se contorsionnant avec habileté, il parvint à glisser sa tête au niveau de sa nuque. Doucement, il écarta ses longs cheveux roux qui caressaient son visage et chercha ce qui la maintenait en si mauvaise posture.
— Alors ? l’apostropha-t elle.
Il leva les yeux au ciel, exaspéré par le brasier qui le consumait.
— Une minute, j’y suis presque…
Il saisit la mèche de cheveux entravée qu’il libéra enfin du support de l’appui-tête. Se redressant, il invita Abby à sortir de la Mercedes.
Une fois à l’air libre, celle-ci ferma les yeux, goûtant avec délice à la brise nocturne — et s’efforçant de réprimer le trouble qui l’avait envahie dans ce corps à corps improvisé.
Cherchant quelque chose à dire qui put rompre le charme que cette nuit exerçait sur elle, elle regarda l’alliance à son doigt et demanda :
— Dois-je vous rendre l’anneau ?
Il sourit.
— Non, gardez-le.
— Très bien.
Ils s’avancèrent jusqu’à la porte, silencieux.
— Je dois vous avouer que je serais heureuse lorsque tout ceci sera fini, dit-elle en poussant la porte d’entrée de son immeuble. J’ai le mensonge en horreur.
— Moi aussi. Mais je crains que pour l’occasion, ce soit un mal nécessaire.
Elle se tourna vers lui et, adossée au mur du vestibule, ses yeux plongés dans les siens :
— N’est-il pas envisageable que vous opériez seul ? Montrez donc à Swanson le vrai Tanner…
Il soutint son regard. Qu’il devait être doux de se perdre dans ces yeux verts…
— Non. Je ne souhaite me dévoiler à personne.
— Mais lorsqu’il découvrira le subterfuge… ?
— J’ai tout prévu, la coupa-t il. Sitôt le contrat signé et les Confiseries Swanson en ma possession, nous divorcerons.
— Ah ? Bien… Il est vrai que dans votre monde, on se marie et on divorce sans se poser plus de questions…
— C’est juste, approuva-t il.
Il n’avait aucune envie d’entamer une conversation sur la valeur d’une institution telle que le mariage. Ses théories sur le sujet ne regardait que lui et puis de toute façon, Abby ne le comprendrait pas, elle dont les parents étaient toujours mariés, liés par un profond amour et une fidélité qu’il supposait sans tâche.
— Bien, reprit-il, je passerai vous prendre à 7 heures demain matin. Direction l’aéroport. Bonne nuit, Abby.
Il s’en fut vers sa voiture, sans se retourner. Ce mariage n’était qu’une imposture. Tout comme cette soirée, aussi agréable qu’elle avait été… Sa relation avec Abby était faussée par le contrat qu’ils avaient passé.
Bon sang, comme il regrettait d’être obligé de recourir à elle ! se dit-il en s’installant au volant. Il mit le contact… Non, il ne retournerait pas à la villa sur l’océan, ce soir. Il dormirait en ville. Enfin, si le sommeil voulait bien de lui…

 
 

 

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chapitre 4
— Nous nous poserons d’ici une petite heure, monsieur Tanner, chuchota l’hôtesse.
Celui-ci opina, se gardant bien de faire le moindre geste : Abby s’était assoupie contre son épaule… Elle paraissait si lasse, ce matin, lorsqu’il était venu la chercher, qu’il préférait qu’elle se reposât le plus possible. Un long week-end les attendait et s’ils voulaient mettre toutes les chances de leur côté, ils avaient besoin d’avoir l’esprit clair.
Elle n’avait fait aucun commentaire sur la manière dont ils s’étaient séparés, la veille, et il lui en était extrêmement reconnaissant. En vérité, il ne souhaitait aucunement débattre des bienfaits du mariage ni entrer dans de pesantes considérations à propos de l’imposture qui devait abuser Swanson. Oh, et puis zut, se dit-il, pourquoi fallait-il qu’il se sentit si peu sûr de lui sitôt que cette femme était dans les parages… ?
Abby correspondait si peu à l’image qu’il s’était faite d’une complice. Depuis ce satané dîner, il avait l’impression que sa vie avait amorcé un virage, aussi inattendu qu’inespéré. Oui, ce repas avait été un moment merveilleux, un moment exceptionnel. Pour la première fois de son existence, il s’était senti en totale harmonie avec une femme… Mieux encore, ce bien-être, cette sérénité s’était imposée à lui naturellement et à plusieurs reprises il s’était même pris à oublier tout à fait les vraies raisons de la présence d’Abby auprès de lui.
Il baissa la tête et la regarda un long moment. Après le décollage, à peine avaient-ils échangé quelques banalités — Abby manifestant le désir de faire un petit somme. Elle n’avait pas rouvert les yeux depuis…
Lui était-il jamais arrivé de tenir quelqu’un dans ses bras, sans arrière-pensées ? Avait-il même jamais souhaité garder ainsi contre son cœur une femme, juste pour le plaisir d’une étreinte innocente et tendre ?
Elle ressemblait à un ange dans son pull angora. Un ange au tempérament de feu, se dit-il se rappelant la colère qui illuminait son regard quand il était intervenu au beau milieu de son cours de dessin. Un ange bien encombrant aussi, devant lequel il se sentait tout petit…
Tanner inspira profondément, impuissant à refouler l’émotion qui le gagnait. Comme il aimait ce parfum qui imprégnait ses cheveux ! Un parfum acidulé de pomme verte. Oui, elle lui avait confié porter une véritable passion à ce fruit. Tiens, pourquoi ne pas lui offrir un pommier en guise de remerciement, une fois toute cette histoire terminée… ?
Le jet piqua à ce moment sur sa gauche, l’arrachant à ses pensées. Instinctivement, il resserra son étreinte. Une seconde plus tard, la voix du commandant de bord grésillait dans le haut-parleur :
— Désolé, monsieur Tanner. Nous traversons une zone de turbulences. Cela devrait s’arranger d’ici…
Il s’interrompit, l’avion venant de plonger à pic. Abby sursauta et se redressa vivement sur son fauteuil.
— Que se passe-t il ?
L’angoisse perçait dans sa voix.
— Un trou d’air, rien de grave.
De nouveau, le jet piqua, comme aspiré par le vide.
— Mon Dieu, se lamenta-t elle. Nous allons nous écraser !
— Abby, regardez-moi.
— Pardon ?
— Regardez-moi.
Elle leva les yeux vers lui, des yeux qui exprimaient une profonde panique, et murmura :
— J’aurais dû vous en parler… J’ai terriblement peur en avion.
— Désirez-vous prendre un calmant ?
— Inutile… C’est fait… J’ai avalé un cachet avant d’embarquer.
L’avion entama une nouvelle descente vertigineuse. Abby retint un cri et ferma les yeux.
— Voilà ! Nous tombons.
Tanner la serra plus près de lui.
— Calmez-vous. Tout va bien se passer. Regardez-moi, Abby…
Elle tremblait, ses mains agrippées à ses épaules.
— Abby, rien ne vous arrivera dès lors que je suis près de vous. C’est entendu ?
Elle rouvrit lentement les yeux et acquiesça, l’air peu convaincu. Puis elle plongea son regard dans le sien et quelques secondes s’écoulèrent ainsi au bout desquelles Tanner sentit que quelque chose passait entre eux. Quelque chose qui soudain l’effraya, bien plus que l’éventualité peu probable du crash de ce satané jet.
Une minute plus tard, l’avion parut avoir pénétré un ciel plus clément. Abby cependant ne se détourna pas.
— Que… Que va-t il se passer, à présent… ? s’enquit-elle, d’une voix mal assurée.
Comme elle était touchante ainsi blottie contre lui ! Il sourdait de son regard une telle prière qu’il ne sut résister et l’exauça, sans réfléchir, en prenant sa bouche.
Tanner l’entendit qui retenait son souffle. Luttant pour étouffer la plainte d’un plaisir fulgurant, il s’enivra du miel pénétrant de ses lèvres. Elle allait le repousser, s’offusquer, et ce serait là tout à fait légitime, pensa-t il, la peur au ventre…
Au lieu de cela, elle l’attira et se pressa contre lui.
Une communion parfaite de leur être s’opéra dans ce baiser qu’ils échangèrent comme si ce devait être le dernier. Lorsque, quelque temps plus tard, une éternité peut-être, Abby s’arracha à ses lèvres, il crut mourir sous l’effet des ondes sensuelles que cette étreinte avait déchaîné en lui.
— Tanner, murmura-t elle, sa bouche frôlant la sienne.
Il retint à son tour son souffle, décelant dans sa voix une nuance nouvelle. Le désir, peut-être, se dit-il, le cœur prêt d’imploser. Oui, elle était évidemment troublée, évidemment désorientée… A moins… à moins qu’elle ne fut pas dans son état normal pour des raisons bien plus terre-à-terre. N’avait-elle pas ingurgité un calmant ? Il devait forcément embrouiller son esprit. Oui, qu’allait-il imaginer d’autre… ?
Ravalant un juron, il se redressa brusquement sur son siège.
— Dormez, lui ordonna-t il.
« Dormez, oui, que je remette de l’ordre dans mes pensées, » pesta-t il en silence.
Abby resta les yeux rivés sur lui, décontenancée.
— Très bien, monsieur Tanner, dit-elle enfin en attrapant son oreiller.
Lui tournant ostensiblement le dos, elle se blottit contre le hublot. Tanner l’observa du coin de l’œil puis s’empara de son attaché-case. Au travail. C’était bien là la meilleure façon de penser à autre chose !
A condition qu’il parvint à aligner deux pensées cohérentes, car pour l’heure, il semblait bien qu’il lui était totalement impossible de raisonner. Sur ses lèvres persistait une saveur étrange et singulière… Et, maudit soit-il, son corps palpitait encore d’un désir tenace…
Pianotant nerveusement sur le battant de sa mallette en cuir, il entreprit de se convaincre du ridicule de la situation. Allons, Tanner, ce n’était qu’un moment d’égarement. Il n’est pas trop tard…
Ils avaient conclu certains arrangements quant aux gestes qu’ils se permettraient pendant ce long week-end. Il n’était pas dans ses habitudes de faillir à sa parole !
Avec appréhension, il tourna la tête dans la direction d’Abby. On aurait dit, en cet instant, une jeune adolescente à peine sortie de l’enfance… Une adolescente que consumerait les feux d’une passion indécente, néanmoins !
Il avait coutume de fréquenter des femmes plus fatales qu’innocentes. Des femmes qui savaient ce qu’elles voulaient. Et ne se perdaient pas en d’inutiles conversations pour le lui faire savoir.
Abby était si différente. Si ingénue… et en même temps il devinait en elle une extraordinaire volupté contenue.
Dans quelle galère…
« C’est terminé, plus jamais je ne prendrai ce genre de cachet », se promit Abby, le nez collé à la vitre de la limousine qui les emmenait chez les Swanson. Oh, bien sûr, au début la drogue avait atténué son stress, mais quelques heures plus tard… Mon Dieu, quelle catastrophe ! Pire encore qu’un crash.
Que lui était-il donc passé par la tête de permettre à Tanner qu’il l’embrassât ? Permettre ? Allons, ma fille, tu n’attendais que cela, oui, tu espérais follement ce baiser. Et maintenant encore, tandis que la luxueuse voiture traversait les paysages bucoliques du Minnesota, tu donnerais n’importe quoi pour qu’il t’enlaçe et pose tendrement ses lèvres sur les tiennes. C’était là la seule et l’unique vérité.
Abby soupira. Elle n’avait pas été à ce point assommée par son calmant qu’elle ne pût se souvenir de la douceur de ses lèvres, des émotions qui l’avaient submergée au contact de sa bouche. N’empêche, ce baiser avait été une erreur, une défaillance de leur entendement. Tanner en semblait d’ailleurs persuadé ; il avait depuis pris ses distances. Une fois ce week-end terminé, il y avait fort à parier qu’il oublierait jusqu’à son existence. Et comment l’en blâmer… ?
Elle se sentait encore comme dans du coton et parvenait tout juste à garder les yeux ouverts lorsqu’ils s’étaient présentés aux usines Swanson, deux heures plus tôt. Frank Swanson ayant organisé une visite des lieux en leur honneur, elle n’avait guère tardé à se ridiculiser. Ils venaient de pénétrer dans la zone de confection des bonbons fourrés quand, bêtement, elle avait trébuché, réalisant un superbe piqué qui l’avait directement menée sur une cuve débordant de crème au chocolat.
Elle rougit en se rappelant comment Tanner s’était empressé de la secourir. Pantelante, honteuse, elle était restée immobile un moment, son pull angora abominablement tâché, de même que son visage et ses mains. Puis, volant de façon inespérée à sa rescousse, M. Swanson en personne avait gentiment remarqué que ce genre d’incidents étaient bien plus fréquents qu’on ne l’imaginait.
— Avez-vous déjà entendu parler de l’appel de la nature ? leur avait-il demandé, l’air mystérieux. Eh bien, c’est la même chose avec le chocolat.
De petite taille et trapu, arborant une magnifique barbe poivre et sel, un sourire malicieux et des yeux pétillants toujours en mouvement, Frank Swanson était réellement charmant, extrêmement avenant et chaleureux. Si ce n’avait été la promesse faite à ses étudiants de les accueillir très prochainement dans leur nouvelle salle de classe, Abby aurait sans la moindre hésitation appelé un taxi et reprit sans plus tarder le chemin de l’aéroport…
— Un autre mouchoir en papier ? Je crois qu’il reste une tâche de chocolat, là… fit Tanner.
— Non, merci.
— Vraiment ?
Il avait retiré sa veste maculée de crème et s’était lavé abondamment les mains. Assis à ses côtés, consultant ses dossiers avec une élégante nonchalance, il paraissait tout à fait calme. A vrai dire, elle ne parvenait pas à lire en lui. Etait-il furieux contre elle ?
— Je pense qu’il me faudra recourir à une brosse à récurer, dit-elle en osant un sourire.
Il leva les yeux et esquissa un sourire forcé.
— Très drôle, Abby.
— Oh, je suis navrée, d’accord ! s’écria-t elle. Combien de fois devrais-je vous le répéter ?
— A votre avis… ?
Elle se renfrogna et s’enfonça dans son siège.
— De toute façon, c’est de votre faute…
— Tiens donc ? dit-il, l’air amusé, reconnaissez tout de même que je ne vous ai pas poussée dans cette cuve…
— Vous m’avez obligée à cette visite.
— Si peu… Et je n’y suis pour rien si vous êtes la plus maladroite des filles que j’aie jamais connues.
Elle le toisa, les joues en feu, et répliqua :
— Je ferai dorénavant de mon mieux pour paraître une femme digne et respectable. Plus un mot, plus un geste…
Un silence pesant s’installa dans la limousine et Abby se demanda si elle devait renouveler ses excuses. « Bah, à quoi bon ? Il ne t’aime pas de toute façon. »
Tanner abandonna ses papiers et se mit à la fixer.
— Ce n’est pas ce que j’attends de vous, Abby. De plus, sachez que ce n’est pas non plus le genre de femme que je souhaiterais…
— Tiens donc ! Et quel genre d’épouse recherchez-vous ?
Il hésita, regrettant d’avoir trop parlé, puis, baissant les yeux sur ses dossiers :
— Je me satisfais fort bien de n’être pas marié.
Le genre de femme que je souhaiterais… Quelle mouche l’avait donc piqué de lui dire cela ? Jamais il n’avait donné de faux espoirs à aucune de ses liaisons. Toutes savaient dès le début à quoi s’en tenir avec lui. Certes, il y avait eu ce baiser dans l’avion, mais il ne voulait surtout pas qu’Abby s’imagine qu’il pourrait, après cela, porter sur le mariage un nouveau regard…
Bon sang, elle l’avait exaspéré aujourd’hui, avec sa spectaculaire cabriole. Une cabriole qui aurait pu lui coûter les Confiseries Swanson ! Contre toute attente, fort heureusement, elle s’était, par sa gaucherie, attiré la bienveillance de Frank…
Tanner se frotta le menton, songeur. Abby ignorait que tandis qu’elle s’évertuait à effacer toutes traces de sa chute dans les toilettes pour dames, Frank n’avait cessé de parlé d’elle, ne tarissant pas d’éloges à son sujet. Il redoutait tant d’avoir à faire à l’une de ces snobs insipides qui rechignaient à se salir les mains ! Oui, cet incident était un bon signe, avait clamé Swanson, enthousiaste. Ce bain forcé dans la cuve de crème était un peu comme le rite de passage obligé de tous les vrais amateurs de chocolat. Un peu plus tard, comme le vieil homme les raccompagnait à leur voiture, il lui avait discrètement soufflé de bien veiller à ne jamais laisser s’envoler une femme aussi délicieuse.
Tanner lorgna du côté d’Abby, et ne put retenir un sourire. Les auréoles de chocolat qui ombraient son visage et ses vêtements la rendaient plus séduisante encore. Terriblement sexy même. Elle gardait le nez collé à la vitre, enchantée du paysage qui se déroulait devant ses yeux — et évitant avec soin de croiser son regard. Et c’était aussi bien… N’avait-il pas commis une énorme bêtise en arrêtant son choix sur elle ? Le souvenir de leur baiser ne lui laissait aucun répit. Pire encore, il s’était pris à plusieurs reprises à éprouver du plaisir à la musique de son rire, à étudier le déhanchement subtil de son corps en mouvement, à…
Veillez à ne jamais la laisser s’envoler ! Les paroles de Frank retentirent une nouvelle fois à ses oreilles. Ne pas la laisser s’envoler ? Et comment donc aurait-il pu s’y prendre ? Elle n’avait jamais été sienne…
Il la fixait maintenant, littéralement fasciné par une gouttelette de chocolat qui était restée collée à sa nuque, juste au niveau du lobe de l’oreille. De longues secondes s’écoulèrent durant lesquelles il lutta vaillamment contre l’envie de lécher sa peau. Mais déjà il se penchait, le souffle court, son cœur martelant sa poitrine, elle, lui tournant toujours le dos, inconsciente de sa fièvre…
Abaissant la vitre centrale, le conducteur de la limousine l’interrompit.
— Nous sommes arrivés, monsieur et madame Tanner, dit-il comme ils passaient un lourd portail en fer forgé.
La voiture s’engagea sur une large allée avant de stopper devant le perron d’un manoir majestueux.
Abby se redressa sur son siège, stupéfaite. Quelle opulence ! Comment un simple mortel pouvait-il vivre dans une telle demeure ? C’était là un univers qui l’angoissait autant qu’il la captivait. Exactement comme de jouer l’épouse de Tanner. Elle avait le sentiment de n’être pas à sa place et ne se sentait guère à l’aise la plupart du temps. Mais, elle devait se l’avouer, elle éprouvait par moments une certaine euphorie à tenir ce rôle…
Et c’était complètement idiot. Ne connaissait-elle pas sa réputation ? Ne lui avait-il pas clairement fait entendre qu’il ne comptait pas se marier ?
Et alors ? De toute façon, elle n’aurait jamais épousé un malotru de son espèce. Oh, certes, il ne manquait pas d’intérêt, sur un plan plastique, mais ses qualités s’arrêtaient là…
Elle descendit de la limousine et fureta autour d’elle, ravie par le spectacle qui s’offrait à ses yeux. L’automne avait pris possession des lieux et déployait devant elle une palette envoûtante de tons roux et de nuances ocres. Une légère brise l’effleura et la fit doucement frissonner… Sous un ciel bleu sans nuage se tenait le manoir, imposant, fiché sur une butte qui descendait en pente douce jusqu’à un lac. Un lierre vivace tapissait les murs de vieilles pierres et encadrait chaque fenêtre. Abby sourit, charmée.
La lourde porte d’entrée s’ouvrit alors ; Frank apparut, flanqué d’un petit bout de femme, plutôt jolie et agréablement potelée — probablement l’épouse de monsieur Swanson, se dit Abby. Ils se précipitèrent à leur rencontre, main dans la main, un sourire chaleureux aux lèvres. Abby songea tout de suite à ses parents, incorrigibles amoureux et romantiques impénitents. Frank lui avait confié s’être marié trente-deux ans plus tôt et éprouver toujours le même plaisir à tenir la main de sa femme dans la sienne. C’était là quelque chose que Tanner, elle en était convaincue, devait considérer avec cynisme…
Un frisson d’anxiété la fit tressaillir. Abuseraient-ils ces deux-là ? Frank et sa femme se portaient un amour sans faille depuis si longtemps… Ne risquaient-ils pas de percer à jour le couple d’imposture qu’elle formait avec Tanner ?
Comme s’il avait éprouvé la même inquiétude, celui-ci enlaça sa taille. Instinctivement, elle se rapprocha de lui.
Déjà, la femme lui tendait la main.
— Bonjour. Je suis Jan Swanson. Bienvenue dans le Minnesota. Puis-je vous appeler Abby ?
— Bien sûr, répondit celle-ci en souriant.
— Appelez-moi Jan, je vous en prie.
— Ravi de vous rencontrer, Jan, dit Tanner. Merci de nous offrir l’hospitalité.
— Tout le plaisir est pour moi. J’aurais aimé vous rencontrer plus tôt. Frank m’a beaucoup parlé de vous…
— En bien, évidemment, intervint celui-ci en gratifiant Abby d’un clin d’œil.
— C’est que Frank a dû oublier ma plongée dans la cuve de chocolat, dit Abby en riant.
Tanner s’éclaircit bruyamment la gorge.
— Oh, ma chérie ! lança Jan, oublions cela… Je suis sûre que nous allons nous entendre à merveille.
Abby esquissa un timide sourire tandis que Frank prenait Tanner par les épaules.
— Venez avec moi, mon garçon. Le chauffeur s’occupera des bagages… J’ai quelque chose à vous montrer… A tout à l’heure, Abby !
Paniquée, celle-ci leva aussitôt les yeux sur Tanner qui lui sourit, l’air parfaitement calme.
— Pourrez-vous vous passer de moi quelques minutes, mon cœur ? s’enquit-il simplement.
Abby se figea, troublée par son regard, encore plus que par la douceur de sa voix.
— Je… je ferai mon possible.
— Ah, les hommes, blagua Jan dès qu’elles furent seules. Ils s’imaginent toujours que vous ne saurez vous passer d’eux, alors que c’est l’inverse qui est vrai… Mais n’allons pas gâcher leurs illusions, n’est-ce pas… ?
— Non, bien sûr, repartit Abby en emboîtant le pas à la maîtresse de maison.
Pour sa part, elle ne se faisait pas d’illusion. Tanner n’avait pas besoin d’elle. Ni de personne…
— Dites-moi, fiston, combien de fois avez-vous vu Charlie et la Chocolaterie de Verre ?
Tanner dévisagea Swanson, bouche bée, comme s’il se trouvait soudain projeté dans une autre dimension. Puis, comprenant enfin l’allusion de son hôte, il chercha dans sa mémoire et bientôt des images joyeuses et colorées revinrent à son esprit. Oui, il connaissait ce dessin animé mais ne se souvenait que très vaguement de l’intrigue.
— Je l’ai vu, enfant, un vendredi soir… C’était jour de cinéma, au pensionnat…
— J’ai également fréquenté les pensionnats, remarqua Frank. Que de fois j’ai pleuré sur ma solitude…
— Les choses ont bien changé, dit gaiement Tanner. Quelle grande famille vous avez aujourd’hui…
— Ma femme, mes enfants… Ils sont ce que j’ai de plus précieux. Mais vous aussi connaîtrez cela bientôt, Tanner…
— Oui, monsieur.
— Combien en désirez-vous ?
— Combien… de quoi ?
— D’enfants, bien sûr !
Tanner se raidit.
— Abby… Abby et moi n’y avons pas encore vraiment pensé.
— Pas de précipitation, c’est plus prudent. La décision doit être mûrement réfléchie. C’est probablement l’engagement le plus important de votre existence à tous deux… Mais le jeu en vaut la chandelle, croyez-moi, Tanner. Nulle fortune, nulle réussite sociale n’égale ce bonheur.
Tanner acquiesça d’un mouvement de la tête. Les chefs d’entreprise qu’il fréquentait se plaisaient rarement à tenir des propos philosophiques et encore moins à ouvrir leur cœur… Cette conversation le mettait mal à l’aise, l’ennuyait même. Toutes ces idées désuètes sur le mariage et la paternité avaient le don de l’agacer. Il repensa à son père, un coureur de jupons irresponsable, inapte à élever son fils, pire encore, à lui manifester la moindre affection…
— Vous êtes un homme d’affaires intelligent, Tanner, reprit Frank en le faisant entrer dans une pièce, un atelier plus exactement, où trônaient machines et ustensiles divers. Vous savez comme moi combien ce week-end pèsera dans ma décision… J’ai besoin de mieux vous connaître, vous et Abby…
— Je comprends, monsieur. Néanmoins, permettez-moi de vous faire part de mes intentions. J’ai songé à un contrat…
Tanner n’alla pas plus loin, stoppé dans son élan par l’expression sceptique de Frank.
— Avant de discuter affaires, je souhaiterais vous demander une faveur, Tanner… J’avoue que ma requête peut paraître étrange, mais…
— Dites toujours.
— Eh bien… Je voudrais vous voir à l’œuvre au cours de ces trois jours, ici, dans cet atelier…
— Que voulez-vous dire ?
— Je veux que vous conceviez votre propre ligne de confiseries…
— Mais, euh… Je ne connais rien à…
— Essayez, au moins. Je ne vous demande pas de révolutionner l’univers des bonbons au chocolat. J’aimerais simplement que vous montriez un peu de créativité…
— Frank, allons… Je suis un homme d’affaires.
— Je sais. Les autres acheteurs potentiels en lice pour ma société se sont tous pliés au jeu… Avec plus ou moins de succès, certes… C’est votre tour, à présent.
Tanner hésita un moment entre rire et colère. Bon sang, le diable d’homme paraissait tout à fait sérieux ! Lui, Tanner, exprimer sa créativité ? Chiffres, courbes de croissance et OPA étaient tout son univers. Lui demander de concevoir un bonbon relevait de la plus totale absurdité !
— Je propose que vous présentiez votre réalisation, euh, disons dimanche, au cours du dîner qui réunira tous les acheteurs. Abby peut vous assister, mais personne d’autre. Je veux votre parole.
En proie à un sentiment de profonde impuissance, Tanner réfléchit à la hâte. C’était se résigner ou tirer un trait sur l’acquisition des Confiseries Swanson… Eh bien, le brave homme allait voir de quel bois il se chauffait !
Tendant la main à Frank, il donna son accord.
Quel bonheur suprême, songea Abby, plongée jusqu’au nez dans un bain moussant parfumé à l’amande. Et cette baignoire… Rien à voir avec l’espèce de sabot qui trouvait à peine sa place dans son studio. Cette baignoire-là semblait conçue pour deux tant elle était vaste. Un vrai petit bijou, équipée d’un système anti-dérapage, d’une option jacuzzi et d’appui-tête en mousse.
Que tout ceci était excitant ! Convaincue que Tanner et elle séjourneraient au manoir, qu’elle n’avait pas été sa surprise d’entendre Jan s’insurger. Deux jeunes mariés avaient besoin d’intimité, avait-elle protesté ; du reste, elle leur avait réservé le bungalow, sur l’autre rive du lac, afin qu’ils puissent roucouler en paix. En guise de bungalow, l’endroit était tout à fait charmant avec sa cheminée, son luxueux canapé en cuir pleine fleur, ses tapis épais et son lit extra large.
Charmant et véritablement romantique.
Abby fit la moue. Elle avait été prise d’une subite bouffée de chaleur en découvrant le lit. Qu’est-ce que cela signifiait ? Qu’elle avait un faible pour Tanner ? Non, assurément pas. Certes, il était très bel homme. Elle ne trouvait non plus rien à redire sur sa façon d’embrasser. Oui, mais elle savait par expérience que les fils de riches familles ne voyaient en des filles de son genre qu’une occasion de s’amuser — pour une nuit, une seule.
Bien sûr, il émanait de Tanner un charme irrésistible…
Eh bien ! elle résisterait malgré tout.
Inspirant une profonde bouffée d’air, elle ferma les yeux et décida de se relaxer. Après tout, le dîner ne se tiendrait pas avant plusieurs heures et, de son côté, Tanner devait déjà être en pleines négociations. Oui, elle disposait de suffisamment de temps devant elle pour se laisser aller…
La rage au ventre, Tanner s’engagea dans la petite allée qui serpentait jusqu’au bungalow. Concevoir une ligne de confiseries… Le brave homme avait perdu la tête. Il était grand temps que Frank se retire des affaires. Quelle folie !
Parvenu devant la porte du bungalow, il entra, sans prendre la peine de frapper, croyant trouver Abby confortablement installée à l’attendre. Frank semblait lui vouer une sincère affection. Peut-être pourrait-elle lui parler et tenter de le ramener à la raison à propos de cette ridicule mise à l’épreuve…
Une musique douce s’insinua jusqu’à lui depuis la salle de bains. Tanner s’avança. Il s’apprêtait à pousser la porte quand l’écho du clapotis de l’eau suspendit son geste.
Elle prenait un bain.
Zut, marmonna-t il en reculant. Il s’adossa au mur, tout près de la porte, et tenta de contenir l’afflux du sang à ses joues en écoutant Abby qui, manifestement, prenait un malin plaisir à barboter. Peu à peu, il se laissa aller à l’imaginer, nue, allongée, ses seins affleurant juste… Assez, se chapitra-t il, la bouche affreusement sèche soudain.
Il se redressa et lança sur un ton dégagé :
— Abby, je dois vous parler.
Le cœur d’Abby manqua un battement. Paniquée, elle s’assit dans la baignoire et fureta autour d’elle.
Tanner. Derrière la porte.
— Oui, oui, se força-t elle à articuler.
En une seconde, elle sortit du bain et s’empara de son peignoir.
— Un instant !
Se ruant devant la glace, elle sourit à son reflet. Plus la moindre trace de chocolat, ni sur son visage ni sur ses cheveux, qu’elle avait noué en un petit chignon. Pas mal, convint-elle. Et alors ? Elle se moquait bien de le séduire. Quel affreux mensonge, eut juste le temps de la sermonner son reflet avant qu’elle ne pousse la porte.
Depuis le canapé, Tanner la dévisageait, immobile. Entre eux, seul le lit, immense et presque obscène, les séparait. Une éternité s’écoula…
— C’est l’heure du dîner ? demanda-t elle.
Tanner fronça les sourcils, toujours silencieux. Abby se mit à s’agiter.
— Il est tard, c’est cela. Vous semblez furieux… Je nous ai donc mis en retard.
Comme il la fixait toujours avec intensité, muet, elle décida de ne plus faire un geste. Après tout, si Monsieur avait quelque chose à dire, s’il souhaitait la réprimander, elle attendrait qu’il sorte de sa torpeur. Parfaitement, il ne lui faisait pas peur. Même si le fait de ne porter sur elle qu’un malheureux peignoir de bain mettait sa bravoure à rude épreuve. Quant à ce satané lit, elle ferait aussi bien de l’effacer de sa vue !
— Le dîner sera prêt dans une demi-heure, dit-il enfin avec un sourire. Mais c’est de douceurs dont je voudrais m’entretenir avec vous…
Abby écarquilla les yeux, perplexe. De douceur ? A quoi faisait-il allusion ?
— Tranquillisez-vous Abby, reprit-il en riant. Il s’agit de business, uniquement. Asseyez-vous, je vous en prie… Je vais vous expliquer…0

 
 

 

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